Jeudi 15 décembre 2011

- Présidence de M. Claude Birraux, député, président -

La sécurité nucléaire, la place de la filière et son avenir - Examen des conclusions du rapport

M. Claude Birraux, député, président. Je tiens d'abord à saluer les nouveaux membres de la mission qui nous ont rejoints à la suite du renouvellement partiel du Sénat, soit en qualité de membres de l'Office, soit en raison de leur nomination par la Commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, désormais présidée par M. Daniel Raoul, qui fut membre de l'Office et que nous regrettons déjà.

M. Daniel Paul devra nous quitter dans quelques instants car il est le seul représentant de son groupe pour l'examen d'un texte ce matin en séance publique. Il a consulté le rapport hier et m'a fait savoir qu'il transmettrait, en début de semaine prochaine, une contribution à celui-ci.

M. Daniel Paul, député. Éventuellement.1(*)

M. Claude Birraux, député, président. Nous voilà donc parvenus à la fin de l'étude sur « la sécurité nucléaire, la place de la filière et son avenir », qui a été confiée en mars dernier à notre mission créée à l'initiative des présidents des deux assemblées parlementaires.

La première partie de notre étude, consacrée à la sécurité nucléaire, avait débouché sur la publication, le 30 juin dernier, d'un rapport d'étape comportant de multiples recommandations destinées, par exemple, à mieux encadrer l'appel à la sous-traitance au sein de la filière nucléaire ou encore à consolider les moyens dévolus au contrôle de la sûreté et à la transparence.

Depuis septembre, la deuxième partie de notre étude a été principalement consacrée aux questions relatives à l'avenir de la filière nucléaire. Elle a donné lieu à deux visites de M. Christian Bataille, en Allemagne, avec M. Marcel Deneux, et au Japon, avec Mme Catherine Procaccia, ainsi qu'à quatre auditions ouvertes à la presse. La sécurité nucléaire est toutefois restée au coeur de nos préoccupations comme l'illustrent les contrôles surprise que M. Bruno Sido et moi-même avons menés le 30 novembre dernier dans les centrales de Paluel et du Blayais. Nous entendions faire ainsi savoir à l'exploitant des centrales que nos recommandations méritaient d'être suivies.

De la même façon, nous avons tenu à nous assurer, dès la reprise de nos travaux, de la bonne mise en oeuvre des recommandations du rapport d'étape, en organisant, le 27 septembre dernier, une réunion avec les administrations et les organismes concernés. Malgré cette précaution, constatant après un mois leur inertie, nous avons adressé, le 24 novembre dernier, un courrier à M. le Premier ministre afin que les ministères en charge nous communiquent, avant aujourd'hui, un calendrier de mise en oeuvre de nos recommandations. À ce jour, nous n'avons reçu aucune réponse de leur part.

J'ai participé hier à l'assemblée générale de l'association nationale des comités et commissions locales d'information (ANCCLI) au cours de laquelle fut diffusé un message de Mme la ministre chargée de l'environnement indiquant que la dotation au fonctionnement de cette association serait accrue de 400.000 euros, soit une progression de 70 %. Une bonne nouvelle nous parviendra-t-elle en cours de séance ? Je n'y crois guère.

Je regrette notamment que nos recommandations relatives aux conditions de la sous-traitance ne fassent pas l'objet d'une mise en oeuvre plus active, car la manière de gérer celle-ci constitue une composante essentielle de la cohésion du personnel autour des objectifs de sûreté. Au cours de nos visites inopinées, nous avons pu vérifier que la motivation des personnels reste forte, ce qui leur permet de surmonter les imperfections des procédures écrites. Il faut tout faire pour entretenir cette flamme, nourrie par la légitime fierté de travailler dans un contexte exceptionnel. En quittant la centrale à deux heures du matin, j'ai ainsi entendu l'équipe d'astreinte, que j'avais privée d'une soirée tranquille, déclarer que le matin même, à partir de huit heures, la fiche de procédure serait réécrite.

Le contenu de notre rapport sur l'avenir de la filière nucléaire a été mis en consultation durant toute la journée d'hier. Il va de soi que la version publiée sera enrichie d'annexes, dont le compte rendu intégral des auditions ouvertes à la presse, d'ores et déjà disponible en ligne, et de quelques documents de référence, tels que les comptes rendus de nos visites en Allemagne et au Japon.

Le rapport souligne que le devenir du bouquet énergétique français doit se régler sur la vitesse de maturation industrielle des énergies renouvelables. Ce constat nous a conduit à décrire une « trajectoire raisonnée », en fonction des perspectives plausibles d'évolution des technologies en jeu. Cette « trajectoire raisonnée » n'interdit en rien une évolution plus rapide, si les ruptures technologiques permettent de sauter des étapes. Mais nous considérons que toute démarche de substitution qui prétendrait être plus volontariste, en faisant fi des limites bien réelles des techniques actuelles, prendrait le double risque de nous conduire à une incohérence climatique et à une impasse économique.

M. Christian Bataille, député, rapporteur. Nos déplacements, que le président Claude Birraux a mentionnés, en Allemagne, avec M. Marcel Deneux, et au Japon, avec Mme Catherine Procaccia, nous ont permis de confirmer que les choix énergétiques ne sont pas universels mais dépendent avant tout de spécificités nationales et de processus historiques.

Ainsi, l'Allemagne n'est pas prête d'abandonner l'atout que représentent ses réserves considérables de lignite, équivalentes à 350 années de production - nous avons visité une exploitation de lignite dans la région de Cologne, que l'on pourrait qualifier de prométhéenne tant elle nous a impressionnés par sa grande technicité, autorisant 99 % de désulfuration. Il en résulte que, même si les Allemands parlent plus volontiers des éoliennes et des autres énergies renouvelables, nous avons mis le doigt sur la réalité de leur équation énergétique pour la production d'électricité : un quart revient au lignite, et, en ajoutant la houille, on arrive à 40 %. C'est pourquoi, si le système énergétique français s'est affranchi du charbon, celui de l'Allemagne peut prétendre s'affranchir du nucléaire, mais non renoncer au charbon. Autrement dit, nos voisins d'outre-Rhin mettent en avant leurs énergies renouvelables, mais ils continuent, parallèlement et avec beaucoup de talent, à perfectionner les techniques nécessaires au développement du thermique à flamme.

Il en va de même du gaz : nous avons visité une centrale gaz à cycle combiné à la pointe du progrès, dégageant un rendement de 60 %. Si venait aux Français la mauvaise idée d'abandonner leurs centrales nucléaires, les Allemands se montreraient aussitôt prêts à répandre leur technique du cycle combiné gaz dans toute l'Europe. Non seulement nous achèterions du gaz russe mais, de plus, nous achèterions aussi des machines allemandes.

De la même façon, le Japon, puissance industrielle insulaire dénuée sur son sol de ressource énergétique, a mis à profit sa maîtrise industrielle pour développer, malgré une situation géologique très défavorable que nous avons pu mesurer, une filière nucléaire propre. À la suite de l'accident de Fukushima, le pays s'est engagé dans un arrêt accéléré de ses moyens de production électronucléaire car les autorités administratives, d'État comme régionales ou locales, ne veulent pas endosser la responsabilité du redémarrage des installations. Si certaines d'entre elles sont destinées à un arrêt définitif, beaucoup peuvent encore fonctionner mais restent à l'arrêt : sur 52 centrales, 42 sont aujourd'hui arrêtées et ce sera le cas de toutes au printemps prochain. La production d'électricité au Japon provenant pour 30 % du nucléaire, l'industrie s'adapte à la nouvelle situation par des économies improvisées : on éclaire moins les bureaux ; on travaille dans la pénombre à la lumière de lampes diffusant un éclairage blafard ; Tokyo n'est plus la ville lumière que l'on a connue et compte désormais d'importantes zones d'ombre. Le pays envisage dorénavant, si le marché le permet, de recourir massivement au gaz liquéfié, car il n'existe pas de gazoduc traversant la mer du Japon. Cette nation présente ainsi au moins une similitude avec l'Allemagne : l'alternative au nucléaire, voulue et programmée outre-Rhin pour 2022, proviendra du charbon et du gaz russe, tout comme au Japon, où elle résulte d'un accident, elle proviendra des hydrocarbures et du gaz liquéfié.

Plus généralement, l'audition du 27 octobre dernier sur les politiques énergétiques a montré que les choix en la matière sont également déterminés par la contrainte d'une augmentation de la demande, notamment dans les pays émergents. Malgré le rôle croissant des énergies renouvelables, l'alternative pour eux se situera, pour une très large part et pendant encore longtemps, entre les énergies fossiles et l'énergie nucléaire. On ne peut donc pas éluder le débat sur les coûts économiques, écologiques et sanitaires respectifs de ces deux formes d'énergie, ce qui ne doit pas empêcher de préparer les perspectives à long terme par le développement de technologies et de filières plus performantes.

En France, le recours à l'industrie nucléaire s'est inscrit dans un contexte national spécifique. S'appuyant sur un savoir-faire et sur des connaissances scientifiques de haut niveau, qui remontent aux travaux menés à la fin du XIXe siècle et au début du XXe par des physiciens aussi prestigieux que Pierre et Marie Curie, Frédéric Joliot-Curie ou Francis Perrin, la France bénéficie traditionnellement d'une culture nucléaire qui ne résulte pas des hasards économiques mais du talent et du travail de ses scientifiques.

L'industrie nucléaire nous a permis de répondre, malgré l'épuisement des réserves d'énergie fossile de notre sous-sol, à quatre priorités stratégiques.

La première priorité consiste à disposer d'une production électrique suffisante et adaptée, en énergie comme en puissance. En effet, au cours des trente dernières années, notre consommation intérieure d'électricité, tirée par une démographie et une économie orientées à la hausse, s'est accrue deux fois plus vite que la consommation d'énergie, en passant d'un peu plus de 150 TWh au début des années 1970 à près de 500 TWh aujourd'hui. Car les besoins en électricité se sont multipliés: dans le secteur de la santé avec le développement de technologies hospitalières toujours plus performantes ; pour les usages industriels ; en matière de chauffage résidentiel avec les pompes à chaleur ; pour le maintien de la chaîne du froid dans l'agro-alimentaire ; pour les outils de signalisation ; avec la démocratisation des matériels électroniques et de l'informatique - une audition tenue sur ce thème nous a permis de savoir que ces petits appareils, apparemment faibles consommateurs d'électricité, vont cependant représenter 15 % de notre consommation électrique, en dehors même du développement de l'automobile électrique. Le choix de l'électricité nucléaire a permis de disposer d'un outil assez puissant pour couvrir en quantité suffisante les besoins d'électricité liés aux évolutions des modes de consommation tout en favorisant une forte réduction de la production thermique à flamme.

Si l'on sait que Allemagne prépare sa sortie du nucléaire et relance le thermique à flamme, on ne dit pas assez que la France a su, elle, se libérer du charbon, source d'énergie la plus polluante et la plus sale de toutes.

La deuxième priorité réside dans l'indépendance énergétique, tant dans l'approvisionnement que dans le savoir-faire. Rappelons à cet égard que notre pays importe la quasi-totalité des énergies fossiles qu'il consomme, pour un montant supérieur à 45 milliards d'euros - somme à peu près équivalente au déficit de notre balance commerciale en 2010. Pourtant, grâce, principalement, à la production électronucléaire et, à titre complémentaire, à l'hydroélectricité, notre taux d'indépendance énergétique est proche de 50 %. Pour un pays manquant de ressources naturelles, il s'agit là d'une performance de tout premier ordre.

Nos approvisionnements en uranium, limités annuellement à 8.000 tonnes et à un coût de 200 millions d'euros, sont sécurisés du fait de leur provenance depuis plusieurs régions du monde. De plus, le retraitement des combustibles usés à l'usine de La Hague permet d'assurer près du cinquième de l'approvisionnement annuel de nos réacteurs. Notre indépendance énergétique se trouve donc confortée par l'autonomie technologique de notre industrie nucléaire, qui maîtrise tous les procédés qu'elle utilise.

La troisième priorité est la préservation du développement de notre tissu économique et industriel par une énergie peu chère et de qualité. Les chocs pétroliers ont démontré que la disponibilité en énergie constitue une composante essentielle de la croissance économique. L'énergie nucléaire, avec son coût de production à la fois bas et stable, a fourni une assise de long terme à la croissance en France. Cet avantage de coût est illustré par une étude récente de l'union française de l'électricité (UFE), montrant qu'une réduction de 75 % à 20 % du parc nucléaire aboutirait, à l'horizon 2030, à un quasi doublement du prix de l'électricité pour les particuliers comme pour les entreprises. Cet avantage permet aussi d'éviter que nombre de nos concitoyens à faibles revenus ne tombent dans la précarité énergétique. Il existe déjà beaucoup de ménages dans une telle situation : imaginons le ravage social que provoquerait un doublement du prix de l'électricité, qu'accentueraient encore les à-coups des marchés énergétiques mondiaux. L'avantage de coût permet enfin de contenir les risques de délocalisation d'activités et de destructions de PME que pourrait entraîner la délivrance d'une énergie moins fiable et plus chère. C'est exactement ce qu'on observe au Japon, avec des industriels qui, en réaction à l'arrêt progressif des centrales nucléaires, envisagent de s'expatrier. Quand on connaît la force du patriotisme économique dans ce pays, on mesure mieux leur exaspération. Je leur ai ironiquement proposé de venir s'installer en France pour trouver l'énergie qui leur manque dans l'archipel.

La quatrième priorité est la préservation environnementale de notre outil de production électrique. Dans le contexte international de lutte contre le changement climatique, le recours à l'énergie nucléaire présente l'atout incontestable de délivrer une puissance considérable sans émettre de gaz carbonique, sauf celui résultant de l'utilisation d'énergies fossiles dans certaines phases du cycle du combustible nucléaire - extraction de l'uranium, préparation du combustible, transports. Les données fournies par l'Agence internationale de l'énergie (AIE) sur les émissions de CO2 par pays montrent que la France, avec 90 grammes par kWh, est globalement mieux placée que le Danemark, avec 303 grammes par kWh, et surtout que notre grand modèle actuel, l'Allemagne, qui émet 430 grammes par kWh. Par ailleurs, pour produire une unité de PIB, la France diffuse deux fois moins de CO2 que l'Allemagne.

À cet égard, il faut souligner ce que serait la situation de la France si une décision comparable à celle prise en Allemagne était mise en oeuvre : ne disposant pas de ressources analogues dans son sous-sol, notre pays ne pourrait qu'accroître massivement ses importations de gaz, avec de graves conséquences sur sa balance commerciale et sur son indépendance énergétique. Nous serions de plus conduits à importer des centrales allemandes, à moins qu'Alstom ne réalise des progrès accélérés dans ce domaine, et du gaz provenant de plus loin vers l'Est. Le développement à grande échelle d'énergies renouvelables intermittentes sans percée technologique sur les moyens de stockage entraînerait automatiquement une augmentation de la part des sources fossiles dans la production électrique.

Cet accroissement de la dépendance de notre pays aux énergies fossiles étrangères nous serait préjudiciable pour trois raisons.

Tout d'abord pour des questions géostratégiques. En effet, une augmentation de notre approvisionnement en ressources fossiles étrangères, tout spécialement russes, introduirait un facteur d'instabilité supplémentaire dans une période déjà particulièrement volatile. Ne disposant ni de gaz ni de charbon, nous serions alors à la merci des soubresauts des marchés énergétiques, qui plus est tenus par de grands voisins qui aiment bien « jouer du robinet ».

De plus, une telle aggravation de notre dépendance envers les ressources fossiles représente, à moyen et à long terme, un non-sens économique. Les réserves d'énergies fossiles, qu'elles soient de pétrole, de charbon, ou de gaz, constituent des réserves finies alors que la croissance de la demande mondiale est exponentielle et que les réserves les plus facilement accessibles sont les premières à avoir été exploitées.

Enfin, le retour à une part plus importante d'énergies fossiles est peu souhaitable pour des raisons environnementales. La consommation d'énergies fossiles carbonées telles que le gaz ou le charbon sont à l'origine de l'augmentation de la concentration en gaz à effet de serre, les possibilités techniques de capture et de stockage du CO2 n'étant que balbutiantes et à l'impact environnemental incertain. De surcroît faudrait-il que les populations concernées les acceptent, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

Nous considérons donc qu'il serait irréfléchi de vouloir réorienter nos capacités de production électrique vers du thermique à flamme afin de pallier l'intermittence d'un parc renouvelable développé dans la précipitation. Le maintien du parc thermique à son niveau actuel est adéquat pour permettre un développement raisonné des énergies intermittentes en attendant des solutions industrielles pour le stockage de l'électricité, tout en agissant de manière déterminée pour maîtriser la pointe électrique.

M. Bruno Sido va justement évoquer maintenant les développements nécessaires dans le domaine du stockage et des réseaux intelligents.

M. Bruno Sido, sénateur, rapporteur. Je vais évoquer les développements nécessaires dans le domaine du stockage et des réseaux intelligents.

Le degré de maturation des technologies d'exploitation des énergies renouvelables ne permet aujourd'hui d'envisager qu'une substitution limitée à l'énergie nucléaire. La substituabilité de ces deux types d'énergie pourrait toutefois s'accroître, à l'avenir, à condition de progresser dans deux directions : d'une part, la mise en place de réseaux intelligents ; d'autre part, le stockage de l'énergie.

On constate que les énergies renouvelables rencontrent plusieurs freins à leur développement. Ainsi, en dépit d'un effort de recherche important, elles se heurtent toujours à des obstacles technologiques et connaissent des degrés de maturité divers. Les filières matures que sont l'hydroélectricité et l'éolien terrestre ont un coût moins élevé que les technologies en développement telles que le solaire photovoltaïque, la géothermie et l'éolien en mer. Même si certaines technologies progressent et si leur coût décroît rapidement, il n'en faudra pas moins quelques décennies pour développer de véritables filières industrielles.

Par ailleurs, l'approvisionnement en matières premières, notamment en métaux rares, peut représenter à terme une contrainte.

Les infrastructures posent aussi des questions d'acceptabilité sociale et de conflits d'usage de la ressource. On le voit par exemple dans le cas des éoliennes marines en raison de la proximité d'activités de pêche et de tourisme. Le déploiement des énergies renouvelables passe donc par une large concertation avec les acteurs locaux.

De plus, la déconnexion entre lieux de production et lieux de consommation peut rendre problématique un développement massif et rapide des infrastructures d'exploitation d'énergies renouvelables. Celles-ci sont en effet implantées en fonction de la géographie et du climat : c'est le cas des énergies de la mer, de la géothermie, de la ressource hydroélectrique, qui satisfont des besoins de proximité. Bien que les systèmes fonctionnant avec le vent ou avec l'énergie solaire soient les plus répandus, les moyens de production de ces systèmes demeurent très concentrés et largement déconnectés des lieux de consommation. Cette situation implique de développer les réseaux afin d'améliorer l'acheminement de l'électricité. La question n'est pas accessoire, car les délais de construction de lignes à très haute tension sont d'environ dix ans, soit une durée très supérieure aux délais de mise en route des infrastructures, qui sont de trois à quatre ans.

Au problème de l'acheminement s'ajoute celui de l'intermittence, qui entraîne une production fluctuante, c'est-à-dire un risque de pénurie, ou, au contraire, de congestion. Certes, une compensation partielle peut être, à l'échelle d'un territoire, assurée par un effet de moyenne permettant de lisser la production globale. Toutefois, ce mécanisme, dit de foisonnement, est insuffisant car il est lui-même aléatoire : la production demeure difficilement prévisible, y compris au niveau agrégé d'un pays. Même si la prévisibilité était accrue, cela ne résoudrait pas complètement le problème du décalage entre la production et la consommation. Le risque est de devoir interrompre l'approvisionnement électrique, ou, au contraire, de devoir arrêter les moyens de production. L'Allemagne et le Royaume-Uni ont ainsi fait l'expérience d'arrêts forcés de leurs éoliennes. Le risque de décalage est encore plus évident dans le cas de l'utilisation d'énergie solaire puisque celle-ci fonctionne mieux l'été et le jour, alors qu'en France, le pic de consommation se situe l'hiver en soirée.

L'intégration des énergies éolienne et solaire dans le système électrique suppose donc l'existence de sources de secours rapidement mobilisables pour compenser les fluctuations de production. Or les centrales à énergies fossiles sont les équipements susceptibles de monter le plus rapidement en charge et sont utilisées en priorité pour compléter l'apport des énergies renouvelables. C'est le cas en Allemagne, où l'on constate un effort d'investissement dans des centrales au gaz à cycle combiné de dernière génération, très performantes, caractérisées par un fort rendement et une grande flexibilité. Paradoxalement, l'essor des énergies renouvelables peut s'accompagner d'un surcroît d'émissions de gaz à effet de serre.

Dans un pays comme la France qui tire l'essentiel de son électricité de l'énergie nucléaire, l'intérêt de développer les technologies de gestion de l'intermittence est grand si l'on veut éviter que le développement des énergies renouvelables ne s'accompagne d'un recours à des capacités supplémentaires de centrales thermiques à flamme.

Quelles sont donc ces technologies de gestion de l'intermittence ?

En premier lieu, grâce aux technologies de l'information et de la communication, les réseaux intelligents - qui le sont déjà selon M. Dominique Maillard, président du directoire de RTE - peuvent contribuer à compenser les fluctuations de la fourniture d'électricité. De nombreuses expérimentations sont en cours. En France, elles s'appuient sur le compteur Linky, qui dote les réseaux d'une capacité de pilotage très fin, et dont le gouvernement a d'ores et déjà décidé la généralisation.

Les réseaux intelligents visent une optimisation des flux électriques entre clients et producteurs, avec des modulations possibles en fonction des besoins et de la tarification. Les expérimentations en cours permettront d'évaluer jusqu'à quel point ces dispositifs sont susceptibles d'absorber l'intermittence des sources décentralisées d'énergies renouvelables. Il ne faut toutefois pas en attendre de miracle : certes, les réseaux intelligents favoriseront, à production centralisée constante, la capacité d'adaptation à des fluctuations d'approvisionnement d'ampleur limitée, mais ils ne permettront pas de s'affranchir des centrales thermiques à flamme ou des dispositifs de stockage massif en cas de variations plus importantes. C'est pourquoi il faut engager dès à présent un effort de recherche et de développement soutenu dans le domaine des dispositifs de stockage d'énergie. À ce titre, nos auditions ont permis de dégager deux pistes paraissant répondre aux besoins de stockage massif d'énergie.

Il s'agit, en premier lieu, des stations de transfert d'énergie par pompage (STEP), lesquelles retiennent l'eau dans des réservoirs pour, le moment voulu, déverser celle-ci dans des turbines. Elles sont capables de délivrer des puissances de plusieurs gigawatts. Ce type d'infrastructure s'avère particulièrement utile dans des contextes insulaires, non interconnectés et où, malgré un potentiel parfois considérable, le taux d'insertion des énergies renouvelables est volontairement limité afin d'assurer la sécurité d'approvisionnement - ce pourrait être le cas dans des zones comme les Antilles. Ainsi, le dénivelé des falaises favorise le stockage et donc l'insertion d'une part supplémentaire d'énergies renouvelables dans le bouquet électrique des régions considérées. Il n'existe aujourd'hui qu'une seule STEP marine au monde, à Okinawa au Japon, mais un consortium français piloté par EDF étudie un projet de même nature en Guadeloupe, dans le cadre des investissements d'avenir.

En second lieu, le stockage d'énergie dans des hydrocarbures de synthèse constitue une piste qui présenterait le triple avantage de résoudre la question de l'intermittence, de permettre un recyclage du carbone et de sécuriser l'approvisionnement énergétique des pays qui en maîtriseront la technologie. Plusieurs procédés sont à l'étude, notamment celui dit de « méthanation », consistant à produire du méthane par un mélange d'hydrogène et de gaz carbonique en présence d'un catalyseur. Le gaz obtenu peut alors être stocké ou distribué sur le réseau. La France doit s'engager, comme le fait déjà l'Allemagne, dans cette voie d'avenir qui intéressera aussi les pays émergents fortement émetteurs de CO2.

M. Christian Bataille, député, rapporteur. Je vais maintenant vous présenter les différents scénarios évoqués dans le rapport.

En dépit de la difficulté de l'exercice, nous avons étudié trois scénarios possibles pour l'avenir de la production électrique dans notre pays. Le premier envisage le maintien de la part de la production électronucléaire au niveau actuel. Le deuxième prend en compte une sortie totale du nucléaire selon différentes modalités. Le troisième scénario est celui d'une « trajectoire raisonnée » reposant sur un renouvellement partiel du parc en ne remplaçant qu'un réacteur sur deux et ce exclusivement au profit de la troisième génération de réacteurs à eau pressurisée EPR.

Le premier scénario consiste donc à camper sur notre acquis en prolongeant la durée de vie des réacteurs existants puis en les remplaçant progressivement par des modèles de troisième génération. La filière nucléaire resterait alors un atout pour notre économie, avec une contribution de 2 % à la valeur ajoutée et à l'emploi, et un impact à long terme sur la croissance - de l'ordre de 1,5 % - par le maintien d'un prix de l'électricité réduit. Toutefois, cet immobilisme risquerait de nous exposer au syndrome japonais, dont nous avons pu mesurer la fragilité, en nous contraignant à une sortie accélérée du nucléaire, non seulement dans l'hypothèse d'un accident majeur mais aussi dans celle de défauts techniques pouvant se répercuter sur toute une série de réacteurs du même modèle.

Le deuxième scénario, celui d'une sortie totale du nucléaire, que certains préconisent, peut être admis si l'on cède à l'impression que le temps politique est le même que le temps énergétique, faisant donc abstraction des réalités industrielles et économiques. On pourrait l'envisager, sinon en claquant des doigts, du moins dans un délai de cinq ans, durée d'une législature, alors que l'industrie et la science vivent selon des phases beaucoup plus longues, de l'ordre de 50 ans. Nous avons donc cherché à évaluer les conséquences de la posture volontariste d'une sortie précipitée du nucléaire. Cela reviendrait à gérer l'impact d'une perte de 450 TWh de production électrique, au regard d'une consommation nationale de 500 TWh.

À cette fin, plusieurs formules pourraient se combiner : la restriction de la consommation, selon le degré d'acceptation sociale, entre zéro et 450 TWh ; des importations plus ou moins massives de gaz ou encore d'électricité, cette formule pouvant alourdir de 25 milliards d'euros le déficit de notre balance commerciale, sinon davantage si la tension ainsi provoquée sur les marchés pousse les prix d'importation à la hausse. Un tel schéma de sortie du nucléaire induirait des pertes économiques sévères : la suppression de 400.000 emplois directs et indirects dans la filière nucléaire ; des faillites et des délocalisations d'entreprises victimes du surenchérissement et de la dégradation de la qualité de l'électricité, au premier rang desquelles on trouverait les industries électro-intensives; enfin, l'arrêt des recherches sur la transmutation des déchets.

À ces pertes s'ajouteraient des coûts d'ajustement correspondant au démantèlement anticipé de 59 réacteurs, ainsi que des installations en aval et en amont de la filière, à hauteur de dizaines de milliards d'euros. Il convient d'intégrer aussi la nécessité de créer une capacité de 63 GWh de production à flamme, pour un coût de près de 60 milliards d'euros, ainsi qu'une capacité renouvelable représentant 30 % du parc thermique, pour un investissement de l'ordre de 150 milliards d'euros sur 50 ans, en comptant le renouvellement des équipements éoliens et solaires en fin de vie.

Enfin, nos émissions de CO2 passeraient de 90 à 210 grammes par kWh, approchant ainsi le taux du « grand modèle allemand », ce qui correspond à un doublement des émissions du secteur de l'énergie.

Le troisième scénario, celui d'une trajectoire raisonnée, répond aux données exposées par Bruno Sido concernant la maturation des technologies de stockage d'énergie.

En prenant en considération le délai indispensable pour passer du concept scientifique à la maturité industrielle et le besoin de caler le bouquet d'approvisionnement électrique sur un socle énergétique solide, on peut estimer que les énergies renouvelables ne pourront prendre une place véritablement conséquente au sein du mixe énergétique qu'au terme d'un processus de plusieurs dizaines d'années. À partir de là, on estime que la période s'étendant jusqu'au milieu du XXIe siècle devrait voir se déployer progressivement, et dans des conditions de coût de plus en plus favorables, à la fois les énergies renouvelables et les réacteurs de troisième génération, actuellement en phase de mise au point.

Le remplacement en fin de vie des centrales nucléaires actuelles se ferait au rythme d'un réacteur sur deux, au bénéfice exclusif de la technologie des EPR, c'est-à-dire de réacteurs plus sûrs. Nous avons pris pour hypothèse que l'arrivée en fin de vie, qui relève de la décision de l'Autorité de sûreté nucléaire, serait prononcée, en moyenne, au moment de la cinquième visite décennale. On obtiendrait ainsi, en 2036, une production d'électricité nucléaire équivalente aux deux tiers de la production actuelle totale d'électricité avec une vingtaine d'EPR. En poursuivant ce remplacement jusqu'en 2052, année du cinquantième anniversaire des deux derniers réacteurs mis en service en France, ceux de Civaux en 2002, la part de production nucléaire dans l'électricité pourrait, grâce aux progrès parallèles des technologies de stockage inter saisonnier d'énergie, être abaissée à 50 % de la production totale actuelle, avec une trentaine d'EPR. Ce scénario permettrait de préserver tous les atouts du dynamisme de la filière nucléaire : renforcement de la sûreté du parc par le simple jeu de la mise en service des réacteurs de troisième génération ; conservation d'une compétence d'ingénierie grâce aux constructions ; crédibilité à l'exportation par l'entretien d'un parc français conséquent ; poursuite des recherches sur la transmutation des déchets.

Le remplacement des derniers réacteurs de deuxième génération par des EPR, vers 2050, pourrait en outre coïncider, si la recherche le permet, avec les mises en chantier des réacteurs de quatrième génération, appelées à s'intensifier dans la seconde partie du siècle. Les EPR parvenus en fin de vie, peut-être au bout de 60 ans, pourraient être remplacés par ces réacteurs « rapides », également au rythme d'un sur deux. La « trajectoire raisonnée » ainsi proposée, en prenant en considération le délai historiquement plausible de maturation industrielle des solutions technologiques dans le secteur de l'énergie, ramènerait l'énergie nucléaire à 50 % de la production totale actuelle vers 2050, et peut-être à 30 % vers 2100. Mais nous parlons là d'un futur aux contours encore flous, d'où émergeront peut-être la fusion, avec le réacteur ITER, ainsi que la maîtrise de l'hydrogène et du solaire - nous approchons là de la science-fiction.

À la fin du siècle, ce parc réduit serait alors constitué majoritairement de réacteurs rapides qui serviraient de socle à tout le système de production d'électricité, notamment pour alimenter les dispositifs de stockage d'énergie qui permettront l'exploitation sans intermittence des énergies renouvelables. De ce point de vue, nos stocks d'uranium appauvri et de plutonium, constitués grâce à notre maîtrise du cycle du combustible, notamment à travers le retraitement effectué à La Hague, nous procureront une continuité énergétique équivalente à celle de l'Allemagne et ses 350 années de réserve de lignite.

M. Bruno Sido, sénateur, rapporteur. Je vais compléter les scénarios qu'a présentés M. Christian Bataille par quelques remarques concernant l'avenir de la filière nucléaire.

Comme nous l'avons vu, celle-ci doit continuer à jouer son rôle dans un esprit de complémentarité avec des technologies qui ne pourront se substituer à elle qu'au fur et à mesure de leur maturation. Il serait hasardeux de remettre brutalement en cause une filière qui constitue l'un de nos fleurons industriels, qui assure 410.000 emplois directs et indirects, qui contribue à la compétitivité de notre territoire et qui accroît le dynamisme de nos exportations.

Une décision d'arrêt, total ou partiel, de l'activité nucléaire risquerait de déstabiliser l'organisation mise en place en France et de remettre en cause une expertise aujourd'hui reconnue au plan international.

La dynamique de sûreté ne peut s'envisager que dans le cadre d'une recherche permanente de perfectionnement. Paradoxalement, l'annonce d'une sortie de l'énergie nucléaire pourrait contribuer à accroître les risques en donnant un coup d'arrêt à cette dynamique, par son effet tant sur les investissements physiques que sur le savoir-faire acquis et transmis par le personnel. Qui souhaiterait investir ou s'engager dans une filière sans avenir ? Plus généralement, une démobilisation des chercheurs et des industriels entraînerait un recul de la position concurrentielle de la France dans cette industrie de pointe, avec des effets immédiats sur l'attrait de l'EPR, pourtant en cours de développement dans plusieurs pays.

Par ailleurs, l'organisation de la gestion des matières et des déchets radioactifs, mise en place par les lois de 1991 et de 2006, serait mise en cause par une décision d'arrêt des centrales nucléaires. Les capacités des centres existants seraient insuffisantes pour gérer l'accroissement important du volume des déchets qu'entraînerait, d'une part, une accélération des démantèlements de centrales, et, d'autre part, un abandon du retraitement. À ces difficultés s'ajouterait celle du déclassement en déchets de quantités élevées de matières valorisables, telles que l'uranium appauvri ou le plutonium. Ces dernières sont actuellement considérées comme réutilisables, soit sous forme de combustible MOX pour les réacteurs de deuxième ou de troisième génération, soit, à l'avenir, comme combustibles pour les réacteurs de quatrième génération.

S'agissant justement des réacteurs de quatrième génération, la France dispose d'atouts dus à son effort de recherche et parce qu'elle accumule aujourd'hui des stocks de matières valorisables susceptibles de lui assurer plusieurs millénaires d'indépendance énergétique.

Nous disposons d'un avantage concurrentiel en participant à plusieurs programmes internationaux de recherche dans le cadre du Forum « Génération IV ». La France développe son propre projet de réacteur à neutrons rapides refroidi au sodium, le réacteur ASTRID, destiné à prouver la faisabilité industrielle de ce type de réacteur. Il serait très dommageable d'abandonner une voie qui nous permet d'exploiter pleinement nos atouts spécifiques.

Nous ne possédons pas, à l'égal de l'Allemagne, de réserves de lignite pour 350 ans. En revanche nous disposons d'un stock de matières valorisables, c'est-à-dire d'uranium appauvri et de plutonium, d'environ 300 tonnes à ce jour pour ce dernier. Les calculs qui nous ont été présentés montrent que nous aurons juste ce qu'il faut de plutonium, produit par les réacteurs de deuxième et de troisième génération, pour alimenter le premier chargement des réacteurs « rapides », étant entendu que ces réacteurs ne consomment plus ensuite de plutonium puisque celui-ci est régénéré.

Les auditions que nous avons réalisées tendent à montrer qu'ASTRID sera bien un réacteur de type nouveau, y compris en matière de sûreté. Des recherches sont en cours pour configurer son coeur, en sorte d'éviter tout risque de fonte. Il faut souligner que, par comparaison avec un réacteur à eau, le temps d'intervention sur ce type de réacteur est considérable du fait de l'inertie de la capacité thermique du sodium. En outre, son circuit de refroidissement sera conçu pour minimiser le risque de réaction provoquée par le contact de l'eau et du sodium.

Les recherches devraient apporter aux réacteurs de quatrième génération un niveau de sûreté au moins équivalent, sinon supérieur, à celui des réacteurs de troisième génération, ce qui constitue évidemment la condition sine qua non de leur développement.

M. Claude Birraux, député, président. Je remercie les deux rapporteurs de leur engagement au cours des sept mois intenses qu'a duré la mission. L'accident de Fukushima et, dans la foulée, en mars, la saisine des présidents de nos deux assemblées datent presque de neuf mois, mais il faut en retirer les deux mois d'été qui nous privent habituellement d'interlocuteurs et nous permettent de souffler un peu.

D'un commun accord, les rapporteurs ont décidé, compte tenu de la tension actuelle du climat politique, de ne pas formuler explicitement, cette fois, de recommandations. Néanmoins certaines idées fortes se dégagent du rapport, la principale étant qu'on ne peut abaisser arbitrairement la part de la ressource nucléaire dans notre électricité sans disposer de solutions de remplacement véritablement équivalentes du point de vue du coût, de la lutte contre l'effet de serre, de la préservation de l'indépendance nationale et de l'emploi.

En l'absence de recommandations des rapporteurs, je distingue pour ma part quatre axes.

Le premier vise à rappeler nos recommandations figurant dans le rapport d'étape du 30 juin dernier et dont nous entendons bien qu'elles soient mises en application comme nous l'avons rappelé dans notre lettre au Premier ministre.

Le deuxième porte sur les économies d'énergie, élément indispensable car structurant de toute politique en ce domaine. Les rapporteurs n'en ont pas parlé, mais j'estime nécessaire la création d'une agence organisée sur le modèle de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), formée à partir d'un pan de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), de la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) ainsi que du centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB). Il me semble que ces instances pratiquent beaucoup l'auto-allumage, tournent en rond et produisent de la fumée sans feu, comme l'ont montré nos auditions. Ainsi a-t-il fallu un temps infini à la DHUP pour traiter les questions que nous lui avions posées. Sans m'éloigner de l'objet du rapport, je considère qu'il serait utile de créer une agence de régulation de la construction et de la rénovation des bâtiments présentant chaque année son bilan d'activité à l'OPECST.

Le troisième axe est relatif au problème du stockage des énergies renouvelables, sujet que j'ai évoqué lors de l'assemblée générale de l'Alliance nationale de coordination de la recherche pour l'énergie (ANCRE).

Enfin, le quatrième axe concerne l'équilibre de ce qu'on appelle le mix énergétique, ou encore le bouquet énergétique. La stratégie exposée me paraît assez claire quant aux évolutions réalisables.

M. Marcel Deneux, sénateur. La tonalité globale du rapport me convient parfaitement. Toutefois, je voudrais que soit précisée l'architecture de nos travaux : en dehors du document provisoire qu'on nous a remis, ce qui vient d'être exposé ce matin sera-t-il publié en intégralité ? Cela permettrait de répondre rationnellement à des objections souvent formulées de façon passionnelle.

M. Claude Birraux, député, président. Il est de règle de publier tous nos travaux : ils figureront à la fin du rapport définitif, comme tout ce qui aura été dit ce matin.

M. Marcel Deneux, sénateur. Je partage le point de vue des rapporteurs quant à la « trajectoire raisonnée ». Je suis également favorable à la création de l'agence proposée par notre président.

Le rapport ne s'est guère attardé sur la question des coûts réels de l'énergie nucléaire puisque nous attendons à ce sujet un rapport de la Cour des comptes. Mais on ne peut se dispenser de comparer le coût du nucléaire et celui des énergies intermittentes. Il nous faudra donc rouvrir le dossier un peu plus tard.

M. Christian Bataille, député, rapporteur. Le sujet est vaste et nous nous sommes bornés à répondre aux questions posées sur l'avenir de l'énergie nucléaire dans l'Hexagone, en dressant un constat prospectif à partir de l'état actuel des lieux, sans aborder tous les thèmes connexes.

Il faut savoir que le nucléaire ne représente qu'une part dérisoire de la production mondiale d'énergie. Les grands pays industriels, comme les États-Unis, la Chine, le Japon, le Royaume-Uni et l'Allemagne, font plutôt reposer leur approvisionnement énergétique sur le triptyque fossile - gaz-charbon-pétrole -, qui constitue 80 à 90 % de leurs ressources. Cet élément d'appréciation remet les choses à leur place par rapport aux débats de la récente conférence de Durban sur le changement climatique, dont les principaux partenaires étaient aussi les plus gros émetteurs de CO2. La Chine et les États-Unis manient les bonnes intentions mais ne mettent pas en exergue, probablement en raison des récents accidents japonais, la réponse que pourrait fournir l'énergie nucléaire. Le développement mondial de celle-ci se trouve également freiné par les risques que présente la maîtrise de la technologie nucléaire par des pays dangereux.

M. Marcel Deneux, sénateur. Je connais les limites assignées à votre travail. Pour autant, on peut parfois s'inspirer du général de Gaulle qui savait si bien, dans ses conférences de presse, répondre aux questions qu'on ne lui avait pas posées. Cela permet parfois de mieux éclairer les sujets.

En ce qui concerne la gestion de l'intermittence, j'aurais aimé qu'on explore la possibilité de stockage de l'énergie par le développement du parc de voitures électriques dont les batteries peuvent se recharger la nuit, hypothèse au moins aussi crédible que celle relative à la maîtrise de l'hydrogène.

N'aurait-il pas aussi fallu dénoncer la durée excessive exigée pour mettre en place une ligne à haute tension ? En la matière, les formalités administratives nécessitent plus de temps que les travaux d'installation. On ne peut continuer à gérer ainsi notre réseau.

Enfin, je tiens, moi aussi, à féliciter les rapporteurs pour leur travail.

M. Claude Birraux, député, président. Les réseaux intelligents, comme le compteur Linky, peuvent aussi fournir des solutions pour la gestion de l'intermittence. À la suite de la demande de Bruno Sido d'une étude préalable à la nouvelle réglementation thermique (RT 2012), nous avons, avec Christian Bataille, travaillé sur la performance énergétique des bâtiments. Je me suis alors rendu à Grenoble auprès de Schneider Electric, entreprise qui, pilotant le programme européen Homes, essaye d'introduire de l'intelligence dans la gestion des bâtiments, par exemple en installant des capteurs dans une salle comme celle dans laquelle nous nous trouvons. Il s'agit par là de détecter les présences humaines et d'adapter en conséquence le chauffage et l'éclairage des locaux. On pourrait ainsi obtenir jusqu'à 45 % d'économies d'énergie supplémentaires dans les bâtiments, lesquels représentent 43 % du bilan national en énergie primaire.

Des sauts technologiques sont à prévoir et de nouvelles technologies vont émerger.

M. Bruno Sido, sénateur, rapporteur. J'ajoute que l'objet de notre rapport n'était pas d'étudier la gestion des énergies intermittentes ou renouvelables, même s'il s'agit, bien sûr, de sujets importants.

Pour répondre à l'observation de M. Marcel Deneux sur les voitures électriques, je précise que, d'après M. Dominique Maillard, président du directoire de RTE, les batteries s'usent comme déjà s'usaient les piles « Wonder », et les affecter au stockage de l'électricité réduirait des deux tiers leur durée de vie. Dans ces conditions, le propriétaire ou le locataire de la voiture électrique acceptera-t-il cette utilisation parallèle de sa batterie ?

M. Claude Birraux, député, président. En janvier dernier, lors d'un voyage au Bengladesh du groupe d'amitié parlementaire, j'avais rétorqué à une députée de l'opposition, qui ne comprenait pas pourquoi ce pays n'avait pas encore lancé la construction d'une centrale nucléaire, que rien ne lui permettait de le faire, manquant pour cela à la fois de bases juridiques et administratives, d'une autorité de sûreté nucléaire, d'un centre de recherche et de personnels formés. Il faut oser affirmer que l'énergie nucléaire reste réservée aux pays disposant d'infrastructures scientifiques suffisantes.

M. Didier Guillaume, sénateur. Permettez-moi de dire que je me retrouve totalement dans les propos des rapporteurs, en particulier dans le scénario privilégié par Christian Bataille, et que j'ai pris beaucoup de plaisir à contribuer à ce travail, même si je n'ai pas pu y participer autant que je l'aurais souhaité. Au moment où l'on critique le Parlement, et la politique en général, il est bon de pouvoir conduire ce genre de réflexion à l'abri de l'agitation médiatique quotidienne. C'est tout l'intérêt de cet Office.

Dans le cadre de la campagne présidentielle, les partis politiques auront à débattre d'une stratégie énergétique d'ensemble, mais notre mission ne portait que sur l'avenir de la filière nucléaire qui nous importe particulièrement, dans le contexte post-Fukushima.

Il y a encore deux ou trois ans, la priorité pour nos concitoyens était à la lutte contre le réchauffement climatique et les émissions de gaz à effet de serre, et au succès de la conférence de Copenhague ; une grande partie d'entre eux pensaient que l'énergie nucléaire était la solution et, à mon avis, ils avaient raison. Depuis l'accident de Fukushima, nombreux sont les doutes et les interrogations. Il ne faut pas sous-estimer le fait que certains pensent qu'on leur ment ou qu'on leur cache certaines choses, et qu'il existe en réalité un risque important d'incident ou d'accident nucléaire. Je précise que c'est un élu de la Drôme qui parle, département où sont implantées la centrale du Tricastin et l'usine franco-belge de fabrication de combustibles (FBFC), département qui est également voisin de la centrale de Cruas, située au bord du Rhône, dans l'Ardèche. Je connais donc les problèmes d'acceptabilité du nucléaire !

Je pense qu'il faudrait évoquer dans le rapport certains faits d'actualité. L'EPR est ainsi une belle technologie, mais ce qui se passe en Finlande fait question. Serons-nous véritablement à même de construire des EPR ?

En France, il y a dix jours, des militants ont réussi à s'introduire dans plusieurs centrales. Ils ont certes enfreint la loi, mais que se serait-il passé s'il s'était agi de personnes malveillantes ? Cela doit nous conduire à réfléchir.

Envisager l'avenir de la filière nucléaire implique non seulement d'étudier les aspects stratégiques, mais aussi de mettre les industriels en garde : qu'ils ne scient pas la branche sur laquelle ils sont assis. Je préside la plus importante commission locale d'information (CLI) de France, et j'aime à rappeler le triptyque de l'excellence industrielle, de la sécurité maximale et de la transparence totale. Il ne faut pas sous-estimer ces deux derniers volets. Même si tout ne peut être dit, nous devons aller plus loin dans certains domaines et, pour ce faire, il semble que nous ayons besoin d'une seconde loi « TSN », sur la transparence et la sécurité en matière nucléaire.

La crédibilité de notre démarche passe d'abord par la limitation de la consommation, notamment dans les bâtiments. C'est très important. Les collectivités locales se sont engagées depuis longtemps dans cette voie, et j'estime que le futur gouvernement, quel qu'il soit, devra en faire sa priorité. Si la R&D est cruciale, il faut aussi arrêter de gaspiller quotidiennement de l'énergie ; et si nous voulons associer l'ensemble des Français à cet effort, il faut arrêter la fuite en avant, donner la priorité aux économies d'énergie et refuser tout manichéisme - c'est d'ailleurs pourquoi j'ai tant apprécié l'exposé des rapporteurs. Il ne s'agit pas d'opposer un modèle à un autre, mais de savoir comment la filière nucléaire peut se développer dans le cadre du modèle sociétal que nous souhaitons élaborer, et qui comprend aussi la limitation de la consommation d'énergie, la transition énergétique, le développement des énergies renouvelables et la recherche sur le stockage et l'hydrogène.

N'oublions pas que le sujet est à la fois complexe et passionnel ; une seule phrase prononcée à la télévision peut suffire à tout ruiner. Ce qui honore le Parlement, c'est d'organiser des débats et de produire les rapports les plus objectifs possibles, dans le respect de la sensibilité de chacun. Je fais partie de ceux qui pensent que la sortie du nucléaire est impossible, mais attention à ne pas tomber dans une posture qui nuirait à la crédibilité de notre démarche. L'objectif est de répondre aux besoins à long terme de notre pays, qui continuera à se développer et qui, de ce fait, aura besoin de toujours plus d'énergie, même si on l'économise.

Enfin, un raisonnement en termes de coût est indispensable. Force est de constater que beaucoup de nos concitoyens sont actuellement dans la difficulté, voire dans la misère, et que le prix de l'énergie est un problème. Les plus pauvres d'entre eux sont aussi ceux qui vivent dans les logements les plus mal isolés. Pour eux, c'est la double peine : ils paient davantage, parce qu'ils n'ont pas les moyens de faire autrement. Il faut donc que l'énergie soit la moins chère possible. En France, son prix est certes moins élevé que dans le reste de l'Europe, en moyenne, mais cela ne doit pas être une raison pour augmenter les tarifs : l'objectif n'est pas de rattraper les autres ! Sur ce point aussi, l'excellent rapport de Christian Bataille et Bruno Sido apporte des réponses. Qu'ils en soient félicités.

M. Christian Bataille, député, rapporteur. Personnellement, je regrette que le thème du réchauffement climatique ait été relégué au second plan, car je pense qu'il s'agit du danger le plus grand. Le Grenelle de l'environnement a été un vrai Barnum, on y a affirmé haut et fort de grands principes, mais tout cela est quelque peu oublié aujourd'hui.

Je n'ai pas d'inquiétudes concernant l'EPR. Les industriels - qu'il s'agisse d'Areva en Finlande ou d'EDF à Flamanville - rencontrent des difficultés de mise au point parce qu'il s'agit d'une technologie complexe, mais ils finiront bien par les surmonter. Les plus anciens rappellent que la mise au point des réacteurs à eau pressurisée de deuxième génération n'a pas été non plus facile...

S'agissant de l'intrusion des commandos de Greenpeace, je ne peux que répéter ce que j'ai déjà déclaré sur une radio. Qui forme ces commandos militaires ? Qui paie cette formation ? En outre, je trouve Greenpeace bien intraitable pour l'énergie nucléaire et bien indulgente pour les pétroliers ; on en tirera les conclusions que l'on veut...

M. Jean-Claude Lenoir, sénateur. On en connaît la raison !

M. Christian Bataille, député, rapporteur. C'est assez simple : ces agressions répondent à une volonté de fragiliser une énergie rivale du pétrole !

Pour le reste, on a toujours tendance, sur ce thème, à vouloir traiter aussi des économies d'énergie et des autres sources d'énergie ; selon moi, il est bon de s'en tenir au sujet.

Par ailleurs, je souhaite que ce rapport soit connu autrement que par des allusions lapidaires ou par des informations laconiques. En matière d'énergie nucléaire, on retient plutôt le fait divers, et nous avons la plus grande difficulté à faire passer un message approfondi - à savoir, qu'il faut envisager les choses sur la durée d'un siècle, non à court terme, sous la pression d'un événement anecdotique. Pour faire passer nos idées, on peut utiliser les ressources que nous offre le Parlement : l'OPECST, les commissions, les groupes politiques. Pour ma part, je présenterai le rapport devant mon groupe politique ; pourquoi ne pas faire de même devant les commissions des affaires économiques du Sénat et de l'Assemblée, ce qui permettrait de toucher un nombre plus grand de parlementaires ?

M. Bruno Sido, sénateur, rapporteur. Le principal problème, c'est le réchauffement climatique.

M. Didier Guillaume, sénateur. Je suis bien d'accord !

M. Bruno Sido, sénateur, rapporteur. Nous n'avons pas voulu le traiter parce que ce n'était pas notre sujet, mais il faudra probablement le faire. Pour commencer, il conviendrait de limiter la consommation d'énergie partout, notamment dans les bâtiments et dans les voitures.

La récente affaire Greenpeace est grave. Certainement y a-t-il des arrière-pensées, mais il reste que des militants ont réussi à pénétrer à l'intérieur d'une centrale. Cela impose de faire une nouvelle loi afin d'améliorer la sécurité nucléaire ; l'exploitant devra peut-être assurer une partie de la sécurité du site, ce qui risque de faire augmenter le prix de l'électricité jusqu'à due concurrence. Mais à quoi bon concevoir des centrales capables de résister à la chute d'un avion si elles peuvent être plastiquées facilement ? Je pense que le Gouvernement en a pris conscience ; en ce sens, on peut dire merci à Greenpeace !

M. Claude Birraux, député, président. En Chine, le chantier de l'EPR n'a pas pris de retard : la centrale devrait même être mise en service avant les EPR européens. Je l'avais dit un peu vertement à l'occasion d'une interview accordée à L'Usine nouvelle, ce qui m'a valu une visite matinale de M. Martin Bouygues ; j'en ai profité pour lui rappeler quelles étaient les exigences du travail dans le nucléaire.

Quant à la performance énergétique, comme nous l'avons vérifié avec Christian Bataille lors de l'élaboration de la réglementation thermique 2012 - la RT 2012 -, il importe de prendre en considération la performance mesurée, et non la seule performance théorique. C'est d'ailleurs ce que font les Suisses, les Allemands et les Anglais. Il faut arrêter avec les histoires de la Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP), de l'ADEME et du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), qui prétendent que c'est impossible, sous prétexte qu'il faut faire du calcul réglementaire !

M. Claude Gatignol, député. Ce rapport est parfaitement d'actualité. Il répond à une question majeure, celle de l'avenir de la filière nucléaire en France, en étudiant les possibles conséquences de différentes décisions politiques. On note que le choix de chaque pays a été dicté par des considérations liées à son histoire et à ses compétences scientifiques et technologiques : au-delà des effets de mode, il y a les réalités de terrain. Je sais gré aux rapporteurs d'avoir souligné la place essentielle de l'énergie dans nos sociétés, tant pour l'activité industrielle que pour la vie domestique.

En revanche, je ne suis pas d'accord avec eux quand ils déclarent partager les options du scénario « négaWatt » - sauf en ce qui concerne les économies à réaliser en matière de consommation d'énergie dans les bâtiments. Si je suis favorable au non-gaspillage, à la bonne maîtrise et à la bonne gestion, ce scénario s'appuie en effet sur l'hypothèse d'une régression économique et d'une diminution de la consommation, laquelle ne me semble pas acceptable.

Il est certain qu'après l'émotion suscitée par l'accident de Fukushima, nous nous trouvons à un tournant. Je suis satisfait que les rapporteurs aient rappelé que l'accident nucléaire n'avait, à ce jour, provoqué aucun mort - les dizaines de milliers de décès étant dus au séisme. Le problème se résume - comme toujours, hélas ! - à un amalgame de l'affaire médiatique et des désordres technologiques. De ce point de vue, il convient de bien distinguer les différents types de réacteurs. Ceux de Fukushima sont des réacteurs à eau bouillante, de conception General Electric, alors que les 58 réacteurs français font appel à la technologie à eau pressurisée, utilisée à Three Mile Island - centrale qui a résisté à la surpression et où il n'y a pas eu d'émission de produits radioactifs.

Le niveau d'émission de CO2 reste le principal enjeu. Or la comparaison des tonnages de CO2 émis par habitant et par point de PIB place la France largement en tête, à l'exclusion des pays qui utilisent quasi-exclusivement l'hydraulique.

Parmi les possibilités de développer le nucléaire en France, il y a la construction d'EPR. La Normandie bénéficie de la construction de la tête de série. La région produit déjà 20 % de l'électricité nucléaire française, grâce aux réacteurs de Paluel, de Penly et de Flamanville ; le traitement des combustibles usés à La Hague nous permet de développer la notion de tri, de recyclage et de maîtrise des déchets. À Caen a été implanté un pôle radiomédical ô combien important, puisque la première caméra à positons, « Cyceron », y a été créée ; un centre de recherche en hadronthérapie est par ailleurs en projet.

À l'avenir, nous aurons besoin de toujours plus de kilowattheures : toutes les analyses montrent qu'il n'y aura pas une régression, mais, au contraire, un accroissement de la consommation d'électricité. J'ai présenté deux rapports sur l'automobile pour l'OPECST ; à cette occasion, j'ai calculé que, pour assurer le bon fonctionnement d'un parc de plus d'un million de voitures hybrides rechargeables - le véhicule électrique qui a le plus d'avenir -, il faudrait disposer d'une puissance équivalente à celle d'un réacteur nucléaire. Or, si l'on en croit ce qui a été dit hier, dans 20 ou 30 ans, le parc automobile sera composé à 20 % de véhicules de ce type !

De ce fait, il convient de renforcer aussi notre réseau de transport d'électricité, et je rejoins Marcel Deneux quand il dit ne pas comprendre que l'on se heurte à tant d'obstacles administratifs. Je dois pour ma part réaliser 160 kilomètres de ligne à très haute tension, et c'est un véritable parcours du combattant !

À côté de l'énorme centrale qu'est l'EPR - d'une puissance de 1.700 MW, soit une production de 15 milliards de kilowattheures par an, et dont la construction nécessitera 120.000 tonnes d'acier, soit l'équivalent de 20 Tour Eiffel, et 400.000 tonnes de béton ! -, nous devrions disposer de l'ATMEA, réacteur d'une puissance de 1.000 MW plutôt destiné à l'exportation, ainsi que de Flexblue, la centrale sous-marine mise au point par DCNS, qui est dérivée des réacteurs très compacts et dont la puissance sera d'environ 200 ou 300 MW. Cela pourrait être l'occasion de faire bénéficier de la technologie nucléaire des pays qui ne peuvent pas compter sur des compétences comparables à celles du CEA ou de l'IRSN.

M. Claude Birraux, député, président. Cessons de rêver ! Sur ce sujet, je ne serai jamais d'accord avec vous : si l'on veut utiliser une technologie, il faut l'infrastructure scientifique adéquate.

M. Claude Gatignol, député. Ne négligeons cependant pas ce projet, qui peut être très utile, en particulier pour les pays qui ont besoin de désaliniser l'eau de mer.

M. Jean-Claude Lenoir, sénateur. Les précédentes interventions ont rendu inutiles la plupart des remarques que je voulais faire. Je voudrais néanmoins féliciter les auteurs de cet excellent rapport, qui honore le Parlement.

La mission de l'Office parlementaire est d'évaluer les choix scientifiques et technologiques. En la matière, nous sommes un peu corsetés : nous pourrions faire un rapport sur la politique énergétique ; néanmoins, ce n'est pas à nous, mais au Gouvernement, de la déterminer. Il me semble cependant bon d'en étudier un volet important, sans hésiter à aborder des sujets comme l'effacement de consommation électrique ou les économies d'énergie.

Christian Bataille s'est montré sévère pour le Grenelle de l'environnement. Il s'agit d'une oeuvre immense : un chantier a été ouvert, des enseignements ont été tirés, des objectifs sont fixés, et des réalisations en découlent, notamment en ce qui concerne la réduction de la consommation dans les bâtiments, où il existe des marges d'action considérables. Le compteur Linky - sur lequel j'ai produit, avec Ladislas Poniatowski, un rapport - devrait aider à maîtriser la consommation, sous réserve que l'on mesure bien toutes les performances. En France, on a tendance à se bercer d'illusions en avançant des chiffres dont on ne vérifie pas forcément l'origine. Par exemple, est-on sûr que les performances mises en avant par les agences immobilières ont bien été mesurées ?

La question du stockage de l'énergie est majeure ; nous l'avons évoquée hier, en commission de l'Economie, lors de l'audition de Dominique Maillard. Le développement des énergies renouvelables suppose d'importants progrès dans ce domaine. Ce sera l'un des enjeux des prochaines années.

Autre question importante : combien coûte, au total, l'énergie électrique ? On ne peut pas faire l'économie de ce débat, même s'il ne s'agit pas de fixer avec précision un prix ; de toute façon, celui-ci augmentera, Christian Bataille ne cesse de le répéter.

Pour conclure, je dirai que, dans le contexte actuel, le rapport de Christian Bataille et de Bruno Sido est particulièrement habile, notamment s'agissant des perspectives ouvertes en termes de calendrier et d'objectifs...

M. Claude Birraux, député, président. Je vais maintenant mettre aux voix le rapport.

À la suite de ces échanges, le rapport est adopté à l'unanimité et sa publication autorisée.


* 1 M. Daniel Paul a fait savoir par la suite au secrétariat de l'OPECST qu'il n'ajouterait pas de contribution au rapport.