Mercredi 15 juin 2011

- Présidence de M. Claude Birraux, président -

Premier bilan des investissements d'avenir - Audition de MM. Thierry Coulhon, directeur de programme « Centres d'excellence », Claude Girard, directeur de programme « Valorisation de la recherche » au Commissariat général à l'investissement

M. Thierry Coulhon, responsable du programme « Centres d'excellence » au Commissariat général à l'investissement - Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les parlementaires. C'est pour Claude Girard et moi un honneur de participer à cette audition. Nous ne représentons pas ici le commissaire général. Nous essaierons de vous donner des informations à notre niveau, c'est à dire techniques.

Il nous est apparu utile de replacer l'enseignement supérieur et la recherche dans un contexte plus global, contexte qui est le leur pour les investissements d'avenir.

Il faut d'emblée vous préciser que Claude Girard s'occupe de valorisation de la recherche ; pour ma part, je m'occupe de trois appels d'offre dans le cadre des centres d'excellence :

- Équipements d'excellence (EquipEx) ;

- Laboratoires d'excellence (LabEx) ;

- Initiatives d'excellence.

Nos deux missions ne couvrent pas l'ensemble de ce qui concerne l'enseignement supérieur et la recherche dans les investissements d'avenir. D'une part, parce qu'il y a en plus le programme dirigé par Jean-Christophe Dantonel qui concerne les Instituts hospitalo-universitaires (IHU) et les autres actions liées aux biotechnologies et à la santé. D'autre part, parce qu'un certain nombre de programmes liés aux transports, aux énergies, au développement durable, à l'égalité des chances, touchent directement l'enseignement supérieur et la recherche.

Ce que nous vous proposons c'est de commencer par une présentation de faits globaux, du calendrier, et de la procédure concernant les investissements d'avenir, ensuite de vous présenter l'histoire des équipements, laboratoires, et Initiatives d'excellence (IdEx), puis de vous faire part des leçons que l'on peut partiellement en tirer eu égard au fait que la première vague d'appels à projets n'est pas complètement terminée pour les Initiatives d'excellence, et enfin de vous communiquer le calendrier de la seconde vague.

M. Claude Girard, directeur de programme « valorisation de la recherche » au Commissariat général à l'investissement - Je renouvelle ce que vient de dire Thierry Coulhon, c'est un honneur pour moi de pouvoir m'exprimer devant vous ce soir.

Je vais commencer par un rapide rappel des procédures concernant les investissements d'avenir.

Le 22 juin 2009, une première décision de principe d'un emprunt national est prise pour financer des investissements stratégiques destinés à préparer la France à passer le cap du XXIème siècle (discours du Président de la République devant le Congrès à Versailles).

Pendant l'été 2009, le 26 août précisément, la Commission Juppé-Rocard est installée. Elle est chargée d'identifier et d'évaluer les besoins d'investissements d'avenir, dans des secteurs clés : innovation, recherche, industrie et développement durable.

La remise du rapport a eu lieu le 19 novembre 2009. Celui-ci identifie 7 priorités stratégiques et 17 programmes d'actions ; aucun projet individuel n'est sélectionné mais des recommandations en termes de gouvernance sont faites.

Le 14 décembre 2009, le Président de la République décide de fixer à 35 milliards d'euros le montant de ces investissements ; ce montant est ventilé en 5 priorités stratégiques qui confirment les orientations du rapport Juppé-Rocard.

Le 20 janvier 2010, le projet de loi de finance rectificative est adopté en conseil des Ministres. Puis le 22 Janvier 2010 René Ricol est nommé, en Conseil des ministres, Commissaire général et Jean-Luc Tavernier, Commissaire général adjoint.

Enfin, en février 2010, les rôles du Commissariat général à l'investissement (CGI) et du Comité de Surveillance, présidé par les membres de la commission Juppé-Rocard, sont confirmés dans la discussion parlementaire.

Pour ce qui est de la répartition des investissements, les 5 priorités et les montants affectés sont les suivants :

- Enseignement supérieur et formation : 11 milliards d'euros ;

- Recherche : 7,9 milliards d'euros ;

- Filières industrielles et PME : 6,5 milliards d'euros ;

- Développement durable 5,1 milliards d'euros ;

- Numérique : 4,5 milliards d'euros.

Le CGI a choisi une organisation matricielle, avec des pôles d'experts thématiques. Cet aspect comprend tout ce qui touche aux équipements, laboratoires, et initiatives d'excellence.

Ensuite la valorisation de la recherche, dont je suis responsable, regroupe les sociétés d'accélération de transferts de technologie (SATT), les instituts Carnot, les Instituts de recherche technologiques (IRT), un volet sur les pôles de compétitivité et un volet sur le financement des entreprises. Ces trois volets là sont transversaux.

Les pôles d'expertise ciblés sur de grandes thématiques industrielles sont les suivants :

- Santé et biotechnologies ;

- Transports ;

- Numérique ;

- Énergie ;

- Urbanisme ;

- Égalité des chances et emploi.

J'insiste sur la dimension matricielle car c'est vraiment une équipe qui échange, et ce, malgré les frontières qui ont l'air d'apparaître entre les pôles ; en fait, ces frontières sont assez perméables. Nous travaillons tous dans l'objectif de choisir les investissements qui sont les plus rentables, ceux qui permettront des retours sur investissements.

La méthode appliquée pour sélectionner ces cibles d'investissements est relativement originale car on passe par les opérateurs. Chaque action est ainsi menée par un opérateur (ANR, ADEME, ...). La première phase de notre travail a donc consisté à contractualiser entre le CGI (donc l'État) et ces opérateurs. Ensuite, dans le dispositif de sélection, ce sont les opérateurs qui vont contractualiser avec les bénéficiaires finaux sélectionnés par des jurys indépendants nationaux ou plus souvent internationaux.

M. Thierry Coulhon - Nous en venons au bilan quantitatif tel qu'on a pu le présenter au comité de surveillance, présidé par MM. Juppé et Rocard.

J'ai oublié de rappeler précédemment que nous trouvons normal de devoir nous expliquer au Parlement ; nous le faisons notamment devant les deux commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat, mais aussi à d'autres occasions. C'est la règle du jeu d'expliquer au Parlement où nous en sommes, à savoir 49 appels à projet lancés, 32 clos, et 5 à venir.

En ce qui concerne l'enseignement supérieur et la recherche, contrairement aux chiffres que je viens de citer, on peut considérer que nous sommes au milieu du gué. Nous avons terminé en juillet la première vague avec une sélection d'Initiatives d'excellence, et la deuxième vient de commencer avec l'ouverture de l'appel à projet Initiative d'excellence 2.

Les jurys internationaux sont la pratique courante pour les appels à projets dans l'enseignement supérieur et la recherche. En revanche, il y a un certain nombre de programmes qui sont gouvernés par des guichets et gérés par les opérateurs. En ce qui concerne l'enseignement supérieur, l'échelle des équipements et des Initiatives d'excellence n'est pas la même, le nombre de projets n'est donc lui, non plus, pas le même. Mais même s'il n'y a eu que 17 candidats aux Initiatives d'excellence, ces 17 candidatures permettent de couvrir l'essentiel du potentiel d'enseignement supérieur et de recherche français et évidemment ce sont des projets d'une telle importance que le nombre de dossiers n'est pas la variable la plus significative.

Avec 329 dossiers sélectionnés et 10 milliards d'euros affectés à des projets identifiés, on peut en conclure que la machine est en route d'un point de vue quantitatif.

Les processus allant de la sélection à la contractualisation de ces projets sont complexes étant donné qu'il y avait, sur chacun des grands secteurs, un ministère en charge mais aussi un opérateur. Puisque les investissements d'avenir étaient, par nature, interministériels, il fallait sans doute une instance interministérielle supplémentaire, à savoir le Commissariat général à l'investissement (CGI). Néanmoins la présence d'un opérateur ayant un coeur de métier proche était nécessaire, d'autant plus qu'il s'agissait d'une volonté du Parlement d'avoir des opérateurs distincts des ministères.

Le travail de la première étape, qui a consisté à établir des conventions et à verser des fonds aux opérateurs (date à partir de laquelle ils rapportent des intérêts), a été un travail long et parfois difficile, mais on peut espérer qu'il a permis de contourner un certain nombre de difficultés et permettra d'économiser du temps pour les vagues suivantes.

Dans un second temps, sont venus le lancement des appels à projets, le travail de clôture de ces appels à projet et le travail de sélection.

Ensuite, nous sommes entrés dans l'étape de contractualisation avec les porteurs de projets, travail qui est en train d'être expérimenté avec les Équipements d'excellence première vague. Cette contractualisation, qui est faite entre l'Agence nationale de la recherche (ANR) et chacun des lauréats, est un travail, lui aussi, difficile d'une part parce qu'il s'agit à nouveau d'établir la première convention type, mais aussi de la mettre en oeuvre, notamment en tenant compte des souhaits émis par le comité de pilotage (ministère et CGI), qui ont été matérialisés par les décisions du Premier ministre dans le cas des EquipEx. Ces décisions prenaient la forme de clauses qui portaient essentiellement sur l'impact socio-économique. Ces clauses étaient très détaillées et, par exemple, énonçaient que tel Équipement d'excellence devait se rapprocher de tel pôle de compétitivité. Cela nous a paru néanmoins une condition essentielle pour ne pas agir comme d'habitude, c'est-à-dire affecter les fonds et partir sans s'engager dans un processus à plus long terme qui puisse faire évoluer les dispositifs.

Enfin, le décaissement : il s'agit d'une étape qui évidemment est une source d'angoisse pour les chercheurs qui se demandent quand les fonds vont arriver. Mais je crois que l'action LabEx va être exemplaire de ce point de vue-là. En effet, pour cette action nous allons utiliser une procédure un peu simplificatrice qui consiste à affecter directement 10 % de la somme allouée au projet (total des crédits consomptibles et non consomptibles) avec une contractualisation légère ; la contractualisation définitive interviendra dans un an au moment où les choses se seront stabilisées quant aux Initiatives d'excellences. Finalement, les laboratoires verront arriver les fonds avant l'étape de contractualisation finale, et ce, rapidement, ce qui leur permettra donc de démarrer les projets plus tôt.

Le travail avec les différents opérateurs et le Parlement a été constructif et a nécessité de nombreux ajustements, notamment du fait que ce type d'action est nouveau. La remontée des comptes rendus d'activité se fait de notre point de vue convenablement, mais c'est au Parlement d'en juger. Dans ce domaine, des ajustements ont été opérés. En effet, nous étions partis avec des ambitions un peu démesurées. Initialement, la remontée d'informations de la part des bénéficiaires finaux devait se faire de façon trimestrielle, mais c'était sans doute trop rapide.

La suite de la présentation est un peu générale. Pour plus de détail, il faudrait donc la décliner en fonction de chacun des appels à projets.

Tout d'abord, le recours aux jurys internationaux a été largement accepté ; il faut dire qu'il avait été assez largement demandé par les communautés. Pour présenter le point numéro deux, je vais prendre l'exemple des Laboratoires d'excellence en essayant de décrire les tensions qui sont apparues ; tensions qui n'étaient pas tant entre l'instance jury et l'instance politique que sur le concept lui-même. En effet, le LabEx c'est finalement un objet nouveau qui est à cheval entre une notion projet, qui est classique à l'ANR, et une notion de structure, qui est un peu plus ce que l'on cherchait. Or l'équilibre n'a pas été trouvé immédiatement et il a fallu quelques ajustements que je décrirai tout à l'heure.

Les jurys devaient analyser avec attention si le projet et les sommes consacrées feraient la différence par rapport à la situation actuelle. A la vue des faits, je dois moduler cette affirmation, du moins en ce qui concerne mon secteur. Pour un des trois appels d'offre dont j'ai la charge, Initiative d'excellence, on ne sait pas trop comment cela va se passer mais je pense que le jury aura à coeur de réfléchir au volet financier et donc de proposer une fourchette d'enveloppe qui permettra ensuite une négociation. Pour les deux autres appels, le jury n'a pas voulu ou n'a pas pu, pour des raisons de délais, faire l'analyse financière. Dans ces cas, c'est donc le ministère et le CGI qui ont fait ce travail. Nous avons été réticents à appliquer des règles globales de réduction de budget car celles-ci n'auraient eu aucun sens. Ainsi dossier par dossier, l'analyse a visé à ne pas donner plus que nécessaire pour que le projet décolle mais suffisamment pour qu'il le puisse tout de même. Dans les faits, les jurys ont eu plutôt tendance à saturer les enveloppes mais les situations sur Équipements d'excellence et sur Laboratoires d'excellence ont été assez contrastées de ce point de vue-là ; j'y reviendrai.

Je peux, à ce stade, essayer de tirer les leçons de trois appels à projets : Équipements d'excellence, Laboratoires d'excellence et Initiatives d'excellence.

S'agissant d'EquipEx, la principale surprise concerne le succès de l'appel à projet : 350 soumissions, dont beaucoup de grande qualité. EquipEx vise à financer de l'investissement et de la maintenance pour un montant de l'ordre de 2 à 20 millions d'euros, c'est à dire pour un créneau de besoin de financement mal couvert, puisque supérieur à la contribution d'un budget d'université, mais inférieur au financement d'un programme européen. 52 projets ont été sélectionnés, ce qui manifeste une volonté du jury de laisser un choix très ouvert au Comité de pilotage, puis au CGI, qui fait la proposition finale au Premier ministre. Le jury a néanmoins classé les projets pour aider à ce choix : 33 A+, et cinq paquets de 9 A. Le CGI a adopté le principe de respecter l'ordre de préférence fixé par le jury, en retenant d'abord les projets A+, ensuite les projets A1 et A2. Mais le Comité de pilotage, comme le CGI, ont rajouté dans la proposition finale d'autres projets classés A, particulièrement en phase avec la stratégie nationale de recherche et d'innovation, ou répondant à des préoccupations d'équilibre géographique, même si le Grand emprunt n'a pas directement un objectif d'aménagement du territoire.

L'appel à projet pour les Laboratoires d'excellence met en avant un concept nouveau, correspondant à l'idée de constituer le noyau de futures Initiatives d'excellence, notamment en valorisant une recherche de visibilité internationale associée à un effort de formation. Cela concerne des projets de recherche se déployant dans un horizon à trois ou quatre ans, mais ouverts sur des perspectives plus pérennes. La sélection opérée par le jury est apparue conservatrice aux yeux de quelques-uns qui critiquent l'avantage accordé à l'excellence établie, mais aussi très innovantes aux yeux de beaucoup d'autres. Elle comportait une liste de 83 projets, plus restreinte que ce qu'il était possible de financer, et comportant de nombreux projets innovants. Le président du jury ayant expliqué au Comité de pilotage qu'il regrettait de n'avoir pu faire une place plus grande à des projets portés par des équipes renommées, le CGI a demandé au jury de nouvelles propositions qui ont permis de rajouter 17 projets à la liste, pour atteindre un total de 100 Laboratoires d'excellence.

La répartition géographique des Laboratoires d'excellence est certes très concentrée sur la région parisienne, les régions Rhône-Alpes, PACA et Aquitaine, mais ce phénomène est atténué si l'on considère les résultats des autres appels à projets, EquipEx, IdEx, IRT (Institut de recherche technologique), IHU (Institut hospitalo-universitaire). Finalement, chaque région de France est parvenue à faire jouer ses atouts sur un aspect ou un autre du soutien aux centres d'excellence.

En ce qui concerne les Initiatives d'excellence, deux vagues de sélection ont été prévues, une en 2010 et une autre en 2012. Le jury a visé, sur la première vague, la sélection de la moitié du contingent final de 5 à 10 prévu par la loi. Il s'est réservé, au stade intermédiaire de la pré-sélection, un choix au sein d'un effectif double de l'effectif cible. D'où la pré-sélection de 7 projets sur les 17 présentés. Cette démarche restrictive présente l'avantage de laisser toutes leurs chances à d'autres projets sérieux présentés pour la deuxième vague.

On peut identifier trois principaux problèmes dans le soutien aux centres d'excellence. Ceux-ci concernent particulièrement le dispositif phare des Initiatives d'excellence, en raison de l'importance des moyens qui lui sont affectés.

Le premier problème concerne la manière dont sera assuré le suivi des projets sélectionnés sur la période probatoire de quatre ans, mais aussi la définition des critères pour céder ou non la propriété de la dotation au terme de cette période probatoire. Il va falloir en effet assurer une véritable crédibilité de la menace d'un éventuel refus final de cette cession.

Le deuxième problème tient au devenir des entités ad hoc servant de support aux allocations du Grand emprunt : les Laboratoires d'excellence, par exemple, n'ont d'existence ni sur le plan juridique, ni sur le plan budgétaire, même s'ils sont clairement portés par un établissement ou un groupe d'établissements. Quant aux Initiatives d'excellence, ce sont des vecteurs d'incitation, invitant les acteurs à expliquer comment ils pourraient s'organiser s'ils bénéficiaient du soutien de l'État, mais sans contours imposé dans le cadre institutionnel actuel de la recherche ; à terme, une mise en concordance législative sera sans doute nécessaire pour les situer dans le paysage universitaire, et prendre en compte des modes d'organisation dont certains seront probablement inédits.

Le troisième problème est la difficulté d'apprécier a priori l'impact à long terme des Initiatives d'excellence, dont les succès et les échecs d'une région à l'autre dépendront de la diversité des contingences locales, avec un impact très structurant sur le devenir d'ensemble de la recherche française.

Une première carte, centrée sur les têtes de réseau, permet de montrer la répartition des lauréats des laboratoires et équipements d'excellence et du secteur santé-biotech. Cette carte est sévère et révèle une concentration assez importante. L'Ouest, la Lorraine, la Bourgogne et la Franche Comté y sont peu représentés. Nous verrons si ces régions seront mieux traitées dans la deuxième vague de décisions.

M. Claude Girard - Un premier bilan de la valorisation de la recherche indique un niveau d'excellence convenable du système de recherche, mais aussi une difficulté à valoriser les résultats de la recherche.

Plusieurs instruments sont mis en oeuvre dans le cadre des investissements d'avenir : Le fonds national de valorisation, entièrement consomptible, doté d'un milliard d'euros sera affecté sur des opérations concernant France Brevets (50 millions d'euros, auxquels s'ajoutent 50 millions d'euros apportés par la Caisse des Dépôts), les consortiums de valorisation thématiques (50 millions d'euros) et les sociétés d'accélération du transfert de technologies (900 millions d'euros).

Les Instituts Carnot, dont les crédits sont non consomptibles, sont dotés quant à eux de 500 millions d'euros, soit 17 millions par an avec un taux d'intérêt de 3,41 %. Les Instituts de recherche technologique sont dotés de 2 milliards d'euros, dont 25 % consomptibles. Il en résulte un total de 3 500 millions d'euros pour la valorisation de la recherche dont 1 500 consomptibles.

Parmi ces instruments, France Brevets, société créée en mars 2011, aura pour mission de :

- Gérer un portefeuille de brevets et de droits de propriété intellectuelle, achetés sur le marché, et qui seront regroupés en grappes permettant de mieux les valoriser ;

- Racheter des sociétés françaises disposant de brevets intéressant des fonds étrangers avant qu'ils ne les acquièrent ;

- Servir de facilitateur dans la transmission du capital ;

- Être un embryon de marché européen, dans un contexte de croissance de la titrisation des droits de propriété intellectuelle.

France Brevets a d'ores et déjà signé trois premiers accords avec Oséo, l'Institut national de la propriété industrielle (INPI) et un institut télécom. Son directeur général est en place et France Brevets commence à réaliser des opérations. C'est une start-up qui est dans une phase probatoire, et dont les premières opérations concernent le secteur des technologies de l'information et les télécommunications.

Aux 2 millions d'euros investis dans la phase probatoire, s'ajoutent 18 millions puis 50 millions d'euros pour finalement atteindre 100 millions. Ces sommes ne sont toutefois pas à l'échelle des montants du marché international si le modèle fonctionne bien.

Je vais maintenant présenter les consortiums de valorisation thématique (CVT) déjà évoqués à l'occasion de l'audition sur les Alliances organisée par l'Office avec René Ricol.

A chacune des Alliances correspond un consortium de valorisation thématique. Ainsi il y a un CVT dans les domaines de l'énergie, des sciences et des technologies du numérique, de la santé, de l'environnement ainsi que des sciences humaines et sociales. Ces consortiums visent à compléter la mission de programmation, d'harmonisation et d'optimisation de la recherche, au niveau national, qui est actuellement celle des Alliances, par une mission de valorisation, nationale et internationale, essentiellement de nature stratégique et marketing, et une mission de promotion de l'offre technologique et du dispositif de valorisation associé.

Les consortiums de valorisation thématique permettent une approche orientée vers les marchés. Une autre mission des consortiums de valorisation thématique concerne le diagnostic des forces et faiblesses du dispositif de valorisation de la thématique considérée. Ce diagnostic doit permettre de constituer un panorama de l'offre nationale des brevets et droits de propriété intellectuelle, et ce, afin d'orienter les actions de valorisation des grands organismes nationaux constitutifs des Alliances, ainsi que des sociétés d'accélération du transfert de technologies. L'efficacité de ce dispositif implique donc une étroite collaboration entre des sociétés d'accélération du transfert de technologies, régionales et pluri-thématiques, et des consortiums de valorisation thématique, nationaux et monothématiques. A cette fin, chacun des consortiums devra désigner pour sa thématique un interlocuteur unique vis-à-vis des sociétés d'accélération du transfert de technologies.

Les Sociétés d'accélération du transfert de technologie (SATT), dotées à hauteur d'environ 900 millions d'euros, leur mécanisme relativement complexe découle de la multiplicité de leurs missions. Leur mission essentielle, à hauteur de 95 % de leur budget, concerne l'accompagnement et le financement des projets de preuve de concept et de maturation. Les sociétés de capital-risque refusent en effet d'investir à ce stade considéré comme trop en amont de l'industrialisation. Une autre mission consiste à fournir des prestations à leurs actionnaires universitaires, principalement en termes de valorisation, voire, à la demande, sur d'autres aspects, comme par exemple la gestion des contrats. Ces sociétés ont également pour objectif d'apporter un minimum de fonds propres. Enfin, elles assurent une mission de contrôle, notamment dans les premières années, compte tenu du changement d'échelle pour le monde universitaire, en termes de valorisation. Les tranches d'investissement triennales, avec une montée en puissance progressive des comptes courants d'actionnaires, sont ainsi systématiquement accompagnées d'un contrôle et d'un audit.

A la suite de l'appel à projets, le jury s'est prononcé en faveur de la création des premières sociétés d'accélération du transfert de technologies pour un montant d'environ 300 millions d'euros : Conectus en Alsace, Lutech et Innov en Ile de France, ainsi qu'une société pour la région Midi-Pyrénées et une autre pour la région PACA et la Corse. L'ANR devrait contractualiser avec les bénéficiaires avant la fin septembre 2011.

Pour quatre autres sociétés, Ouest Valorisation, Aquitaine Valorisation, Nord-de-France Valorisation et Languedoc-Roussillon, répondant à une logique d'aménagement et de couverture du territoire, le jury a demandé des améliorations mineures des projets présentés. Après un examen du nouveau dossier par le comité de pilotage, le jury se prononcera, probablement en septembre 2011, sur les corrections apportées, et la contractualisation interviendra en novembre.

Les autres sociétés régionales présentent des difficultés plus importantes. Pour Grand Centre et Grand Est, l'étendue de leur territoire n'a pas permis de constituer un projet cohérent. Ainsi, une organisation adaptée devra être mise en place. Pour Lyon-Saint-Étienne, Grenoble 1 (UJF), Grenoble 2 (INPG) et Saclay, malgré des territoires restreints, les acteurs ne sont pas parvenus à s'entendre. Ainsi, lorsqu'il s'est rendu en région Rhône-Alpes, René Ricol a demandé la création d'une société unique pour Lyon et Grenoble. Le comité de pilotage devra examiner les nouvelles propositions, et ce, avant la décision du jury qui est prévue pour octobre. La contractualisation interviendra ainsi dans le meilleur des cas en décembre.

Les dépenses publiques de recherche sur ces territoires ne sont jamais, y compris en Alsace, inférieures au montant minimum de 300 millions d'euros, initialement fixé pour assurer une base suffisante d'activité aux sociétés d'accélération du transfert de technologies.

Les actions spécifiques des Instituts Carnot participent, elles, aussi à la valorisation. Menées depuis 2005-2006, elles sont renouvelées avec un mécanisme d'abondement fondé sur les recherches partenariales réalisées. Cela représente 17 M€ d'investissement d'avenir par an en plus des 60 M€ d'abondement des Instituts Carnot. S'agissant des investissements d'avenir, le diagnostic fait apparaître une articulation difficile entre les PME et ces instituts et une présence réduite des acteurs à l'international. On a souhaité que les 17 M€ soient donc prioritairement affectés à ces deux secteurs, et que les projets soient revus. Ainsi après clôture des appels à projets, on compte 13 projets déposés, 7 pour l'action spécifique « PME » et 6 pour l'action spécifique « international ». Le retour d'analyse des dossiers par le comité de pilotage des Instituts Carnot est prévu pour le 30 juin prochain et la décision devra être prise pendant l'été. Déjà, on peut constater que ces instituts se sont regroupés entre eux. Néanmoins, on observe aussi que les dossiers sont globalement assez moyens et hétérogènes. L'hypothèse d'un deuxième appel à projet n'est donc pas exclue.

Quant aux Institut de recherche technologique, ils sont dotés de 2 Mds € dont 25 % consomptibles. Six projets ont été sélectionnés avec un processus de contractualisation qui devra être finalisé le 1er octobre. Il s'agit de : Nanoelectronique à Grenoble, de M2P (matériau) dans l'Est de la France, Lyonbiotech qui regroupe pour 40 % Pasteur Paris et l'IRT santé à Lyon, Aéronautique, espace et systèmes embarqués (AESE) à Toulouse, Railenium (infrastructures ferroviaires) à Valenciennes, Jules Verne, IRT sur les matériaux composites pour l'aéronautique, les transports navals et terrestres à Nantes.

Au-delà de ces six projets, l'absence du secteur numérique a été remarquée. C'est pourquoi deux dossiers pouvant être labellisés, sous réserve d'apporter des modifications importantes avant octobre, ont été retenus. L'objectif est une contractualisation éventuelle en début 2012. Ces deux projets sont SystemX à Saclay et B-Com dans le secteur des communications à Rennes.

Les IRT associant secteur public (50 % sur les investissements d'avenir) et secteur privé exigent un véritable engagement de ce dernier secteur de l'ordre de 30 %. Cet engagement n'est pas facile et exige une interface public/privé qui fonctionne avec un règlement financier et nécessite une clarification par la Commission européenne du régime d'exemption des aides d'État.

Voilà pour l'état des lieux que nous pouvions faire à l'heure actuelle sur les investissements d'avenir.

M. Claude Birraux, député, président de l'OPECST - Vos propos ont évoqué une vingtaine d'initiatives, et de sigles, ce qui illustre la complexité du paysage actuel de la recherche. Celui-ci a évolué, mais pas dans le sens de la simplification.

Je souhaiterais vous poser trois questions :

- En premier lieu, vous avez fait état de l'objectif de « conforter les cathédrales ». Or, les plus grands sanctuaires n'ont-ils pas commencé par de petites chapelles ?

- Ensuite, les « business angels » se sont-ils brûlés les ailes au contact des SATT ?

- Enfin, comment les relations avec les investisseurs potentiels sont-elles organisées ?

M. Thierry Coulhon - Il faudra certainement simplifier à l'avenir le paysage de la recherche. Toutefois, les processus mis en oeuvre font apparaître des ensembles dans les grandes métropoles universitaires. A Lyon, ou à Bordeaux, par exemple, on est dans une logique de simplification pour accroître la visibilité internationale. Ainsi, des institutions diverses ont compris l'intérêt de s'abriter derrière une marque commune. La simplification est donc en devenir.

Par ailleurs, des structures comme les Laboratoires d'excellence sont plus visibles et plus stables que les unités mixtes de recherche (UMR).

Dans un paysage compliqué, les investissements d'avenir sont un moment où se dessinent des collaborations qui seront, à terme, simplificatrices.

On observe, enfin, que les chercheurs ne se posent que des questions qu'ils se posaient déjà, mais avec, cette fois, la perspective de disposer de moyens.

L'appel à projet n'a pas eu pour seul objectif de conforter les scientifiques déjà reconnus, il a eu aussi le but de favoriser l'émergence d'équipes d'avenir. Une autre façon de poser cette question consiste à se demander si le système surconcentre les moyens ou s'il en donne à chacun. C'est aussi pour cette raison que le système est complexe : il existe ainsi plusieurs échelles et dimensions à considérer.

S'agissant des appels d'offres Équipements d'excellence et Laboratoires d'excellence, l'adaptation principale pour le deuxième tour portera sur l'intervention des alliances. Lors de la première vague, en raison de délais courts, les porteurs de projet et les jurys ont travaillé dans la précipitation. L'intervention des alliances fut par conséquent tardive. Au deuxième tour, les alliances rencontreront les jurys au début du processus. Elles sont donc maintenant mieux à même qu'auparavant d'exprimer leur vision de la stratégie.

M. Claude Girard - Évidemment, il faut aller vers plus de simplicité, mais il faut mesurer l'efficacité des dispositifs et non leur simplicité. D'ailleurs, sur la valorisation de la recherche, la complexification n'est pas majeure.

Les « business angels » viennent peu d'emblée vers les SATT. En revanche, les SATT peuvent prendre des participations dans des « start-up », au premier tour de table. Elles peuvent également faire des apports en nature, notamment au niveau de la propriété intellectuelle ainsi que du matériel. À partir de là on mesurera l'efficacité des SATT en terme de « deal flow » (flux de dossiers d'investissement qui leur sont présentés) et de qualité de ce « deal flow ». On mesurera aussi l'efficacité des SATT en fonction de l'intérêt des « business angels » pour ces « start-up ». Ce sera tout le travail des futurs patrons des SATT d'aller vendre leur dispositif et les fruits de leur maturation auprès des « business angels ».

M. Jean-Yves Le Déaut, député, vice-président de l'OPECST - Il y a certes des choses positives. J'ai rencontré René Ricol et Thierry Coulhon pendant cette période de grande agitation dans le monde universitaire et dans le monde de la recherche.

Au niveau de la recherche, on souffre de deux maux.

Premièrement, la concentration en termes de moyens financiers sur le territoire. Celle-ci est encore plus frappante que celle qui apparaît sur la carte des équipements et laboratoires que vous avez présentée. Or, il ne faudrait pas que la multiplicité des initiatives prises finisse par remettre en cause des spécialisations régionales de longue date. Retrouvera-t-on in fine un équilibre régional satisfaisant ? Il y a un vrai risque de désertification de certains territoires qu'il faudrait conforter dans leurs avantages plutôt que d'accroître leur marginalisation.

Deuxièmement, l'autre problème, l'héliotropisme, est plus récent. Dans le nord de la France (hors Paris) on a du mal à faire vivre un certain nombre d'universités et de laboratoires de recherche, à faire venir des gens, à avoir une capacité d'attractivité internationale ; ce qui n'est pas le cas de l'Allemagne. Aussi les universités de Bordeaux, de Montpellier, de Toulouse, d'Aix-Marseille, de Nice sont plus développées que celles de Lille, Rennes, Nantes ou Nancy.

Sans parler d'aménagement du territoire, il faut réussir à mettre des moyens là où il y a de la matière grise, il ne faut pas qu'une multiplicité d'initiatives arrive à revenir sur des stratégies de recherche et d'innovation qui avaient été mises en place sous d'autres formes, par d'autres ministres, avec des organismes qui avaient des stratégies de spécialisation selon les villes universitaires. Par exemple, l'INRA avait mis son pôle forêt-bois au niveau de la région Lorraine. On a l'impression que ces stratégies peuvent être « chamboulées ».

D'où ma première question : va-t-on retrouver un équilibre ?

Il me semble que « la France perd le nord ». Si on n'a pas une stratégie globale pour trouver les points forts de chacun, on va arriver à une désertification de certaines régions.

Mon deuxième point est que l'on a l'impression de refaire une photographie de l'existant. Les endroits qui accueillent des gens à forte notoriété ont plus facilement gagné aux appels d'offre que les autres. C'est-à-dire que la carte des prix Nobel, des médailles d'or du CNRS ou des médailles Fields est meilleure que celle des chercheurs de l'IUF (Institut universitaire de France). Demain, ce ne seront pas forcément des gens confirmés aujourd'hui qui seront à la tête des meilleurs laboratoires. Il faut aussi voir les projets des membres juniors de l'IUF, des jeunes du CNRS, de l'INSERM ou d'un certain nombre d'autres organismes, alors que beaucoup n'ont pas eu leurs projets retenus.

Mon troisième point porte sur la deuxième phase des IdEx. Cette phase sera importante, mais quelle en sera la règle du jeu ? Par exemple, tout s'est tellement mis en place si rapidement pour les Instituts d'excellence des énergies décarbonées (IEED) qu'on ne savait même pas s'il y aurait une deuxième phase. J'ai cru comprendre qu'il n'y aurait que deux projets retenus. Certains dossiers n'ont pas été présentés à la 1ère phase. Étiez-vous certains qu'il y aurait une deuxième phase ?

Il faut vraiment clarifier les règles du jeu. Il est très important d'avoir cette discussion, notamment sur les IdEx qui sont une sorte d'aménagement du territoire. Il ne faut pas qu'il n'y ait que des universités du sud de la France qui soient retenues.

Je termine par les SATT. Il y a un réel problème de gouvernance. On n'a pas assez tenu compte de ce qui existait dans la catégorie des « business angels ». Il y a des fonds d'amorçage et des fonds de capital-risque. Il y a un certain nombre d'Instituts de participation régionaux qui existent. La nouvelle carte qui apparaît n'est pas forcément en phase avec ce qui s'était fait précédemment sur ces sujets qui sont pourtant majeurs. Si on ne favorise pas le lien entre l'innovation et la matière grise, on n'aura pas de retombées économiques de l'argent qu'on investit dans le grand emprunt.

Mme Geneviève Fioraso, députée - Je parlerai de toute une série d'équilibres qui risquent d'être compromis avec certaines de ces initiatives, sans revenir par ailleurs sur les complications déjà évoquées des « listings » et labels :

- Un équilibre entre réseau et locomotives : c'est la première fois que j'entends parler de réseau et non plus seulement de lauréats ou locomotives. Ce concept de réseau que tirent des locomotives me paraît essentiel. Nous ne sommes pas un grand pays et on ne peut pas se mettre en concurrence les uns avec les autres. Donc, non au nivellement par le bas, mais oui au réseau avec des locomotives fortes. Cela permettra aussi de faire émerger de jeunes équipes, car les niches d'excellence non identifiées comme des pôles leaders sont souvent des équipes assez jeunes et innovantes ;

- un équilibre entre universités et organismes : l'inconvénient avec tous ces LabEx, EquipEx, etc. c'est que les règles sont devenues un peu technocratiques. Or, la réalité est plus diverse : à certains endroits, on peut centrer les projets autour des universités, à d'autres, historiquement il existe une richesse avec des organismes européens et nationaux, des écoles d'ingénieurs et des universités. Je suis assez pragmatique et ce qui compte, c'est ce qui marche, même si cela ne rentre pas dans le moule prévu par les appels d'offre. On a senti quand même fortement la prégnance d'un moule unique et on a dû se battre contre la culture unique à certains endroits ;

- un équilibre entre la vision projets, qui est dynamique, et la nécessité de disposer de moyens pérennes pour assurer l'avenir de la recherche fondamentale qui fournira les applications pratiques plus tard, dans un délai et des domaines qui ne sont pas encore connus. On a l'impression d'un déséquilibre en faveur des projets et ce balancier est mauvais : la recherche a besoin d'une vision stable, stabilisée, pour que les chercheurs puissent travailler dans de bonnes conditions ;

- un équilibre entre les entreprise vertueuses et celles qui ne le sont pas : quand on voit qu'un grand groupe pétrolier français fait sa recherche avec des entreprises américaines et asiatiques, bénéficie du crédit impôt-recherche, ne paie pas d'impôts en France, n'utilise absolument pas les laboratoires de recherche français, mais qu'il est qualifié dans beaucoup d'IEED grâce à sa puissance de lobbying, alors que d'autres projets plus vertueux et davantage français ou européens n'ont pas été sélectionnés dans le premier tour, en tant que citoyenne et élue, je ne suis pas d'accord, je m'y oppose absolument ;

- un équilibre entre les jurys et une évaluation sur le terrain : il faudrait croiser les prestations devant le jury avec une appréciation sur le terrain puisqu'on a des outils d'évaluation. Il me semble que ce croisement n'a pas été assez respecté. Il faut aussi un meilleur croisement entre les initiatives locales réussies et les moules imposés par les règlements ;

- il manque aussi une focalisation sur ces « gazelles » que sont les « start-up », et aussi les ETI (entreprises à taille intermédiaire), car ce sont elles qui créent les emplois. On favorise trop les grands groupes. J'ai vu à plusieurs reprises, dans la région grenobloise, des entreprises prometteuses dénoncer des insuffisances de fonds qui ont conduit à leur départ à l'étranger, leur rachat par des entreprises américaines et la fermeture ensuite de centres de recherche en France. N'y a-t-il pas quelque chose à faire au niveau de l'Europe pour disposer de fonds à une échelle pertinente pour ne pas perdre les investissements faits, au départ, par des fonds publics plutôt que de les laisser partir ?

M. Claude Birraux - J'ajoute qu'en 1999, le CNRS avait élaboré un règlement d'application contraire à loi Allègre et que des entreprises créées en France ont pu être rachetées par des Américains, car le règlement fait par le CNRS interdisait au chef d'entreprise d'être actionnaire de la société qu'il avait créé.

M. Axel Kahn, membre du conseil scientifique - Je vais parler d'une question technique : la valorisation. J'ai un souci quant à l'équilibre entre les consortiums de valorisation thématique, les agences des grands organismes thématiques et les dispositifs nouveaux des SATT qui maillent le territoire. Si on donne aux SATT comme mission ce qui coûte fondamentalement de l'argent et est très incertain, alors que dans le même temps on donne à des agences thématiques dynamisées le soin d'identifier les secteurs les plus rentables en termes de valorisation, on crée une situation assez préoccupante. En effet, on crée ainsi un secteur qui aura beaucoup de difficulté à remplir les objectifs de l'appel d'offre, soit au moins l'autosuffisance au bout de dix ans, alors que l'autre secteur sera dans les meilleures conditions pour accumuler de la valeur.

Un effet encore plus pervers et dangereux est à craindre. Dans la plupart des SATT, il existe des représentants des organismes de recherche et des cellules de diffusion technologique (CDT), et on aurait pu penser que les CDT et les Alliances joueraient le rôle de spécialistes contribuant à une action des SATT allant jusqu'aux actions permettant d'accumuler la valeur. Si, selon la présentation qui nous a été faite, on arrête la spécificité des SATT à la preuve de concept et au montage jusqu'au premier tour de table, en confiant par conséquent aux autres agences de valorisation la suite, je considère que l'on risque de mettre en place un système qui pourrait s'avérer non viable, et ce, assez rapidement.

M. Hervé Chneiweiss, membre du conseil scientifique - Je relève que je n'ai pas entendu beaucoup de compliments au sujet des initiatives qui ont été prises, hormis le fait de pouvoir bénéficier de crédits supplémentaires.

Outre l'explosion bureaucratique née des dispositifs mis en place et que beaucoup de personnes ont déjà soulignée, je voudrais évoquer trois points :

- Avez-vous prévu, dans la remontée des comptes rendus d'activité, la question des coûts des investissements d'avenir, c'est-à-dire le temps très considérable passé en réunions par les chercheurs à répondre aux appels d'offre et la frustration suscitée par le rejet de 90 % des dossiers ?

En outre, il serait intéressant de confronter les différentes cartes que vous avez présentées à la configuration issue de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU).

On constaterait alors que les investissements d'avenir ont été déterminés dans la totale ignorance de la LRU, les universités n'ayant été ni consultées ni associées à leur mise en oeuvre ;

- Vous avez indiqué que les jurys avaient relevé un manque de « personnes » ayant répondu aux appels à projet institutionnel. La France emprunte tardivement le système des appels à projet, que le monde anglo-saxon a pratiqué durant plusieurs décennies. Or, depuis déjà une dizaine d'années, aux Etats-Unis, c'est aux personnes et non aux institutions que sont versées des sommes importantes pour mener les projets. C'est pourquoi, je crains que lorsqu'un crédit d'un million d'euros par an est attribué à un LabEx qui comprend vingt laboratoires, il ne reste plus grand-chose aux chercheurs pour travailler à leurs projets ;

- Sur quelle légitimité scientifique se fonde l'évaluation des projets qui a conduit à corriger l'enveloppe des appels d'offre, alors que ce sont des scientifiques à la compétence reconnue qui ont formulé les propositions de financement pour mener leurs projets ?

M. Jean-Pierre Finance, membre du conseil scientifique - Je partage les observations formulées par Hervé Chneiweiss sur l'investissement en temps considérable, qui a été exigé pour remplir les dossiers. Dans ce contexte des investissements d'avenir, les acteurs publics sont totalement mobilisés.

Pour autant, le bourgeonnement des structures pose le problème de la gouvernance. Je me demande s'il en résultera une entropie accrue ou un système qui fonctionnera de façon cohérente.

Dans votre présentation, je constate que la formation est absente.

Certes, elle figurait dans les appels d'offres. Mais les jurys l'ont-ils prise en compte et considérée comme un critère suffisamment discriminant ?

Par ailleurs, sans mettre en cause le fait que l'enseignement supérieur soit l'objet de beaucoup d'attention, je crains toutefois que, dans quelques mois, en raison de la prolifération des structures, le clivage entre les différents sites ne soit renforcé, alors que, jusqu'à présent, ils avaient pu être proches en termes de compétence.

Je crois beaucoup à la capacité du système à évoluer et à se projeter dans un horizon à 25 ou 30 ans. Mais il faut s'assurer que la capacité et la volonté de transformation sera identifiée et accompagnée.

M. Thierry Coulhon - La plupart des questions que vous nous posez sont des questions que l'on se pose tous les jours. En ce qui concerne les questions de Jean-Yves Le Déaut sur les équilibres, plusieurs problématiques sont à analyser. Tout d'abord l'équilibre Paris/Province. Pour cette question l'image n'est pas la même suivant les appels à projets. Je laisserai Claude Girard parler des IRT pour lesquels il nous a été reproché le fait qu'il n'y en avait pas sur la région parisienne.

Pour les Initiatives d'excellence, il y a deux Initiatives d'excellence parisiennes sur sept. Ça ne préjuge pas du résultat final, mais l'équilibre Paris/Province ne nous parait pas outrageusement différent de la situation telle qu'elle est statistiquement. Mais la question est extrêmement profonde : soit on reproduit l'existant, et dans ce cas on n'aura pas fait grand-chose, soit on le distord violemment et alors que diriez-vous si la Corse, ou la Normandie étaient particulièrement privilégiées ? On est en fait dans un schéma intermédiaire, il reproduit les reliefs qu'on connaissait, et il fait apparaître des choses un peu surprenantes. Par exemple, si on prend la liste des Laboratoires d'excellence, on a quand même:

- Caen, Rouen, Orléans, Tours, Cergy, Paris-Est qui ont quatre laboratoires ;

- Clermont-Ferrand qui en aura 3 ou 4 ;

- La Guyane, Amiens, Compiègne, Limoges qui en auront un ;

- Perpignan qui aura un équipement et un laboratoire d'excellence sur le solaire, ils ont une niche et l'ont ainsi particulièrement bien exploitée.

On ne peut pas en tirer l'image unique d'une hyper concentration, c'est plus compliqué que ça. Mais évidemment, c'est une question qui doit nous tarauder tous les jours. Il est apparu des zones un peu plus blanches que ce que l'on imaginait : il y a le problème de l'ouest (Bretagne/Pays de la Loire, pour des raisons qui n'ont pas été inventées par nous, c'est une situation bien connue). Pour parler plus spécifiquement du projet d'Initiative d'excellence, en Bretagne/Pays de la Loire des personnes ont travaillé ensemble pour la première fois, ont fait un effort remarqué, autour de ces deux régions, ont caractérisés un axe Rennes/Nantes comme dominant et ont su, avec des satellites et un réseau autour, organiser un projet. Il est clair que l'ensemble formé par ces deux régions à dix ans sera visible sur la carte européenne, mais quand on demande à un jury : « Sur qui pouvez-vous parier immédiatement comme étant potentiellement demain un champion national ? » ça n'est pas le projet qui leur vient à l'esprit. Pour autant que Bretagne/Pays de la Loire n'a pas travaillé pour rien. Un IRT y sera présent et l'histoire n'est pas finie. Mais évidemment c'est une question très difficile et profonde que de trouver un équilibre entre la reproduction de l'existant et l'innovation. C'est ce que l'appel d'offre Laboratoire d'excellence semble avoir permis.

La deuxième grande question était sur la transparence. Évidemment, on a fait un certain nombre d'effort, mais, si on met encore plus de procédures, on nous accusera encore plus de bureaucratisation. On a été un peu précipité, car en France on doit faire les choses vite, sans doute un peu comme partout ; c'est en effet une politique d'impulsion qui ne peut pas s'éterniser sur un grand nombre d'années. En revanche, on a appris de la première vague. Pour IdEx 2, on publie la grille détaillée sur laquelle le jury fonde son travail, et on met en ligne les appels à projet, expertises financières et les suggestions faites aux candidats. Le travail est maintenant plus clair, plus transparent, plus abouti. Mais c'est un reproche auquel on doit tous les jours être attentif.

M. Claude Girard - Quelques points complémentaires : on peut croire en regardant la carte que « la France a perdu le Nord », mais « elle n'a pas perdu le Nord » car, quand on regarde en termes de valorisation, on a des IRT dans ces zones. Néanmoins, l'inquiétude que l'on peut avoir c'est que ces IRT doivent être sur un terreau de recherche amont qui soit de qualité. Si on n'a pas des IRT qui se donnent les moyens de développer une recherche amont, on risque d'épuiser le système. C'est la vraie préoccupation. Cela compense la géographie Nord/Sud, mais il faut aussi que le dispositif puisse s'autoalimenter en recherche amont. Une des pistes qu'on peut imaginer c'est le système Carnot. Les nouveaux opérateurs de recherche que seront les IRT, si le dispositif fonctionne, pourront candidater pour être labélisés Carnot, et avoir ainsi un système de ressourcement. C'est une bonne idée qui pourra germer dans l'idée des IRT non-situés sur un terreau riche en recherche amont.

Pour la question de la gouvernance, qui a le dos large, c'est vrai qu'il y a eu sur les SATT des remarques très fortes de la part du jury. Dans les SATT plurirégionales, il y a eu des cas, avec un directeur général localisé dans le nord du territoire et la structure localisée dans le sud, c'est caricatural, et ça ne pouvait pas fonctionner. On ne ciblera pas qui, mais l'autre élément que l'on a eu en retour des jurys est que l'arrogance, en terme de valorisation, ne remplace pas la compétence. Il s'agit d'un retour qui concerne certaines zones à forte concentration. Donc il y a aussi un problème d'organisation et de gouvernance.

M. Thierry Coulhon - A propos de la gestion du réseau. Les appels à projet LabEx caractérisaient trois ensembles possibles qui pouvaient être candidats :

- Un laboratoire positionné sur un site, une discipline, ou un ensemble de disciplines ;

- Des réseaux, et il y a eu des réseaux qui ont été reconnus ;

- Des instituts d'accueil de chercheurs étrangers, à titre exceptionnel.

Dans l'équilibre entre construction de sites universitaires et construction de réseaux nationaux (donc organismes), il est vrai que les Laboratoires d'excellence et les appels d'offres étaient plutôt sur la construction de sites universitaires.

En même temps, sur un certain nombre de thématiques (Robotex, ...), le réseau à la bonne échelle a été perçu comme pertinent par le jury, et il a été retenu. Le réseau dont vous parliez, c'était autre chose, c'était le réseau à l'échelle macro, c'est-à-dire « qu'est-ce que l'on fait une fois qu'on a sorti le champion, comment ça entraîne le reste ? » Finalement, c'est la grande crainte du système à deux vitesses avec des zones délaissées. Si on regarde Saint-Etienne, on peut se demander où est sa place ; Saint-Etienne est dans le projet Lyon/Saint Etienne. Mais on peut aussi discuter sur son ampleur : a-t-il trop d'ampleur ? Les jurys internationaux considèrent souvent que c'est trop grand comme ensemble.

Je me suis permis de dire aux jurys d'Initiatives d'excellence qu'il y a deux choses qu'ils ne pouvaient pas faire ; la première, c'était d'oublier l'histoire française qui nous a conduits là où on en est, et la seconde était d'ignorer les étudiants. Saint-Etienne a trouvé son espace de vie dans le Pôle de recherche et d'enseignement supérieur (PRES) Lyon/Saint-Etienne, Chambéry est heureux au sein du projet Grenoblois. On peut se demander quelle est la place de Pau avec Bordeaux, je n'ai entendu personne à Pau dire que la réussite de Bordeaux leur poserait problème. J'ai piloté une petite chapelle en périphérie parisienne, la pire des choses pour nous, c'était de voir que Paris-centre n'était pas organisé. Si Paris-centre s'organise, les alliances deviennent plus claires. Au fond, la question se posera pour IdEx3, si telle ou telle région ou métropole a échoué pour des raisons contingentes, qu'est qu'on fait dans 5 ans, ou dans 10 ans.

En revanche, il semble que l'échelle à laquelle se sont placées les choses permet de traiter beaucoup de sites qui auraient pu se sentir satellisés. Il n'y a pas de moule dans l'esprit du jury, dans le sens où il y aurait une forme de gouvernance prédéterminée du point de vue juridique. C'est la diversité de l'écosystème français, tout le monde la connaît, et après tout, les alliances n'ont pas été obligatoires. Si on pense à une grande métropole, où les mêmes grands professeurs de physique ont fondé une université, des écoles d'ingénieurs, et ont fait venir un grand organisme national, mais où leurs descendants, finalement, parce que ces structurations partielles ont bien réussi, parce que le CEA à Grenoble c'est un empire, parce que l'UJF a vécu sa vie, et les écoles d'ingénieurs sentent leur force ... si ces gens-là, après tout, considèrent qu'à l'échelle européenne ils gagnent à se rapprocher, s'ils veulent se raccrocher à un ensemble plus vaste, ça n'est pas nous qui les y forçons, le jury encore moins. Il faut savoir si ça vole, et si la diversité est productive. Si on prend l'exemple lyonnais, où la diversité est encore plus grande, là aussi on aurait pu imaginer des scénarios complètement différents, où quelques établissement essaient de faire la course tous seuls : ça n'est pas ce qui est sorti, et c'est une réponse à votre première questions sur le réseau.

En ce qui concerne l'équilibre des projets amont et aval, là non plus il n'y avait pas d'injonction. Néanmoins, je rappelle que les sciences humaines et sociales pouvaient candidater pour l'obtention d'EquipEx. Nous avons aussi des exemples de LabEx amont. En fait, il y a un constat qui est à faire sur le dynamisme des communautés pour qu'elles soient plus présentes à l'avenir.

En ce qui concerne l'évaluation, il y une vraie volonté d'évaluation régulière. Mais lorsque l'on veut faire une politique d'impulsion, et j'ai le sentiment que c'était la volonté du parlement, on se place sous un jury international.

Pour en venir aux questions d'Hervé Chneiweiss, le coût pour se réunir est une vraie question d'évaluation. L'évaluation du grand emprunt, comme politique publique, c'est finalement les questions que l'on vient de se poser, c'est-à-dire quel sera le retour sur investissement. Il est vrai que les personnes ont passé beaucoup de temps à répondre aux appels à projets, mais à vrai dire, et bien avant les investissements d'avenir, les mêmes personnes ont aussi passé des milliers d'heures à construire ce qu'elles ont construit. De plus, il me semble que les chercheurs se sont posé des questions qu'ils se posaient déjà en termes d'alliance.

D'autre part, au niveau des LabEx, avec un taux de sélectivité de 100 sur 242, on pourrait nous reprocher un taux trop bas pour atteindre l'excellence. Mais il faut souligner qu'un important travail amont a été fait sur les projets. Par exemple, à Saclay, les communautés ont dépassé leurs mésententes pour présélectionner des projets, ce qui leur a permis d'avoir un bon résultat.

Les universités ont-elles été consultées ? Il me semble que les universités se sont engagées très profondément et ont signé les projets. A vrai dire, il s'agit de regroupements, mais certains sont extrêmement intéressants. Par exemple, aurait-on pensé il y a quelques années que l'ENA se regrouperait avec des structures purement universitaires, ou que Science Po serait heureuse au sein d'une structure universitaire créée avant les investissements d'avenir ?

En ce qui concerne la proposition des personnes qui porteraient des projets, après tout, certains grands noms de la science, qui sont sortis dans les laboratoires d'excellence, sont le genre de personnes à qui l'on a envie de dire « allez-y ». Mais les mathématiciens de Paris centre ont procédé à un travail de 15 ans entre les universités Paris VI et Paris VII, pour faire un institut qui est une entreprise collective. Ainsi, il a semblé aux décideurs, qu'après tout, ce n'était pas la fin des projets collectifs en France. Néanmoins c'est une proposition intéressante, en tout cas « décoiffante » que de remettre l'accent sur l'individu.

Pour la formation, bien sûr qu'elle est importante. On a sens cesse crié « excellence : formation, recherche », l'écho nous a renvoyé « excellence : recherche », on a récrié « excellence : formation, recherche » et on continue. Cette attente est bien formalisée dans les appels à projet. On y voit une dimension formation. Mais en tout cas, le jury a trouvé que les projets étaient assez décevants de ce point de vue-là. Il faut sans doute remettre l'accent dessus pour les prochains appels à projets ; c'est la responsabilité du jury de redire qu'il attend des initiatives d'excellence dans ce domaine, et il y en a.

M. Claude Girard - Quelques points complémentaires ; je reviens sur la remarque qui concerne les règles un peu technocratiques du dispositif et la notion de « moule » dans lequel on voudrait faire rentrer les projets.

L'idée qu'il y a derrière, entre autres, c'est qu'avec le Grand emprunt il faut montrer ce que l'on fait de plus par rapport l'existant, que l'existant fonctionne ou ne fonctionne pas. Il faut donc rendre compte et pouvoir mesurer, et je pense que lorsque l'on a un moule à peu près cohérent, même si on apporte de la souplesse dans le dispositif car il faut tenir compte de l'existant, ça permet à la fois de mesurer le progrès par rapport à l'existant, quel que soit le niveau de l'existant, et de comparer les initiatives entre elles. Ça permet donc d'avoir un bon thermomètre. D'autant plus que ça rejoint la question de l'évaluation de terrain qui n'a effectivement pas été faite dans la phase de sélection ; par contre, comme on s'engage toujours sur des phases de trois ans dans les investissements et qu'on a un fléchage sur dix ans, ça sera fait tous les trois ans. Ce sera un contrôle de terrain, avec un audit poussé du dispositif, qui viendra évaluer l'efficacité d'un IRT, l'efficacité d'une SATT. Et donc là on viendra augmenter ou baisser le montant affecté au bout de trois ans, de six ans et de neuf ans.

Sur les « gazelles », bien sûr qu'il y a un manque cruel. On a le fond d'amorçage qui existe et ça peut apporter un plus. Dans le Grand emprunt, 400 millions d'euros qui sont affectés, on pense qu'avec l'effet de levier et avec des fonds privés on arrivera à le monter à 600 ou 700 millions d'euros, René Ricol évoque parfois un milliard. En tout cas, ces crédits donnent un peu de souplesse, un peu de sang neuf au dispositif d'amorçage. Est-ce que ce sera suffisant ou pas, c'est la question que l'on peut se poser.

Sur le sujet des SATT, j'avoue avoir une grande difficulté répondre à la question de savoir si l'association CVT/SATT va fonctionner ou non. En tout cas je peux vous dire qu'à titre personnel j'ai souvent des angoisses quand je vois le montant de 900 millions d'euros affecté. Néanmoins, on pourra dire que, pour une fois, on donne plus aux généralistes qu'aux spécialistes, 50 millions aux spécialistes, 900 millions aux généralistes. De là à savoir si cet équilibre va fonctionner, de là à savoir comment cet ensemble va fonctionner ... En fait il y a une dimension de pari ; un pari d'autant plus fort selon moi, que aujourd'hui les moyens sont faibles en ce qui concerne la valorisation, alors que beaucoup d'argent va lui être consacré. Ce sera bien évidemment par phase, donc on ira doucement. Mais la véritable question qu'on se pose derrière, c'est celle des compétences ; or, à l'heure actuelle, elles ne sont pas au rendez-vous, en tout cas pas pour injecter 900 millions. Donc il faut y aller progressivement, peut-être y aura-t-il des rééquilibrages à faire, et c'est sur l'efficacité du système et sur la montée en compétence progressive que l'on verra s'il y a des rééquilibrages à faire entre spécialistes et généralistes ; mais à l'heure actuelle, je n'en sais rien.

Concernant les Instituts d'excellence en matière d'énergies décarbonées, on constate effectivement la difficulté de réunir le volume d'engagements nécessaires lorsque le projet est porté par un ensemble d'entreprises de petite taille, et ce, sans le soutien d'un grand groupe ; or, le domaine des nouvelles technologies de l'énergie se caractérise par un déploiement de nombreuses petites entreprises.

S'agissant des Instituts de recherche technologique, le principe est que les industriels mettent eux-mêmes de l'argent sur la table, et s'engagent à hauteur d'au moins 30 %. Cela correspond à la volonté de voir les industriels partager l'affectio societatis, en prenant leur part des risques dans la coopération avec la recherche publique. L'évaluation de cette motivation sera un critère essentiel de la vitesse d'engagement des fonds de l'État dans les IRT.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, vice-président de l'OPECST - L'appel à projet IdEx2 fera-t-il une place plus importante aux universités de technologie, universités qui jouent un rôle très important dans le développement scientifique chez certains de nos voisins ?

M. Thierry Coulhon - Un projet candidat aux Initiatives d'excellence doit être multidisciplinaire, ce qui laisse toute sa place à une éventuelle dimension technologique. Un projet sélectionné a pu ainsi prendre le thème de l'ingénierie comme slogan. Le modèle de germination du MIT partant d'un noyau technologique pour s'étendre à des disciplines fondamentales n'est pas interdit, mais il n'est pas forcément pertinent en France. En tout état de cause, beaucoup d'universités de technologie ont su trouver leur place dans des projets portés par des ensembles plus vastes.

M. Claude Girard - Pour revenir à l'effort d'engagement demandé aux entreprises dans les IEED et IRT, il est d'autant plus justifié que celles-ci disposent, avec le dispositif du crédit d'impôt recherche, d'une forme de couverture du risque pris.

M. Claude Birraux, député, président de l'OPECST - L'importance prise par cet échange sur les investissements d'avenir m'amène à deux conclusions, que le Premier vice-président Bruno Sido partage avec moi : d'une part, la nécessité de faire d'autres réunions de suivi sur la situation des investissements d'avenir ; d'autre part, le renvoi à une autre date de la deuxième partie de notre ordre du jour, qui devait être consacrée à un échange entre l'OPECST et son conseil scientifique sur le bilan des activités de l'année écoulée, et l'identification de pistes futures d'activité, à travers une analyse des perspectives scientifiques et technologiques.

Jeudi 16 juin 2011

- Présidence de M. Claude Birraux, député, président -

Transparence en matière de sûreté nucléaire

M. Claude Birraux, député, président de l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques (OPECST). - Je vous remercie de votre participation à cette dernière audition avant la publication, à la fin du mois, de notre rapport d'étape sur la sécurité et la sûreté nucléaires.

Pour préparer ce rapport nous aurons ainsi organisé, sur un mois et demi, six auditions ouvertes à la presse. Le 5 mai à l'Assemblée et le 13 mai à Lille, sur la gestion de crise suite à un accident nucléaire. Le 24 mai sur la protection des réacteurs, puis le 31 mai sur l'organisation de la sûreté. Enfin, aujourd'hui, sur la transparence en matière de sûreté nucléaire.

Dans le même temps, les membres de la mission ont visité huit sites nucléaires à Nogent, à Gravelines, au Creusot et à Chalon-sur-Saône, à Flamanville et à La Hague, au Tricastin, enfin à Belleville-sur-Loire et à Fessenheim.

Dès la remise de notre rapport d'étape aux présidents des deux assemblées, le 30 juin, nous aborderons le deuxième volet de notre étude, relatif à la place de la filière nucléaire dans notre mix énergétique. Un déplacement en Allemagne est d'ores et déjà prévu par nos rapporteurs début juillet.

L'audition d'aujourd'hui sur la transparence en matière de sûreté nucléaire nous permettra de prendre connaissance du rôle des différents acteurs. Elle vise également à identifier les forces et les faiblesses du dispositif existant pour dégager des axes d'amélioration.

L'Office parlementaire continue à jouer un rôle important dans ce domaine. D'abord au travers de ses rapports d'information sur le nucléaire : depuis qu'il a été saisi, voici plus de vingt ans, de ces questions, l'Office a publié près de 25 rapports parlementaires sur la sûreté nucléaire. Ces travaux ont contribué à faire avancer la réflexion sur la transparence, préparant ainsi les lois qui ont permis de mettre en place les mécanismes qui assurent aujourd'hui cette transparence.

Ainsi, la loi du 30 décembre 1991, issue du rapport de l'OPECST publié par Christian Bataille en décembre 1990, est à l'origine de la création de la Commission nationale d'évaluation (CNE). Cette commission rend public chaque année un rapport sur l'avancement des recherches en matière de déchets radioactifs. Cette loi dispose également que l'installation d'un laboratoire souterrain sur la gestion des déchets donne lieu à une concertation avec les élus et les populations des sites concernés. Elle prévoit aussi la création d'un comité local d'information pour assurer l'information des populations et des élus concernés.

Ce dispositif de suivi et d'information a été élargi, par la suite, à l'ensemble des installations nucléaires, avec la création des commissions locales d'information (CLI), par la loi du 13 juin 2006, relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, dite loi TSN. Mais nos intervenants auront sans doute l'occasion d'évoquer plus en détail cette loi évidemment centrale pour la transparence en matière de sûreté.

C'est également un rapport de l'OPECST, publié en 2000 par Mme Michèle Rivasi, alors députée, qui suggérait la création d'un plan de gestion des déchets radioactifs. Ce plan est depuis devenu un outil incontournable d'information à destination des associations comme des citoyens.

La loi du 28 juin 2006, dont j'ai été le rapporteur, s'est également employée à améliorer la transparence en matière nucléaire. Elle a entériné la création du plan de gestion des matières et déchets radioactifs ainsi que du groupe de travail pluraliste associé. Ce groupe de travail constitue d'ailleurs la première instance où l'ensemble des acteurs de la filière nucléaire, associations comprises, ont pu échanger sur le sujet de la gestion des déchets et les problèmes de sûreté associés. Elle étend également à ces questions les attributions du Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire (HCTISN). Elle prévoit les conditions de la transparence pour la création du futur centre de stockage géologique profond. Elle charge l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) de publier, tous les trois ans, un inventaire des déchets radioactifs. Elle précise les conditions de fonctionnement de la CLI de Bure. Elle assure, par la création d'une commission ad hoc, la transparence sur le financement du démantèlement des installations et du stockage des déchets qui est une condition sine qua non de la sûreté nucléaire sur le long terme.

L'audition de ce jour comprendra deux sessions. La première sera présidée par Christian Bataille, député, rapporteur de la mission. Elle nous permettra de prendre connaissance des modalités de la transparence en matière de sûreté nucléaire aujourd'hui en place. À ce sujet, nous entendrons les acteurs institutionnels et les exploitants.

La deuxième session sera présidée par M. le sénateur Bruno Sido, premier-vice président de l'Office et rapporteur de notre mission. Elle sera, quant à elle, consacrée aux perspectives d'amélioration de la transparence de la sûreté nucléaire. Cette session se terminera par une présentation du dernier rapport du Haut comité intitulé « Transparence et secrets dans le domaine nucléaire ».

Chacune des sessions sera suivie d'un débat.

Avant d'aborder la première session, je vais à présent laisser la parole à M. André-Claude Lacoste, président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), qui nous fait l'honneur d'introduire cette audition par l'évocation du cas pratique de la transparence sur le déroulement des événements à Fukushima.

M. André-Claude Lacoste, président de l'ASN. - Tepco poursuit ses investigations sur le site de Fukushima. Il est aujourd'hui avéré que, dès les premières heures de l'accident, le combustible du réacteur numéro un a fondu et que, dans les jours qui ont suivi, celui des réacteurs deux et trois a fait de même. En revanche, nous ne savons toujours pas si les cuves ont été percées.

Pendant la crise, les informations que nous avons obtenues en France ont été parcellaires, incomplètes, mais cet état de fait a été dû à plusieurs facteurs : l'accès au site était très difficile et le travail y était particulièrement compliqué du fait de la forte quantité d'eau très contaminée. De plus, nos interlocuteurs étaient absorbés par leurs problèmes domestiques. Enfin, nous devons prendre en compte la conception japonaise de la transparence.

Aujourd'hui, des éléments écrits sont disponibles : un rapport a été rédigé par la mission d'experts, présidée par mon homologue britannique, M. Mike, qui a été envoyée par l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) et qui a passé une semaine au Japon. Cette mission dont a fait partie M. Philippe Jamet de l'ASN a publié un rapport qui estime que les risques de tsunami à Fukushima avaient été sous-estimés mais elle n'a pas formulé de critiques majeures sur la gestion de la crise.

Le gouvernement japonais a envoyé un remarquable rapport à l'AIEA en vue de la réunion ministérielle du 20 juin et il comporte plusieurs propositions. En outre, il critique la façon dont la centrale de Fukushima a été construite, exploitée et la manière dont la crise a été gérée.

J'ai reçu il y a deux jours le parlementaire japonais qui a géré la crise pour le compte du Premier ministre et il s'exprime avec clarté et un esprit critique inhabituel pour le Japon.

A la suite de l'accident de Fukushima, diverses instances internationales se sont saisies du problème. Ce fut le cas, en mai, lors du sommet du G8 à Deauville, lors du séminaire ministériel qui s'est tenu à Paris le 7 juin et lors du forum des autorités de sûreté nucléaire le 8 juin. Toutes ces contributions seront reprises par la conférence ministérielle qui débutera lundi prochain à Vienne. La France fait tout ce qu'elle peut pour que cette conférence prenne des décisions concrètes, notamment en matière d'actualisation de certaines conventions internationales et d'amélioration des standards internationaux. Il faudra aussi demander des efforts supplémentaires aux exploitants nucléaires et aux associations qui les représentent.

Fin juin, il serait souhaitable qu'un plan d'action soit élaboré sous l'égide de l'AIEA.

I. LES MODALITES DE LA TRANSPARENCE

M. Christian Bataille, député, rapporteur. - Merci pour cet exposé clair qui prouve qu'en matière de transparence, le Japon doit encore faire des efforts. J'espère que tel ne sera pas le cas dans notre pays le jour où cela s'imposera.

Cette première session va nous permettre de faire un point sur les modalités de la transparence telle qu'elle fonctionne aujourd'hui dans notre pays, avec les institutions qui en sont chargées ainsi que les exploitants. Comme l'a indiqué en ouverture de cette audition Claude Birraux, le cadre général de la transparence en matière de sûreté nucléaire a été mis en place par la loi TSN du 13 juin 2006 qui définit la transparence en matière nucléaire comme « l'ensemble des dispositions prises pour garantir le droit du public à une information fiable et accessible en matière de sécurité nucléaire ».

Cette loi définit également la sûreté nucléaire comme « l'ensemble des dispositions techniques et des mesures d'organisation relatives à la conception, à la construction, au fonctionnement, à l'arrêt et au démantèlement des installations nucléaires de base, ainsi qu'au transport des substances radioactives, prises en vue de prévenir les accidents ou d'en limiter les effets ». Ces deux termes seront au coeur du rapport d'étape en cours de préparation et qui sera présenté d'ici la fin du mois.

La loi TSN est aussi à l'origine de la création du Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire, à laquelle, Claude Birraux et moi-même, avons rendu visite ce matin, et elle a permis la généralisation des commissions locales d'information à l'ensemble des installations nucléaires.

Si la loi du 13 juin 2006, ainsi que les autres lois évoquées par Claude Birraux, ont créé les conditions de la transparence en matière de sûreté nucléaire, c'est évidemment sur le terrain, au jour le jour, que cette transparence se construit, au travers de l'implication de toutes les parties prenantes : l'ASN, le HCTISN, les CLI, les exploitants, mais aussi et surtout, les associations et les citoyens.

Dans cette première session, nous allons entendre les positions de l'ASN, du Haut comité et des exploitants. L'ANCCLI, association des CLI, s'exprimera lors de la deuxième session. Il nous a semblé délicat de demander à une association, plutôt qu'à une autre, d'intervenir pour présenter sa vision sur l'état de la transparence. Celle-ci aurait, par la force des choses, été particulière. Néanmoins, j'espère que les associatifs ici présents, notamment ceux de notre comité d'experts, n'hésiteront pas à poser des questions après les présentations.

Mais il revient à André-Claude Lacoste, président de l'Autorité de sûreté nucléaire d'intervenir pour nous présenter tout à la fois le cadre général de la transparence en matière de sûreté nucléaire et le rôle tout à fait central que joue, sur ce plan, l'Autorité de sûreté nucléaire, notamment au travers du contrôle qu'elle exerce sur les exploitants.

M. André-Claude Lacoste, président de l'ASN. - L'article 1er de la loi TSN dit que « la transparence en matière nucléaire est l'ensemble des dispositions prises pour garantir le droit du public à une information fiable et accessible en matière de sécurité nucléaire ». Je tiens tout de suite à lever une ambiguïté : le mot de sécurité a été employé à tort. C'est de sûreté qu'il s'agit ici.

L'ASN souhaite promouvoir l'application de la loi TSN, notamment les dispositions relatives à la transparence. Elle soutient l'action en faveur de la transparence des CLI et du HCTISN.

Je tiens à souligner l'importance particulière des articles 19 et 21 de la loi TSN. L'article 19 est en effet tout à fait novateur puisqu'il dit que « toute personne a le droit d'obtenir auprès de l'exploitant d'une installation nucléaire ou du responsable d'un transport de substances radioactives les informations détenues sur les risques liés à l'exposition aux rayonnements ionisants ». Le mot « information » est essentiel, car il fait référence non seulement aux documents établis mais aussi à toute forme d'information, même si elle n'a pas été consignée par écrit. Ce droit n'a pas d'équivalent dans d'autres domaines mais il est encore peu utilisé. Nous sommes cependant intervenus auprès d'exploitants qui avaient refusé la communication d'informations pour les inciter à avoir une interprétation moins extensive de la notion de secret industriel ou commercial.

L'article 21 impose à tout exploitant d'installation nucléaire de base (INB) d'établir un rapport public sur l'installation et les actions qu'il conduit en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection. Fin 2010, l'ASN a publié un guide sur la rédaction de ces rapports après une concertation longue et approfondie avec les CLI. Chaque année, nous procédons à une analyse de ces rapports et elle est publiée dans notre rapport annuel sur la sûreté nucléaire et la radioprotection. Nous tirons un bilan globalement positif de ces rapports dont la qualité s'est améliorée.

J'en viens à la consultation du public : l'ASN est vigilante sur la qualité des dossiers présentés par les exploitants et sur les moyens dont disposent les CLI pour émettre un avis indépendant. En outre, elle associe le public et les associations à ses actions et décisions, notamment pour le réseau national de mesures de la radioactivité de l'environnement, le plan national de gestion des matières valorisables et des déchets radioactifs, le comité directeur « post-accidentel » (CODIRPA). En outre, nous avons constitué des groupes de travail sur divers sujets.

Dernier élément : l'information du public par l'ASN est assurée par la publication de son rapport annuel sur la sûreté nucléaire et la radioprotection, par son site web, par sa revue Contrôle, par sa cinquantaine de conférences de presse régionales, nationales et internationales en 2011. En outre, depuis 2002, l'ASN publie toutes ses lettres de suite d'inspection relatives aux installations nucléaires de base et au transport. Depuis 2008, elle diffuse également ses lettres concernant les centres de radiothérapie et, depuis l'année dernière, elle publie toutes ses lettres de suite à l'exception de celles relatives à l'inspection du travail dans les centrales nucléaires.

M. Christian Bataille, rapporteur. - Je vais profiter de la présence de M. Jean-Luc Andrieux qui représente Areva pour répéter ce que j'ai dit ce matin au Haut comité : nous sommes attachés au maintien de Mme Lauvergeon à la tête d'Areva car la filière a besoin de stabilité. Ce serait une grave erreur politique de la remplacer par toute autre personne.

M. Claude Birraux, président. - Je vous confirme les propos de M. Bataille : il ne s'agit pas d'une position partisane mais bien d'une volonté commune d'assurer l'avenir de cette filière. S'il y a des journalistes dans la salle, ils peuvent rapporter nos paroles !

M. Jean-Luc Andrieux, directeur sûreté, sécurité, santé et environnement Areva. - Merci pour ces paroles. Compte tenu des circonstances, je vous prie d'excuser M. Saulnier, directeur de la communication chez Areva.

Jusqu'à la fin des années 1990, c'est la culture du secret qui a dominé en matière nucléaire, ce qui était sans doute dû aux origines militaires de la filière. Dès sa création en 2001, et surtout sous la présidence de Mme Lauvergeon, Areva a choisi la transparence. C'était en rupture avec les habitudes du secteur, plus familier des débats techniques et scientifiques. D'une faiblesse, le groupe a fait le pari que la transparence pourrait devenir une force en ouvrant les portes de ses installations industrielles, en installant des webcams dans les installations de La Hague, en allant à la rencontre de ses publics. Depuis plus de 10 ans, conformément à la Charte des valeurs, qui est un des guides d'Areva, le groupe a poursuivi ses activités en faisant preuve de transparence, de pédagogie, d'ouverture au dialogue, notamment avec ses opposants, considérant que tout dialogue était source de progrès. Pour instaurer la confiance, nous avons écouté les citoyens, entendu leurs attentes et dialogué. Nous avons rendu des comptes en matière de sûreté et d'environnement, mais aussi sur les questions sociales et sociétales. Areva a donc adopté un langage pédagogique pour faire passer ses messages et pour diffuser une information claire, compréhensible sur ses activités. Au-delà de ses activités propres, le secteur de l'énergie suscite un débat permanent : Areva y participe.

Le groupe est donc transparent envers le grand public : il met à disposition des supports d'information et il participe activement à tous les débats. Nous avons ouvert les établissements d'Areva au public : ainsi, l'usine de La Hague accueille chaque année plus de 9 000 personnes, le programme de conférence du Tricastin a reçu 2 500 visiteurs et plus de 1 400 personnes ont découvert le site de Melox.

Le site Internet d'Areva accompagne la démarche de dialogue du groupe en délivrant des informations claires sur les activités et les sites et il permet aux internautes de s'exprimer. Plus de 16 000 membres sont inscrits sur ce site et en moyenne 25 questions sont traitées par jour. De plus, les 150 questions les plus intéressantes restent en ligne et sont consultables. Nous organisons des chats live video autour de sujets importants. La politique que nous menons explique sans doute que nous sommes assez peu saisis par le biais de l'article 19 de la loi TSN.

Grâce à la loi TSN et à la loi déchet de 2006, nous participons de façon active aux travaux du HCTISN. En 2010, suite aux saisines de M. Borloo, alors ministre d'État, et de l'OPECST, nous avons publié un rapport sur la transparence de la gestion des matières et des déchets nucléaires produits aux différents stades du cycle du combustible.

Le plan national de gestion des matières et déchets radioactifs nous concerne au premier chef. Dans sa deuxième phase triennale, ce plan a abordé la question du cycle du combustible en partant des mines jusqu'au traitement et au recyclage des matières.

Areva a confié au Comité 21 la conception et l'animation d'une concertation avec un panel de parties prenantes externes : ces rendez-vous ont lieu tous les dix-huit mois et ils ont vocation à renforcer l'adéquation de la stratégie du groupe aux attentes de la société civile. La synthèse de ces échanges qui ont eu lieu en France, mais aussi aux États-Unis, est disponible sur le site internet d'Areva.

Au niveau local, nous participons aux CLI qui se réunissent régulièrement pour examiner les diverses activités autour de nos sites nucléaires. À La Hague, la CLI s'est réunie quatre fois en 2010 pour étudier divers dossiers. Au Tricastin, la CLI a consacré deux réunions aux activités du site et une réunion exceptionnelle s'est tenue le 17 septembre 2010 pour présenter les résultats de l'étude sur la détermination de l'origine du marquage de la nappe en uranium au sud du site. A Romans, la CLI a été mise en place en juin 2009 et elle s'est réunie deux fois en 2010. Dans le cadre de ces CLI, les évènements significatifs que nous déclarons sont également examinés. En moyenne, Areva déclare chaque année 130 évènements significatifs, dont une vingtaine qui constituent des anomalies de niveau 1 sur l'échelle INES et exceptionnellement de niveau 2.

Chaque année, des documents relatifs à la sûreté, la santé et l'environnement sont présentés au CHSCT, aux autorités de contrôle, aux CLI, aux élus locaux et ils sont mis à disposition du public.

Areva publie un rapport d'ensemble sur la sûreté des installations et la radioprotection. Un inspecteur général rapporte directement à la présidente d'Areva. Il établit chaque année un rapport sur le résultat de ses inspections. Le rapport pour 2010 sera rendu public début juillet.

Nous avons un dispositif spécifique pour la vallée du Rhône : en 2010 et 2011, nous avons lancé une vaste campagne d'information de proximité pour aller à la rencontre des riverains. Les rendez-vous se sont déroulés sur une vingtaine de journées et nous avons eu 3 200 visiteurs.

J'en viens aux médias : Areva a une attitude proactive en entretenant des relations fortes avec les médias. Le groupe a institutionnalisé l'existence d'un porte-parole et d'un conseiller scientifique pour les sujets plus techniques. Areva distribue aux investisseurs un document annuel qui comporte de très nombreuses informations. Enfin, le groupe a de nombreux contacts avec les élus.

Un groupe radio-écologique nord-cotentin a été constitué autour de l'usine de La Hague pour réunir l'exploitant et des experts et il a permis de définir le mode d'évaluation des rejets de l'usine. De même, nous avons participé à un groupe d'expertise pluraliste sur les mines en France.

Depuis dix ans, le credo d'Areva, c'est toujours plus de sécurité, de sûreté et de transparence. Nous estimons que ce sont les conditions de la poursuite de notre développement. L'accident de Fukushima vient, hélas !, de nous le rappeler. Le groupe Areva intègrera tous les retours d'expérience de cette catastrophe. Le débat sur le nucléaire est légitime et nous y participerons.

M. Georges Servière, EDF. - Pour EDF, la transparence repose sur le dispositif règlementaire et institutionnel instauré par la loi TSN et différentes instances comme les CLI et le Haut comité. EDF contribue directement au fonctionnement de ces instances.

Mais au-delà de ces dispositifs, EDF souhaite se montrer transparente pour renforcer la confiance de nos concitoyens. Comme a dit André Comte-Sponville, « la transparence, c'est la capacité à dire aux autres ce qu'ils n'aimeraient pas apprendre par d'autres que vous ».

Cette volonté s'appuie sur un dispositif de communication solide et connu. Pour autant, nous sommes confrontés à un certain nombre de difficultés pratiques : il faut communiquer sur ce qui est important mais les attentes des uns et des autres varient. En outre, les informations publiques sont limitées par celles qui doivent être protégées.

En France, notre dispositif règlementaire comprend la charte de l'environnement, le code de l'environnement, notamment la partie relative à l'information et à la participation du public pour l'élaboration des grands projets, et surtout la loi TSN du 13 juin 2006. Au niveau supranational, la convention d'Aarhus et diverses directives s'imposent à nous.

En ce qui concerne le dispositif règlementaire, il convient de distinguer la phase projet de celle qui concerne les autorisations, la construction et l'exploitation. Lors de la phase projet, comme celle de Flamenville 3, des débats publics sont nécessaires et EDF y participe en tant que maître d'ouvrage. Dans la phase autorisation et construction, nous sommes dans un processus d'enquêtes publiques en application du décret du 2 novembre 2007. Dans la phase dite d'exploitation, le dispositif est cadré par la loi TSN, notamment les articles 19, 21 et 54. L'article 19 oblige l'exploitant à répondre à toute question qui lui est posée. L'article 21 prévoit des rapports annuels. Enfin, l'article 54 traite des évènements qui surviennent dans l'installation et impose des déclarations systématiques de ces incidents et accidents.

M. Dominique Minière, directeur du parc nucléaire EDF. - Au-delà du dispositif règlementaire, EDF a développé une culture de la transparence. Depuis 2005, nous respectons un guide de déclaration qui est applicable aux INB et qui prévoit de déclarer tous les évènements inférieurs au niveau 1 de l'échelle INES avec des niveaux de détection de plus en plus précis. En 2000, nous déclarions en moyenne par réacteur et par an 1,7 événement de niveau 1. Aujourd'hui, nous en déclarons 1,2, ce qui prouve les progrès réalisés, mais, dans le même temps, nous déclarons beaucoup plus d'évènement de niveau zéro parce que notre finesse de détection d'évènements est de plus en plus grande. En outre, nous déclarons tous les écarts pour non-respect de procédure mêmes mineurs, ce qui nous permet de progresser en matière de retour d'expérience et d'aller bien plus loin en ce domaine que d'autres pays qui se contentent de déclarer les incidents intervenus.

En matière de transparence, EDF veut connaître et comprendre les attentes des publics locaux et nationaux, informer le grand public, entretenir ses relations avec les relais d'opinion, être réactive, ne dire que ce qui est sûr et porter des messages clairs en étant le plus pédagogique possible, ce qui est parfois difficile pour des ingénieurs habitués à s'exprimer avec des termes techniques.

Au-delà de la participation aux débats publics et aux enquêtes publiques, EDF met en oeuvre des actions de transparence spécifiques en mettant à disposition une version publique du rapport de sûreté. De plus, EDF signe des conventions spécifiques avec les CLI, elle dispose d'un site internet dédié aux centrales en construction, elle diffuse une lettre d'information régulière sur l'avancement des chantiers, et elle les fait visiter. Une fois que la centrale est en exploitation, nous informons systématiquement le grand public sur le fonctionnement de ces centrales : nous diffusons une lettre d'information, nous mettons à disposition du public des numéros verts pour donner des informations sur le fonctionnement technique en temps réel. Nous déclarons systématiquement sur le site internet d'EDF tout incident de niveau 1. Nous déclarons aussi à l'ASN tous les écarts de niveau zéro.

Notre organisation interne nous permet de communiquer à tout moment, sept jours sur sept et 24 heures sur 24.

Notre formation sur la transparence est destinée à sensibiliser tous les acteurs concernés par l'impératif de transparence : nous revenons régulièrement sur la phrase d'André Comte-Sponville que M. Servière vient de citer. Nos ingénieurs doivent comprendre que lorsque des évènements se produisent, même s'ils se situent au niveau zéro, une communication est indispensable, surtout s'ils touchent à l'environnement ou à la santé.

M. Marc Léger, directeur juridique et du contentieux au CEA. - Je ne développerai pas les aspects réglementaires, déjà largement exposés.

Dans le domaine nucléaire, la transparence n'a pas attendu la loi du 13 juin 2006, car des mesures réglementaires existaient déjà, des pratiques étaient établies. Il reste que la loi TSN a transformé un slogan politique en réalité juridique. Contrairement à ce qu'il en est pour d'autres activités, la transparence nucléaire est définie par la loi. Il en va de même pour sa mise en oeuvre.

La première obligation légale concerne l'information du public sur la sûreté nucléaire. Ainsi, le CEA participe aux CLI et est tenu de publier un rapport annuel consacré à chaque centre comportant une installation nucléaire de base. Ce document est disponible sur le site du CEA. À l'instar de tous les exploitants, le Commissariat doit déclarer tout événement significatif susceptible d'affecter la radioprotection, la sûreté nucléaire ou l'environnement par exemple. Sur 108 événements, on en comptait en 2010, 94 de niveau zéro, 13 de niveau 1 et un de niveau 2.

La seconde obligation concerne le droit d'accès des citoyens à l'information. Ce droit spécifique s'ajoute à la législation préexistante, qui organise d'une manière générale l'accès aux documents administratifs et l'accès aux informations relatives à l'environnement, relevant des pouvoirs publics, et qui prévoit l'accès spécifique aux informations nucléaires, relevant de l'exploitant. Dans ce cadre, j'ai reçu en 2010 moins d'une dizaine de demandes à finalité environnementale ou nucléaire.

À propos des obligations légales, je voudrais formuler trois remarques.

Tout d'abord, les droits d'accès ont beau être étendus, ils comportent des limites, hélas incertaines. Ainsi, nous ne disposons d'aucune définition légale du secret industriel ou commercial, mentionné par M. Lacoste.

Ensuite, une information peut être à la fois nucléaire, environnementale et administrative. Il est parfois difficile de savoir comment répondre à telle demande précise.

Enfin, nos concitoyens peinent à s'y retrouver dans l'empilement de droits d'accès.

M. Xavier Clément, directeur de la communication du CEA. - Je précise que nous avons constaté 108 événements significatifs en 2010, contre 122 en 2009.

M. Claude Birraux, président. - Ce décompte inclut-il le plutonium oublié de Cadarache ?

M. Xavier Clément. - Oui.

À la fois exploitant nucléaire et organisme public de recherche, le CEA diffuse l'information et met des documents pédagogiques à la disposition du public. Cette dualité caractérise toute notre communication, de la recherche dans le domaine des énergies à la défense, en passant par la sûreté globale et les technologies de l'information ou de la santé.

À propos de l'information nucléaire, le HCTISN a constaté qu'elle «existe bien, qu'elle est abondante, éparse, disparate et difficile d'accès pour le public. » Devant ce constat, nombreux sont ceux pour qui les données brutes doivent s'accompagner d'éléments pédagogiques et de contexte. Historiquement doté d'une culture de recherche et d'enseignement, le CEA considère que cette dualité est structurante pour aider les citoyens à se déterminer.

Chaque entité du Commissariat exerçant une activité nucléaire publie le rapport annuel institué par la loi de 2006. Disponible sur le site Internet de l'organisme, ce document est relayé par celui de CEA.

En outre, le pôle « maîtrise des risques » publie un bilan annuel sur la sûreté, communiqué à la presse au mois de juin. Celui relatif à l'année 2010 a été présenté hier aux journalistes. Dans le contexte de l'après Fukushima, il a été élargi au programme de stress tests.

Enfin, les publications sur papier - à savoir Le défi du CEA, publié mensuellement et Clés CEA, qui est semestriel - contribuent à la formation du public.

Les liens très forts établis entre d'une part la culture scientifique et technologique, d'autre part la transparence, permettent aux citoyens de choisir en toute connaissance de cause. L'inquiétude se nourrit de l'ignorance et accroît la défiance.

M. Matthieu Schuler, directeur de la stratégie, du développement et des partenariats de l'IRSN. - Historiquement, la transparence désigne l'accès aux documents, mais le concept a fortement évolué avec l'introduction du baromètre des risques et le vote de la loi TSN. J'ajoute que le droit international de l'environnement, notamment la Convention d'Aarhus, comporte des obligations de transparence.

On peut distinguer quatre familles d'acteurs face au risque nucléaire : les industriels, les autorités, les experts et la société civile.

Pour jouer notre rôle, nous devons être proactifs en matière de transparence. Pour que la société civile puisse exercer son droit à l'information, nous devons ne diffuser que des informations validées, après les avoir rendues intelligibles. Je précise que cette préoccupation est antérieure à l'établissement de notre statut actuel.

Bien que notre institut n'ait pas le monopole des actions au service de la transparence, il met concrètement en oeuvre ce principe. Ainsi, nous nous sommes dotés en avril 2009 d'une charte d'ouverture sur la société, partagée ensuite avec nos partenaires. Au plan interne, cette charte est largement diffusée, car elle constitue un fil rouge de notre activité.

Ne voulant pas nous focaliser sur l'actualité médiatique, nous agissons au quotidien en publiant des rapports sur le parc nucléaire, sur l'environnement ou sur l'exposition radiologique des travailleurs. Ayant constaté que les relais d'opinion permettaient de progresser, l'IRSN a multiplié les démarches destinées à mettre en débat ses éléments scientifiques ou techniques ; il s'est même doté d'un comité associant des représentants de la société civile, chargé de réfléchir en amont sur les orientations de la recherche.

Dans son action, l'institut a surmonté trois types de difficultés. D'abord, le droit à l'information peut entrer en conflit avec d'autres droits. Ensuite, le calendrier de la mise en débat est un sujet complexe. À notre sens, la société civile doit participer dès le début de la réflexion. Enfin, élargir le champ des interlocuteurs est primordial, car la vigilance de la société civile s'exerce avec le plus d'efficacité lorsque le plus grand nombre est informé.

J'en viens aux perspectives d'évolution. Le baromètre des risques montre que le besoin de savoir est considérable. En outre, les experts demandent que l'information diffusée soit mise en perspective. L'opinion souhaite plus de structures de dialogue.

Notre action proactive nous fait aller du premier pilier de la convention d'Aarhus - le droit à l'information - au second pilier, qui institue le droit à la participation.

Nous avons bien sûr mis en ligne une information sur l'accident de Fukushima. Elle a suscité plus de 6 millions de connexions en une semaine, attestant ainsi la vigilance de la société. Me tournant vers l'avenir immédiat, j'ajoute que l'IRSN travaille aux stress tests voulu par le Premier ministre. Il y a là une opportunité ouverte à la société civile de participer à la gouvernance des risques.

M. Claude Birraux, président. - M. Revol a été co-rapporteur avec moi de la loi du 30 décembre 1991, avant d'être instigateur, avec M. Sido, de la loi du 13 juin 2006.

M. Henri Revol, président du HCTISN. - Le Haut comité, qui s'est réuni ce matin en session plénière, est honoré de participer à l'audition organisée par l'OPECST.

Créé par la loi TSN, il est composé de sept collèges, dont le premier est composé par deux sénateurs et deux députés. Complétés par le collège des personnalités choisies pour leurs compétences scientifiques, techniques, économiques ou sociales, les autres collèges représentent respectivement les CLI, les associations de protection de l'environnement ou de la santé publique, les autorités nucléaires, les organisations syndicales de salariés représentatives, enfin l'Autorité de sûreté nucléaire, l'État et l'IRSN.

Les missions du Haut comité sont définies par la loi : l'information, la concertation et le débat sur les risques liés aux activités nucléaires, leur incidence sur la santé ou la sécurité des personnes. Il est habilité à se saisir de toute question relative à l'accessibilité de l'information nucléaire. Il peut prendre toute initiative permettant d'améliorer les renseignements fournis. De nombreuses personnalités sont fondées à le saisir, du ministre compétent aux responsables d'installations nucléaires de base. Enfin, l'article 10 de la loi de 2006 charge le Haut comité d'organiser des débats sur la gestion durable des matières et des déchets nucléaires radioactifs.

Installé en juin 2008 le Haut comité s'est intéressé à l'importation et au transport d'uranium entre la Grande-Bretagne et la France ; il a remis à M. Borloo le rapport qu'il avait demandé après l'incident survenu au Tricastin. À cette occasion, il a formulé 19 propositions. En outre, le HCTISN a examiné la gestion des anciennes mines d'uranium et celle des déchets radioactifs ; il s'est attaché à la transparence du cycle du combustible. Je crois que nous avons donné une vision claire du cycle nucléaire. Nous avons aussi travaillé sur l'incident de Cadarache.

Dans le cadre de notre réflexion juridique, nous avons publié un rapport sur l'antinomie entre obligation de transparence et protection du secret, qu'il s'agisse du secret-défense, du secret commercial et industriel ou du secret médical. Pour améliorer l'information du public, nous avons créé un groupe de travail chargé d'étudier la mise en oeuvre d'un portail informatique destiné à faire en sorte que l'information cesse d'être « foisonnante ».

Un groupe de travail réfléchit sur la transparence relative aux sites de stockage de déchets nucléaires. Un autre se penche sur les risques dus à la radioactivité. Enfin, un groupe de travail a été constitué après les événements de Fukushima.

Le ministre du développement durable a saisi le Haut comité, qui participe à l'élaboration d'un cahier des charges conjointement avec l'Autorité de sûreté nucléaire.

En coopération avec l'ANCCLI, nous étudions l'application de la convention d'Aarhus dans le domaine nucléaire.

Notre rapport annuel d'activité a été publié aujourd'hui et j'ai le plaisir de vous en remettre un exemplaire. C'est le deuxième depuis la création du Haut comité.

M. Claude Birraux, président. - Je salue votre action, dont je vous remercie.

Dès les premières questions posées sur l'uranium appauvri, retraité en Russie, le Haut comité a su réagir en temps, en heure et à propos. Il s'est par là même installé dans le paysage.

M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président, rapporteur. - Je ne suis pas l'auteur de la formule « trop d'information tue l'information », mais il est vrai que l'on ne retire pas grand-chose d'un flux qui vous submerge.

Le site de l'IRSN a été bloqué après l'accident de Fukushima. Que se passerait-il si une centrale française était touchée ? L'appétence de nos concitoyens pour l'information serait sans doute impressionnante. Des mesures ont-elles été prises pour que l'IRSN soit en mesure de répondre aux questions qui seraient alors posées ?

M. Christian Bataille, rapporteur. - Nous sommes confrontés à l'opacité des mesures de la radioactivité. Au mieux, cela suscite l'incompréhension du grand public ; au pire, cela facilite la mauvaise foi alarmiste. Peut-on espérer obtenir un indice clair et compréhensible, établi par référence à la radioactivité naturelle ?

D'autre part, la volonté de transparence conduit à une large ouverture au public des sites nucléaires. Après l'avoir obtenue, ceux qui réclamaient cette accessibilité se plaisent à souligner les risques d'attentat, voire le danger d'une éventuelle chute d'avion. Que fait EDF pour surmonter cette contradiction ?

M. Didier Guillaume, sénateur. - Dans un contexte mouvementé pour l'industrie nucléaire française, aggravé par l'accident de Fukushima, j'insiste sur un point bien connu de mes collègues bretons : on ne change pas le capitaine d'un bateau pris dans la tempête ! Changer aujourd'hui la présidence d'Areva serait une grave faute. Ce n'est pas une question, mais une observation que je formule.

En tant que président de CLI, je note que la loi TSN a constitué une grande avancée pour les initiés, pour quelques associations, mais pas pour nos concitoyens, dont les réactions de l'après-Fukushima restent d'une épidermique immédiateté. Copenhague et les gaz à effet de serre sont oubliés ! L'industrie nucléaire prise dans le cyclone.

Nous devons aller vers une deuxième étape, car à force d'être répétitifs, les processus de transparence institués en 2006 finissent par être redondants ; leurs effets sont confinés. Si nous ne changeons pas d'air, nos concitoyens estimeront que rien n'a changé. Or, les Français savent qu'on leur a menti en 1986. Refusant que cela se reproduise, ils exigent la vérité.

Dans notre CLI, nous essayons d'éviter l'écueil des postures et des jeux de rôle, car il est inutile de se réunir si chaque participant conserve jusqu'à la fin les convictions qu'il avait en entrant.

Sur un autre plan, je rappelle que la transparence nucléaire ne bénéficie toujours pas du financement annoncé dans la loi TSN.

Enfin, nous devons tous rétablir la crédibilité du discours. À défaut, ce qui se passe ici restera sans effet. Il appartient aux parlementaires et aux industriels de fournir une information compréhensible à nos concitoyens.

M. Daniel Raoul, sénateur. - J'étais un fervent partisan des CLI, une structure que l'on retrouve dans la loi Bachelot sur le risque industriel, et qui a failli apparaître dans la loi sur les organismes génétiquement modifiés (OGM). Aujourd'hui, j'éprouve des doutes quant à leur intérêt. Le Haut conseil des biotechnologies comporte un Comité éthique et social, caractérisé par des postures figées, insensibles à l'information scientifique fournie.

Que faire pour que l'information soit partagée ? Comment nos concitoyens peuvent-ils mettre bout à bout l'information glanée sur les multiples sites Internet ? Je suggère que le HCTISN réfléchisse à l'appropriation de l'innovation par la population, qu'il s'agisse du nucléaire ou d'autres domaines, car les scientifiques n'ont plus la confiance de nos concitoyens.

M. Sylvain David, CNRS, membre du comité des experts. - Certains orateurs paraissent confondre communication et transparence. Pour avoir visité des installations nucléaires avec des étudiants, j'ai pu apprécier la différence entre ces deux notions. De même, l'uranium enrichi en Russie a fait l'objet d'une importante communication, mais pas de transparence. Dans le domaine nucléaire, les sites Internet sont souvent des outils de communication, guère de transparence. Comment sont-ils gérés ?

M. Claude Birraux, président. - On pourrait se demander aussi comment on organise l'interface avec certains médias. Aujourd'hui, le titre d'un article publié dans la presse vaut plus que tout. Dès lors qu'il apparait en première page, peu importe s'il est faux !

Lorsque j'ai commencé ma vie dans ce domaine, il y a 20 ans, je recevais souvent des appels de journalistes me demandant d'éclaircir telle ou telle information. Il n'y a plus rien de tel depuis une quinzaine d'années.

M. Bernard Tardieu, Académie des technologies, membre du comité des experts. - La notion de transparence est évoquée principalement à propos des incidents, pas de la conception. On dit à nos concitoyens que l'EPR bénéficie d'une meilleure conception. Mais où est le débat ? Qu'en pensent-ils ? Ce nouveau réacteur rendra-t-il caduques les centrales plus anciennes ? La réflexion en amont n'est pas traitée.

M. Claude Birraux, président. - Il me semble pourtant avoir insisté sur les révisions décennales et sur la mise à niveau technique de la sécurité des centrales.

M. Philippe Deslandes, président de la commission nationale du débat public. - La commission nationale du débat public a demandé à EDF de dire pourquoi les autorités de sûreté nucléaire française, britannique et finnoise avaient émis des réserves sur la sécurité de l'EPR. Nous avons souhaité connaître les causes des retards subis par les travaux à Flamanville et en Finlande. EDF a pris nos demandes en compte. Lors du débat, la conception des réacteurs était abordée, mais le secret-défense nous a été opposé lorsque nous avons voulu connaître la résistance du toit à la chute d'un avion. En revanche, nous avons obtenu une réponse à la question posée sur ce même sujet à propos du site de Penly.

La confiance est obtenue en tenant ses promesses. EDF s'était publiquement engagée à ne pas construire de deuxième EPR en France avant que le premier ne soit opérationnel. Cet engagement n'a pas été tenu. À propos des nanotechnologies, le Gouvernement a promis de rendre publiques ses décisions, qui tiendraient compte des éléments versés aux débats. Cet engagement n'a pas été tenu. Monsieur Xavier Clément, nous n'avons pas connu à propos des nanotechnologies un souci de transparence analogue à celui que vous avez formulé aujourd'hui !

M. Claude Birraux, président. - Il n'y a pas eu de débat sur les nanotechnologies !

M. Philippe Deslandes. - Si ! Une forte opposition s'est exprimée sur Internet. Les autres pays d'Europe n'ont pas organisé de débat ; nous, si. C'était courageux !

M. Claude Birraux, président. - Surtout après l'inauguration du Minatec de Grenoble!

Les interrogations des autorités de sûreté nucléaire française ou étrangère portaient sur le contrôle commande au sein de l'EPR.

M. Xavier Clément. - Le CEA participait sincèrement au débat public, jusqu'à ce qu'il soit perturbé par l'irruption des agitateurs de Pièces et Main-d'oeuvre. Les citoyens n'ont pas pu poser de questions. Si nombre de réunions n'ont pu se tenir, ce n'était pas de notre fait.

Il est exact que transparence et communication ne sont pas synonymes, mais comment exposer à nos concitoyens des sujets compliqués ? Bien qu'elle ne suffise pas à garantir la transparence, la communication est indispensable.

Internet est un moyen considérable, à condition de l'organiser et de lui fournir des contenus. Ceux fournis par le CEA sont validés par nos chercheurs, non par la direction de la communication.

Enfin, je suis aujourd'hui directeur de la communication, mais j'ai un passé d'ingénieur chimiste chercheur. Je connais le fond des sujets abordés.

M. Henri Revol. - Nous voulons créer un portail permettant à chaque citoyen d'y trouver ce dont il a besoin, outre des liens vers tous les fournisseurs d'informations. Notre cahier des charges est établi. Il reste à trouver un opérateur afin que les gens puissent accéder à une connaissance précise de leur environnement.

M. Dominique Minière. - Le vrai défi à relever est d'être compréhensibles. Nos porte-parole sont nos ingénieurs et techniciens. Encore faut-il les aider à produire un discours intelligible. C'est là une vraie difficulté.

Un mot du travail dans les CLI : il a, dans certains cas, infléchi les décisions. À l'occasion d'une visite décennale à Fessenheim par exemple, des contre-expertises ont été demandées, menées par des experts indépendants, avec une suite concrète.

Quant au risque terroriste, nos sites comprennent différentes zones, plus ou moins sensibles : certaines, qui abritent centre d'information ou simulateur, peuvent accueillir le public, dans d'autres il faut une autorisation d'accès, afin d'éviter que n'importe qui se promène n'importe où. Les visites se déroulent plutôt dans les parties non nucléaires. Je signale que nous organiserons en septembre prochain une grande journée portes ouvertes de nos installations.

M. Claude Birraux, président. - Je me souviens que la première visite décennale de contrôle à Fessenheim à laquelle participait la CLI - notamment le président M. Charles Haby, et Monseigneur Gillon, grand spécialiste des questions nucléaires - avait donné des résultats satisfaisants. Mais pour le directeur du site, c'était une arête dans la gorge, et lorsqu'il a quitté ses fonctions, il a transmis cette arête à son successeur. Les choses ont évolué depuis...

M. Henri Revol. - Je rappelle que M. Borloo avait saisi le Haut Comité sur la question des matières et déchets qui étaient envoyés en Russie ou ailleurs ; le rapport très clair, très complet, n'a pas eu la faveur des médias, mais chacun peut le consulter sur le site du Haut Comité.

M. Matthieu Schuler. - La robustesse du site est à l'examen, dans le cadre du retour d'expérience après Fukushima. Mais la solidité du dialogue noué avec les parties prenantes est tout aussi importante. A cet égard, internet n'est pas tout, les échanges de proximité, au sein des CLI en particulier, sont essentiels. Nous nous trouvons actuellement dans une montée en compétence pour élargir le champ des participants à ce débat. Nous nous pencherons sur les attentes particulières au second semestre, lorsque les résultats de l'audit de sûreté seront recueillis.

M. Georges Servière. - Je veux apporter trois précisions.

Nous avons la capacité de bousculer le fonctionnement normal de notre site internet vers un mode « crise », pour tenir compte des sollicitations spécifiques dans ces moments-là. Avec 35 millions de clients à gérer, nous avons forcément développé cette compétence...

Dans les phases de projet, d'autorisation, de construction, les aspects liés à la conception font partie des informations mises à disposition, à l'occasion du débat public en particulier. Les rapports de sûreté sont à disposition du public - la totalité des données sauf ce qui est protégé.

La protection contre les agressions, chutes d'avions par exemple, a été abordée lors des débats publics de Flamanville ou Penly. EDF a exposé ses dispositifs de protection : sans détailler les informations techniques, bien sûr, l'opérateur en a dit beaucoup !

M. Xavier Clément. - Nous avons également un site internet plus léger, plus réactif, pour les temps de crise. Nous nous sommes inspirés de ce qu'ont mis en place nos collègues de l'IRSN, un site permettant de twitter et d'alimenter des interlocuteurs par des flux d'information très compacts, très efficaces.

Mme Marie-Pierre Comets (ASN). - L'ASN donne plus que « trois sous » aux CLI : 50% de leurs budgets. Ceux-ci demeurent insuffisants et chaque année, nous rappelons que les commissions sont éligibles, depuis la loi sur la transparence et la sécurité nucléaire dite loi TSN, à une fraction du produit de la taxe sur les installations nucléaires de base. Peut-être la disposition sera-t-elle un jour enfin mise en oeuvre ?

Un gros travail a été mené depuis 2005 par l'ASN, avec le Haut Comité, sur l'indice de radioactivité dans l'environnement. Cet indice prend tout son sens dès lors que les nombreuses mesures effectuées par les exploitants, l'IRSN, les associations, sont regroupées sur un même site mais forment un ensemble indigeste. L'indice a un intérêt pédagogique.

Le travail a été présenté au Haut Comité ce matin. L'indice comporte trois grades, vert, jaune, rouge : il est simple et clair. Une expérimentation sera mise en oeuvre prochainement pour savoir si l'indice répond aux attentes.

M. Alain Delmestre, directeur général adjoint de l'ASN. - L'ASN aussi a connu des problèmes sur son site : un collapsus s'est produit, heureusement nous avons réussi, pour reprendre votre expression, à l'up-grader rapidement. Une montée en charge du site se manifeste depuis Fukushima. Nous prolongeons le site par une newsletter ; et un call center sera bientôt accessible en cas de crise. Nous avons réduit la dimension globale du site après le 11 mars dernier, pour que les visiteurs accèdent directement à la partie concernant la situation à Fukushima.

Depuis 2002, nous publions les lettres de suivi d'inspection telles qu'envoyées par les inspecteurs à l'exploitant nucléaire : elles sont diffusées intégralement, sans modification. Au début, la publication était parcellaire ; à présent, hormis celle de l'inspection du travail, toute la production des 250 inspecteurs est en ligne.

II. AMELIORER LA TRANSPARENCE

M. Bruno Sido, Sénateur, Premier vice-président de l'Office, rapporteur. - Nous venons de faire le point sur la transparence et les progrès réalisés. À présent, nous allons étudier les améliorations possibles de la transparence, condition de la sûreté, condition de la confiance des citoyens. Nous allons nous intéresser à l'expérience de certains autres pays et recueillir l'avis de trois instances qui participent directement à la transparence en France.

En ouverture, MM. Javier Reig et Jean Gauvain vont présenter le travail de fond réalisé par l'Agence de l'OCDE pour l'énergie nucléaire afin d'assurer la diffusion internationale des bonnes pratiques.

M. Jean Gauvain, Agence de l'OCDE pour l'énergie nucléaire. - L'OCDE aide les gouvernements et leurs autorités de sûreté à améliorer la transparence en matière nucléaire. L'Agence a été créée en 1958 et l'article 1er de ses statuts indique que ses actions répondent à un objectif d'intérêt public. Les efforts des autorités depuis lors ont visé à donner au contrôle toujours plus de crédibilité. À la veille du G8 de Deauville, l'Agence a fêté son cinquantième anniversaire et cette session a réuni onze premiers ministres de pays importants, français et japonais notamment. Tous ont évoqué le besoin de transparence.

Cinquante ans, c'est à peu près l'âge des applications nucléaires dans le monde. Durant cette période, la communication s'est transformée : nous sommes loin de l'information purement gouvernementale des débuts. Maintenant, avec les blogs et twitter, tout citoyen peut créer l'information. Les attentes du public ont évolué également. La première loi de liberté d'accès à l'information a été votée en Suède, en...1766 ! Et la seconde aux États-Unis en 1966. La plus récente dans l'OCDE est la loi allemande de 2006.

A l'origine, chaque autorité communiquait à sa façon et l'on estimait que les différences culturelles rendaient vain tout partage. Après l'accident de Tchernobyl, un travail en commun a été lancé, en premier lieu pour définir une échelle internationale des événements nucléaires. Le premier atelier a porté sur la façon d'établir la confiance en les autorités de sûreté. Il y eut un grand moment, lorsque M. Ancelin, alors président de la CLI de Nogent-sur-Seine, a décrit l'exercice d'évacuation de la centrale qui, précisément, était intervenu peu de temps avant. Un groupe de travail a été formé, qui réunissait les communicants des diverses autorités de sûreté. Échanges, séminaires, rapports, notes de synthèse se sont multipliés, sans oublier le réseau constitué, qui a été activé après le 11 mars pour savoir comment communiquer à propos de Fukushima.

Un rapport récent se penche sur les meilleures pratiques de transparence : le cadre juridique le plus moderne est celui de la France, depuis la loi TSN ; auparavant les États-Unis étaient en pointe (participation du public aux décisions, utilisation de l'internet...). A propos d'internet, je signale qu'après le 11 mars, l'autorité nucléaire japonaise et l'ASN française ont été les seules à recourir au site restreint - en l'occurrence, restreint à un dossier sur Fukushima.

Nous cherchons à promouvoir la culture de la transparence, que les États-Unis ont, les premiers, intégrée. Information sur internet, rapports d'inspection publiés : la France a adopté ces pratiques depuis neuf ans, ce qui implique un changement de culture comme l'a souligné M. Guillaume. Les ingénieurs doivent apprendre à écrire une langue simple et intelligible ! Au Japon, les rapports demeurent totalement indigestes pour le grand public. Il faut parvenir à rendre accessible un sujet complexe : par exemple, la centrale de Fukushima fonctionnant sur une technologie qui n'existe pas en France, il faut commencer par expliquer des principes et des phénomènes que nous ne connaissons pas.

Concilier rapidité de l'information et précision est encore une autre difficulté. On l'a vu dans le domaine sanitaire tout récemment : une mauvaise information diffusée trop rapidement peut causer bien des dommages... La présentation du président Ancelin qui a été citée précédemment est demeurée une référence pendant de longues années !

Les améliorations juridiques se poursuivent. En Espagne, l'an dernier, un comité consultatif pour l'information du public a été créé, qui va dans le bon sens. C'est le Canada qui est le plus en avance pour la participation du public : pas un texte réglementaire n'est pris sans consultation. Comment les autorités de sûreté doivent-elles communiquer à un public local ? L'expérience des États-Unis est également enrichissante.

Le tableau n'est ni noir ni rose. Le groupe de travail achevait le 10 mars dernier son rapport sur la communication en temps de crise... Autre coïncidence, la réunion annuelle se tenait la semaine suivante. Aussitôt a été lancée une enquête sur les attentes du public, les moyens mis en oeuvre, les principaux messages délivrés par les autorités de sûreté, les difficultés rencontrées. La plus grande est le manque d'outils et l'obligation de travailler « à la débrouille » - un séminaire international est d'ailleurs prévu. L'OCDE, vous le voyez, aide les autorités de sûreté nucléaire de ses membres à progresser vers une crédibilité toujours meilleure.

M. Bruno Sido, rapporteur. - Nous avons le plaisir d'accueillir M. Jan Blomgren, à qui nous avons demandé de faire part de l'expérience suédoise en matière de transparence. Il a souhaité être présenté en tant que directeur du Swedish Nuclear Technnology Centre, qui a pour mission de coordonner les efforts des industriels et des institutionnels en faveur de la formation et la recherche universitaire dans le domaine nucléaire. M. Blomgren, qui est également professeur de physique nucléaire appliquée, m'a demandé de ne pas évoquer son appartenance d'origine à l'entreprise Vattenfall, exploitant qui fait partie du consortium qui soutient le centre. Hélas, je n'ai pu m'empêcher de vendre la mèche, sans doute une déformation chez moi, car notre mission suit une logique de complète transparence - et l'audition d'aujourd'hui est entièrement consacrée à cette question. Mais qu'il se rassure, nous savons que ses propos sont uniquement ceux du directeur du centre !

M. Jan Blomgren, directeur du Swedish Nuclear Technology Centre. - La transparence dans l'industrie nucléaire en Suède est une affaire ancienne. Elle n'est pas spécifique au nucléaire mais relève d'une tendance profonde de la société suédoise. La constitution suédoise de 1766 - avant la Révolution française ! - a établi la liberté d'expression et la liberté de la presse et imposé la transparence de tous les actes de l'exécutif. Tous les documents administratifs sont accessibles aux citoyens, sauf motif de sécurité nationale. Cette application très large de la transparence suscite parfois une incompréhension dans les autres pays. Chez nous, la plus anodine note transmise à un agent public, par exemple un professeur d'université, est considérée comme un document administratif adressé à un responsable administratif. Copie peut donc en être réclamée par tout citoyen, par exemple un journaliste.

Cette règle constitutionnelle s'impose uniquement à l'administration publique, mais elle s'est diffusée dans l'ensemble de la société et les entreprises affichent souvent une volonté de transparence bien plus large que ce qui se fait dans les autres pays. En Suède, la transparence est un élément essentiel de la confiance, sans en être l'unique composante. La maîtrise du risque de corruption est une dimension particulièrement sensible pour les autorités de contrôle. Si de nombreuses enquêtes internationales placent la Suède parmi les pays les moins enclins à la corruption, ce n'est pas le résultat d'un tropisme naturel car la Suède était considérée comme un pays très corrompu au XIXe siècle. Preuve que la corruption n'est pas endémique et peut être vaincue.

Les sondages posent souvent cette simple question : « êtes-vous pour ou contre l'énergie nucléaire ? ». La Suède figure généralement au nombre des pays plutôt favorables, mais la première place revient en général à la France. Un sondage récent de l'Union européenne aborde le sujet d'une manière plus large : « Faites-vous confiance à l'industrie nucléaire ? », « Avez-vous confiance dans l'autorité de contrôle ? », « Pourriez-vous envisager de vivre à proximité d'une centrale nucléaire ? ». C'est en Suède que l'on constate le plus haut degré de confiance dans les autorités.

Voyons comment fonctionne le processus de choix d'un site pour le stockage du combustible usé. Les industriels concernés ont formé une société commune, indépendante, SKB, la Compagnie suédoise de gestion des déchets nucléaires. La séparation des rôles est claire : les autorités politiques imposent les objectifs et les contraintes, les industriels proposent des solutions techniques et la responsabilité de la sûreté leur incombe. L'autorité de contrôle ne prescrit aucune solution, mais pose une exigence et vérifie a posteriori le respect du cahier des charges. Deux communes, Östhammar et Oskarshamn, étaient de longue date candidates pour l'installation du site de stockage géologique, avec l'accord de leur population. Il a fallu trente années d'efforts persévérants pour parvenir à un tel résultat.

Seules les collectivités locales volontaires ont été retenues : il était hors de question d'imposer une localisation par une décision venue d'en-haut. Chaque fois qu'un vote local s'est traduit par un veto, SKB s'est retirée. La compagnie a veillé à établir des relations de long terme avec les communes intéressées, ouvrant sur place un bureau tenu par du personnel recruté dans la région, chargé d'informer les habitants. Au lieu de procéder par grand-messes médiatiques, SKB a multiplié les réunions de proximité chez les gens, autour d'une tasse de café, autrement dit des réunions « Tupperware » ! Ce n'est pas une plaisanterie, cela s'est vraiment passé ainsi.

Toutes les études entreprises ont fait l'objet d'une publication très médiatisée. Le stockage géologique était la piste principale, mais l'étude de solutions alternatives, dépôt dans des forages profonds, séparation et transmutation, envoi dans l'espace intersidéral, a bénéficié d'un soutien financier. Ces recherches ont associé un grand nombre de scientifiques et universitaires, ce qui a certainement contribué à la réussite du processus de gestion des combustibles nucléaires usés.

La critique a pu disposer d'une tribune. Les organisations hostiles à l'énergie nucléaire ont reçu des aides financières de SKB pour financer des études indépendantes, dont SKB a publié les résultats dans ses rapports avec cet avertissement : « Les points de vue exprimés ici ne coïncident pas nécessairement avec ceux de SKB ».

La décision d'implantation a été prise essentiellement sur le critère de la qualité du socle rocheux, un critère considéré comme loyal, ce qui a joué un rôle important dans l'acceptation sociale du processus.

Vers 1990, l'enseignement universitaire des questions nucléaires était dans une situation alarmante, petit nombre d'étudiants, corps enseignant vieillissant... En 1992, tous les exploitants ont joint leurs forces avec ABB, Atom (aujourd'hui Westinghouse) et l'autorité de sûreté, ainsi que SKB, pour soutenir financièrement l'enseignement et la recherche dans les universités. Une collaboration unique au monde, et couronnée de succès ! Les jeunes universitaires ont investi et renouvelé la discipline.

La Suède a une superficie presque équivalente à celle de la France, pour une population inférieure à celle de Paris. Elle doit trouver d'autres solutions que celles mises en oeuvre dans les grands pays. Elle ne dispose pas d'un grand organisme de recherche comme le CEA. Les universités, les industriels et les autorités de contrôle sont obligés de coopérer étroitement, par exemple pour fournir le maximum d'information à la population. Fukushima n'a eu qu'une très faible incidence sur l'acceptation sociale du nucléaire et n'a guère relancé le débat politique.

J'en viens aux défis actuels. L'industrie nucléaire suédoise est très ouverte : en vingt ans, près de 10% de la population a ainsi visité une centrale nucléaire - et beaucoup plus parmi les écoliers, car les centrales nucléaires sont très prisées pour les visites de découverte. Les statistiques le montrent, la perception personnelle s'améliore considérablement après qu'on a vu de près l'intérieur des installations. Après le 11 septembre 2001, la sécurité a été sensiblement renforcée. Les formalités d'entrée ont pris un temps tel que l'on a fini par cantonner les visites du public derrière la grille de protection. Je crains que ce repli, aussi justifié soit-il du point de vue de la sécurité, ne soit nocif pour l'acceptation sociale de l'énergie nucléaire.

J'ai évoqué la corruption. Un système reposant sur une forte interaction entre autorités de contrôle, industriels et universités suppose qu'on élimine tout risque de corruption. Il doit y avoir au sein de l'autorité de contrôle une muraille de Chine entre la collaboration avec l'industrie et l'inspection des installations industrielles. La transparence est certainement la clef de voûte de 1'acceptation sociale, mais elle doit s'accompagner d'une organisation stricte des relations entre les acteurs du système.

La France ne doit pas copier la Suède, pas plus que la Suède ne doit copier la France. Nos cultures sont différentes, de même que nos atouts, nos potentialités, nos contraintes. Mais c'est un grand honneur pour moi d'avoir été consulté par des représentants de la Nation française, auxquels je tiens à dire mon très profond respect.

M. Bruno Sido, rapporteur. - Nous vous remercions d'être venu de Suède et de vous être si bien exprimé dans notre langue.

M. Philippe Deslandes, président de la Commission nationale du débat public. - Le droit d'information des citoyens sur leur environnement, le droit pour eux de participer aux décisions publiques qui ont des conséquences sur leur environnement, ont été posés par la déclaration de Rio et transcrits en droit français dans la loi du 2 février 1995, dite loi Barnier. Ils ont été renforcés par la convention d'Aarhus du 25 juin 1998 et consacrés dans la Constitution en 2005, lorsque la charte de l'environnement a été annexée à la loi fondamentale. La transparence n'est donc plus souhaitable, mais obligatoire.

La loi sur le débat public de 1995 met en oeuvre le principe de participation. La liste des équipements concernés, fixée par décret comme il se doit dans un pays de droit écrit, inclut les installations nucléaires. La Commission nationale du débat public a organisé trois débats en ce domaine, deux sur des EPR et un sur la politique en matière de déchets nucléaires. Un débat est plus simple sur un équipement que sur une politique : les participants, à Flamanville ou Penly, se sentaient très concernés ! Les débats se sont bien passés, il est vrai que les projets d'EPR se situaient dans des sites qui accueillaient déjà des installations nucléaires. Je ne sais pas quel tour aurait pris un débat aujourd'hui, sur un nouvel EPR, dans un site vierge...

Les débats ont porté sur « Flamanville comme tête de série » ou sur le statut des employés sous-traitants à Penly. Il faut dire que les sous-traitants se sont invités dans les réunions ; après ces échanges, le conseil d'administration d'EDF a pris une délibération - rendue publique - pour s'engager à traiter enfin la question de façon beaucoup plus stricte.

Sur les déchets nucléaires, il y avait eu avant la loi de 2006 des réunions et des auditions publiques sans recevoir une grande publicité. La Commission nationale du débat public tient beaucoup aux réunions publiques, lors desquelles le maître d'ouvrage est directement confronté au public et doit répondre à ses questions - il n'y a pas d'échappatoire ! Les animateurs, neutres et indépendants, et qui ne sont pas des spécialistes des questions traitées, veillent à la sincérité et au sérieux des réponses. Ils s'assurent ensuite que les actes du porteur de projet sont conformes aux réponses données.

Le débat porte sur l'opportunité - les équipements sont-ils nécessaires ? - ainsi que sur les objectifs, les caractéristiques principales du projet. Et, depuis le Grenelle de l'environnement, sur les modalités de la concertation. Ainsi, l'utilité de Penly avait été mise en cause par une association. La Commission particulière avait demandé une expertise indépendante d'EDF, afin d'établir des prévisions stables de besoins. L'expertise a montré qu'il y avait matière à débat. En 2002, l'EPR n'était pas forcément nécessaire..., mais il l'était pour qu'une nouvelle filière nucléaire française exporte ses équipements ! La liberté de parole, l'expertise plurielle et contradictoire, sont des éléments précieux. Le Grenelle de l'environnement a souligné l'importance de l'expertise contradictoire ; mais ni le Grenelle I ni le Grenelle II n'en ont traité. Le problème reste entier.

Aujourd'hui, ce n'est pas parce que l'on est expert que l'on est cru sur parole. Trop d'incidents ont entamé la crédibilité des sachants. Jeune fonctionnaire au moment de Tchernobyl, j'ai assisté à Matignon à une réunion où tout n'était que mensonge organisé. Or si la confiance se construit lentement, la défiance émerge et envahit tout en un instant.

Dans les réunions publiques, la Commission nationale du débat public applique plusieurs principes : transparence, c'est-à-dire information complète, compréhensible, sincère ; équivalence, car tous les participants sont égaux, ce que les élus ont parfois du mal à comprendre ; argumentation, car seuls sont pris en compte les arguments, non les proclamations. La force du débat, c'est sa publicité : réunions, cahiers du débat, verbatim, films, comptes rendus des réunions animées par chaque commission particulière du débat, bilan établi par la Commission nationale. Le porteur de projet doit finalement dire, après les échanges, s'il décide de poursuivre son entreprise, s'il a intégré les enseignements et compris les arguments développés.

Le cas des EPR est spécial car les décisions avaient été prises avant le débat, mais dans huit cas sur dix, la confrontation entre maître d'ouvrage et habitants du territoire a modifié le projet initial. Si le débat public n'existait pas en France, il faudrait l'inventer.

M. Bruno Sido, rapporteur. - M. Delalonde, président de l'association nationales des CLI, va nous présenter son point de vue sur les progrès réalisés et à réaliser en matière de transparence.

M. Delalonde, président de l'ANCCLI. - De 1981 à 2011 : trente ans se sont écoulés depuis la circulaire Mauroy. Ce fut une longue marche vers la concertation, l'information, la transparence en matière nucléaire. Même après Tchernobyl, il a fallu encore 25 ans ! Certains ont agi pour limiter l'accès à l'information, la transparence et ils continuent de le faire. Tchernobyl était un petit accident de parcours, il existe « un risque sur un million » pour que se reproduise un tel accident, quel besoin de promouvoir une préparation au risque et à la menace ? Mais si Tchernobyl est de l'histoire ancienne, à présent il y a Fukushima... A l'époque la perte de confiance était totale, vis-à-vis des exploitants, vis-à-vis des autorités en charge du contrôle. Il fallait réunir EDF, l'autorité de contrôle, les représentants de la société civile, et annoncer que chacun devait s'exprimer en toute transparence ! Entre 1997 et 2000, les informations étaient encore fournies dans un langage largement crypté, qui ne faisait qu'accroître les soupçons. Les membres des CLI, néophytes, ne parlaient pas cette langue technocratique et hermétique. L'ASN, l'exploitant, ont dû faire des efforts pour s'exprimer clairement. Et malgré les moyens insuffisants alloués par l'autorité de sûreté aux CLI et à l'ANCCLI, des formations sont ouvertes aux membres des commissions locales.

En outre, l'Autorité de sûreté et l'IRSN ont fait de gros progrès en mettant à disposition du public un maximum d'informations via internet. Il importe de le reconnaître honnêtement, les CLI ont en trente ans permis de trouver un langage commun, chacun ayant fait un effort pour comprendre le langage de l'autre. Apprendre à s'écouter et se comprendre est indispensable pour être efficace. La qualité d'une intervention ne se mesure pas à sa technicité ; la population et les associations ont une réelle expertise de terrain, mais elles l'expriment avec des mots simples, ce qui les expose à ne pas être prises au sérieux ni comprises. De même que les partenaires de la société civile ont consenti des efforts pour comprendre le langage ésotérique des spécialistes, de même les exploitants et l'ASN doivent poursuivre les leurs pour comprendre les populations qui vivent à côté des centrales. Si chacun garde sa posture, comme le disait le sénateur Guillaume, tout le monde reconnaît maintenant qu'on peut désormais parler de tout dans les CLI sans tomber dans la polémique stérile ou le manque de respect de l'interlocuteur.

Cependant, force est de constater que le rôle de la CLI est celui d'un organe d'information à sens unique ; sa capacité à émettre des connaissances sur l'impact du site a été négligée. Mais les choses évoluent. Sa vocation n'est pas de décider, elle est de discuter pour donner des informations fiables et de formuler des propositions afin d'éclairer l'administration et les exploitants en relayant les préoccupations du territoire.

Les dernières années, avec leurs catastrophes en série, ont fait émerger durablement la préoccupation d'une nouvelle transparence en matière de gestion des déchets et de sécurité nucléaire. Il était devenu indispensable pour l'État de créer une véritable culture de préparation au risque et de donner de nouvelles responsabilités aux collectivités territoriales. La protection de la population et de l'environnement est en effet une mission essentielle des pouvoirs publics, notamment des collectivités territoriales dont les élus voient croître leurs responsabilités. Le Parlement a voté à cet égard trois lois importantes : la loi Bachelot de juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels ; la loi de modernisation de la sécurité civile d'août 2004, qui impose la réalisation d'un plan communal de sauvegarde à toute commune soumise à un risque technologique ou naturel majeur ; enfin la loi TSN de juin 2006. Depuis cinq ans, les collectivités n'ont pas encore pris toute la mesure de leurs nouvelles responsabilités. Grandes ou petites, rurales ou urbaines, elles commencent à s'apercevoir qu'il s'agit d'un transfert d'importantes responsabilités, sans que la plupart d'entre elles disposent de l'expertise - M. Lacoste l'a dit - ou des moyens financiers de les assumer. Alors que la population ne supporte plus la survenue de risques et que la société devient de plus en plus assurantielle, les collectivités locales doivent s'organiser pour maîtriser les risques et relever le défi de faire coexister les activités économiques, la sécurité et l'environnement. C'est encore plus vrai avec la loi TSN qui a deux conséquences : l'indispensable augmentation des compétences des CLI et le profond renouvellement de leur composition, notamment dans le collège des élus. La loi attend de ces commissions une participation plus grande dans le suivi des activités nucléaires, notamment avec la délivrance d'avis.

Les CLI sont-elles adultes ? Cinq ans après la loi, elles ont achevé leur mutation. Leur financement est prévu par des subventions de l'État et des collectivités, et les CLI associatives reçoivent en plus un pourcentage de la taxe INB versée par les exploitants à l'État - plus de 500 millions d'euros par an. Et pourtant, l'ASN ne peut distribuer que 600 000 euros par an aux 37 CLI et aux 15 commissions d'information (CI) présentes auprès des installations nucléaires de la défense nationale, et, cela pour informer quelque 60 millions de citoyens. Les moyens manquent. Le pourcentage sur la taxe INB n'est toujours pas inscrit en loi de finances et la suppression de la taxe professionnelle conjuguée à la réforme des collectivités territoriales crée une incertitude nouvelle pour le financement alors même que la loi de 2006 a donné aux CLI de plus grandes responsabilités dans l'information des populations et la réalisation d'expertises indépendantes. Nous serons incapables de remplir ces missions, sauf à faire la manche auprès d'André-Claude Lacoste - qui répond souvent présent - mais qui ne pourra pas le faire lorsque les 37 CLI et les 15 CI viendront lui réclamer les moyens indispensables. Ce sera impossible !

Nous demeurons optimistes, parce que les CLI sont devenues un maillon essentiel de la nécessaire concertation et de la transparence autour des activités nucléaires. C'est maintenant une spécificité française, garante de la démocratie relative au nucléaire. Plus de 3 000 personnes s'y réunissent régulièrement, dont plus de 1 500 élus ; elles sont riches de leur pluralité. La mission des CLI et des CI n'est pas de décider, mais d'éclairer le débat démocratique. L'expérience de Tchernobyl et de Fukushima montre que, sans l'implication des acteurs locaux, on risque une crise de confiance. L'État sait qu'il devra s'appuyer sur les plans communaux de sauvegarde, les réserves civiles communales et les CLI, mais les territoires touchés resteront confrontés, après la gestion de crise, à des problèmes complexes - gestion des territoires contaminés, des mouvements de population, indemnisation, réanimation des activités. Dans tout cela, l'État a le rôle de soutenir les acteurs territoriaux. Il faut donc construire un dialogue et un partenariat sincère, pluraliste et à plusieurs niveaux, en un domaine où les élus n'ont pas encore réellement pris conscience de la réalité du risque nucléaire et de l'ampleur de leurs responsabilités. Sur ce sujet technique et opaque pour ces élus comme pour la population, un dialogue et un langage commun apparaissent nécessaires, trente ans après la circulaire Mauroy.

Les collectivités et les CLI ont gagné, grâce à ces différentes lois, un droit de cité dans les domaines de la gestion des risques majeurs, de la transparence et de l'information de la population. Cela leur confère des responsabilités civiques, sociétales et politiques, parfois assorties de sanctions pénales. Il faut donc les doter de l'expertise et des moyens nécessaires ; notre devoir est d'y veiller. L'ANCCLI a l'intention d'organiser à l'automne des États généraux afin d'évaluer si nous avons les moyens nécessaires au suivi des installations nucléaires, à la gestion des déchets et des situations accidentelles et post-accidentelles. Et si nous constatons que ce n'est pas le cas, nous dirons à l'État que nous n'avons plus de raison de subsister et demanderons que les problèmes soient désormais résolus par ceux qui savent puisque nous, après trente ans, nous n'aurons pas su convaincre.

M. Michel Lallier, membre du HCTISN, pilote du groupe de travail « Transparence et secrets » - Le Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire a mis en place un groupe de travail chargé d'examiner comment concilier « transparence et secrets ». Ce groupe de travail a été élargi à des associations extérieures et à des personnalités telles que des hauts fonctionnaires de la défense.

Ce problème de la conciliation entre transparence et secret s'est posé au Haut Comité très rapidement, en 2008, à l'occasion des auditions qu'il réalisait sur un transport de plutonium entre la France et le Royaume-Uni : nombre de ses questions n'ont pas obtenu de réponse au motif que cela était couvert par le secret de la défense nationale ou par le secret commercial. Notre groupe de travail a donc formulé des constats puis énoncé six préconisations tendant à améliorer la transparence des informations tout en préservant la légitime confidentialité de certaines informations sensibles.

Le Haut Comité a constaté que la loi TSN du 13 juin 2006 constitue un indéniable progrès quant à l'accès à l'information et la transparence en matière nucléaire. L'accès à certaines informations couvertes par le secret industriel et commercial avait pu être géré, par le passé, via la mise en place de conventions, moyennant un engagement de confidentialité. Le Haut Comité prend acte qu'il ne peut en être de même pour les informations couvertes par le secret de la défense nationale.

Sans remettre en doute la légitimité de la classification de certaines informations en matière nucléaire, il recommande de veiller à ce que la diffusion de ces informations ne puisse en aucun cas mettre en péril ou amoindrir la résistance du dispositif répondant aux impératifs de sûreté et de sécurité. Il considère donc que le véritable enjeu se situe au moment de la décision de classification, pour distinguer ce qui relève du secret, de ce qui ne devrait pas en relever.

Le Haut Comité attire l'attention des autorités et experts sur l'importance d'une utilisation parcimonieuse et à bon escient des informations protégées afin de ne pas rendre certains documents, rapports, expertises ou audits, non communicables alors même que leur contenu principal ne relèverait pas du secret.

Il considère que la rédaction d'un guide, semblable à celui élaboré en Grande-Bretagne et formalisant la nature des documents susceptibles d'être classifiés et les raisons de cette classification, est complexe et prématurée en l'état des discussions actuelles entre parties prenantes.

Le Haut Comité prend acte des difficultés que comportent la rédaction et la construction des rapports de sûreté mis à disposition du public dans le cadre d'une procédure d'autorisation d'une installation nucléaire : ils doivent être à la fois accessibles au public et permettre une instruction technique, tout en occultant les éléments dont la divulgation porterait atteinte aux intérêts protégés. Si la loi permet à l'exploitant de rédiger un dossier séparé qui regroupe de tels éléments, le Haut Comité préconise cependant l'élaboration d'un seul document en adoptant une démarche d'identification des informations occultées des rapports. Il recommande d'améliorer la transparence par la mise en place d'un « tiers garant ».

Le Haut Comité appelle à rationaliser l'information nucléaire et à veiller à ce qu'elle soit davantage hiérarchisée ou mise en perspective.

Enfin, nous pensons nécessaire d'engager une réflexion approfondie sur la transparence dans le secteur médical et la qualité des informations apportées au patient : information préalable au traitement, information sur la dosimétrie ou en cas d'incident.

A partir de ces constats, notre rapport énonce six recommandations. D'abord, les modalités de recours en cas de refus d'information sont peu connues. D'où notre première recommandation : promouvoir les possibilités de saisine de la CADA et, lorsqu'elles existent, promouvoir le rôle des PRADA (personnes responsables de l'accès aux documents administratifs).

La deuxième recommandation concerne les informations touchant à la défense nationale. Une procédure judiciaire est nécessaire pour obtenir l'avis de la CCSDN sur l'opportunité de déclassifier certains documents. Nous recommandons de modifier la loi pour permettre de saisir cette Commission consultative en dehors des seules procédures judiciaires. Cependant, vu la nécessité d'encadrer ces saisines, le Haut Comité propose d'être une entité nouvelle autorisée à saisir le Comité consultatif sur l'opportunité d'une déclassification pour les informations en matière nucléaire. C'est donc une modification législative que nous demandons.

Troisième recommandation, nous proposons de mettre en place des procédures permettant de mandater un tiers garant pour examiner les informations couvertes par le secret industriel et commercial, lorsqu'il est difficile de concilier information et défense des intérêts protégés. Un tiers garant est une personne, un groupe de personnes ou une entité, reconnus et missionnés par tous les acteurs concernés en vue de se faire une opinion sur les documents dans leur version complète, excepté les informations couvertes par le secret de la défense nationale, et de rendre compte à ceux qui l'auront missionné. Cette formule a déjà été expérimentée, nous proposons de l'étendre, puis, au vu des résultats obtenus, de la généraliser. Cette solution ne peut être mise en oeuvre dans le cas du secret de la défense nationale.

Quatrième recommandation : nous demandons au législateur de mieux préciser la définition légale du secret industriel et commercial. Nous avons rencontré la mission interministérielle qui prépare un projet de loi sur le secret des affaires. Nous lui avons dit que ce texte ne pourrait en aucun cas contredire les dispositions de la loi TSN, ni remettre en cause les principes du droit à l'information (directive européenne ; articles 124-1 et 124-8 du Code de l'environnement), ou du droit environnemental.

Cinquième recommandation : reconnaissant qu'il peut y avoir contradiction entre la protection, au titre du secret médical, des informations dosimétriques, et le suivi et la maîtrise de l'exposition individuelle des travailleurs, le Haut Comité recommande qu'une instance de concertation existante ou un groupe de travail pluraliste impliquant toutes les parties prenantes, puisse se saisir de ce débat et proposer des solutions conciliant les différents impératifs.

Sixième recommandation, il faudrait modifier les dispositions règlementaires du Code de la défense afin de mettre en place des commissions d'information, semblables à celles des installations nucléaires de base secrète, autour des sites et installations d'expérimentations nucléaires intéressant la défense (SIENID), qui en sont dépourvues.

M. Claude Birraux, président. - La recommandation sur le secteur médical rejoint celle qu'a formulée l'ASN dans son dernier rapport annuel. Vous parlez de l'information des patients ; il faut aussi penser à leur exposition aux irradiations et rappeler aux médecins que lorsqu'un malade passe du 2ème au 4ème étage d'un hôpital, il est inutile, et même dangereux, de lui faire passer un second scanner... Je rappelle aux représentants de l'État que, il y a quelques années, après les incidents d'Épinal et de Toulouse, l'OPECST avait organisé une audition sur la radiologie, puis envoyé une lettre à quelqu'un qui n'est plus ministre. Nous en attendons toujours l'accusé de réception.

M. Bruno Sido, rapporteur. - Comment la France se situerait-elle dans un « hit-parade » de la transparence ? Les autres pays nucléarisés ont-ils des pratiques intéressantes à importer ?

M Javier Reig, Agence de l'OCDE pour l'énergie nucléaire. - Il y a quinze ans, la situation était bien différente en Amérique du nord et en Europe où, sauf dans quelques pays comme la Suède, l'information sur le nucléaire était très contrôlée. Depuis les choses ont logiquement évolué. Alors qu'autrefois les autorités ne considéraient les installations que sous l'angle technique, elles ont ensuite pris en compte leur conformité à la réglementation et considéré l'angle légal. Ensuite, après Three-Mile-Island puis Tchernobyl, elles ont dû intégrer un troisième facteur : l'acceptabilité par la population. Tout cela a fait évoluer les systèmes d'information européens qui se sont rapprochés du niveau américain. La France, depuis sa loi de 2006 est très en avance sur les autres pays européens. Quant aux États-Unis, même si tout y est accessible, il n'est pas facile, même pour un expert, de trouver ce qu'on cherche. L'accès à l'information n'est pas la transparence. En Europe subsistent encore des restrictions d'accès et la France fait partie des pays européens les plus avancés en la matière.

M. Jean Gauvain. - Aux États-Unis, pour 100 réacteurs nucléaires, il y a 900 réunions publiques locales entre l'Autorité de sûreté américaine délocalisée et le public. En France, la communication est beaucoup plus centralisée.

M. Claude Birraux, président. - Aux États-Unis, sous la présidence de Richard Meserve, la NRC a considérablement modifié ses procédures. Les auditions publiques se limitent à une audition avant construction et à une autre après construction, où l'on se borne à vérifier que le résultat est conforme au projet. En effet, le Congrès jugeait alors que trop de règlementation nuisait à l'efficacité.

Mme Saïda Laarouchi Engström. - Lorsqu'on travaille à l'information sur les risques, comme je l'ai fait pendant une quinzaine d'années en pilotant la sélection des sites de stockage profond en Suède, on s'attend à ce que toute la population concernée soit intéressée. Or on constate qu'il y a toujours deux petits groupes, toujours présents, ceux qui sont pour et ceux qui sont contre. La grande majorité ne réagit pas. Comme si la question de la gestion des déchets n'était pas une priorité pour nos contemporains. Depuis Slovic, les chercheurs ont montré que la communication sur les risques du nucléaire et de ses déchets se fait en réalité beaucoup plus via des blogs sur internet, ce qui n'incite pas au dialogue objectif ni au contrôle des arguments.

Mme Monique Sené (HCTSIN, ANCCLI). - Quand bien même on parviendrait à une information et à une concertation véritables avec la population, cela amènerait-il à modifier une décision prise par les autorités nucléaires ? On obtient quelque chose pour une autoroute mais, dans le domaine nucléaire ? La transparence totale consisterait à obtenir tous les documents, et l'on ne peut jamais obtenir que les documents dont on sait qu'ils existent. L'implication des gens, même dans les CLI, est très moyenne et le bénévolat a ses limites, ce qui gêne le passage de relais. Bref, je ne vois pas comment on pourrait arriver à la transparence.

M. Claude Birraux, président. - C'est quelque chose vers quoi l'on tend sans jamais être sûr de l'atteindre... Pour sa part, l'OPECST a contribué à organiser des débats et il a soulevé des questions qui fâchent.

Comment les principaux exploitants réagissent-ils face au modèle suédois d'accès direct à tous les documents internes ?

M. Dominique Minière. - Il est vrai qu'on a souvent du mal à réunir dans un débat l'ensemble des parties prenantes. Il y a toujours ceux qui sont pour, ceux qui sont contre ; mais ceux qui viennent s'informer et dialoguer, on a du mal à les rencontrer.

Nous avons beaucoup travaillé sur la notion de transparence, et conclu que cela consiste à dire aux gens ce qu'ils n'aimeraient pas apprendre par d'autres que nous. Cela nous oblige à nous mettre à la place de l'autre et à raisonner selon sa logique, ce qui est difficile pour un peuple de techniciens et d'ingénieurs qui ne raisonne que selon son échelle d'importance des événements.

Pour répondre à M. Sido, nous avons pu comparer nos pratiques de déclarations d'événements avec celles d'autres pays nucléaires. Nous déclarons les événements de niveau 1 mais aussi ceux de niveau 0, ce qui nous conduit à en déclarer plus de 600 par an. Ce niveau 0, c'est la matière du retour d'expérience, essentielle pour faire progresser la sécurité. Nous déclarons tous les événements à caractère potentiel pour la sûreté. J'ai pu récemment comparer avec la pratique d'un pays limitrophe où nous avons des intérêts nucléaires. Il y avait dans ce pays une erreur dans le guide permettant de calculer les doses auxquelles la population serait exposée en cas d'accident. Ces doses étaient sous-estimées. Il n'y a pas eu de déclaration d'événement, alors qu'il y en aurait eu une chez nous en raison des conséquences potentielles en cas d'application du guide. Il y a vraiment là une différence d'approche.

M. Claude Birraux, président. - Je faisais partie de la commission Curien, chargée de réfléchir à la façon dont EDF devait communiquer, notamment en cas de crise et nous avions alors détecté des difficultés entre le niveau local et le niveau central. Par exemple lors de l'incident de Golfech, le niveau local attendait le feu vert du niveau central, lequel n'avait pas toutes les informations...

M. Dominique Minière. - Aujourd'hui, la communication vient du niveau local.

M. Alain Delmestre. - Certes, les États-Unis ont tenu neuf cents réunions publiques, comme l'a rappelé Jean Gauvain, mais la France, dont le parc nucléaire est pourtant bien moindre, n'a pas à rougir en la matière : entre les réunions de CLI, les réunions de concertation et celles du Haut comité, nous sommes en avance sur les autres pays, qui prennent d'ailleurs conseil auprès de nous pour développer leur politique de communication.

Pendant toute la phase « chaude » de la crise de Fukushima, les journalistes se sont montrés très désireux de comprendre, très disponibles. Malheureusement, une actualité chassant l'autre, la crise libyenne a remplacé le Japon à la « une »...

Il est difficile de diffuser une vraie culture du risque. En 2009, nous avons mené une campagne d'information du public : dans les zones PPI, autour des centrales, 80 % de la population avait vu la campagne, mais moins de 50 % des habitants étaient allés chercher les comprimés d'iode que nous distribuions...

L'apparition des acteurs nouveaux que sont les réseaux sociaux, Facebook ou Twitter, est positive car elle répond à un besoin ; néanmoins, c'est aussi facteur de risque : on l'a vu récemment avec l'affaire de la fausse Syrienne, ou, plutôt du vrai Américain diffusant des informations erronées !

M. Claude Birraux, président. - N'oubliez pas qu'au niveau local, le calendrier des pompiers ou des facteurs, que l'on trouve dans presque tous les foyers, peut être un support d'informations.

Il me reste à remercier les rapporteurs et l'ensemble des intervenants, et particulièrement notre ami suédois, qui nous a fait l'amabilité de parler dans un excellent français. Le compte rendu sera publié, transparence oblige, et nous rendrons notre rapport d'étape fin juin.