Jeudi 17 novembre 2011

- Présidence de M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président, rapporteur -

Sécurité nucléaire et avenir de la filière nucléaire

M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président, rapporteur. Je suis heureux d'ouvrir cette troisième audition de la seconde partie de nos travaux sur la sécurité nucléaire, la place de la filière et son avenir. Je remercie ceux qui ont accepté d'intervenir dans le cadre de cette audition, et ceux qui sont venus pour les écouter et les interroger.

A l'occasion de l'audition du 27 octobre dernier, nous avons pu constater combien les divergences entre les politiques de l'énergie de nos voisins étaient justifiées par leurs spécificités, par exemple, pour l'Allemagne, par ses importantes réserves en lignite. Lors de l'audition du 3 novembre, nous avons pu mesurer le chemin qui reste à parcourir pour atteindre une réelle performance énergétique des bâtiments. Nous avons pu jauger les effets des innovations, telle l'informatique ou le multimédia ou, demain, la voiture électrique sur notre consommation de courant électrique.

Aujourd'hui, nous allons essayer d'évaluer l'impact de la filière nucléaire sur notre économie, et de faire le point sur l'avenir à long terme de cette filière au travers des développements en cours sur les réacteurs de quatrième génération et, au-delà, sur la fusion nucléaire. Cette matinée débutera par une présentation de notre collègue Christian Bataille, rapporteur, qui s'est rendu avec Catherine Procaccia au Japon. Il va nous informer des conséquences sur la production énergétique de ce pays, de l'accident de la centrale de Fukushima, provoqué par un tremblement de terre suivi d'un tsunami d'une ampleur inattendue.

M. Christian Bataille, député. Je me suis en effet rendu au Japon avec la sénatrice Catherine Procaccia. A mon sens, il est très important d'aller constater sur le terrain des réalités qui font l'objet de commentaires souvent peu avisés, reposant sur une information incomplète.

Le rapporteur donne ensuite lecture de la note, annexée au rapport, sur « les principaux enseignements de la visite au Japon du 18 au 22 octobre ».

M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président, rapporteur. Je vous remercie. Je me tourne à présent vers notre collègue Catherine Procaccia qui a participé à ce déplacement : souhaitez-vous compléter la présentation faite par M. Bataille ?

Mme Catherine Procaccia, sénateur. Ce voyage a été très instructif. Comme l'a rappelé M. Bataille, nous avons rencontré les principaux intervenants, à la fois sur le plan politique, mais aussi technique. Nous sommes arrivés au moment de leur « N20 » - sorte de G20 - une rencontre qui existe depuis dix-huit ans entre les intervenants nucléaires français et japonais. Cela nous a permis d'échanger avec les Japonais et les Français, sans compter tous les entretiens prévus.

J'ai été frappée par la façon dont les Japonais abordent les conséquences de Fukushima et le sens collectif des responsabilités dont ils font preuve dans cette situation. Sans doute peut-on l'expliquer par la culture japonaise. Encore faut-il souligner que l'opérateur Tepco a fait preuve de négligence. D'une part, un tsunami d'une telle ampleur était déjà survenu au XIXe siècle ; d'autre part, des fuites sur les piscines étaient déjà intervenues. Aussi la transparence de Tepco est-elle très discrètement remise en cause par les autres opérateurs électriques.

L'arrêt des centrales nucléaires a pu être compensé par un effort de solidarité nationale. Les particuliers, comme les entreprises, ont joué le jeu pendant toute l'année 2011. D'aucuns craignent que les black-out, qui ne manqueront pas d'arriver en 2012, faute de centrales, ne provoquent une hausse importante du prix de l'électricité. Les Japonais, rappelons-le, importent massivement, sans avoir pu négocier, des énergies fossiles. Cette situation serait d'autant plus inquiétante que l'acceptation des efforts serait moindre.

Sur le plan de l'emploi, on observe peu de mouvements. Les salariés qui travaillaient dans les centrales sont tous encore employés à de la maintenance ou des travaux. Dans la centrale que nous avons visitée, en particulier, tout le personnel est sur place pour effectuer des travaux. Si en avril ou mai, aucune des centrales ne redémarre, des licenciements se produiront, qui s'agrégeront à ceux liés à la crise économique au Japon. L'économie japonaise, il faut le souligner, est une économie industrielle. Elle aura du mal à supporter une deuxième année de croissance économique ralentie. L'IEEJ (Institute of Energy Economics, Japan) a évalué la diminution du PIB à 1,6 % pour 2012 si les centrales redémarraient. Sans redémarrage, celui-ci diminuerait d'environ 3,6 %.

Les Japonais mesurent donc bien les conséquences économiques et sociales de l'arrêt complet du nucléaire. M. Bataille l'a bien souligné : nous avons été frappés par le système de prise de décision. C'est ainsi que le Premier ministre qui s'était déjà déclaré plutôt anti-nucléaire, a pris la décision d'arrêter progressivement toutes les centrales nucléaires. Ce sont les maires et les gouverneurs de province qui doivent donner leur autorisation au redémarrage des centrales. Les processus sont beaucoup moins formalisés et organisés qu'en France.

Nos interlocuteurs japonais semblent nous dire que les positions des maires et des gouverneurs des provinces seraient bien plus variées que ce que laisserait supposer la décision d'arrêt de l'ensemble des réacteurs. Ils placent leurs espoirs dans le nouveau Premier ministre, M. Yoshihiko Noda, qui semble vouloir ramener le gouvernement à une position plus neutre.

La conclusion principale que je tire de ce voyage est que nous avons la chance, en France, de disposer d'une autorité de sûreté nucléaire indépendante, l'ASN ; au Japon, ce type de décision n'est que politique, qu'il s'agisse de politique locale ou nationale.

M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président, rapporteur. Je vous remercie et j'ouvre maintenant le débat.

M. Christian Bataille, député. Je précise nous vous communiquerons notre présentation, à laquelle nous devons apporter quelques rectifications de détail, notamment sur la dichotomie entre le nombre d'évacués et de réfugiés, et les dimensions de la zone d'exclusion. La situation japonaise, j'insiste, est méconnue dans notre pays, alors que le Japon sera confronté par la force des choses, dans les mois qui viennent, à l'arrêt de toutes ses centrales nucléaires. Il devra alors faire face à une situation très difficile.

M. Bernard Tardieu, Académie des technologies, membre du comité d'experts. A propos de la stratégie sur l'énergie fossile, vous n'avez pas fait état d'importations importantes de charbon, matière relativement disponible dans la zone. Par ailleurs, d'aucuns estiment que le prix du gaz sur le marché spot est bas. Or vous avez souligné qu'il n'avait pas été possible de négocier les achats de gaz et que le prix du gaz est élevé. Selon le niveau du prix du gaz et du charbon, l'impact économique sur le prix de l'électricité variera considérablement.

M. Christian Bataille, député. Nous nous sommes surtout intéressés à la situation nucléaire, l'objectif de notre voyage n'étant pas de nous livrer à une étude approfondie de l'approvisionnement énergétique du Japon. Il faut donc prendre avec réserve les propos que vous avez évoqués, qui reproduisent ce qu'on a entendu au détour d'entretiens. J'ai cité les hydrocarbures, le Japon étant déjà très dépendant du charbon importé. Il sera amené à augmenter ses importations de charbon, cette matière représentant 25 % du bouquet énergétique, contre 27 % pour le gaz. Le Japon aura recours aux approvisionnements qui sont déjà les siens, en augmentant considérablement les quantités.

Mme Catherine Procaccia, sénateur. Nos interlocuteurs nous ont dit qu'après la décision d'arrêt des centrales, ils se sont précipités sur les marchés, quels qu'ils soient : Indonésie, Australie, Moyen Orient. Ils n'avaient pas encore eu le temps de négocier, du moins pour 2011 ?

M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président, rapporteur. L'heure est venue d'aborder notre première table ronde. La filière nucléaire française trouve son origine dans la création, dans l'immédiat après-guerre, du Commissariat à l'énergie atomique par le Général de Gaulle. S'il a décidé de doter notre pays de cet outil de recherche scientifique dédié à l'étude de l'atome, c'est qu'il le jugeait indispensable au maintien de notre indépendance nationale. L'histoire lui a donné raison. D'abord, bien évidemment, sur le plan de nos forces armées, mais aussi, après le premier choc pétrolier, pour notre indépendance énergétique.

Lors de notre précédente audition, Christian Bataille s'est interrogé sur la situation qui serait aujourd'hui celle de notre pays si, du début des années soixante-dix jusqu'à ce jour, nos gouvernants successifs, toute tendance politique confondue, n'avaient pas eu le courage de maintenir le cap fixé en 1945 par le Général de Gaulle. Au cours de cette première table ronde, nous allons essayer d'appréhender l'importance de la filière nucléaire pour notre pays sur le plan économique, mais aussi environnemental. A cette fin, nous allons entendre les principaux acteurs scientifiques et industriels de la filière, c'est-à-dire le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives, EDF et Areva.

Cet exercice d'évaluation est hautement périlleux, bien entendu, comme l'a montré il y a quelques jours la bataille des chiffres dont les médias se sont fait l'écho. Le cas échéant, les questions qui suivront leur exposé permettront à chacun de leur demander les éclaircissements qui apparaîtraient nécessaires sur les chiffres avancés.

Bilan de la filière nucléaire

M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président, rapporteur. Pour ouvrir cette table ronde, la parole est à M. Jean-Guy Devézeaux de Lavergne, directeur de l'Institut de technico-économie des systèmes énergétiques, I-tésé (CEA/DEN), qui traitera des principaux aspects économiques de la filière nucléaire.

M. Jean-Guy Devézeaux de Lavergne, directeur de l'Institut de technico-économie des systèmes énergétiques. Il s'agit essentiellement de deux types d'enjeux : ceux du parc existant et ceux du parc futur. Ils se cumulent peut-être dans la perspective qui anime la réflexion de certains, d'une évolution forte du bouquet énergétique.

Cela dit, je traiterai surtout du parc futur, M. Jean-Paul Bouttes devant traiter du premier sujet. Combien coûte le nucléaire ? Combien coûtera-t-il ? Combien coûteront les prochains réacteurs ?

Une étude a été réalisée en 2010 par l'AEN et l'AIE, étude qui classe par grandes zones dans le monde les mérites microéconomiques relatifs des différentes formes de production d'électricité. On constate que le nucléaire est l'énergie la moins chère ou parmi les moins chères. En Asie, le nucléaire en développement est la source d'énergie électrique la moins chère en base.

En matière de durabilité, le coût de l'uranium dans le coût du kilowattheure est marginal, de l'ordre de 5 %. En matière de réserves énergétiques, on constate que le charbon représente la moitié de l'ensemble, le nucléaire, moins de 10 %. Demain, avec les nouvelles technologies, le nucléaire permettrait de disposer de réserves de plusieurs milliers d'années au taux actuel de consommation.

Les coûts des réacteurs sont relativement divers. Selon les zones, les réalités sont assez différentes, les spécificités des pays étant marquées, qu'il s'agisse des coûts locaux, des contraintes de site ou du droit du travail. On évalue le coût d'un réacteur EPR à environ 6 milliards d'euros, étant entendu qu'on peut estimer à 3,5 milliards d'euros un EPR fabriqué en Chine.

De tels coûts sont en hausse, et pour diverses raisons. Néanmoins l'accumulation d'expérience que les industriels sont en train de constituer sera un facteur déterminant dans leur baisse. Ces coûts ont augmenté de plusieurs dizaines de points de pourcentage. Encore faut-il rappeler que le coût des centrales à charbon ou des centrales à gaz a également augmenté de manière significative.

Dans les années qui viennent, on peut identifier plusieurs défis, qui ont trait aux retours d'expérience, à des retours sur la façon de construire les réacteurs. La standardisation jouera à coup sûr un rôle important, comme l'effet de série, qui se développera. Il y aura des effets d'échelle et des duplications. Le rodage du dialogue avec les autorités de sûreté contribuera à réduire les délais.

La conjoncture économique a déjà changé depuis deux ans : une moindre pression sur les matières premières, les coûts de l'énergie, l'ingénierie internationale. Par contre, des tensions s'exercent sur les taux d'intérêt, suivant les zones mondiales.

A long terme, le facteur le plus important est la R&D. Le nucléaire est une industrie de progrès technique, qui se traduit dans nombre de dimensions, comme l'augmentation du taux de combustion ou la réduction du volume des déchets radioactifs. Je pense en particulier aux déchets de moyenne activité à vie longue (MAVL), puisqu'on constate, en France, un rapport de 50 au kilowattheures produit, en termes de volume, entre la deuxième et la troisième génération. Tous ces progrès vont se poursuivre dans le futur et contribueront à la réduction des coûts. De nombreuses pistes de travail sont en cours d'étude, notamment au CEA.

Cela dit, où se place le nucléaire vis-à-vis de ses principaux compétiteurs ? Je parlerai essentiellement du gaz, et non du charbon qui, dans la perspective européenne, n'est pas l'énergie qui nous permettra d'aller vers l'objectif de réduction des émissions de CO2 d'un facteur quatre d'ici 2050 (scénario facteur IV). Le gaz pourra être un point intermédiaire, sans doute pas pour la France. Quant aux énergies renouvelables, M. Bouttes en parlera.

De fait, la concurrence est vive entre le nucléaire et le gaz. Même si le gaz peut apparaître peu cher dans certaines zones, notamment aux États-Unis avec les gaz de schistes, plusieurs questions méritent d'être évoquées. Je pense en particulier à un engagement aussi long en matière de gaz que dans le nucléaire lorsqu'on développe des politiques d'approvisionnement en électricité, compte tenu des aspects réseaux et contractuels. Aussi certains pays se retrouvent-ils en situation de « lock-in », comme l'Allemagne qui a dans ces cartons nombre de constructions de centrales à gaz. Mais elle risque de rencontrer de sérieux problèmes d'évolution vers le facteur IV si elle construit un nombre significatif de grosses centrales à gaz. Une fois qu'elles seront installées, il ne sera évidemment plus question de les arrêter avant plusieurs dizaines d'années.

Autres facteurs : la volatilité des prix du gaz et leur augmentation annoncée ; une place très importante de ce prix dans le coût de production de l'électricité nous rendrait très vulnérables en termes de variabilité, à la différence du nucléaire ; des émissions de CO2 qui restent significatives, de l'ordre de la moitié de celles des émissions de centrales à charbon, et des conséquences en matière de sécurité d'approvisionnement.

Pour l'Europe, si le gaz peut être choisi par certains, une telle option n'a guère de sens pour la France.

Un mot sur les évolutions du prix du gaz. En la matière, tout laisse à penser que l'avenir ne sera pas calme, que les augmentations tendancielles s'empileront, rendant la compétitivité du gaz défavorable.

S'agissant des énergies nouvelles et renouvelables, la plupart des projections reposent sur les coûts totaux de ces énergies qui restent supérieurs à ceux du nucléaire, avec peut-être un bémol sur l'éolien terrestre, qui pose cependant un certain nombre de questions, notamment en matière de réseau.

J'en viens à quelques éléments de conclusion. En premier lieu, le nucléaire existant en France est compétitif, et même très compétitif. C'est un point acquis, et un avantage très significatif pour notre pays.

Pour le nucléaire futur, les études internationales montrent qu'il est compétitif, dans la meilleure zone de compétitivité vis-à-vis de ses concurrents directs, notamment le gaz, des nuances devant être apportées selon les pays. Il est bien placé en France, en ayant passé cette phase de début de la génération III. Bien évidemment, le coût microéconomique n'est pas le seul facteur qui déclenche les investissements. On le voit bien dans le cas du Japon, ou de l'Allemagne. Il faut aussi insister sur l'appréciation du partage des risques entre les différents acteurs et les États.

Par ailleurs, tout écart par rapport à l'optimum économique est susceptible d'induire rapidement des coûts qui, pour un pays comme la France, se chiffrent en centaines de milliards d'euros. Les ordres de grandeur, on le voit, sont extrêmement importants. Il faut bien sûr continuer à viser cet optimum, de très nombreux scénarios s'en écartant résolument. Il comportera sans doute une part d'énergie nouvelle et renouvelable. Devant nous, nous avons encore des travaux de développement technologique, de R&D, pour que ces énergies nouvelles et renouvelables pénètrent. Nous avons bien évidemment aussi encore devant nous des travaux de R&D pour améliorer le nucléaire. Le CEA travaille dans ces deux directions.

Le concept d'optimum microéconomique peut être discuté. Reste qu'il est intéressant. La théorie microéconomique standard nous dit que si une énergie s'avère être la plus compétitive en base, il faut remplir toute la base avec cette technologie. L'optimum économique est là. Autrement dit, pour un pays comme la France, où le nucléaire est l'énergie la plus compétitive en base, il faut conserver cette base. Si on la réduit, les compteurs commencent à s'incrémenter, avec des coûts qui se chiffrent en centaines de milliards d'euros.

M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président, rapporteur. La parole est à M. Jean-Marc Miraucourt, directeur de l'ingénierie nucléaire d'EDF, pour évoquer le plan de mise à niveau des centrales nucléaires du parc français récemment annoncé, et ses conséquences économiques, notamment en termes d'emploi. Il va aussi comparer ces conséquences avec celles d'une décision de démantèlement anticipé du parc.

M. Jean-Marc Miraucourt. La durée de fonctionnement des centrales nucléaires est un enjeu industriel majeur pour la filière.

Premièrement, les enjeux liés à la durée de fonctionnement. Le parc français est caractérisé par une mise en service massive dans les années 80, avec 50 000 mégawatts mis en service en dix ans. C'est un parc jeune, en moyenne vieux de 25 ans, pour un domaine de conception technique initiale de 40 ans. Sa durée de vie à 40 ans est techniquement largement acquise, en cours d'obtention en France sur le plan réglementaire, réacteur par réacteur, par un processus de réexamens décennaux de sûreté. Pour l'heure, les premières tranches mises sur le réseau, les premiers réacteurs 900 mégawatts, sont l'objet d'un programme de troisième visite décennale à trente ans, dans le cadre de cette loi.

Si l'on extrapole cette tendance avec une hypothèse d'arrêt à 40 ans des centrales, on observe une décroissance symétrique de la part sur le réseau de 5 000 mégawatts par an à partir des années 2019-2020, et la nécessité de compenser à partir de 2009 cette perte de puissance, en rétablissant sur le réseau 5 000 mégawatts. Il s'agit de puissance installée, étant entendu qu'il ne faut oublier que ces 5 000 mégawatts fonctionnent de manière prédictible, avec un coefficient de disponibilité d'environ 80 %. C'est une donnée à prendre en compte dans l'hypothèse de centrales qui seraient stoppées après 40 ans de fonctionnement.

Cela correspondrait à un flux d'investissement annuel colossal, dont il faudrait s'occuper très activement dès à présent. Cela dit, je veux souligner la contrainte industrielle à cet horizon de temps. Les grandes filières industrielles, telles que les forges, les usines, les bureaux d'études et les chantiers d'intervention sur site, constitueraient un goulot d'étranglement, conduisant soit à des importations massives de matériels ou de savoir-faire, voire à des impossibilités industrielles, dans la mesure où il y aurait saturation de capacité de production, en France comme au plan mondial.

La cible technique de prolongation d'exploitation au-delà de 40 ans pour les réacteurs à eau pressurisée est très largement validée sur le plan international, particulièrement aux États-Unis. Dans ce pays, 112 réacteurs à eau pressurisée sont en fonctionnement. A ce jour, 60 d'entre eux ont obtenu une extension de leur licence d'exploitation de 40 à 60 ans dans des conditions techniques qui sont très proches de celles que nous avons prévues de mettre en place dans le cadre de notre projet industriel. Un programme est d'ores et déjà lancé aux États-Unis pour étendre à 80 ans la durée de ces réacteurs, avec en particulier des efforts de R&D dans le domaine de la durée de vie des cuves.

J'en viens au cadre réglementaire des réexamens de sûreté. Le nouveau cadre réglementaire, résultant de la loi sur la transparence et la sécurité nucléaire (dite TSN) du 13 juin 2006 et des décrets d'autorisation des réacteurs, ne fixe pas de durée de fonctionnement a priori. Il impose un processus de réexamen décennal. Tous les dix ans, la loi dispose que l'exploitant doit procéder à un réexamen de sûreté qui consiste à vérifier la conformité de l'état de ses installations, mais aussi à accroître la sûreté de ses centrales au travers d'un processus de réexamen de sûreté. C'est pourquoi, dans le cadre des examens complémentaires de sûreté post Fukushima, nous tirons tout le profit des augmentations de niveaux de sûreté vis-à-vis des séismes et des inondations, qui ont déjà été réalisés sur les réacteurs, en particulier les réacteurs 900 mégawatts, lors de leur deuxième et troisième visites décennales.

S'agissant de l'état des lieux, les centrales 900 mégawatts sont en train de connaître leur troisième visite décennale à trente ans. Les visites décennales à trente ans ont déjà été effectuées pour Tricastin 1, Tricastin 2, Fessenheim 1, Bugey 2, Bugey 4 et Dampierre 1. Sont en cours de réalisation Fessenheim 2 et Gravelines 1.

L'ensemble de ces réacteurs ont d'ores déjà connu une grande partie du grand carénage, à trente ans. Aussi sont-ils les matériels les plus rénovés du parc après ces troisièmes visites décennales.

Sur le plan réglementaire, la loi dit que l'autorité de sûreté remet un avis au ministre en charge de la sûreté nucléaire pour la prolongation ou l'exploitation des réacteurs, pour les dix années suivant leurs visites décennales. En novembre 2009, un avis générique positif de l'ASN a été prononcé pour l'ensemble du palier 900 mégawatts. Nous travaillons sur des réexamens qui ont été standardisés, notre politique tendant à mettre au même niveau de sûreté l'ensemble des centrales d'un même palier. Conformément à la loi TSN, l'ASN se prononce réacteur par réacteur. A ce jour, elle s'est prononcée sur deux réacteurs, émettant un avis positif sur leur aptitude à fonctionner pour dix ans supplémentaires, à savoir les réacteurs de Tricastin 1 et de Fessenheim 1.

En parallèle à ce processus, se déroule l'exercice d'examen complémentaire de sûreté, qui n'est pas lié à la durée de fonctionnement, mais aux conditions de protection des sites vis-à-vis des séismes et des inondations.

Les points clés pour la durée de fonctionnement sont au nombre de deux. Il s'agit premièrement d'un grand carénage, d'une rénovation des gros matériels de la centrale. Sur le plan international, comme en France, cette opération doit avoir lieu aux alentours de trente ans. Elle concerne les générateurs de vapeur, les alternateurs, les transformateurs et des matériels de ce type.

Cet investissement s'impose à trente ans. Le fait de retarder certains investissements, on l'a bien vu en France, entraîne une perte de disponibilité du parc nucléaire dans les années précédentes. Cette année, le fait d'avoir entamé ce grand carénage et d'avoir rattrapé les investissements se traduit d'ores et déjà par une amélioration du coefficient de disponibilité des centrales, qui pourra être constatée fin 2011.

Le deuxième point clé est le « saut de sûreté », à réaliser à 40 ans, pour mener les réacteurs jusqu'à 60 ans, cible correspondant à ce jour à une pratique industrielle courante, en particulier aux États-Unis.

J'en viens aux besoins d'investissement pour aller à soixante ans. En matière de maîtrise technique du vieillissement, on distingue les composants non remplaçables des composants remplaçables. Pour les premiers, on tire profit des meilleures connaissances scientifiques de leur comportement dans le temps, mais aussi des précautions d'exploitation prises. Ainsi pour la cuve, l'on a appris, depuis le démarrage des centrales, à mieux positionner les assemblages de combustibles en son sein, réduisant ainsi le vieillissement dû aux flux neutroniques venant des assemblages combustibles vers l'acier de la cuve.

S'agissant du grand carénage, les générateurs de vapeur sont sans doute les composants les plus importants que nous remplaçons. Jusqu'à ce jour, 20 réacteurs  900 mégawatts ont connu le remplacement de leur générateur de vapeur, dont les deux réacteurs de Fessenheim. Les deuxièmes gros composants sont les alternateurs et transformateurs de puissance. Sur Tricastin et Fessenheim, l'ensemble de ces travaux ont été réalisés. On rappellera que ces travaux sur la centrale de Fessenheim, qu'on vient de terminer pour le réacteur numéro 2, représentent l'équivalent de 300 millions d'euros par tranche.

S'agissant des modifications de sûreté, l'autorité de sûreté nous a fixé comme objectif que les études de sûreté pour aller à soixante ans soient conduites au regard des objectifs de sûreté applicables aux nouveaux réacteurs, comme l'EPR. C'est dans cet esprit que nous avons développé ce programme, entamé en 2007 et 2008. On notera qu'il est très cohérent avec nos premières conclusions sur l'accident de Fukushima. Le renforcement de la protection des centrales, en matière d'aléas naturels - séismes, inondations, canicules - demeure l'un des axes majeurs de notre programme industriel pour aller au-delà de quarante ans. La maîtrise des accidents graves reste un élément majeur d'amélioration de la sûreté des centrales existantes.

S'agissant de Fukushima, les examens complémentaires de sûreté ont confirmé qu'il n'y avait pas de lacune significative dans le niveau de protection des centrales en France vis-à-vis des séismes et inondations, et que ce niveau de protection est satisfaisant. Sur ce point, on tire tout l'impact positif des réexamens successifs, en particulier après l'incident qui s'était produit à la centrale du Blayais. L'intégralité des protections des systèmes de sauvegarde avait alors été rehaussée à la suite de ces examens de sûreté.

Fukushima nous a amenés à regarder au-delà du domaine de dimensionnement des centrales et à définir, de façon déterministe, un noyau dur de matériels robustes qui concourrait à faire face à des situations où, malgré les marges prises, les protections se seraient avérées déficientes. Vis-à-vis des accidents graves, cet exercice nous a amené à prendre en compte une gestion de crise multi-tranches, avec notamment le renforcement des moyens de crise, au travers d'une force d'action rapide nucléaire. Tout cela est cohérent avec les axes du programme de durée de fonctionnement que nous avions lancé dès 2008. Le retour d'expérience de Fukushima nous confirme dans nos choix, en nous incitant à développer plus rapidement que nous ne l'avions prévu ces améliorations de sûreté complémentaires.

Ce programme induit un projet industriel très ambitieux, qui exige des investissements très importants pour la durée de fonctionnement, amplifiés et accélérés, pour prendre en compte le retour de l'accident de Fukushima, dont la réussite repose sur la mobilisation de nos fournisseurs, pour répondre à une augmentation significative de leurs charges. En 2010-2011, nous en sommes à près de 2 milliards d'euros d'investissements de maintenance, en particulier pour le changement de gros composants sur le parc. Ce programme pourrait doubler d'ici les années 2015-2016, pour atteindre 4 milliards d'euros sur le parc.

Ce projet industriel est une opportunité considérable pour l'industrie française, représentant plusieurs dizaines de milliards d'euros sur dix ans. Il s'agit de retrouver un rythme d'investissement, de construction et d'activité industrielle qui se rapproche de la construction du parc dans les années 80. Pour EDF, la clé de la réussite est d'établir des programmes très importants en taille et en durée, en donnant de la visibilité à l'industrie, pour l'inciter à investir dans les capacités de production et dans le recrutement. La dimension de bureau d'étude, de fabrication, et d'intervention sur site, est capitale pour la réussite de ce programme. Il s'agit d'organiser et de développer le tissu industriel français dans le respect du droit européen, en respectant les règles de concurrence. L'avantage du tissu industriel français est de connaître parfaitement nos centrales, de les avoir construites pour la plupart, et de participer très fortement à leur maintenance, depuis 30 ans pour les plus anciennes.

En conclusion, il s'agit d'un enjeu de politique énergétique nationale, d'un programme technique défini, et d'une cible déjà largement validée à l'international. Après Fukushima, les modifications prédéfinies en 2008 restent pertinentes. Le programme post Fukushima est en cours d'instruction par l'autorité de sûreté. Nous avons exposé ce programme au groupe permanent les 8, 9 et 10 novembre derniers. Bref, c'est un projet stratégique pour l'entreprise et l'ensemble de la filière industrielle française.

M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président, rapporteur. La parole est à M. Raphaël Berger, directeur des études économiques d'AREVA, qui traitera de l'impact économique de la filière, et plus particulièrement des perspectives à l'export avant et après Fukushima.

M. Raphaël Berger. Je souhaite avant tout remercier l'Office de permettre à AREVA de s'exprimer, étant entendu que nous n'avons pas vocation à nous substituer au politique dans le débat énergétique actuel. Cela dit, nous n'hésiterons pas à y contribuer, au niveau qui est le nôtre, celui d'un grand groupe industriel public.

Au-delà de la fourniture abordable, sûre et respectueuse de l'environnement, l'objectif de la politique énergétique doit être de développer des filières énergétiques nationales. Il s'agit à la fois de promouvoir l'emploi, l'activité économique, de préserver la balance commerciale et de contribuer au rayonnement du pays sur la scène internationale.

Dans un premier temps, je souhaite mentionner une étude qui a été réalisée à l'initiative d'AREVA par le cabinet PricewaterhouseCoopers (PwC) sur le poids socioéconomique de l'électronucléaire en France. Cette étude a été réalisée de manière totalement indépendante par PwC, à l'initiative d'AREVA, pour fournir, grâce à une méthodologie robuste, des éléments quantitatifs sur la place du nucléaire dans l'économie française. Il s'agissait de fixer une photographie de l'industrie française et de réaliser une projection de son évolution possible dans les prochaines décennies.

Le développement de notre parc électro-nucléaire a permis d'assurer à l'industrie française une position de leadership mondial sur tous les maillons de la chaîne de valeur. Sont présents dans cette salle les trois principaux donneurs d'ordre de cette filière française : premièrement EDF, le plus grand exploitant de centrales nucléaires au monde, avec un parc installé de plus de 70 gigawatts; deuxièmement AREVA, qui a développé un modèle intégré, leader sur les marchés de la construction de nouvelles centrales nucléaires, et contribué à installer plus du quart du parc historique de centrales, de l'ordre de 100 gigawatts, mais aussi leader sur le marché des services aux centrales installées et sur le cycle du combustible nucléaire ; troisièmement le CEA, un des organismes de recherche les plus expérimentés et reconnus au monde, point fondamental, dans la mesure où la recherche permet la pérennité de long terme de la filière nucléaire et de son avance technologique.

Cette filière n'entraîne pas que des donneurs d'ordre. On dispose de plusieurs milliers de fournisseurs. Parmi eux, PwC a dénombré environ 500 entreprises qui sont parties intégrantes de la filière, au sens où elles ont développé des savoir-faire spécifiques dans le nucléaire, dont 20 % de PME.

Pour l'économie nationale, PwC a dénombré 125 000 emplois directs - ceux des entreprises de la filière - soit à peu près autant que l'aéronautique, soit encore 4 % des emplois industriels en France. A ces emplois directs, il convient d'ajouter les emplois de nos fournisseurs, et ceux soutenus par la consommation des employés de la filière, soit un total de 410 000 emplois - 2 % de l'emploi français. En termes de contribution à la valeur ajoutée, au PIB, l'industrie française génère une valeur ajoutée de 34 milliards d'euros annuellement, soit 2 % du PIB national. J'ajoute que l'implantation du nucléaire est essentiellement locale, autour des installations nucléaires, implantation qui contribue au développement de bassins d'emplois, soit un tissu très dense de fournisseurs et d'employés, comprenant des « clusters » locaux. Je pense à la Bourgogne, pour la fabrication de gros composants, à la Basse Normandie, pour les activités de retraitement. L'usine d'AREVA à La Hague assure ainsi près de 20 % des emplois du Nord Cotentin, ce qui en fait le premier employeur de la région.

Cela dit, La filière française a une très forte contribution à l'export. En 2010, le groupe AREVA a réalisé plus de 60 % de son chiffre d'affaires en dehors de France. Les autres PME de la filière sont particulièrement dynamiques et fortement exportatrices, plus que la moyenne des PME nationales. C'est ainsi que le pourcentage du chiffre d'affaires des entreprises françaises réalisé à l'international s'élève à 30 %, contre 50 % pour les PME de la filière nucléaire. Il faut ajouter les exportations d'électricité permises par le parc électronucléaire français, qui génère un bénéfice et améliore la balance commerciale de l'ordre de 2 à 3 milliards d'euros.

Les entreprises de la filière nucléaire exportent. Le nucléaire contribue à l'amélioration de la balance commerciale française. La facture pétrolière et gazière en France s'élève à 45 milliards d'euros pour 2010, soit 90 % du déficit commercial de la France. C'est un chiffre qui n'est pas appelé à diminuer, notamment dans la mesure où le prix des hydrocarbures est appelé à augmenter à l'avenir. Ces filières continueront durablement à détériorer la balance commerciale du pays. A l'inverse, le recours à l'énergie nucléaire permet d'éviter une grande quantité d'importations de combustibles fossiles. Aussi, l'étude de l'UFE (Union française de l'électricité) évalue entre 25 et 30 milliards d'euros la dégradation de la balance commerciale imputable à une sortie du nucléaire. Si l'on considère la balance des biens et services, notre pays est dans les tout premiers exportateurs mondiaux d'équipements, avec un chiffre d'affaires de l'ordre de 6 milliards d'euros à l'export, soit un des postes les plus bénéficiaires en France.

En termes de potentiel, l'étude PwC nous montre que, où qu'elle soit, l'implantation d'un EPR créée des emplois et de la valeur ajoutée pendant près de 90 ans. C'est encore plus vrai en France, où la construction d'un EPR génère plus de 8 000 emplois sur le territoire national, et 650 millions d'euros de valeur ajoutée annuellement. C'est également vrai à l'export. Exporter un EPR peut générer un nombre d'emplois qui variera en fonction des capacités du pays où le réacteur est exporté, en fonction de son appétit pour une localisation d'une partie de la construction du réacteur. Pour PwC, une telle activité génère environ 4 000 emplois en France et 300 millions d'euros de valeur ajoutée. J'ai mentionné les emplois et la valeur ajoutée générée pendant la phase de construction. La filière nucléaire étant intégrée, elle contribue à la durée de vie des centrales, y compris exportées, avec des services de maintenance et du cycle de combustible.

Pour évaluer le potentiel de la France à l'export, il faut se pencher sur les perspectives du nucléaire à l'international pendant les prochaines années. Si l'accident de Fukushima réitère l'impératif de sûreté pour l'industrie nucléaire, les fondamentaux du secteur énergétique n'ont pas changé. La demande en énergie va croître mondialement. La sécurité d'approvisionnement restera une inquiétude pour les États. La préoccupation liée au changement climatique est toujours aussi prégnante. Dans le contexte actuel d'augmentation structurelle des coûts de l'énergie, et dans le contexte macroéconomique actuel, les questions de pouvoir d'achat des ménages et de compétitivité des industries sont encore plus fondamentales et doivent présider aux choix énergétiques.

L'accident de Fukushima n'a pas représenté un coup d'arrêt au nucléaire.

M. Yves Cochet. Et l'Allemagne ?

M. Raphaël Berger. En Europe, un très grand nombre de pays ont confirmé leur motivation à poursuivre leur programme électronucléaire, comme le Royaume-Uni, la Finlande, la République Tchèque, les Pays-Bas, la Bulgarie, la Hongrie, la Roumanie, la Suède et la Lituanie. Des pays comme la Suisse ou l'Italie se sont montrés plus réservés. Quant à l'Allemagne, c'est un cas isolé en Europe de par le caractère irrévocable de sa décision. Encore faut-il souligner que cette décision avait été prise dès 2001. L'Allemagne est donc revenue à une position ancienne sur le nucléaire. La Chine, elle, n'a absolument pas remis en cause, bien au contraire, la nécessité du nucléaire. Elle réfléchit au choix de sa technologie, ce qui est une bonne nouvelle pour les réacteurs comme l'EPR proposé par la filière française. L'Inde est dans une situation identique. Aux États-Unis, AREVA vient de signer un contrat pour achever la construction d'un réacteur en Alabama. Nous devons terminer la construction d'un réacteur au Brésil. Je pourrais aussi citer la Corée du Sud, la Russie et l'Afrique du Sud, parmi les pays émergents, qui ont fait état de leur souhait d'avoir recours au nucléaire et l'ont confirmé après Fukushima.

Ces déclarations se confirment dans les projections des organisations internationales, notamment de l'AIE, qui a publié la semaine dernière ses scénarios du World Energy Outlook, et qui prévoit une augmentation de 50 % du parc nucléaire d'ici à 2030. Ces projections tiennent compte de l'impact de Fukushima, mais l'augmentation n'est que de 2 % inférieure à la même prévision de l'année précédente. C'est bien la preuve que le nucléaire n'a pas subi un coup d'arrêt à la suite de Fukushima. Ce résultat sur la croissance du parc mondial, je le souligne, est en ligne avec les projections réalisées par AREVA et publiées cet été.

Si l'accident de Fukushima réitère l'impératif absolu de sûreté pour l'industrie nucléaire, on peut imaginer que l'EPR étant reconnu internationalement comme le réacteur le plus sûr du marché, cette exigence de sûreté réitérée constituera un avantage compétitif pour la filière nucléaire française à l'export.

D'ici à 2030, PwC estime que la filière française pourra bénéficier de 30 000 emplois directs supplémentaires, à comparer aux 125 000 emplois sur la période. Les 410 000 emplois soutenus par la filière pourront se transformer en plus de 500 000 emplois, augmentation de 20 % qui vaut aussi pour la valeur ajoutée.

Toutes ces données correspondent au potentiel de la filière française à l'international. Bien évidemment, les choix de politique énergétique auront un impact sur la façon dont la filière française sera capable de réaliser ce potentiel. Jean-Paul Bouttes interviendra sur les conséquences de la sortie du nucléaire en France. Elles seraient importantes en termes d'augmentation de prix de l'électricité, d'impossibilité à satisfaire nos engagements climatiques, de dégradation de sécurité d'approvisionnement, de disparition d'un grand nombre d'emplois et de poursuite de la désindustrialisation de la France.

Je m'attacherai, pour ma part, à l'impact sur le potentiel de la France à l'export. La filière française, il faut le rappeler, est positionnée sur un très grand nombre d'appels d'offres à l'international et dans des négociations pour la fourniture de réacteurs EPR. C'est le cas au Royaume-Uni, où EDF a sélectionné l'EPR pour la construction de réacteurs, en Chine, où l'électricien CGNPC pourrait ajouter deux réacteurs supplémentaires sur le site de Taishan où deux EPR sont déjà en construction. C'est le cas en Inde, où nous sommes en train de finaliser nos négociations pour la fourniture de deux EPR pour le site de Jaitapur. L'EPR est aussi présent sur tous les appels d'offres en cours ou à venir, au Royaume-Uni, en Finlande, en Pologne, en République Tchèque, en Inde et en Afrique du Sud. Bien évidemment, la filière française se positionnera quand les appels d'offres démarreront dans un certain nombre de pays comme la Suède, la Hongrie, la Turquie, l'Arabie Saoudite, le Brésil ou le Vietnam.

Les choix nationaux ont nécessairement des conséquences à l'export. Nous sommes positionnés sur un grand nombre de ces appels d'offres. Si la France devait entrer dans une politique de désengagement manifeste, toute l'industrie française serait privée de ventes des réacteurs à l'export. Les électriciens qui nous sollicitent et font appel à notre technologie le font parce qu'ils savent que nous sommes en mesure de les accompagner dans la durée. Les durées sont longues, l'EPR étant construit pour être exploité pendant au moins 60 ans. Si nous devions annoncer un désengagement de la France du nucléaire, les électriciens ne nous feraient plus confiance de par le monde pour les accompagner dans la durée. C'est toute l'industrie française qui se trouverait menacée.

A l'opposé, des pays comme la Russie, la Chine, la Corée du Sud et l'Inde se mettent en ordre de bataille pour gagner des contrats à l'export. Ils le font sur la base de compétences que leurs industries sont capables d'acquérir, parce qu'elles les ont acquises sur leur marché national. A l'inverse, Siemens a pris la décision de sortir du nucléaire, conséquence partielle de la nature de son marché domestique, rendant cette entreprise peu crédible à l'export.

En conclusion, l'industrie nucléaire française a de belles perspectives à l'export, dans la mesure où les choix de politique énergétique les lui permettent.

M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président, rapporteur. La parole est à M. Jean-Paul Bouttes, directeur de la stratégie et de la prospective d'EDF, qui va revenir sur la récente polémique qui a éclaté sur les conséquences d'un arrêt de la filière nucléaire. Il détaillera les conséquences économiques et environnementales des différents scénarios de politique énergétique.

M. Jean-Paul Bouttes. Quels sont les principaux enjeux auxquels nous devons faire face ? Le premier enjeu : des besoins considérables à l'échelle de la planète, mais aussi la crise à laquelle les pays industrialisés doivent faire face. Tant pour les pays en développement que pour ceux de l'OCDE, disposer, pour faire face à ses besoins, d'une énergie sûre et à coût maîtrisé constitue un point clé. Le niveau des prix de l'électricité peut être un point clé pour les pays industrialisés dans un contexte de crise économique.

Le deuxième enjeu est la sécurité d'approvisionnement. C'est une vraie question pour le pétrole et le gaz, dont la rareté est certes un peu physique, mais pas tant que cela pour les cinquante ou cent ans qui viennent. En revanche, la rareté est surtout géopolitique, environnementale et économique. Plus on cherche du gaz et du pétrole, plus il faut creuser en profondeur, ce qui engendre des coûts supplémentaires. Pour vous donner un ordre d'idée, un prix de 90 dollars le baril correspond à un gaz à 15 $/Mbtu, soit le prix d'accès au niveau de la zone du Japon, un gaz très cher aujourd'hui.

L'impact sur la balance commerciale, en lien avec la sécurité d'approvisionnement, constitue un autre enjeu. En matière d'uranium, je rappelle qu'on distingue les réserves prouvées, qui pourraient permettre d'exploiter le parc existant environ 80 ou 100 ans, les ressources, dont nous sommes à peu près sûrs qu'elles existent, à des coûts relativement maîtrisés, dès lors qu'on s'y prend suffisamment à l'avance. Elles doivent permettre, selon les experts internationaux, d'exploiter un parc avec la génération II ou III, à peu près trois à quatre fois la puissance installée mondiale actuelle, ce qui nous laisse des perspectives pour les trente ou quarante ans qui viennent.

L'uranium, vous le savez, représente 5 % du coût complet, avec un contenu énergétique très fort, 1 gramme d'uranium représentant jusqu'à 100 000 tonnes de pétrole et l'on sait qu'il est beaucoup plus facile à stocker. Ce faisant, l'impact sur le prix de l'électricité est beaucoup plus faible. En termes de stock stratégique, il faut dépenser beaucoup pour avoir trois mois de stocks stratégiques de pétrole, alors qu'il est beaucoup plus simple de disposer de quelques années de stocks stratégiques d'uranium. Dès lors que l'on maîtrise l'ensemble de la filière et que l'on a la perspective de la génération IV, qui multiplie par 50 ou 60 ces perspectives, on peut être relativement serein et considérer que l'uranium et le nucléaire contribuent largement à notre sécurité d'approvisionnement.

S'agissant du charbon, les réserves physiques sont encore importantes, et j'ai envie d'ajouter hélas, compte tenu du troisième et dernier facteur que je veux mettre en avant, à savoir l'évolution du climat et l'impact en termes de CO2. Beaucoup de ressources physiques de charbon, donc, mais un problème majeur en matière d'émissions de CO2.

J'ajoute que la dernière publication de l'AIE revient sur ces deux ou trois points clés en insistant sur le fait que, malgré la crise économique, on a enregistré 5 % de croissance des besoins en énergie en 2010, une hausse considérable. Dans le même temps, les émissions de CO2 ont augmenté de manière très significative, contrairement aux attentes, essentiellement parce que des centrales charbon et gaz se sont fortement développées en 2010.

S'agissant des enjeux climatiques, il faut préciser que la production d'électricité génère à l'échelle mondiale 40 % des émissions de CO2, contre 20 % pour le transport et 40 % pour l'industrie. En France, l'essentiel des émissions est lié aux transports et aux bâtiments. J'ajoute que le bouquet électrique mondial est composé de 40 % de charbon, 25 % de gaz et de pétrole, 15 % de nucléaire et autant d'hydraulique, et 2 à 3 % d'énergie renouvelable, soit un tiers d'énergie sans CO2. On a bien en tête qu'on peut faire la différence, au moins au niveau de l'électricité. La Suède et la France consomment respectivement 45 % et 75 % de nucléaire, 45 % et 15 % d'hydraulique, ces deux pays émettant 6 tonnes de CO2 par habitant. L'Allemagne et le Danemark consomment 50 % de charbon. Même avec le développement des renouvelables, ils émettent 10 tonnes de CO2 par habitant, les 40 % de différence étant dû à l'électricité.

Dans l'ensemble des discussions auxquelles nous participons à l'échelle internationale, l'électricité est bien le premier moyen de combattre les émissions de CO2. C'est probablement celui qui, si l'on s'y prend bien, nous permet de le faire de la façon la plus économique, en respectant le développement économique et la croissance. Comment parvient-on à réconcilier croissance, développement économique et respect de l'environnement ? Tel est l'enjeu principal.

Pour faire simple - la réalité étant plus complexe - on peut distinguer deux catégories de technologies, compte tenu du rythme majestueux de l'innovation technologique dans le secteur de l'électricité.

Les premières sont les technologies compétitives, ou quasiment, pour les quinze ou vingt ans qui viennent, technologies qu'il faut déployer massivement. Elles sont estimées en coût complet, et pour les pays développés, entre 60 et 100 euros par mégawatts heure, avec un prix du CO2 compris entre 20, 30, ou 40 euros par tonne de CO2. Il s'agit du charbon supercritique, des cycles combinés à gaz, de l'hydraulique, des nouvelles centrales nucléaires et de l'éolien terrestre, proche de la compétitivité, qu'on peut développer tant qu'on ne bute pas sur les problèmes d'intermittence.

Les deuxièmes sont dans le pipeline de la R&D. Ce sont celles sur lesquelles il faut vraiment travailler, étant entendu qu'elles sont les options intéressantes pour demain, pour l'horizon 2030-2050, mais qui sont encore aujourd'hui deux à huit fois plus chères. L'objectif, bien évidemment, n'est pas d'en rester là. Il s'agit de la capture et séquestration du CO2 - deux fois plus cher - de l'éolien en mer - deux à trois fois plus cher - du solaire à concentration - deux à quatre fois plus cher - du photovoltaïque - six à huit fois plus cher - et du nucléaire de génération IV, de l'ordre de 80 % plus cher. L'essentiel, en la matière, est de faire de la R&D, de construire des démonstrateurs, et de préparer la maîtrise des coûts.

Cela dit, l'enjeu est bien de développer les technologies pour opérer cette réconciliation entre exigences de respect de l'environnement et maîtrise des coûts, au bon endroit, au bon moment. De ce point de vue, il est intéressant de se rappeler que le mix électrique combine trois éléments qui, tant qu'on n'aura pas procédé à des percées technologiques sur le stockage de l'électricité, sont non pas concurrents, mais complémentaires. On a besoin d'une base, soit de l'ordre de 80 % de l'électricité de base, de pointes, essentiellement des turbines à combustion ou de l'hydraulique de barrage. Il est également utile de disposer du développement des énergies intermittentes que sont les éoliennes et le photovoltaïque. Tant qu'on ne dispose pas de percée technologique sur le stockage, il y a complémentarité entre ces technologies. Pour la base, on peut dire que les technologies en concurrence sont le nucléaire, le gaz, le charbon et, dans certains pays, l'hydraulique, mais pas les énergies intermittentes.

De ce point de vue, il est intéressant de rappeler quelques ordres de grandeur. En Allemagne, les énergies intermittentes représentent 25 % de la puissance installée pour environ 8 % de la production d'électricité, avec 27 gigawatts d'éoliennes et 17 gigawatts de photovoltaïque en 2010, contre, pour le nucléaire, 12 % de la puissance installée et 23 % de la production d'électricité.

Un mot qui illustre la complexité du problème et le fait qu'il faut développer les technologies au bon endroit. Le photovoltaïque, ai-je dit, est de l'ordre de 6 à 8 fois plus cher, soit 300 euros par mégawattheure, alors que le service qu'il rend est plutôt de l'ordre de 40 euros par mégawattheure, en production hors pointe, compte tenu du fait qu'il y a peu de soleil en hiver au moment de l'extrême pointe. En Californie, par contre, où le soleil brille deux fois plus qu'en France, le coût n'est plus de 300, mais de 150 euros par mégawattheure, la pointe étant celle de l'air conditionné en été. Le service rendu est alors de l'ordre de deux à trois fois celui rendu en France ou en Allemagne, autour de 100 euros par mégawattheure. En Californie, le photovoltaïque sera donc de l'ordre de 3 à 5 fois plus cher seulement. Sur une technologie de ce type, à horizon de cinq ou dix ans, on peut arriver à la compétitivité sur la base des meilleures technologies disponibles, alors que dans les pays comme la France ou l'Allemagne, des percées technologiques beaucoup plus importantes s'imposent.

J'en viens au coeur de notre discussion. Dans ce contexte, la France est dans une situation spécifique, à laquelle d'autres pays sont confrontés. Pour les quinze années qui viennent, l'un des principaux enjeux est la base. Souhaite-t-on prolonger les centrales nucléaires existantes, dont le coût complet tourne autour de 45 à 50 euros par mégawattheure, donc en dessous de la fourchette de compétitivité des nouveaux moyens de production que j'ai évoqués ? Les alternatives seront essentiellement des cycles combinés à gaz et/ou des énergies renouvelables, dont les coûts seront de l'ordre de deux à trois fois les 45 à 50 euros par mégawattheure dont je viens de faire état. Aujourd'hui, en Europe, avec les prix du gaz de l'ordre de 10 $/Mbtu, et un prix du CO2 de l'ordre de 20 euros la tonne, on atteint un coût complet du cycle combiné à gaz qui tourne autour de 75 euros par mégawattheure. Si on retient pour l'horizon 2020 les prix du gaz que propose l'AIE, soit 13 $/Mbtu pour l'Europe, avec un prix du CO2 de l'ordre de 40 euros par tonne, on en vient à un prix coût complet du cycle combiné à gaz de 100 euros par mégawattheure, soit plus du double du prix de la prolongation du parc existant. Du côté des renouvelables, l'ordre de grandeur est 100 euros par mégawattheure pour les éoliennes terrestres, 150 à 170 euros par mégawattheure pour l'éolien en mer, et 250 à 300 euros par mégawattheure pour le photovoltaïque. En étant optimiste, on atteint des niveaux prix de l'ordre de 150 euros par mégawattheure, soit trois fois le coût d'une prolongation des centrales existantes.

Sur cette base, on peut procéder à un exercice à trois scénarios, détaillés dans mes transparents, me concentrant plus particulièrement sur le deuxième. Si l'on remplace l'ensemble du parc nucléaire par un bouquet fait à parité de gaz et de renouvelable, le surcoût sera de l'ordre de 75 €/MWh, soit le niveau de prix moyen de l'électricité en France. Autrement dit, le prix de l'électricité serait multiplié par deux, soit un surcoût annuel de 30 milliards d'euros, chiffre d'affaire de l'électricité en France aujourd'hui. Cela supposerait 400 milliards d'investissements à consentir, pour un déficit de la balance commerciale de 10 à 12 milliards d'euros. Ce sont aussi des émissions de CO2 multipliées par 2,5 fois.

S'agissant de l'emploi, je rappelle que le nucléaire représente 125 000 emplois directs et 400 000 emplois induits et indirects. En matière de perspectives industrielles, on évalue entre 50 000 et 100 000 les emplois liés aux exportations de la filière nucléaire. Une sortie du nucléaire, ce serait un prix de l'électricité multiplié par deux. C'est un point sur lequel les microéconomistes travaillent depuis longtemps, mettant en avant les impacts des chocs pétroliers. Le Conseil d'analyse économique a produit il y a deux ans une étude sur le pétrole, montrant, sur la base d'études macroéconomiques, qu'une augmentation de 20 % du prix du pétrole aurait des conséquences se chiffrant entre 120 000 et 130 000 emplois. Un tel choc, spécifique à la France, serait amplifié sur la croissance, le pouvoir d'achat des ménages et la compétitivité des entreprises. Au total, 500 000 emplois seraient touchés.

En conclusion, on a le sentiment, au vu de ces chiffres, que la prolongation des centrales nucléaires en France, pour les vingt ans à venir constitue une opportunité de disposer d'une électricité compétitive, qui donne des marges de manoeuvre pour poursuivre une politique de maîtrise de la demande structurée, ambitieuse, et qui donne le temps de mettre en place une stratégie industrielle ambitieuse sur les énergies renouvelables. Un des points clés, il ne faut pas l'oublier, est que le contenu en emplois de la filière nucléaire, et les trois quarts des emplois liés aux euros dépensés, sont en France. En matière de gaz, de photovoltaïque ou d'éolien, sur un euro dépensé, moins d'un emploi sur quatre est en France, et plus de trois sur quatre dans des pays étrangers.

M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président, rapporteur. Avant d'ouvrir le débat, je souhaite redonner la parole à M. Jean-Marc Miraucourt, pour apporter quelques précisions sur le sujet du démantèlement, insuffisamment abordé jusqu'ici.

M. Jean-Marc Miraucourt. Neuf réacteurs sont en cours de déconstruction dans le cadre du programme portant sur les réacteurs graphite/gaz.

En 2001, EDF a choisi de retenir un programme de démantèlement sans attente, dés l'arrêt définitif des réacteurs, contrairement au programme précédent, qui tendait à attendre dix à vingt ans avant d'entamer le démantèlement. Cette stratégie est reconnue sur le plan international comme la meilleure. Une telle démarche permet de disposer d'une bien meilleure mémoire de l'histoire de l'exploitation au moment où l'on entame le démantèlement, de ne pas laisser cette charge aux générations futures, même si celle-ci est complètement provisionnée pour répondre aux obligations légales dans les comptes des entreprises. Il s'agit aussi d'apporter la démonstration complète de la faisabilité du bouclage de cycle de vie d'une centrale, jusqu'à son démantèlement total, en tirant profit des progrès réalisés en termes de robotique pour s'affranchir des aspects de radioprotection, sans devoir attendre la décroissance de la radioactivité. Il faut rappeler qu'on procède d'abord à l'évacuation du combustible, 99,9 % de la radioactivité n'étant plus présente sur l'installation en démantèlement.

Sur la plan réglementaire, nous agissons dans le cadre de la loi Transparence et Sûreté Nucléaire (TSN) du 13 juin 2006. A ce jour, nous disposons d'un décret s'appliquant à l'ensemble de nos installations. Pour Brennilis, nous ne disposons que d'un décret d'autorisation partielle, et nous nous apprêtons à disposer d'un décret d'autorisation complet pour la fin de l'année 2011.

S'agissant du planning du programme de première génération, nous avons attaqué le gros des opérations industrielles. A Chooz, nous avons commencé à découper et à démanteler le circuit primaire lui-même. Après avoir, dans les années précédentes, démonté la partie non nucléaire des installations, nous sommes en phase de démontage effectif du circuit. Pour nous, c'est une expérience industrielle très significative, puisqu'il s'agit des prémices de ce que représentera le démantèlement des 58 réacteurs actuels à eau pressurisé, de technologie identique. A ce jour, deux générateurs de vapeur sont déposés, en cours de décontamination, avant d'être envoyés à la filière de stockage définitive de Morvilliers, dans l'Aube, au centre de très faible activité.

La deuxième opération majeure en cours est la déconstruction de Creys-Malville. Les gros composants du circuit primaire ont été traités, et le sodium retiré. L'installation de traitement du sodium est mise en service depuis un an et demi. Près de 25 % du sodium est d'ores et déjà traité.

Pour Brennilis, nous avons surtout déconstruit les bâtiments autour du réacteur. Le décret de démantèlement partiel va nous permettre de débuter le démantèlement de la partie nucléaire, qui sera achevé au titre du décret définitif.

Pour les centrales graphite/gaz, nous en sommes à la phase des études. En la matière, nous tirons complètement profit des expériences menées aux États-Unis, avec le démantèlement de Fort Saint-Vrain.

S'agissant du parc en exploitation, composé de 58 réacteurs pour dimensionner des provisions et des actifs dédiés au titre de la loi du 28 juin 2006, nous avons retenu une hypothèse prudente d'une durée de fonctionnement des réacteurs de 40 ans, avec un démantèlement des réacteurs sur une période de 20 ans, suivant la politique de démantèlement sans attente de ces réacteurs. Les coûts de déconstruction font l'objet de multiples audits, audits internes, de la Cour des comptes, de la DGEC, mais aussi de comparaisons internationales. Nous sommes dans le « mainstream » international, avec un coût pour les réacteurs à eau pressurisée de l'ordre de 290 euros par mégawatt installé, soit 17 % du coût des investissements d'origine. Nous sommes dans le milieu de la fourchette internationale, la France tirant parti de la standardisation de son par cet de l'expérience que nous sommes en train d'accumuler, tout particulièrement via le démantèlement de Chooz A.

Le coût de démantèlement du parc REP est régulièrement réexaminé au travers d'une étude, Dampierre 2009, qui nous a permis de mener en totalité l'exercice de quantification de l'effort industriel et des coûts pour une centrale de quatre tranches comme celle de Dampierre. Le démantèlement de cette centrale est ainsi quantifié à 9 millions d'heures de travail, réparties sur une durée de vingt ans, soit entre 350 et 400 personnes présentes sur le site. Le démantèlement de 58 tranches exigerait environ 5 000 emplois directs, mais très peu d'emplois induits, 5 000 emplois à comparer aux 410 000 de la filière actuelle. J'ajoute que ces 5 000 emplois détruisent des moyens de production, donc de la valeur, contrairement aux 410 000 emplois, qui, eux, créent de la richesse nationale, non seulement en export, mais aussi en moyens de productions d'énergie.

M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président, rapporteur. Ces interventions nous ont permis de mieux mesurer l'importance de la filière nucléaire dans notre pays. Le débat est ouvert.

M. Yves Cochet. Depuis l'ouverture de cette audition, les propos des experts que j'ai entendus ne m'étonnent pas, compte tenu de la pression idéologique du nucléaire en France depuis des décennies. Qu'on se souvienne des déclarations grossières de M. Proglio, PDG d'EDF, dans Le Parisien la semaine dernière ! On vient de nous présenter nombre de transparents, des prospectives et des perspectives. Aussi j'espère avoir le temps de développer mes vues, rappelant que nous sommes dans le cadre d'un débat parlementaire, qui se prolongera bientôt par un débat politique dans un contexte électoral. De fait, les acteurs du nucléaire sont très présents depuis longtemps dans le débat parlementaire, mais aussi le débat politique, comme on a pu le constater hier. Et pour ma part, je ne crois pas qu'ils reviennent aux acteurs eux-mêmes de faire la politique énergétique de la France.

S'agissant d'abord du coût, plusieurs facteurs ont été évoqués. Je ne vais pas tous les reprendre, ne disposant pas du temps dont ont disposé les experts. Le coût du nucléaire, estiment-ils, est inférieur à tous les autres. Encore faut-il que la comparaison soit équitable. Or combien valait le coût du kilowatt nucléaire en 1950, au moment où le nucléaire était une industrie émergente, comme c'est le cas aujourd'hui des énergies renouvelables ? Dans les pays de l'OCDE, on observe ainsi que les dépenses publiques de R&D étaient de 60 % pour le nucléaire, 8 % pour l'efficacité énergétique, autant pour les renouvelables. Lorsque, pendant des décennies, vous mettez à disposition 60 % de votre dépense publique de R&D dans le nucléaire, heureusement qu'on constate, 50 ans après, un kilowatt compétitif ! Et pourtant, je ne crois pas qu'il soit compétitif, pour des raisons que j'expliquerai plus tard. D'après le rapport Charpin-Dessus-Pellat, de 2000, l'estimation de l'investissement initial, tout compris, pour ces 58 réacteurs, est de l'ordre de 450 milliards d'euros, valeur 2000. Donnez-moi autant : en 2030, je vous sortirais un coût du kilowattheure photovoltaïque ou éolien tout à fait compétitif. Bref, les comparaisons doivent être équitables, faute de quoi on triche.

Par ailleurs, le coût du kilowattheure intègre-t-il vraiment tous les coûts ? Je ne le crois pas. Reportez-vous au livre magnifique de MM. Dessus et Laponche, En finir avec le nucléaire, auteurs qui sont également experts dans le domaine de l'énergie. Ils expliquent toutes les tricheries et les omissions réalisées pour l'évaluation du coût du nucléaire, s'agissant notamment du démantèlement, de l'assurance et des provisions. Le coût de production est de l'ordre de 4 centimes, contre un coût de 12 à 13 centimes pour les ménages, soit un facteur 3. Ces 4 centimes devaient être augmentés de 6 à 7 centimes, simplement parce que les sommes provisionnées ne couvriront pas les coûts réels de démantèlement, comme le montre des estimations produites en Grande-Bretagne, où l'on est passé du simple au triple, alors que cette dernière est moins nucléarisée que la France. Du temps de M. Roussely, on s'en souvient, il y a eu quelques tricheries sur les manipulations des provisions pour le démantèlement. Mais il est vrai qu'on avait alors voulu faire du Monopoly en matière de gestion.

Mais surtout, le nucléaire ne paye pas ses coûts d'assurance, contrairement à toutes les industries, notamment chimiques. On vient de commémorer le dixième anniversaire de la catastrophe d'AZF à Toulouse. Les gens de Total plaident le fait que leurs usines relèvent des normes Seveso 2, ce qui engendre des coûts d'assurance considérables. Pour le nucléaire, le payeur en dernière instance est l'Etat, soit les contribuables. Quel est aujourd'hui le coût du kilowattheure nucléaire au Japon ? Combien coûtera la partie nucléaire de ce qui se passe à Fukushima ? 30 milliards d'euros ? 100 milliards d'euros ? Une évaluation des coûts futurs s'impose.

Je vous invite donc à lire ce livre, mais aussi les comparaisons énergétiques entre la France et l'Allemagne s'agissant de l'énergie en général, notamment du nucléaire. Bien sûr, lisez le très beau scénario Négawatt, publié le 29 septembre dernier, qui montre qu'on peut sortir du nucléaire vers 2033 en France, à coût constant par rapport au coût du renouvellement. Car vous ne comptez jamais qu'il faut choisir une option énergétique en ce qui concerne l'électricité. Soit il s'agit de sortir du nucléaire dans 25 ou 30 ans, soit de renouveler le parc.

Le parc, dites-vous, était prévu pour 40 ans. A l'origine, il était prévu pour 30 ans, l'ASN se prononçant pour des prolongations de dix ans. Pour l'heure, il n'existe aucun retour d'expérience dans le monde de réacteur nucléaire qui ait duré plus de 47 ans. Pousser jusqu'à 60, voire 80 ans ? Ce sont des spéculations de gens convaincus, du volontarisme industriel, alors qu'on ne dispose d'aucun retour d'expérience.

J'en viens au désapprentissage en marchant et à l'évolution du coût d'investissement nucléaire au cours du temps depuis 1977. A cette date, on comptait 5 000 francs par kilowattheure installé pour le palier de 900 mégawatts. Pour les 900 mégawatts du palier CP2, on comptait 8 000 francs par kilowattheure installé, contre 10 000 francs par kilowattheure installé d'investissement pour le pallier P4. On comptait à peu près 13 000 francs par kilowattheure installé pour le pallier N4, celui des 1 500 mégawatts, et 20 000 francs par kilowattheure installé pour l'EPR. Contrairement à toutes les autres technologies de par le monde, quelles que soient les industries, plus le nucléaire a de l'expérience, plus cher est son coût d'investissement par kilowatt.

S'agissant enfin de l'emploi, les experts nous ont dit que le nucléaire était très bon. Je ne connais pas une étude sérieuse qui montre que le nucléaire, du point de vue de la prodigalité des emplois, est meilleur que l'efficacité, la sobriété et les renouvelables. On le voit bien en Allemagne, qui essaie de sortir du nucléaire. Qui penserait que les Allemands ou les Suisses sont des gens déraisonnables, pris d'une folie « écolo » ? En matière d'emploi, ces pays ont apparemment de meilleurs résultats économiques que les nôtres, M. Sarkozy ayant récemment déclaré qu'il fallait s'inspirer de l'Allemagne, comme M. Fillon.

En matière de création d'emploi, une politique de sortie du nucléaire, vers un triptyque sobriété, efficacité et renouvelables, serait bien meilleure que la politique nucléaire, et ce dans tous les domaines - construction et maintenance. Relisez cette interview scandaleuse de M. Proglio dans Le Parisien de la semaine dernière, son arrogance et ses mensonges éhontés. M. Proglio n'est pas un ingénieur. Il préfère le marketing. Et pourtant, il est à la tête de la plus grande entreprise mondiale de service énergétique. Il y a de quoi être inquiet...

Bref, en matière d'emploi, je ne connais pas d'études sérieuses montrant que le nucléaire est meilleur que le triptyque dont j'ai fait état. J'aurais beaucoup d'autres choses à dire, mais j'ai dû faire preuve de sobriété, alors que les experts ont parlé plus d'une heure et demie. Je vous transmettrai une note qui répond de manière précise aux affirmations mensongères de M. Proglio de la semaine dernière, et aux affirmations des experts.

M. Christian Bataille, député. Je n'ai pas vocation à répondre à M. Cochet. Je veux simplement relever un aspect sur lequel nous avons travaillé, et sur lequel je veux exprimer mon désaccord avec lui. Je veux parler de son analyse de la politique énergétique allemande. Je vous renvoie au rapport qui fait suite au déplacement que nous avions réalisé avec Marcel Deneux, voilà quelques semaines. Ce rapport montre que la situation allemande n'est en rien comparable à la nôtre. Pourquoi ? Parce que la France est sortie du charbon, alors que l'Allemagne n'est pas prête à sortir du charbon et du CO2. Plus de 40 % de sa production électrique est à base de charbon, pourcentage qui ne va pas diminuer. Plus de la moitié de cette production, de l'ordre de 22 %, est faite à partir de lignite. J'admets que les Allemands ont beaucoup progressé dans la technologie. Cela dit, le lignite reste du charbon, même s'il est désulfuré. Derrière le discours sur les renouvelables en Allemagne, je vois une supercherie autour de la sortie du nucléaire, supercherie qui consiste à maintenir cette grande ressource allemande qu'est le lignite - 350 ans de réserves au rythme d'exploitation actuelle. Les Allemands ont-ils envie de laisser tomber cette richesse ? Je ne le crois pas.

J'ajoute qu'en matière de réacteur nucléaire, Siemens a beaucoup cafouillé et a abandonné cette filière, AREVA ayant été bien meilleure que lui. Siemens se replie désormais sur la technologie de centrales à cycle combiné gaz. Nous avons du reste visité des centrales gaz très performantes. De telles centrales représentent un atout pour l'industrie allemande dans le monde. Telle est la spécialité allemande. Nous avons, nous, les centrales nucléaires, les Allemands ayant échoué en la matière.

Bref, je ne crois pas que la situation allemande soit comparable à la situation française. La France n'a plus aucune ressource énergétique naturelle. Certes, le nucléaire est peut être développé à l'excès dans ce pays. Encore faut-il ajouter que nous ne disposions pas des ressources dont l'Allemagne dispose dans son sous-sol.

Ces discussions sont tout à fait normales dans le cadre du travail parlementaire. Cela dit, notre mission n'est pas un débat parlementaire, mais la préparation d'un rapport. Il est donc logique que nous auditionnions aujourd'hui les grandes industries françaises partenaires, qui représentent une force industrielle dans ce pays. C'est donc tout à fait légitimement qu'elles ont exprimé leur point de vue, et ce, d'une manière très construite, élaborée, avec des données très précieuses, tant de la part du CEA, d'EDF que d'AREVA. Ce sont des industries qui ont un retour d'expérience, la question d'aujourd'hui étant celle de l'avenir de l'énergie nucléaire.

M. Miraucourt a parlé des investissements de remise à niveau du parc. Il y a une dizaine d'années, nous avons, dans le cadre de l'Office, rédigé, avec Claude Birraux, un rapport sur le sujet. A cette époque, la durée théorique affichée par les constructeurs était de trente ans, le rapport faisant état du palier de 40 ans. Toutes les centrales devraient atteindre sans encombre ce palier. Sur ce point, il faut admettre le rôle joué par l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Certes, les élus ont un point de vue à donner sur l'avenir énergétique de notre pays. Mais à mon sens, l'ASN est le tribunal décisif, qui dira si, au-delà du palier de 40 ans, certaines centrales peuvent aller jusqu'à 50 ans. Les Américains, qui ont démarré leur programme nucléaire beaucoup plus tôt que nous, nous devancent, et l'on peut observer avec intérêt la manière donc certaines de leurs centrales atteignent 50 ans d'âge.

M. Yves Cochet. 47 ans !

M. Christian Bataille, député. Autant dire que nous ne sommes pas loin de 50 ans. On peut retenir aujourd'hui de la doctrine française le palier des 40 ans, étant entendu que l'avis de l'ASN permettra d'envisager d'aller plus loin, comme le souhaite l'exploitant EDF.

M. Miraucourt a donc parlé des investissements de remise à niveau du parc, qui se font à l'occasion des révisions. Comment se comparent de tels investissements avec ceux requis dans le domaine des énergies renouvelables et du parc éolien en mer ? La remise au niveau du parc nucléaire va-t-elle représenter une dépense supérieure ou comparable à celle des investissements en matière d'énergies renouvelables ?

M. Jean-Marc Miraucourt. Je n'ai pas la réponse. J'ai cité le chiffre de 35 milliards d'euros pour la période 2015-2025 pour la remise à niveau et le step sûreté. C'est un chiffre à rapporter au nombre de mégawatts et surtout de mégawattheures produits, avec un coefficient de disponibilité à mettre en regard.

M. Jean-Paul Bouttes. A très gros traits, je dirais qu'il faut deux à trois fois plus d'investissements pour prolonger le parc nucléaire existant que pour mettre en service 6 000 mégawatts d'éoliennes en mer. A l'inverse, disons qu'un tel investissement coûterait deux à trois fois moins, de l'ordre de 12 à 15 milliards d'euros pour les éoliennes en mer, avec cependant une production en térawatts sans commune mesure, de l'ordre de deux à trois fois moins.

M. Frédéric Ména, IRSN. J'interviens en lieu et place de M. Michel Schwarz, du comité d'expert, qui vous demande d'excuser son absence. Ma question porte sur les études et les estimations de coûts présentées. Ne serait-il pas judicieux d'apporter un éclairage supplémentaire en s'intéressant à la question du coût du risque d'accident ? On peut estimer le coût d'accidents de niveaux de gravité différents, non seulement celui du démantèlement, de l'indemnisation d'éventuelles victimes, mais aussi de l'impact sur l'économie et le tourisme. J'ai ainsi noté le chiffre de 2 points de PIB en moins au Japon, dans l'hypothèse où le scénario du non redémarrage des centrales nucléaires se concrétiserait. Il est donc possible d'estimer de tels coûts. Par ailleurs, on dispose, pour les installations nucléaires, d'études probabilistes qui permettent d'estimer la probabilité d'occurrence de ces accidents, pour une partie importante d'entre eux. L'ASN, on le sait, fixe des objectifs probabilistes de survenue de tel ou tel type d'accidents.

Ne serait-il pas intéressant d'évaluer ces coûts, et de les pondérer par la probabilité que survienne l'accident, pour disposer d'une estimation d'un coût du risque accidentel ? Ce faisant, on répondrait à la question de M. Cochet sur l'assurance, l'État assurant une partie du risque.

M. Jean-Guy Devézeaux de Lavergne. Un tel exercice est en effet intéressant, l'IRSN étant engagé dans cette voie. Cela dit, cette question n'est pas nouvelle. M. Cochet a évoqué de nombreux sujets qui ne sont pas nouveaux, et qui ont été longuement instruits, comme celui que vous évoquez. Sur ce point, je veux rappeler que la Commission européenne s'est intéressée à ce thème dès les années 90. Au sein du groupe de travail Externe-I, elle a mené une évaluation extrêmement prudente. A l'époque, on avait envisagé que l'activité économique d'un territoire équivalent à un département français serait durablement entravée. Ce travail prenait également en compte des probabilités d'accident. Un groupe de travail s'était également intéressé à la question du risque et du coût relatif perçu par les individus, mettant en évidence une aversion pour le risque tout à fait significative, d'un facteur cinq.

Dans les coûts comparatifs du nucléaire avec les autres énergies, et de celles-ci avec le nucléaire, la question des externalités liées à des accidents est très ancienne, elle date au moins de vingt ans. Nous avions mis en évidence, résultat sans doute pas démenti par Fukushima, que les coûts étaient augmentés de quelques pour cents, et qu'ils ne révolutionnaient pas l'ordre de mérite du nucléaire par rapport aux autres énergies. Cela dit, dans la logique de l'économie de l'énergie, il faut continuer à progresser.

M. Jean-Marc Miraucourt. Ce principe est totalement intégré dans la loi anglaise, qui met en avant un principe de diminution du risque au regard du coût économique. La législation anglaise est particulièrement développée sur ce point.

M. Bernard Tardieu, membre du comité d'experts, Académie des technologies. M. Miraucourt a expliqué très précisément l'impact de l'augmentation de la durée de vie et le coût du démantèlement. On n'a cependant pas compris pourquoi cette augmentation n'avait pas un impact positif sur les prix du killowattheure produit. J'imaginais qu'en repoussant la dépense de démantèlement et en amortissant au mieux les dépenses initiales, le prix du killowattheure vendu diminuerait.

M. Jean-Marc Miraucourt. A ce jour, les provisions obéissent à une règle de prudence, ce pourquoi nous en sommes restés à 40 ans. L'accroissement de la durée de fonctionnement des centrales devra se traduire dans la comptabilité. A ce jour, la réglementation allant de dix ans en dix ans, nous ne pouvons retranscrire dans la comptabilité des espoirs de succès de notre programme industriel, prudence oblige.

M. Bernard Tardieu. Dans ses prévisions, M. Bouttes n'a pas intégré la possibilité d'une baisse du prix du nucléaire, du fait de l'augmentation de la durée de vie. Vous faites un choix industriel, sans en mesurer les conséquences.

M. Jean-Paul Bouttes. Les chiffres que j'ai présentés, c'est un fait, n'incluent pas certains éléments qui, à mon sens, renforceraient l'opportunité de prolonger les centrales du parc existant, et je pense notamment à la prolongation de la durée de vie, donnée pas prise en compte. Plus fondamentalement, on imagine bien qu'un arrêt rapide d'une partie significative du parc français aurait un impact sur les prix du gaz et du CO2. L'essentiel des surcoûts que j'ai évoqués sont surestimés. De fait, nous avons refusé d'entrer dans cette problématique.

Cela dit, je souhaite revenir sur quelques questions de M. Cochet. S'agissant des emplois, je crois très important, comme économiste, de distinguer la maîtrise de la demande d'énergie du photovoltaïque. Il ne s'agit pas du tout du même type d'emploi, ni du même type de situations pour la France. Pour le dire rapidement, je suis complètement d'accord pour reconnaître avec vous le point relatif à la maîtrise de la demande d'énergie et d'électricité. Un potentiel économiquement accessible et des emplois locaux ? C'est du gagnant/gagnant. Or aujourd'hui, le photovoltaïque est bien plus cher et n'est pas économique en France. De surcroît, le contenu en emploi pour les technologies qui lui sont relatives se délocalise en Asie. C'est vrai aussi pour l'Allemagne, où les grands opérateurs sont en train de faire faillite, pour se délocaliser en Asie. Pour autant, il ne faut pas baisser les bras. Je fais partie de ceux qui sont convaincus qu'une partie de notre avenir se joue sur ce point, et j'y travaille depuis une dizaine d'années. On dépense autant en investissement dans les énergies renouvelables que dans le nouveau nucléaire. J'ai visité lundi dernier un laboratoire du CNRS où l'on prépare les technologies de demain. Un des points clés est de parvenir à trouver de nouvelles technologies renouvelables, qui ne soient pas trop chers, et dont le contenu en emploi soit tel qu'elles ne seront pas délocalisées en Asie, dès lors que les brevets seront prêts.

Le mensonge ? Je n'ai pas le sentiment d'avoir cherché à mentir. S'agissant des emplois, je suis d'accord qu'il y a débat, et j'ai été macroéconomiste. Mes propos rapides prennent appui sur de très nombreuses études d'économistes, qui mettent toutes en avant deux idées simples. La première est qu'un dispositif beaucoup plus cher, qui entamerait la compétitivité du pays, équivaudrait à un choc pétrolier, et ne manquerait pas d'avoir un impact fort sur le pouvoir d'achat et les emplois. La deuxième est que si l'on développe des technologies utiles pour la vie de la cité, dont l'essentiel des emplois sont créés ailleurs que dans un pays donné, il y aura un impact.

S'agissant du démantèlement, je ne suis absolument pas d'accord avec les propos de MM. Dessus et Laponche, pas plus que l'ensemble de la communauté des économistes. Le coût du démantèlement est estimé pour nous à 15 % du coût d'investissement de nos centrales, soit 15 milliards d'euros, qui seront dépensés à la fin de la durée de vie, soit 0,5 euro par mégawattheure en prenant pour base une durée de vie de trente ans. En Angleterre, on le sait bien, le prix du démantèlement est cinq à six fois plus cher, car il y a cinq ou six fois plus de matières à traiter. Pour avoir été impliqué dans la communauté du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), j'observe le même type de fonctionnement dans les communautés scientifiques d'économistes. Cette communauté existe, des voix différentes s'y expriment, ce dont on ne peut que se féliciter. Mais sur ce point, le consensus est plutôt la règle. De la même manière, le coût des assurances est peut-être de l'ordre de 2 à 3 euros par mégawattheure, le point clé étant qu'un Fukushima ne puisse pas se produire chez nous. Telle est bien notre conviction, et c'est la raison pour laquelle nous poursuivons dans cette voie et nous travaillons sur des tests de résistance. Un accident sérieux peut toujours arriver, mais pas avec les conséquences qu'on a observées au Japon.

M. Yves Cochet. Ce n'est pas ce que dit M. André-Claude Lacoste. Je constate, comme MM. Bataille et Sido, qu'on dispose en France d'une autorité de sûreté du nucléaire, qu'on dit indépendante. Elle est de fait extrêmement vigilante, ne se privant pas de faire des observations, comme d'autres autorités, anglaise ou finlandaise, sur l'ensemble du parc nucléaire européen. Après Fukushima, M. Lacoste a déclaré qu'il fallait faire très attention à la dérive des coûts, et qu'une catastrophe nucléaire n'est pas inimaginable en Europe. Nous sommes les champions du monde de la sûreté. Sans doute est-ce la raison pour laquelle on a raté, du temps de Mme Lauvergeon, quelques marchés à l'exportation face à des centrales que M. Bataille lui-même a qualifiées de « low cost », la sûreté ayant toujours un coût.

Cela dit, lorsqu'on compare la France avec l'Allemagne et d'autres, on s'aperçoit que le nucléaire n'a pas réduit la dépendance de la France au pétrole. Ce programme existe depuis le gouvernement de Pierre Messmer, en 1974, et s'est mis en place en 35 ans, les dernières centrales ayant été construites avant 2000. Or en matière de dépendance par habitant en France, en Allemagne, en Grande Bretagne et en Italie, la France a un résultat de 1,06 tonne de pétrole par habitant et par an, contre 1,01 pour l'Allemagne, 0,99 pour la Grande-Bretagne, et 0,92 pour l'Italie. Le nucléaire, qui n'existe pas en Italie, et moins en Grande-Bretagne et en Allemagne qu'en France, ne rend pas ces pays moins dépendants au pétrole par habitant.

S'agissant des ménages, on observe dans les ménages allemands 25 % de moins de consommation électrique par rapport à la France. C'est, vous l'avez dit vous-même, une question de pointe d'électricité pour faire face aux hivers froids. Faut-il rappeler le marketing incroyable, qui a duré une trentaine d'années et qui continue, pour la promotion du chauffage électrique, alors qu'il s'agit d'une aberration thermodynamique ? Faire de l'électricité pour du chauffage est absurde, l'électricité devant être réservée à des usages spécifiques. On se souvient des publicités scandaleuses d'EDF pour le chauffage électrique. D'où, aujourd'hui, le problème de la monotone de charge, à 19 heures, pendant les jours les plus froids de l'année, où la demande de puissance est considérable, et à laquelle il faut répondre.

La première action à mettre en oeuvre est donc de sortir du chauffage électrique en France, qui serait la première des économies d'énergie, la plus raisonnable. Pourtant, on continue à réaliser des publicités pour la promotion du chauffage électrique. La France, comme toujours, et son lobby nucléaire - EDF et AREVA - ont une politique de l'offre forcenée. Or, il est essentiel aujourd'hui de se concentrer sur les besoins. On a besoin de chaleur, de lumière, de force électromotrice, de mobilité, et pas besoin du nucléaire. Ce qui compte, c'est l'usage final, étant entendu qu'on peut toujours discuter sur les sources primaires et secondaires.

Quant à l'empreinte carbone par habitant en Allemagne et en France, elle est inférieure en Allemagne. S'agissant du photovoltaïque, on disposait de la plus grande usine en France de fabrication de cellules, Photowatt, dans la région Rhône-Alpes. Elle a fermé tout récemment. L'État aide à coup de dizaine de milliards le nucléaire. Par contre, il est incapable de soutenir sa plus grande usine de fabrication de cellules photovoltaïques, qui ne parvenait pas à satisfaire la demande.

On parle de Fessenheim I. L'ASN exige le renforcement de la dalle de béton sous le coeur du réacteur. Allez-vous procéder à ce renforcement, de quelle manière, et pour quel coût ?

M. Jean-Marc Miraucourt. L'ASN demande que les travaux soient achevés pour mi 2013. Le contrat a déjà été passé à cette fin avec des industriels. Nous n'aurons aucune difficulté à réaliser les travaux pour la date prévue, pour un coût de l'ordre de 10 millions d'euros par réacteur, étant entendu que nous nous apprêtons à procéder aux mêmes travaux sur Fessenheim II.

M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président, rapporteur. Mesdames, Messieurs, je vous remercie.

L'avenir de la filière nucléaire

- Présidence de M. Christian Bataille, député, rapporteur -

M. Christian Bataille, député. Ce matin, nous avons pu juger de l'importance de la filière nucléaire pour notre économie et la maîtrise de nos émissions de CO2 qui, je le rappelle, sont de 3 à 4 fois inférieures à celles de nos voisins allemands et danois par kilowatt produits. Ce qui s'est dit ce matin quant aux empreintes carbones qui seraient plus dramatiques en France qu'en Allemagne, ne me paraît ainsi pas crédible, sauf à tordre les chiffres. La filière nucléaire représente pour notre pays un atout industriel majeur. Elle reste, après l'accident de Fukushima, pourvoyeuse d'activité économique, d'exportation et d'emploi. Certains nous décrivent un avenir radieux, où, après l'abandon de notre industrie nucléaire, les emplois bien réels perdus se trouveraient opportunément compensés par d'autres, encore hypothétiques, dans le secteur des énergies renouvelables.

Pour ma part, je suis convaincu de la nécessité de continuer à bâtir de véritables filières industrielles créatrices d'emploi dans des secteurs comme l'éolien ou le solaire. A l'occasion de notre prochaine et dernière audition, le 24 novembre, nous pourrons d'ailleurs mesurer les efforts réalisés en ce sens dans notre pays. Pour autant, je ne pense pas que nous devions lâcher la proie pour l'ombre en renonçant, sans aucune garantie de compensation, à l'un des fleurons de notre industrie nationale.

Dois-je rappeler, à ce sujet, les difficultés qui touchent, depuis quelques mois, l'industrie photovoltaïque européenne face à la concurrence chinoise ? C'est le cas en France, avec le dramatique dépôt de bilan de la société Photowatt. Mais c'est aussi le cas en Allemagne, où les résultats d'entreprises telles que Q-Cells et SolarWorld - entreprises qui nous étaient encore tout récemment présentées comme des symboles de la réussite industrielle allemande dans ce secteur - viennent littéralement de s'effondrer. La position de premier plan de notre filière nucléaire fait incontestablement l'envie de nombreux concurrents étrangers, en Asie comme en Amérique, mais aussi en Russie. Si demain, pour des motifs de courte vue, nous devions prendre, contre nos propres intérêts nationaux, une décision d'arrêt de nos installations nucléaires, ces concurrents en tireraient mécaniquement les bénéfices sur nos marchés d'exportation.

Compte tenu de l'importance des intérêts en jeu, des milliards en exportations et des milliers d'emplois, il serait naïf de considérer que ces concurrents étrangers ne s'intéressent pas de très près au débat en cours sur l'avenir de notre production énergétique. Aussi devons-nous, plus que jamais, rester vigilants sur ces questions et exiger que l'ensemble des conséquences pour nos concitoyens des décisions qui pourraient être prises leur soient présentées en toute transparence, et non avec un a priori idéologique, comme cela est malheureusement trop souvent le cas.

A cet égard, l'abandon annoncé, supposé, du chantier du réacteur EPR à Flamanville, constituerait une décision particulièrement dommageable. Ce réacteur, de conception franco-allemande, représente en effet non l'avenir, mais le présent de notre filière nucléaire. Le problème de retard et de surcoût des deux têtes de série française et finlandaise ne remet d'ailleurs aucunement en cause la conception de l'EPR, comme le montre l'exemple des deux unités construites en Chine dans les délais annoncés.

Nous ne reviendrons pas sur ce réacteur de troisième génération que nous avons déjà eu l'occasion d'étudier de près, au cours de la première partie de notre mission, dont le rapport a été déposé fin juin. J'en présenterai donc ici les principales caractéristiques. S'il reprend le principe des réacteurs de deuxième génération équipant le parc français, le réacteur à eau pressurisée EPR offre de nouveaux dispositifs de sûreté, tels qu'une double enceinte de confinement, un récupérateur de corium et quatre systèmes indépendants de refroidissement. A l'exportation, dans le contexte de l'après Fukushima, il permet, mieux qu'aucun modèle concurrent, de répondre aux attentes des pays souhaitant s'équiper de nouveaux réacteurs présentant un haut niveau de sûreté.

En France, l'autorité de sûreté nucléaire a, quant à elle, déjà fixé pour les nouveaux réacteurs, tout comme pour la prolongation de ceux déjà construits, l'exigence du respect des objectifs de sûreté associés à la conception du réacteur EPR. Si les réacteurs les plus anciens ne pouvaient être prolongés, le réacteur EPR deviendrait ainsi leur remplaçant naturel.

Quant à l'abandon du procédé du recyclage, il correspondrait à la perte d'une technologie dans laquelle la France tient la première place mondiale. Qui plus est, elle hypothéquerait les perspectives de séparation et de transmutation des déchets nucléaires de haute activité, qui permettent d'envisager une réduction de leur radioactivité et de leur durée de vie. Pourtant, même les écologistes allemands n'ont pas voulu remettre en cause l'utilité des recherches dans ce domaine. Une décision d'arrêt des centrales ne fait en effet pas disparaître comme par enchantement le problème de gestion des déchets auquel je me suis beaucoup consacré depuis deux décennies.

La table ronde de cet après-midi traitera de l'avenir de la filière nucléaire, et sera l'occasion de nous intéresser au réacteur de quatrième génération et, au-delà, à la fusion nucléaire, à travers le projet ITER.

Je donne d'abord la parole à M. Sylvain David, de l'Institut national de physique nucléaire et de physique des particules au CNRS, membre de notre comité d'experts, qui va nous expliquer les enjeux des réacteurs nucléaires de quatrième génération.

M. Sylvain David, Institut national de physique nucléaire et de physique des particules, CNRS. Mon propos se limitera aux réacteurs de quatrième génération régénérateurs, qui permettent une économie substantielle sur les ressources. Quelle est la consommation d'uranium des réacteurs actuels ? Produire un gigawatt électrique pendant un an équivaut à la fission d'une tonne de matière. Comme les réacteurs utilisent essentiellement l'uranium 235 qui représente seulement 0,7 % du minerai d'uranium, il faut, pour faire fissionner cette tonne de matière, extraire de terre environ deux cents tonnes d'uranium naturel. Il est possible de réduire cette consommation de minerai d'un facteur deux sans aucune rupture technologique, simplement en optimisant la phase d'enrichissement et en recyclant l'uranium et le plutonium, comme on le fait déjà en grande partie en France. Ayons donc en tête une consommation raisonnable de 130 tonnes par gigawatt électrique par an pour les réacteurs de deuxième et troisième génération.

A l'opposé, les filières régénératrices de quatrième génération utilisent un tout autre combustible, l'uranium 238, et produisent du plutonium 239, qui est le noyau fissile. Chaque fois qu'il disparaît pour produire de l'énergie, il est régénéré par capture d'un neutron sur l'uranium 238. Au final, la consommation de ces réacteurs est de l'ordre d'une tonne par gigawatt électrique par an, seul l'uranium 238 étant consommé. Avec le stock d'uranium appauvri accumulé en France depuis le début de l'industrie nucléaire, qui est de l'ordre de 300 000 tonnes aujourd'hui, nous aurions avec ce type de réacteur plus de cinq mille ans de production d'électricité, à une puissance de 60 gigawatts, équivalente à celle du parc actuel.

La régénération, on le voit, résout pour un temps très long le problème de la ressource en uranium. Cependant, elle n'est pas possible dans les réacteurs actuels et exige le recours à des technologies plus innovantes, notamment à neutrons rapides.

De façon schématique, quel est le coût du kilowattheure nucléaire en fonction du prix de l'uranium naturel pour les réacteurs de deuxième et troisième génération ? C'est une courbe qui est faiblement croissante, la part du prix de l'uranium dans le kilowattheure étant faible. A l'inverse, pour les réacteurs régénérateurs, comme la consommation est divisée par 200, la courbe est totalement plate, le prix du kilowattheure étant indépendant du prix de la ressource en uranium. Au-delà d'un certain prix de l'uranium naturel, il est par conséquent plus avantageux, d'un point de vue économique, de construire des réacteurs de quatrième génération, même s'ils sont plus chers à l'investissement.

Lorsqu'on discute des ressources en uranium, on fixe toujours un prix d'extraction maximal pour l'uranium naturel. Au-delà, il serait plus avantageux de construire des réacteurs de quatrième génération. Si les réacteurs de quatrième génération n'existaient pas, on peut se demander si l'on fixerait un prix d'extraction maximal pour calculer les ressources en uranium. Dans les faits, les choses sont plus compliquées, dans la mesure où l'on a de grosses incertitudes sur le coût des réacteurs de quatrième, comme de troisième génération. Si le prix moyen de référence au kilo est pris à 400 dollars certains font état de prix qui varient entre 150 et 1000 dollars. On agit donc dans un monde relativement incertain.

J'en viens à deux scénarios de déploiement du nucléaire dans le monde. Le premier est un scénario d'enveloppe maximale, de déploiement rapide et massif dans les 40 années qui viennent. Le second est un scénario plus raisonnable, celui d'une multiplication par deux du parc nucléaire d'ici 2050. Dans ce dernier scénario, en 2100, la consommation cumulée d'uranium ne dépasse pas les 10 millions de tonnes et reste donc en dessous des ressources estimées d'uranium. Par contre, dans le premier scénario, des tensions sur le prix de l'uranium surviennent aux alentours de 2050.

Dans un premier temps, on peut donc penser que le recours à la régénération est lié ou s'impose dans des scénarios de déploiement massif et rapide du nucléaire. Encore faut-il souligner que certains éléments peuvent conduire à anticiper le déploiement des réacteurs rapides, même si le problème de la ressource et des millions de tonnes d'uranium cumulés ne se pose pas. Ainsi, un réacteur de troisième génération est construit pour soixante ans. Aussi peut-on imaginer que le constructeur a besoin d'une visibilité sur la ressource en uranium sur des dizaines d'années, point qui peut conduire à anticiper le déploiement des réacteurs rapides. Par ailleurs, même si les ressources sont présentes, sera-t-on capable de les extraire à un rythme suffisamment soutenu ? Ouvrir des mines d'uranium peut poser certains problèmes, sans compter qu'il est possible qu'on soit limité en termes d'extraction d'uranium, à deux ou trois fois les taux d'extraction d'aujourd'hui, de l'ordre de 50 000 tonnes par an. Même si le nucléaire ne se développe pas d'un facteur huit, il est possible qu'on soit amené à développer des réacteurs régénateurs pour des questions d'accès à la ressource uranium.

La fermeture du cycle en plutonium est un autre argument, les réacteurs rapides étant mieux à même de multi-recycler le plutonium, sans produire massivement des actinides mineurs plus lourds. Des arguments favorables au déploiement des réacteurs rapides peuvent donc reposer sur une meilleure gestion du plutonium et des coûts liés aux actinides mineurs.

Je ne décrirai pas les technologies. Le cycle uranium, je l'ai dit, nécessite des neutrons rapides. En la matière, la filière la plus aboutie est celle des réacteurs au sodium, avec trois alternatives principales : les réacteurs au plomb, les réacteurs rapides refroidis à l'hélium, et les réacteurs à sels fondus.

Une des caractéristiques des réacteurs à neutrons rapides est qu'ils ne consomment quasiment plus de matière, soit une tonne d'uranium 238 par an. Chaque fois que le plutonium est consommé, il est régénéré. Ces réacteurs ne consomment plus de plutonium une fois qu'ils ont démarré, étant entendu qu'ils ont besoin d'une première charge en plutonium pour être démarrés. Cette charge initiale est assez importante, estimée à 16 à 20 tonnes par gigawatt électrique. Multiplié par le nombre de réacteurs en France, soit 60, c'est un inventaire de plutonium à l'équilibre de l'ordre de 1000 tonnes qui est nécessaire, l'inventaire actuel de 2010 étant de l'ordre de 300 tonnes.

Dans le cadre de déploiement de réacteur rapide, le plutonium, on le voit, est une matière précieuse, qu'il faut accumuler pour pouvoir espérer démarrer des réacteurs rapides lorsqu'on le souhaitera.

Un scénario de référence de déploiement des réacteurs de quatrième génération à puissance constante démarrerait en 2040, avec une deuxième salve en 2080, la transition s'achevant en 2100, après l'arrêt des premiers EPR, construits en 2020. On constate que la transition est assez longue, s'achevant avant la fin du siècle. Les calculs de scénarios sur ce type de réacteurs montrent que nous avons juste ce qu'il faut de plutonium produit par les réacteurs de deuxième et troisième génération pour alimenter le premier chargement des réacteurs rapides.

Dans ce type de stratégie, il est, bien sûr, impossible de considérer le plutonium comme un déchet, puisqu'on en a besoin pour démarrer les réacteurs rapides. Ce type de scénario n'est pas non plus applicable à d'autres pays, qui verraient leur puissance nucléaire augmenter - et je pense notamment à la Chine - dans la mesure où les réacteurs de deuxième et troisième générations n'auraient pas assez produit de plutonium pour démarrer les réacteurs à neutrons rapides. Le cas de la France est certes spécifique. Encore faut-il souligner qu'on est en mesure d'assurer une transition vers la génération III et IV avec suffisamment de plutonium pour alimenter les réacteurs rapides.

S'agissant de la transmutation des actinides mineurs, les réacteurs rapides doivent nécessairement recycler et multi-recycler l'uranium et le plutonium. Dans un système de référence, tous les autres actinides sont considérés comme des déchets. Mais l'on peut envisager leur recyclage afin d'éviter de les mettre dans les déchets vitrifiés, pour produire des déchets allégés, beaucoup moins radiotoxiques sur le long terme.

Cette stratégie peut se faire dans les réacteurs rapides eux-mêmes, par transmutation homogène. Elle peut se faire également dans des réacteurs dédiés, les performances en termes de production de déchets étant identiques.

La transmutation permet de réduire la radiotoxicité à long terme des déchets. S'agissant de la radiotoxicité du réacteur à neutrons rapides, si l'on arrête le réacteur rapide au bout de mille ans de fonctionnement - durée très longue s'il en est - son inventaire en plutonium sera aussi radiotoxique sur le long terme que la totalité des déchets qu'il aura produit pendant mille ans. Il faut aussi prendre en compte le fait que ces réacteurs rapides ont un inventaire assez important en plutonium, qu'il faudra gérer le jour où l'on arrêtera ces filières, le plutonium étant un combustible, non un déchet.

J'en viens rapidement au cycle du thorium, le troisième actinide présent sur Terre en grande quantité. Il a la particularité de ne pas avoir d'isotopes fissiles naturels, comme l'uranium 235. Il implique le recyclage et la régénération. Théoriquement, il permet d'atteindre la régénération au spectre thermique, avantage appréciable s'il en est. Dans la pratique, c'est beaucoup plus complexe, du fait d'une contamination rapide du réacteur par des poisons neutroniques. Une autre spécificité est la présence d'uranium 232, responsable d'une forte émission gamma, ce qui complique le cycle du thorium, notamment les phases de fabrication de combustible solide. En revanche, il permet une production d'actinides mineurs réduite, donc des radiotoxicités de déchet à long terme réduites.

Il existe deux stratégies plus ou moins innovantes, basées sur les réacteurs actuels, à eau, où sur une filière plus exotique, basée sur des sels fondus. Même si le cycle du thorium n'est pas régénérateur dans les réacteurs à eau classique, il est tout à fait possible de réduire en amont la consommation d'uranium naturel des réacteurs à eau, en mettant en oeuvre un cycle du thorium qui recycle à la fois le plutonium et l'uranium 233, qui est la matière fissile du thorium. On peut construire un parc mixte, avec la moitié de REP classiques, le plutonium étant envoyé dans des REP fonctionnant au thorium. Avec la même technologie de réacteur à eau, on aura ainsi divisé par deux la consommation d'uranium naturel. En optimisant les technologies de réacteur à eau éprouvées, on peut encore gagner un facteur deux sur la consommation d'uranium naturel, sans changer fondamentalement de technologie de réacteur. Ce sont des stratégies intermédiaires entre des scénarios 100 % REP et 100 % RNR.

Je terminerai par le réacteur à sel fondu, très bien adapté au thorium. Sur le papier, il présente des avantages très intéressants. Il s'agit d'un réacteur très différent des réacteurs actuels, puisque le combustible est liquide et sert lui-même de caloporteur. Le concept est surgénérateur avec le cycle thorium. L'inventaire de matière fissile est de 5 tonnes par gigawatt électriques, à comparer aux 17 tonnes des réacteurs à neutrons rapides au sodium, soit 300 tonnes de matière fissile à l'équilibre dans le parc, soit la masse de plutonium d'aujourd'hui.

Le combustible liquide permet le retraitement en ligne. D'un point de vue théorique, il présente des avantages intéressants, parce qu'un combustible liquide peut être géré de façon très différente des combustibles solides, notamment dans des phases d'accidents.

M. Christian Bataille, député. Je vous remercie M. David pour cette présentation des plus pédagogiques. Je laisse à présent la parole à M. Thierry Dujardin, directeur adjoint, science et développement, à l'Agence de l'OCDE pour l'énergie nucléaire qui va nous présenter le forum international génération IV (GIF).

M. Thierry Dujardin, directeur-adjoint, science et développement, OCDE/AEN. Le GIF regroupe 13 pays, plus précisément 12 pays et la communauté européenne de l'énergie atomique Euratom, qui veulent coopérer en matière de R&D pour développer les systèmes d'énergie nucléaire du futur. Les neuf pays fondateurs ont commencé par définir ensemble des objectifs qu'ils partagent. On en compte deux en matière de développement durable, à savoir la meilleure utilisation des ressources naturelles et la minimisation des déchets ultimes à traiter. On notera qu'il s'agit d'une définition du développement durable différente de celle admise à l'OCDE, qui s'appuie sur les trois piliers de l'économie, de l'environnement et de l'aspect social. Le GIF a choisi de réduire le concept de développement durable à une meilleure utilisation des matières naturelles et la minimisation des déchets.

On compte également deux objectifs économiques, la compétitivité et la minimisation du risque financier, de façon à ce que le risque financier du développement d'un réacteur de génération IV ne soit pas supérieur aux autres risques financiers pris dans le développement d'autres sources énergétiques. Il s'agit d'un défi lorsqu'on sait l'importance du poids capitalistique, induisant des risques financiers majeurs, de l'énergie nucléaire.

On compte également trois objectifs en matière de sûreté et de fiabilité : un, une certaine excellence, deux, une faible probabilité d'accidents graves, et l'absence de nécessité de plan d'urgences externes, de façon à éviter toute conséquence hors site, trois, un objectif de résistance à la prolifération, pour éviter le détournement de matière et améliorer la protection physique.

Les neuf pays fondateurs ont commencé par élaborer une feuille de route technologique, de façon à identifier les systèmes les plus prometteurs. Ils sont partis d'une centaine de systèmes, pour en retenir six. Pour chacun, il s'agit d'identifier les besoins de R&D pour les faire progresser en vue d'une commercialisation éventuelle. Un planning de R&D est inclus dans cette technology world map, avec trois phases : viabilité, performance et démonstration, étant entendu que cette dernière ferait intervenir de l'ingénierie et des industriels.

Les quatre systèmes sont bien connus et vous les trouverez sur mes transparents. Pour des raisons de développement durable, on constate une large majorité de réacteurs à neutrons rapide, à cycle fermé. Il s'agit du SFR, du LFR, qui seront évoqués dans les présentations ultérieures. Le GFR est un réacteur à haute température visant un fonctionnement à 850°, refroidi à l'hélium, avec un combustible carbure et un gainage céramique, avec une boucle secondaire faite d'une turbine à gaz hélium/hydrogène, alimentant un échangeur pour faire de la vapeur et alimenter une turbine classique. Le réacteur à très haute température (VHTR) tend à fonctionner à 1000°, en étant refroidi à l'hélium. Son objectif premier vise à la production d'hydrogène, de façon à ce que l'énergie nucléaire puisse contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans le domaine des transports, au travers de l'utilisation de pile à combustible.

Le réacteur refroidi à l'eau supercritique (SCWR), fortement poussé par les Canadiens, vise à un fonctionnement avec de l'eau légère, à haute température, à 600°, en utilisant deux types de concepts, soit une cuve pressurisée, soit avec des tubes sous pression. Le MSR, lui, est un réacteur à sel fondu, dont la caractéristique est d'avoir un combustible nucléaire liquide.

Quelle a été la logique de la sélection pour les pays du GIF ? C'est d'abord l'espoir d'avoir des progrès significatifs dans les huit objectifs déterminés en commun avant cette sélection. C'est d'ouvrir des possibilités d'application différentes de la production d'électricité, en particulier la production d'hydrogène, éventuellement le dessalement ou la production de chaleur industrielle, pour utiliser les sables bitumineux et extraire du pétrole. C'est aussi disposer d'un choix suffisamment varié, de façon à avoir une capacité d'innovation. Un des objectifs du GIF était de viser à des ruptures technologiques, de ne pas rester dans la continuité des technologies actuelles. Les priorités nationales des pays membres ont été prises en compte, avec un calendrier à 2030 ou après, pour un déploiement commercial ou un début de déploiement industriel.

Cela dit, le comportement politique des différents acteurs a modifié cet agencement. Les Canadiens ont estimé que le SCWR était proche des réacteurs à eau légère, suivis par les Japonais, qui pensaient être prêts avec les réacteurs refroidis au sodium. L'administration Bush, qui visait à introduire l'économie de l'hydrogène, voulait un réacteur de génération IV qui produise de l'hydrogène rapidement, d'où le concept de NGNP défendu par le laboratoire d'Idaho. Le précédent Président de la République française a eu l'occasion d'annoncer qu'il voulait un réacteur prototype de génération IV aux alentours de 2020.

De telles démarches ont eu pour conséquence une réduction progressive des ambitions. Le réacteur à haute température est devenu moins haut en température. On a moins d'ambition pour le SCWR, etc. Elles ont impacté l'ambition initiale du GIF, qui entendait créer des ruptures technologiques de long terme.

Comment est organisé le GIF ? Son document fondateur est une charte, qui est une lettre de bonne intention entre pays qui veulent collaborer ensemble. Le GIF n'ayant pas de personnalité morale, n'est pas une organisation internationale. La charte définit les conditions d'accession, prévoit de coopérer au maximum avec ma propre agence et l'AIEA, pour tirer bénéfice de ce que font ces agences internationales. Il ne veut avoir ni budget propre, ni personnel permanent, ni bureaux indépendants. La charte définit sa propre gouvernance, avec un policy group qui est son comité de direction, qui s'appuie sur un groupe d'expérience. Elle a été signée pour dix ans en juillet 2001 par les neuf pays fondateurs, rejoints un par la Suisse, Euratom, la Chine et la Russie un peu plus tard. Elle vient d'être modifiée récemment, de façon à être prorogée pour une période indéterminée.

Comme le nucléaire est un sujet sérieux, les gouvernements ont demandé qu'un accord intergouvernemental cadre couvre l'ensemble de ces activités. Il a été signé en 2005 par cinq pays, puis est entré en vigueur le même jour, sauf pour le Royaume-Uni qui ne l'a pas ratifié. Depuis, la Suisse, la Corée du Sud, Euratom, la Chine, l'Afrique du Sud et la Russie ont accédé à ce traité. L'Argentine et le Brésil, qui avaient signé la charte au début, sont des membres non actifs au sein du GIF, mais gardent la possibilité d'y revenir. Quant au Royaume-Uni, il y participe au travers d'Euratom.

Cet accord cadre prévoit des agents de mise en oeuvre dans chacun des pays signataires, dont vous trouverez la liste dans mes transparents. Chaque pays avait la liberté de définir un ou plusieurs agents de mise en oeuvre.

En matière de gouvernance, un comité de direction s'appuie sur un comité d'industriels de haut niveau venant de chacun des pays du GIF. Pour chacun des six systèmes, un comité pilote l'ensemble des projets identifiés avec de forts besoins de R&D. Trois groupes transverses sont en place, un sur l'économie, un autre sur la résistance à la prolifération et la protection physique, et un troisième sur la sûreté. Ma propre agence fournit des services de secrétariat technique à l'ensemble des groupes techniques du GIF. Nous sommes financés par les pays du GIF, plusieurs pays au sein de mon agence ne voulant pas qu'une partie de leur argent soit détournée pour développer les technologies du futur.

Des arrangements systèmes ont également été définis, qui s'appuient sur un plan de recherche spécifique, lequel définit le fonctionnement d'un comité qui pilotera ces activités. Quatre arrangements système ont d'ores et déjà été signés, les partenaires variant de quatre à huit. Des projets ont été définis. Il s'agit d'engagements contractuels beaucoup plus précis, avec des calendriers, des ressources et des livrables qui traitent de la propriété intellectuelle dans chacun des systèmes.

Qui participe à quoi ? Quatre pays pour le GFR : Euratom, la France, le Japon et la Suisse. Un projet Conceptual Design & Safety sera signé prochainement par les mêmes quatre pays, le Japon ne souhaitant pas y participer. Le GFR devrait aussi bénéficier de recherches dans le cadre du GIF pour tout ce qui relève des composants et des matériaux à haute température, hors coeur.

Le LFR et le MSR sont moins dynamiques dans le cadre du GIF. Aussi n'y a-t-il pas de system arrangement signé par les pays, mais des memorandum of understanding signés par trois pays, dont Euratom, concernant le LFR, et la Russie.

S'agissant des réacteurs refroidis à l'eau supercritique, le Canada est un pays fortement impliqué, avec Euratom, le Japon et la Russie. Deux projets fonctionnent déjà très bien sur les matériaux spécifiques, l'eau supercritique à haute température posant beaucoup de problèmes de corrosion et présentant aussi une thermo-hydraulique très complexe dans certaines phases transitoires.

S'agissant de SFR, plusieurs projets sont en place, sur les combustibles avancés, la Chine et la Russie étant en train de définir leur contribution dans le futur. Le projet GACID vise à fabriquer des aiguilles de combustible avec des actinides mineurs, pour les irradier dans un autre réacteur, et les analyser après radiation. Component Design & Balance of Plant est un projet qui vise à travailler sur l'inspection en service et les méthodes de réparation. Pour le projet Safety & Operation, la Chine, Euratom et la Russie sont en train de définir leur contribution. Un projet doit prochainement démarrer sur l'évaluation globale et le system integration.

Huit pays participent au réacteur à haute température, de même que sur le volet production d'hydrogène et les Cycles, la Chine n'ayant pas encore défini sa contribution. S'agissant du projet sur les matériaux, une question se pose pour la participation de l'Afrique du Sud, le signataire PBMR ayant été dissous. Un projet sur les méthodes de validation devrait démarrer prochainement.

En conclusion, le GIF traduit une prise de conscience partagée par les pays membres de la nécessité de favoriser la renaissance du nucléaire. C'est une ambition très forte de rupture technologique, un cadre international robuste pour développer la R&D nécessaire. Le GIF n'a jamais eu l'ambition d'amener les six systèmes à maturité commerciale ou industrielle. S'il y aura immanquablement une sélection, le GIF a toujours exprimé qu'il ne fallait pas la faire trop tôt. C'est un consensus vers la famille des réacteurs à neutrons rapides avec cycles fermés, mais aussi un objectif de production d'hydrogène à haute température, et un outil qui permet d'amener de jeunes ingénieurs et scientifiques dans le secteur nucléaire, condition sine qua non pour que l'énergie nucléaire de demain soit correctement exploitée, ambition d'un certain nombre de laboratoires internationaux.

M. Christian Bataille, député. Merci M. Dujardin pour cet exposé très complet. Nous aurons à présent l'honneur d'entendre M. Jean-Claude Dupplessy, président de la Commission nationale d'évaluation (CNE), qui va expliciter les enjeux de la séparation-transmutation pour la gestion des déchets nucléaires.

M. Jean-Claude Duplessy, président de la Commission nationale d'évaluation (CNE). Ce n'est pas à vous, bien entendu, que je vais expliquer ce qu'est la commission nationale d'évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et des déchets radioactifs. Vous en avez été l'un des créateurs. La CNE, je le rappelle, n'est pas un acteur de la loi. Nous ne sommes pas des promoteurs de quoi que ce soit. Notre travail est de réaliser une évaluation scientifique des activités de recherche, d'étude, des acteurs de la loi, préférentiellement le CEA et l'ANDRA, mais aussi tous les organismes qui travaillent avec eux, en particulier les universitaires, le CNRS, mais aussi EDF et AREVA.

Je vais vous présenter le résultat des auditions des années 2010-2011, lors desquelles nous avons écouté, à l'occasion d'une vingtaine d'auditions, les acteurs de la loi. Il ne s'agit pas de faire table rase, étant entendu qu'on disposait d'acquis de vingt ans de recherche dans le cadre de la loi de 1991, qui s'est achevée en 2005, et de la loi de 2006, actuellement en cours.

S'agissant de la partie séparation, toutes les recherches menées au cours de ces vingt dernières années ont démontré la faisabilité scientifique et technique de la séparation. Les travaux menés au CEA, souvent en collaboration avec des équipes universitaires, ont permis de mettre au point des molécules capables de résister à la radiolyse, d'autre part d'extraire sélectivement l'uranium, le plutonium, le neptunium, l'américium et le curium. On dispose de tout un lego qui permet de séparer ces éléments unitairement, ou le plutonium d'un côté et tous les actinides mineurs ensembles. Toute la panoplie est disponible.

S'agissant de la transmutation, par contre, on est bien moins en avance. Les irradiations qui ont été effectuées dans Phénix ont prouvé la faisabilité scientifique de la transmutation. Cela dit, nous n'en sommes pas arrivés au stade industriel. Reste à démontrer qu'une stratégie de transmutation et multirecyclage des actinides - plutonium et actinides mineurs - est possible à l'échelle industrielle pour produire de l'électricité, économiser la ressource en uranium en utilisant un combustible à base de Plutonium et d'Uranium 238, et transmuter, en fonction des besoins, tout ou partie des actinides mineurs.

Notre analyse peut s'apprécier en se focalisant sur deux aspects : minimiser les déchets, objectifs des lois de 1991 et de 2006, et économiser la ressource, dans la mesure où nous sommes dans un monde où l'économie ne doit pas être oubliée. S'agissant des ressources, les REP utilisent la fission de l'uranium 235 qui représente moins de 1% du minerai. Par ailleurs, ils produisent des actinides dont le plutonium, de l'ordre de 10 tonnes par an pour le parc français actuel. Point important : les REP ne sont pas capables de multirecycler les actinides. Le combustible Mox - mélange d'oxydes d'uranium et de Plutonium - n'est utilisable qu'une fois en REP en raison de la dégradation de la composition isotopique du Plutonium au fur et à mesure du temps.

S'agissant des déchets, le stockage des déchets du parc actuel ne prend pas en compte le plutonium, considéré comme une ressource. Il prévoit de stocker en couche géologique profonde les produits de fission et les actinides mineurs bloqués dans des verres.

Dans le futur, si l'on ne veut pas mettre aux déchets les combustibles usés et tous les actinides, il faut envisager de transmuter les actinides dans des RNR, soit par un scénario à double strate découplant la production d'électricité de la transmutation des actinides produits - ce sera l'objet de l'exposé de M. Hamid Aït Abderrahim - soit en faisant appel à un parc de RNR électrogènes, capables de multirecycler le plutonium et les actinides mineurs.

Minimiser les déchets et économiser la ressource avec des RNR ? Les RNR peuvent utiliser le plutonium comme élément fissile sur support d'uranium 238. Il reste à démontrer leur capacité à être alimentés par leurs propres actinides pour fabriquer un cycle fermé. Le plutonium deviendrait la matière fissile et les actinides mineurs seraient transmutés à leur tour pour stabiliser leur quantité dans le cycle. Cette dimension de stabilisation, j'y reviendrai, est essentielle.

La réalisation d'un tel cycle fermé permettrait de s'affranchir de l'industrie minière et de ses déchets. En outre, elle assurerait une indépendance énergétique de la France sur le très long terme.

Cela dit, de nombreuses études doivent être conduites. On a d'abord besoin d'un exemplaire de réacteur à neutron rapide. Le prototype Astrid, RNR de quatrième génération, est destiné à démontrer la faisabilité du multirecyclage de tous les actinides. La CNE, depuis plusieurs années, considère sa construction, prévue par la loi de 2006, comme indispensable à la recherche française.

Par ailleurs, ce prototype devra être associé à un pilote de retraitement permettant de tester les performances d'une chaîne complète de retraitement intégrant la séparation des actinides et la fabrication d'un nouveau combustible. Il doit également servir à démontrer que les actinides mineurs que l'on souhaitera transmuter, pourront subir un traitement adéquat pour leur conditionnement et leur transmutation.

J'en viens à la stabilisation des quantités d'actinides dans le cycle, dans le cadre d'une stratégie de séparation-transmutation (ST). Tout système transmuteur consomme du plutonium et des actinides mineurs en même temps qu'il en produit. Par conséquent, quelle que soit la technologie mise en oeuvre, la transmutation sera un processus lent. Il faudra plusieurs dizaines d'années pour stabiliser l'inventaire en plutonium et en actinides mineurs dans le cycle. Mais cette stabilisation est possible avec des RNR.

Le raisonnement s'applique à tous les actinides : le plutonium et les actinides mineurs. Il ne faut cependant pas oublier que le plutonium représente environ 90% des actinides du combustible usé. Du coup, l'option de la transmutation des actinides mineurs pour optimiser le bilan radiotoxique des déchets n'a de sens que si l'on envisage d'abord de gérer le plutonium, dont les quantités sont dix fois plus importantes que celles des actinides mineurs.

Que montre une comparaison de trois parcs de 430 térawattheures annuels ? Avec les REP, on se retrouve en 2150 avec 1 900 tonnes de plutonium accumulé, étant entendu qu'on continuera à avoir besoin de mines d'uranium, d'enrichissement et de retraitement. Les déchets seront constitués de plutonium, l'uranium appauvri et les résidus miniers. En passant à une stratégie REP, utilisant le recyclage dans les mox, en 2150, ce seront 1 300 tonnes de plutonium qui se seront accumulés. Mêmes problèmes pour l'approvisionnement en uranium - mêmes types de déchets. Avec les RNR, ce ne seront plus que 900 tonnes de plutonium qui seront, en 2150, recyclés en permanence, soit dans les réacteurs eux-mêmes, soit dans les usines de retraitement. Il faudrait 50 tonnes d'uranium appauvri par an, pour fournir l'uranium 238. En France, il faut savoir que nous en disposons de plus de 200 000 tonnes, et dont on sera heureux de se débarrasser car ne rien en faire en fait un déchet. En termes de déchets, il faudra gérer la fin de cycle, en utilisant par exemple les réacteurs ADS (accelerator driven system) dont le projet Myrrha sera une illustration.

Cela dit, La stratégie S-T n'a de sens qu'appliquée d'abord au plutonium, qui représente 90 % des actinides. Elle repose sur une vision à très long terme d'une production d'électricité nucléaire : la transmutation est un processus lent et il faut du temps pour en tirer le plein bénéfice.

Au plan de la recherche, il est absolument impératif de disposer d'Astrid au plus près des délais impartis. La démonstration de la stratégie S-T ne peut être conduite que si un pilote de retraitement est associé à Astrid. Il faut être conscient que le pilote est indispensable pour réaliser des tests, motiver la communauté scientifique, et faire en sorte que l'expérience et tout l'acquis des recherches depuis une cinquantaine d'années ne soit pas perdu. Les gens vieillissent, partent en retraite. Et c'est un fait que les gens qui ont de l'expérience deviennent de plus en plus rares. Si on ne les motive pas, nous n'aurons pas de jeunes pour prendre le relai et être encadrés par des gens compétents.

Un programme de recherches ambitieux est nécessaire pour apporter à ce nouveau RNR toutes les innovations indispensables. La logique de la recherche doit ici être dissociée de la logique industrielle, qui vise à vérifier au plus vite que le prototype pourra fournir de l'électricité avec les meilleurs rendements. La recherche a ses exigences. L'enjeu pour la France est de conserver son avance scientifique et technologique dans la maîtrise du cycle du combustible en assurant maintenant sa fermeture, ce que l'EPR ne permet pas.

En termes de déchets, la stratégie S-T ne concerne pas les déchets du parc actuel qui sont vitrifiés et prévus pour le stockage géologique profond. Appliquée aux réacteurs à venir, elle minimise les déchets et réduit leur radio-toxicité, mais ne les supprime pas. Il y aura toujours des radio-éléments à vie longue à mettre en stockage géologique profond : produits de fission, actinides mineurs qui ne pourraient être transmutés industriellement, pertes en cours de traitement chimique. Elle aura néanmoins un impact sur le futur stockage des déchets en réduisant son emprise, la thermique et les volumes excavés.

M. Christian Bataille, député. Je vous remercie. Je donne la parole à M. Christophe Béhar, directeur de l'énergie nucléaire du CEA qui va faire un point sur la R&D et la coopération internationale dans le domaine des réacteurs de quatrième génération, et plus particulièrement le réacteur à neutrons rapide à fluide caloporteur sodium.

M. Christophe Béhar. J'ai souhaité organiser mon exposé en trois points. Le premier sera un rappel rapide sur la raison pour laquelle la France souhaite développer une technologie liée aux neutrons rapides. La deuxième porte sur la stratégie française concernant la quatrième génération. Il a été décidé de travailler sur deux filières de réacteurs à neutrons rapides, ceux refroidis au sodium, mais aussi au gaz. J'expliquerai pourquoi n'ont pas été retenues dans les travaux menés au sein du CEA les études sur les réacteurs à neutrons rapides refroidis au plomb ou à fluide supercritique. Nous menons à bien des études et des développements qui sont pour certains en rupture complète, ce que j'illustrerai par deux exemples relatifs aux réacteurs à neutrons rapides qui ont été déployés ou qui en sont en déploiement, par exemple en Russie. Ma troisième partie portera sur les partenariats et les marchés. Nos partenariats montrent à l'évidence que nous ne sommes pas seuls à mener à bien des actions de R&D au niveau mondial, en particulier sur les réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium. Je vous ferai ainsi part des accords de coopération que nous développons en matière de R&D, et du travail que nous menons à bien avec des industriels français, mais aussi étrangers, pour le développement du réacteur à neutrons rapide prototype ASTRID.

Premièrement, pourquoi un réacteur à neutrons rapides (RNR) ? C'est d'abord la possibilité de consommer le plutonium produit par le parc avec recyclage total des matières énergétiques contenues dans les combustibles. C'est ensuite une optimisation de la ressource uranium naturel avec une valorisation optimale de l'uranium extrait. C'est enfin la possibilité de réduction de l'inventaire des déchets de très haute activité et à vie longue par recyclage des actinides mineurs dans le cadre de la loi du 28 juin 2006 sur la Gestion durable des déchets et matières radioactives.

Il faut noter que nous avons choisi des RNR et non des technologies de type ADS. Deux raisons nous ont conduits à faire ce choix. La première est que la quantité réelle d'actinide transmuté est assez identique, qu'il s'agisse d'ADS ou de RNR. La deuxième est que nous estimons que le coût des ADS est supérieur à celui des RNR.

Quelle est notre stratégie en matière de développement de réacteurs de quatrième génération ? Le forum international Génération IV, dont j'ai l'honneur d'être un vice-président, a défini voilà très longtemps, quatre filières de RNR, qui sont refroidis soit au gaz, au sodium, au plomb ou au plomb bismuth, et au sel fondu. Pour nous, le dernier type de réacteur, s'il se fait, débouchera sur un prototype très tardivement. Il nous restait donc les trois premières technologies de réacteurs. Nous n'avons pas retenu la technologie des réacteurs refroidis au plomb ou au plomb bismuth pour plusieurs raisons. La première est qu'il est nécessaire de gérer partout très finement la quantité d'oxygène dissoute. A défaut, nous courrons au devant de très grands problèmes de corrosion. La deuxième est que le bismuth sous irradiation s'active très fortement. La troisième est que ce type de caloporteur ne permet pas d'avoir des réacteurs de forte puissance. Enfin, le bismuth n'est pas un matériau si répandu au niveau terrestre.

Nous avons donc décidé de concentrer nos efforts sur deux filières, celle refroidie au gaz, et celle refroidie au sodium. Dans le RNR gaz, qui est pour nous une option à plus long terme, dans la mesure où le réacteur fonctionnera à haute température, nous travaillons sur deux sujets qui sont pour nous des verrous technologiques. D'une part les matériaux, puisque nous devons disposer des matériaux qui tiennent à haute température ; d'autre part, la sûreté. Avec un réacteur à gaz, la problématique de la sûreté est importante.

Si ce réacteur voit le jour, il sera construit sous forme d'un prototype de l'ordre de 80 à 100 mégawatts thermiques à l'est de l'Europe. Trois pays se sont déclarés candidats pour voir un tel type de réacteur à l'horizon 2025, plus vraisemblablement 2030.

Le RNR sodium est pour nous une filière de référence, avec un prototype ASTRID dont je vais préciser le planning. Nous avons un point de rendez-vous avec l'État en 2012, où nous allons présenter pour les deux filières un dossier d'orientation, qui comprendra trois éléments : les aspects techniques, de coût et de planning. Le dossier d'orientation relatif au RNR gaz sera moins précis pour des raisons évidentes, dans la mesure où nous sommes toujours sur des études amont, que celui du RNR sodium. Nous ne prenons en compte que des options techniques, en rupture forte. Je l'illustrerai avec la problématique du tertiaire en matière d'échangeurs, mon objectif étant de supprimer à terme les problématiques d'interactions sodium-eau, mais aussi avec la question de la sûreté du coeur du réacteur. Même si nous devons encore poursuivre des expérimentations, je vous dirai pourquoi nous avons développé un coeur plus sûr.

J'en viens au planning d'ASTRID. L'année 2012 sera celle du dossier d'orientation et de la décision de poursuite des études. Un premier axe est lié au développement du réacteur lui-même, le deuxième au cycle associé au réacteur. M. Duplessy a souligné qu'il était nécessaire de développer simultanément le cycle du combustible associé - ce que nous faisons. Les études doivent se poursuivre jusqu'en 2017, où la décision de construction doit être prise, pour un réacteur divergent aux alentours de 2025.

Simultanément, nous travaillons sur le cycle du combustible associé à ce réacteur, au travers de deux installations importantes : d'abord un atelier de fabrication des coeurs, le coeur utilisé, mélange d'uranium appauvri et de plutonium, étant spécifique, d'autre part, un pilote de traitement pour démontrer le multirecyclage du plutonium et la possibilité de transmuter à plus grande échelle du combustible chargé en actinides mineurs.

J'en viens aux axes de R&D. De quelle manière les avons-nous définis ? L'approche a été très simple. Nous avons utilisé à plein le retour d'expérience dont nous disposions, en France, mais aussi à l'étranger, dans des constructions passées ou dans des réacteurs opérationnels, comme le BN600 russe. De ce retour d'expérience, nous avons examiné quelles étaient les points durs que nous pouvions retenir. Je citerais la réactivité des coeurs de RNR, la réaction sodium-eau et la problématique des accidents graves. Nous avons bien entendu d'autres axes de R&D, en particulier sur les problématiques de réparabilité, d'inspection en service, problématiques déjà citées par M. Dujardin.

Ces axes de R&D étant définis, je souhaite traiter, avant de les approfondir, quelques points particuliers, et d'abord la question de la sûreté dans les réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium. En cas de problème de type Fukushima, que se passerait-il, me demande-t-on souvent ? Ces réacteurs ont une très grande inertie thermique. A Fukushima, on s'en souvient, les barres de contrôle sont tombées. Le réacteur s'est très bien comporté sous l'aspect sismique. Le problème rencontré à été celui de l'évacuation de la puissance résiduelle. Dans les RNR refroidis au sodium, la puissance résiduelle ne peut commencer à poser problème qu'au bout d'un temps beaucoup plus long que pour les réacteurs à neutrons lents refroidis à eau. Et cela, pour deux raisons. D'abord, parce que nous avons une quantité de sodium dans le coeur qui est plus importante que celle de l'eau, mais surtout, que la différence entre la température de fonctionnement du sodium et sa température d'ébullition est très importante. Pour porter cette masse de sodium et les internes qui constituent le réacteur à la température d'ébullition, comme ce qu'on a vu à Fukushima, on dispose donc d'un temps beaucoup plus long.

La deuxième raison, au moins aussi importante, est qu'il est possible d'avoir dans ce type de réacteurs des mouvements de convection naturelle. Le sodium se met en mouvement naturellement pour évacuer la puissance résiduelle du coeur. Il va évacuer cette puissance vers un système complètement passif, qui permet par circulation de sodium et par effet thermo siphon, d'évacuer cette puissance résiduelle vers une cheminée à l'air, sans aucun ventilateur. Ce type de système a été testé dans les constructions que nous avons réalisées en France. Nous savons qu'il fonctionne.

J'en viens à deux axes de R&D spécifiques. Un de nos problèmes a été de savoir comment traiter l'interaction sodium-eau. Pour traiter cette problématique, nous avons retenu trois voies. La première consiste à faire en sorte que la quantité de sodium qui pourrait interagir avec l'eau soit limitée, voie qui nous conduit à mettre en place des échangeurs segmentés. Il ne s'agit pas d'évacuer toute la puissance par un seul échangeur, mais de l'évacuer par plusieurs échangeurs séparés les uns des autres. Du coup, l'éventuelle interaction entre le sodium et l'eau sera fortement diminuée, les masses en présence de l'un et de l'autre étant faibles. Cette solution sera probablement utilisée au démarrage d'ASTRID.

La deuxième solution est plus lointaine, et illustre bien que nous sommes en situation de rupture de R&D. Ces idées, nous pensons les tester aux alentours de 2020, sur ce réacteur ou à côté, dans des conditions représentatives, la mise en oeuvre opérationnelle devant avoir lieu en 2040. Il s'agit donc de remplacer l'eau par un gaz, l'azote. Cela suppose de travailler sur un échangeur sodium-azote, d'autre part sur une turbine qui pourra prendre l'azote chaud, et transformer son énergie en électricité. Une telle solution supposera une collaboration très forte avec Alstom.

La troisième solution consiste à conserver un réacteur à sodium, utiliser du plomb bismuth, de l'eau, puis une turbine.

Voilà un premier type de travail de rupture par rapport à ce qui prévalait antérieurement, et un domaine où nous avons conservé des marges de progrès très importantes, en suivant des axes de R&D.

J'en viens au sujet de la sûreté dans les RNR et de la problématique liée à la question suivante : que se passe-t-il si l'on enregistrait dans un coeur de RNR refroidi au sodium une augmentation de température ? Dans les coeurs classiques, il pourrait y avoir une croissance de la population de neutrons, liée à l'effet de vidange, donc une croissance de la puissance nucléaire engendrée. Dans le coeur que nous avons développé, et sur lequel nous avons commencé à faire de la validation expérimentale, après avoir réalisé beaucoup de calculs, nous avons traité cette problématique de coefficient de vidange et d'emballement de la réaction nucléaire suite à une augmentation de la température par au moins deux effets. Le premier est un effet de topologie, le coeur innovant disposant d'une couche de sodium au dessus de la matière fissile, et un absorbant neutronique au-dessus. Le deuxième est la mise en place d'un plenum sodium, c'est-à-dire la présence d'un grand volume de sodium en sortie. C'est un deuxième exemple d'avancée significative et d'innovation dans le domaine des RNR sodium.

J'en viens à la question des collaborations internationales, en matière de R&D, mais aussi industrielles. S'ajoutent aux collaborations que nous développons au sein du forum international Génération IV sur la filière sodium, les collaborations bilatérales ou trilatérales avec le Kit, Rosatom et la Japan Atomic Energy Agency. Nous avons des collaborations limitées avec l'Inde, qui n'a pas ratifié le traité de non prolifération. Nous travaillons avec ce pays dans le domaine de la sûreté, mais aussi des études fondamentales sur les RNR sodium. Nous avons des collaborations bilatérales avec la Chine et les Etats-Unis. Dans le domaine industriel, nous avons des collaborations avec un ensemble d'entreprises françaises, Edf, Arera, la Comex et Alstom. Nous avons avec nous des industriels européens, comme Rolls Royce, des collaborations industrielles avec Toshiba. Nous constatons qu'un ensemble d'industriels nous rejoignent pour travailler sur ce prototype ASTRID.

Je terminerai par quelques remarques de bon sens. Pour les RNR, les gros marchés sont en Chine et en Inde, dans une moindre mesure en Russie. Certes, les aspects économiques sont importants. Mais la dimension d'autonomie énergétique va peser très lourd dans ces pays. Nous possédons une avance concurrentielle extrêmement importante, que nous sommes en train de capitaliser au travers des études que nous menons sur ASTRID. Il est essentiel de ne pas perdre cette avance que l'ensemble du monde nous reconnaît.

M. Christian Bataille, député. Merci M. Béhar pour cet exposé. Nous avons le plaisir d'accueillir M. Hamid Aït Abderrahim, directeur général adjoint du centre de recherche nucléaire de Belgique (SCK-CEN) et directeur du projet MYRRHA dont il va nous exposer les objectifs.

M. Hamid Aït Abderrahim, directeur général adjoint du SCK-CEN (centre de recherche nucléaire de Belgique) et directeur du projet MYRRHA. Le projet MYRRHA est une grande infrastructure de recherche que la Belgique veut développer dans un contexte européen, qui concerne les technologies du nucléaire du futur à spectre rapide et la problématique des déchets nucléaires.

Si l'on veut que le nucléaire soit présent dans le futur, il doit répondre au problème des déchets nucléaires. Ainsi, on ne parvient pas à faire accepter la décision sur le stockage géologique, même si des solutions techniquement acceptables existent. Sur le long terme, la gestion de la ressource est importante, comme l'amélioration de la sûreté et du risque de prolifération, point sur lequel je ne m'attarderai pas.

Sur le plan international, l'Agence internationale de l'énergie affirme qu'il faut, pour le nucléaire du futur, investir avant tout dans la R&D. Le nucléaire du futur, ce sont les réacteurs rapides et la fermeture du cycle du combustible. Par ailleurs, ce développement ne doit pas se faire seulement au niveau de la R&D, sans impliquer les industriels avec nous dès le départ. Il ne faut pas inventer des solutions qui n'intéressent pas le déploiement industriel.

Cela dit, le dossier MYRRHA a été sélectionné en 2010 par l'Union européenne sur la liste ESFRI (European Strategy Forum on Research Infrastructures), relative aux grandes infrastructures de recherche que l'Europe doit développer. Il est également repris sur le plan de l'énergie dans la plate-forme technologique SNETP. De notre côté, on estime qu'on a besoin en Europe occidentale avant toute chose de réacteurs de recherche à spectre rapide pour effectuer tout le développement dont on a besoin, tant un outil expérimental à spectre rapide et flexible est un besoin primordial. Aujourd'hui, on ne dispose que d'une seule infrastructure en fonctionnement dans le monde, en Russie.

S'agissant de la problématique des déchets, que voulons-nous faire avec MYRRHA ? Nous voulons une démonstration de l'utilité du concept ADS dans une logique à double strate, qui retraiterait les déchets nucléaires en dehors du circuit de production d'électricité. La décision n'est pas seulement technique, mais aussi économique. Pour pouvoir répondre à cette question, nous pensons qu'il est absolument nécessaire de faire une démonstration à une échelle qui puisse permettre la projection à l'échelle industrielle. C'est la raison pour laquelle nous visons autour de 100 mégawatts thermiques pour le réacteur sous-critique, avec un accélérateur qui aura toute les caractéristiques nécessaires pour pouvoir projeter la machine industrielle.

Dans les filières à spectre rapide, la référence est le sodium. C'est le cas pour notre plate-forme technologique SNETP et dans l'initiative industrielle à laquelle nous sommes associés avec nos collègues du CEA. ASTRID est le prototype industriel le plus avancé. Comme il ne faut jamais mettre ses oeufs dans le même panier, nous avons voulu travailler sur des technologies dites de backup, comme le gaz à spectre rapide et le plomb, ou plomb bismuth. MYRRHA pourrait jouer le rôle d'un prototype technologique pour la filière au plomb. La contribution à la démonstration du plomb pourrait être faite grâce à MYRRHA qui est conçue pour pouvoir fonctionner de façon critique ou sous-critique. Pour pouvoir travailler sur une filière à industrialiser, il faudrait crédibiliser la filière.

C'est la raison pour laquelle un de nos objectifs est de démontrer que le plomb est une alternative crédible à la filière sodium. M. Béhar a mis en avant la rareté du bismuth, qui justifierait de passer à la filière plomb. La démonstration technologique au plomb bismuth nous permet de le faire plus rapidement, compte tenu des températures de fonctionnement du caloporteur. La température de fusion y est de 123 °, à comparer à 370 ° pour le plomb pur. La température d'ébullition du caloporteur est de 1 700°. La marge par rapport à la sûreté intrinsèque pour la chaleur résiduelle est encore plus grande dans le cas du plomb. Les problèmes de corrosion doivent naturellement être maîtrisés.

MYRRHA a été conçu pour être une machine d'irradiation qui remplacerait notre grand réacteur de recherche BR2. Comme nous ne voulons pas reproduire ce qu'on a fait chez nous en 1962, nous entendons construire quelque chose d'utile à l'international, raison pour laquelle nous avons choisi un spectre rapide expérimental, qui aura la même flexibilité que le BR2, mais qui élargira le portefeuille de recherche que nous faisons dans notre réacteur.

Ce projet a été régulièrement soumis à une évaluation internationale. Notre gouvernement a pris la décision en 2010, après avoir demandé une évaluation indépendante à l'Agence de l'énergie nucléaire de l'OCDE. La conclusion est que MYRRHA pouvait répondre au cahier des charges qu'on s'était donné. Néanmoins, ce comité a aussi fait certaines remarques, sur l'attention à porter à certains risques technologiques présents dans notre projet. MYRRHA est un réacteur sous-critique de 100 mégawatts, piloté par un accélérateur linéaire délivrant 600 MeV d'énergie et 4 mA de courant. C'est un accélérateur très puissant, qu'on trouve dans d'autres pays. Ce sont des technologies, il faut le souligner, où les meilleurs sont des Européens, et je pense à nos collègues du CEA ou de l'IN2P3. Il faut bien être conscient que nous avons des champions en Europe, message que l'on veut faire passer auprès des politiques. Nous avons les compétences dans tous les différents domaines de technologie. Ne nous laissons pas dépasser par les Chinois, les Indiens ou d'autres. Nous avons les billes en mains pour être les premiers de la classe.

MYRRHA doit répondre à un certain nombre de défis, pour la fission, la fusion, la recherche fondamentale, les énergies renouvelables, en produisant du silicium dopé, ou pour la santé, en faisant des radio-isotopes.

Pour tous ces défis, MYRRHA peut apporter une partie de la solution. Quel calendrier ? Nous sommes dans la phase 2010-2014. Suite à l'évaluation de l'OCDE, le gouvernement belge a pris la décision de financer MYRRHA à hauteur de 40 %. Nous devons assurer le complément à l'international. Il nous a accordé un premier budget pour cette période de 60 millions d'euros pour répondre au défi de la minimisation des risques technologiques, que ce soit pour l'accélérateur ou le coeur sous-critique. Il faut par ailleurs garantir que cette machine sera autorisée par l'autorité de sûreté, donc obtenir un premier avis positif pour 2014. Enfin, nous devons sécuriser une gestion du projet de façon performante et garantir que le consortium sera établi pour 2014.

D'aucuns estiment qu'il s'agit d'un gros projet pour un petit pays. Ce n'est pourtant que 32 M€ par an à dépenser, la Belgique dépensant 1,1 milliard d'euros par an pour sa compagnie ferroviaire. Comment imaginons-nous le consortium pour la première phase de construction ? Aujourd'hui, la Belgique est le premier investisseur. Nous voulons garder une dimension européenne au projet, raison pour laquelle nous visons une participation à hauteur de 30 % de l'Europe, entre les pays membres et la Commission européenne. Nous regardons vers l'Asie, la participation étant limitée à 20 %, pour conserver sa dimension européenne au projet. Nous sommes en négociation avec d'autres pays, comme le Japon, les États-Unis ou le Kazakhstan.

Une fois construite, cette machine sera une grande infrastructure ouverte, qui comprendra des programmes exécutés pour les membres du consortium, où l'information sera limitée, mais partagée entre les membres. L'information sera ouverte pour 25 % des travaux réalisés, étant entendu qu'une partie sera assurée par des financements européens. Il y aura également une information partagée sur des projets de recherche collaborative, entre des partenaires finançant cette recherche. Enfin, une partie sera purement commerciale et industrielle, les résultats étant réservés à ceux qui auront payé la recherche.

L'avantage de figurer dans les pays qui auront participé à l'investissement est qu'ils auront le droit de définir le programme de recherche, la part des quatre types d'activités, et, dans l'hypothèse où l'on ferait un revenu commercial supérieur, un droit de tirage qui sera moins coûteux.

Le réseau de participation dans le projet MYRRHA est assez large, impliquant des industriels et centres de recherche européens et un important réseau d'universités. N'oublions pas que nous avons besoin d'une nouvelle génération de chercheurs et d'ingénieurs disposant de compétences dans le domaine nucléaire. Nous avons donc établi, dès le départ, un grand réseau de collaboration avec les universités. Au-delà de l'Europe, nous sommes en discussion avec des institutions en Corée, au Japon, aux États-Unis, en Chine, et au Kazakhstan.

Le gouvernement belge a clairement annoncé qu'il ouvrait le projet à la collaboration internationale. Une participation au projet en nature ou bien financière est attendue. Jusqu'à fin 2014, notre objectif est de collecter des lettres d'intention. Nous avons signé des protocoles d'accords avec différents partenaires de recherche, sachant très bien que les pays s'appuieront sur des acteurs nationaux qui feront des contributions en nature vers certaines grandes infrastructures. Notre objectif est donc d'avoir ces lettres d'intention pour finaliser le cadre légal que nous proposerons à cette grande infrastructure de recherche fin 2014.

Cette technologie du nucléaire du futur se fera dans une collaboration internationale. En matière de séparation et transmutation, nous avons besoin de plusieurs briques, d'un atelier de retraitement avancé et d'un transmuteur dédié. Tous les développements en cours sont des éléments de recherche qui définiront la filière d'industrialisation. Ce faisant, la Belgique apporte sa pierre à l'édifice de la technologie en proposant un tel projet à la communauté internationale, plus particulièrement à la communauté nucléaire de l'Europe.

M. Christian Bataille, député. Nous disposons en effet en Europe d'une avance importante dans le domaine des recherches les plus innovantes qu'il faut conserver, face à des concurrents redoutables, notamment en Asie, qui entendent prendre la direction des opérations. Je donne enfin la parole à M. Pascal Garin, directeur adjoint pour la France du projet ITER qui va nous en présenter les enjeux.

M. Pascal Garin. Je présenterai le projet ITER et les projets qui sont associés aux recherches menées actuellement à l'échelon international dans le domaine de la fusion.

La fusion est une énergie nucléaire, au même titre que la fission, dont les technologies et les moyens de production sont radicalement différents. Il ne s'agit pas de casser des noyaux, mais de fusionner des noyaux légers, en l'occurrence de l'hydrogène et ses deux isotopes, de façon à générer de l'énergie par défaut de masse.

Cette énergie est particulièrement concentrée dans la fusion, dans la mesure où l'énergie qui lie les particules qui constituent le noyau est très importante pour les noyaux légers. L'énergie que l'on dégage en fusionnant ces noyaux est beaucoup plus importante que celle qu'on récupère pour un même noyau, par exemple en cassant de l'uranium ou du thorium.

Il existe plusieurs manières de produire de la fusion. Les étoiles nous le montrent, par leur masse énorme et la compression gravitationnelle qui en résulte, qui permet d'atteindre des températures très élevées. Aussi produisent-elles naturellement de l'énergie par la fusion des noyaux en leur coeur.

Ce ne sont bien évidemment pas des méthodes utilisables sur Terre, dans la mesure où les distances nécessaires sont inatteignables. Il existe deux technologies complémentaires ou concurrentes. La première est mise en oeuvre dans deux installations, l'une aux États-Unis, la National Facility, et l'autre au sud de Bordeaux, le Laser Mégajoule (LMJ). Elle consiste à fusionner une petite bille de matériau en la compressant par des faisceaux lasers de très grande intensité, pendant des temps très courts.

Mais je parlerai d'une autre technologie, le confinement magnétique, qui tend à isoler le gaz très chaud qu'on a besoin de créer au sein d'un champ magnétique très intense, qui permet d'isoler thermiquement ce gaz porté à des températures de plus de 100 millions de degrés pour l'entourer. Ces technologies sont complexes, mais présentent des avantages très intéressants à long terme, dans la mesure où le combustible utilisé pour la fusion est essentiellement de l'eau et du lithium. Pas plus de 45 litres d'eau, soit la moitié d'une baignoire, associé au lithium d'une batterie d'ordinateur portable, vous permet d'assurer la fourniture en électricité pour une trentaine d'années d'un citoyen européen. C'est donc une concentration très importante d'énergie, grâce aux propriétés de la matière.

La deuxième caractéristique, et la raison pour laquelle la fusion est considérée comme une option intéressante à long terme, est le fait que peu de déchets sont générés par la filière fusion, et pas de déchets à haute intensité.

La troisième caractéristique, importante dans les temps que nous traversons, est la sûreté intrinsèque, à savoir qu'il n'y a pas de chaleur résiduelle dans un réacteur de fusion, dans la mesure où la quantité de combustible présent dans le réacteur est de quelques grammes. Une des difficultés qu'on rencontre dans ces machines est qu'il faut porter à haute température et maintenir la réaction, démarche compliquée. Les réacteurs de fusion ne génèrent pas de gaz à effet de serre, de par l'absence de brulage de matériaux produisant du CO2.

Cela dit, la stratégie de développement de la fusion est une stratégie à très long terme, différenciée selon les partenaires mondiaux. Pour l'Europe et le Japon, qui possèdent peu ou pas de ressources naturelles, l'accent est essentiellement porté sur la production d'énergie. L'application des recherches qui sont menées sur la fusion par ces deux partenaires concerne clairement la génération d'énergie le plus rapidement possible. Ce n'est pas le cas des États-Unis qui, disposant de ressources naturelles sur leur territoire, ont plutôt axé les recherches sur la fusion vers la science. Même s'ils contribuent au projet ITER, leurs propres recherches s'intéressent essentiellement à la physique des plasmas.

ITER est la première étape de ces recherches et constitue la démonstration scientifique visée par cette installation internationale. L'objectif principal est de démontrer qu'on peut générer de l'énergie de fusion à une puissance significative, de l'ordre de 500 mégawatts thermiques sur des durées significatives, qui se chiffrent en des milliers de secondes. La communauté scientifique estime qu'il s'agit de la première étape à franchir, dans la mesure où il faut être capable de démontrer qu'on sait maîtriser ce gaz très chaud, qu'il faut stabiliser. Il faut également échanger la chaleur générée par les réactions de fusion au travers des éléments matériels qui entourent le plasma. C'est l'objectif principal de cette installation, qui est d'en faire la démonstration scientifique.

La deuxième étape, prévue après la construction d'ITER, qu'on a appelé Démo, est la réalisation d'un démonstrateur technologique, qui vise à intégrer dans cette machine la totalité des technologies nécessaires pour faire de l'électricité. Si ITER ne produira pas d'électricité, Démo en produira, de façon non fiable, dans la mesure où il ne s'agit pas d'une machine industrielle. Ce démonstrateur devrait intégrer des matériaux qui résistent à des flux neutroniques intenses, dans la mesure où les neutrons produits par réaction de fusion sont de 14 MeV, et dégagent une énergie beaucoup plus importante que celle produite par les réactions de fission. Il est donc important de vérifier qu'on est capable de construire une machine qui résiste à ces flux de neutrons, ainsi qu'aux charges thermiques générées par les réactions de fusion et dans son échange avec les parois matérielles.

Autre aspect important dans Démo : le cycle du combustible. La fusion utilise essentiellement du deutérium, qui est un des isotopes de l'hydrogène, et du lithium comme combustible primaire. Il faut bien s'assurer que ces deux combustibles associés dans le cycle interne de la machine, peuvent générer du tritium, élément temporaire utilisé dans les réactions de fusion. Ce cycle ne sera que partiellement vérifié dans ITER. Démo devrait donc être une machine qui permette de faire cette démonstration. Il sera logiquement suivi d'une filière industrielle, avec des prototypes.

Il s'agit d'un effort long dans le temps, reproche souvent fait à la fusion. Aussi me garderai-je bien de faire la moindre prospective temporelle quant aux échéances de cette filière qui peuvent varier considérablement suivant les efforts financiers qu'on consentira.

J'en viens à ITER, qui est une machine en construction à Cadarache. Elle regroupe sept partenaires internationaux, dont le principal est l'Europe et, au sein de l'Europe, la France. Sont associés les États-Unis d'Amérique, le Japon, la Russie et, plus récemment, la Corée du Sud, la Chine et l'Inde. Ces sept partenaires, qui représentent plus de la moitié de la population mondiale, ont considéré que mettre ensemble leurs efforts permettrait la construction d'une machine intéressante au plan scientifique et technologique, dans un délai raisonnable, avec des ambitions financières partagées.

A contrario, ce partenariat et l'organisation mise en place sont assez compliqués. Suite au traité signé à l'Élysée en décembre 2006, une organisation internationale a été mise en place, dont le siège social est basé à Cadarache. Elle définit la machine, le programme expérimental et le mettra en oeuvre. La fourniture des composants de la machine se fait par des agences domestiques, qui sont des agences de fourniture de composants, suivant les spécifications définies par l'organisation internationale.

L'agence européenne, Fusion for Energy, basée à Barcelone, a en charge les cinq onzièmes des contributions du projet, sur la base des spécifications émises par l'organisation internationale. La France a un statut un peu particulier, dans la mesure où elle est le pays hôte de l'organisation internationale, ce qui lui impose certains devoirs. C'est aussi un financeur important, le gouvernement français ayant accepté de contribuer à hauteur de 20 % des engagements européens, soit une somme d'argent considérable. La France a eu pour responsabilité de préparer le site, de le viabiliser, de mettre à disposition une école internationale pour les enfants des ressortissants étrangers, hébergés dans la région PACA, et de finaliser un itinéraire pour des charges très lourdes nécessaire pour la construction de la machine. La France, grâce à un accord trouvé entre les collectivités locales, l'État et le CEA, assure le rôle de l'agence pour la mise en oeuvre de ses engagements, en étroite relation avec l'Agence européenne et l'organisation internationale.

Je souhaite terminer mon exposé par un autre accord, dont on parle peu, mais qui est important pour les recherches sur la fusion. Je veux parler de l'accord « Approche élargie ». Cet accord résulte du choix de Cadarache comme site pour ITER. Il permet au Japon, qui était le principal concurrent pour héberger ce projet, d'équilibrer les recherches menées autour d'ITER, et qui visent cette première étape que j'ai décrite, et l'étape Démo. Cet accord de l'approche élargie - de nombreuses recherches sont menées sur le territoire japonais - prépare cette étape technologie, par trois projets. Le premier est un projet d'accélérateur pour irradier une cible lithium et générer des neutrons de 14 Mev. C'est un projet complémentaire à celui qui vient d'être présenté, et qui permettrait de disposer d'une source de neutrons pour irradiation particulièrement bien adaptée à la fusion, mais qui pourrait aussi être intéressante pour les recherches sur les matériaux pour les réacteurs à neutrons rapides. Il s'agit de construire un accélérateur, qui doit délivrer un faisceau de deutéron de 125mA en continu, intensité considérable s'il en est, qui n'a jamais été obtenue jusqu'à présent dans les accélérateurs mondiaux.

Le deuxième projet, également situé à Rokkasho, en cours de finalisation, est la construction d'un ensemble de moyens, dont un super calculateur, fourni par la France, qui fournira 1,3 pétaflops de capacité de calcul, associé à un laboratoire.

Le troisième projet, situé à Naka, est une machine japonaise, à laquelle l'Europe contribue de façon très importante, pour servir de complément à ITER et préparer les générations d'expérimentateurs et de physiciens à l'expérimentation d'ITER qui doit démarrer en 2019. La catastrophe de Fukushima a cependant conduit, de par la réduction de capacités de production électrique et plusieurs déconvenues chez les industriels japonais, à retarder la livraison de composants importants. Les premières expériences qui montreront la capacité d'ITER à fournir de l'énergie auront lieu aux alentours de 2027.

Ces trois étapes sont importantes pour la filière fusion. La démonstration scientifique avec ITER est en cours de construction. La démonstration technologique se fera avec un réacteur Démo, pour le milieu du siècle. La filière industrielle, elle, devrait voir le jour vers la deuxième moitié de ce siècle. Il s'agit d'activités à long terme, dont les enjeux justifient pleinement les efforts financiers et scientifiques, pour mettre à la disposition de l'humanité cette source d'énergie.

M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président, rapporteur. Ces interventions nous ont permis de mieux appréhender l'avenir de la filière nucléaire. Le débat est ouvert.

M. Philippe Tourtelier, député. Monsieur Béhar, vous avez mentionné dans les recherches sur les RNR la coopération avec les Allemands. La récente décision allemande remet-elle en cause cette coopération ?

M. Christophe Béhar. Je n'ai aucun retour particulier aujourd'hui, la coopération se faisant avec l'organisme allemand Kit. Les universitaires allemands, je le rappelle, travaillent soit sur des recherches fondamentales en matière de nucléaire, soit dans le domaine de la sûreté.

M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président, rapporteur. Vous avez parlé des centrales de génération IV. Quelles différences entre ces centrales et Superphénix qu'on est en train de démanteler ?

M. Christophe Béhar. Les ruptures technologiques sont extrêmement fortes entre Astrid, Phénix et Superphénix. J'en ai donné deux illustrations. La première est relative à un coeur extrêmement pardonnant vis-à-vis de la problématique du coefficient de vidange, traduction de l'ébullition du sodium en cas d'augmentation de température. La deuxième innovation est la problématique de l'interaction sodium-eau, pour laquelle trois voies sont à l'étude. La première, qui est la plus proche, est la segmentation des échangeurs sodium-eau pour limiter la quantité de sodium qui pourrait être en interaction avec l'eau. Une deuxième voie est de supprimer totalement l'eau, en la remplaçant par de l'azote. Une troisième voie est de changer de fluide intermédiaire, de ne plus utiliser de sodium, mais du plomb bismuth.

Les réacteurs, en particulier Astrid, répondent aux critères de la quatrième génération, et sont en rupture forte sur un ensemble de points, dont je viens de donner deux exemples.

M. Philippe Saint Raymond, membre du comité d'experts, vice-président du « groupe d'experts réacteurs ». S'agissant de Superphénix, on a mis évidence la difficulté de procéder à un contrôle de l'état des structures internes, les modalités habituelles de contrôle non destructives qui fonctionnent sous eau ne fonctionnant pas sous sodium. Du point de vue de l'inspection en service, y a-t-il des progrès acquis ou envisagés ?

M. Christophe Béhar. Oui, et j'ai indiqué qu'il s'agissait d'un point sur lequel nous travaillions. L'inspection d'une structure en service suppose que vous disposiez des moyens de détection, et vous avez raison de souligner que le sodium est opaque aux moyens classiques utilisés pour les REP, étant entendu qu'on peut utiliser les ultra-sons. Cela dit, le volet conception est extrêmement important. Aussi devez-vous au départ concevoir votre réacteur pour que les systèmes, qui vous permettent de contrôler l'intégrité de telle ou telle partie du réacteur, soient bien intégrés, pour disposer de réponses fiables.

En termes de conception et en phase d'APS (avant projet sommaire), nous travaillons sur cette problématique d'inspection en service, de réparabilité et de maintenabilité.

M. Hamid Aït Abderrahim. Dans la même logique, puisque nous travaillons également avec un métal liquide - sodium, plomb ou plomb bismuth - nous travaillons sur des méthodes de visualisation par ultra-sons. Le défi est que nous devons travailler à des températures beaucoup plus élevées. Les ultra-sons sont utilisés dans les échographies. La différence est que nous ne travaillons pas à 37° celsius, mais à 400 voire 500°. Les senseurs développés aujourd'hui fonctionnent à 180-200 °. Autant dire qu'il faut mettre au point des senseurs qui pourront fonctionner à haute température, dans un environnement radioactif.

Autre défi : la transmission du signal qu'on doit faire sortir du réacteur. C'est un point qu'on étudie, comme le CEA. Bref, nous sommes bien conscients de l'importance du sujet.

Un Journaliste. Je veux revenir sur ITER et la récente proposition de la Commission européenne de faire sortir le budget d'ITER des budgets pluriannuels, décision rejetée par plusieurs Etats-membres. Est-ce le signe d'un possible d'un désengagement ? Peut-on établir un lien de causalité, voire de corrélation entre certains pays qui ont tendance à faire machine arrière sur leur programme nucléaire civil, comme le Japon, et leur implication dans des programmes de recherche ?

M. Pascal Garin. L'Europe, vous le savez, fonctionne par programmes cadres de recherche et développement, qui dure sept ans. Nous travaillons actuellement dans le cadre du septième PCRD, le huitième programme étant en cours de préparation, programme que la Commission a appelé Horizon 2020, qui doit démarrer en 2014 pour s'achever en 2020.

Nous avons en effet été surpris d'apprendre qu'un papier circulant à la Commission proposait que deux projets internationaux, GMES, consacré à la météorologie, et ITER, soient sortis du cadre financier qui définit les contributions de l'ensemble du budget européen, le multiannual financial framework. Je ne connais pas les motivations de la Commission, pensant que cette proposition a peu de chance d'aboutir, dans la mesure où M. Wauquiez a envoyé une lettre à ses collègues européens, pour faire part de sa surprise. A mon sens, cette proposition n'aboutira pas, mais je ne peux répondre à la place de la Commission. Il ne s'agit probablement pas d'un désengagement, mais de négociations entre la Commission et les Etats-membres pour la mise en place du budget futur. Comme dans toute négociation, des propositions sont faites pour avoir quelque-chose en échange. La Commission a proposé une augmentation substantielle du PCRD, qui passerait de 56 à 80 milliards d'euros sur les sept ans, hausse qu'il faut relativiser, les 56 milliards d'euros étant des euros 2005.

Quoi qu'il en soit, il n'y a aucune volonté de l'Europe de se désengager d'ITER. Un traité international a été signé, mis en oeuvre par la Commission, via Euratom. Je n'imagine donc ni désengagement, ni même transfert de l'Europe vers les Etats-membres.

Un journaliste. M. Duplessy nous a dit que les RNR devront montrer leur capacité à être alimentés par leurs propres actinides. Est-ce à dire que le cycle fermé des RNR n'est pas complètement démontré ? Dans l'affirmative, faudra-t-il attendre que les prototypes soient construits pour avoir la preuve du cycle fermé ?

M. Jean-Claude Duplessy. Pour l'instant, nous sommes au stade d'une démonstration qu'on qualifie de scientifique : on voit qu'un réacteur est susceptible de réutiliser le plutonium qu'il a lui-même fabriqué. Si l'on veut tendre vers un cycle absolument fermé, cela suppose qu'on soit en mesure de faire tourner le réacteur avec son propre plutonium, de façon à ce que seules les pertes soient à compenser. Cela suppose de démontrer qu'on dispose du réacteur, qu'il fonctionne, qu'on peut récupérer le combustible usé, le retraiter, puis de refaire un combustible et de le remettre dans le réacteur. C'est une démonstration de type technique industrielle, qui doit être menée jusqu'au bout. Pour l'heure, on ne dispose que d'études papier, et d'études réalisées sur Phénix et Superphénix, dont l'objectif n'était pas de faire la preuve d'un cycle totalement fermé. Un scientifique sait que c'est jouable. Mais la prudence oblige à aller jusqu'au bout de la démonstration, et à vérifier que tous les éléments que l'on conçoit au plan scientifique pourront être mis en oeuvre au plan industriel, avec toutes les difficultés que suppose le traitement d'un combustible fortement radioactif.

Un Journaliste. En cycle fermé et si le réacteur réutilise le plutonium qu'il a fabriqué, que fait-on du plutonium déjà présent ?

M. Jean-Claude Duplessy. Comme Sylvain David l'a montré, il aura servi à lancer la filière, à démarrer.

Un Journaliste. N'y en aura-t-il pas trop ?

M. Jean-Claude Duplessy. Non. On risque même d'en manquer un peu.

M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président, rapporteur. C'est un point important. Pour lancer la quatrième génération, on nous dit que la deuxième et la troisième doivent exister. Qu'en est-il ?

M. Jean-Claude Duplessy. Aujourd'hui, on dispose de près de 300 tonnes de plutonium en réserve, qu'on peut traiter le jour où l'on a besoin. Pour démarrer, la totalité de la filière - le démarrage pouvant être progressif - il en faudra de 900 à 1000 tonnes.

M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président, rapporteur. C'est bien le chiffre que j'avais en tête. La meilleure façon d'empêcher de développer un processus, et la quatrième génération en particulier, est de faire en sorte qu'il n'y ait plus de plutonium. Sans plutonium, on ne peut plus lancer la quatrième génération.

M. Sylvain David. Si l'on envisage un jour de passer à la quatrième génération, il est évident qu'on ne peut pas se permettre de vitrifier le plutonium, de façon irréversible. Dans une problématique où l'on démarre des réacteurs rapides, le plutonium est une matière valorisable, précieuse, qu'il faut accumuler et garder sous la main. C'est ce qu'on fait aujourd'hui, le plutonium était contenu dans les combustibles Mox, qui ne sont pas catégorisés dans les déchets, mais les matières valorisables, en vue d'un déploiement éventuel futur des réacteurs rapides.

M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président, rapporteur. Voyez l'actualité. Certains ne veulent pas de génération III à Flamanville. Comment empêcher le projet ? Soit en décidant de ne pas le construire ou en l'empêchant de disposer de combustible, donc en ne faisant pas de Mox. Toutes les manoeuvres sont possibles.

M. Sylvain David. Le Mox consomme du plutonium. La stratégie du Mox a tendance à accumuler moins vite le plutonium que si l'on ne recyclait pas. Dans les scénarios de déploiement des réacteurs de quatrième génération, il faut arrêter d'utiliser le plutonium dans les REP, dix ou quinze ans avant, pour pouvoir accumuler suffisamment de plutonium et démarrer les réacteurs rapides. Si l'on arrête de moxer, que fait-on du plutonium contenu dans les oxydes d'uranium usés ? S'ils sont considérés comme des matières valorisables et non retraités, on pourra toujours récupérer le plutonium plus tard pour les réacteurs rapides. Pour l'EPR 100 % moxable, il peut fonctionner avec de l'uranium enrichi. On ne dispose pas d'assez de plutonium pour moxer 100 % des REP. Dans les faits, on en moxera 15 %.

M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président, rapporteur. C'est un point essentiel, le diable se cachant parfois dans les détails.

Un Journaliste. On parle toujours de plutonium civil. Mais il existe aussi du plutonium militaire dont on ne connaît pas les tonnages. A-t-on une vague idée des quantités existantes au plan mondial ?

M. Christophe Béhar Je ne connais pas la quantité de plutonium militaire produite. Nous avons produit du plutonium civil de manière juste suffisante, étant entendu qu'il n'est pas envisagé d'utiliser du plutonium militaire pour entrer dans les RNR.

M. Thierry Dujardin. Les Américains construisent à Savannah River une installation pour fabriquer des combustibles pour des réacteurs civils, avec du plutonium d'origine militaire, dont quatre assemblages ont été fabriqués à Cadarache.

M. Christophe Béhar. Cette réalisation se fait dans le cadre d'un projet spécifique de désarmement, avec équivalence entre la Russie et les Etats-Unis, où plusieurs têtes nucléaires ont été démantelées, libérant 34 tonnes de plutonium militaire. Ce plutonium peut-être utilisé aux Etats-Unis comme combustible de type Mox dans des réacteurs à eau légère. Notre problématique est différente.

En réponse à la question relative au cycle fermé, je veux souligner que les démonstrations ont été faites en partie. Avec Astrid, il faudra montrer qu'on est capable de recycler n fois le plutonium sur une taille beaucoup plus importante qu'antérieurement. Avec Phénix, on a été amenés à recycler deux à trois fois le plutonium. Avec Astrid, il s'agit de supprimer l'intégralité du plutonium entré.

M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président, rapporteur. Mesdames, Messieurs, je vous remercie.