Mardi 19 mars 2013

. - Présidence de M. Bruno Sido, sénateur, président -

Deuxième audition publique, ouverte à la presse, sur « Les nouvelles mobilités sereines et durables : concevoir des véhicules écologiques »

PROPOS INTRODUCTIFS

M. Bruno Sido, sénateur, président de l'OPECST. - Mesdames et Messieurs, je vous remercie d'avoir répondu à l'invitation de nos rapporteurs, que je salue, pour cette deuxième audition concernant le véhicule écologique. Nous nous retrouvons pour la deuxième série de quatre auditions publiques consacrées au thème des nouvelles mobilités sereines et durables, dans le cadre du travail de nos collègues Mme Fabienne Keller et M. Denis Baupin.

La première audition s'est déroulée le 14 février dernier, et elle a abordé la question des besoins de mobilité et leurs évolutions possibles à l'avenir. Saisis d'une demande d'étude sur le développement des véhicules écologiques, les rapporteurs ont en effet voulu élargir l'objet de leur travail aux enjeux sociétaux de la mobilité, et permettre ainsi la rencontre entre diverses disciplines susceptibles d'enrichir leur démarche. Je pense que cette ouverture du rapport est une très bonne chose.

L'analyse de l'évolution de la demande de mobilité ne doit toutefois pas occulter celle de l'offre technologique qui pourrait y répondre. C'est pourquoi l'audition d'aujourd'hui est consacrée aux enjeux techniques de la mobilité de demain.

Cette question fait partie des sujets de préoccupation récurrents de l'Office, puisqu'elle avait été traitée, en 2006 déjà, par nos anciens collègues les députés Christian Cabal et Claude Gatignol, dans le cadre d'un rapport sur la définition et les implications du concept de voiture propre. Vous voyez que l'Office parlementaire est toujours en amont des sujets. Ce rapport examinait déjà diverses options susceptibles de rendre le véhicule du futur moins polluant. Ce rapport a fait date, mais la rapidité de l'évolution technologique, et je dois dire les effets de la crise également, et du renchérissement des hydrocarbures, rendent indispensable le réexamen aujourd'hui de cette question.

Comme on le verra, les transports sont indissociables d'un autre enjeu devenu central dans le débat public, celui de l'énergie. En effet, les transports représentent près d'un tiers de la consommation finale d'énergie en France, et cette part a d'ailleurs fortement augmenté en quatre ans. Ce secteur constitue donc un levier essentiel pour répondre aux défis environnementaux et géopolitiques de l'énergie. L'accroissement de la sobriété et de l'efficacité énergétique, le développement de sources d'énergies moins polluantes, y trouvent un terrain d'application primordial.

Les paramètres économiques doivent également être intégrés à la réflexion. Ainsi a-t-on pu lire récemment que la plus grande compagnie ferroviaire des États-Unis envisageait de faire rouler ses locomotives au gaz naturel, ou au gaz de schiste, plutôt qu'au diesel, en raison de la modicité du prix de ce gaz à l'heure actuelle outre-Atlantique.

Au-delà du grand enjeu de l'énergie, les questions qui seront abordées au cours de cette journée seront multiples. Quelles sont les filières les plus prometteuses et à quelle échéance ? Comment inciter à leur développement ? La filière automobile y est-elle préparée ? Enfin, quels sont les défis technologiques et industriels qui restent à affronter à l'avenir ?

Je vais maintenant laisser le soin aux rapporteurs de vous présenter plus en détail cette journée qui s'articulera autour de quatre tables rondes. Je vous remercie.

Mme Fabienne Keller, sénatrice, co-rapporteure. - Notre réflexion se veut globale, ce qui rend le sujet très vaste. Nous avons l'ambition d'aborder tous les aspects de ce sujet, c'est-à-dire de croiser les évolutions sociétales et l'apparition des nouvelles technologies, mais aussi leurs pratiques, leur appropriation, par nos concitoyens. On ne peut plus parler de ces techniques sans s'intéresser aux nouvelles tendances du marché et aux modifications de comportement.

Ces comportements sont différents selon l'époque, le genre, l'âge, le lieu de résidence, la profession, le rythme de vie. C'est pourquoi je me permets de rappeler ici une piste de travail, et nous sommes très demandeurs d'analyses sur ce sujet, sur la typologie des besoins de déplacement en fonction de ces différents éléments. Où est-ce que j'habite ? Quel est mon rythme de vie ? Quel est mon comportement vis-à-vis des déplacements ?

La première audition publique a mis en évidence de nouveaux besoins : nouvelles formes de mobilité, nouvelles formes de partage du véhicule, besoins d'appropriation de nouveaux services, besoins de services publics et de règles d'usage du véhicule.

Ces besoins, nous avons commencé à les croiser avec les projets des constructeurs, mais nous allons surtout continuer aujourd'hui. C'est la condition du réalisme, d'autant que le contexte auquel est confrontée aujourd'hui la filière automobile nous inquiète, puisque c'est la première industrie française, et donc, elle est porteuse d'emplois. Cet aspect devra aussi être traité.

Nous avons veillé à donner la parole à tous les constructeurs qui le souhaitaient, et je les remercie d'avoir accepté cette règle du jeu. Mais je voudrais vraiment vous engager, pour aller plus loin, à nous faire des propositions de texte écrites, qui seront affichées sur notre blog, que vous pouvez retrouver sur le site du Sénat. Nous vous demandons de petites présentations adaptées au Web, assez brèves, donnant éventuellement un lien vers des descriptions plus complètes, pour que les différents regards puissent être mis en rapport. Pour ceux qui étaient présents la dernière fois, vous avez déjà le texte complet des interventions. Aux côtés de ces comptes rendus exhaustifs, nous vous proposons d'ajouter des éléments plus factuels et plus précis du point de vue de chacun.

Ces nouveaux besoins, que nous allons approfondir aujourd'hui, reposent tant sur de nouvelles prises de conscience que sur le déploiement de nouvelles technologies et de nouveaux services. Nous allons essayer de les aborder à travers quatre tables rondes.

D'abord, concernant la maîtrise de l'énergie, nous écouterons les spécialistes de l'ADEME, des chercheurs du CNRS, de l'École Centrale Paris, de l'École des Ponts Paris Tech, de l'ENS-Cachan, du Laboratoire d'économie des transports, et nous confronterons leurs analyses avec celles des constructeurs, mais aussi avec celles des producteurs d'énergies alternatives, le CEA-Liten pour les piles à combustible, la confédération générales des betteraviers pour les agro-carburants et l'IFP Énergie nouvelles. Nous écouterons également, si elles le souhaitent, les associations préoccupées par le développement durable et l'environnement.

La deuxième table ronde portera sur la question de la pollution, les émissions de CO2, mais aussi d'oxydes d'azote (NOx) et de particules fines. Pour ma part, j'ai produit quatre rapports sur le retard de la France en matière d'application des directives européennes sur ces sujets. Toutes les grandes villes de France sont aujourd'hui sous le coup d'un contentieux auprès de la Cour de Luxembourg. Aujourd'hui, c'est un contentieux sur les particules fines, mais ce qui nous attend, ce sont les NOx.

Au-delà du CO2 qui mobilise beaucoup, il y a toute la question de la contribution à la réduction de la pollution de l'air. Nous sommes engagés dans une démarche de densification de nos villes, de meilleures dessertes par les transports publics, mais il faut dans le même temps travailler sur le cadre de vie. La circulation automobile est bien sûr l'un des contributeurs, mais il y en a d'autres : le chauffage, les activités industrielles et agricoles. Pour ce qui nous concerne ici, cette question de la moindre contribution aux gaz à effet de serre et à la mauvaise qualité de l'air est évidemment stratégique. Questions de bonus-malus, questions de mesures de la qualité de l'air. Sur ce sujet, on mesure remarquablement, mais on agit plus difficilement. Grâce aux Associations agréées de surveillance de la qualité de l'air (AASQA), on sait parfaitement quelle est la qualité de l'air que nous respirons et quelles seraient les conséquences de l'évolution du parc automobile sur cette qualité. Les modèles sont très au point.

La troisième table ronde portera sur le développement des nouveaux carburants et la recharge des batteries des véhicules électriques. On sera plus technique. Nous sommes là au point d'articulation entre la responsabilité de la puissance publique, qui doit impulser, et des initiatives des centres de recherche, des constructeurs. Nous nous efforcerons là aussi de croiser les approches universitaires avec celles des acteurs économiques et des fournisseurs d'énergies alternatives qui sont présents aujourd'hui.

Dans la quatrième et dernière table ronde, nous réfléchirons à l'adaptation de la filière automobile aux nouveaux défis. Nous écouterons les constructeurs, mais aussi les équipementiers et les sous-traitants, que malheureusement on entend moins souvent. Nous avons invité des constructeurs à plusieurs échelles, et le croisement de leurs regards devrait nous permettre d'avoir une vision du secteur.

Je ne peux que vous redire que nous démarrons un blog. Il ne sera riche que par vos contributions. Contrairement à ce qui se passe à l'école primaire, vous emmènerez un devoir à la maison. Pour la plupart d'entre vous, ces documents sont prêts. La question est de savoir ce qui peut être rendu public. Je vous invite à alimenter ce blog pour qu'il soit vivant. La première étape sera de l'alimenter par des éléments de fond, et assez rapidement, cela pourrait devenir interactif, de par les réactions aux post des uns et des autres intervenants. De cette façon le débat s'établira, entre ceux qui rêvent la ville de demain et ceux qui la rendent possible ou qui y réfléchissent. Je vous remercie.

M. Denis Baupin, député, co-rapporteur. - Je soulignerai l'état d'esprit qui est le nôtre dans ce rapport, au moment où la filière automobile doit faire face une triple crise.

La première crise est environnementale. Chacun peut l'imaginer, et Fabienne Keller en a évoqué un certain nombre d'aspects les plus préoccupants en ce qui concerne la pollution de l'air et les émissions de gaz à effet de serre. On pourrait y ajouter l'épuisement des ressources pétrolières, en tout cas la moindre production par rapport à la consommation, et donc l'augmentation du prix, et à terme, la question de l'épuisement des ressources fossiles qui se posera.

La deuxième crise est sociale. Justement, à cause de l'augmentation du prix des énergies, une partie de la population a de moins en moins la capacité à remplir son réservoir pour pouvoir utiliser son véhicule. Et donc, c'est le droit à la mobilité qui se pose pour une partie de la population, avec des véhicules très énergivores.

La troisième crise est économique. Chacun peut s'en rendre compte, avec les conséquences que l'on peut voir sur les constructeurs aujourd'hui, les licenciements, les problèmes que cela pose pour les territoires avec les fermetures de sites. Il y a un certain nombre de cas sur le territoire national qui nous préoccupent tous.

Face à cet ensemble de difficultés, de crises que rencontre la filière, notre réflexion consiste à voir comment, à partir des recherches, des réflexions, des contraintes, des besoins, des exemples à l'étranger, on peut tracer des pistes pour contribuer à aller vers ce qu'on a appelé le véhicule écologique. Il doit être pris dans son acception la plus large possible et doit être en capacité à prendre en compte les contraintes environnementales, mais aussi le droit à la mobilité pour tous. Pour nous, c'est une préoccupation qui est également importante dans cette réflexion.

C'est pourquoi, dans la première audition qui a eu lieu il y a quelques semaines, nous avons voulu partir des besoins, en réfléchissant avant tout avec les constructeurs. Nous voulons les associer à l'ensemble du processus, parce qu'on sait bien qu'il ne suffit pas de faire des réflexions en chambre pour avoir des réponses. Il faut que nous ayons des discussions avec ceux qui sont directement les producteurs de ces véhicules. Cette réflexion portait sur le thème suivant : quels sont les besoins d'aujourd'hui et de demain auxquels il faut répondre ?

Aujourd'hui, nous allons aborder plus précisément ces questions sous un angle plus technique, à propos des émissions de gaz à effet de serre, des pollutions, des différentes sortes de carburants, la liaison entre toutes ces problématiques et l'organisation des filières, de façon à nous éclairer les uns et les autres sur les marges de manoeuvre possibles, et en même temps, la façon dont les uns et les autres nous appréhendons les contraintes dans la période.

Quand on fait ce travail, on est en liaison directe avec beaucoup de questions d'actualité. Le président des États-Unis a fait des déclarations il y a quelques jours sur sa volonté d'aider au développement des véhicules propres dans son pays. La Commission européenne réfléchit à de nouvelles normes en matière d'émissions de gaz à effet de serre pour les véhicules. Il ne vous a pas échappé qu'en France, un grand débat a lieu sur la pollution de l'air liée au diesel. Fabienne Keller l'a évoqué. Se posent les questions de politique fiscale et de politique industrielle. Toutes ces questions ne sont pas purement théoriques, au contraire, elles s'inscrivent clairement dans l'actualité. Tous ces débats peuvent nous éclairer, et en même temps, nos réflexions peuvent aussi aider à les enrichir.

Première table ronde : le grand enjeu de l'énergie

A. Les diverses sources d'énergie

Mme Fabienne Keller, sénatrice, co-rapporteure. - Voici quelques sujets de cette première table ronde consacrée au grand enjeu de l'énergie. Premier volet : Comment consommer moins d'énergie ? Comment mieux se déplacer, moins gaspiller. Comment réinterroger les performances ? Deuxième volet : la sécurité énergétique. Comment réduire la dépendance en énergie fossile ? Aller vers des sources renouvelables ? Troisième volet : les gaz à effets de serre, l'impact sur le climat, les engagements européens « 3 fois 20 ». Quatrième volet : mobilité et habitation. Comment stocker les énergies dont la production peut être dépendante de conditions climatiques ?

Chacun s'exprimera en deux minutes.

M. Nicolas Bardi, chef du département des Technologie Biomasse et Hydrogène, CEA-Liten à Grenoble (Agro-carburant). - La biomasse est effectivement une ressource renouvelable qui a des usages très variés dans le domaine de l'énergie. J'ai repris quelques chiffres qui dataient du Grenelle de l'environnement. Quand on regarde les besoins en chaleur, les besoins en électricité par la cogénération, ou les besoins en carburant, à chaque fois on compte la biomasse comme une ressource potentielle. Cela va des poêles à granulés de bois ou des chaudières à cogénération de bois, qui se développent énormément dans notre pays, jusqu'aux biocarburants des différentes générations.

Tout cela pour dire que cette ressource est précieuse. On peut créer beaucoup d'emplois non délocalisables dans l'exploitation de la biomasse de façon durable. Par contre, on doit se poser la question des conflits d'usages et vers quels usages on va orienter l'utilisation de cette biomasse.

Quelques chiffres un peu anciens, mais les ordres de grandeur sont là. En termes de potentiel des biocarburants à l'échelle mondiale, l'ordre de grandeur est à peu près 10 % de la consommation actuelle d'énergie. On pourra faire peut-être un peu plus. Tout dépend des conditions dans lesquelles on exploite cette biomasse. Mais en tous les cas, on ne couvrira pas 50 %, ou plus, de la demande mondiale en énergie avec la biomasse et les biocarburants.

Par exemple, dans l'usage aéronautique, où l'on a moins de solutions de substitution au carburant liquide, le potentiel de croissance de cette consommation s'élève à des ordres de grandeur aux alentours de 500 Mtep qui sont de l'ordre de grandeur du potentiel de biocarburants de deuxième génération.

En quelques mots, je dirais qu'à mon avis, on a intérêt à focaliser l'usage de la biomasse sur des usages pour lesquels il existe moins de solutions de substitution ou d'alternatives. Évidemment, la règle numéro 1, c'est d'économiser toute l'énergie qu'on peut, et développer les filières électriques et hydrogène. Règle numéro 2, regarder comment on peut favoriser le déploiement des biocarburants dans des types de transport qui en ont besoin. Règle numéro 3, développer des modes de conversion à rendement maximal. La biomasse est une ressource renouvelable, mais qu'il faut exploiter de manière durable. Et il faut s'assurer que dans le mode de fabrication des carburants eux-mêmes, on a le rendement de conversion maximal. Et puis après, également avoir un mode de conversion maximal dans le véhicule. Et là, l'hydrogène peut jouer également un rôle en complément des biocarburants.

M. Joseph Beretta, président de l'AVERE-France. - L'AVERE-France est l'association pour la mobilité électrique. Je vais vous expliquer comment la mobilité électrique traite les enjeux de l'énergie dans les transports.

L'électricité est un vecteur énergétique et l'on peut effectivement fabriquer et mettre à disposition de l'électricité par tous les moyens qui ont été cités : l'éolien, la biomasse, ou autres. Il faut tenir compte de l'écosystème.

On se projette sur un véhicule qui doit être à 2 litres/100 km, et aujourd'hui, le véhicule électrique, c'est un véhicule à moins de 2 litres/100 km, à moins de 2 euros/100 km, et tout ce qui nous manque, c'est de le rendre accessible à tous. Il va falloir se concentrer sur le grand enjeu de la réduction du coût de ces nouvelles technologies, et donc du coût de l'électrification du véhicule. Parce que la mobilité électrique, ce n'est pas seulement le véhicule électrique à batterie, c'est aussi toutes les déclinaisons hybrides.

Voilà les grands défis de demain. Les véhicules électriques ou à batterie présentent un autre avantage : ils pourront stocker de l'énergie électrique à travers les smart grids, si tout cela se met en place progressivement.

Mme Fabienne Keller. - On pourra peut-être aller plus loin sur les smart grids, pour voir si l'investissement vaut le coup.

M. Joseph Beretta. - Tout à fait. Il faut y réfléchir prudemment, mais il faut le prendre en compte dès aujourd'hui.

M. Denis Baupin, député, co-rapporteur. - Pour vous, c'est tout électrique, hybride ?

M. Joseph Beretta. - Cela ne peut pas être tout électrique. Dans l'écosystème dont j'ai parlé, il y a aussi l'usage qu'on doit faire de la mobilité. L'électrique est limité par son autonomie. Si l'on veut des usages qui sortent des villes ou des courtes distances, il faut jouer avec l'hybride dans toutes ses déclinaisons. Il faut vraiment adapter la solution technologique à l'énergie disponible et à l'usage.

M. Dominique Herrier, IFP énergies nouvelles. - Je représente le secteur Transport de l'IFP. Je souhaite intervenir sur trois points pour rappeler les leviers qui permettront d'améliorer le bilan énergétique des véhicules.

Traditionnellement, on peut penser à la voie technologique, c'est-à-dire les leviers relatifs à la motorisation. En particulier, il faut rappeler que les motorisations conventionnelles ont encore des potentiels d'amélioration très importants.

Un deuxième point important qui vient d'être mentionné, c'est l'électrification du véhicule, avec un potentiel d'amélioration qui est extrêmement intéressant par rapport à ce qui existait jusqu'à présent avec les motorisations conventionnelles. Il faut absolument investir sur ce levier au plan des innovations.

Bien sûr, il y a beaucoup de difficultés à résoudre, que ce soit au niveau du stockage de l'énergie à bord du véhicule ou des différents composants électriques qui seront nécessaires pour alimenter et équiper ces différents véhicules. Il y a beaucoup de travaux dans ce domaine.

Je voulais aussi mentionner les carburants. N'oublions pas les carburants alternatifs « bas carbone », qui ont été mentionnés, notamment les biocarburants de génération 2, mais aussi le gaz naturel et le biogaz qui ont également été précisés. Je pense que le potentiel est conséquent. Par exemple, l'utilisation du gaz naturel sur un véhicule conventionnel représente d'emblée plus de 20 % de gains en termes d'émission de CO2. En le couplant à l'électrification, on peut avoir un gain encore plus important.

Un troisième point me paraît essentiel, c'est l'éco-conduite, ou plus exactement tout ce qui permet d'améliorer non seulement l'utilisation du véhicule, mais aussi la gestion du trafic. Là aussi, cela représente un potentiel conséquent, qu'il ne faut pas oublier, à travers tous les outils qui permettront d'optimiser l'utilisation du véhicule suivant son usage, de façon à améliorer et optimiser l'énergie à bord de ce véhicule et dans son environnement.

Mme Fabienne Keller. - - Les agro-carburants, M. Jeanroy ?

M. Alain Jeanroy, directeur général, Confédération générale des betteraviers. - Je parlerais plutôt des biocarburants, si vous le permettez.

Mme Fabienne Keller. - Comme vous voulez.

M. Alain Jeanroy. - La politique française en matière de biocarburants a été initiée dans les années 90, je le rappelle, notamment avec la production et l'incorporation d'abord de TPE dans les essences. Elle a ensuite été accélérée à partir de 2005, en écho à la directive « Promotion des biocarburants » qui a été adoptée par l'Union européenne en 2003, fixant des objectifs indicatifs à 5,75 %. Cette politique répondait à deux objectifs : réduire les émissions de gaz à effet de serre et réduire les dépenses énergétiques de l'Union européenne.

Ces objectifs restent pleinement d'actualité - et d'ailleurs les thématiques de cette table ronde l'illustrent -, avec l'adoption du « Paquet Énergie-Climat » en 2009, et notamment la directive européenne sur les énergies renouvelables (ENR) qui établit l'objectif contraignant, d'une part, de 10 % d'énergies renouvelables dans les transports en 2020, et l'objectif du Grenelle, d'autre part, de 23 % d'énergies renouvelables dans la consommation totale d'énergie du pays.

C'est pourquoi il importe de poursuivre l'impulsion donnée voilà maintenant huit ans. Les filières françaises ont répondu en investissant massivement : 1 milliard d'euros par filière, et en créant, ou en maintenant, des milliers d'emplois dans notre pays : 8 900 emplois directs, indirects et induits pour la seule filière éthanol.

La France occupe aujourd'hui les tout premiers rangs européens. En matière de production de bioéthanol, elle est à la première place, loin devant l'Allemagne ou l'Espagne. En matière de production de biodiesel, elle occupe le deuxième rang derrière l'Allemagne.

Le bilan environnemental a été totalement mis à jour en 2010 sous l'égide de l'ADEME, avec des résultats probants, tant en termes de réduction des gaz à effet de serre que d'efficacité énergétique. Depuis 2010, des critères de durabilité ont été imposés par Bruxelles : réduction minimale des gaz à effet de serre, statut des terres utilisées, protection de la biodiversité et des forêts primaires. Le respect de ces critères est effectif, documenté par une certification exemplaire en matière de durabilité.

Reste la question du changement d'affectation des sols indirect, qui est en cours d'instruction à Bruxelles sur la base d'une proposition de directive faite par la Commission européenne en octobre 2012. Malheureusement, vous savez qu'aucun expert international n'a le même avis.

Dès lors, on peut considérer que les biocarburants ont fait la preuve qu'ils répondent en tous points aux objectifs qui leur ont été fixés.

En ce qui concerne la concurrence avec l'alimentation, rappelons ici deux éléments d'importance : la production française d'éthanol nécessite de consacrer seulement 1 % de toutes les surfaces agricoles. Chaque hectare apparemment consacré au biocarburant fournit en moyenne l'équivalent d'un demi-hectare pour l'alimentation animale. Il y a donc complémentarité et non pas opposition.

Depuis 2010, l'objectif d'incorporation est fixé à 7 % et il peine à être atteint, en particulier par l'éthanol, alors que tous les moyens sont réunis pour que ce soit le cas. Je vous rappelle qu'il existe un certain nombre de dispositifs visant à rendre obligatoire cette incorporation.

Nous étions prêts à faire des investissements en 2012. Malheureusement, ces investissements dans de nouvelles unités de production, avec des créations d'emplois en zone rurale, ont été arrêtés, du fait de la décision de la France de faire une pause. Jusqu'à quand ? Je ne le sais pas.

La voie des biocarburants est donc à ré-explorer pour permettre d'apporter des réponses aux grands enjeux dans les secteurs des transports. Les objectifs établis pour 2020 doivent bien sûr être préparés dès aujourd'hui. Et j'ajoute qu'il n'y aura pas de deuxième génération sans la première génération. Je pense que ce point est très important. Nous-mêmes, ceux qui avons investi des milliards d'euros dans la production de biocarburants en France, nous sommes dans la deuxième génération.

Un autre point doit également ne pas être oublié. La France pourrait avoir un rôle stratégique à l'avenir, en devenant la productrice de référence de biocarburants en Europe.

Mme Fabienne Keller. - Merci pour cette présentation très complète. M. Joël Pedessac ?

M. Joël Pedessac, directeur général, Comité français du butane et du propane (CFBP). - Juste une petite présentation des GPL. Je représente les distributeurs de gaz, et en gros les producteurs. Les GPL, ce sont seulement deux molécules parmi plusieurs centaines de molécules dans le gazole et dans l'essence. Ces deux molécules sont le butane et le propane qui sont utilisés indifféremment dans trois domaines : les combustibles pour le chauffage, les usages domestiques ou tertiaires ; le carburant qui représente 10 % des usages au niveau mondial ; la production d'éthylène, c'est-à-dire les matières plastiques dans les vapocraqueurs.

Étant liquides à température ambiante, ces gaz ont tous les avantages et les attraits à la fois des énergies liquides en termes de stockabilité, de transport et de densité énergétique, et des gaz en termes de combustion plus propre, moins de CO2, de NOx et de particules.

Les GPL représentent 2 % de l'énergie primaire au niveau mondial et 1,2 % au niveau français. En France, il y a 10 millions d'utilisateurs, principalement dans les secteurs domestiques et tertiaires, et seulement 200 000 utilisateurs de GPL carburant en France, contre 21 millions dans le monde.

La puissance développée par les installations GPL en France représente l'équivalent de 30 EPR. C'était une petite anecdote.

M. Denis Baupin. - Pouvez-vous développer ?

M. Joël Pedessac. - Quand on met une bouteille de gaz ou une citerne chez un client, cette installation fournit de l'énergie et de la puissance. Une plaque à gaz représente 2 à 3 kW de puissance. Si vous faites la somme de ces installations chez les 10 millions de consommateurs, la puissance que vous fournissez instantanément, au moment où les gens cuisinent ou allument leur chaudière, représente l'équivalent de 30 EPR en puissance. Pas en production d'énergie.

M. Denis Baupin. - En gaz globalement ?

M. Joël Pedessac. - En GPL. Justement, le chiffre est étonnant, et c'est pourquoi je l'ai cité.

Mme Fabienne Keller. - C'est-à-dire que vous gérez très bien la pointe ?

M. Joël Pedessac. - Nous gérons tout à fait la pointe puisque l'énergie est stockée chez les clients. Il n'y a donc pas de problème. Il y a une pointe parce qu'il faut approvisionner quand les gens en ont besoin, mais en général, on approvisionne en amont et non pas au moment où il fait - 20°C.

En termes de ressources, que ce soit au niveau mondial ou français, 60 % des GPL proviennent de l'exploitation du gaz naturel. Les molécules présentes dans le sol à l'état naturel sont du méthane (CH4), du butane et du propane. Quand vous faites l'extraction du pétrole ou du gaz naturel, vous avez naturellement des GPL. Quand vous construisez une raffinerie, vous produisez du gazole, de l'essence, des bitumes, du kérosène, du naphta, mais aussi, et systématiquement, du GPL. C'est ce qu'on appelle des by-product. Ils existent de toute façon, quels que soient les moyens de production.

En matière d'environnement, ce gaz bas carbone est le moins carbone des carburants des énergies liquides. Sur le carburant, c'est 17 % de CO2 en moins que le gazole et 14 % de moins que l'essence.

Contrairement à l'électricité, 90 % du CO2 et des polluants sont émis au moment de l'utilisation au niveau du moteur, 10 % au niveau du transport et de la production. L'enjeu se situe donc au niveau du moteur et de la performance du traitement des gaz.

En termes d'énergies renouvelables, le GPL renouvelable peut exister. Il est à l'état de recherche et développement. Comme on a du gaz naturel issu de la biomasse, pour le GPL c'est aussi possible, bien que cela n'existe pas encore de façon massive.

L'Europe a écrit dans sa stratégie européenne en matière de carburants que l'objectif de 10 % de GPL dans le mix des carburants à l'horizon 2020-30, c'est quelque chose de possible. La ressource est largement disponible. Nous avons entre 11 et 17 millions d'excédents de GPL disponibles sur le marché européen dans les dix années qui viennent. Tout simplement parce que l'efficacité énergétique dans le secteur du logement fait que ce gaz sera disponible. Et je vous rappelle qu'il est disponible parce que de toute façon, les raffineries le produisent et les champs de gaz et de pétrole le produisent aussi.

M. Gérard Planche, responsable de projet véhicules électriques, General Motors France. - En tant que constructeur automobile, bien sûr, nous sommes conscients de ne nous adresser qu'à une partie des besoins de mobilité. Celle-ci commence avec les besoins de télétravail, ensuite la marche, puis avec les transports en commun. Quand j'ai pris ma fonction à Argenteuil en janvier, j'ai décidé de trouver un appartement qui me permettait d'aller à pied au travail. Ce qui évite aussi d'être dévalisé si je prenais la diligence, comme on l'a vu malheureusement ces derniers jours.

Je voudrais mettre en exergue une technologie dont on n'a pas encore parlé, bien qu'on l'ait évoquée de loin. Il s'agit de la technologie électrique à prolongateur d'autonomie. D'après nous, cette technologie répond le mieux aux défis d'aujourd'hui. Nous connaissons tous les désavantages du véhicule électrique. Les avantages sont indéniables, mais le désavantage, c'est son autonomie. Pour avoir plus d'autonomie, on va essayer d'avoir une plus grosse batterie, donc c'est du poids rajouté et du temps de charge. Pour diminuer ce temps de charge, on va vers les charges rapides qui ne sont pas idéales pour lisser l'offre et la demande. Nous aurons donc des pointes. Et également, il y a l'incertitude d'arriver au but. Il y a surtout des différences d'autonomie en hiver et en été.

Les trois quarts des déplacements, en Europe ou aux États-Unis curieusement, ne font pas plus de 60 km/jour. On a donc décidé de construire une batterie permettant de parcourir 60 km et de la compléter par un moteur à combustion. Ce moteur peut consommer aussi bien de l'essence, du diesel, de l'E85, du GPL ou du gaz naturel. Ces deux technologies fonctionnent séparément, contrairement à ce que l'on comprend de l'hybride actuel.

Vous pouvez choisir de partir de la maison en thermique ou en électrique. Par exemple, si j'habite en province ou dans la grande banlieue, je pars en thermique et je me mets en électrique lorsque j'arrive aux portes de la ville. De cette façon, on répond à la lutte contre la pollution des villes.

La moyenne de consommation de nos clients se situe entre 2 et 3 litres/100km. Aux États-Unis, j'ai entendu parler d'un chiffre de moins d'1 litre/100km, ce qui m'étonne beaucoup. Nous allons le contrôler.

Élue voiture de l'année en 2012, c'est la voiture électrique la plus vendue en Europe. Elle est encore méconnue en France. Pourtant, c'est une technologie qu'il ne faut absolument pas oublier. Ce véhicule électrique vous donne le choix entre l'électrique ou le thermique. Vous utilisez l'électrique quand c'est le plus approprié.

M. Philippe Schulz, expert-leader Environnement, Énergie et Matières premières, Renault. - Pour le groupe Renault, je suis en charge de la stratégie liée à l'environnement, à l'énergie et aux matières premières. Mon premier constat va porter sur la consommation énergétique. Il est essentiel de rappeler qu'il y a eu un progrès continu sur ce sujet ces dernières années. Sur les cinq dernières années, la consommation moyenne des véhicules vendus en France a été réduite de 1 litre/100 km sur les véhicules essence, et de 0,8 litre/100 km sur les véhicules diesel. C'est donc un progrès essentiel. Et ce progrès, qui est continu, va se poursuivre. Il alimentera évidemment le plan et l'ambition affichés par le gouvernement d'un véhicule à 2 litres/100 km. Il n'y aura pas une solution miracle qui permettra de répondre à ce programme extrêmement fédérateur. Il va y avoir un ensemble de briques technologiques qui permettront de contribuer individuellement à répondre à des besoins spécifiques en fonction des usages, des moyens, et de la période à laquelle ces véhicules seront utilisés.

Pour Renault, il est clair que l'environnement est au coeur de nos préoccupations. Et ce n'est pas seulement l'environnement. C'est l'environnement avec une approche globale du type cycle de vie. Dès 2007, Renault a mis en place une signature « éco2 », écologique et économique, pour souligner cet aspect de la mobilité accessible pour tous. Elle est basée sur trois critères environnementaux sur chacune des étapes du cycle de vie.

Il nous paraît essentiel d'avoir des outils permettant de différencier l'impact multicritère des différentes filières qui soit établi relativement en amont. Chez Renault, nous allons publier une analyse de cycle de vie sur le véhicule électrique à la fin de ce mois. Nous avons aussi contribué à une étude mise en place par l'Ademe sur le sujet. Ces analyses font l'objet de revues critiques externes. Ce qui est essentiel, c'est de vérifier la validité des données et de les mettre à la disposition de chacun. Et ce qui nous paraît absolument indispensable, c'est d'effectuer ces études très en amont. L'ensemble des industriels de la filière ont besoin d'anticipation. Ce n'est pas en attendant que les véhicules soient sur les routes ou sortent des usines qu'il faudra dire que ce n'était pas le bon choix technologique. Pour avoir cette anticipation, il est absolument indispensable de mettre en place des outils d'évaluation très en amont. Nous sommes évidemment prêts à contribuer à ces études.

M. Yann Tremeac, chef de service adjoint du service transport et mobilité, ADEME. - Vous avez parlé d'enjeux technologiques. Derrière le développement du système de transport, il y a de nombreux enjeux technologiques. M. Schulz parlait de briques technologiques. Effectivement, le système de transport ne sera possible qu'au travers de l'intégration de multiples briques technologiques. On a parlé du véhicule électrique, du véhicule hybride. On a également parlé du diesel. Le diesel continue d'exister et de s'améliorer, constamment. Mais il ne faut pas oublier d'autres modes comme le fluvial et le ferroviaire. Les transports en commun sont des briques importantes du système de transport. Toujours en termes d'enjeux technologiques, on parlera encore d'allègement des véhicules. Pour moins consommer, il faut aussi être moins lourd. En découle tout le développement des composites. J'ai entendu le développement des filières électriques et hydrogène, qui sont encore des enjeux pour le futur. On a également parlé de nouveaux modèles de mobilité, le covoiturage, l'auto-partage.

D'une manière générale, pour mettre en oeuvre ces nouveaux systèmes de mobilité, il faut pouvoir optimiser le système entier et proposer des bouquets d'offres cohérents et attractifs sur les territoires. On parlait de technologies de transport, de moyens de transport, mais il n'y a pas seulement ce type de technologies. Il ne faut pas oublier l'ensemble des technologies de l'information. Tout à l'heure, vous parliez, Madame, des différentes typologies d'usages. Les nouvelles organisations requièrent la mise en oeuvre de systèmes d'information puissants, des plateformes de mobilité qui vont intervenir comme des outils, notamment pour les Autorités organisatrices de transports (AOT), afin de mieux connaître les déplacements sur leurs territoires. Le développement de ces systèmes d'information associés est un pan fondamental du développement et des enjeux technologiques.

Dans le cadre de la mobilité, il ne faut pas oublier non plus l'intégration des passagers et de la marchandise, notamment dans le cadre de la gestion mix des infrastructures, c'est-à-dire des aires de livraison en ville.

Enfin, et le mot smart grid a été prononcé, on voit se positionner un réel besoin pour l'intégration d'une vision transverse entre l'énergie, le bâtiment et les systèmes de transport. Le véhicule électrique étant un des nexus de cette intégration.

M. Denis Baupin. - Ces questions globales, on les a beaucoup étudiées lors de la première journée d'audition. Aujourd'hui, nous voulons nous concentrer sur des problèmes techniques. Il faut avancer, et non pas répéter à chaque table ronde les mêmes préoccupations. Notre sujet du jour, c'est de réfléchir sur les problèmes d'émission de gaz à effet de serre, de pollution, de motorisation. Nous sommes bien conscients que l'organisation du territoire et de la mobilité sont des questions majeures qui impactent l'ensemble du système, mais à un moment ou un autre, nous devons descendre concrètement. À ce titre, je remercie tous ceux qui sont intervenus sur les différentes motorisations. Cela m'intéresserait de savoir ce que l'ADEME pense de ces différents types de motorisations et quelles perspectives vous y voyez, y compris dans les scénarios que l'ADEME a sortis sur la transition énergétique.

M. Yann Tremeac. - Tout à fait. Je voulais aussi mettre en perspective votre question relativement au programme d'investissements d'avenir. L'ADEME est opérateur pour le Commissariat général à l'investissement du programme « Véhicule du futur ». C'est un programme d'aide important, qui met en oeuvre à l'horizon 5 ou 10 ans de nouvelles technologies.

Certains sujets sont encore confidentiels. Mais oui, l'amélioration du diesel fera partie du développement futur, en tous cas le thermique en fait encore partie, le véhicule électrique clairement, le véhicule hybride aussi. Le range extender aussi. Ce sont des problématiques qu'on cherche. Il y a aussi les aspects allègement. J'insiste beaucoup sur ces aspects composites et l'intégration de ces éléments dans le véhicule.

Mme Fabienne Keller. - En prolongement de la question de Denis Baupin, est-ce qu'aujourd'hui vous avez quelques scenarii à nous proposer pour dessiner le monde vers lequel on s'oriente, selon que les smart grid couvrent 10 % ou 50 % du territoire à échéance de dix ou vingt ans, que les véhicules électriques ou hybrides prennent telle ou telle place ? Quels sont vos scenarii sur l'amélioration des moteurs classiques, l'utilisation des nouvelles énergies, l'organisation de la gestion du stockage de l'énergie... ?

M. Yann Tremeac. - L'ADEME a publié des feuilles de route.

Mme Fabienne Keller. - On les connaît, mais elles sont très générales et ne s'appuient pas directement sur les technologies mises en oeuvre.

M. Yann Tremeac. - Tout à fait.

Mme Fabienne Keller. - Est-ce que c'est confidentiel ?

M. Yann Tremeac. - Relativement, oui. La stratégie mobilité n'est pas publiée. Mais je vais y réfléchir et vous donner une réponse dans le courant de la matinée. Je vous remercie.

Mme Fabienne Keller. - La parole est ouverte à tous ceux qui souhaitent la prendre.

M. Gerald Pourcelly, Université de Montpellier 2. - Je souhaiterais revenir sur le sujet de l'allègement des véhicules et des matériaux. Ces vingt dernières années, les véhicules ont vu leur poids augmenter de 30 % pour des équipements de sécurité et de confort. Les impacts à l'usage sont les suivants : pour l'automobile, la masse induit 70 % de la dépense énergétique. Pour un train rapide, ce n'est que 10 %, à cause de la liaison métal-métal des roues.

Quels sont les impacts sur la sécurité quand on allège un véhicule ? En cas de choc entre deux véhicules, plus l'écart de masse augmente, plus le risque de dégâts dans le véhicule léger est important. Par contre, pour un véhicule léger seul impliqué dans un accident, les risques pour les personnes sont diminués par rapport à un véhicule lourd.

Voici quelques pistes concrètes pour alléger ces véhicules. En ce qui concerne les matériaux de structure, les disciplines scientifiques concernées sont la chimie des solides, la chimie des matériaux, le génie d'élaboration des matériaux, la mécanique, avec l'utilisation de matériaux légers pour des matériaux de meilleure résistance spécifique, des matériaux architecturés, des matériaux revêtus, des matériaux fonctionnels, et aussi des méthodes de conception innovante.

Hors matériaux de structures, l'utilisation croissante de matériaux composites implique l'utilisation de polymères ou de bio-polymères. Il y a les analyses de cycle de vie. Certains matériaux sont plus facilement recyclables, en particulier quand ils sont renforcés par des fibres naturelles. Je crois que ces pistes sont vraiment intéressantes.

Pour terminer, je citerai Colin Chapman, le constructeur des Lotus : « quelle que soit la technologie des propulsions, l'allègement du véhicule est vertueux en termes d'efficacité énergétique. » Et donc l'allègement des matériaux pour les véhicules est extrêmement important, quel que soit le mode de propulsion.

B. Gaz à effets de serre et impact sur le climat

M. Hervé Casterman, directeur Environnement et Climat à la direction Développement durable, GDF-Suez. Le secteur des transports mérite un intérêt particulier dans le débat sur la transition énergétique. Jusqu'à ce jour, beaucoup a été fait sur l'industrie. Sur le bâtiment tertiaire, des plans ambitieux sont en cours (cf. le plan de rénovation thermique). Mais il reste un potentiel extrêmement important sur le transport, que ce soit en termes de diversification énergétique ou de lutte contre le changement climatique et les pollutions.

Lorsqu'on traite des enjeux énergétiques, habituellement on a recours à trois approches combinées. La première, c'est de traiter la question de la maîtrise de l'énergie à travers la sobriété énergétique et l'efficacité énergétique. Dans le secteur des transports, la sobriété se traduit par de l'intermodalité, de l'auto-partage, du covoiturage. L'efficacité énergétique, c'est du downsizing comme on l'a dit, ou de l'optimisation des moteurs. Pour les transports, là aussi, cette approche est pertinente.

La deuxième approche combinée, c'est le recours à des énergies faiblement carbonées, voire non carbonées, c'est-à-dire les énergies renouvelables. Là aussi, il existe des solutions pour le transport. On a parlé des énergies biocarburants ou agro-carburants. Je dirais un mot du biométhane par la suite. Et même l'électricité, lorsqu'elle est produite par des moyens renouvelables, contribue à cet aspect.

La troisième approche à prendre en compte, c'est la gestion des impacts, et en particulier les impacts environnementaux des émissions et pollutions. Là aussi, les carburants plus propres y répondent.

Le Gaz Naturel Véhicule (GNV) répond à ces trois approches. On le confond parfois avec le GPL, comme l'a dit M. Pedessac. C'est une solution tout à fait éprouvée qui connaît une croissance annuelle mondiale de l'ordre de 20 % depuis 2000. Il devrait occuper 9 % du marché mondial en 2020. Il offre, d'une part, de nombreux atouts environnementaux indéniables (CO2, NOx, Particules, HAP et HCNM, bruit...), et d'autre part, des atouts économiques, puisqu'une étude a montré qu'en Europe, on était entre 6 et 38 % moins cher que le diesel, l'essence, le GPL.

L'intérêt du GNV, c'est qu'il ouvre la voie à deux évolutions très intéressantes : celle qui sera permise par l'optimisation des moteurs, spécifiquement pour le GNV, ce qui permettra une réduction supplémentaire des émissions de CO2 de l'ordre de 30 % ; d'autre part, l'introduction progressive du biométhane comme carburant.

Le biométhane est un biogaz qui est épuré, et qu'on peut donc injecter dans le réseau de gaz naturel. Il combine d'indéniables atouts, notamment pour les collectivités territoriales : aux qualités énergétiques du gaz naturel, on peut combiner le caractère renouvelable de la ressource, puisqu'on part de déchets organiques. C'est aussi une boucle locale, qui permet une approche d'écologie industrielle, les déchets devenant carburant pour les flottes de véhicules des collectivités.

Mme Fabienne Keller. - Pouvez-nous rappeler ce qu'on relâche lorsqu'on brûle du biométhane dans un moteur ?

M. Hervé Casterman. - Le biométhane, c'est du gaz naturel. Par rapport au diesel et à l'essence, les émissions de CO2 sont réduites de l'ordre de 20 à 25 %, les émissions de NOx et de particules sont extrêmement réduites. C'est un point que je vais développer dans la table ronde sur les pollutions.

Mme Fabienne Keller. - La digestion des boues qui permettent de produire du méthane et de le réutiliser dans les véhicules des collectivités, c'est un cycle vertueux.

M. Hervé Casterman. - Le biogaz, qui est produit par méthanisation à partir des déchets organiques, nécessite une épuration pour devenir ce qu'on appelle du biométhane, qui, lui, est tout à fait comparable au gaz naturel. Il peut être injecté dans les réseaux ou utilisé dans les véhicules. Et donc c'est une façon d'introduire de l'énergie renouvelable dans le secteur des transports en complément des agro-biocarburants ou de l'électricité produite sans CO2.

M. Denis Baupin. - Le terme « downsizing » que vous avez utilisé et qu'on entend régulièrement semble vouloir dire que le fait de construire des véhicules adaptés à la taille dont on a besoin correspondrait à une « réduction ». À travers ce mot « downsizing », on a le sentiment qu'il y aurait une bonne taille, et tout d'un coup, une taille réduite. Je trouve que ce mot est particulièrement connoté. Comme si le fait d'avoir la vision de l'adaptation de la taille du véhicule au besoin était une réduction par rapport à une norme - je ne dis pas de votre part, mais globalement, dans la terminologie -, cela dénote assez largement une certaine conception que je trouve pour ma part particulièrement peu engageante.

Mme Fabienne Keller. - En anglais, cela veut dire adapter l'échelle, dans le sens de la baisse... Passons la parole maintenant aux ONG et aux associations.

M. Stephen Kerckhove, délégué général, « Agir pour l'environnement » (APE). -Merci de nous avoir donné la parole et de nous avoir invités. Le débat national sur la transition énergétique a pour vertu d'inverser ce qui paraissait un peu comme des évidences, à savoir qu'on prenait en compte le point de vue des producteurs et des industriels, et ensuite l'usager s'adaptait. Alors que dans ce débat, on part du principe que la sobriété et l'efficacité sont des données à prendre en compte, et ensuite on adapte le modèle industriel.

J'aimerais que ce soit plus le cas ici, car on a pu entendre beaucoup d'intervenants valoriser ou survaloriser ce qu'on appelle des illusions techniques. On considère que la crise écologique et sociale que traverse l'industrie automobile nous invite à un exercice d'honnêteté. On ne peut pas courir des années durant encore derrière des illusions. Celle des agro-carburants, qui seraient des carburants permettant de réduire les émissions de gaz à effet de serre, alors qu'on constate que ce n'est pas le cas. Ou celle de la voiture électrique, alors qu'on sait très bien qu'aujourd'hui, en fonction du mix énergétique ou de la période, on va charger les batteries, et ce, même si à un problème technologique on rajoute un autre problème technologique, à savoir les smart grids. Une note de RTE et de l'ADEME, qui est restée interne, et qui a été produite dans le cadre du groupe de travail sur la pointe électrique, laissait supposer que 1 ou 2 % de voitures électriques à échéance 2020 auraient un impact de 10 % sur la pointe électrique.

Donc à un moment, il faut remettre en priorité la sobriété, et dans un deuxième temps l'efficacité énergétique. La sobriété, cela passe évidemment par le bridage des moteurs, par la réduction des vitesses, ce qui permet de réduire considérablement les consommations unitaires des véhicules. Et dans un deuxième temps, il faut réfléchir à l'efficacité énergétique des véhicules.

Je prends quelques chiffres extraits du très bon rapport de Jean Syrota produit pour le Centre d'analyse stratégique. Il indique que l'augmentation de la vitesse de pointe de 10 km/h se traduit par une surconsommation de 0,4 à 0,7 litre/100 km en ville, une accélération de 0 à 100 km/h une seconde de différence, c'est un gain d'un litre et plus aux 100 km. Enfin, la diminution de la vitesse autorisée sur autoroute de 130 à 120 km/h aurait pour vertu d'améliorer l'efficacité énergétique des véhicules de 14 %, soit 1 litre/100 km. Tous ces éléments participent à la réduction des émissions de gaz à effet de serre et à notre dépendance au pétrole.

On aimerait que l'approche soit systémique et tricéphale. Donc sobriété, efficacité énergétique, et je vais conclure par une autre mobilité - j'espère que l'assistance ne va pas se vaporiser sous ce gros mot, mais faisons un rêve, c'est que ce rapport de l'Office parlementaire conclue à la valorisation d'un outil extrêmement technique et efficace : le vélo.

Mme Fabienne Keller. - Merci beaucoup. Le vélo, c'est comme la voiture, c'est quand je veux, où je veux. C'est juste un peu plus fatigant. Et pour le pratiquer beaucoup à Strasbourg, ce n'est pas adapté à toutes les distances, mais c'est une des réponses possibles. Encore faut-il organiser le stockage des vélos pour leur sécurisation, et leur circulation, c'est-à-dire les voies et les parkings aux deux bouts, chez soi, sur son lieu de travail, sur le lieu de loisir ou de formation.

M. Stephen Kerckhove. - Si je peux me permettre, une voiture électrique qui tombe en panne au bout de 50 km, c'est beaucoup plus fatigant à pousser.

Mme Fabienne Keller. - Ceci dit, le vélo électrique est une hypothèse très intéressante, parce qu'il permet d'allonger les distances, de transporter des personnes peut-être un peu fatiguées, enfin de passer les montagnes sans être en transpiration totale.

M. Denis Baupin. - J'ajoute que les deux rapporteurs de ce rapport ne peuvent pas être taxés d'être des adversaires du vélo, mais en l'occurrence, on a considéré qu'il fallait peut-être s'attaquer aux autres modes de déplacements.

M. Denis Voisin, chargé de mission mobilité durable, Fondation Nicolas Hulot. - Nous partageons l'approche de M. Kerckhove, en cela qu'il faut commencer par les comportements. Nous soutenons aussi des choses autour des technologies de l'information, pour aller vers du covoiturage, de l'auto-partage. Nous avons deux crises : l'écologie, le coût. Toutes ces nouvelles technologies, auxquelles nous ne sommes pas hostiles a priori, ont aussi un coût, qui augmente, et pour beaucoup de ménages, c'est très compliqué de s'équiper en véhicule neuf. Nous travaillons sur la précarité. Il est important que ces nouveaux véhicules soient aussi utilisés dans le cadre de partage de flotte et de mutualisation des coûts.

De notre point de vue, ces nouveaux véhicules sont surtout un moyen de traiter des territoires dépendants à l'automobile, et de faire du rabattage vers des transports collectifs plus massifs. À ce titre, je soutiens ce qui a été dit par mon collègue de l'ADEME à propos des plateformes. Les plateformes d'éco-mobilité permettent de développer l'intermodalité et de réduire l'incertitude quand on veut utiliser plusieurs transports successifs.

Quant aux technologies, qui sont plus le sujet du jour, nous sommes là pour agir sur le cadre réglementaire et veiller à ce que les bilans soient faits du puits à la roue, que ces bilans soient transparents. Je salue l'intervention de M. Schulz à propos de la transparence. Si seulement c'était le cas et si les tests au niveau européen étaient fiables ! On a vu plusieurs rapports sortis récemment qui ont remis en cause à la fois les mesures de CO2, mais aussi les mesures d'émissions de polluants et de particules fines. C'est une chose à laquelle il faut faire attention.

Mme Lorelei Limousin, chargée de mission Climat-Transports, Réseau-Action-Climat (RAC). - Sur les questions de carburants, le RAC ne fait pas de choix technologique, mais estime que si l'on veut utiliser les carburants les moins polluants, encore faut-il mesurer correctement et précisément l'intensité carbone. Je fais référence aux agro-carburants et aux impacts liés au changement d'affectation des sols indirect, qui rendent les agro-carburants, pour beaucoup, plus émetteurs que les carburants d'origine fossile. Je fais également référence à l'électrique. En effet, une analyse de cycle de vie nous semble indispensable si l'on veut promouvoir ces carburants alternatifs au titre de leur efficacité environnementale.

Par contre, nous sommes très engagés sur l'efficacité énergétique et donc le carburant que l'on ne consommera pas. Vous parliez des normes européennes qui sont en cours de décision. Ce matin même, en commission de l'industrie, de la recherche et de l'énergie (ITRE) au Parlement européen, on est en train de voter sur les limites pour 2020. C'est encore un débat très chaud entre les industriels, les Allemands qui sont producteurs de gros véhicules, et les Français. On ne sait pas trop ce qui va advenir de la proposition, mais en gros, ce qu'elle prévoit, c'est un objectif de 95 grammes de CO2/km en moyenne en 2020. Cette proposition de la Commission européenne ne prévoit pas d'objectif post-2020. Or on s'aperçoit que si l'on veut réduire significativement l'impact des transports, et donc des véhicules particuliers qui représentent 50 % des émissions de gaz à effet dans ce secteur, il faut absolument aller plus loin.

L'un des constructeurs ici présent a précisé que les émissions avaient grandement diminué. C'est grâce à l'objectif 2020. Encore que les émissions officielles ne reflètent pas toujours la réalité. Mais c'est une autre histoire. On voit que ces normes CO2 ont incité, stimulé, les investissements dans l'efficacité énergétique. C'est pourquoi nous pensons que c'est indispensable que la France et l'Union européenne soutiennent des normes ambitieuses.

Une étude est sortie hier sur l'objectif 2020 de 95 grammes. Elle a été menée conjointement avec des industriels, dont l'association européenne des équipementiers automobiles (Clepa), Eurelectric et Nissan. Cette étude montre qu'un objectif renforcé de 90 grammes en 2020 permettra la création de plus de 400 000 emplois en 2030. On peut voir ici une réponse à la crise économique et sociale.

M. Charles Raux, directeur du Laboratoire d'économie des transports (LET, CNRS, Université de Lyon-ENTPE). - Le premier message, en termes de stratégie industrielle et de réglementation sur les véhicules électriques, c'est peut-être de ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier.

Comparons la voiture électrique à la voiture classique carburant fossile. Une voiture classique fonctionne à 10 kWh/litre et 2,5 kg de CO2/litre. À 8 litres/100 km, on est à 200 grammes de CO2/km. Si l'on prend ce qui est sur le marché actuel, en moyenne à 5 litres/100 km, on est à 125 g. de CO2/km. Et puis si l'on tend vers le véhicule hybride à 3 litres/100 km, on va vers du 75 g. de CO2/km.

Prenons maintenant la voiture tout électrique (à batteries). Tout dépend évidemment du mix énergétique, du mix CO2 de l'électricité, puisqu'une voiture électrique va consommer 15 kWh/100km. Si l'on prend le mix EDF, avec 50 grammes de CO2/kWh (2005), on est à 7,5 grammes de CO2/km. Mais si l'on se base sur le mix moyen européen, qui est à 350 g. de CO2/kWh (UE 2005), alors on est à 53 grammes de CO2/km. Enfin, si l'on prend le mix du Royaume-Uni, qui est à 500 grammes de CO2/kWh, on est à 75 grammes de CO2/km, équivalant aux véhicules hybrides d'aujourd'hui.

Étant donné l'incertitude sur le contenu en CO2 de l'électricité, il ne faut pas mettre tous ses oeufs dans le même panier. Les améliorations qui peuvent être faites sur le moteur d'une voiture classique, à combustion interne, associé à l'électricité à travers les véhicules hybrides, peuvent faire aussi bien, sinon mieux, que le tout électrique. Tout dépend du mix CO2 de l'électricité.

Mme Fabienne Keller. - Et le mix chinois ?

M. Charles Raux. - C'est pire.

Mme Fabienne Keller. - C'est-à-dire que la production électrique est entièrement carbonée ?

M. Charles Raux. - C'est bien pire.

M. Denis Baupin. - N'ayez pas une image aussi caricaturale du mix énergétique chinois.

Mme Fabienne Keller. - Non, mais cela nous donne une idée des curseurs de haut en bas. C'est pour avoir une idée de l'impact du mix énergétique sur les émissions de CO2, compte tenu de la production électrique.

C. Mobilité et habitation

M. Laurent Antoni, chef du Laboratoire Piles à combustible, CEA-Liten. - Je vais rebondir sur la partie production de l'électricité décarbonée. M. Beretta a parlé d'écosystème, et effectivement, si l'on raisonne en termes de transport-mobilité, pour que ça marche et qu'il y ait une réelle intermodalité entre les usages et les différents types de transports, il faut des véhicules communicants. Mais également, si l'on raisonne au niveau de la filière entière des véhicules électriques, il faut pouvoir les recharger. Il faut donc mettre en place une infrastructure de recharge mobilité solaire ou des recharges hydrogène. La recharge peut également se faire au domicile, à partir du réseau actuel, et là on parlera de smart grid.

Je voulais aussi introduire la notion de gestion intelligente de la maison, en introduisant toutes les nouvelles technologies dans l'habitat. À partir de là, on peut connecter le véhicule électrique avec l'habitation. C'est la notion de smart house, sachant que l'ensemble ne fonctionnera que si nous disposons de véhicules communicants, mais également de services d'utilisation pour les usagers.

Arrêtons-nous sur la smart house. On a évoqué ce matin la sobriété énergétique, mais il y aussi la maîtrise de la demande et de la prévision de production de l'énergie. En France, le transport et le bâtiment consomment 75 % de la consommation d'énergie. L'un des moyens pour arriver à une production vertueuse, c'est d'utiliser les énergies renouvelables et d'auto-consommer l'électricité que l'on peut produire chez soi. Si l'on se recharge à partir du solaire fait à la maison, on arrive quasiment à 0 gramme de CO2/km.

L'une des pistes, c'est de favoriser l'autoconsommation par la maîtrise de la demande et le stockage décentralisé d'énergie. Prenons l'exemple d'une maison basse consommation (label BBC de réglementation thermique 2015), c'est-à-dire 50kWh/m2/an, ajoutez-y des panneaux photovoltaïques d'une puissance de 5 kW, cela vous permet, sans stockage d'énergie, d'être autonome à 30 % de votre consommation d'électricité. Rajoutez 6 à 10kWh en batterie, vous arrivez à 70 % d'autonomie en consommation. 6 à 10kWh, c'est moins qu'une batterie voiture.

Aujourd'hui, les batteries lithium stationnaires sont encore trop chères, mais le véhicule électrique, lui, va pouvoir être la première batterie connectée à la maison, à un prix plus accessible qu'une batterie lithium stationnaire, même s'il est aujourd'hui encore élevé.

On voit bien la convergence entre le transport électrique durable et l'habitation. En favorisant l'autoconsommation, on évitera des pertes en ligne. Il faut rappeler que c'est dans le transport sur les lignes électriques que l'on perd beaucoup en efficacité énergétique.

Pour finir, je vous donne quelques chiffres. Si vous prenez un petit parking de 12 m2, cela vous permet d'avoir entre 2000 et 2200kWh/an. Par rapport à un besoin de 23 km/jour, tous les jours, en véhicule électrique, c'est un peu moins : 1600kWh/an (180 Wh/km). Vous voyez qu'avec 12 m2 de parking photovoltaïque, vous pouvez faire 30 km en moyenne par jour. On a parlé tout à l'heure de 60 km, mais entre 30 et 60, les chiffres peuvent varier.

L'autoconsommation peut se faire via un parking au travail ou chez soi, ou en se connectant directement à la maison. Sachant que le stockage du véhicule permet aussi de réinjecter le surplus dans le réseau, et donc aussi de lisser la faible demande du réseau la nuit, cela favorise une meilleure efficacité énergétique du réseau.

M. Denis Baupin. - Selon l'ordre de grandeur que vous indiquez, 12 m2 de panneaux photovoltaïques permettent de fournir l'électricité nécessaire pour faire 23 km par jour.

M. Laurent Antoni. - Oui.

M. Denis Baupin. - C'est l'ordre de grandeur des technologies d'aujourd'hui.

M. Laurent Antoni. - Une place de parking en gros.

M. Denis Baupin. - De plus, on va vers quelque chose qui va a priori gagner en efficacité.

Mme Fabienne Keller. - Et en hiver, quand il n'y a pas de soleil ?

M. Laurent Antoni. - Là aussi, on peut raisonner sur la production annuelle. Le surplus que vous allez produire dans la journée sans l'utiliser, vous le réinjectez dans le réseau. Ensuite, on peut faire des bilans de production « d'électrons verts » au niveau annuel. Ou alors, on peut raisonner en termes de filière de stockage de l'énergie à travers l'hydrogène, pas forcément pour une maison individuelle, mais à plus fort volume. Dans ce cas, quand il fait beau et qu'on a un surplus d'électricité, on utilise le vecteur hydrogène pour faire du stockage saisonnier que vous allez pouvoir justement reconvertir en électricité, ou pour alimenter directement une voiture lorsqu'il n'y a pas assez de soleil ou de vent. In fine on aura un meilleur rendement au niveau annuel.

M. Denis Baupin. - Et vos 23 km, c'est pour quel type de véhicule ?

M. Laurent Antoni. - Des véhicules de tourisme classique, dans la catégorie type C.

M. Denis Baupin. - Donc on peut encore gagner.

M. Bernard Frois, président du groupe des Représentants des États-membres de l'Union européenne auprès du JTI Hydrogène. - Pour l'Allemagne, la question essentielle, c'est d'intégrer les énergies renouvelables, et donc d'utiliser l'hydrogène comme moyen de stockage. Ce principe, qui s'intègre parfaitement avec ce que vient d'exposer M. Antoni, ouvre des perspectives complètement nouvelles, parce que, effectivement, toute la difficulté est de faire du stockage massif. Voici deux exemples.

Le premier exemple est un projet de Total, d'Enertrag et de l'aéroport de Berlin. Attention, c'est un rêve, il faut être bien conscient que ce n'est pas la réalité. Ce projet est simplement un concept qui va être mis en oeuvre, et dont on ignore encore quelles seront les perspectives économiques. Alors qu'en France nous nous posons des questions classiques, l'Allemagne essaie d'aller au-delà en recherchant des voies nouvelles.

Le deuxième exemple, ce sont les deniers résultats de l'étude publiée il y a trois mois sur l'hydrogène comme moyen de stockage1(*). Elle a été financée par l'organisme qui s'occupe du déploiement de l'hydrogène en Allemagne. Ce qu'il faut bien voir, c'est que le problème posé par M. Antoni par rapport aux maisons privées, l'Allemagne se l'est posé par rapport à tout son circuit hydrogène. Le stockage que vous voyez au centre de cette image, c'est un stockage souterrain. Là encore, ce n'est qu'un modèle, mais enfin, le modèle qui est prévu à l'horizon 2030, c'est qu'en utilisant 3 300 heures/an de stockage d'énergie renouvelable, on obtient l'équivalent énergie de 14 centrales nucléaires (14 000 GWh).

Ce modèle est tellement soumis à hypothèses que je ne garantirais pas que c'est là. Mais c'est un complément très intéressant, dans la mesure où l'Allemagne ne cherche pas une solution, mais un portefeuille de solutions. Dans cette étude, il est dit que toute décision doit être prise absolument en 2022 pour atteindre les objectifs de 2030. On réfléchit en Allemagne, on recherche et on prévoit de réaliser ce genre de choses d'ici à 2022. Et en 2022, le gouvernement allemand devra prendre une décision pour savoir si genre de choses est économiquement viable. Dans cette étude, on atteint des prix de l'hydrogène qui sont de l'ordre de 6 euros lorsque tout est intégré, y compris les mesures fiscales.

M. Denis Baupin. - Quel est le bilan énergétique lorsqu'on change de vecteur en passant de l'électricité à l'hydrogène ?

M. Bernard Frois. - Il est tout inclus. C'est une énergie qui est fatale, c'est-à-dire qu'elle est perdue. Je ne vais pas rentrer dans des chiffres précis, parce que ce sont des modèles. Quelque part, les chiffres ne présentent aucune fiabilité en termes d'efficacité. Tout ce qu'on sait, c'est que l'efficacité est assez faible. On ne cherche pas l'efficacité, on cherche à récupérer ce qu'on peut récupérer dans un cycle qui est vertueux. Après, la question va se poser en termes socio-économiques. On peut se tromper d'un facteur 3, et dans ce cas, l'hydrogène serait très cher.

Ce modèle allemand a coûté cher. Cette agence a étudié cela pendant une année. Tous les chiffres sont disponibles sur Internet. Le but, c'est vraiment de faire une trouée, de récupérer toute l'énergie qui est perdue actuellement. On perd à peu près 50 % des énergies renouvelables aujourd'hui. Cela veut dire qu'il y en a déjà beaucoup trop en Allemagne. Et donc cette question du stockage de l'énergie par l'hydrogène, qui est également à l'agenda européen, est une question actuelle que l'Allemagne se pose et qu'il faut se poser maintenant pour obtenir une réponse.

Mme Fabienne Keller. - Pourriez-vous nous donner des idées de rendement entre l'énergie sortie au pied de l'éolienne ou de la cellule photovoltaïque, et après électrolyse transformée en hydrogène ?

M. Bernard Frois. - Je vous remercie de cette question, parce qu'elle est stratégique. Où est la stratégie ? C'est l'électrolyseur. D'ailleurs, Siemens se lance à fond dans l'électrolyseur. Vous pouvez demander à M. Bardi qui est le spécialiste de la question. Il vous dira mieux que moi ce qu'il attend de l'électrolyseur.

M. Nicolas Bardi. - En électrolyse, on arrive à avoir des rendements assez élevés de l'ordre de 80 à plus de 90 % selon les technologies. Ce n'est pas ce point-là qui est le plus limitant dans l'analyse du cycle de vie. C'est ensuite, dans la partie pile à combustible, où le rendement est inférieur à 50 % dans le véhicule, quoiqu'il est bien meilleur que les moteurs thermiques.

Du puits à la roue, ce cycle est inférieur à 50 %, mais pas de beaucoup, et il est meilleur que sur des solutions fossiles. Par contre, il est moins bon que des solutions purement électriques avec des batteries. En revanche, par rapport aux batteries, il permet de gagner en autonomie. Chaque solution a ses avantages et ses inconvénients.

Mme Fabienne Keller. - De par le caractère stockable indéfiniment de l'hydrogène ?

M. Nicolas Bardi. - Tout à fait. Si l'on regarde, non pas la filière hydrogène de l'éolienne ou du panneau solaire jusqu'au véhicule, mais plutôt par rapport aux autres options de stockage de cette électricité renouvelable, on voit bien qu'il n'y a pas de solution véritablement unique. C'est hélas le cas dans tous les débats sur l'énergie.

Certains stockages seront localisés, avec des batteries situées près des sites de production. De toute façon, pour gérer des pointes de production ou de coupure de production dans le solaire, il vaut mieux avoir des batteries. On peut très bien avoir des systèmes hybrides dans lesquels derrière on vient produire cet hydrogène. Le gros intérêt de l'hydrogène, c'est qu'on peut, soit directement l'injecter dans des réseaux de gaz naturel - ce sont des sujets que l'on regarde avec nos partenaires de GDF SUEZ -, soit utiliser des réseaux spécifiques d'hydrogène lorsqu'ils existent, soit stocker directement cet hydrogène localement, au niveau d'une petite région ou typiquement à l'échelle d'un département ou d'une agglomération, et ensuite aller faire de la distribution locale pour des véhicules hydrogène.

C'est donc vraiment un complément par rapport aux grosses capacités de stockage, lesquelles, sinon, sont des technologies de type CAES (stockage d'électricité sous forme d'air comprimé) ou de type remontée de l'eau dans les barrages dont on sait que c'est à un moment limité. Ou alors en multipliant du stockage électrochimique du type batterie avec les différentes voies de batterie. Mais quand on le fait, on stocke de l'électricité, et on la réutilise forcément sous forme électrique, et l'hydrogène amène une flexibilité qui peut être intelligemment couplée aussi avec les réseaux existants de gaz. C'est pourquoi il y a des hybridations et des stratégies progressives qui peuvent utiliser aussi le vecteur gaz comme un élément de transition. Aujourd'hui on a du gaz fossile, on peut rajouter de l'hydrogène, et on peut mettre aussi du biogaz. Tout cela peut servir de stratégie de transformation progressive du mix énergétique, y compris pour l'usage transport.

M. Bernard Frois. - Je vais ajouter une chose. Ce qui est important, ce sont les smart grids. Aujourd'hui, les solutions qu'on envisage sont très globales. Finalement on cherche à avoir une réponse totale. Avec les smart grids, on ira probablement vers un système composé de petits îlots spécifiques. L'hydrogène qui est stocké peut permettre justement d'alimenter un certain secteur et d'éviter d'avoir à transporter de l'énergie sur de très grandes distances. L'hydrogène comme moyen de stockage, c'est une flexibilité.

Mme Fabienne Keller. - Je repasse la parole à M. Raux.

M. Charles Raux. - Je suis désolé, mais n'ayant pas participé aux précédentes tables rondes, je reviens sur l'efficacité comparée des différentes solutions. Mon deuxième message, c'est que la solution n'est pas que technologique.

Voici un tableau comparatif des émissions de gaz à effet de serre des modes de transport public. En Ile-de-France, vous avez le tram, le RER et le métro, qui fonctionnent à l'électricité. Et puis il y a l'immense majorité des Français qui fonctionnent sur trois autres modes : les deux-roues, mais surtout l'autobus et les véhicules particuliers.

L'ADEME, en 2008 a mesuré l'impact du taux d'occupation d'un véhicule. Les petites barres roses de ce graphique le traduisent. Dans un autobus par exemple, qui compte 50 passagers à l'heure de pointe, l'émission de CO2/voyageur/km est de 25 grammes. À une heure creuse en banlieue, avec 5 voyageurs dans le bus, ce taux monte à 200 grammes. Dans une ville comme Lyon, où la moyenne est de 13 passagers dans l'autobus, ce taux est à 100 grammes. Ce sont des pistes d'amélioration. Bien sûr, il ne s'agit pas de mettre du bus partout. Mais par rapport au véhicule électrique, où l'on est aujourd'hui au mieux à 50 grammes de CO2/km, vous voyez que le bus peut faire mieux avec 25 grammes de CO2/km à l'heure de pointe.

Dans un véhicule particulier, en 2008, la moyenne était à 180 grammes de CO2/km dans les conditions de circulation en zone urbaine. Ce taux varie selon le taux d'occupation. Dans un véhicule à 3 litres/100 km, soit 75 grammes de CO2/km, si on le remplit de deux personnes, vous voyez qu'on arrive à diminuer fortement ce taux.

Même si le covoiturage par exemple est une solution difficile à mettre en oeuvre dans les agglomérations françaises aujourd'hui, on voit qu'il y a des solutions en termes d'organisation, d'usage des modes, qui présentent des rapports coût/efficacité assez intéressants par rapport aux options purement technologiques et industrielles.

D. Interventions transversales

M. Jean-Claude Bocquet, École Centrale Paris. - Nous allons changer d'échelle. Quand on n'a ni soleil ni vent, il nous faut quand même de l'électricité. Je propose donc que nous nous situions au niveau du système complet production-distribution-transport. Cela nécessite une approche systémique et pluridisciplinaire. Nous sommes dix chercheurs à plein temps à travailler sur ces sujets-là dans le cadre d'une grosse chaire Supélec/Centrale financée par EDF.

Réduire la consommation, cela nécessite une évolution technique et une révolution culturelle et sociale, ce que nous appelons « la ré-évolution ». Jusqu'à présent, les systèmes de production et de distribution étaient des opérations passives. Nous avions quelques centres de production, une quinzaine, et puis les flux de distribution vers les clients étaient uniques. Actuellement, rien que pour le photovoltaïque, nous avons 40 000 points de production supplémentaires, qui font que les flux sont bilatéraux, et donc on va restituer de l'énergie. Cela pose énormément de problèmes pour la gestion intelligente de toute cette complexité.

Il y a de la complexité structurelle. Elle est liée à l'hétérogénéité des composants entre photovoltaïque, éolien, etc. La dimensionnalité : 40 000 points de production photovoltaïque. Je ne vous dis pas combien on aura de points quand le véhicule électrique va se déployer à grande échelle. Cela se comptera par centaines de milliers, voire des millions. Avec la stricte nécessité d'avoir couplé les systèmes informatiques temps réel, de disposer des données qui vont bien pour le pilotage de ces outils. C'est tout le problème de la sûreté du fonctionnement lié à ces éléments. Le piratage des données informatiques sera aussi important que la défaillance d'une installation ou d'un composant électrique du réseau. EDF nous dit : aidez-nous pour que nous ne devenions pas le fournisseur de Google, et que ce ne soit pas Google qui dispose de toutes les données nécessaires à la gestion de ces réseaux ainsi qu'à leur sécurité.

Nous devons donc avoir une fiabilité couplée, structurelle et systémique. Et ensuite, il y a de la complexité dynamique opérationnelle. En temps réel, il ne suffit plus de gérer quelques tranches de centrales nucléaires à arrêter ou à mettre en route, mais des millions de points. Nous faisons des recherches sur tous ces sujets. Je pense que le niveau de sécurité de ces systèmes doit au moins être comparable à celui des centrales nucléaires.

M. Denis Baupin. - Vous voulez parler de la sécurité de l'approvisionnement, non pas de la sécurité des centrales nucléaires.

M. Jean-Claude Bocquet. - Nous parlons de la sûreté, de la sécurité et de la fiabilité des systèmes. Dans le cas de la production régionale, le système des systèmes va dépendre des systèmes en région, qu'il s'agisse de systèmes de santé ou de transport. Nous devons les sécuriser.

Mme Fabienne Keller. - Google est-il seul capable de faire de tels liens ?

M. Jean-Claude Bocquet. - Non, ils ne sont pas les seuls, mais ce sont eux qui sont les plus avancés et qui mettent le plus de moyens aujourd'hui pour avoir tous les paramètres de la maison. Aujourd'hui, pour faire de la gestion intelligente de l'énergie du bâtiment, on utilise des tas d'applications qui sont des logiciels Google. On aimerait les avoir.

M. Alexandre Bouchet, directeur associé, E-Cube. - Mon intervention s'inscrit dans le prolongement de celle de M. Antoni sur les smart grids.

Mme Fabienne Keller. - M. Bouchet, pouvez-vous nous rappeler ce qu'est E-Cube ?

M. Alexandre Bouchet. - E-Cube est un cabinet d'études spécialisé dans l'énergie. Mes domaines de prédilection sont plutôt les systèmes électriques, les systèmes énergétiques, pas forcément le transport. Mais nous avons été amenés à travailler pour des constructeurs automobiles et également des grands énergéticiens autour de la problématique du lien entre le transport et les systèmes énergétiques, en particulier sur le lien entre le véhicule électrique et les systèmes électriques.

Je suis un peu mal à l'aise avec l'étude RTE/ADEME qui a été citée, que je ne connais pas, et qui prévoit une augmentation des pics de consommation. Mais du point de vue de la technologie existante et de l'économie, quand on analyse les véhicules électriques par rapport au système électrique, on arrive plutôt à identifier des valeurs pour le système électrique.

Ces valeurs, M. Antoni en a expliqué certaines. La première, c'est la capacité à pouvoir reporter de la consommation électrique d'une maison à un autre moment, en s'appuyant sur la batterie du véhicule électrique pour l'autoconsommation. C'est quelque chose de possible, et pas uniquement avec du photovoltaïque. Dans le cas d'un déplacement travail-domicile, le véhicule, quand il revient au domicile à 18 heures, n'a pas épuisé ses 120 km d'autonomie. Il lui reste encore suffisamment de capacité pour pouvoir éventuellement subvenir, en partie, aux besoins de consommation de la maison, et ainsi effacer la pointe. La valeur d'effacement de pointe sera donc de plus en plus rémunérée, puisque la loi vise à rémunérer davantage les capacités de façon à passer la pointe électrique. Ce service sera de plus en plus rémunéré, et donc plus intéressant à mettre en place.

Deuxièmement, à l'horizon 2020-2025, il se peut qu'en France on dispose d'un million de véhicules électriques ou hybrides qui seraient connectés à une charge de 3 kW. Potentiellement, 3 gW seraient donc mobilisables. Ils ne seraient jamais mobilisables à un instant T, tous en même temps, mais avec des modèles cascado-cycliques, avec le foisonnement, on est capable d'en mobiliser une certaine partie. Et l'on est capable de subvenir à des besoins d'équilibrage en permanence de RTE pour assurer le fonctionnement du système électrique français. Là encore, cela se rémunère, et de nouveau il y a une valeur qu'on pourrait monétiser dès aujourd'hui sur le système électrique français.

La troisième valeur, c'est la deuxième vie de la batterie. Il est prévu d'arrêter la batterie en mode embarqué quand on arrive à un niveau d'efficacité de la charge de la batterie de l'ordre de 80 %. Que va-t-on faire de ces batteries par la suite ? Il y a deux modèles. Cette batterie, on peut la transformer en mode stationnaire, éventuellement en la mettant dans le domicile de la personne qui a acheté le véhicule électrique. Les ordres de grandeur de cette transformation de batterie embarquée en batterie stationnaire sont de l'ordre de 600 à quelques milliers d'euros. Il y a beaucoup de différences sur la valorisation actuelle. Mais si on arrive à faire ce type de transformation, on a de nouveau une valeur qui est liée au stockage décentralisé. Le second modèle, c'est un opérateur qui choisit de reconstituer un stockage centralisé extrêmement important. Pour cela, il connecte l'ensemble des batteries pour constituer une sorte de barrage hydro-électrique mobilisable sur simple demande, et selon le même mode opératoire qu'un barrage, c'est-à-dire en écoulant sa capacité de production au moment où les prix sont les plus chers, et en se chargeant sur le réseau au moment où les prix sont les moins chers.

Mme Fabienne Keller. - Je posais la question du rendement.

M. Alexandre Bouchet. - Le rendement des batteries aujourd'hui ? 85 %.

Mme Fabienne Keller. - Donc on ne perd pas trop.

M. Alexandre Bouchet. - On ne perd pas trop, non.

M. Alain Dollet, Institut des sciences de l'ingéniérie et des Systèmes (INSIS), CNRS. - Dans le premier volet de mon intervention, je vais revenir sur les questions d'hydrogène qui ont été évoquées, en particulier sur le rendement, la conversion pour le stockage. Puis je vous donnerai un élément plus général de réflexion sur la recherche autour des problèmes liés à l'énergie et à la pluridisciplinarité nécessaire pour aborder toutes ces questions.

Concernant l'hydrogène, on a évoqué la possibilité de le produire par électrolyse, par exemple à partir d'énergies renouvelables. Une expérience est actuellement menée. Elle implique l'une de nos unités mixtes de recherche, l'UMR de l'Université de Corte, le CEA et la société Hélion. Elle consiste à stocker l'énergie solaire sous forme d'hydrogène par électrolyse de l'eau. On récupère l'électricité des panneaux photovoltaïques pour électrolyser l'eau, fabriquer l'hydrogène qu'on va pouvoir restituer à l'aide d'une pile à combustible. En termes de rendement, on obtient à peu près 80 % au stade de l'électrolyse, un peu moins de 50 % sur la pile à combustible. Mais si l'on considère au départ cette voie-là uniquement pour la production d'hydrogène et de fourniture d'électricité, on est handicapé par le rendement photovoltaïque qui, lui, peut s'avérer relativement pénalisant, puisqu'il va être de l'ordre de 15 % sur une centrale. Donc pour les énergies renouvelables, c'est vraiment une solution de stockage, mais qui ne sera pas destinée, je pense, à permettre une production d'hydrogène qui sera éventuellement ensuite utilisé pour un autre usage.

Dans le cadre de nos recherches, nous nous intéressons à d'autres possibilités, sur le long terme, de fabriquer de l'hydrogène de manière très propre, avec en plus des rendements plus intéressants. Il s'agit d'une production directe, qui utilise des cycles thermochimiques à haute température. À partir d'énergie solaire concentrée, et simplement de l'eau comme matière première, on va pouvoir produire de l'hydrogène, avec un rendement meilleur qu'en partant du photovoltaïque électrolyse. Dans un premier temps, l'énergie ne sera pas dégradée, et par ce biais-là, on va pouvoir atteindre des productions tout à fait originales d'hydrogène, avec des rendements plus intéressants et un procédé très propre. Nous sommes sur les zones très ensoleillées et sur le long terme, à l'horizon 2030.

Cette même voie permettrait d'ailleurs de valoriser le CO2, puisqu'avec le même type de cycle, on pourrait produire du CO qui permettrait de faire des carburants de synthèse, toujours avec les mêmes avantages de ce procédé, c'est-à-dire un procédé propre avec des rendements intéressants. C'est une filière à long terme.

J'arrive au deuxième volet de mon intervention. J'ai entendu la complexité des choix en matière d'énergie et de véhicules. Plusieurs options s'offrent à nous : véhicule électrique ou hybride. Sur ces questions très pluridisciplinaires, il s'agit d'avoir des approches pragmatiques. Au-delà de la solution technologique, il faut se poser la question des ressources disponibles, des enjeux environnementaux bien sûr, et des enjeux sociétaux, pas seulement en termes d'acceptabilité, mais également en réfléchissant à la manière d'associer les citoyens au débat public et aux décisions qui sont prises. C'est quelque chose de très important. Je pense que dans tout le travail qu'on doit faire, nous devons intégrer cette dimension-là.

On disait sobriété et efficacité énergétique. Bien sûr, c'est indispensable. Mais pour me rendre au Japon prochainement, ce sera difficile pour moi d'utiliser le vélo. Et même si c'est quelque chose qu'il faut absolument développer, ce ne sera pas suffisant. Aujourd'hui, il faut vraiment regarder le problème dans toute sa complexité. Par exemple, s'agissant des véhicules aujourd'hui et de leur efficacité, il faut regarder les questions d'allègement du véhicule, et pas seulement de propulsion et de diminution de l'impact CO2, qui sont importantes. Il faut regarder les questions de biocarburants qu'il ne faut pas du tout écarter. Et puis concernant l'électrification du véhicule, M. Raux l'a dit, si on fait des véhicules électriques et que l'électricité est d'origine fossile, on n'aura pas gagné grand-chose. Et quand on fera l'analyse du puits à la roue, et une analyse plus complète de l'impact environnemental, on s'apercevra que le résultat est décevant. Aujourd'hui, les technologies hybrides font partie des solutions à envisager.

M. Denis Baupin. - C'est bien que vous parliez de l'acceptabilité des énergies en parlant du Japon. La question principale pour les Japonais aujourd'hui en matière d'acceptabilité et de choix énergétique n'est pas forcément comment on y va, en vélo ou en avion.

M. Laurent Antoni. - Je voudrais rebondir sur la fin de votre propos selon lequel la production d'électricité, si ce n'est pas à partir de renouvelable, ne nous fera pas gagner pas grand-chose par rapport aux véhicules thermiques. Il faut quand même faire la distinction entre le véhicule thermique, qui émet du CO2 de manière totalement dispersée, et une production d'électricité centralisée, qui permet de faire de la captation de CO2. Cela ne veut pas dire qu'on n'est pas sans CO2, mais qu'on le produit de manière moins diffuse, donc moins difficile à capter, et à recycler.

M. Fabio Ferrari, président directeur général de SymbioFCell. - Je fais ici partie du groupuscule des gens qui pensent que l'hydrogène est une bonne solution. Nous proposons des solutions basées sur des piles à hydrogène pour des véhicules. Comme nous sommes une petite structure, nous cherchons des solutions pour aujourd'hui, accessibles tout de suite sur le marché, et qui ont déjà des clients intéressés à des solutions vertueuses par rapport à l'environnement.

Nous nous attaquons au sujet de la livraison en centre-ville. Nous pensons que l'hydrogène est la seule solution viable pour le centre-ville. Évidemment, on sait livrer avec des petits vélos électriques, mais dès qu'on va faire de la grosse livraison pour les supermarchés ou le e-commerce, je pense en particulier à tous les camions qui circulent en ville, on a besoin d'autonomie, de beaucoup d'énergie embarquée. Et aujourd'hui, on arrive aux limites de ce que sait faire une batterie. Donc la seule solution qui permet de venir en centre-ville sans aucune pollution, c'est l'hydrogène. Je rappelle que la pile à combustible est une réaction électrochimique très simple qui ne fait que de l'eau pure (H20). Cette solution résout cette problématique de santé publique, puisqu'on ne va plus dégager de polluants.

Et elle résout une autre problématique qui me paraît très importante. On a parlé de sécurité énergétique. Il faut savoir qu'aujourd'hui 99% des transports dépendent des énergies fossiles. On peut réduire la consommation des moteurs à travers différentes solutions dont on a parlé, mais si on veut vraiment s'affranchir des énergies fossiles au niveau des livraisons, là aussi, il faut bien mettre un vecteur énergétique qui ne dépende pas de ces énergies.

On a parlé de l'électricité stockable à bord du véhicule par la batterie. L'hydrogène, c'est la deuxième solution pour venir stocker de l'électricité dans des véhicules.

On a parlé d'électrolyse. L'hydrogène peut être produit à partir d'électrolyse. Aujourd'hui, il y a beaucoup d'hydrogène fatale qui est produite à partir de cette électrolyse, et qu'on peut venir stocker à bord des véhicules.

Nous cherchons des solutions qui soient intéressantes pour les clients. Aujourd'hui, ce qu'ils viennent chercher, ce sont des valeurs écologiques, mais aussi de l'augmentation d'usage. À partir du moment où l'on est capable d'avoir une solution électrique pour faire de la livraison, cela ouvre l'accès à des livraisons de nuit parce que peu bruyantes. Et dans ce cas-là, on va moins se heurter à l'encombrement des centres villes, et donc améliorer la livraison. Le gain n'est pas uniquement sur l'image. Il est aussi sur l'économie du système. C'est très important.

Dans ce cadre-là, nous développons des solutions pour des flottes captives, ce qui évite d'avoir à attendre des infrastructures hydrogène. Notre produit est un kit qui vient s'installer sur les véhicules existants et qui permet de doubler leur autonomie.

M. Mohamed Gabsi, ENS-Cachan. - J'ai entendu beaucoup de choses intéressantes. Ma réflexion personnelle, c'est que les solutions qu'on cherche sont difficiles à trouver, difficiles à mettre en oeuvre, difficiles à faire et à défaire. Ma spécialité, c'est la motorisation électrique de l'automobile. Pour moi, électrifier l'automobile, cela nécessite déjà d'avoir la formation qui va avec, pour faire, et aussi pour défaire après. Pour tout ce qui est batterie, il y a un problème de recyclage qu'il faut penser en amont.

Je dirais qu'il faut y aller d'une façon progressive, sans précipitation, parce que tout ce que nous faisons est complexe. À chaque fois, cela peut avoir des conséquences négatives. Alors que nous pensions résoudre le problème de la pollution, on va en créer d'autres. Il ne faut pas sous-estimer les difficultés de cette évolution. Nous ne sommes pas en train de faire des téléphones portables. Les véhicules, les moyens de transport, c'est compliqué.

Il y a un problème sociétal et un problème technique. Par rapport à la vertu du vélo, j'ajouterais qu'on apprend à l'électrifier, à le réparer aussi, et donc on prépare la société à vivre avec l'électricité dans nos moyens de transport.

En ce qui concerne les véhicules électriques, chez General Motors on a évoqué la prolongation d'autonomie. Je pense à la prolongation d'autonomie et à l'hybridation. Enfin, l'électricité partielle dans les moyens de transport, c'est sage, c'est progressif, on apprend. Je suis allé en Chine quelquefois, et j'ai été impressionné de voir le nombre de deux-roues électrifiés. Je pense qu'ils vont apprendre à les mettre en oeuvre, à les recycler, et à les traiter d'un point de vue sociétal.

Aujourd'hui, tout le monde sait qu'en France il n'y a plus de réparation de machines électriques à grande échelle. Elles vont être l'organe de motorisation de nos véhicules. Et si un jour, le véhicule électrique tombe en panne, va-t-on le jeter ? Ce n'est pas du jetable. Ce n'est pas comme du téléphone portable. Il faut savoir réparer tout cela.

Un autre mot clé, c'est la sûreté. La sûreté de fonctionnement de l'ensemble, parce qu'on peut faire fuir l'utilisateur devant des véhicules qui tombent en panne, qu'on ne sait pas réparer. Il faut penser à tout cela dès le début.

Mme Fabienne Keller. - Merci beaucoup pour votre approche très intégrative.

M. Sébastien Grellier, chef de département planification et relations extérieures, Toyota France. - Je vais traiter d'une question qui a été abordée rapidement par MM. Pourcelly et Schulz. Effectivement, quand on parle de réduction et d'enjeux énergétiques, nous pensons, au sein du groupe, qu'il faut une analyse du cycle de vie. Ce matin, nous avons beaucoup parlé des véhicules et de leur efficacité énergétique, mais je pense que l'analyse globale du cycle de vie, qui prend en compte la conception, la production, l'utilisation et également le recyclage, est une donnée clé. C'est une analyse que nous faisons au sein du groupe depuis plusieurs années. L'analyse de cycle de vie est systémique et systématisée pour l'ensemble de la conception de tous les véhicules, qu'ils soient hybrides ou thermiques. Je vais vous donner les deux résultats principaux que ces analyses nous permettent d'avoir systématiquement.

Le premier concerne l'allègement des pièces. M. Baupin parle beaucoup d'adaptation de la taille des véhicules en fonction des usages. C'est effectivement un enjeu de la mobilité de demain, et l'allègement fait partie de ces questions. Par exemple, pour la Yaris hybride, qui est produite en France, cette analyse du cycle de vie a permis, par rapport à la Prius qui était le premier véhicule hybride, de réduire de 17 % le poids des composants hybrides, et de 25 % en taille. Cela a permis de mettre cette technologie hybride dans un véhicule plus petit de type Yaris.

Le deuxième élément, tout aussi important, se pose en termes de production. L'un des enjeux pour l'instant des constructeurs, c'est de travailler aussi au niveau des usines. Vous savez que nous avons la chance d'avoir l'usine de Valenciennes, et cette usine fait partie, parmi les 59 usines Toyota à travers le monde, des cinq plus vertueuses en termes d'environnement. Et je donnerai un dernier chiffre. Par véhicule produit, l'usine de Valenciennes a réussi à réduire de plus de 30 % la consommation énergétique nécessaire à la production d'un véhicule. Au-delà des émissions de CO2, c'est aussi l'un des enjeux de la production, et il aura un impact global.

M. Denis Baupin. - Quand vous parlez de recyclage des véhicules, cela vous a conduit à faire quel type de choix sur la conception des véhicules pour favoriser le recyclage ?

M. Sébastien Grellier. - Cela a notamment permis, soit d'utiliser des matériaux recyclés, soit de développer de nouveaux plastiques. Et Toyota a développé « Toyota Olefin super polymère ». Ce nouveau type de plastique permet d'être recyclable et recyclé plusieurs fois. Aujourd'hui, on équipe sur toute la partie insonorisation du véhicule environ 6 kilos de ces matières. Elles permettent d'aller un peu plus loin en termes de recyclage, et notamment de répondre à la future norme européenne d'ici 2015, qui veut que 95 % de l'ensemble du véhicule soit valorisable ou réutilisable.

Mme Fabienne Keller. - Existe-t-il une filière de recyclage de ce plastique formidable ?

M. Sébastien Grellier. - Bien sûr. La filière de recyclage, c'est aussi l'un des enjeux des différents constructeurs aujourd'hui. Et là aussi, la France est en train de rattraper son retard et de s'adapter aux directives européennes, à travers toute la mise en place des centres de véhicules hors d'usage. On travaille beaucoup avec cette filière pour atteindre ces fameux 95 %.

Mme Fabienne Keller. - Essayez-vous de récupérer ce plastique dans ces centres de recyclage, ou est-ce que c'est le marché qui s'en occupe ?

M. Sébastien Grellier. - C'est récupéré par les acteurs de la filière de recyclage.

Mme Fabienne Keller. - La filière classique.

Mme Joëlle Colosio, chef du service Qualité de l'air, ADEME. - Bonjour. Nous n'avions pas prévu de nous exprimer sur les questions que vous avez posées tout à l'heure. L'ADEME a fait un scénario énergétique 2020-2030, et à l'occasion, nous avons regardé l'évolution en 2020 et en 2030 à la fois des technologies et des carburants pour les véhicules neufs.

Pour vous éclairer, je peux vous dire que pour nous, il y avait trois drivers importants qui vont guider les technologies. Le premier porte sur les contraintes environnementales et sociétales. Notamment, on prévoit une érosion des ventes de diesel, compte tenu de son image, du coût de sa dépollution et certainement aussi du resserrement de la fiscalité essence-diesel. Deuxièmement, sur les contraintes CO2-coût de l'énergie, on voit bien qu'on va vers une poussée de l'électrification des véhicules. Et d'autre part, par rapport aux chiffres que je vais donner tout à l'heure, on voit un taux d'équipement des ménages qui est en baisse, avec un âge moyen d'achat de véhicules neufs qui s'allonge, et puis des jeunes qui sont plus poussés par l'achat de téléphones mobiles que par le passage du permis de conduire. Tout cela, ce sont des éléments que l'on a pris en compte.

Par rapport à ce qui a été dit, pour nous, aujourd'hui, le décollage du GNV, c'est encore un marché de niche qui est réservé aux poids lourds. Deuxièmement, sur les biocarburants, ce qu'on ne voit pas, c'est une vraie émergence des véhicules FlexFuel. Et ensuite, sur l'hydrogène, c'est une technologie qui n'est pas encore mature, et les coûts d'investissement des infrastructures de distribution sont très élevés.

Compte tenu de ces éléments, voici les grandes tendances sur lesquelles nous avons basé nos projections. Nous voyons une diminution du diesel de 72 % aujourd'hui à 15 % en 2030. Les véhicules hybrides seront en augmentation de 0 aujourd'hui à 10 % en 2030. Les véhicules rechargeables passeront de 1 à 2 % aujourd'hui à 22 % à 2030.

Mme Fabienne Keller. - Nous sommes vraiment demandeurs d'éléments écrits sur la dernière partie de votre intervention, c'est-à-dire le scénario central, et peut-être des variantes. Pour que peut-être on puisse retravailler, lors d'une prochaine table ronde, sur ce que ça signifie un scénario ou l'autre.

Mme Joëlle Colosio. - Ensuite, nous avons découpé le flux de voyageurs en trois parties : le flux urbain, le flux périurbain et le flux longue distance. Sur les véhicules individuels, on voit qu'entre 2010 et 2030, on aura une baisse de 20 % sur les déplacements urbains, qui vont être pris plus par du covoiturage ou de l'auto-partage, en augmentation de 10 %. Sur le périurbain, on voit également une baisse de 20 % et également sur la longue distance, avec des rééquilibrages véhicule individuel - auto-partage - covoiturage - transports collectifs - transports ferrés également. Et puis la part du vélo et du deux-roues électrique pour de l'urbain et de l'interurbain. On vous fera passer tous ces éléments.

Mme Fabienne Keller. - Merci beaucoup. On se réjouit d'avoir tous ces éléments et de les rendre accessibles à tous sur le site.

M. Robert Gresser, directeur de l'innovation, Solvay Rhodia, projet vitesse². - Je voulais vous parler d'un projet vitesse qu'on a construit avec des partenaires français, Air Liquide, le CEA, Veolia, RTF, RTE, des universités françaises, Strasbourg et Nancy. Ce projet repose sur la vision qui est de créer une nouvelle filière de carburants à partir de deux problèmes. Le premier problème, c'est d'absorber de l'énergie électrique avec le développement des renouvelables, donc de l'énergie décarbonée. Le deuxième problème, c'est d'absorber le CO2 qui se dégage. Et l'idée finalement, c'est de convertir cette électricité en hydrogène, et là je rejoins la filière hydrogène, mais de valoriser ensuite cet hydrogène sous forme d'un carburant par réaction avec le CO2. Le projet est dans sa deuxième année, soutenu par l'Agence nationale de la recherche (ANR), et il avance bien.

Cette filière n'est pas une utopie. Ce peut être une réalité dans les trois ans à venir. Aujourd'hui, la technologie est déjà au point. Les premiers prototypes existent. On serait en mesure de monter des unités industrielles dans les cinq ans sans doute. Le défi qui reste à régler, c'est principalement la partie économique, l'acceptabilité économique. Nous pensons que dans le cadre des nouvelles réglementations européennes, ce type de carburant pourrait avoir sa place en complément des agro-carburants, en attendant l'éthanol cellulosique de deuxième génération. Ce type de filière pourrait être indépendant et nous souhaitons le pousser avec l'ensemble de nos partenaires.

M. Jean-Michel Juchet, directeur de la communication et des affaires publiques, BMW France. - Je ne vais pas revenir sur tout ce qui a déjà été traité la dernière fois et ce matin sur les évolutions de la motorisation dans l'industrie automobile, que ce soit le thermique, l'hybridation ou l'électrique. Pour notre groupe, ils doivent nous amener, dans la période 1995 à 2020, à réduire de 50 % les émissions de CO2.

De même, nous travaillons beaucoup sur l'ensemble de la chaîne de création de valeur, sur la production vertueuse, propre, en économisant les ressources fossiles, que ce soit l'électricité, l'eau, etc.

Un autre aspect vraiment intéressant à développer, et l'on revient à ce qu'a évoqué M. Kerckhove, c'est l'interaction homme-machine-service. Pour cela, nous avons un système qui s'appelle « Eco Pro ». Sur l'aspect machine, il paramètre le fonctionnement du moteur et la transmission. Il gère aussi le système de navigation pour rechercher l'itinéraire le plus efficient pour aller d'un point A à un point B, pas forcément le plus court ni le plus long, mais le plus efficient. Il gère aussi la capacité d'énergie de la voiture, que ce soit en thermique, et plus encore en hybride ou en électrique, pour optimiser la consommation. Il gère le conducteur lui-même. À travers des mesures extrêmement simples, comme des stages d'éco-conduite, l'homme peut avoir un comportement de conduite qui va lui-même générer de grosses économies.

Le charme de ce sujet, c'est que ça fonctionne aujourd'hui, ça fonctionnera demain, et ça fonctionne indépendamment de toutes sortes de technologies qui sont le mix d'aujourd'hui et de demain sur la circulation routière. Toutes choses étant égales par ailleurs, je dirais même qu'à vitesse moyenne équivalente, on peut arriver facilement à réduire de 20 à 25 % encore la consommation d'énergie. Ce point est utile à rappeler aux côtés de tous les développements technologiques et énergétiques.

M. Pierre Macaudière, responsable moteur à la direction de la recherche et du développement, PSA Peugeot Citroën. - Je suis responsable de la conception des moteurs essence et diesel chez PSA Peugeot Citroën. Je voudrais ne pas paraphraser tous mes collègues en disant que ce n'est qu'une multiplicité de technologies. Je suis tout à fait d'accord avec le fait qu'il faut travailler sur l'efficacité énergétique.

Par contre, je voudrais appuyer sur un point qui est l'acceptabilité par le client de la solution technique. Il faut donner des solutions techniques qui soient en rapport avec l'usage et acceptables. Par exemple, une personne qui va rouler beaucoup en ville fera peu de kilomètres au total et aura besoin d'un petit moteur essence downsizé. Alors ça veut dire petit, mais pas forcément mauvais. Au contraire, il tourne en permanence dans un régime où énergétiquement parlant il est plus efficace. C'est une bonne solution couplée avec un système d'hybridation simple stop and start, qui arrête le moteur lorsque le véhicule est à l'arrêt et qu'il n'a pas besoin de tourner.

Une famille aura besoin d'un véhicule plus mix, plus grand, en déplacement. Là il faut garder un système qui sera plus complexe, peut-être hybride couplé avec du diesel. Et puis si l'on veut faire des véhicules 2 litres/100 km qui soient acceptables pour beaucoup de monde, il faut réfléchir à des solutions d'hybridation qui soient accessibles, moins chères.

On a beaucoup parlé d'hybride électrique, c'est-à-dire le couplage d'un moteur thermique avec un moteur électrique. On commence à parler d'autres solutions d'hybridation. PSA a récemment parlé d'une hybridation qu'on appelle Hybridair, où l'on fait de la récupération d'énergie avec un système d'air comprimé, une chaîne de traction hydraulique qui permet d'avoir des systèmes qui seront probablement plus acceptables en termes de coûts. Je veux vraiment insister sur cette acceptabilité en termes de coûts pour le client et le client final, avec une optimisation, ce qui se traduit chez nous par un véhicule adapté à chaque usage.

M. Denis Baupin. - Cette question de l'acceptabilité du coût est évidemment essentielle. La calculez-vous sur le coût d'achat du véhicule ou sur le coût et l'usage ? L'expérience que l'on peut avoir sur le diesel en France montre bien qu'il y a eu une pensée, en tout cas de la part des usagers, qu'ils allaient se rattraper à l'usage par rapport au surcoût du véhicule, lequel est d'ailleurs loin d'être démontré pour une bonne partie d'entre eux. Mais en tout cas, c'est un élément de choix qui n'intervient pas que sur le facteur d'achat.

M. Pierre Macaudière. - Oui, tout à fait. On parle vraiment de coûts à l'usage. Dans le jargon des véhicules de flotte, c'est ce qu'on appelle le Total Cost of Ownership (TCO), incluant le coût du véhicule à l'achat, le prix de revente, mais également le côté consommation de carburant, la maintenance et ainsi de suite. C'est bien dans ce système-là qu'on parle de coûts à l'usage pour le client.

Mme Fabienne Keller. - Comme on est tous multiples, parfois on fait des courses en ville, d'autres fois on fait de longues distances en famille. Le fait que vous analysiez l'acceptabilité pour le client suggère qu'on lisse aussi bien la propriété et l'usage ?

M. Pierre Macaudière. - C'est une solution. Malheureusement, je ne suis pas un spécialiste du domaine, je suis vraiment technique. Mais c'est vrai qu'on peut imaginer que, malheureusement, il y ait certains usages où tout le monde va avoir envie d'une voiture en même temps. Et donc il faut en tenir compte dans les modèles. Par exemple, si tout le monde veut partir en vacances en même temps, si vous cherchez tous un véhicule familial à ce moment-là, vous allez avoir quelques problèmes. De mon point de vue, il y a donc bien la notion d'utilisation du véhicule en moyenne par la personne et puis la notion du type « petit véhicule urbain qui ne fait que ça ». C'est un type de véhicule, et c'est comme ça qu'il faut regarder.

M. Alain Jeanroy. - On a beaucoup parlé de biocarburants autour de cette table. Je rappelle que le bioéthanol produit en France diminue les émissions de CO2 de 50% et qu'il a un rapport de 1 à 2 en termes d'énergie consommée par rapport à l'énergie produite. C'est le rapport de l'ADEME qui l'indique, ce n'est pas moi.

M. Denis Baupin. - L'ADEME ?

Mme Joëlle Colosio. - Je n'ai pas le rapport sous les yeux, mais ce que j'ai oublié de dire tout à l'heure, c'est que l'ADEME était en train de finaliser une analyse de cycle de vie (ACV) sur les véhicules électriques. On ne peut pas en parler aujourd'hui, parce que les travaux sont en cours de finalisation, mais elle sera très prochainement rendue publique.

M. Alain Jeanroy. - Enfin là, on parlait des agro-carburants. Je vous donnerai les références du rapport de l'ADEME. Il n'y a aucun problème là-dessus. Ce que nous souhaitons, c'est une généralisation de la distribution du SP95-E10 (sans plomb 95 contenant 10 % de bioéthanol). Actuellement, il n'est distribué que dans 37 % des stations-service en France. Il y a eu une bonne montée en puissance en 2012, on est passé de 27 à 37 %. Mais nous sommes très en deçà de ce que nous devrions atteindre comme objectif, c'est-à-dire la généralisation du SP95-E10, qui sera le carburant de référence européen.

La deuxième solution que nous préconisons, c'est le développement du superéthanol E85, c'est-à-dire à 85 % d'éthanol. Actuellement, il y a 310 pompes-service qui le distribuent pour les véhicules FlexFuel. Ces véhicules FlexFuel fonctionnent indistinctement entre essence - SP95 et SP98 - et SP95 et E85. Donc sur ce point-là, nous souhaitons que les gammes soient développées. Dacia a une gamme très développée là-dessus. Nous sommes à peu près en ce moment 30 000 véhicules.

Deuxième point, c'est le nombre de pompes qu'il faut développer, bien évidemment. Et troisièmement, c'est l'homologation des kits qui peuvent se monter sur des voitures normales pour les transformer à l'E85. Et d'autre part, c'est de l'hybridation bien sûr, trois voies, c'est-à-dire que lorsqu'on parle de véhicules électriques essence-électricité, nous souhaitons que ce soit FlexFuel-électricité. Ainsi le véhicule pourrait fonctionner à l'essence, à l'électricité et au E85.

M. Denis Baupin. - Excusez-moi, mais vous faites bien votre lobbying sur les revendications que vous avez sur les différents carburants. Mais ce n'est pas exactement le lieu...

M. Alain Jeanroy. - Non, ce sont des pistes de développement pour baisser les émissions de CO2 des véhicules et du transport automobile.

M. Denis Baupin. - Si l'on suit votre raisonnement selon lequel ces agro-carburants sont moins émetteurs de gaz à effet de serre que...

M. Alain Jeanroy. - Bien évidemment.

M. Denis Baupin. - Vous avez vous-même indiqué tout à l'heure qu'en matière d'usage des terres, il y avait des controverses, et vous avez conclu : donc il y a controverse, donc il n'y a pas de problèmes, ce qui était un peu rapide, mais qui peut être votre point de vue. Mais sur ce sujet, j'ai l'impression que les études de l'ADEME et les études menées aujourd'hui par la Commission européenne montrent que c'est un peu plus complexe.

M. Alain Jeanroy. - Simplement, ce que je voudrais dire, c'est que les éthanols qui sont produits en France n'ont pas de problème de changement d'affectation des sols. Ça, c'est un point important. Et d'autre part, ils ont des critères de performance, de durabilité, d'émissions de CO2, et de bilan énergétique, qui sont répertoriés par l'ADEME et qui sont ceux que j'ai indiqués. Donc là, il s'agit bien de bioéthanol produit en France et en Europe.

On a des produits qui sont certainement différents, des bioéthanols qui peuvent être produits dans d'autres pays au monde où, effectivement, il peut y avoir des problèmes de changement d'affectation indirecte des sols.

Encore une fois, sur cette question de changement d'affectation des sols indirect, vous savez que la Commission européenne a préconisé éventuellement d'augmenter ou de prendre en compte des émissions de CO2 plus importantes. En ce qui nous concerne, nous avons les chiffres, des propositions. Cela ne nous empêcherait pas de rester dans les objectifs de diminution de 50 % des émissions de CO2.

Encore une fois, les propositions que je faisais s'inscrivent totalement dans ce qui se passe actuellement en France, dans la politique qui a été mise en place en 2005, et bien sûr elles doivent respecter les objectifs d'émissions de CO2 et les objectifs qui nous sont préconisés.

Mme Fabienne Keller. - M. Jeanroy, est-ce que je peux vous proposer, pour clarifier un peu le débat, que vous nous fassiez transmettre par écrit un document présentant vos chiffrages ?

M. Alain Jeanroy. - Pas de problème. Ce seront des sources ADEME bien évidemment.

Mme Fabienne Keller. - Et que le débat s'organise autour de l'efficacité de l'éthanol, de la question des terres, de la question peut-être du bilan énergétique global. Peut-être que l'ADEME a fourni un travail là-dessus, sur les agro-biocarburants. Que l'on puisse mettre ces choses-là en regard, et peut-être factualiser un peu le débat. Ce qui nous semble utile, mais aussi vous permettra de donner votre point de vue sur la difficulté que vous avez à distribuer ces nouveaux carburants. J'ai compris que la Dacia était votre idéal de véhicule, mais il y a sûrement mieux, et d'autres véhicules aussi qui peuvent se servir de vos carburants.

Deuxième table ronde : l'enjeu incontournable de la pollution

A. Impacts sur la santé

M. Denis Baupin, député, co-rapporteur. - Après une première table ronde sur les questions énergétiques et gaz à effet de serre, nous allons nous concentrer un peu plus sur les questions de santé publique et de pollution de l'air. Ce sont d'autres enjeux environnementaux. Nous demandons des interventions courtes de deux minutes qui permettent d'avoir des réponses dans le débat. Je propose qu'on démarre avec des intervenants qui ne se sont pas encore exprimés.

M. Frédéric Bouvier, Laboratoire central de surveillance de la qualité de l'air (LCSQA). - Je vais vous parler de la qualité de l'air en France aujourd'hui, avec le dispositif français qui permet de répondre aux directives européennes et donc de surveiller la qualité de l'air. Aujourd'hui, nous avons des problèmes en termes de qualité de l'air sur deux directives. L'une, qui est bien connue, et qui fait souvent la une des journaux, concerne les directives Qualité de l'air de 2004 et 2008, avec des problèmes sur deux polluants majoritairement : les particules et les oxydes d'azote. L'autre, c'est la directive « Plafond », qui pose également des problèmes de qualité de l'air pour la France, car nous devons respecter un maximum total d'émissions.

En ce qui concerne les particules en suspension, nous avons aujourd'hui un pré-contentieux qui est engagé avec l'Europe, qui concerne sept régions. Il faut savoir que depuis le début de cette année, le contentieux a été renforcé par un deuxième grief qui concerne le manque de plans d'actions pour améliorer la qualité de l'air. Le deuxième polluant, ce sont les oxydes d'azote, pour lesquels nous avons aussi un précontentieux en cours, qui devrait aboutir potentiellement à des problèmes pour la France.

Cela aboutit à ce que le dispositif français sur la qualité de l'air, avec d'un côté les Associations agréées de surveillance de la qualité de l'air (AASQA), et de l'autre le Laboratoire central de surveillance de la qualité de l'air (LCSQA), évolue dans sa logique, d'une logique de thermomètre, pour connaître la situation, vers une logique d'appui aux pouvoirs publics. Nous avons donc mis en place des dispositifs pour mieux connaître la problématique de la pollution, à travers des travaux notamment sur la composition chimique des particules, et puis des logiques sur la prévision.

Aujourd'hui, au niveau des différents polluants qui posent problème, différentes sources sont concernées. Sur les particules, ces sources sont l'industrie, le chauffage - notamment le chauffage au bois - et les transports. Par contre, sur les oxydes d'azote, c'est majoritairement le transport qui est en cause, puisque 70% des émissions sont liées au transport routier.

Sur la carte de France, sont concernées par le contentieux et les problèmes de non-respect des valeurs limites, les grandes régions des façades Nord et Est de la France, depuis le Nord-Pas-de-Calais, l'Ile-de-France, l'Alsace, Rhône-Alpes, jusqu'à PACA. Par contre, les oxydes d'azote, qui sont très liés au trafic et aux déplacements, vont concerner beaucoup plus de régions en France, plus de la moitié des régions françaises.

La mobilité aujourd'hui et les émissions qui sont liées à la mobilité sont problématiques aujourd'hui pour deux polluants en France : les particules, sachant qu'il y a d'autres sources sur lesquelles il faut également agir, et les oxydes d'azote, pour lesquelles c'est principalement le trafic qui est en cause et sur lequel des actions sont engagées. L'État a mis en place à la fois des Schémas régionaux climat-air-énergie (SRCAE) et des Plans de protections de l'atmosphère (PPA). Je pourrai revenir sur le sujet s'il y a des questions plus précises.

M. André Cicolella, président du Réseau Environnement Santé. - Cette réflexion sur la mobilité mêle traditionnellement les questions de la crise climatique et de la crise énergétique, et elle doit intégrer la question de la crise sanitaire. L'expression « crise sanitaire » n'est pas encore passée dans les moeurs, néanmoins il faut caractériser de cette façon la croissance des maladies chroniques, non seulement dans les pays développés, mais sur l'ensemble de la planète.

En France, cette crise sanitaire se manifeste par le fait que 83 % des dépenses de santé sont liées aux maladies chroniques : cancer, maladies cardiovasculaires, maladies métaboliques, maladies respiratoires principalement. 25 millions de personnes sont concernées directement par ces maladies chroniques. Et si l'on regarde les Affections de longue durée (ALD), d'après les chiffres du régime général, 63 % des dépenses de santé sont liées à ces maladies chroniques qui concernent 9 millions de personnes, avec une progression de 4 à 5 % par an.

La crise sanitaire est donc majeure. Elle a pour conséquence de faire imploser le système de santé aujourd'hui. Si l'on compare les dépenses pour ces ALD en 2009 par rapport à 2003 pour ces trois grandes catégories de maladies, on est à 10 milliards d'euros, c'est-à-dire dans l'ordre du déficit de l'assurance maladie.

Alors tout n'est pas lié au transport. Mais nous disposons aujourd'hui d'éléments qui permettent de penser que le transport est important, principalement à travers l'étude Aphekom, pilotée en France par l'Institut national de veille sanitaire (INVS), qui évalue le coût sanitaire sur 25 villes totalisant 39 millions d'habitants, dont 9 villes françaises totalisant 12 millions d'habitants. Les niveaux de coûts liés aux particules PM2.5 sont en moyenne dans une ville comme Marseille à 18,5, à Paris à 16,4. En termes de maladies chroniques, le coût, pour les personnes de +65 ans, est composé à 32 % de maladies coronariennes, 25 % de broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO) et 18 % d'asthme. Ces aspects ne sont pas du tout marginaux. Ils sont majeurs.

Selon le calcul fait par Aphekom sur l'ensemble des 25 villes, le respect de la norme à 10 microgrammes/m3 (10 ug/m3) de PM2.5 permettrait d'éviter 19 000 décès, dont 15 000 causés par des maladies cardiovasculaires. Le bénéfice économique associé au respect de cette valeur est estimé à 31,5 milliards d'euros par an. Cette estimation sur 25 villes nous donne une idée du coût à l'échelle de la France, où à peu près la moitié de la population vit en zone urbaine.

Autre élément important à prendre en considération, c'est l'espérance de vie. Selon le discours dominant, elle progresse. Effectivement, l'espérance de vie des générations anciennes continue à progresser. Mais les générations suivantes n'auront vraisemblablement pas la même espérance de vie. Un premier signe, c'est que l'espérance de vie diminue en France. Selon l'étude Aphekom, pour un Marseillais de 30 ans, l'espérance de vie baisse de 7,5 mois à cause de la pollution particulaire. Pour Paris et Lille, cette baisse est de 5,8 mois. À titre de comparaison, à Londres, la baisse est de 2,5 mois. On doit certainement pouvoir se fixer comme objectif la situation londonienne.

M. Carlos Dora, coordinateur santé publique, département environnement, Organisation mondiale de la santé (OMS). Je vous remercie de cette invitation. Ce thème est très intéressant. Nous disposons d'expériences internationales. Selon une nouvelle estimation qui vient d'être publiée, 7 millions de décès seraient attribués aux pollutions de l'air. Cette étude repose sur de nouvelles recherches sur les maladies cardiovasculaires.

Je vais aborder trois points. Le premier concerne les nouvelles technologies. Dès lors qu'on développe de nouvelles solutions, il est nécessaire de mettre en place une évaluation des risques, y compris des risques sur la santé, comme on le fait pour n'importe quel investissement. Par exemple, sur la question des biocarburants, nous ne disposons pas d'évaluation des risques sur la santé. On ne sait pas ce qui peut arriver.

Le deuxième point concerne les exercices de prospective. Dans ces scénarios, il faudrait considérer aussi l'éco-bénéfice, et non pas uniquement les risques, que ce soit par rapport à la qualité de l'air, mais aussi au bruit qui est associé aux transports, ou aux accidents de la route. Dans les maladies cardiovasculaires, la prévention, à travers l'exercice physique, est un paramètre très important. Et je suis absolument d'accord avec ce qui vient d'être dit. Les maladies cardiovasculaires représentent des coûts sociaux très importants.

Troisièmement, si l'on fait le grand écart entre toute la gamme des risques et des bénéfices, on peut aboutir à des stratégies et des solutions. Ce sont ces scénarios-là qui seraient pertinents. Est-ce que ça touche à l'emploi ? Quel est l'impact sur le coût sanitaire ? Et il faut impliquer d'autres groupes d'intérêt. Par exemple, les assurances maladie, elles aussi, ont intérêt à disposer de ces solutions complexes.

Je crois que ce sont surtout les villes qui sont en mesure de mettre en place ces planifications stratégiques. Mettre la santé dans la perspective stratégique d'une ville, c'est l'intégrer dans la politique d'aménagement du territoire, des transports et de l'énergie.

Pour finir, je dirai que la pollution de l'air ne s'arrête pas aux frontières. Les particules voyagent à des milliers de kilomètres. Les solutions sont a minima régionales, et parfois globales. Dans l'hémisphère nord par exemple, on observe de grands échanges de polluants. En Europe, on a cette expérience des transports-environnement-santé. Un groupe de travail a été mis en place il y a une dizaine d'années. C'est un bon modèle pour étudier les échanges à un niveau global. Mais il faut réfléchir aussi avec la Chine et d'autres pays émergents.

M. Denis Baupin. - Quel est le point de vue de l'ADEME sur ces questions de la pollution de l'air liée aux véhicules ?

Mme Joëlle Colosio, chef du service Qualité de l'air, ADEME. - En introduction, je dirais que les différences entre CO2, gaz à effet de serre et polluants atmosphériques reposent sur une échelle de temps et de stabilité de ces composés. Le CO2 est un composé très stable, qui va avoir un impact sur le climat, et donc les actions à mener aujourd'hui sont pour demain et après-demain.

Les polluants atmosphériques sont très réactifs dans l'air et rapidement oxydés, et donc, les actions à mener pour les réduire sont à conduire rapidement pour avoir une efficacité immédiate. On peut citer le plomb. Lorsqu'on a éliminé le plomb dans les essences, les résultats ont été immédiats en termes de réduction des émissions et de réduction de l'impact. Les plombs émis, notamment sur les enfants aux États-Unis, ont immédiatement été diminués.

Sur les polluants atmosphériques, aujourd'hui les effets sont sanitaires et à court terme. On doit parler bien évidemment des particules et des oxydes d'azote. L'ADEME voudrait aussi indiquer les polluants secondaires. On en parle peu aujourd'hui, parce qu'ils ne sont pas directement émis, mais produits dans l'atmosphère par réaction chimique. Ce sont des composés à double effet, sur le climat à long terme, et sur le plan sanitaire, parce que ce sont des oxydants puissants. Ils pourraient poser des problèmes.

Il faut aussi se préoccuper des polluants primaires que sont les composés organiques volatils (COV), qui sont notamment émis par les véhicules.

Effectivement, les AASQA sont de très bons thermomètres aujourd'hui. Nous avons une bonne évaluation de l'état de la qualité de l'air, voire des prévisions. Il faut encore travailler sur la modélisation, de façon à avoir des prévisions encore plus en amont si c'est possible. Par contre, en termes d'actions, c'est vrai qu'on accumule, de notre point de vue, un certain retard. D'une part, il faut agir à très court terme pour réduire ces émissions qui posent problème aujourd'hui, notamment les émissions de particules et de CO2. Pour l'ADEME, l'enjeu est d'allier et de combiner les actions en termes d'efficacité énergétique et de polluants atmosphériques, c'est-à-dire réduire les émissions de CO2, sans dégrader la qualité de l'air.

Pour nous, il y a donc deux niveaux d'actions vis-à-vis des polluants atmosphériques. Premièrement : les réduire rapidement. Je vais m'appuyer sur l'avis que l'ADEME a émis sur le diesel. Les problématiques aujourd'hui des particules fines et des oxydes d'azote reposent notamment, vis-à-vis du trafic, sur la circulation des véhicules les plus polluants, c'est-à-dire les véhicules anciens. On peut les résumer : ce sont tous les véhicules qui ne sont pas équipés de filtre à particules qui posent aujourd'hui problème. Et l'on voit, à travers nos évaluations, que si ces véhicules ne circulent plus dans les centres villes, là où il y a de la population, les niveaux de qualité de l'air s'améliorent.

M. Denis Baupin. - Beaucoup ?

Mme Joëlle Colosio. - En termes d'émissions, oui ils s'améliorent beaucoup. En termes de qualité de l'air, un petit peu moins, compte tenu des réactions. Il faut bien voir aussi qu'il n'y a pas que les émissions au pot qui génèrent de la pollution. Il faut prendre aussi en considération les frottements, le freinage, et la remise en suspension de ce qui est déjà déposé sur la chaussée, d'où la difficulté.

M. Denis Baupin. - D'après les études que l'on a pu effectuer en Ile-de-France, globalement les véhicules les plus anciens sont ceux qui roulent le moins. De fait, on peut se demander si le fait de s'attaquer uniquement aux véhicules anciens aurait un impact significatif sur la pollution de l'air aux particules fines. Je vous interroge pour savoir quelle est l'évaluation de l'ADEME par rapport à cela ou si le problème est un peu plus global.

Mme Joëlle Colosio. - Les véhicules diésélisés de dernière génération émettent trente fois moins de particules que les véhicules Euro 1 ou Euro 2.

M. Denis Baupin. - Toutes les catégories de particules, y compris les plus petites ?

Mme Joëlle Colosio. -Certaines particules ultra fines sont produites directement, et d'autres sont produites en émission secondaire. Voilà ce qu'on peut dire aujourd'hui. Je peux m'appuyer sur ce que l'on voit à l'étranger, chez nos voisins allemands, anglais, qui ont mis en place ces mesures, de manière graduelle, et pas uniquement sur les véhicules particuliers, mais aussi principalement sur les poids lourds, sur les bus, et d'autres véhicules. Les véhicules particuliers roulent moins, mais les véhicules utilitaires ou les bus roulent plus. Et l'on voit une diminution, notamment à Londres et à Berlin, et donc un impact sur la qualité de l'air. Dans les données, l'écart entre émission et concentration est de 10 à 30. C'est là où se situe la difficulté, c'est-à-dire qu'il ne faut pas seulement agir au niveau local.

Ce n'est pas en réduisant uniquement la circulation locale qu'on obtiendra un maximum de résultats en termes de pollution de l'air, mais c'est aussi en agissant au niveau européen, puisque les véhicules se déplacent, et que les masses d'air se déplacent. Suivant les phénomènes atmosphériques auxquels on est soumis suivant les saisons, les strates de pollution varient plus ou moins. Et là où l'on peut jouer au niveau local, c'est sur la dernière strate. De notre point de vue, il ne faut pas agir uniquement au niveau local ou uniquement au niveau européen.

Pour terminer, je dirai que si on agit rapidement sur les véhicules diesel, de notre point de vue, il ne faut pas remplacer du diesel par de l'essence, parce qu'on peut avoir d'autres problèmes. Il faut arriver à évaluer les risques, les anticiper. Développer la mobilité active. Nous avons fait une étude avec l'ORS Ile-de-France qui montre que la mobilité active, même en situation de polluant, est favorable à la santé. Il ne faut donc pas opposer ces sujets-là.

D'autre part, il nous semble important d'adapter les moyens de mobilité aux besoins. 30 km/h en ville, c'est positif en termes de bruit, de santé et de sécurité. Mais en termes de pollution, cela pose problème aujourd'hui parce que les véhicules ne sont pas optimisés pour rouler à 30 km/h. Et donc en termes de pollution atmosphérique, c'est là qu'on va émettre le maximum de polluants. Rouler à 30 km/h, c'est intéressant sur plein de facteurs, mais pas sur celui de la pollution, parce que les véhicules ne sont pas adaptés.

M. Denis Baupin. - Ce n'est pas ce que disent les études allemandes. Les véhicules sont très mal adaptés en effet, ce qui dit beaucoup de choses sur les véhicules. Si à la vitesse où ils sont censés rouler ils ne sont pas efficaces, c'est gênant. Mais indépendamment de cela, les études allemandes nous montraient que, malgré tout, parce que vous remettez moins de poussières en suspension par le frottement, et moins d'accélérations et de ralentissement, à 30 km/h, vous aviez quand même une efficacité plus grande qu'à 50 km/h.

Mme Joëlle Colosio. - Vous avez tout à fait raison. Il faut des conditions bien particulières avec les véhicules d'aujourd'hui, c'est-à-dire une fluidité. Et malheureusement, les derniers travaux, notamment allemands, montrent que dès que cette fluidité est rompue, par des à-coups moteurs, ou tous les systèmes de ralentisseur, l'on maximise souvent les émissions de polluants entre 0 et 30 km/h. Et souvent cette fluidité est de court terme, parce que dès que les automobilistes aperçoivent une voie fluide, cela engendre beaucoup plus de trafic, et donc c'est tout un travail sur la régulation du trafic qui doit être mis en place pour garder cette fluidité.

Par ailleurs, je tenais à montrer toute la difficulté qu'il y a pour agir de manière efficace, et que ce n'est pas en passant d'un type de carburant à un autre, ou d'un type de véhicule à un autre, qu'on va éliminer tous les problèmes.

Voici quelques images (texte en anglais).

Ce que vous voyez sur cette image, c'est un petit véhicule essence sur un banc. À gauche, il y a une chambre dans laquelle on va envoyer ces gaz, qu'on va laisser vieillir. Sur l'image suivante, la vignette bleue à gauche du graphique décrit les polluants qui sont émis directement en sortie d'émission. Ensuite, on va rentrer ces émissions dans la chambre, qui va reconstituer l'air ambiant, et on va laisser vieillir ce qui est sorti du pot d'échappement. En bas, vous voyez les émissions primaires, et puis l'on voit, sous l'effet de la lumière et du radical hydroxyle OH, la formation de composés secondaires. Et ce sont ces composés secondaires, ces aérosols organiques secondaires, qui vont être à l'origine de la formation de particules secondaires. Ces composés ne sont pas émis directement, mais ils vont se former dans le

On peut avoir des surprises en faisant des tests. Certains travaux sont d'ailleurs publiés. On a comparé le taux d'émissions de particules entre un véhicule essence et un camion diesel Euro 5.

À l'émission, on voit que le véhicule essence émet environ 30 fois moins de particules que le camion. Et là vous allez voir l'évolution.

Légende de la Figure : (a) composition globale de la phase gazeuse telle que vue par le PTR-MS pour les émissions primaires du véhicule léger essence Euro 5 (Fiat 500) et du camion Euro 5, (b) vieillissement comparé de l'aérosol émis par le véhicule léger essence Euro 5 et le camion Euro 5 Diesel - le code couleur représente la quantité intégrée d'exposition à OH : les émissions du véhicule essence sont très réactives (consommation importante de OH), les émissions du véhicule Diesel sont moins réactives (consommation plus faible des OH)

Commentaire de la figure : Ces résultats, ici regroupés en deux grandes familles chimiques, montrent l'importance des composés organiques aromatiques et des alcanes dans les émissions primaires de COV pour le véhicule essence, alors que ces deux familles sont totalement minoritaires pour le véhicule diesel (exception faite de l'utilisation en mode GPL). Les émissions du véhicule diesel sont dominées par des composés azotés (très majoritairement l'acide nitrique), les composés carbonylés et les acides organiques, soit des espèces déjà très oxydées.

Ceci illustre le concept que comparer les facteurs d'émission entre véhicules avec un objectif de limitation des concentrations de PM en atmosphère ambiante n'a sans doute de véritable sens que si l'on considère le potentiel de formation de particules secondaires de ces émissions. Ces résultats de première importance sont en cours de validation pour d'autres véhicules et dans différentes conditions environnementales dans le cadre de travaux auxquels l'ADEME contribue avec plusieurs partenaires européens et conduits par un consortium scientifique européen constitué de l'IES, JRC-ISPRA, du Paul Scherrer Institute et du LCE (Aix-Marseille Université).

Nous sommes dans la chambre. L'aérosol a vieilli, et l'on voit ceci : pour les carburants diesel, on a une stabilité des émissions des particules primaires, pratiquement pas de formation de particules secondaires, parce que les gasoils ne produisent pratiquement pas d'hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) ; alors que pour l'essence, certains composés organiques volatils vont évoluer et produire des particules secondaires. C'était juste pour vous montrer toute la difficulté et la complexité que posent ces composés.

Mme Fabienne Keller, sénatrice, co-rapporteure. -Vous êtes en train de nous changer le paradigme sur le diesel. Si j'ai bien compris, le camion est resté en bas.

Mme Joëlle Colosio. - Oui.

Mme Fabienne Keller. - Et la Fiat 500, elle crée plein de polluants secondaires ?

Mme Joëlle Colosio. - Oui. Ce sont de premiers travaux qui ont été publiés, par Platt notamment2(*), et qui sont à confirmer sur d'autres véhicules. Mais il ne faut pas penser qu'en passant du tout diesel au tout essence, on va régler tous les problèmes.

Mme Fabienne Keller. - C'est très embêtant par rapport au débat, plus politique, qui est en cours.

M. Denis Baupin. - À quoi correspondent vos couleurs ?

Mme Joëlle Colosio. - Le temps à droite, et puis la quantité et les concentrations.

M. Denis Baupin. - Les différentes couleurs illustrent les différentes tailles de particules, c'est bien cela ?

Mme Joëlle Colosio. - Oui, tout à fait.

M. Denis Baupin. - Et donc lesquelles sont les plus grosses ? Rouges ou violettes ?

Mme Joëlle Colosio. - Rouges.

M. Denis Baupin. - Les rouges sont les plus grosses ?

Mme Joëlle Colosio. - Oui.

Mme Fabienne Keller. - Pourrez-vous nous confirmer le 11 avril que cette étude est validée ?

Mme Joëlle Colosio. - Oui. Des travaux sont publiés, Ils ont été présentés aux dernières journées sur les aérosols au niveau international.

M. Denis Baupin. - Nous allons poursuivre sur ces questions de santé.

M. Bernard Jomier, médecin des quartiers engagé contre la pollution. - Ce qui a motivé l'engagement des médecins cliniciens sur ces questions de pollution récemment, c'est qu'on assiste à la fin de la controverse scientifique sur ces questions. Pour ceux qui suivent ces questions depuis un certain nombre d'années, il y a encore une demi-douzaine d'années, le monde scientifique était divisé sur les impacts de la pollution sur la santé. Comme vous l'avez souligné, la mise en évidence des effets respiratoires a été très précoce. Plus récente a été celle des effets cardiovasculaires. Et maintenant, les études se multiplient sur les effets neurologiques, et elles sont inquiétantes. Aujourd'hui, il n'y a plus aucun scientifique ou de médecin sérieux qui nient l'importance et la force du lien entre la pollution de l'air et les effets sur la santé humaine.

La question se pose toujours de la quantification précise. André Cicolella a cité l'étude Aphekom, qui est l'une des meilleures en termes de méthodologie. Ce qu'on peut noter, c'est qu'au fur et à mesure des actualisations, le lien est de plus en plus important et quantifié de façon de plus en plus précise. Quel que soit le niveau du curseur, il est indéniable que l'atteinte à la santé des populations est un phénomène en train de s'accroître.

Ce qui nous a motivé pour prendre la parole ces dernières semaines, nous les médecins parisiens et les médecins cliniciens au contact de la population, c'est un premier constat qu'on fait d'une inadéquation entre les données scientifiques actuelles sur la pollution de l'air et les choix politiques, les choix publics, qui sont faits en la matière. Le décalage est devenu insupportable pour la population.

Je vais prendre un exemple. Plusieurs intervenants ont parlé des particules fines. Il y a une dizaine d'année, les études en parlaient déjà mais assez peu. Maintenant, la littérature est abondante sur ce sujet. Même les particules les plus fines, les PM2.5, deviennent très étudiées dans la littérature scientifique. Mais en termes de réglementation, on est très en retard. Où est la réglementation française sur les PM2.5 ?

Mme Fabienne Keller. - Sur laquelle nous sommes en contentieux d'ailleurs.

M. Bernard Jomier. - Cette réglementation sur les PM2.5 est absente. Il y a un décalage, elle est tout à fait en retard par rapport à ce qui existe sur les PM10 par exemple. Or les données scientifiques ont beaucoup progressé sur ces particules plus fines.

Par ailleurs, il y a un défaut d'effectivité de la réglementation existante. Si l'on prend l'exemple de la ville de Paris, l'année dernière en 2012, nous étions à 145 jours de dépassement des seuils réglementaires, donc bien au-delà de ce qui est autorisé. Il y a donc ce double constat d'une non-application de la réglementation et d'un retard de la réglementation sur les données scientifiques.

Le deuxième point qui nous paraît important, et qui va faire écho à votre exposé, c'est qu'il n'y a de solution valable que globale. Car il ne faudrait pas penser qu'en luttant contre un polluant, on va résoudre la situation générale en termes de santé. Et il serait dommage de s'attaquer aux particules fines en laissant de côté le problème des NOx dérivés ou de l'ozone, dont les effets sur la santé seraient peut-être certes légèrement différents, mais pas moins graves. Pour nous, ce qui est important, c'est que l'ensemble des polluants de l'air, nocifs en termes de santé pour la population, soit attaqué et résolu, et pas seulement la polarisation sur un seul des toxiques.

B. La vision des constructeurs

M. Denis Baupin. - Nous allons donner la parole à un certain nombre de constructeurs pour avoir leur point de vue.

M. Sébastien Grellier, chef du département Planification et Relations extérieures, Toyota France. - Le groupe Toyota a fait depuis quinze ans le choix de privilégier, même si ce n'est pas la seule technologie, l'hybride essence. L'intérêt de cette technologie, en termes d'émissions de particules, c'est que, comme toute motorisation essence, on est sur des niveaux bien moindres que sur des motorisations diesel. Et son deuxième avantage, en termes d'émission de NOx, par exemple sur la Yaris hybride, c'est qu'on est sur des niveaux de rejet de 6 mg/km, qui sont d'ores et déjà dix fois inférieurs aux futures normes Euro 6, lesquelles entreront en application à partir de 2014.

Au côté de cette technologie, il y a le 100 % électrique bien entendu, et la pile à combustible à hydrogène, à une échéance un peu plus lointaine, qui sera certainement l'une des meilleures technologies d'avenir pour tendre vers l'éco-voiture utile.

Ensuite, se posera toujours la question, un peu comme l'électricité, de savoir comment est produite cette énergie à la base. Je fais le lien avec la discussion de la première table ronde sur l'ensemble du puits à la roue.

M. Pierre Macaudière, responsable moteur à la direction de la recherche et du développement, PSA Peugeot Citroën. - Concernant les émissions de particules, je vais revenir sur le fait que PSA a travaillé en pionnier depuis une vingtaine d'années sur les filtres à particules. Nous avons commencé à équiper nos véhicules en première mondiale en 2000. Ce qui veut dire qu'on avait travaillé bien avant. Et je tiens à préciser que les diesel filtrés sont efficaces sur toutes les particules, de toutes tailles et dans toutes les conditions d'utilisation du véhicule, que vous soyez au ralenti, à vitesse rapide, que le filtre soit chargé ou que votre moteur soit froid ou chaud. Cette filtration est mécanique et très efficace. Pour nous, le problème des particules est considéré comme réglé.

M. Denis Baupin. - C'est une évaluation qui a été faite par qui ?

M. Pierre Macaudière. - Cette évaluation est faite par nos laboratoires, mais également par tous les laboratoires qui mesurent des véhicules filtrés. Des travaux ont été faits à l'ADEME, chez des organismes d'évaluation indépendants. Les filtres à particules sont très efficaces.

Et je vais être un peu provocateur. L'air qui entre dans le moteur est plus chargé en particules que les gaz d'échappement qui sortent. Et je peux même affirmer, on a fait des mesures, que sur un diesel filtré, on est en dessous des niveaux d'une pièce propre aux alentours de 4 000 particules par cm3. Donc pour nous, le problème des particules est réglé. Le problème se situe plutôt sur les vieux véhicules dans le parc.

Le deuxième point sur lequel je veux insister, ce sont effectivement les oxydes d'azote qui deviennent le deuxième polluant qu'il faut ramener au niveau de l'essence. Là, nous avons des travaux en cours. Parmi les technologies, on peut parler de systèmes comme la réduction sélective catalytique, ou de pièges à NOx, qui vont ramener les émissions de NOx issues de moteurs diesel au niveau des moteurs essence. Toutes ces évolutions technologiques vont rendre ce diesel plus vertueux en matière d'environnement, et lui conserver son avantage qui a été souligné lors de la première table ronde, qui est de l'ordre de 10 à 15 % d'émission de CO2 pour environ 25 % de consommation en moins. Voilà tout le travail en cours chez PSA Peugeot Citroën.

Et pour revenir sur la remarque de l'ADEME, j'affirme même qu'un véhicule diesel filtré, en termes d'émissions, est inférieur au meilleur des moteurs essence. Ça marche très bien sur les particules.

M. Denis Baupin. - Si j'ai bien compris, vous purifiez l'air...

M. Pierre Macaudière. - Vous faites une confusion, assez fréquente. Je n'ai pas parlé d'air, je parle des gaz d'échappement qui sont moins chargés en particules que l'air entrant dans le moteur.

M. Denis Baupin. - Vous avez dit qu'il y avait moins de particules.

M. Pierre Macaudière. - Je parle bien des gaz d'échappement qui sont moins chargés en particules que l'air qui rentre. Je ne parle pas des autres polluants. Je vais même faire un parallèle. Respirez de l'air en sortie d'un moteur essence, vous avez 0 % d'oxygène si on travaille bien. Ce n'est pas respirable. L'air en sortie d'un moteur diesel à 10 % d'oxygène, ce n'est pas respirable.

M. Denis Baupin. - Vous avez dit que c'était plus pur.

M. Pierre Macaudière. - Non, j'ai parlé en termes de particules. Vous voyez, vous faites un peu l'amalgame.

M. Denis Baupin. - Et les particules qui sont déjà dans l'air qui rentre, elles viennent d'où ?

M. Pierre Macaudière. - Elles sont éliminées sur le filtre à particules. C'est pour cela que, lorsque vous roulez en ville, dans une artère à Paris, à cause de la remise en suspension de ce qui est déjà déposé sur la chaussée, vous êtes aux alentours de 80 000 particules /cm3, en sortie de filtre vous serez à 3 000 particules/cm3.

Mme Fabienne Keller. - Quelle est la proportion du parc automobile filtré aujourd'hui ?

M. Pierre Macaudière. - C'est une bonne question. On estime qu'il y a environ 17 millions de véhicules particuliers. Actuellement, tous les véhicules diesel sont obligatoirement filtrés depuis 2011. PSA a commencé à équiper à partir de 2000, progressivement en 2008 et en 2009 l'ensemble de nos véhicules diesel. Alors je n'ai pas les chiffres exacts. Je vais dire une bêtise. Je dirais de l'ordre de 4 à 5 millions de véhicules doivent être équipés actuellement d'un filtre à particules. Au global, ça je connais bien. PSA a équipé depuis qu'on fait des moteurs Hdi. On en a vendu 18 millions à peu près. Actuellement, nous avons entre 7 et 8 millions de véhicules qui sont déjà équipés de filtre.

M. Bernard Darniche, journaliste, président de l'association « Les citoyens de la route ». - Au travers de tout ce que j'ai entendu, il y a beaucoup d'incertitudes au niveau des études. Madame Colosio, de l'ADEME, le disait, c'est très compliqué, très complexe. Il y a aussi beaucoup de travaux qui ont été faits. On pourrait imaginer, et c'est vous-même qui l'avez dit, notre système à l'horizon 2030-2040. Moi, je me pose des questions simples. Pourquoi on en est là aujourd'hui et pourquoi des organismes comme le vôtre n'ont pas été entendus avant, justement, pour arriver jusqu'à ce point de non-retour où nous sommes aujourd'hui ?

Par rapport aux contrôles, j'ai une énorme inquiétude. Vous savez, je sors d'un système où j'ai été contrôlé toute ma vie. Je suis un ancien pilote de course, et au-delà, un sportif de haut niveau. Et on a la démonstration aujourd'hui que les contrôles manifestement sont soumis à suspicion. Le meilleur des cas, c'est le cycliste américain. On sait très bien aujourd'hui, et je le sais moi, parce que je l'ai constaté dans mon métier de pilote de course, que le travail principal des ingénieurs, c'est de passer au contrôle. Après, comme on dit, Jésus Christ, la caravane passe.

S'il y a autant d'incertitudes dans tous ces contrôles, si les sujets sur lesquels nous sommes donnent autant d'incertitudes, pour moi, l'une des raisons simples, c'est la segmentation des énergies que nous avons à disposition. Qu'elles soient équilibrées d'une façon intelligente. Et qu'on ne soit pas dans ce système français, purement français, ou c'est blanc, ou c'est noir. On a l'énergie de l'avenir, ça va être cette énergie-là. Non, je crois qu'on a autant de réponses qu'il peut y avoir de systèmes de transport. Et je crois que si on veut rester sur le sujet d'aujourd'hui, qui m'intéresse, « la mobilité sereine et durable », d'abord il faut prendre en compte un paramètre que je n'ai jamais entendu, c'est la notion de temps de déplacement. Le temps de déplacement. Parce que le bien le plus précieux que l'homme a à sa disposition, c'est son temps sur la terre, et à chaque fois que dans un système de mobilité on me fait perdre du temps, « on me bouffe ma vie ».

M. Denis Baupin. - C'était plutôt le sujet de la première audition.

M. Bernard Darniche. - Moi je ne peux pas l'occulter.

M. Denis Baupin. - J'entends bien. On avait plutôt demandé aujourd'hui de se concentrer sur les motorisations et les pollutions, etc.

M. Jean-Michel Juchet, directeur de la communication et des affaires publiques, BMW France. - Mon intervention ne sera pas très originale par rapport à ce que l'on vient d'entendre. Les solutions à motorisation thermique doivent évoluer. Et effectivement sur le diesel, nous faisons un effort considérable sur l'introduction des normes Euro 6, bien avant l'heure d'ailleurs de l'obligation. Aujourd'hui 60 modèles passent les normes Euro 6 dans notre gamme en série, 30 autres en option. Et nous sommes conscients qu'il s'agit là d'un enjeu considérable.

Au-delà de l'actualité immédiate, nous allons multiplier les offres en termes d'hybride rechargeable et d'électrique. L'électrique, en fait, nous le voyons plus universel que pour un usage strictement urbain ou périurbain, puisque, comme on l'entendait avec nos collègues de General Motors, on peut lui adjoindre ce qu'on appelle l'étendeur d'autonomie, et lui donner beaucoup plus de flexibilité d'emploi que l'électrique pur. Nous avons aussi beaucoup d'ambition sur les motorisations électriques pour résoudre ce type de question.

C. Gaz, pollution, environnement

M. Gilles Durand, secrétaire général, Association française du gaz naturel pour véhicules (AFGNV). - Je vous remercie d'accueillir notre association. Elle regroupe l'industrie du gaz naturel carburant, mais également les collectivités locales qui font usage de ce carburant alternatif, ainsi que des sociétés de transport de marchandises ou de transport collectif.

Le gaz naturel, c'est un carburant qui concerne tous les véhicules terrestres et maritimes. Aujourd'hui, dans le monde il y a 18 millions de véhicules qui fonctionnent au gaz naturel, et en 2020 il devrait y en avoir 65 millions, d'après les prévisions de l'Organisation internationale du gaz. D'ailleurs l'ADEME, dont on citait les scénarios prospectifs, prévoit qu'en France, en 2050 je crois, 46 % des transports terrestres fonctionneront au gaz naturel ou au biogaz, puisqu'une grande partie de ce gaz sera issue du biogaz. Nous pensons que c'est un carburant d'avenir.

Pourquoi ? Nous avons parlé des particules. Je pense que les meilleures particules pour la santé, ce sont celles qu'on ne produit pas. Et le carburant gaz naturel produit très peu de particules. Et donc quand on compare ce qui est comparable, c'est-à-dire deux moteurs de même génération, en l'occurrence Euro 5 avec l'un de nos adhérents Iveco, on voit que l'on produit 85% d'oxydes d'azote en moins, 90% de particules fines, et un sujet qui n'a pas été encore abordé dans le domaine urbain, c'est bien évidemment la pollution sonore.

En ce qui concerne les émissions de CO2, l'agence allemande de l'énergie nous dit qu'il y a 20 % de moins d'émission de CO2 avec le gaz naturel qu'avec le diesel, et jusqu'à 90 % d'émission de CO2 en moins avec le biogaz.

Pour terminer, je dirais que l'usage du biogaz le plus vertueux pour l'environnement, c'est l'usage carburant. Tous ces éléments figurent sur le blog. Le biogaz, on commence à rouler avec. À Lille, la moitié des bus fonctionnent au biogaz. À Morsbach, près de Forbach en Moselle, l'usine de méthanisation est la plus importante à ce jour. Elle sera suivie prochainement par une usine de méthanisation en Bretagne centrale, à Locminé. Et là, ils vont traiter les déchets de l'industrie agroalimentaire. Avec ce biogaz, on a donc un effet vertueux avec la production d'énergie locale.

M. Joël Pedessac, directeur général, Comité français butane propane. - Sur le thème GPL et pollution, rappelons qu'un moteur GPL, c'est avant tout un moteur thermique qui est conçu pour fonctionner au départ à l'essence, et qui a été adapté pour fonctionner au GPL. Monter sur un véhicule cette « adaptation » coûte autour de 400 euros. On va venir à l'économie du véhicule. 400 euros d'équipement pour qu'un véhicule essence produit en série puisse rouler au GPL, c'est réduire de 12 à 14 % les émissions de CO2, de 30 à 40 % les polluants conventionnels normés. Un véhicule GPL n'émet pratiquement pas de particules, un peu comme les véhicules GNV (Gaz naturel pour véhicule) sans filtration.

J'ai retenu dans l'intervention de l'ADEME la problématique des COV. Une étude ADEME de 2004, qui avait été coordonnée au niveau international, montrait aussi que dans les émissions de polluants, il fallait prendre en compte la problématique du benzène, des formaldéhydes, sur lesquels le GPL est plutôt bien positionné.

Sur le plan technologique, nous sommes sur des moteurs essence qui ont été adaptés au GPL. Dans cette performance, il faut prendre en compte le potentiel d'amélioration de la technologie des moteurs essence. Ces améliorations portent sur le fonctionnement, le rendement et les émissions. Tout ce potentiel peut bénéficier au GPL. Un exemple, c'est Renault qui l'a fait en 1995, sur une Clio Euro 0 conçue pour l'essence. Ils l'ont envoyée en Californie pour passer les tests ZEV (zero-emission vehicle), et avec une légère modification de ce véhicule transformé au GPL, cette Renault Clio de 1995 a passé allègrement les tests ZEV californiens. Je laisserai à Renault le soin d'en parler peut-être plus en détail.

Si le moteur à l'origine était désigné spécifiquement pour le GPL, on améliorerait encore les émissions de ces véhicules-là. Aujourd'hui on a plutôt des moteurs essence qui sont adaptés au GPL.

Il y a 36 millions de véhicules en France, dont 5 millions de véhicules lourds, 32 millions de véhicules légers, 15 millions de véhicules essence. Le parc existant, fortement diésélisé, est celui qui pollue, et c'est notamment le parc ancien. Sur les 15 millions de véhicules essence, une partie pourrait être équipée au GPL. La transformation de ces véhicules essence, comme 95 % du marché mondial le fait, pourrait améliorer significativement les émissions du parc existant, et ce, pour un coût qui est relativement modeste. Dans les pays où cette transformation se fait à grande échelle, le coût de la transformation du véhicule essence au GPL est de 1 500 à 1 800 euros. Il permet de réduire les émissions de CO2, de NOx et autres COV.

En conclusion, compte tenu du coût de traitement, de la possibilité avec le GPL de traiter une partie du parc essence existant, mais aussi, et là c'est un peu plus expérimental, une partie du parc diesel, en injectant 20 à 30 % d'air comburant à du GPL, on peut abaisser le niveau d'émission des oxydes d'azote, semble-t-il, et aussi des particules, mais c'est plutôt expérimental, et je ne m'avancerais pas plus loin sur ce point. Je laisse aux motoristes la confirmation de cette information. Ma conclusion, c'est qu'avec le GPL, il y a bien sûr des perspectives d'amélioration pour lutter contre la pollution des véhicules neufs, mais il y a surtout une bonne perspective de traiter le parc existant, en transformant une partie du parc essence, qui est la plus simple à réaliser.

M. Denis Baupin. - J'insiste sur cette question du diesel. Vous modifiez le moteur ou le carburant uniquement ?

M. Joël Pedessac. - C'est le moteur qui est modifié. Le carburant, c'est du gazole que vous injectez dans le système d'injection gazole, et vous rajoutez une part de gaz qui est mélangé avec l'air qui va servir à la combustion du gazole. J'ai assisté à des rapports sur cette technologie, produits par des Américains, des Anglais, des Japonais. Ils montraient qu'il y avait un gain significatif sur les émissions d'oxydes d'azote et de particules de ces moteurs, à enfiltration. Avec la préfiltration, c'est encore mieux.

M. Denis Baupin. - Mais vous n'avez pas une idée du coût qu'engendre cette modification sur le moteur ? C'est un sujet important pour les véhicules anciens.

M. Joël Pedessac. - Le coût de mise en oeuvre. C'est donc un réservoir GPL, avec un petit système d'injection dans la veine d'air. C'est quelque chose qui n'a rien à voir avec le traitement des NOx par exemple sur un moteur diesel pour Euro 6. Les coûts sont inférieurs à 1 000 euros par véhicule si l'on fait du retrofit, c'est-à-dire si l'on équipe du parc existant. Il y aura bien sûr une perte de productivité qui est liée au fait qu'on ne fait pas de la série.

Maintenant, en série, si c'est réaliste et réalisable, si les motoristes confirment que cela a un intérêt, les coûts sont beaucoup plus faibles. Encore une fois, monter en série un équipement GPL sur un véhicule Euro 5 ou Euro 6, c'est en gros moins de 500 euros par rapport à la base essence, et pour amener tout le potentiel d'un carburant gazeux.

M. Denis Baupin. - Vous avez lancé la balle à Renault, mais nous n'avons pas de représentant.

M. Joël Pedessac. - Je voulais juste citer une étude du Boston consulting group intitulée « Powering Autos to 2020 : the era of the electric car ? » (BCG, 2011). Je trouve qu'il y a des informations très intéressantes sur la notion de « willingness to pay a premium », la capacité des nouveaux consommateurs à payer en fonction des technologies des moteurs. Cette étude porte sur la technologie, l'efficacité des systèmes, le coût des systèmes dans une projection à 2020. C'est téléchargeable sur leur site et je n'ai aucun intérêt chez le BCG.

M. Denis Baupin. - Nous allons donner la parole aux ONG.

D. Les réflexions des ONG

M. Sébastien Vray, président de Respire. - Pour commencer, outre l'abus de langage de cette table ronde sur les véhicules écologiques, qui n'existent pas, je souhaiterais que le débat soit autant porté sur les conditions pour favoriser les nouvelles mobilités, et donc sur la modification des usages. Comment réduire les polluants ? On parle de tout technologique, on entend beaucoup de résolutions par le tout technologique. Comment fait-on pour éviter une pollution ? En l'évitant. Parce que ça coûte moins cher de prévenir que de réparer une pollution.

M. Denis Baupin. - Je m'excuse de vous interrompre, mais comme on l'a dit au début de la table ronde ce matin, nous sommes sur une deuxième journée d'audition. Dans la première journée d'audition, on a parlé justement des besoins de mobilité. C'est volontairement qu'on aborde aujourd'hui les technologies. Je ne voudrais pas que les intervenants auxquels on a demandé de s'exprimer principalement sur les technologies se sentent accusés d'avoir parlé de technologies. C'était la commande.

M. Sébastien Vray. - C'était une introduction. Si on doit parler plus de l'aval et de la prévention des risques, il y a un point essentiel qui est l'information du consommateur. Le Conseil d'analyse économique (CAE) a rendu un rapport en novembre 2012, que je vous lis très rapidement : « En pratique, le consommateur ne se comporte pas nécessairement comme le suppose l'analyse microéconomique des manuels. Car l'information à sa disposition est loin d'être complète et transparente, et elle est même susceptible de manipulation par les producteurs ou les distributeurs. Car le consommateur est loin d'exhiber la rationalité postulée par la théorie microéconomique traditionnelle. » Ce qui veut dire que « L'information imparfaite et la rationalité limitée », pour ne pas dire qu'on est tous des ânes, ne peuvent suffire à faire changer les usages et les pratiques.

L'association Respire porte pour le moment ses efforts sur l'application de la directive 1999/94/CE sur l'affichage environnemental du CO2 et de la consommation de carburant dans la publicité automobile. Elle doit être facilement lisible, et au moins aussi visible que l'information principale de la publicité. Or 95 % des publicités automobiles ne font pas mention de cette lisibilité et de cette visibilité. Cette directive, qui devrait déjà être appliquée, pourrait être ensuite complétée, modifiée, puisqu'il y a un décret d'application en France, en y intégrant, puisqu'il y aura une grande place maintenant pour ces informations, les informations sur les particules fines et le dioxyde d'azote.

Actuellement, nous menons un travail de recherche avec l'Université Paris-Dauphine, que nous vous transmettrons. Il suppose que cette information et cette lisibilité de l'information soient optimisées par l'affichage de la réglette, les codes couleurs. Ces codes couleurs, qui sont déjà exhibés dans les concessions automobiles, devraient l'être sur la publicité, sachant que le troisième annonceur publicitaire en France, c'est le secteur automobile.

Il faut donc simplement modifier ce décret. D'ailleurs il demande à l'ADEME de faire un classement des véhicules les moins polluants. Mais il n'est basé que sur les émissions de CO2 et pas sur les émissions de particules fines et de dioxyde d'azote.

M. Stéphen Kerckhove, délégué général d'Agir pour l'environnement (APE). - À entendre les constructeurs, ou en tout cas un constructeur automobile, on aurait un problème avec les vieux diesel, si j'ai bien compris. J'espère que Mme Berthelin-Geoffroy qui a maintenant un peu plus de temps à consacrer, ne va pas se tourner vers les anciens responsables de Peugeot notamment, qui vendaient ces vieux diesels il y a vingt ans, et qui maintenant portent la responsabilité de ces morts et de ces vies écourtées. Je rappelle que toutes les douze minutes, une personne voit sa vie écourtée à cause du diesel. Ce sont les données de l'OMS et il faut le rappeler pour avoir conscience des enjeux.

Je pense que le diesel est le symptôme ou l'illustration parfaite des errements d'une certaine industrie à la française qui investit massivement dans une technologie. On le voit dans l'électricité, c'est le nucléaire, dans le transport, c'est le diesel. C'est une sorte de monolithisme peu résiliant. Et pour le coup, si j'ai bien compris le scénario à 2030 de l'ADEME, en 17 ans, on passerait de 72 à 15 % de diesel, cela veut dire que ce n'est plus un changement, c'est une mutation profonde de la stratégie des constructeurs automobiles qui est demandée.

Qui va payer l'addition ? On entend toujours que c'est en gros la personne qui a peu de revenus, qui a acheté un diesel, et qui va supporter le renchérissement potentiel du prix du gasoil. On a regardé un peu. Ce qu'on constate, c'est que 40 à 50 % de la flotte de véhicules est utilisée par des professionnels. Que sur ces 40 à 50 % de professionnels, 95% utilisent du diesel, ce qui signifie que 63 % des véhicules diesel qui circulent en France sont la propriété de professionnels.

Cela veut dire que la difficulté ou la transition va devoir être supportée par les PME, par les professionnels. Est-ce que l'aide aux entreprises doit prendre la forme d'un bonus au diesel ou est-ce qu'on a la possibilité d'aider les PME d'une autre façon? Qu'ils puissent avoir un impact moins important sur la santé et sur l'environnement ? Nous le pensons. Le scénario de l'ADEME passe de 72 à 15 % d'ici 2030, c'est donc 17 ans, et le différentiel est de 17 centimes. Je vous laisse faire le calcul. Et pour la montée en puissance, on peut imaginer une augmentation d'1 centime du diesel sur cette période.

E. Débat

Mme Laurence Rouïl, responsable du pôle « Mobilisation environnementale et Décision », INERIS. - Je souhaiterais revenir sur l'importance de développer des politiques réellement synergiques entre la problématique Climat et la problématique Qualité de l'air. En effet, il y a un réel problème de pollution atmosphérique. Nous sommes épinglés en France par Bruxelles sur les questions des oxydes d'azote et des particules. La question de l'ozone est très loin d'être réglée. Toutes les projections à l'horizon 2020-2030-2050, montrent que les niveaux d'ozone en Europe et en Europe méridionale vont augmenter. Ce qui pose un problème sanitaire certain. Elles vont augmenter également sous l'effet du changement climatique. Et donc là, on a une combinaison d'effets, une combinaison des responsabilités, une combinaison des sources également. Et toutes les études prouvent, que ce soit en termes d'impact, mais également en termes de coûts, de coûts économiques, de stratégie, de contrôle des problématiques du changement climatique et de qualité de l'air, toutes les études montrent l'effet positif de combiner. Ce n'est pas toujours facile. Il y a également des antagonismes. Certains sont bien connus, tels que la combustion du bois. On pourrait également parler des biocarburants. Il y a là des études et une attention particulière à apporter à cette problématique.

Monsieur Vray parlait du contrôle. En effet, pourquoi on en arrive-t-on là ? Parce que justement, il y a dix ou vingt ans, lorsqu'on a mis en place des mesures de réduction des émissions de polluants atmosphériques, on espérait que ça irait mieux vingt ans plus tard. On s'aperçoit que malheureusement les niveaux de pollution n'ont pas diminué en proportion de ce qui était imaginable lorsqu'on a décidé de certaines réductions. Pourquoi ? Parce que justement on avait oublié certains paramètres que sont la pénalité climatique, l'impact du transport tout simplement sur la pollution à grande distance, et l'effet background. En effet, la France émet des polluants dans ses villes, elle se pollue, mais elle pollue aussi les pays voisins, et la France est polluée par les pays voisins. D'où l'importance également de combiner des stratégies de contrôle local au niveau de nos villes, à travers les Plans de protection de l'atmosphère (PPA), mais également d'agir en concertation avec des politiques sectorielles qui vont impacter par exemple le secteur de l'automobile dont on discute aujourd'hui, aux niveaux national et européen. Il n'y aura pas d'effets positifs, et on se perdra dans les projections, si l'on ne tient pas compte de ces imbrications dans les phénomènes que l'on cherche à neutraliser.

M. Denis Baupin. - Je ne veux pas négliger le phénomène de la pollution qui se déplace, mais enfin, quand je regarde Paris, ce sont les capteurs du périphérique qui, systématiquement, sont les premiers à signaler les alertes. Donc cela veut bien dire que la dominante dans le niveau de pollution, c'est la proximité. Les émissions ont une part très significative.

Mme Laurence Rouïl. - En particulier pour les oxydes d'azote. En fait, cela va dépendre des polluants que l'on considère. Pour les oxydes d'azote, c'est indéniable. Pour les particules, c'est un peu moins clair du fait de réactions chimiques dans l'atmosphère qui impliquent de longs pas de temps et des échelles spatiales plus grandes.

M. Denis Baupin. - Je regrette qu'Airparif n'ait pas pu venir ce matin, mais franchement, pour avoir suivi ce dossier pendant une dizaine d'années, il me semble que c'est assez clair.

M. Sébastien Vray. - Je vais abonder dans votre sens. Depuis le 28 février, ce sont les capteurs de l'autoroute A1 Saint-Denis qui sont en dépassement. On est déjà à plus de 47 jours de dépassement sur des particules fines, donc on est bien à proximité du trafic. Et pour le périphérique parisien, on arrive au dépassement du 35ème jour. Si on part, comme l'année dernière, sur les mêmes solutions, on ne changera pas. Les particules fines sont bien la raison s'il y a proximité du trafic.

Mme Fabienne Keller. - Il se trouve qu'en tant que sénatrice, j'ai fait un travail sur le retard de la France en matière d'application des directives européennes. Et j'en ai comparé plusieurs. Tout cela s'est déclenché suite à l'affaire des petits poissons, « les merluchons », puisqu'on s'est rendu compte que la France devait payer quand elle ne respectait pas une norme européenne. En l'occurrence, c'était dans le domaine de la pêche, et pour la première fois la France a dû payer. Et c'est la première fois d'ailleurs que le ministère des finances s'est intéressé à l'application des normes environnementales. C'était une belle démonstration. J'ai fait quatre éditions.

Dans mon dernier rapport, j'ai étudié la non-application, puisqu'on ne les applique pas, des directives dans le domaine de l'air, qui est la déclinaison, M. le représentant de l'OMS, des critères de l'OMS. Les seuils, instantanés, sur x jours par an, tout ce qui été évoqué pour les poussières, pour les NOx, et d'autres polluants encore. C'est extraordinaire, on mesure tout ! Je vous invite à ne pas poursuivre le débat sur : « est-ce que c'est l'autoroute ou ailleurs qui est pollué ? » Vous avez tout sur les sites des AASQA. Et si vous vous intéressez à l'impact du changement de l'un des facteurs, ils sont capables de vous simuler à peu près tout : changement du système de chauffage, de la nature des moteurs qui circulent sur votre périphérique ou dans votre ville, sur les apports des masses d'air étrangères, sur la contribution de l'agriculture, puisque j'ai en tête que les poussières sont aussi liées aux pratiques agraires. On l'imagine assez bien, cela crée, à certains moments, des masses de poussières.

Le coeur du sujet, c'est la gouvernance. On a tous écrit des plans. Qui est-ce qui les suit ? Comment les met-on en oeuvre et comment mettre les acteurs autour de la table, ce que nous faisons d'ailleurs aujourd'hui ? Et le deuxième sujet, c'est : qui paie quoi ? Où est la ressource pour infléchir les modes de chauffage, les modes de transport, les pratiques agricoles et les pratiques industrielles ? Et alors, ce qui est très frappant - parce que quand j'ai fait ce travail, j'ai étudié la contribution de l'industrie - c'est que la contribution de l'industrie à la pollution de l'air s'est effondrée, de moitié parce que l'industrie a reculé, et l'autre moitié parce que c'est probablement le secteur qui a fait le plus d'efforts. Le nombre d'acteurs est limité, et ils ont eu une pression des DRIRE devenues aujourd'hui DREAL, enfin il y a eu un travail de normalisation et il a été suivi d'effet.

Le sujet de la qualité de l'air est magnifique. Je pense qu'il faut que tous agissent, et qu'il faut un lieu de gouvernance. J'ai fait un exercice de comparaison avec l'eau, qui n'est pas un secteur idéal, mais où au moins, on a un lieu de gouvernance, que sont les comités de bassin, où tous les acteurs, industriels, associations de l'environnement, administrations, collectivités locales, sont réunis. Et deuxièmement, il y a une ressource financière fléchée sur l'amélioration de l'eau, la qualité de l'eau, c'est la redevance des comités de bassin.

Sur le sujet de la qualité de l'air, je pense que chacun doit se sentir responsable de sa contribution, mais j'ai entendu ce matin qu'il n'y avait pas de consensus. Je suis complètement perturbée sur le diesel. On vient de nous annoncer politiquement qu'une taxe sur le diesel va beaucoup améliorer les choses en matière de pollution. On vient d'apprendre qu'il y aurait des polluants secondaires sur l'essence, qui pourraient être presque aussi importants que sur le diesel. Ne faut-il pas construire un consensus sur ce sujet et travailler ? Parce que c'est quand même embêtant qu'on n'identifie pas proprement les leviers d'action, si déjà on n'a pas les lieux de gouvernance et pas les moyens financiers.

Pardonnez-moi ce cri du coeur, mais dans nos villes, on respire mal. On a rappelé les études remarquables Aphekom qui démontrent l'impact. Mais nous regardons tous impuissants cette dégradation du cadre de vie de nos concitoyens. Et ce n'est plus au centre de nos villes que l'on respire mal, c'est aux entrées de ville et autour des périphériques effectivement. Les cartes des AASQA le montrent parfaitement.

M. Denis Baupin. - Juste une précision. Je crois que personne n'a parlé de taxe sur le diesel, mais de suppression de subvention au diesel. Ce qui est un peu différent. Rien n'a été démontré ici qu'il y aurait une pertinence à donner un avantage fiscal au diesel.

Mme Fabienne Keller. - Alors je reformule. C'est la transformation de la taxe carbone, qui était un magnifique sujet, en une petite suppression de taxe sur le diesel.

M. Denis Baupin. - J'espère que ce n'est pas l'un ou l'autre. Personne n'a jamais présupposé que c'était l'un ou l'autre.

M. Clément Chandon, directeur, Iveco France. - Je représente Iveco pour la France, partie camion. Je n'étais pas dans le premier tour des constructeurs. Ce qui nous différencie des autres, c'est qu'on n'a pas eu de monoculture. On a développé toutes les technologies. On a fait beaucoup évoluer le diesel, qui va rester important. On a fait de l'hybride, de l'électrique, et notre particularité, c'est d'avoir développé plus qu'aucun autre en Europe le GNV. Nous sommes assez contents d'avoir fait ce choix, parce que nous pensons que c'est la solution qui pourra apporter le plus de bénéfices aujourd'hui.

Cette solution est au niveau Euro 6 en particules, et même inférieure à Euro 6 en particules, depuis qu'on l'a créé, c'est-à-dire à la fin des années 90, 1997 pour les bus, 1999 pour les poids lourds, 2000 pour les utilitaires. Ces moteurs sont inférieurs à la norme Euro 5 poids lourds depuis 2001 et inférieurs à Euro 6 depuis 2007. Leur avantage aussi, c'est qu'ils sont polyvalents. On peut faire de la distribution urbaine légère ou lourde, du tracteur routier 44 tonnes, des bus, etc. Ces véhicules font la plupart de missions. Cette technologie est mature. On peut la déployer aujourd'hui, puisqu'on a des centaines de modèles disponibles, et qu'on les produit, qu'on les couvre de la même manière que les diesel.

Cette solution répond aussi aux deux problématiques en même temps. D'une part, celle de la qualité de l'air, puisqu'on est inférieur à Euro 6 en émissions de NOx et de particules de manière sensible. C'est d'autant plus vrai quand on regarde des cycles courts, à basse température, de type livraison urbaine : j'arrête mon moteur plus souvent, et je chauffe beaucoup plus vite avec un gaz, donc je contrôle mes émissions beaucoup plus vite.

D'autre part, le GNV répond aussi, grâce au biométhane, à la problématique du CO2. Il va y répondre deux fois. Avec du gaz naturel, comme cela a été dit, notamment sur des missions interurbaines où l'on va gagner jusqu'à 15 % par rapport au diesel, puisque la référence dans le monde du poids lourds, c'est du diesel. Avec le biométhane, on va gagner jusqu'à 100 %, comme à Forbach, Paris ou Claye-Souilly, où cinq de nos véhicules sont alimentés par l'une des plus grosses décharges en France.

C'est donc une solution qui est capable de donner des réponses à la plupart des problématiques : la pollution, c'est-à-dire les oxydes d'azote et les particules ; le bruit puisqu'il est typiquement deux fois plus silencieux ; et aussi le réchauffement climatique, en réponse à la recherche de l'INERIS. Cette solution peut également donner du revenu agricole, puisque les déchets utilisés sont d'origine ménagère ou agricole. Enfin, elle peut donner de l'indépendance énergétique.

Ce secteur est très important en France, où nous avons trois usines. Nous fabriquons tous nos bus en France et nous les exportons. Notre production de moteurs est également française. Nous l'exportons à 97 %.

M. Sébastien Vray. - Je voulais répondre à M. Macaudière, qui disait que l'air en sortie du pot d'échappement était plus propre. Il y a une chose qu'il n'a pas dite, c'est que l'air qui rentre dans le moteur est propre à la vie, et l'air qui est donc brûlé en passant dans un moteur est impropre à la vie. Dans le jargon écolo on appelle ça un « biocide ».

M. Pierre Macaudière. - Je n'ai pas parlé de l'air qui sort des pots d'échappement. Je parle des gaz d'échappement. C'est donc complètement différent. Tout moteur à combustion interne produit ce genre de problème, comme vous le précisez. Et quand je dis moteur à combustion interne, cela englobe le chauffage au bois de cheminée, le barbecue, la cuisson des aliments chez vous, etc. Vous faites de la combustion, vous faites des particules et ainsi de suite.

Je vais aussi compléter les données qui ont été présentées. Et c'est le CITEPA (Centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique) qui le dit, ce n'est pas nous. D'après les chiffres du rapport SECTEN publié en avril 2012, l'automobile, au niveau national, c'est 12 % des émissions de particules. Effectivement, c'est un peu plus dans la région parisienne où cela peut atteindre 27 %.

M. Denis Baupin. - 27 % sur la région, mais qu'en est-il de la proximité du périphérique ?

M. Pierre Macaudière. - Oui, sur la région parisienne. Localement, je suis d'accord avec vous. Mais n'oublions pas qu'au niveau national 12 % des particules sont transmises par le transport routier.

M. Denis Baupin. - En l'occurrence, nous parlons ici de santé publique, et donc on doit se poser les questions par rapport au lieu où l'on habite. Une moyenne nationale n'a pas une valeur très intéressante par rapport aux problèmes de santé publique.

M. Pierre Macaudière. - Je suis d'accord, d'une manière générale. Mais n'oublions pas quand même que sur Paris, même quand vous êtes proche des axes routiers, et cela a été mentionné, une grande partie des particules sont simplement soulevées par le trafic et ne sont pas émises par les véhicules roulants. C'est une des choses qu'il faut avoir en tête et qui a été mentionnée à plusieurs reprises. Et si vous analysez les rapports d'Airparif ou du CITEPA, ils estiment que de l'ordre de 50 à 60 % des particules mesurées en bordure de trafic sont simplement des particules remises en suspension, quels que soient le type de véhicule.

M. Denis Baupin. - J'avais une question en direction des constructeurs. L'ADEME nous disait qu'à 30 km/h, les véhicules n'étaient pas les plus efficaces en matière de pollution. Or la vitesse est limitée à 50 km/h en ville, et en général, on roule en dessous. Est-ce qu'on peut imaginer un jour de construire des véhicules qui seraient pertinents par rapport à la vitesse à laquelle on les utilise ? C'est une question un peu progressiste, mais qui devrait apparaître comme logique, puisque, de fait, on a des véhicules qui sont pertinents et performants à 90 km/h alors que l'essentiel des déplacements se fait à des vitesses moins importantes.

M. Bernard Darniche. - Cela s'appelle un tramway. Oui, cela s'appelle un tramway. Je voudrais revenir sur l'intervention de M. Chandon pour le gaz naturel. J'ai eu l'occasion de travailler beaucoup sur ce dossier il y a une dizaine d'années, car j'ai été démarché auprès de Gaz de France et je suis devenu l'ambassadeur de l'arrivée de cette énergie qui est pour le moins honorable. D'une manière absolue, elle n'est pas honorable en tant que telle, mais elle l'est aujourd'hui par rapport à toutes les offres.

Il y a un paramètre que vous avez oublié. Comme la valeur énergétique de ce gaz naturel est très forte, à savoir l'équivalent de 130 octanes, on peut très facilement diminuer la consommation énergétique d'un moteur au gaz naturel de 40 % s'il est optimisé et uniquement réservé au gaz naturel. C'est très important, parce qu'en termes écologiques, on peut imaginer des diminutions très significatives de carburation, et par voie de conséquence de pollution.

M. Michel Vilatte, président de la Fédération des Syndicats de la Distribution Automobile (FEDA). - Je souhaite apporter une contribution qui s'inscrive dans la mesure n° 18 du plan sur la qualité de l'air. Elle est un peu différente, et surtout complémentaire à tout ce qui a été évoqué et qui sera encore évoqué.

Cette contribution concerne les 36 millions de véhicules qui circulent tous les jours en France. Ils ont été bien ou mal conçus, mais quoi qu'il en soit, ils sont là. Le taux de remplacement étant d'environ 2 millions de véhicules par an, le parc sera complètement renouvelé d'ici 15 à 18 ans.

Nous n'avons pas cherché à trouver les réponses que vous êtes en train de construire les uns et les autres. On s'est demandé ce qu'on pouvait faire sur ce parc. Théoriquement, les véhicules émettent telles ou telles particules ou autres polluants, mais la réalité est tout à fait différente. En circulant, le véhicule dévie, en fonction de son âge, du kilométrage et surtout de l'environnement dans lequel on l'utilise. Et cette déviation se traduit par des émissions largement supérieures à celles qui sont nominalement définies pour ce type d'engin.

Nous sommes partis d'un postulat. D'abord, un véhicule plus propre, c'est un véhicule bien entretenu. Et deuxièmement, on ne peut corriger que ce qu'on est capable de mesurer, et surtout d'interpréter. Malheureusement aujourd'hui, dans le contrôle technique obligatoire, et même dans les ateliers, avec les outils dont on dispose, très sincèrement, surtout sur les véhicules diesel, on ne mesure pas grand-chose, et donc on ne corrige pas grand-chose.

Notre démarche avait été initialisée en 2007 avec le Grenelle de l'environnement. On l'avait validée avec l'UTAC (Union technique de l'automobile, du motocycle et du cycle) pour savoir si c'était cohérent, et ensuite, à partir de 2010, on a monté un véritable dossier complet, avec l'ADEME et l'IFSTTAR (Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux). Les résultats sont tombés maintenant.

À titre indicatif, nous nous sommes focalisés sur des véhicules diesel de plus de 4 ans d'âge, c'est-à-dire ceux qui passent au contrôle technique. Et dans l'extrapolation - mesures faites sur les formulations de l'ADEME -, cet éco-diagnostic et cet éco-entretien seraient capables d'éviter, sur l'ensemble du territoire en année pleine, les émissions de 550 000 tonnes de CO2, 13 000 tonnes de NOx et 700 tonnes de particules. Ce n'est pas un miracle, mais c'est quand même assez significatif.

En quoi consistent cet éco-diagnostic et cet éco-entretien ? Le diagnostic est fait sur les émissions à l'échappement du véhicule, interprétées en termes de dysfonctionnement. Parce que si le véhicule émet plus qu'il ne devrait émettre, c'est qu'il y a un dysfonctionnement qui est lié encore une fois à l'usage, à l'âge, à l'entretien du véhicule, etc. Donc la première chose importante, c'est d'identifier les dysfonctionnements, les causes de ces dysfonctionnements. Et ensuite, l'éco-entretien consiste à corriger ces dysfonctionnements.

Cette démarche présente plusieurs avantages. D'abord je remarque que quel que soit l'âge, le kilométrage, ou le niveau Euro du véhicule, on trouve des dysfonctionnements. Aujourd'hui, nous avons dans les mains des véhicules Euro 5, et qui malgré tout, malgré un kilométrage faible, parce qu'ils sont utilisés dans des conditions qui ne sont pas idéales, dysfonctionnent et émettent anormalement.

Deuxième chose importante, ces types de diagnostic et d'entretien sont immédiatement accessibles. On n'a pas besoin de faire des investissements énormes, on n'a pas besoin de subvention. Il y a simplement des équipements à mettre en place dans l'ensemble des milliers d'ateliers d'entretien en France.

Cette mesure peut être efficace. Son efficacité a été mesurée dans ce dossier. Et encore une fois, cela n'a pas la prétention de régler fondamentalement des choses qui ont été mal conçues ou qui sont encore aujourd'hui mal conçues, mais c'est de traiter ce qui existe. Cela nous paraît facile à mettre en oeuvre, immédiatement possible, et ce serait déjà une première contribution.

M. Bertrand Hauet, Mov'eo. - Je vous remercie d'avoir invité un pôle de compétitivité, notamment Mov'eo, qui est l'un des premiers pôles de compétitivité lié à l'automobile et à la mobilité. L'un de ses domaines d'activité stratégique est lié aux chaînes de traction thermique. Je ne vais pas vous faire un discours partisan sur une technologie ou une filière énergétique, mais je vais vous parler de recherche collaborative de la filière.

Quelques chiffres pour commencer. De 1993, date d'Euro 1, à Euro 5, les niveaux de polluants réglementés ont été baissés d'à peu près 90 % tous types de polluants confondus.

M. Denis Baupin. - À l'émission des véhicules ?

M. Bertrand Hauet. - Oui, à l'émission des véhicules. Euro 6 va voir arriver la convergence vers ce qu'on appelle le neutral fuel. Entre un moteur essence, un moteur diesel ou un moteur à carburant alternatif, ce qui sort de l'échappement est le plus important par rapport à la qualité de l'air. Donc quelles que soient la motorisation et le carburant utilisé, il y a obligation de respecter des niveaux de rejet dans l'atmosphère. Et c'est cela qui est le plus important pour la qualité de l'air. Avec Euro 7, il y aura la convergence totale, quel que soit le type de carburant. Ces choses ont des impacts très positifs sur ce qui va se passer dans le futur, et c'est un élément important qui a été évoqué ce matin.

Ensuite, on peut parler effectivement des vieilles motorisations, des missions, des dérives, des contrôles. Je vais revenir sur le contrôle, et également sur un point qui a créé une petite polémique, à savoir le caractère un peu provocant de considérer que ce qui rentre dans le moteur va être purifié en sortie. Là je vais reprendre ma casquette d'expert en matière de mesure. Il faut savoir que quand on fait des mesures de polluants, on se fait une référence par rapport à l'air ambiant. Et donc aujourd'hui, on est arrivé à des niveaux de mesure pour les normes qui sont tels que les écarts entre les composés dans l'air ambiant et ce que l'on doit mesurer à la sortie des lignes d'échappement est pratiquement du même ordre de grandeur. À un moment donné, on peut toujours descendre le niveau réglementaire.

Quelque chose s'est passé au niveau réglementaire, qui est extrêmement important pour la qualité de l'air, c'est l'introduction du diagnostic embarqué. C'est-à-dire qu'il ne suffit plus d'avoir un véhicule qui ne pollue pas lorsqu'il sort et qu'il est neuf, mais il doit avoir une durabilité. Et pour cela, la réglementation a mis en place, d'abord sur les moteurs essence, et ensuite sur les moteur diesel, le diagnostic embarqué.

Il y a un autre élément par rapport à la dérive. Le constructeur ou le vendeur du véhicule a une obligation de préserver un certain niveau d'émissions par le contrôle in-use. Et là, effectivement, on pourrait limiter les dérives en faisant des contrôles plus périodiques. Mais en tout cas, le constructeur est lui-même responsable, en cas d'anomalies et de dérives constatées sur un véhicule, du rappel de tous les véhicules de la même façon. Les enjeux économiques sont tels qu'effectivement tous les efforts sur la durabilité sont mis.

Les vrais enjeux de la recherche collaborative du futur se placent sur différents axes. Le premier axe, c'est la diversité énergétique. Il ne faut pas croire qu'on fera du tout essence, ou du tout diesel ou du tout biocarburants ou du tout hydrogène. Les chaînes de traction et les motorisations des véhicules du futur devront être compatibles avec l'ensemble de ces filières énergétiques qui vont être très diversifiées. Le second axe, c'est le traitement de la pollution de l'air. Le traitement est à la fois global et local, avec des difficultés particulières d'un point de vue local. La diversification des technologies qui vont arriver, comme la présence de véhicules électriques, avec des filières électriques, vont pouvoir résoudre des missions en local. L'hybridation, et également tous types d'hybridations intermédiaires, vont être aussi adaptés aux usages.

Je voudrais citer, pour la filière automobile et les pôles de compétitivité, la mise en oeuvre de l'Institut d'excellence sur les énergies décarbonées (IEED) VeDeCoM. Il s'attaque à trois axes principaux : le côté frugal en dépenses énergétiques des véhicules pour la mobilité, l'impact de la connectivité et de l'automatisation des véhicules, lequel peut avoir un rôle pour maintenir des véhicules à la vitesse de 30 km/h ou plus si c'est adapté, et enfin le troisième axe lié aux nouveaux services de la mobilité et le lien avec les infrastructures.

M. François-Marie Bréon, chercheur, Laboratoire des Sciences du Climat et de l'Environnement. - Je suis chercheur en climatologie dans un laboratoire public de la région parisienne et je participe à la rédaction du prochain rapport du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) qui fera un état des lieux des connaissances sur le climat et les changements climatiques. Je pense que mes compétences auraient été plus adaptées à la première table ronde de ce matin, mais je me permets d'utiliser le temps de parole qui m'est donné.

Il me paraît clair que le problème de l'effet de serre dû à un changement climatique, et la nécessité de lutter contre les émissions de dioxyde de carbone ont bien été comprises par les intervenants de cette table ronde. Cela me rassure un peu, car je n'ai pas toujours ce sentiment au regard des décisions qui sont prises au niveau de l'État.

Par contre, je ne suis pas certain que tout le monde réalise la difficulté des objectifs. J'ai entendu parler de solutions technologiques permettant de réduire les émissions de quelques dizaines de pourcent, voire même parfois d'un facteur 2 dans des conditions vraiment optimistes. Je rappelle que le besoin, en France, pour vraiment lutter contre le changement climatique et stabiliser le climat au niveau où il est actuellement, c'est de diminuer l'ensemble des émissions de gaz à effet de serre d'un facteur typiquement 4, et ce, en tenant compte de l'augmentation de la population qui conduit mécaniquement à une augmentation des émissions à niveau constant. Il faut donc bien réaliser que les efforts sont énormes. Et ce n'est pas en diminuant les émissions de 10, 20 à 30 % qu'on va résoudre le problème.

J'ai aussi entendu beaucoup parler des agro-carburants. C'est vrai que cette solution peut sembler prometteuse. Mais au-delà des problèmes de disponibilité des territoires, qui ne sont pas de ma compétence, je rappelle que les agro-carburants nécessitent souvent l'emploi d'engrais azotés qui conduisent à des productions importantes de protoxyde d'azote, un gaz à effet de serre, au même titre que le dioxyde de carbone. Sur les aspects climat, il faut veiller, en fait, à gagner sur les émissions de dioxyde de carbone, mais aussi à ce que ces gains réels ne soient pas perdus par les émissions de protoxyde d'azote.

Je termine par un court point sur le transport aérien. Je suis bien conscient que ce n'est pas le sujet du jour, mais peu de gens réalisent l'importance des émissions qui sont liées au transport aérien. Pour la plupart des gens qui sont dans cette salle, leurs émissions propres liées à leurs déplacements aériens sont beaucoup plus importantes que les émissions liées à leurs déplacements terrestres. La poursuite du transport aérien au niveau actuel est complètement incompatible avec les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, et certainement incompatibles avec les perspectives d'augmentation du transport aérien qui semblent souhaitables pour beaucoup de gens.

M. Denis Baupin. - En effet, ce n'est pas complètement le sujet. On fera un deuxième rapport sur le transport aérien, la création de nouveaux aéroports, etc. Cet après-midi, on reprendra avec deux tables rondes, l'une sur les questions des différents carburants, de leur distribution, etc., et la quatrième sur l'organisation de la filière automobile. Merci beaucoup.

Troisième table ronde : quelles solutions pratiques proposer aux consommateurs ? Quels sont les freins actuels au développement des carburants alternatifs et d'autres solutions ?

A. Le véhicule électrique et son autonomie ; emplacement et accès aux points de recharge

M. Philippe Hirtzmann, chargé de mission « Déploiement d'infrastructures de recharge électrique pour les véhicules » (MRP/MEDDE). - Je suis ingénieur général des Mines. Je suis à Bercy, au Conseil général de l'économie, de l'industrie, de l'énergie et des technologies, et je suis ici au nom d'une mission que m'ont confiée M. Montebourg et Mme Batho fin juillet 2012 pour faciliter le déploiement des infrastructures publiques et privées de recharges pour véhicules électriques et hybrides rechargeables. Cela s'est fait dans un contexte où il y avait un élément facilitant : les bonus qui ont été décidés fin juillet au bénéfice des véhicules électriques. Toute cette gamme sur laquelle je n'ai pas prise est un élément de contexte complètement décisif pour inciter à l'acquisition de véhicules à motricité électrique.

Cette mission comporte deux aspects. Premièrement, faire le tour de piste des freins et des difficultés qui pourraient s'appliquer aux niveaux réglementaires et législatifs dans la montée en régime des décisions des parties prenantes, qu'elles soient publiques ou privées. Deuxièmement, faire un tour de piste de tous les acteurs, pour essayer de donner envie et de décider d'investir dans ce domaine.

En France, on est parti sur un schéma où, depuis la loi de Grenelle 2, on privilégie, sans le rendre obligatoire, le rôle des villes, et d'une manière générale, le rôle des collectivités locales, pour gérer la partie infrastructures qui ont vocation à être publiques. Cette partie est minoritaire. En gros, 10 % des charges se feront sur des infrastructures publiques, 90 % relevant du domaine privé. Celui qui possède un véhicule électrique compte le recharger soit pendant qu'il dort, soit pendant qu'il travaille. Mais nous traitons également cet aspect, pour lequel tous les textes sont en place, bien qu'ils se heurtent à quelques difficultés d'application.

Nous allons dérouler notre action sur trois volets. Premièrement « l'État exemplaire », mis en place en juillet 2012 : les bonus ouverts aux véhicules particuliers ont été pour la première fois accessibles aux flottes d'entreprise et aux véhicules d'État. Une circulaire du Premier ministre du 3 décembre 2012 a encadré tout un programme donnant des obligations aux ministères et aux administrations déconcentrées de l'État, aux préfectures, aux services extérieurs. Ce programme est en cours de déroulement aux niveaux de l'acquisition de véhicules, soit hybrides, soit électriques, et de l'équipement en infrastructures, avec un calendrier assez serré.

Deuxième action, les modifications de type réglementaire et législatif. Je n'en citerai qu'une, celle de la remise à niveau du système d'aide publique. Jusqu'à présent, nous étions sur un système où le dispositif d'aide aux collectivités était fondé sur le Grand emprunt, avec un système assez complexe qui a donc été revu sous la forme d'une présentation beaucoup plus succincte. C'est une fusée à deux étages. Premièrement, on aide toutes les collectivités à hauteur d'environ 50 %. Un Appel à Manifestation d'Intérêt de l'ADEME est paru au Journal officiel début janvier 2013. Et nous sommes en train de traiter le même dispositif au bénéfice des entreprises privées sous concession ou hors concession, fondamentales pour nous, parce que nous touchons les chaînes hôtelières, les grandes surfaces, la restauration rapide, les parkings souterrains, les stations-service indépendantes, autant de relais fondamentaux dans la diffusion des infrastructures de charge électrique. Ce deuxième stade a été décalé, parce qu'il pose un problème d'euro-compatibilité dans la mesure où nous touchons le secteur concurrentiel.

Le troisième volet concerne ce qu'on pourrait qualifier de manière familière « le démarchage » : moi et ma petite équipe faisons le tour de toutes les collectivités, c'est-à-dire les grandes agglomérations (Paris, Lyon, Grand Lyon, Marseille, Bordeaux), des parties prenantes (par exemple Bolloré qui a une démarche intéressante au niveau de l'auto-partage), des départements, de ceux qui veulent bien se présenter à nous au niveau des syndicats d'électrification rurale, pour essayer d'accompagner, de motiver ou de présenter le dispositif de l'État à ceux qui sont déjà spontanément parti sur ce type de sujet.

Je termine par une note d'ambiance. Le travail est encore devant nous, mais on sent que l'offre de véhicules est partie de façon substantielle, avec un événement en 2013, la sortie de Zoé. On sent bien qu'il y a beaucoup de velléités, notamment au niveau des collectivités et de certains acteurs privés, comme le groupe Leclerc par exemple, pour ne citer que lui.

Par ailleurs, en termes de mobilité électrique, on pense trop souvent spontanément aux phénomènes milieu urbain - grande banlieue, les gens qui font l'aller-retour entre le domicile et le lieu de travail, avec en arrière-fond les problèmes de pollution et de nuisances urbaines au niveau du bruit et des émissions atmosphériques. À notre heureuse surprise, et nous avons complètement intégré cet aspect-là, nous avons découvert qu'en France, il y a aussi beaucoup d'initiatives territoriales au niveau des villes moyennes et des départements ruraux. Ce sont des endroits où les gens font beaucoup de kilomètres, ils sont peut-être moins sensibles à la pollution urbaine, mais sont très sensibles à l'évolution prévisible de leur facture de carburant. Et donc il y a beaucoup d'initiatives, comme en Vendée, dans les Deux-Sèvres, dans le Calvados, dans le Loir-et-Cher, dans l'Indre-et-Loire. Des collectivités, départements ou syndicats intercommunaux sont partis spontanément sur le thème de la mobilité électrique, et nous cherchons à les accompagner pour faciliter les choses.

M. Daniel Moulene, Lumeneo. - Nous avons choisi de faire des véhicules petits, puisqu'à 80 % du temps on est seul dans son véhicule, en proposant des véhicules à une, deux, trois, quatre places éventuellement, avec une très faible consommation, à partir d'une prise normale 16 ampères, 220 volts. Nous attendons que les normes soient totalement figées pour passer à des charges rapides, quand au moins, il y aura une certaine hétérogénéité en Europe.

M. Eric Fuzeau, Mia Electric. - Avec M. Daniel Moulene, nous avons un peu la même vision, à savoir des véhicules adaptés à la mobilité de tous les jours, un véhicule tel qu'on l'entend aujourd'hui, c'est-à-dire trois à quatre places, et avec lequel on se déplace au quotidien.

Quelques chiffres sur notre véhicule : trois à quatre places maximum, 850 kg de PTAC (poids total autorisé en charge), ce qui implique des autonomies de 80 à 120 km avec de petites batteries qui font 8 ou 12 kWh. Là aussi, ce qu'on a cherché à faire, c'est aller vers le client et connaître son besoin, plutôt que l'inverse. On a d'abord défini notre véhicule suivant les besoins. Et ensuite, on a essayé de boucler un cercle vertueux, même si ce n'est pas tout à fait possible. Notre véhicule est à 95 % recyclable, avec des matériaux comme de l'ABS (acrylonitrile butadiène styrène), de l'acier ou autre. Et le rechargeable, pour revenir à votre question, c'est sur une prise 220 volts, 16 ampères, en 3 ou 5 heures selon le type de batterie. On peut à tout moment faire du biberonnage, ce qui permet d'augmenter les autonomies, de les doubler.

La Mia a la consommation d'un chauffe-eau électrique. Pas plus. Il y a plein de choses qui se disent, mais je pense que tout n'est pas forcément vrai. On peut recharger un véhicule électrique, on peut se déplacer au quotidien, en utilisant un véhicule sur 80 à 100 km tous les jours, avec une charge de 10 kWh maximum.

Mme Elisabeth Windisch, laboratoire Ville-Mobilité-Transport, École des Ponts Paristech. - Nous travaillons depuis plusieurs années sur le potentiel de véhicules électriques batterie en France. Je vais vous parler en particulier du potentiel auprès des ménages.

Les ménages français représentent environ 60% du marché des voitures particulières neuves. Si l'on vise un marché de masse pour les voitures électriques, il est primordial de s'assurer que les ménages sont à même de s'équiper avec ces technologies. Il y a trois freins principaux à l'achat privé de voitures électriques : l'autonomie restreinte, les besoins d'infrastructures de rechargeables et de parkings et les coûts d'achat élevés.

D'après les résultats de l'enquête nationale transport et déplacements 2007-2008 (ENTD), au niveau des ménages, on peut constater que l'autonomie restreinte est un frein moins important que ce qu'on pense. En effet, 70 % des ménages français motorisés n'ont pas besoin d'une autonomie supérieure à 120 kilomètres, y compris pour se déplacer en vacances. 60% de ces ménages sont multi-motorisés, ils peuvent avoir recours à leur deuxième voiture pour des déplacements longs. Dans les régions denses, où les ménages sont moins multi-motorisés, ce chiffre baisse. À Paris, seulement 35 % des ménages motorisés ne seraient pas gênés par l'autonomie restreinte. Afin de limiter les problèmes liés à l'autonomie, il suffit, dans un premier temps, de s'assurer que ces ménages comprennent leurs vrais besoins en termes de mobilité. Dans un deuxième temps, il convient d'assurer un accès pratique et facile aux véhicules partagés, loués, pour répondre aux besoins en déplacements longs qui sont le plus souvent occasionnels.

Une fois que les besoins réels en autonomie sont cernés, il reste à s'assurer que les voitures peuvent être rechargées à leur place de parking principal, c'est-à-dire dans le lieu de résidence. L'enquête ENTD montre que 60 % des ménages motorisés ont accès à une place de parking où une infrastructure de recharge peut être installée. À Paris, ce pourcentage monte à 70 %, ce qui montre que les ménages à Paris sont mieux pourvus en termes de places de parking privé qu'ailleurs. Mais comme ces places de parking se trouvent en général dans les copropriétés, l'infrastructure de recharge sur ces places de parking reste très peu probable pour l'instant. Et même s'il existe un droit à la prise, qui donne le droit d'installation, celle-ci se fait aux frais de l'usager, et donc ce droit ne sera probablement pas suffisant pour s'assurer qu'il y a vraiment des places de parking privé dans ce type de logement. Cela explique pourquoi, dans les régions denses, l'adoption des voitures électriques est très problématique. Il reste à envisager des infrastructures de parking et de recharge publique avec accès exclusifs réservés aux usagers de voitures électriques. C'est un levier possible dans les villes denses.

En ce qui concerne le frein économique, le coût total TCO (Total Cost of Ownership) dont on a parlé ce matin, montre que grâce aux politiques actuelles, notamment à la subvention à l'achat de 7 000 euros, une voiture électrique avec location de batterie est aujourd'hui tout à fait compétitive par rapport à une voiture thermique comparable, même si l'on tient compte du kilométrage annuel et tous types d'usages courants en France. Il est donc primordial que les politiques publiques s'assurent que les gens s'approprient vraiment ces TCO avant de prendre leur décision d'achat.

M. Joseph Beretta, président, AVERE-France. - AVERE-France est une association pour la mobilité électrique. Nous avons abordé beaucoup de choses ce matin, mais si l'on veut proposer des solutions pratiques au consommateur, il faut commencer par s'interroger sur ses attentes. Si l'on ne part pas des attentes du consommateur, on va dans un mur.

Quelles peuvent être ces attentes ? Il faut se poser les bonnes questions. Si je remplace un véhicule classique, qui est la référence aujourd'hui, par une autre énergie, et là je vais vous parler d'électricité, il faut se demander : quel est le service rendu par le véhicule ? Comment se positionne-t-il par rapport à la référence aujourd'hui ? Ensuite, quelle est l'acceptance du client vis-à-vis de cette nouvelle énergie : est-ce qu'elle est dangereuse, facile à manipuler ? Est-ce qu'elle a les mêmes avantages que l'énergie que je vais remplacer ? Et après, il faut se poser la question du bénéfice client de cette nouvelle solution, du bénéfice de la collectivité et du bénéfice général.

Si je prends la mobilité électrique, l'hybride par exemple, je remplis très bien la partie service rendu par le véhicule qui est pratiquement identique. Je peux faire le même usage du véhicule, j'ai effectivement quelques petits freins que sont les prix de ces technologies, mais j'ai un gain pour le client vis-à-vis de la consommation du véhicule, et un gain pour la collectivité vis-à-vis des émissions de polluants et de CO2. Donc là, je n'ai pas de changement drastique dans l'acceptance de ce véhicule.

Si je prends le véhicule électrique, à batterie pure, il faut vraiment se demander quel est l'usage qui correspond à la prestation de ce véhicule. Il est lié à son autonomie réduite. Les études montrent qu'on touche un certain volume de clients, c'est encourageant. À côté de cela, il faut essayer de lever les freins que sont l'acceptance du client, la peur de la panne. Cela passe par les infrastructures, clairement, que ce soit à la maison, où il s'agit de les rendre facilement accessibles et de pouvoir les installer facilement, mais aussi sur la voie publique ou au travers de bornes rapides pour faire de la réassurance. Il est clair qu'il y a aussi un bénéfice pour le client, en termes d'usage, de consommation, et un bénéfice économique aussi, s'il fait suffisamment de kilomètres, ainsi qu'un bénéfice pour la collectivité. Voilà, il faut se poser les bonnes questions avant de faire les bons choix.

Mme Fabienne Keller, sénatrice, co-rapporteure. - J'imagine que vous avez beaucoup de réponses à toutes ces questions. Pourriez-vous nous adresser une note synthétique ?

M. Joseph Beretta. - Oui. Je mettrai sur votre base documentaire tous les éléments que l'AVERE a eus l'occasion de travailler à travers ses prises de position pour favoriser le déploiement.

M. Chris Orion, chef de projet, Bosch Automotive Service Solutions. - Bosch fabrique des micros pour l'Assemblée nationale, mais pas seulement. Avec 50 milliards d'euros de chiffre d'affaires et près de 300 000 salariés, nous réalisons 60 % de notre chiffre d'affaires dans le secteur automobile. Le véhicule électrique, nous y croyons. Pour nous, il n'y a pratiquement plus de freins. Nous voyons arriver sur le marché de véritables véhicules. Des voitures particulières, avec des prix maintenant compétitifs grâce aux aides gouvernementales. On a une autonomie de 150 km. Une recharge de plus en plus rapide et sûre avec le mode 3. On a des aides gouvernementales pour l'installation des infrastructures. Et l'on parle actuellement beaucoup d'écologie. Je rappelle que ce sont des voitures zéro émission et zéro bruit. Dans la perspective des élections l'année prochaine, il est toujours politiquement correct de promouvoir l'écologie et le green à cette période-là. Nous avons transformé en opportunités les standards type 3 et type 2, dans la mesure où nous sommes capables de fabriquer des bornes de type 2 et type 3 en cohérence avec le projet Chrome.

Depuis le début, et sur ce marché, nous avons commencé à installer, équiper, et gérer des bornes à Singapour, avec Bosch Software Innovations. Nous sommes en train de travailler avec de grandes métropoles européennes, y compris sur des projets de développement importants avec la principauté de Monaco. Plus récemment, Bosch a acheté la société américaine SPX Service Solutions, et nous avons trouvé dans le panier de la mariée un certain nombre de projets de distribution et d'installation de bornes pour véhicules électriques chez les concessionnaires : Chevrolet, Daimler pour la Smart et Vito, et nous sommes à la veille d'annoncer un nouvel accord européen avec un grand fabricant européen. Notre coopération est donc opérationnelle.

Enfin, et cela fera plaisir à M. Montebourg, nous avons décidé de localiser nos productions dans notre usine de La Ferté-Bernard, près du Mans. Elle va devenir notre centre d'excellence pour le véhicule électrique, qui nous permettra de répondre à d'autres demandes émanant des clients que nous avons pu rencontrer, notamment au salon des maires, pour la voierie, les municipalités, les conseils régionaux et autres. Nous sommes donc capables de fournir ces différents types de clients, à des prix compétitifs.

Pour terminer, nous serons présents pour lancer notre nouvelle borne dans quelques jours au rallye de Monte-Carlo des énergies nouvelles, puis au salon Franchise Expo Paris. Par ailleurs, nous préparons l'ultime borne de recharge via panneaux photovoltaïques. C'est aussi une technologie que maîtrise Bosch. C'est quand même la borne ultime que celle qui est rechargée par le soleil. Et je ne parle pas de nos vélos électriques. Notre message est donc clair : il n'y a plus de freins, nous y allons en France, en Europe et dans le monde.

M. Denis Baupin, député, co-rapporteur. - En ce qui concerne les bornes de recharge, on nous a expliqué que leur installation posait de gros problèmes. Dans l'espace public, je peux comprendre qu'il y a des difficultés d'occupation de l'espace. Mais en revanche, dans les copropriétés, je n'ai pas bien recharge ?

Mme Elisabeth Windisch. - Souvent dans les copropriétés, les places de parking ne sont tout simplement pas reliées à l'électricité, ce qui nécessite des travaux.

M. Denis Baupin. - Et ça coûte combien ?

Mme Elisabeth Windisch. - Tout dépend de l'endroit où l'on se trouve. Quelques milliers d'euros pour un usage privé.

M. Denis Baupin. - Mais étant donné que l'électricité coûte tellement moins cher que le pétrole, je pense que l'investissement est très largement rentabilisé.

Mme Elisabeth Windisch. - Environ 30 % des ménages français ne subissent aucun des trois freins que j'ai mentionnés : ni le frein de l'autonomie, ni le frein économique, ni le frein par rapport à l'infrastructure de recharge à la place du parking à domicile. Mais ils se basent sur un calcul TCO qui inclut le bonus de 7 000 euros. Ces résultats sont très sensibles. Dès qu'on baisse un peu le bonus à l'achat, par exemple à 5 000 euros, ce potentiel de 30 % baisse aussi. Si maintenant, on doit rajouter quelques milliers d'euros de plus pour avoir une infrastructure de recharge à la place de parking à domicile, tous les résultats basculent.

M. Thomas Orsini, Renault. - Je souhaitais apporter ma contribution et répondre aussi à la question de la propriété. Les freins, on en a tous beaucoup parlé. Il y a le frein économique et le frein de l'autonomie qui sont bien connus. Nous pensons aujourd'hui que ces freins disparaissent avec les produits qui arrivent sur le marché. La Zoé arrive à un prix inférieur à son équivalent diesel. Et donc les calculs TCO, hors infrastructures, montrent qu'il est plus intéressant, dès lors que vous faites plus de 12 000 kilomètres, de rouler en Zoé qu'en véhicule diesel équivalent. L'autonomie, on l'a dit, avec 150 km d'autonomie assurés, ce n'est plus un problème pour la majorité des usages. Par contre, il reste le problème de la charge, avec les deux problèmes qui ont été mentionnés.

Il existe aujourd'hui des solutions commercialisées pour les recharges dans les bureaux, dans les parkings, chez les artisans, ou chez les gens dans les pavillons. Mais dans la copropriété, même si les solutions techniques existent, cela devient financièrement très compliqué. D'après notre expérience, dès que vous faites un peu de travaux, vous arrivez assez vite à des coûts de l'ordre de 10 000 à 15 000 euros, quand il faut apporter l'électricité, refaire le tableau, etc. Si ce coût porte sur le premier demandeur de la copropriété, c'est insupportable pour lui. Ça double le prix de la voiture ! Et en plus, les délais sont très importants, dès lors que vous devez passer par l'assemblée générale de copropriété. Même si on a un droit d'aboutir, les délais ne seront pas raccourcis pour autant. Et avant d'avoir obtenu tous ces accords, ces délais peuvent être longs. On a eu pas mal d'expériences de clients pour qui ces travaux ont pris six à douze mois, alors que, au final, tout le monde était d'accord. C'est donc un point important qu'il faut soulever.

Le deuxième élément, c'est la recharge publique. Après le coût et l'autonomie, systématiquement le besoin de la recharge publique arrive en troisième position. Pas uniquement pour des besoins de réassurance. Les études ont montré que dans les endroits où il y avait de la recharge publique, normale ou accélérée, les utilisateurs de véhicules électriques roulaient plus. C'est ce qui a été montré au Japon. Nissan a fait des études sur le sujet qui montrent que les utilisateurs font plus de kilomètres dès lors qu'ils ont plus de recharges publiques dans le voisinage, et donc qu'ils utilisent pour augmenter leur autonomie. La réassurance, il en faut donc un minimum. Et là-dessus, évidemment, nous soutenons toutes les initiatives.

Mme Fabienne Keller. - La réassurance, c'est la certitude de pouvoir recharger son véhicule ?

M. Thomas Orsini. - La réassurance, c'est la roue de secours. Par exemple, vous êtes en milieu d'autonomie, vous savez que vous avez largement de quoi rouler du domicile au travail, mais si à midi au travail vous voulez faire une course chez Ikea, vous n'êtes pas très sûr, et vous n'allez pas le faire. Alors que si vous avez la borne chez Ikea, vous allez faire la course, vous allez revenir, et il n'y aura pas de problème. C'est un type de raisonnement qui a lieu avant l'achat. Avant l'achat, vous allez effectivement vous demander si vous pouvez fonctionner, et si vous ne voyez pas de borne autour de vous, vous n'achetez pas de voiture.

Mme Fabienne Keller. - Pouvez-vous nous présenter le plan de vente de Zoé ?

M. Thomas Orsini. - Zoé est lancée, en France en tout cas. Le week-end dernier a eu lieu le premier week-end portes-ouvertes. Depuis une semaine, elle est commercialisée en France dans tout le réseau primaire qui compte 400 points de vente. Je ne pense pas qu'on ait communiqué encore de chiffres très précis, et donc je ne vous en donnerai pas ici. Mais ça se présente très bien, sachant qu'on avait déjà pris un certain nombre de commandes au Salon de l'Auto à Paris. On a déjà plus de 2 000 commandes sur Zoé qui vient juste d'être commercialisée en France. D'ici la fin du premier semestre, Zoé sera progressivement commercialisée dans tous les pays d'Europe.

M. Denis Baupin. - Vos chaînes de production en produisent combien par mois ?

M. Thomas Orsini. - Actuellement, je ne pourrais pas vous dire, mais on se prépare à ces commandes. On est en croissance de production. Je ne connais pas les chiffres de production au jour le jour.

M. Denis Baupin. - Le rythme de croisière est prévu à combien ?

M. Thomas Orsini. - Cela peut être très variable. Les capacités installées à l'usine de Flins peuvent monter jusqu'à 100 000 voitures par an, mais on ne les prévoit pas la première année.

M. Denis Baupin. - C'est pour avoir un ordre de grandeur. D'un côté, je vois la mise en place d'un service industriel de grande envergure - 100 000 véhicules -, et d'un autre côté, les problèmes de recharge qui ne sont pas assurés. Vous nous dites qu'il faut attendre entre six et douze mois dans une copropriété pour installer une recharge. Je pense qu'on n'a pas découvert ces problèmes-là du jour au lendemain. Il y a là quelque chose que je ne saisis pas, au moment où Renault se lance là-dedans. Cela fait quand même quelques décennies qu'on nous parle du véhicule électrique. En tant qu'élu local, on a fait installer des bornes publiques. Elles étaient utilisées à peu près soixante fois par an. Évidemment, au bout d'un moment, on arrête. Et puis maintenant, tout d'un coup, le véhicule sort enfin, mais rien n'a été réamorcé en temps utile. Il y a quelque chose que je ne saisis pas dans la démarche, d'autant plus que quand Renault s'est lancé, c'était avec le soutien des pouvoirs publics. Comment expliquez-vous ce décalage ?

Mme Fabienne Keller. - M. Darniche, une question ?

M. Bernard Darniche, journaliste, président de l'association « Les citoyens de la route ». - Je voudrais faire une remarque. Bien sûr, nous sommes tous ici pour trouver des solutions. Nous sommes dans une logique de la bonne parole. Mais je voudrais d'abord qu'on mette les choses au point en termes d'utilisation réelle d'une voiture électrique. S'agissant d'une voiture thermique, tout le monde sait que le constructeur nous trompe sur la consommation réelle en cycle urbain. On devrait plus parler en temps de fonctionnement qu'en kilométrage réel. On sait tous qu'on est trompé à ce niveau-là. Pour une voiture thermique, ce n'est pas grave. On n'a plus de pétrole, on s'arrête, on en met.

S'agissant d'une voiture électrique, si l'on reste sur la logique du kilométrage, on va directement amener les gens à comprendre qu'on nous a trompés. Et je parle en connaissance de cause. Moi, je roule en Opel Ampera, et Dieu merci, j'ai un range extender. Autrement, je ne pourrais pas m'en servir aujourd'hui. Je suis passé de 80 kilomètres d'autonomie à 37 kilomètres aujourd'hui et, ça, je le constate au quotidien. 37 kilomètres aujourd'hui, cela signifie que si je n'avais pas de range extender, je ne pourrais pas m'en servir aujourd'hui dans la fonction que j'avais imaginée au départ. Donc, on m'a trompé de moitié sur l'autonomie. Parce que je ne suis pas en cycle de kilométrage, mais en cycle urbain et en temps de fonctionnement.

Mme Fabienne Keller. - Donc il vous faut la réassurance.

M. Bernard Darniche. - Il faut éclairer les gens. Et il faut une réassurance. Il suffit du moindre frein en termes de marketing pour que l'acte d'achat soit reporté, ou totalement zappé. Pendant les deux jours de neige, si nous avions eu des voitures électriques, elles tombaient toutes en panne sur les périphériques et sur les autoroutes ! Fabienne Keller, c'est la vérité.

M. Thomas Orsini. - Je vous remercie de cette intervention parce que cela me permet de préciser des choses sur l'autonomie. Je ne connais pas les caractéristiques de l'Opel Ampera, mais je connais celles de Zoé. L'autonomie homologuée de Zoé en cycle mixte NEDC (New European Driving Cycle) est de 210 kilomètres. Donc 210 kilomètres sur un cycle normalisé. Mais ce n'est pas ce sur quoi Renault communique vis-à-vis de ses clients. Renault dit à ses clients : avec une Zoé, vous allez faire 150 kilomètres dans les conditions normales de température et de pression, c'est-à-dire dans des températures tempérées avec un fonctionnement normal. Vous allez faire au minimum 100 kilomètres dans un environnement sévère, c'est-à-dire en dessous de 0°C et une utilisation agressive. C'est ce qui se fait vraiment de mieux sur le marché aujourd'hui pour un véhicule de grande série. C'est bien meilleur que ce que vous avez décrit sur le véhicule concurrent, qui est un hybride. D'ailleurs il n'a pas besoin de cette autonomie. Et c'est bien cela qu'on dit au client. On ne lui fait rien miroiter. On lui dit : c'est entre 100 et 150 kilomètres. Donc pour vos usages, effectivement, domicile-travail, tant que vous êtes en dessous de 100 kilomètres, vous arriverez à faire cet aller-retour tous les jours, été comme hiver.

M. Bernard Darniche. - Mais puisque c'est une voiture urbaine, pourquoi vous ne le dites pas en temps de fonctionnement, en minutes ou en heures ? C'est tellement plus simple. C'est un éclairage réaliste.

M. Thomas Orsini. - On peut le dire, mais il se trouve que dans les véhicules électriques, plus que dans les véhicules thermiques, quand vous êtes à l'arrêt et pour peu que vous n'ayez pas besoin de chauffage ou de la faire fonctionner...

M. Bernard Darniche. - On en a besoin en ce moment, non ?

M. Thomas Orsini. - Oui, en ce moment peut-être, mais vous consommez beaucoup moins. Ça, c'est 1 ou 2 kWh, et ça ne va jamais vider la batterie. Et si vous raisonnez en temps de fonctionnement, sur une Zoé, vous avez raison, on a fait le travail, et les résultats sont au contraire très rassurants. Parce qu'en cycle urbain, vous ne faites pas beaucoup de kilomètres, et vous allez vous rendre compte que pour vider la batterie, en faisant du 30 à 50 kilomètres en ville, il va falloir passer 3 à 4 heures dans la voiture. C'est tout à fait rassurant.

Alors effectivement, dans des conditions extrêmes, si vous êtes bloqué sur l'autoroute à - 10°C pendant 3 à 4 heures, il y aura un problème. Je ne le nie pas. Mais ce sont des conditions très extrêmes.

M. Bernard Darniche. - C'est ce que les Franciliens vivent tous les jours le matin et le soir.

M. Thomas Orsini. - Non. Pas 4 heures, coincé à -10°C sans pouvoir bouger.

Mme Fabienne Keller. - La question a été entendue, la réponse a été presque apportée, mais M. Darniche n'est pas convaincu. Je passe la parole à Mme Dominique Dujols.

Mme Dominique Dujols, directrice institutionnelle de l'Union sociale pour l'habitat. - Je représente l'Union sociale pour l'habitat, la maison HLM pour dire les choses rapidement. Et je suppose que notre légitimité à intervenir concerne la question du stationnement des véhicules, du moins je m'en tiendrai à ce domaine. J'ai bien compris que j'étais au milieu de spécialistes, très savants, et je viens plus pour apprendre sur le véhicule électrique.

Sur la question du stationnement, nous n'avons pas les mêmes difficultés qu'en copropriété. J'ai entendu dire que, certes, il y a un investissement, mais qu'on le récupérait sur les économies de carburant. La question du modèle économique se pose en ces termes : qui réalise l'investissement ? Qui paie ? Comment on le récupère ? Et qui bénéficie de l'économie ? Parce que ce qui est vrai au niveau macroéconomique de la collectivité nationale ne l'est pas au niveau des choix individuels d'acteurs. Je rappelle que nous devons équilibrer notre production et notre gestion sans dispositions spécifiques.

Pour nous, faire des places de stationnement qui seraient destinées aux véhicules électriques, cela ne nous pose pas de problème de principe, à condition que ce soit à la place d'autres places de parking, et pas en plus. À chaque fois qu'on fait des choses en plus, ce sont des coûts en plus et c'est de l'exclusion potentielle de ménages. Malheureusement, nos loyers, avec l'évolution des coûts de construction, sont de plus en plus élevés. Et naturellement, il faut que nous puissions accueillir des ménages à revenus modestes ou très modestes. Donc si c'est à la place d'autres places de parking, cela ne nous pose pas de problème en termes d'espace.

Ensuite, se pose la question de l'équipement, notamment de l'équipement de recharge, de son fonctionnement et de son entretien. Et là, évidemment, pour l'instant, les choses ne sont pas précisées. Il est évident que cela poserait des problèmes de récupération de charges. Alors la loi Grenelle ouvre des moyens de faire, en faisant appel à un concessionnaire d'infrastructure. Mais nous n'en avons pas vu se présenter spontanément comme étant intéressés, peut-être parce que le modèle n'est pas encore absolument clair dans son fonctionnement. Cela pose donc le problème de l'équipement de la recharge et de son entretien dans la durée, et bien sûr, du paiement des consommations. A priori, on ne peut pas imaginer répercuter sur l'ensemble des locataires un équipement qui ne bénéficierait qu'aux seuls propriétaires de véhicules.

C'est la principale remarque que je voulais faire. Oui, pourquoi ne pas aller vers le véhicule électrique ? Le monde HLM a toujours accompagné les progrès qui pouvaient bénéficier à tout le monde, et donc, les évolutions énergétiques ne nous posent pas de problème. Ensuite, il faut trouver un modèle qui s'équilibre.

Je ne sais pas s'il en a été débattu, mais je mets de côté l'enjeu de sécurité. Nous avons compris qu'il ne suffisait pas, dans un parking souterrain par exemple, d'avoir une borne, encore faut-il des dispositifs associés. Je ne sais pas si aujourd'hui les batteries sont totalement sécurisées. Je n'ai que les informations grand public sur Internet. Mais je pense que serait un équipement supplémentaire qu'il faudrait prendre en charge. Se poserait alors la question de l'équilibre.

Enfin, je voulais faire une remarque un peu générale à propos du stationnement. En France, on a fait le choix historique d'associer les obligations de stationnement à la production de bâtiments. J'ai cru comprendre que dans d'autres pays, notamment certaines villes allemandes, le choix est différent. La question du stationnement est gérée à l'occasion de la remise de la carte grise, c'est-à-dire que l'automobiliste doit justifier d'un mode de stationnement pour obtenir sa carte grise, ce qui aboutit à d'avantage de solutions de stationnement collectif, voire - horreur ! - à quelques centaines de mètres pour rejoindre son parking, parce que ce n'est pas forcément inclus dans la construction du logement. Certes, certains logements ont leur parking souterrain, mais c'est une affaire de choix, voire de standing.

Alors j'ai bien conscience que cette remarque n'est pas propre à la question du véhicule électrique, mais c'est peut-être aussi une évolution à laquelle il mérite qu'on y réfléchisse, aussi bien pour les véhicules électriques que pour les autres d'ailleurs. Cela permettrait d'éviter le débat lancinant sur la question de savoir, par exemple dans le logement social, s'il faut avoir une seule place obligatoire ou deux, au motif que les gens sont loin de leur emploi, ou si la question du stationnement est plutôt liée à la détention du véhicule. C'est ma seule remarque générale.

Mme Fabienne Keller. - Je vous propose de passer à un autre combustible que sont les piles à combustible.

B. Les véhicules à pile à combustible

M. Laurent Antoni, chef du Laboratoire Piles à combustible, CEA-Liten. - Je vais vous présenter un comparatif des différentes technologies. Il est extrait d'un rapport publié fin 2010 qui réunit une trentaine d'industriels européens, producteurs de véhicules ou gaziers. Il compare les émissions de CO2 pour différents types de motorisation : la pile à combustible, la batterie, l'hybride électrique, le moteur à combustion, de la vision en 2010 jusqu'en 2050 en termes d'évolution des performances.

Si l'on compare les différentes technologies, oui, il y a un problème d'autonomie, mais on voit bien que ce sont les différentes motorisations qui permettront de répondre à l'ensemble des besoins d'autonomie, et c'est bien l'application qui va conduire à l'utilisation plutôt de tel ou tel type de chaîne de traction. Toujours est-il que ce que nous voyons, c'est qu'à la fois les véhicules à batterie et à pile à combustible sont les seuls à vraiment pouvoir générer très peu d'émissions de CO2, en faisant l'hypothèse ici qu'on produit l'hydrogène à partir d'énergies renouvelables. Par rapport à notre discussion de ce matin, ce sont aussi les deux seules technologies qui seront zéro émission de particules et zéro émission de NOx.

Ce matin, on a évoqué le terme TCO. Dans cette même étude, on voit qu'à partir de 2025, quel que soit le type de chaîne de traction, on a une convergence vers ce coût de possession, c'est-à-dire l'investissement, l'usage, et la fin de vie.

M. Denis Baupin. - Je voudrais comprendre. Vous nous dites que les coûts de possession TCO convergent et tout converge vers zéro.

M. Laurent Antoni. - Non. Là, on converge à peu près vers 20 centimes d'euro/km.

M. Denis Baupin. - En 2030, y compris pour les véhicules à essence ?

M. Laurent Antoni. - Oui. L'étude montre une stabilité, parce qu'on va aussi vers une amélioration de la performance des véhicules à combustion interne. On va consommer moins pour aller plus loin.

Mme Fabienne Keller. - Donc le TCO, c'est consommation annuelle incluse ?

M. Laurent Antoni. - Oui, il englobe l'achat, l'exploitation, la durée de vie du véhicule, l'entretien et le combustible.

Et ensuite, en termes d'infrastructures, on propose de soutenir la proposition de directive européenne de la DG Transport (24/01/13). On sait que pour les batteries, il n'y a pas de prise, pour l'hydrogène, il n'y a pas de station. Cette directive va permettre de briser, d'une certaine façon, le syndrome de la poule et de l'oeuf, car elle va imposer un certain nombre de bornes de recharges électriques. Ce qui est proposé en France, à l'horizon 2020, c'est quasiment 1 million de bornes de recharge, dont 10 % dans le domaine public. Et puis elle va imposer, d'ici 2020, une densité minimale de stations hydrogène, en l'occurrence une distance minimale de 300 km entre deux stations. Sachant que ces véhicules à hydrogène vont avoir une autonomie de 400 à 500 kilomètres.

Mme Fabienne Keller. - Nous sommes très inquiets tous les deux, parce qu'on n'aime pas que les directives résolvent les problèmes.

M. Laurent Antoni. - Non, mais ça incite.

Mme Fabienne Keller. - Et franchement, une borne bien placée en vaut dix mal placées.

M. Laurent Antoni. - Nous sommes bien d'accord. Mais dans ce cas, le nombre de bornes a été établi en fonction des projections du nombre de véhicules qui vont être déployés à cet horizon-là.

M. Denis Baupin. - Ce qui m'amusait, c'était de vous entendre dire que le problème sera résolu parce qu'il y aura une directive. Je caricature.

M. Laurent Antoni. - C'est une incitation. Si on n'encourage pas très fortement des changements, des ruptures, on attendra toujours d'être au pied du mur pour le voir.

Mme Fabienne Keller. - Ce n'est pas une incitation, c'est une obligation.

M. Laurent Antoni. - Si elle passe.

Mme Fabienne Keller. - Et deuxièmement, on en parlait ce matin, la France a quand même l'habitude de ne pas l'appliquer. Donc cela ne remplace en aucun cas la gouvernance, c'est-à-dire la prise en main du sujet par les acteurs, pour se poser les questions : où met-on les outils ? Qui les finance ? Comment fait-on les travaux ? Comment transforme-t-on ce qui pourrait être perçu comme une obligation par quelque chose d'intelligent et de structurant ?

M. Laurent Antoni. - Mais au moins, cela donne une argumentation de poids que de demander à ce que cela soit respecté.

Je finirai sur un dernier point concernant l'hydrogène, et qui n'est pas dans la directive. Je pense qu'un soutien de la DREAL est nécessaire pour faciliter justement l'installation de ces stations hydrogène. Ce n'est pas évident, c'est un peu l'un des points bloquants dans le débat actuel. Il s'agit d'avoir les autorisations pour pouvoir installer les stations hydrogène dans le domaine public. Elles sont classées ICPE (Installation classée pour la protection de l'environnement). Aujourd'hui, l'hydrogène n'est pas forcément dans les moeurs, c'est difficile, et certains projets de déploiement sont bloqués aujourd'hui à cause de cela.

M. Denis Baupin. - C'est plus dangereux ?

M. Laurent Antoni. - Il s'agit d'avoir un regard bienveillant, sans bien sûr négliger la sécurité, en le regardant autrement que comme on a l'habitude de le voir, c'est-à-dire comme un gaz dangereux.

M. Paul Lucchese, directeur de la recherche scientifique, CEA, et vice-président d'AFHYPAC. - Je travaille au CEA et je suis vice-président de l'association française de l'hydrogène. Je suis également membre du comité national d'experts dans le débat sur la transition énergétique. À ce titre, on retrouve un peu les mêmes problématiques dans notre comité que ce qu'on évoque ici.

Cette étude, je la connais bien, et j'ai essayé de l'appliquer aussi à la France, afin de voir quels étaient les obstacles qui restaient en France pour déployer l'ensemble des technologies, batterie, véhicules plug-in ou véhicules à hydrogène. Finalement, ce sont des véhicules électriques. Comme le dit Laurent Antoni, ce sont ces trois familles qui vont permettre de décarboner à quasiment 100% en 2050 le parc automobile français.

Je vais plutôt insister sur l'aspect des infrastructures, puisque Laurent Antoni a déjà expliqué la partie voitures. Le modèle économique de l'infrastructure hydrogène est rentable à terme, mais le problème se situe au niveau de son introduction. Comme au départ il y aura très peu de véhicules, on peut comprendre aisément que le business est à perte pendant dix à quinze ans, le temps d'arriver à un niveau de production suffisant et à un parc existant.

Je vais donner des ordres de grandeur, sur la base d'études très précises qui ont été faites en Allemagne et en Angleterre. On démarre avec probablement quelques milliers de véhicules entre 2015 et 2020. Et l'on arrive, dans ces deux pays qui sont comparables à la France, à une production d'environ 300 000 à l'horizon 2030. C'est très progressif, comme n'importe quelle transition. Mais au départ, l'infrastructure est installée, il faut assurer la production et bien sûr la distribution, et le business est déficitaire. La question centrale est : comment financer cette première période d'introduction de l'infrastructure ? La solution est comparable à celle de l'infrastructure électrique. C'est un mélange de financements publics et de prise en charge par les industriels.

En Allemagne et en Angleterre, un plan de déploiement des infrastructures est déjà prêt. En France, que se passe-t-il ? C'est justement l'une des priorités de l'association AFHYPAC. On lance en ce moment une étude « H2 Mobilité France » qui s'interroge sur la manière dont on pourrait déployer un plan de déploiement d'infrastructures, en supposant qu'on ait les financements. Cette étude démarre maintenant et donnera des résultats en 2014. Concrètement, si on doit déployer les premières dizaines de stations, on saura, grâce à ce plan, où on va les mettre, comment elles vont être approvisionnées. Cette étude donnera toutes les données techniques en prévision du jour où l'on sera prêt à avoir le financement, et donc le feu vert des autorités.

Il y a deux volets. Le volet infrastructure qui est déficitaire et le volet du surcoût initial, comme dans le cas de la voiture électrique à batterie. Et donc on a forcément une aide de l'État sur les véhicules, qui peut être jusqu'à 7 000 euros dans le cas des véhicules électriques. Ce schéma peut également s'appliquer à la voiture à hydrogène. Le seul problème, c'est que les budgets publics sont limités. Ne serait-ce que 7 000 euros sur 1 million de véhicules, on arrive à 7 milliards. Va-t-on arriver, au niveau industriel, au coût du marché, que ce soit pour un véhicule à batterie ou à hydrogène, à 100 000, 200 000 ou 300 000 voitures ? Cet équilibre va être très délicat.

M. Denis Baupin. - Vous dites que c'est à perte pendant un certain nombre d'années, le temps de développer les réseaux et que ce soit rentable. En matière de transition, avez-vous réfléchi à quelque chose qui soit de l'ordre de l'hybride aussi, avec un véhicule qui serait à la fois hydrogène et autre chose, dont le carburant est disponible et qui permet de monter en puissance ? Cette vision est peut-être totalement farfelue.

M. Paul Lucchese. - Les coûts seront encore plus élevés si on met des motorisations. Par contre, ce qui est intéressant, c'est de voir quelle est la meilleure combinaison entre un véhicule à batterie et un véhicule à pile à combustible. D'un côté, vous avez le véhicule à pile à combustible pur, full power, de l'autre, vous avez le véhicule à batterie. Et si vous arrivez à combiner les deux, en ayant une batterie de moyenne puissance qui va permettre de passer les pics de puissance et une pile à combustible de moyenne puissance, on peut avoir un optimum de coût pour lequel on aurait une espèce de pile à combustible plug-in - mais ça, personne ne peut le dire actuellement, il faut faire pas mal d'études - qui permettrait peut-être d'optimiser les coûts et d'optimiser l'infrastructure. Parce que si vous avez moins de puissance sur la pile à combustible, vous aurez moins besoin d'hydrogène. Donc l'infrastructure s'en ressentira. C'est plutôt dans ce sens-là qu'on va regarder.

M. Bernard Frois, président, Comité des États membres du JTI FCH (expérience européenne de déploiement des infrastructures hydrogène). - L'hydrogène, c'est un sujet vraiment très amusant, parce qu'en France, on voit tout de suite qu'on est sur un terrain qui n'est pas du tout sûr. Quand on en parle, on se demande si on va se faire fusiller ou si on est pris pour un rigolo. Je vous dis cela, maintenant que dans la grande presse, on sait que Toyota va sortir ses véhicules en 2015, et on commence à savoir qu'au Japon il y a 30 000 installations domestiques à hydrogène.

L'hydrogène est maintenant dans une réalité. En tant que parlementaires, vous savez très bien que le problème est économique. C'est un problème de poule et de l'oeuf. Comment est-ce que cela va démarrer ? La Commission européenne se place dans un horizon différent, en soutenant une préparation du futur à long terme, tout en voyant quand même que l'hydrogène, c'est quelque chose qui peut aider dans les questions du climat et de la santé.

On sait que ce qui est rentable dans l'automobile, c'est 1 million de véhicules, 100 000 par an. L'hydrogène n'est pas du tout dans cette optique. L'hydrogène est dans un processus de démarrage. Je vous rappelle qu'il y a un tas de technologies qui ont démarré il y a cent ans et l'on ne s'est pas arrêté à des concepts en disant : c'est infaisable. La question est donc : Comment est-ce que cela va démarrer ?

La Commission européenne met au point un nouveau programme cadre qui va démarrer l'année prochaine. L'hydrogène est inclus dans la partie Énergie et Transport. Donc c'est ciblé. On va renouveler la plateforme technologique hydrogène, qui est une organisation externe à la Commission et qui fonctionne par appel à projets.

Le projet de directive déclenche assez les passions. Tous les États-membres sont d'accord pour qu'il y ait une directive, mais la question est de savoir qui paie et qui gouverne. Vous l'avez parfaitement vu. À Bruxelles, c'est vu comme un élément visant à déclencher chez les gens un intérêt pour la question. Nous sentons bien que, quelque part, il y a des moments où l'on part en avant sans avoir assuré ses arrières. On sait que l'intendance doit suivre, et là, la Commission se préoccupe de poser la question aux États : comment est-ce que vous mettez en place des recharges électriques et des stations hydrogène ?

Pour l'hydrogène, c'est beaucoup moins compliqué, étant donné que le parcours d'un véhicule hydrogène est beaucoup moins limité. Aujourd'hui une voiture standard à hydrogène a une autonomie de 400 kilomètres. On a moins besoin de points de recharges. Et ce qui est prévu par la Commission, c'est de l'ordre d'une centaine de stations en Europe. Ce n'est donc pas très contraignant. C'est une incitation.

Vu de Bruxelles, le soutien des États membres et des élus est extrêmement important, parce que c'est un élément fondamental de décision. Autrement dit, je m'adresse aux parlementaires que vous êtes, c'est vraiment là que sera prise la décision. Est-ce qu'on y va ou pas ? Le Parlement européen se prononcera. Le problème s'annonce politique. Il n'y a pas de discussion au niveau du déploiement. L'Allemagne, le Royaume-Uni et les pays nordiques, comme l'a dit mon collègue Paul Lucchese, sont déjà partis. L'Allemagne met quand même 1,4 milliard d'euros jusqu'en 2016 pour financer des études, des déploiements. Et je pense que de ce point de vue-là, il n'y a pas de problème, l'industrie part. Elle part, qu'on soit avec elle ou sans elle. L'endroit où elle va se déployer va dépendre de qui l'accompagne. Pour ne pas la nommer, Toyota mise sur l'Allemagne et sur l'Angleterre, parce que ce sont des pays amis de l'hydrogène.

La France est bien placée, parce que nous avons des acteurs qui techniquement sont bien placés : Air Liquide, Areva, CEA, CNRS, SymbioFCell, McAfee, Solvay,... Ce sont des industriels ou des instituts de recherche qui sont très qualifiés et très bien vus à Bruxelles. Quel est le problème ? C'est un souhait. À Bruxelles, on souhaiterait que la France, dans un domaine innovant, soit présente aux cotés des grands de l'innovation, parce qu'à trop regarder les risques, on ne s'avance pas, et on attend que les autres s'installent. Et ça, c'est un problème philosophique, ce n'est pas du tout un problème économique. Il y a une certaine déception de ne pas voir la France à certains endroits où on l'attend.

M. Gerald Pourcelly, Université de Montpellier 2. - Je vais rebondir sur ce qu'a dit Bernard Frois. Je représente le groupe de recherche pile à combustible au niveau de la recherche publique. Et j'ai eu l'occasion de travailler sur le solaire thermique il y a une trentaine d'années. À l'époque, la France avait cinq ans d'avance au niveau de la recherche publique. Et les recherches ont été abandonnées. Aujourd'hui, on a pratiquement cinq ans de retard par rapport à l'Allemagne et à l'Espagne. Il ne faudrait pas qu'on se trouve à ce niveau pour la pile à combustible et les batteries.

On a entendu évoquer des véhicules à batterie avec une autonomie qui commence à être intéressante. Mme Keller, vous avez dit que des véhicules hybrides étaient peut-être la solution. Effectivement, l'intérêt du véhicule pile à combustible -batterie, c'est de moins charger l'hydrogène, et d'autre part, cela permet d'utiliser le véhicule, non pas dans une flotte ou dans un environnement géographiquement limité, mais d'aller plus loin.

Il ne faudrait pas que la recherche publique en France baisse la garde au niveau de tout ce qui concerne la qualité des batteries et des piles à combustible. Nous avons d'excellents laboratoires de recherche, au niveau du CNRS, du CEA, de toutes sortes d'organismes de type EPIC (Établissement public à caractère industriel et commercial) ou EPST (Établissement public à caractère scientifique et technologique). La recherche publique doit continuer dans ce domaine. Les enjeux sont considérables.

M. Fabio Ferrari, président directeur général de SymbioFCell. - M. Paul Lucchese a parlé des problèmes, nous essayons d'apporter des solutions. Notre solution est basée sur un range extender, c'est-à-dire un complément pile à hydrogène sur un véhicule batterie existant. Nous équipons des Kangoo Z.E. Et l'on démontre à nos clients, dans certains cas d'usages un peu compliqués où l'on a des problématiques de froid ou d'arrêts fréquents des véhicules, que l'on est au même prix que le diesel. C'est un point important. Aujourd'hui, on est capable de démontrer qu'un véhicule hydrogène, dans des cas de livraison en centre-ville en particulier, a le même TCO qu'un véhicule diesel. Ce n'est malheureusement pas encore vrai pour le véhicule grand public. Et il n'y a pas encore d'infrastructures de recharge pour les véhicules hydrogène. Il est clair qu'il faut trouver un moyen pour y aller, et commencer par les flottes captives, c'est un bon moyen. Cela permet de faire des investissements très massifs, d'avoir un retour d'expérience, d'utiliser la R&D française - en l'occurrence, nous sommes basés sur la R&D du CEA pour le faire -, et d'aller de l'avant pour démontrer à tout le monde que cette solution fonctionne.

C. Le développement de filière pour les agro-carburants, 1ère, 2ème, 3ème génération

M. Sylvain Demoures, Syndicat national des producteurs d'alcool agricole (SNPAA). - On parle des biocarburants, car la biomasse permet de produire les carburants, qu'elle soit d'origine marine, agricole, forestière ou de déchets. Les biocarburants sont aujourd'hui une réalité en France. Plus de 6,5 % des énergies fossiles ont été remplacées dans les carburants par des biocarburants que l'on consomme quasiment sans s'en rendre compte. Dans le diesel, vous avez 7 % de biodiesel, et dans toutes les essences vous avez un peu d'éthanol, entre 5 % et jusqu'à 10 % dans les SP95-E10.

C'est une réalité. Ces carburants progressent. Aujourd'hui, pour l'éthanol, le remplacement est plus faible que pour le biodiesel. 5 % environ de l'essence est remplacée par le bioéthanol. Et les marches de progrès sont en train d'être acquises par le développement de ce carburant SP95-E10 qui se vend aujourd'hui plus que le Sans Plomb 98. On a également du super-éthanol E85 à 85 % d'éthanol, dont les progressions sont très fortes : plus de 40 % par an.

Quels sont les freins au développement de ces carburants ? Ils bénéficient déjà d'infrastructures, donc ils n'ont pas les freins des autres énergies dont on vient de parler. Les infrastructures existantes, les stations-service, de même que les moteurs, sont capables d'utiliser ces biocarburants en mélange avec les carburants fossiles. La limite que nous avons, c'est que dans un certain nombre de cas, le carburant n'est pas compatible avec la totalité du parc. Par exemple, dans le cas du SP95-E10, c'est 90 % du parc qui aujourd'hui peut fonctionner avec ce carburant.

Pour cela, il est important d'accompagner le consommateur. On l'a dit, on part du consommateur, de son besoin. Un client a besoin de savoir si le carburant qu'on lui propose convient à son véhicule en particulier. Nous avons mis en place un accompagnement avec les distributeurs de façon à ce que, à la pompe, le consommateur puisse savoir quel carburant prendre. Nous avons fait gérer notre partie du travail. Dans les freins qui restent, il nous semble que l'État pourrait aider à la diffusion de cette information à travers par exemple les centres techniques ou les sites Internet sur le prix des carburants. Aujourd'hui ces sites ne diffusent malheureusement pas ces informations. Nous disposons donc d'un SP95-E10 qui finira par atteindre la totalité de son marché.

Un mot sur les freins concernant le super-éthanol. Le super-éthanol fonctionne avec des véhicules FlexFuel qui sont des véhicules adaptés spécifiques. Ils sont peu diffusés en France actuellement. Il faudrait que cette commercialisation de véhicules FlexFuel soit plus importante et que certains obstacles techniques temporaires soient levés pour qu'ils continuent à progresser.

M. Nicolas Bardi, chef du département des Technologie Biomasse et Hydrogène, CEA-Liten (Agro-carburant). - Il y a plusieurs générations de carburants qui se distinguent par la ressource primaire qui est utilisée pour les faire. La première génération, ce sont des matières qui permettent de faire de l'huile ou du sucre pour faire de l'alcool. La deuxième génération, ce sont des matières ligno-cellulosiques, c'est-à-dire les parties de la plante non utilisées pour l'alimentation, les arbres, les déchets, urbains ou agricoles. La troisième génération est une production spécifique à partir de micro-organismes qui sont des micro-algues et qui métabolisent le carbone pour faire des carburants.

Au niveau du CEA, on ne travaille pas sur les carburants de première génération. Sur la deuxième génération, il y a deux grandes voies de fabrication de ces carburants : la voie biochimique sur laquelle nous travaillons de façon marginale et une voie thermochimique dans laquelle on va craquer ces matières qui contiennent de l'hydrogène, du carbone et de l'oxygène. On fait un gaz de synthèse, à partir duquel on peut refabriquer un carburant gazeux ou liquide. Nous travaillons sur les deux familles de synthèse, soit pour aller vers du biodiesel liquide, soit pour aller vers du gaz naturel de synthèse, notamment dans le cadre du projet Gaya, avec GDF SUEZ.

Ces projets qui sont mis en place au niveau français sont un peu des projets de démonstration. Ce qu'il faut bien voir sur les biocarburants, c'est que finalement, on n'a pas les problèmes de distribution dont on a beaucoup parlé à l'instant à propos du véhicule électrique et du véhicule hydrogène. Par contre, on a le problème de la transformation, la fabrication du carburant à partir de la ressource.

En termes de prix, on a étudié toutes les études parues ces dernières années sur le biodiesel 2ème génération. Il y a une grande diversité d'analyses de coûts. On a essayé de les renormer avec les mêmes hypothèses, et en gros, on arrive à produire 1 litre de biodiesel pour 1 à 1,20 euro sur ces procédés à l'horizon de quelques années. Les plus optimistes diront 2017-2018. Ce sera plus probablement aux alentours de 2020. Cela fait un vrai écart de prix par rapport au carburant fossile existant, puisque là, on parle d'un prix hors taxes. Cela veut dire que des progrès restent à faire au niveau de la technologie et des rendements de conversion. Il faut également des systèmes d'incitation fiscale pour que ces carburants puissent être compétitifs au niveau des utilisateurs.

Ces développements coûtent cher et prennent du temps. Une usine de biocarburants demande des investissements à hauteur de plusieurs centaines de millions d'euros, frisant même le milliard d'euros pour de grosses installations. Cela implique une prise de risque en matière d'investissements, qui demande une garantie et une stabilité réglementaires sur le long terme pour que les industriels puissent prendre ces décisions d'investissement. Ces usines ne seront rentables qu'avec des capacités de traitement de biomasse assez importantes. Au préalable de ces décisions d'investissement sur des usines de grande taille, il faut avoir la preuve de la robustesse de la technologie à une échelle plus petite. C'est typiquement les projets de démonstrateurs dont j'ai parlé. Ils s'étalent sur une période de 5 à 7 ans, et en ordre de grandeur, leur budget s'élève à une centaine de millions d'euros.

C'est beaucoup d'argent, qui peut être déployé, à condition d'avoir une feuille de route assez claire, et encore une fois, un cadre réglementaire clair sur la longue durée. En parallèle, il faut investir en R&D technologique, car en France, nous avons une grande difficulté. Comme nous avons démarré plus tard que nos voisins allemands et d'Europe du nord, aujourd'hui les démonstrateurs financés par le contribuable français utilisent pour plus de la moitié des briques technologiques des fournisseurs de technologies européens non français. Je suis très européen, donc ça ne me pose pas un problème métaphysique, mais il faut quand même réfléchir à cela pour la politique industrielle et les emplois créés en France. Je pense que dans cette filière, le défi est d'arriver à réduire le coût de ces technologies pour avoir des installations de plus petite taille, mieux intégrables sur le territoire. Du coup, ce n'est pas de la démonstration, c'est vraiment du développement technologique sur lequel les laboratoires de recherche peuvent apporter des solutions, à condition que les industriels investissent. Et pour qu'ils investissent, il faut qu'ils aient l'espérance d'un déploiement de ces filières, avec des cadres réglementaires les plus clairs possibles.

Au sujet de la biomasse 3ème génération, je dirai un mot très rapide. Aujourd'hui, ce sont des technologies beaucoup plus prospectives. Cela nous amuse beaucoup en termes de développeurs de technologies, parce qu'il y a à peu près tout à réinventer. Le principe de la création de carburant à partir de micro-algues existe. Aujourd'hui, on est très loin des coûts qu'il serait nécessaire d'obtenir pour ce soit économiquement rentable. Cela veut dire qu'il faut travailler sur la technologie. C'est une aventure que nous sommes en train d'ouvrir, mais ce sera pour une prochaine génération.

Si je peux me permettre une incise sur l'hydrogène, on peut faire une solution à partir de deux problèmes. C'est le cas ici. On a le problème des stations-service hydrogène et on a aussi le problème du stockage des énergies renouvelables. Si l'on produit de l'hydrogène à partir d'électrolyse et qu'on le stocke, ensuite on peut choisir de réinjecter cette énergie sur le réseau électrique, et on est dans une solution de stockage de l'énergie électrique. Si une voiture passe et veut se recharger, on a un site où il y a de l'hydrogène qui est stocké, et où l'on peut aussi avoir un système qui permet de recharger les premiers véhicules. Le coût serait relativement faible, puisqu'il n'y aurait que la partie distribution à ajouter.

L'idée serait de mailler le territoire de solutions qui serviraient à la fois à faire du stockage/déstockage d'énergies renouvelables et des premiers points de distribution d'hydrogène pour les premiers véhicules. Cela me semblerait être une stratégie pertinente dans le domaine.

M. Denis Baupin. - À propos des agro-carburants de 2ème génération, vous avez évoqué la piste du diesel. Pourquoi aller vers le diesel ?

M. Nicolas Bardi. - Biodiesel, c'est un terme un peu générique et trompeur. En fait, il y a des synthèses chimiques qui partent de ce gaz de synthèse hydrogène SCO (synthetic crude oil) pour faire des fuels plus ou moins lourds. En réalité, une des cibles principales de ces carburants va être plutôt le kérosène. Comme je l'ai dit ce matin, dans le domaine de l'aéronautique, on a peu de solutions de substitution.

Je travaille plus sur la biomasse et sa gazéification que sur la synthèse des carburants. Il faudrait plutôt interroger mes collègues de l'Institut du pétrole de l'IFPEN. On peut régler et synthétiser différents carburants à partir de ce gaz de synthèse. On peut très bien aussi aller à l'éthanol ou à des combustibles plus légers, comme le méthane, qui peut être aussi une solution intéressante d'un point de vue énergétique pour l'usage de la biomasse. Reste la question des véhicules gaz dont on a un peu parlé ce matin et dont on va reparler cet après-midi.

M. Denis Baupin. - Ce matin, j'ai été surpris. Vous avez dit que la biomasse pouvait faire à peu près 10 % de nos capacités énergétiques. Cela me paraît un chiffre faible par rapport à ce que j'ai entendu dire sur la part de la biomasse en matière énergétique, déjà aujourd'hui en France.

M. Nicolas Bardi. - C'était la part biocarburants à l'échelle mondiale, en étant assez prudent sur les hypothèses d'utilisation de la ressource pour les carburants.

M. Denis Baupin. - À l'échelle mondiale, c'est vrai, j'ai fait une confusion.

M. Sylvain Demoures. - Un dernier point. Pourquoi pas effectivement éthanol lorsqu'on parle de gazéification ? Tout simplement parce qu'il y a une voie plus simple concernant l'éthanol qui est de transformer la cellulose du bois ou de la paille en sucres, et donc cela se fait par des procédés enzymatiques. Une fois qu'on a des sucres, on a le substrat avec lequel on fabrique de l'éthanol et l'on transforme ce substrat dans les usines de première génération. Et donc c'est encore plus simple. C'est la voie biochimique classique.

Mme Fabienne Keller. - C'est intéressant l'idée qu'à partir d'un process on puisse produire différents types de combustibles.

M. Pierre Trami, responsable des activités mobilité durable à la direction de la stratégie et des finances de GrDF (GNV et collectivités locales). - Je vais présenter le biométhane. On a quatre phases. On a la possibilité de collecter un ensemble de résidus, agricoles, domestiques ou agroalimentaires. On arrive à porter ces ressources fatales dans un digesteur, lequel va se décomposer sur une formule de digestat solide qui porte de l'engrais pouvant retourner à l'épandage à la terre. Ensuite il passe par une phase d'épuration pour obtenir les mêmes propriétés physico-chimiques que le gaz naturel, de façon à être injecté sur le réseau de gaz naturel. Cela signifie que des sites de production peuvent être décorrélés des lieux d'utilisation.

Ensuite, sur la valorisation en distribution, ce sont les mêmes valorisations que sur l'usage du gaz, auxquels s'ajoute la valorisation sur l'usage carburant et sur le biocarburant. Aujourd'hui le potentiel technique qui est mesuré en France sur l'ensemble de la valorisation du biométhane est de l'ordre de 300 TWh, soit 20 millions de véhicules si l'on focalise toute l'attention sur l'usage du biocarburant.

Mme Fabienne Keller. - En collectant les sous-produits industriels, tous les produits ménagers, enfin la partie putrescible des déchets ménagers ?

M. Pierre Trami. - Oui.

M. Denis Baupin. - 20 millions de véhicules. Donc tous les véhicules français.

M. Pierre Trami. - On est à 31 millions de véhicules.

M. Denis Baupin. - Nous parlons d'un ordre de grandeur...

M. Pierre Trami. - En tout cas, le schéma prospectif de l'ADEME 2030-2050 estime qu'il y aura une diminution de 31 millions à 21 millions de véhicules particuliers, dont 45 % seront des véhicules hybrides bio GNV.

À travers ce procédé, on constate que le dispositif réglementaire mis en place permet de valoriser ces projets. Le temps de latence des projets est d'environ 4 ans. Aujourd'hui, à GrDF, nous avons 310 projets qui ont été collectés sur le territoire national et qui ont fait l'objet d'une étude de pré-faisabilité. Leur faisabilité technique est donc établie. À terme, à l'horizon 2020, nous avons au moins une capacité de 9 TWh qui peuvent être réinjectés sur le réseau.

Il nous reste à valoriser la partie carburant. Aujourd'hui ce procédé donne la possibilité d'avoir l'équivalent de 12 000 emplois pérennes en France non délocalisables, la pertinence d'un rendement sur la combustion de 5 grammes de CO2/km (étude de la DENA, l'ADEME allemande) et une réduction significative à la fois sur les émissions d'oxydes d'azote et sur les particules fines, puisqu'il y aura une absence de particules d'azote et une diminution de 95 % des dioxydes d'azote.

Mme Fabienne Keller. - Pourquoi ne l'a-t-on pas fait avant si c'est tellement performant ?

M. Pierre Trami. - On rejoint toujours la même histoire de la poule et de l'oeuf.

Mme Fabienne Keller. - C'est la lourdeur des investissements ?

M. Pierre Trami. - Oui, pour partie. En France, c'est plutôt le GPL qui a été poussé sur la solution gazeuse. La partie biométhane a été un peu délaissée. Depuis un an à GrDF, nous nous intéressons à ce sujet, en tant qu'opérateur de réseau. Nous ne vendons ni stations, ni véhicules, mais par contre nous adressons des messages à la filière pour leur dire que ce produit existe, qu'il est pertinent, facilement réalisable et économiquement viable.

Mme Fabienne Keller. - C'est vrai qu'en Alsace, depuis très longtemps nous voyons les exploitations agricoles de nos voisins allemands méthaniser leur lisier. Et se servir du méthane à l'échelle de l'exploitation.

M. Pierre Trami. - À tel point, je crois, que dans les procédés d'élevages porcins, c'est même dénaturé, puisqu'ils ont tellement valorisé le biométhane que du coup les Allemands se sont mis à faire de l'élevage porcin.

Mme Fabienne Keller. - Ça fait partie de l'équilibre financier, avec un prix de l'énergie un peu supérieur.

M. Clément Chandon, directeur, Iveco France. - Pourquoi est-ce qu'on ne l'a pas fait ? Là, il y a une anecdote un peu douloureuse. En 1997, à Marquette-les-Lille, on produisait du biométhane très pur à 99 % produit à partir d'une station d'épuration qui faisait fonctionner trois bus Renault à l'époque. Les Suédois sont venus voir comment ça fonctionnait. C'était très moderne à l'époque, presque unique. Et aujourd'hui en Suède, vous avez plus de véhicules GNV alimentés en biométhane que de véhicules alimentés au gaz naturel. C'est un pays très proche de nous, qui ressemble au nôtre, et qui a supplanté pour son transport le gaz naturel par le biométhane. Les Allemands ont 3 000 méthaniseurs. Mais la France heureusement est en train de d'avancer. On a parlé de Forbach ce matin. On en a à Paris. Et je voulais vous faire un topo.

Comme je vous l'ai dit ce matin, on a tous les types de véhicules. Quand on fait un véhicule électrique - je ne parle que des alternatives au diesel -, on a la problématique, non des moindres, des déchets nucléaires. Quand on utilise un biodiesel de première génération pur, cela pose pas mal de difficultés au niveau du moteur. Et le fait d'utiliser une partie de la plante qui a une valeur alimentaire est aussi une problématique. Quand on utilise de l'hydrogène, on peut se demander d'où il vient. Mais quand on utilise nos déchets, on a vraiment la solution parfaite, parce que la plupart de nos déchets ne sont pas valorisés. Et quand on en extrait du biométhane, ce qui correspond à environ 10 % de la masse de nos déchets, on n'a fait qu'une des valorisations des déchets. On a aussi créé des engrais liquides et solides, qui sont des apports à la terre extrêmement importants. C'est une chaîne vertueuse. Et tous les véhicules existent. On peut faire 80% des transports routiers.

Vous allez en avoir un exemple bientôt à Paris, où un grand groupe de livraison de matériaux présentera sa flotte de véhicules de 3,5 tonnes, 26 tonnes et 44 tonnes qui fonctionneront tous au GNV, et qui sans rien changer, pourront fonctionner au biométhane. C'est le seul biocarburant de deuxième génération nettement moins coûteux et moins énergivore que les biodiesel de deuxième génération. Il peut disposer du jour au lendemain d'un parc installé assez important. Si en France on n'a pas beaucoup de véhicules GNV, il y a essentiellement des véhicules lourds, qui consomment 30 à 50 tonnes de gazole par an en équivalence, et donc, quand ils passent au bio-GNV, du jour au lendemain ils vont faire économiser 80, 100, 150 tonnes de CO2 par an, en plus d'être silencieux et Euro 6.

M. Denis Baupin. - Mais alors, je reprends la question de Fabienne Keller, pourquoi le monde du gaz en France a-t-il tellement résisté au développement ? Je connais l'histoire de Lille et leurs difficultés pour que du côté de GDF et de GrDf on accepte leur gaz. N'y a-t-il pas une petite erreur historique ?

M. Pierre Trami. - Je pense qu'on doit tous évoluer. C'est probablement une erreur historique. On était peut-être sur une logique de mix énergétique. Le process engagé par GDF à l'époque était plutôt celui-là. Mais il faut encore rappeler que le leader de l'énergie en France n'a jamais été GDF. C'est EDF. GDF n'a été qu'une variable d'ajustement d'un process énergétique français choisi au lendemain de la crise pétrolière des années 70.

M. Denis Baupin. - C'est la faute d'EDF.

M. Pierre Trami. - Pas du tout. Ce n'est pas ce que j'ai dit. Je dis simplement que ce sont des réalités économiques, des choix énergétiques qui ont été faits. Aujourd'hui on voit que la logique du biométhane et de sa faisabilité, dans des contraintes économiques et sociétales acceptables, fait jour. Ce n'était pas vrai il y a vingt ans.

Mme Fabienne Keller. - En Allemagne, c'est probablement parce qu'ils ont une vision très décentralisée de la gestion des sources d'énergie et des systèmes qu'ils sont arrivés à cette solution de méthanisation en proximité. Peut-être qu'en France, à force d'être dans des grands systèmes, on finit par étouffer les solutions émergentes.

M. Pierre Trami. - Tout à fait. C'est pourquoi on parle d'énergie circulaire. Aujourd'hui, nous avons environ 310 projets qui sont réalisables. Que s'est-il opéré ? On a vu des territoires qui se sont emparés de ce sujet, un peu à l'instar de ce qui s'est fait en Allemagne. En France, en un an et demi, les stations de biométhane sont passées de 50 à près de 240 normo mètre cubeurs. On voit bien que c'est l'union des projets à la maille territoriale qui fait plutôt sens.

Je rappelle qu'aujourd'hui, le réseau tel qu'il est installé en France alimente en gaz naturel 9 700 communes. Nous avons 310 projets dans les tuyaux, ce qui nous donne une marge de manoeuvre pour accélérer le processus de véritables projets territoriaux.

M. Daniel Moulene. - Concernant les émissions toxiques du biométhane, par rapport à l'essence, est-ce que c'est bien meilleur ?

M. Clément Chandon. Le méthane en lui-même, comme vous le savez sans doute, n'est pas toxique. Le moteur, lui, qui fonctionne au gaz naturel et au biométhane, ce qui est la même chose, a des émissions Euro 6 depuis 2007, je l'ai dit ce matin, et mieux qu'Euro 5 depuis 2000. On a pu le démontrer en 2001 quand on a fait les premiers tests qui incluaient les particules. D'ailleurs, dans les zones d'actions prioritaires pour l'air (ZAPA), ces véhicules ne pouvaient jamais être arrêtés, et ils sont aussi valorisés, fort heureusement, dans l'écotaxe au meilleur niveau. Aujourd'hui, on en compte 550 à Paris. Certains ont 14 ans. En émissions de particules, ils sont meilleurs que la limite fixée par la norme Euro 6. En NOx, il leur a fallu attendre 2001 pour avoir des émissions quasiment du niveau Euro 6.

Mme Angélique Michel, directrice adjointe, GNVERT (concepteur de station de service). - Pour corroborer les propos qui viennent d'être tenus, j'ai le plaisir de vous présenter GNVERT, une filiale du groupe GDF SUEZ. GNVERT est l'acteur majeur du gaz naturel en France. C'est l'opérateur de mobilité durable du groupe. Depuis près de 15 ans, il fournit des solutions de mobilité durable aux collectivités territoriales et aux entreprises avec une stratégie BtoB au travers de quatre segments : le transport de personnes (14% des bus en France roulent au GNV) ; la propreté urbaine (15% des bennes à ordures et autres véhicules de collecte) ; le dernier kilomètre propre (environ 200 poids lourds et acteurs sont engagés : Carrefour, Point P, Monoprix et bien d'autres à venir) ; les flottes vertes (10 000 VUL, véhicules utilitaire légers, se ravitaillent chaque jour sur 140 de nos stations sur le territoire national).

Pour mémoire, dans le monde, il y a 20 700 stations pour 14,5 millions de véhicules GNV. En Europe, il y a 4 000 stations pour 1,5 million de véhicules GNV. En France, 177 stations pour 13 500 véhicules GNV.

GNVERT construit, conçoit, finance et distribue du gaz naturel, du biométhane carburant et demain du gaz naturel liquéfié, offrant un spectre de mobilité très large allant de l'urbain à l'inter urbain, en passant par le transport routier moyen et longue distance, avec une autonomie allant de 400 kilomètres à plus de 1000 kilomètres en fonction du type de véhicule et du carburant choisi.

Dans le cadre des enjeux et des défis à relever en matière de qualité de l'air, je suis tentée de vous rappeler le bilan environnemental exemplaire du gaz naturel qui a été fait ce matin. Dans le cadre de la transition énergétique, GNVERT est aussi le leader de l'innovation, à travers deux innovations majeures dont on vient de parler : l'inauguration en octobre 2012 de la première station publique biométhane carburant issus des déchets ménagers du Syndicat mixte des ordures ménagères de Moselle Est, le Sydeme à Morsbach ; et nous avons réalisé, en partenariat avec Iveco, les premiers tests GNL en France sur un tracteur dual fuel et un poids lourd. Cette dernière innovation est l'alternative la plus pertinente au tout gasoil, au grand dam de M. Macaudiere. Elle attend avec impatience l'homologation des réservoirs afin qu'on puisse se ravitailler sur notre première station GNL du port de Gennevilliers, qui sera inaugurée, je l'espère, très prochainement.

M. Bernard Darniche. - Je connais bien le dossier. J'ai travaillé dessus avec GDF. J'en étais l'ambassadeur. Il y a dix ans, une offre avait été développée. Même si techniquement la réponse n'était pas idéale, il était prévu qu'une offre packagée soit distribuée par Carrefour, pour inclure le remplissage à domicile. Dieu sait si quasiment toute la France a le gaz naturel à domicile. Cette offre incluait le coût de la station de remplissage et le coût du carburant, avec un petit compteur à part. Et cette initiative a été tuée dans l'oeuf. Cet échec, il est très lourd pour moi. J'ai quand même été l'ambassadeur de cette énergie pendant cinq ans. Je pense que nous cherchons très loin des lobbyings et des contreparties stratégiques, alors que si on va au fond des choses, ce sont simplement deux personnes qui se sont très mal entendues, pour rester politiquement correct, et qui ont tué le système dans l'oeuf. Dans un pays comme la France, je trouve que c'est fort regrettable.

Mme Fabienne Keller. - De quelles personnes parlez-vous ?

M. Bernard Darniche. - ... à la présidence de GDF et à la direction commerciale de GDF à l'époque.

Mme Fabienne Keller. - Une dernière intervention technique, avant de passer au thème de l'adaptation de l'offre aux besoins.

M. Joël Pedessac, directeur général, Comité français butane propane. - En ce qui concerne la distribution de carburant en France, il y a environ 10 000 stations-service dans lesquelles les automobilistes ont l'habitude de faire leur plein, sachant que la grande distribution a 4 500 points de vente. Le maillage de la France, avec ces 4 500 stations, permettrait d'approvisionner une grande partie du territoire. Le GPL a peut-être l'avantage, par rapport à l'hydrogène et aux autres énergies, d'être un carburant facile à mettre en oeuvre dans une station-service. Le modèle économique est parfaitement connu en France et dans le monde. 1 litre de GPL, contenu dans le double de cette bouteille d'eau, est vendu environ 70 centimes / litre hors taxes, coûts de distribution et de station inclus. C'est une force vis-à-vis du consommateur final, parce que dans le modèle économique, les stations-service y sont déjà. En fait, la distribution des carburants liquides est assez facile à mettre en oeuvre. Une station GPL coûte entre 60 000 et 100 000 euros.

À propos des freins, je voudrais dire qu'en France nos distributeurs - les pétroliers, la grande distribution et les distributeurs de GPL - ont investi environ 200 millions d'euros entre 1996 et 2001 pour construire 2 000 stations. 150 ont fermé depuis, car chaque année il en ferme, et pas uniquement des stations GPL. Ces 200 millions d'euros en GPL ne s'amortissent que si 1 million de véhicules roulent avec ce gaz. Malheureusement, on n'a jamais dépassé les 200 000 véhicules en quinze ans. En 2013, on compte 180 000 véhicules GPL.

Nos freins ne se situent donc pas au niveau de la construction de stations-service. L'Allemagne a maillé tout le territoire en 5 ans en construisant 6 000 stations-service GPL, et le marché est en forte croissance. L'Italie est l'un des plus gros marchés de GPL, avec 2 200 stations-service. En France, avec 2 200 stations-service, le maillage serait convenable. L'autonomie d'un véhicule GPL est de 500 kilomètres, ce qui est comparable à l'hydrogène, et c'est ce qui dimensionne la taille d'un réseau.

Pour nous, il est clair que la diésélisation du parc français, et donc l'intérêt de vendre du diesel pour les constructeurs, est l'un des freins importants. Pour les consommateurs, c'est beaucoup plus simple, et l'on sait que la simplicité d'achat d'un véhicule diesel - voire essence -, est déterminante par rapport à tous les autres choix.

Acheter un véhicule GPL, même si c'est relativement simple quand il y en a dans les concessions, cela reste une façon de rouler différemment et donc nécessite un effort. Il n'y a pas de stations partout, il n'y a pas 11 000 stations-service qui le distribuent. Quand on se positionne sur un marché grand public, la distribution est un enjeu clé. Pourtant, avec 2 000 points de vente en France sur un territoire national de 550 000 km2, des véhicules GPL qui ont 550 kilomètres d'autonomie peuvent répondre aux usages de personnes qui partent au travail, en week-end ou en vacances.

Le frein malheureusement se situe plus dans la visibilité que nous donnent les réglementations et les lois sur les investissements. Sur les quinze dernières années, il y a eu cinq modèles. Il y en a un qui a bien marché, c'est le bonus-malus en 2008. Mais comme je l'avais expliqué au cabinet de M. Borloo, mettre un bonus de 2 000 euros pour l'achat de véhicules GPL, cela risquait de coûter très cher, parce que les véhicules GPL existent déjà sur le marché et ce n'est pas une technologie à développer. La preuve, c'est que plusieurs constructeurs se sont engouffrés là-dessus en voyant dans ce bonus une opportunité. Il s'est vendu 75 000 véhicules GPL en 2010. Cela a coûté 150 millions d'euros dans le système bonus-malus qui était normalement prévu jusqu'à fin 2012. Mais quand Bercy a vu ces chiffres, ils ont décidé, dès octobre 2010, la suppression de ce bonus au 1er janvier 2011. Le marché est passé de 8 000 véhicules GPL vendus par mois par les constructeurs automobiles à 1 500 par an, l'année dernière.

Ce cadre fiscal est bien sûr déterminant pour les acteurs. Et je ne parle pas d'une constante de la visibilité. Si l'on nous dit que ça va changer dans cinq ans, c'est notre rôle d'acteur économique de nous assurer que le modèle économique peut être viable et qu'il aura dépassé son niveau de point mort à un certain moment. Pour le GPL, le point mort par rapport à la taille du réseau est à 1 million de véhicules. On en est à 200 000 aujourd'hui. Notre réseau est structuré. Toute notre supply-chain est construite pour alimenter plus d'un million de véhicules. On a la place pour en accueillir 800 000 nouveaux avant de réinvestir dans des stations.

Concernant le bonus écologique, s'il est maintenu, il est clair que pour les énergies alternatives il faut envoyer un signal pour savoir s'il y aura un nouveau bonus GPL. En août dernier, quand le bonus sur les véhicules hybrides a été fixé à 3 500 euros, le texte du décret a spécifié uniquement les véhicules hybrides diesel et essence, ce qui exclut toutes les autres énergies alternatives. Un hybride peut aussi être électrique, GNV, biocarburants, E85 et GPL.

Par ailleurs, on peut utiliser la parole publique « gratuite » pour dire quelles sont les solutions qui existent. Il est évident que lorsque le Premier ministre ou le président de la République déclarent que le carburant c'est cher, le gazole et l'essence, c'est cher, ils doivent pourvoir dire qu'il existe du GNV, du GPL, de l'électrique ou des systèmes hybrides pour rouler différemment. C'est engageant politiquement, mais ce n'est pas très coûteux. Ensuite, il y a la fiscalité des carburants. Je pense que des comités vont travailler sur le sujet.

En conclusion, je dirais que pour le GPL, la visibilité du système doit être maintenue au travers du bonus-malus, et qu'il sorte du seul critère d'émissions de CO2. Il faut prendre en compte le système des hybrides, la parole publique, et puis stabiliser peut-être dans le temps le différentiel entre la TIPP (Taxe intérieure sur les produits pétroliers), la TICPE (Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques) du GPL et celle de l'essence et du gasoil.

M. Charles Raux, directeur du Laboratoire d'économie des transports (LET, CNRS, Université de Lyon-ENTPE). - Un commentaire sur les incitations. On a beaucoup parlé de poule et d'oeuf. Je voudrais donner deux exemples qui ont marché à l'étranger. Ils sont plus de l'ordre de l'incitation et de l'aiguillon. Ce sont des péages urbains à forte visée environnementale.

Le premier exemple concerne le péage de Stockholm, un péage de cordon qui fonctionne depuis 2006 sur le centre de Stockholm dans une zone de 30 km². Le prix du péage varie de 1 à 3 euros aux heures de pointe, mais il y a une exemption des véhicules dits propres, c'est-à-dire les véhicules agro-carburants FlexFuel et hybrides. Les effets se traduisent par de multiples dividendes : 10 à 15 % de baisse de circulation à l'intérieur du cordon ; baisse de 10 à 14 % des émissions polluantes (2-3 % à l'échelle de la métropole d'environ 2 millions d'habitants) ; baisse de 30 à 50 % du temps perdu en embouteillage ; hausse de 3 à 6 % de la fréquentation des bus.

L'effet se mesure aussi en nombre de passages de véhicules propres (véhicules agro-carburant FlexFuel et hybrides), avec une augmentation des passages de 2 % en 2006 à 14 % en 2008. Les analystes suédois ont fait une analyse économique assez poussée, puisqu'ils ont mesuré le taux d'exemption au péage, la détaxe du carburant au niveau national et le parking résidentiel gratuit. Ils ont montré que le premier effet, c'était l'exemption du péage pour les véhicules propres.

Le deuxième exemple, c'est le péage de Milan, sur une petite zone de 8 km², la zone historique autour de la cathédrale de Milan. Même dans les pays latins, on peut mettre un péage environnemental. Depuis 2008, le tarif varie en fonction de la classe Euro du véhicule. Le péage est gratuit pour les véhicules essence Euro 2000, diesel Euro 2005, les hybrides et GPL. Pour les autres, vous paierez de 2 à 10 euros selon classe du véhicule. Vous avez le droit de circuler dans un véhicule très polluant, mais vous devrez payer 10 euros pour entrer.

En conséquence, on a constaté une très forte évolution du parc automobile : après 9 mois, une baisse de 14 % du nombre de véhicules entrants, une forte réduction des véhicules taxés (- 19 400), une augmentation des véhicules exemptés (+ 2 900), sur un total de 68 500 véhicules. Les émissions de polluants ont baissé de 15 à 23 %. Récemment, le péage a été modifié et simplifié, parce que les objectifs avaient été atteints. Il n'y avait plus que des véhicules dits propres qui circulaient, et la circulation automobile avait remonté. Par conséquent un péage à 5 euros a été maintenu pour les véhicules dits propres, et les véhicules les plus polluants sont interdits.

On peut donc avoir un effet incitatif très fort à partir de ce type d'instrument. En effet, tous ces ménages qui ont changé de véhicules, les utilisent aussi pour d'autres mobilités, d'autres destinations que celle de la zone à péage.

M. Clément Chandon. - Ce dernier exemple est intéressant. Pour ceux qui connaissent le marché italien, cela s'est passé dans une période incroyablement déprimée. Les gens ont acheté des voitures neuves alors que personne n'en achetait.

C. L'adaptation de l'offre aux besoins

M. Georges Amar, sociologue. - Je m'occupe de prospective en matière de mobilité. En quelques mots, la prospective telle que je la pratique ne consiste pas seulement à s'intéresser aux évolutions probables, mais plutôt à s'intéresser aux ruptures conceptuelles invisibles. On pourrait dire aussi que la prospective s'intéresse au continuum de l'innovation, du plus connu au moins connu et au plus inconnu, et c'est le plus inconnu qui est le plus intéressant. C'est là où il faut creuser pour trouver des solutions vraiment nouvelles pour demain.

Sur la question de l'automobile, la première rupture conceptuelle, qui a émergé dans notre discussion cet après-midi, c'est que l'automobile elle-même n'est pas un objet suffisant de réflexion. On doit l'élargir à la question du logement, des territoires et des villes. Pour s'intéresser au futur de l'automobile, il ne faut pas s'arrêter à l'objet de l'automobile. Dans ma réflexion prospectiviste, le bon objet de réflexion est « l'auto-mobilité ». Ce petit jeu de mot interroge la fonction de l'automobile. À quoi ça sert ? Il faut replonger l'automobile dans une fonction de mobilité, entendue précisément comme phénomène social, économique, comportemental, civilisationnel.

Je vais vous proposer une petite grille temporelle de l'automobile, à travers une gradation de trois stades d'évolution, trois niveaux d'innovation, qui eux-mêmes renvoient à trois concepts de l'automobile. On croit que l'automobile est un imaginaire alors qu'il est en train de changer.

Le premier stade considère l'automobile comme un outil de transport. C'est une définition standard si je puis dire. Le transport, c'est aller d'un point A à un point B le mieux possible, c'est-à-dire vite, bien, pas cher, en sécurité. Le premier niveau d'innovation est donc l'optimisation de l'automobile comme outil de transport. On peut l'optimiser de plusieurs façons : plus rapide, moins cher, moins polluant. Cette gamme d'innovation est aujourd'hui extrêmement large, mais elle consiste à faire la même chose, en mieux, c'est-à-dire se déplacer efficacement.

Le deuxième stade considère l'automobile comme un outil de mobilité intelligente. On est passé du concept de transport au concept de mobilité. Et l'on a rajouté la mobilité intelligente. La façon la plus évidente de l'interpréter, ou la plus matérielle, c'est de bourrer l'automobile d'électronique, d'intelligence à bord. Cette intelligence modifie en profondeur les finalités de l'auto-mobilité. Elle ouvre ce champ énorme du partage, du covoiturage, etc. Ces dimensions d'usages partagés, collectifs ou semi-collectifs, changent profondément le concept d'automobile. En particulier, elles transgressent la frontière traditionnelle entre transport public et transport individuel. On entre dans le TPI, le transport public individuel. C'est cela qu'ouvre la mobilité intelligente.

Par rapport à nos débats, on a vu que les freins au déploiement de la voiture électrique par exemple étaient moindres ou qu'ils avaient disparu. Pour un prospectiviste, la voiture électrique, c'est déjà fait, même s'il y a beaucoup de problèmes. La question n'est donc pas de favoriser la voiture électrique, c'est plutôt de savoir comment elle va aider à transformer la mobilité.

Le troisième stade vise à replacer l'automobile dans le monde de la vie mobile. L'automobile n'est plus cet outil de la mobilité, pour aller quelque part de manière intelligente, mais elle doit passer au stade supérieur de la vie mobile. En vérité, nous sommes déjà dans la société de la vie mobile, où la mobilité transforme toutes les choses de la vie. Le travail devient travail mobile, la mobilité transformant complètement la nature même du travail, mais aussi l'enseignement et l'éducation, la distraction et la culture, etc., toutes les choses de la vie deviennent mobiles, ou du moins sont réinterprétées et transformées par la mobilité.

Que signifie l'automobile dans le monde de la vie mobile ? Tout cela ne date pas d'aujourd'hui. Renault avait déjà anticipé il y a quelques années en inventant la voiture à vivre, bien que cela restait encore assez marginal. Aujourd'hui, non seulement la voiture, mais tout l'ensemble des systèmes de mobilité, deviennent des ingrédients de la vie mobile. Cela change complètement les critères de performance. On ne se demandera plus seulement comment aller efficacement d'un point à un autre, mais également comment cela va transformer sa santé, son travail, sa relation à autrui, sa relation à l'environnement. Le terme de vie mobile recode en profondeur la voiture, il la réinterprète.

Qu'est-ce que la voiture électrique apporte à la vie mobile ? Cette question est très importante en termes de valeur. Pour répondre à la question de la poule et de l'oeuf, il faudra imaginer une voiture à valeur ajoutée si je puis dire. Je prends toujours l'exemple de l'iPhone. Sa valeur n'est pas dans le fait qu'il permet ou non de téléphoner efficacement. D'ailleurs c'est ça qui fait la valeur d'Apple. De la même manière, comment la voiture va-t-elle créer de la valeur, non pas pour aller d'un point à un autre, mais d'autres valeurs ? Cela va transformer le travail, l'amour, le sommeil, la relaxation. Qu'est-ce qu'une voiture qui nous relaxe ? Vous voyez, ce sont aussi des valeurs potentiellement économiques. La voiture à valeur ajoutée, c'est le cadre conceptuel nouveau, parce que précisément on entre dans un état de la société économique et sociale qui est la vie mobile, le territoire mobile.

Le quatrième stade est très prospectif. Il considère la mobilité comme une sorte d'art. Mieux qu'un mode de vie, il considère la mobilité comme un des beaux-arts. Une mobilité élégante, avec économie de moyens, comme un danseur. Que sera une mobilité économe de ses moyens ? Que serait une mobilité expressive, élégante, belle ? Après tout, la voiture l'a connue. C'était un objet de beauté, enfin qui exprime quelque chose. L'automobile, la mobilité en général, retrouvera des valeurs d'expressivité. C'est peut-être le stade suprême, mais il faut commencer à y penser.

En cela, la voiture électrique est intéressante. Elle est silencieuse. On n'en parle pas beaucoup. Qu'est-ce que le silence ? Quel est le rapport au son ? Quelle est la sensorialité de l'automobile ? Il faudra intégrer toutes ces valeurs. Car pour avoir un modèle économique, il faut voir les valeurs ajoutées. Sinon on retombe dans la question de la poule et de l'oeuf, ce qui signifie que vous n'avez pas trouvé de valeur ajoutée, que vous n'avez pas clairement détecté des valeurs ajoutées qui seront valorisables. Si vous vendez une voiture pour autre chose que de la mobilité, alors là vous allez pouvoir changer de modèle économique.

Cette grille conceptuelle n'est pas très détaillée, mais je pense qu'on aura intérêt à resituer les raisonnements, y compris très techniques, dans un cadre conceptuel où l'on commence à voir l'évolution générale de l'innovation en matière automobile.

M. Laurent Schmitt, vice-président Stratégie et Innovation, Alstom Grid, membre de Systematic (pôle de compétitivité). - Chez Alstom, on utilise déjà des véhicules électriques dans nos flottes. En tant qu'utilisateur de la Renault Fluence, je confirme que la Fluence marche mieux que l'Opel Ampera au vu des commentaires qui ont été faits. J'ai fait 33 000 kilomètres en treize mois et le véhicule marche très bien.

De notre point de vue, il faut faire évoluer l'offre à trois échelles différentes. Première échelle, être capable d'informer l'utilisateur du véhicule des bornes disponibles en temps réel. Il ne suffit pas d'installer une borne et d'être capable de la connecter au véhicule, il faut aussi savoir si la place de parking n'est pas occupée par un véhicule thermique, ce qui est le cas dans 50 % des parkings parisiens. Il faut aussi savoir si finalement la borne fonctionne. À ce propos, j'ai rencontré des cas où je pensais qu'il y avait des bornes, mais en réalité, trois véhicules étaient déjà connectés. Cette situation est très angoissante pour un conducteur de véhicule électrique. Il y a donc une offre à développer autour de l'infrastructure de charge qui est la connectivité temps réel avec le conducteur du véhicule. Une borne de charge n'est pas un objet tout seul dans un parking, il a aussi besoin de parler avec le conducteur du véhicule.

Deuxième échelle, il y a des parkings qui sont plus importants que d'autres. Alstom fourni notamment des démonstrateurs d'éco-quartier, avec des tramways. On pense que les parkings autour des infrastructures de métro, de tramway et de train à grande vitesse, sont des infrastructures particulièrement intéressantes pour utiliser de l'éco-partage et pour aller dans des concepts d'intermodalité. C'est par exemple dommage de ne toujours pas trouver de borne de charge aux aéroports de Paris. Il faut prioriser nos investissements de ce point de vue-là. On a vraiment l'impression en tant qu'usager que cette priorisation n'a pas eu lieu.

La troisième échelle est plus prospective. C'est l'interaction du réseau intelligent avec le véhicule électrique. Ce sujet est éminemment important, puisqu'il faut que l'électricité qui est consommée par le véhicule soit d'origine écologique, sans quoi on n'est pas efficace. Et comme chacun le sait, dans le réseau électrique, l'origine de l'électricité écologique varie en temps réel toutes les minutes. Il faut donc une interconnectivité intelligente entre le véhicule, la manière dont il charge et le réseau. Cela nous semble un critère important, sinon on va surinvestir dans le réseau, surinvestir dans des capacités de production, et on aura une mobilité de bout en bout qui n'est pas écologique.

Le dernier point qui me semble important, c'est le surinvestissement dans l'infrastructure de réseau. J'insiste sur le fait que la Zoé en charge semi-rapide, c'est 20 kW, c'est-à-dire la capacité du bâtiment dans son ensemble. On va donc avoir rapidement des problèmes dans les réseaux électriques. Au-delà des travaux qui ont été faits sur les infrastructures de charge, il faut absolument travailler sur les aspects propres à la connectivité avec le réseau.

M. Bernard Darniche. - Je veux simplement ajouter qu'on n'a pas de problème avec une Opel Ampera, et l'on s'éloigne à la distance que l'on veut, au moment où l'on veut le faire.

M. Laurent Schmitt. - En émettant un peu de CO2.

M. Frédéric Storck, directeur gestion de l'énergie, Compagnie nationale du Rhône. - Concernant l'électricité qui permet la recharge des véhicules électriques ou hybrides, aujourd'hui, il est impossible pour tout un chacun de savoir quelle est la nature de l'électricité qu'il consomme. Un moyen simple de le faire, ce serait de pouvoir choisir son fournisseur, librement, comme on l'exerce pour son domicile ou sa résidence secondaire. Ce système n'existe pas pour la simple raison que la mobilité est le seul objet qui ne fait pas partie de l'univers de l'électricité.

Nous proposons des évolutions réglementaires assez simples, qui permettraient à tout un chacun d'exercer ce droit, quel que soit l'endroit où il recharge son véhicule. Cela passe par la mise en place de petits compteurs tout simples qui ne coûtent pas très cher, soit dans les véhicules, soit dans l'infrastructure de recharge, et par le développement d'un système d'itinérance électrique, comme il en existe un pour le téléphone mobile. Aujourd'hui, de manière tout à fait transparente pour les utilisateurs, on est en relation permanente avec son unique fournisseur, quel que soit le pays où l'on passe son appel. Cela permettrait, de manière tout à fait transparente, de s'assurer de l'origine de l'énergie qu'on consomme, car cela peut être un choix délibéré de consommer de l'énergie renouvelable.

On milite pour que ces évolutions réglementaires puissent se faire. Elles ont déjà été évoquées dans le cadre du livre vert sur les infrastructures de recharge. Ce n'est pas un point prioritaire, mais d'autres pays le mettent en place. On pense qu'il faut le faire rapidement.

M. Chris Orion, chef de projet, Bosch Automative Service Solutions. - Les bornes, chez l'ensemble des fabricants, sont évolutives, communicantes, avec modem intégré. On peut les repérer, elles sont géo-localisables, et on peut même réserver depuis son Smartphone. Il y a beaucoup d'applications gratuites pour mettre en ligne où trouver des bornes. Là aussi, je crois que le maillage est en train de se mettre en place. Enfin, je dirai qu'il y a quelques années, quand on réservait un hôtel, on demandait le Wifi, et alors on nous expliquait que c'était payant, selon un système compliqué. Aujourd'hui on ne pose plus la question. Il y a du Wifi, c'est gratuit et illimité. Je pense que dans quelques années, on téléphonera à l'hôtel pour savoir s'il y a une borne de recharge, et puis cela deviendra obligatoire. J'espère que le maillage sera parfaitement en place en France et en Europe.

M. Joseph Beretta. Pour répondre à la problématique des bornes, je vous dirai qu'il y a des actions, à travers la création du Groupement pour l'itinérance des recharges électriques de véhicules (Gireve) qui regroupe ERDF, la Caisse des dépôts et les constructeurs automobiles. Son premier travail est de recenser les bornes au niveau du territoire français, et ensuite d'aller plus loin, pour permettre, dans une phase suivante, quand la connectivité sera là, de définir si la borne est libre, et pourquoi pas à terme de la réserver. Cette démarche est donc déjà enclenchée par ce GIE.

M. Bernard Julien, ENS-Cachan. - Je voulais intervenir sur la question des besoins qu'il convient de couvrir avec les véhicules à concevoir. Une question a peu été posée cet après-midi : à qui s'adresse-t-on et comment lie-t-on cette question écologique à la question sociale ? Très clairement, on a tendance à raisonner sur les véhicules neufs et à penser les points de bascule en fonction d'un arbitrage entre les véhicules nouveaux et les véhicules diesel acquis neufs, alors qu'on sait bien que l'essentiel de l'équipement des ménages se fait en véhicules d'occasion, souvent anciens. Et si le besoin automobile a continué de se manifester, il a été couvert par les ménages en se détournant de plus en plus fréquemment de l'offre des constructeurs pour aller vers des solutions qui consistaient à faire vieillir le parc et à l'acquérir d'occasion.

Par conséquent, quand on raisonne sur les primes à l'acquisition des véhicules neufs, à énergie alternative par exemple, on s'adresse, de fait, à des clientèles acheteuses de véhicules neufs. Au fond, on subventionne les riches en espérant qu'un peu plus tard, les pauvres pourront bénéficier des technologies propres sur le marché de l'occasion. Je pense donc qu'il est d'une importance majeure de lier les questions les unes aux autres et d'offrir des solutions qui puissent être propres pour les pauvres aussi.

Mme Fabienne Keller. - On peut même dépasser les frontières nationales. Quand les véhicules sont retirés du marché, ils sont en général exportés et connaissent une deuxième vie ailleurs.

M. Bernard Julien. - D'après les statistiques, le parc automobile de plus de vingt ans était de 400 000 véhicules en 1994. En 2008, on était déjà à 1,3 million. On ne pourra pas résoudre la question écologique si la question du rajeunissement du parc n'est pas également posée. Et si les technologies alternatives génèrent des surcoûts d'acquisition, alors le problème se posera de la même manière.. Il y a là une sorte de gare de triage pour sélectionner les technologies où l'on a envisagé la trajectoire qu'il convient de reposer.

La deuxième question essentielle pour formuler le cahier des charges, c'est la question de l'emprise au sol. Elle est rarement posée. Il y a au moins deux manières de la résoudre. Premièrement, c'est la taille du véhicule. Cela a été évoqué par les offreurs qui considèrent qu'il y a aussi ce problème. Les encombrements sur le périphérique parisien ne seraient pas les mêmes si chacun roulait en Smart, et s'il y avait moins de véhicules de 2,5 tonnes manoeuvrés par des personnes seules. Cette question doit donc être posée. Deuxièmement, la question du partage se pose aussi. Quitte à poser la question de l'auto-mobilité, demandons-nous si l'on veut continuer à avoir un parc développé de manière extensive, avec une incapacité notoire à le renouveler et à en contrôler les caractéristiques. Est-ce qu'on maintient ce système, avec des véhicules en propriété gérés comme bon leur semble par des ménages ? Ou est-ce qu'on en profite pour le changer partiellement ou totalement, avec des systèmes qui soient davantage partagés ? Là encore, les technologies et leur faisabilité se posent de manière très différente selon que l'on raisonne dans un système ou dans un autre.

Je termine par la question de la gouvernance des parcs. On l'a bien vu à travers la question de la taxation du diesel ces temps-ci. Évidemment le parc est devenu ingouvernable. Pourquoi ? Parce qu'il est extrêmement hétérogène, il fait peser sur les ménages des contraintes très disparates. Selon que je puisse m'équiper de manière alternative ou non, le péage urbain m'est supportable ou insupportable. Selon que je puisse aller vers un véhicule hybride ou électrique, ou non, la taxation du diesel m'est ou non supportable. Si l'on n'a pas la faculté d'homogénéiser a minima le parc et ses usages, ou en tout cas de calibrer les solutions que l'on retient ou que l'on privilégie en fonction de ces questions, alors on aura tendance à développer des modèles qui ne seront pas politiquement soutenables. Et je crois qu'il convient de remettre en permanence sur le tapis ces trois questions : la question sociale, la question de l'emprise au sol et la question de la gouvernance des systèmes de mobilité, en particulier les parcs automobiles qu'on installera à cette occasion.

M. Claude Ricaud, Schneider Electric. - Aujourd'hui, l'offre d'équipement des recharges est disponible chez de nombreux fournisseurs. On a parlé du coût d'installation dans les copropriétés en citant des chiffres de 15 000 euros. Effectivement, c'est le cas s'il y a des travaux à faire. Mais dans beaucoup de cas, on peut installer des points de charge de véhicules électriques à des coûts très inférieurs. Chez un particulier, c'est moins de 1 000 euros la borne installée. Et le coût d'une installation dans un parking public, si vous n'avez pas de travaux de génie civil sur la voierie, peut être inférieur à 3 000 euros.

Mme Fabienne Keller. - Et le coût du renforcement ERDF, qui va le payer ?

M. Claude Ricaud. - Là je parle d'une installation d'un point de charge individuel à 3,7 kW. À ce moment-là, vous n'avez pas besoin de renforcer.

Mme Fabienne Keller. - Prenons le cas d'une copropriété qui veut faire les choses proprement. Il y a 50 places de parking. On veut faire dix places pour charger. Cela nécessite le remboursement du réseau. Qui paie ? La copropriété ou ERDF ?

M. Claude Ricaud. - Je parle déjà de l'équipement. Il est à deux niveaux. Il y a l'installation du point de charge et effectivement le renforcement du réseau. Mais le renforcement du réseau est largement lié à la façon dont on va l'utiliser. Si l'on met 20 points de charge utilisés en simultané, sans aucune gestion de la charge de ces différents véhicules, on aura un problème de renforcement. En revanche, si l'on a une gestion intelligente des charges, on va pouvoir moduler la charge en fonction de la capacité du réseau, et ainsi monter très fortement le nombre de véhicules à recharger.

C'est sûr, il y a une limite à l'élasticité. S'il y a 20 véhicules électriques sur 50 places, on passe forcément par un renforcement, peut-être pas du réseau, mais de l'installation électrique du bâtiment. Mais avant d'atteindre ce seuil, et au regard des chiffres qui sont annoncés - pour rappel, 10 % du parc électrifié à l'horizon 2020 - sur un parking de 50 places, on aura plutôt besoin de 5 places en moyenne. Il faut avoir en tête ces ordres de grandeur. On ne peut pas se permettre d'équiper au maximum des capacités électriques d'un bâtiment et adapter le réseau en conséquence. Économiquement, cela n'aurait pas de sens.

Par analogie, du Wifi dans un bâtiment vous donne en théorie 1 Mb/s, mais en pratique, si on est tous connectés, on aura 50 Kb/s. Équiper en 200 Mb/s aurait été insupportable. Donc cette gestion de l'utilisation et de la modulation de la charge est essentielle pour avoir un modèle économique tenable et éviter des investissements inutiles.

Il existe des solutions. Ce n'est pas leur coût ni certains investissements de la copropriété, et notamment du tirage de câble, qui sont les freins principaux. Il y a beaucoup de solutions, y compris pour les municipalités. Plutôt que de faire du génie civil en voierie, l'équipement d'un parking public peut être une façon de déployer plus rapidement un nombre de points sans tomber tout de suite sur une problématique de coût.

M. Frédéric Storck. - Par rapport à la gestion de la recharge, nous travaillons également, en tant que producteur d'électricité exclusivement renouvelable, sur des synergies entre énergie renouvelable et énergie électrique. On l'a vu, la voiture électrique constitue une capacité de stockage. Dans la plupart des cas, la période disponible pour la recharge est très longue par rapport à la durée de la recharge effective. Si l'on donne la visibilité aux producteurs d'énergies renouvelables, cela permet cette flexibilité générée par des parcs et des flottes de véhicules électriques, ou à terme par les véhicules des particuliers. Cela permet également de valoriser la partie fatale des énergies renouvelables de manière très intéressante.

Mme Fabienne Keller. - On a bien compris que les réseaux, le renforcement des réseaux, et la question de savoir qui va payer, étaient un vrai frein.

Quatrième table ronde : l'organisation actuelle de la filière automobile permettra-t-elle de répondre aux futures évolutions du marché ?

M. Denis Baupin, député, co-rapporteur. - Ce matin, nous avons abordé les thématiques sur les émissions de gaz à effet de serre, sur la pollution de l'air et sur les différentes sources d'énergie, et donc toutes les problématiques qui sont liées. On voit bien qu'il y a tout un pan de données techniques qu'il faut lier à la question industrielle. On a déjà commencé à l'évoquer, notamment à travers les dernières interventions sur l'évolution du parc automobile. Comment faire en sorte pour que ce que nous disons de façon prospective puisse se traduire par rapport à l'évolution de l'industrie automobile elle-même ? Quelles sont les évolutions aujourd'hui, et quels sont les freins ? Voilà les questions que nous souhaitons traiter dans cette dernière heure.

Nous avons recensé quatre questions. L'une porte sur les perspectives d'évolution de l'industrie automobile, et donc quel est l'apport de la recherche ? Une deuxième question : quelle taille faut-il atteindre pour affronter la mondialisation ? Quels partenariats en découlent ? Comment tirer parti du développement de nouveaux marchés de la mobilité dans les pays émergents ? Il y a aussi la question des structures plus petites que sont notamment les petits constructeurs et les sous-traitants, ainsi que la question des équipementiers. Ce sont des questions que nous voulons balayer pour avoir votre analyse, votre sentiment, afin que cela puisse nous éclairer sur la suite de notre travail.

Pour commencer, je pose donc la question des perspectives d'évolution de l'industrie automobile et de l'apport de la recherche. Nous venons de passer deux heures sur tous les carburants alternatifs qui doivent peser entre 2 % et 5 % du parc automobile français, en étant optimiste. Comment appréhender cette capacité à prendre en compte toutes ces évolutions dont on a parlé ? Comment faire pour inverser ce décalage entre les perspectives et la réalité ? Quelles sont les problématiques posées ?

M. Franck Cazenave, directeur marketing et innovation, Bosch France. - Bosch est le premier équipementier mondial. Nous sommes basés en Allemagne. Dans le secteur automobile, nous réalisons un chiffre d'affaires de 32 milliards d'euros en 2012. Nous traitons tous les sujets sur la chaîne de traction, qu'elle soit à essence, diesel ou au niveau de l'électrification.

Sur l'électrification, le message important, c'est que la filière automobile se prépare à des normes européennes qui ont été évoquées sur les émissions. On a parlé d'Euro 6 en 2016. Euro 7 en 2020 fixe un objectif de 95 grammes de CO2/km aux flottes des constructeurs automobiles. Si les constructeurs dépassent ce seuil, ils paieront 90 euros par gramme pour l'ensemble de la flotte immatriculée en Europe. Le challenge de toute la filière automobile est là.

Comment nous y préparons-nous ? C'est d'abord l'introduction du stop-start qui permet de couper le moteur quand on est à basse vitesse ou à l'arrêt. Cela se développe. Bosch développe des chaînes de traction électrique pour des hybrides, notamment avec PSA Peugeot Citroën l'hybridation pour les véhicules diesel 508, 3008 DS5. Nous développons aussi des moteurs électriques pour véhicules électriques, notamment le moteur électrique de la Smart qui est produite en Moselle.

Vont venir s'intercaler deux autres types de technologie. L'hybridation de faible puissance, avec une réduction de la consommation et des émissions de CO2 de 15 % environ. Et avec PSA, nous sommes partenaires pour le développement de la solution Hybridair, qui permettrait aux véhicules de consommer 2,9 litres /100 km. Voilà le panel de solutions sur lequel Bosch travaille.

Pour information, sur l'électro-mobilité nous dépensons chaque année en R&D 500 millions d'euros.

Un enjeu a été peu évoqué, et pourtant il est stratégique pour l'industrie française et européenne. On a beaucoup parlé de batteries, mais il faut savoir que les batteries lithium-ion dans les véhicules même français ne sont pas produites par des entreprises françaises ni même européennes. Renault par exemple, devait faire des batteries avec LG, une société coréenne, ou avec le joint-venture AESC qui est japonais. Les choix de Renault sont donc asiatiques, et sur les véhicules électriques de PSA, les batteries viennent aussi d'Asie. Il n'y a pas de grand mystère.

Dans un véhicule à pile à combustible, il y a aussi une batterie. Qu'il s'agisse d'un véhicule électrique ou d'un véhicule à pile à combustible, dans le futur il y aura besoin d'une batterie. L'enjeu de la filière française et européenne est donc de faire émerger des leaders européens et mondiaux sur ces technologies.

Même dans un véhicule de petite hybridation, qui va se développer dans les prochaines années, il faut une batterie, et c'est une batterie lithium-ion. C'est en ce moment la technologie qui se développe le plus, que l'on trouve dans les téléphones portables. La batterie est donc un enjeu clé en termes industriels et de filières.

En France, Saft est un acteur des batteries, mais il est de très petite taille par rapport aux acteurs japonais (Panasonic-Sanyo, NEC allié avec Nissan, Toshiba, Sony) ou aux acteurs coréens (LG et Samsung). Les Chinois arrivent aussi. Mais il y a le problème de la durabilité et de la charge à la batterie, et aujourd'hui le Japon et la Corée du Sud sont en avance.

Un deuxième enjeu porte sur la chaîne de traction électrique, c'est-à-dire les moteurs électriques, l'électronique de puissance. L'enjeu clé pour la filière française et européenne, est de développer des solutions technologiques d'avenir pour pouvoir les faire fonctionner, que ce soit dans de l'hybride ou dans un véhicule électrique. Vous en avez peut-être entendu parler, mais pour faire fonctionner les moteurs électriques, nous avons besoin d'aimants, et donc des terres rares. Or c'est la Chine qui produit 90 % des terres rares dans le monde. Donc aujourd'hui, pour avoir des aimants, vous êtes obligé de vous fournir en Chine. Vous n'avez pas beaucoup de solution d'approvisionnement.

Pour information, la filière allemande de l'automobile s'est complètement fédérée, et un seul acteur en Allemagne - un GIE - achète aujourd'hui des terres rares à la Chine pour l'ensemble des constructeurs et des équipementiers allemands. Cela donne une puissance de feu très importante à la filière automobile allemande. À ma connaissance, il n'existe pas d'entité équivalente en France. Ce qui pourrait être intéressant, ce serait de se joindre à ce GIE de façon à faire bénéficier l'industrie automobile française de cet effet de levier.

Au niveau des machines électriques, il y a donc des enjeux de matières premières et des enjeux technologiques. Dans le futur, il faudra se passer de terres rares. Les enjeux de R&D sont absolument clés. Et puis il y a la batterie, autre élément clé. Quelle que soit l'électrification, petite, faible, 100 % électrique ou pas, dans tous ces véhicules il y aura des batteries et donc nous devons construire une filière française et européenne sur ces technologies.

M. Alain Dollet, Institut des sciences de l'ingénierie et des systèmes (INSIS), CNRS. - Je signale qu'il existe, depuis 2010, à l'initiative du CNRS et du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, un réseau français R&D dédié aux batteries, le réseau RS2E dirigé par le professeur Tarascon. Ce réseau dédié au stockage électrochimique de l'énergie réunit en un même lieu les acteurs académiques, les acteurs qui font le transfert de technologie et de la recherche appliquée et les industriels. Ce réseau est divisé en trois grands centres : un centre amont piloté par le CNRS, un centre de recherche technologique et d'intégration piloté par le CEA, lequel fait intervenir l'IFPEN et l'INERIS pour toutes les questions de sécurité, et parmi les industriels, on retrouve EDF, les constructeurs automobiles Renault, PSA, etc., et notamment Saft que vous avez cité.

Vous avez raison de dire qu'on a pris du retard, notamment dans le domaine des batteries lithium-ion. Face aux pays asiatiques, on n'a pas su prendre le bon départ. Dans certains domaines, on ne pourra pas rattraper le retard qui a été pris. Mais aujourd'hui il reste beaucoup d'enjeux à résoudre. Les batteries de demain seront plus propres et elles auront des densités d'énergie plus importantes. Aujourd'hui, l'énergie nécessaire pour la fabrication d'1kWh dans une batterie est de 387 kWh, ce qui correspond à une quantité de 110 kg de CO2 émis. Dans le futur, il nous faudra des batteries plus écologiques et plus viables, car elles présentent des problèmes de durée de vie.

Il y a vraiment de grands enjeux technologiques à résoudre. Il y a les batteries du futur, les questions environnementales, avec éventuellement la substitution de certains matériaux. Vous avez parlé du problème de certaines matières premières, en particulier les terres rares, mais il n'y a pas que celles-là. Sachez qu'un réseau européen se penche également sur ces questions d'approvisionnement en matières stratégiques. C'est l'Era-Net ERA-MIN, une initiative récente pilotée par la France.

Enfin, bien sûr, nous pouvons prendre exemple sur ce qui se fait en Allemagne, mais j'insiste sur le fait qu'en France, depuis deux ou trois ans, on a mis en place le réseau RS2E qui est vraiment actif. Son grand intérêt, c'est qu'on peut passer très rapidement de la recherche amont et des idées déclinées sur le long terme à une orientation par les industriels vers les filières qui sont les plus intéressantes. À travers le partenariat que je vous ai décrit, il y a la possibilité d'aller très vite sur des solutions pertinentes, à plus ou moins long terme. Sur le long terme, cette organisation permettra d'éviter le problème que vous avez mentionné, vis-à-vis de la Corée du Sud par exemple.

M. Franck Cazenave. - Pour la filière automobile française, il y a impérativement besoin de l'apport d'autres équipementiers européens. Certaines technologies ne sont pas développées par des équipementiers français. Le 100 % d'origine France, c'est bien, mais sur certaines technologies, il faudra aussi être capable d'attirer des investissements étrangers sur notre sol, de façon à pouvoir contribuer à la compétitivité de notre industrie.

M. Denis Baupin. - Pour toutes les nouvelles personnes qui arrivent, je vais résumer le cadre où nous nous situons. Nous faisons avec Fabienne Keller un rapport sur le véhicule écologique. C'est un état des lieux, des réflexions, des prospectives, par rapport à une filière automobile en crise qui doit faire face à des problèmes économiques, environnementaux, sociaux. Nous avons déjà abordé les problématiques environnementales sur les émissions de gaz à effet de serre et sur la pollution de l'air, puis la question des différents carburants et motorisations alternatives par rapport aux véhicules thermiques. L'électrique, les agro-carburants, le gaz et l'hydrogène sont les pistes qui ont été évoquées. Cette dernière table ronde réfléchit sur l'état de la filière automobile, avec les constructeurs et leurs relations avec les équipementiers. Je vous demanderai des interventions courtes de deux minutes par intervenant.

M. Jacques Chauvet, directeur général, Mov'eo. - Je vais citer Victor Hugo : « le présent est un combat, l'avenir est une victoire. » J'espère que ce sera la philosophie de la filière automobile. Je ferai trois remarques. Est-ce que l'organisation de la filière va permettre de s'en sortir ? Première réponse : oui, parce que la création de la Plateforme de la Filière Automobile (PFA), qui s'est dotée d'un président, Michel Rollier, avec une gouvernance regroupant des organismes légitimes et compétents, va permettre de progresser en étant le « one voice » de l'automobile. La deuxième réponse est une interrogation. Les gros joueurs ne suffisent pas. Les PME, les pôles de compétitivités, les ARIA (associations régionales de l'industrie automobile), doivent également faire partie du « one voice » de la filière. Troisièmement, je crois qu'il faut dramatiquement, et je dis bien dramatiquement simplifier le nombre d'organismes qui travaillent sur l'automobile. Entre les pôles, les comités techniques, les ARIA, les instituts, les chambres de commerce, les ARD (Auto Récupération Démolition), les organisations locales régionales, franchement, il y a trop de joueurs pour que la filière soit efficace. Voilà, j'ai lancé le bouchon.

M. Denis Baupin. - Merci. C'est synthétique et revendicatif.

M. Guillaume Devauchelle, directeur recherche et développement, Groupe Valeo. - L'industrie automobile ne va pas si mal. Elle va mal en Europe, mais partout ailleurs dans le monde, il y a une croissance, et c'est une opportunité pour l'industrie française que de participer à cette croissance. Je vais donner un ordre de grandeur. En Chine, on estime qu'entre 2012 et 2022, la différence de voitures produites sera de 15 millions en plus, ce qui correspond à l'ensemble du marché européen. Il y a donc un formidable appétit de mobilité dans le monde, sauf en Europe où le marché est en légère croissance ou en stagnation. Mais c'est une chance pour nos industries, à condition que nous soyons compétitifs. Pour être compétitifs, nous devons avoir un produit qui répond aux attentes du marché, ici et sur toutes les plateformes mondiales. La recherche et l'innovation sont les deux facteurs clés de cette compétitivité. Je rejoins donc l'optimisme de Jacques Chauvet. C'est à nous de la saisir, et nous avons les armes. La France est un pays technologique, dont la culture scientifique et l'expérience sont extrêmement fortes. Beaucoup de pays nous les envient. Si l'on sait s'organiser, l'avenir peut être meilleur qu'aujourd'hui.

M. Denis Baupin. - Je vais être à mon tour provocateur. En tant que parlementaires français, nous nous posons les questions suivantes : va-t-on garder de l'emploi en France ? Comment va-t-on se déplacer en France ? Est-ce qu'il y aura de la pollution ? Il ne suffit pas de dire que les développements vont se faire à l'extérieur, que certains marchés vont être extrêmement productifs, et éventuellement commercialement positifs pour nos entreprises, pour que cela nous suffise. Nous souhaitons connaître les conséquences, concrètement, pour nos concitoyens, pour la qualité de vie, etc.

M. Guillaume Devauchelle. - Je voulais juste souligner l'opportunité que nous avons d'exporter nos technologies, ce qui est déjà le cas pour les grands équipementiers français. Aujourd'hui, leurs bureaux d'études travaillent pour ces pays, donc exportent leur savoir-faire. C'est donc une chance d'avoir cette culture technique, et il faut savoir l'exploiter.

Par exemple, nous estimons que les réglementations européennes qui fixent le taux d'émissions de CO2 à un niveau très bas sont une chance, parce que cela nous donne un avantage compétitif sur l'ensemble du monde. C'est également vrai pour des organismes tels qu'Euro NCAP, qui fixe des objectifs de sécurité encore accrus. Je rappelle qu'il y a encore 1 million de morts sur les routes, et beaucoup moins dans l'Union européenne. Là aussi, c'est une opportunité pour développer nos technologies.

M. Franck Cazenave. - À propos de l'emploi, je vous ai indiqué précédemment qu'il fallait attirer les investissements étrangers. Bosch a 8 000 salariés en France. Le système de frein régénératif de la Zoé est fait dans notre usine de Moulins. Quant aux technologies que nous développons aujourd'hui avec PSA, Hybridair ou hybride diesel, elles le sont sur notre site de Saint-Ouen, qui est le siège social, mais aussi un centre de R&D. 900 personnes y travaillent.

Des équipementiers français ont donc leur centre de production en France et ils exportent leurs technologies à l'étranger. Mais il y a aussi des groupes étrangers qui sont présents en France. L'objectif sera de continuer à être un territoire attractif pour ces équipementiers-là. Notre groupe investit sur notre territoire pour répondre aux demandeurs des constructeurs automobiles et renforcer la filière.

M. Christophe Aufrère, directeur de la stratégie des technologies, Faurecia. - Je vais revenir sur les relations entre constructeurs et équipementiers. Nous vivons aujourd'hui une époque assez formidable, les technologies bougent énormément. Nous savons que chacun dans son périmètre ne pourra pas tout maîtriser. On doit se mettre d'accord entre les constructeurs, les équipementiers, pour travailler de concert, et c'est ce qu'on fait effectivement au niveau de la Plateforme de la filière automobile. Nous avons commencé à réfléchir à certains sujets, notamment au véhicule 2 litres/100 km, et nous avons réussi à cristalliser des intérêts communs en répartissant à droite ou à gauche les efforts à faire.

Mais cela va au-delà. Par exemple, dans les instituts de recherche technologique (IRT), au niveau de la filière automobile, on a défini qui doit faire quoi pour qu'il n'y ait pas de redondance, par exemple, entre des IRT matériaux qui peuvent se chevaucher, l'IRT Jules Vernes et l'IRT M2P.

Au sujet de l'emploi, et concernant les grands équipementiers français, plus de la moitié de notre innovation est développée à partir de la France, voire les trois quarts jusqu'à 80%. Dès lors que nous avons de l'innovation, on peut aussi penser qu'on va générer des emplois, dans la R&D, mais aussi dans l'industrie.

En ce qui nous concerne, nous ne faisons que de grands modules, qui se transforment mal. C'est notre spécificité. Si on doit livrer PSA en France, on sera obligé de le faire à partir d'usines françaises. Tout cela joue. La taille des pièces est un élément important pour garder des emplois en France. Comme nous n'avons que de gros modules, cela va plutôt dans le bon sens à ce niveau-là.

M. Yves Riou, Fédération des syndicats de la construction automobile (FEDA). - Nous vous remercions de nous avoir invités. En réalité, vous avez invité l'ensemble de la filière amont et aval. Nous sommes la fédération des distributeurs grossistes en pièces de rechange. Pour faire court, nous distribuons les équipementiers ici présents. Et nous avons également des ateliers de rénovation d'organes.

Je voulais intervenir, parce qu'on parle d'emplois, de nouvelles technologies, mais demain ce seront des technologies du passé. Nous, nous travaillons sur un parc de 38 millions de véhicules. La caractéristique de nos entreprises, c'est l'indépendance. Nous sommes présents sur toutes les parties du territoire, y compris les plus reculées. Et donc, nous avons des activités de rénovation d'organes, qui sont faites avec nos amis équipementiers.

Le véhicule a une vie. On ne s'adresse pas aux mêmes personnes. Les territoires sont divers. En région parisienne, on n'a pas les mêmes besoins qu'en Lozère par exemple. Les catégories socio-professionnelles sont également diverses. Des gens qui ont plus les moyens vont acheter des véhicules plus récents, équipés de technologies modernes, qui ont un coût. Mais ce n'est pas accessible pour tous. Et tout le monde a besoin de mobilité, quel que soit l'endroit où l'on se trouve.

Nos ateliers de rénovation d'organes sont dans les process de nos équipementiers. Les pièces que nous faisons ont la qualité d'une pièce neuve. Elles sont aussi solides et durables. L'ensemble du véhicule va vieillir petit à petit. Vous allez réparer un organe, puis un autre, et à un moment il faudra mettre le véhicule en dehors du circuit. Il y a donc toute cette vie. Cette activité économique est également très importante.

Mme Fabienne Keller, sénatrice, co-rapporteure. - Pour les véhicules individuels ou plutôt pour les flottes captives, voire les véhicules lourds ?

M. Yves Riou. - Pour tout. Véhicules individuels et industriels, véhicules lourds, autobus, camions lourds, VEL...

Mme Fabienne Keller. - Pour les véhicules individuels, il y a des cas où l'on recycle des pièces ?

M. Franck Cazenave. - Bien sûr. Chez Bosch, en rechange indépendante, nous proposons, sous la marque Bosch, avec la garantie Bosch d'un an, des pièces qui ont une deuxième vie. Par exemple, nous changeons certaines pièces sur un démarreur et il repart comme s'il était neuf pour 300 000 cycles, comme celui qu'on met dans un véhicule neuf.

Mme Fabienne Keller. - Qui achète cela, les garagistes ?

M. Yves Riou. - Le garagiste.

M. Franck Cazenave. - Le garagiste, mais après, c'est le garagiste qui propose à son client, soit une pièce complètement neuve, soit une pièce qui a été restaurée, mais qui est garantie.

M. Arnaud de David-Beauregard, vice-président en charge des opérations, Fédération des industries d'équipements de véhicule (FIEV). - Je voudrais insister sur la place de notre secteur équipementier dans l'industrie automobile. En réalité, les équipementiers assurent 75 % de la valeur d'un véhicule, à la fois dans la production des composants et dans les conceptions de nombre de fonctions qui participent au véhicule. Ceci est rendu possible par un tissu industriel extrêmement important. Il se compose de grands groupes « nationaux » entre guillemets, mais aussi d'un nombre très significatif de filiales et de groupes étrangers qui contribuent à la vitalité du secteur. Le nombre d'entreprises de taille intermédiaire (ETI) est aussi extrêmement important. Et il y a aussi beaucoup de PME.

La clé du succès de ce secteur est relativement simple à décrire. Premièrement, c'est sa capacité d'innovation. Il faut reconnaître que nombre de groupes français ou de filiales de groupes étrangers en France ont des positions tout à fait éminentes et reconnues à l'international sur le plan technologique. De grands groupes français, et certains ETI, ont en réalité des positions de leaders sur le plan technologique.

La deuxième exigence, c'est la disponibilité ou le déploiement de systèmes de production et de systèmes de qualité qui sont parfaitement admis et reconnus à l'international. Ils procurent aux clients la sécurité nécessaire.

Ces deux éléments, l'innovation et les systèmes, permettent de développer, de déployer et de diversifier la clientèle, et ceci à l'international. On observe que nombre de nos équipementiers ont un socle français extrêmement important et un déploiement international qui permet notamment de rentabiliser tout le dispositif d'innovation que l'on a développé en France. Il rayonne de cette manière.

En réalité, tout ceci est extrêmement performant et repose sur une exigence de rentabilité, de compétitivité dans son ensemble. Ce qui pose une exigence vitale d'attractivité de notre socle français, et d'autre part, de clarté et de permanence de nos réglementations en France. Ce qui est important pour nos entreprises équipementières, c'est d'avoir la possibilité de se déployer, à partir d'un socle français fort, lui-même attractif, parce qu'il offre un certain nombre de garanties de compétitivité dans un environnement mondialisé.

M. Bernard Darniche, journaliste, président de l'association « Les citoyens de la route ». - Est-ce qu'on n'a pas été trop loin depuis une trentaine d'années dans la culpabilisation et dans le regard négatif que l'on porte sur l'automobile et son utilisateur ? Et l'on en subit aujourd'hui les conséquences.

M. Denis Baupin. - J'ai l'impression qu'on est tellement subventionnés...

M. Bernard Darniche. - J'aime mieux regarder Mme Keller quand je parle de politique, enfin du regard que l'on a porté depuis une trentaine d'années sur l'automobile française et la voiture, qui est devenue un instrument, non pas de plaisir, mais un instrument de mort et de pollution. Et c'est en France, parce qu'ailleurs ce n'est pas du tout le cas. Est-ce qu'aujourd'hui on n'en subit pas de plein fouet les conséquences ?

Mme Fabienne Keller. - C'est à moi que vous pouvez poser la question. J'ai deux minutes pour répondre ?

M. Bernard Darniche. - Je vous donne des chiffres. Le kilométrage moyen par individu a fortement baissé alors qu'il a augmenté partout.

Mme Fabienne Keller. - Je pense que sur ce sujet un constructeur pourrait répondre de manière précise, à partir d'analyses sociologiques. L'image de la voiture dans la société a changé. C'était l'idéal. Aujourd'hui, le transport collectif, on lui trouve beaucoup de vertu, parce qu'il pollue moins, mais il apporte des contraintes. Quand on relit ce qui s'est passé il y a cinquante ans au moment de l'arrivée de la voiture, c'était un instrument de liberté. C'est aussi devenu un instrument de danger et de pollution. Je pense que nous cheminons petit à petit vers une appréhension plus équilibrée. D'abord en maîtrisant les aspects de la sécurité, avec des politiques très volontaires, et avec un usage peut-être plus raisonné entre transport public et privé. Ensuite, les Africains ne conduisent pas comme les Allemands, lesquels ne conduisent pas comme les Italiens. La relation à la « bagnole », ce n'est pas la même dans tous les pays.

M. Bernard Darniche. - Ce n'est ni l'Italie ni les Africains, c'est l'Allemagne.

Mme Fabienne Keller. Ce n'est surtout pas le même objet suivant le sexe, l'âge, l'éducation, l'appartenance sociale, et aussi la période dans la vie. Il y a des moments où l'on en a beaucoup besoin, d'autres où c'est moins utile, d'autres où l'on a plaisir à avoir une belle « bagnole ». Et cette diversité, il faut l'accepter. C'est pourquoi dans notre rapport, nous aimerions beaucoup partir des besoins de mobilité tels qu'ils sont exprimés par la société pour voir quelles réponses on peut y apporter. Le véhicule y a toute sa place, mais ce serait bien qu'il soit moins accidentogène, moins polluant. Un véhicule lourd, très formaté, est-il la solution générale telle qu'elle l'a été depuis les années 60 ? Ce n'est pas sûr, et c'est la question que nous vous posons dans ces débats.

C'est avec un brin d'espoir que j'ai entendu que ce n'était pas désespéré pour la filière automobile française. On ressent tous profondément, et moi la première, que l'auto-partage, les véhicules plus petits, le covoiturage, signifient qu'on va acheter moins de véhicules sur le marché français. Ce sont les projections de l'ADEME.

M. Guillaume Devauchelle. - C'est une véritable chance. Le marché se segmente.

Mme Fabienne Keller. - Mais il s'agit peut-être aussi, et c'est une responsabilité française, de construire un modèle qui soit plus généralisable dans le monde, notamment dans les pays émergents. Comme vous le disiez, développer des techniques moins polluantes, des voitures moins lourdes, plus intelligentes et donc permettant d'éviter davantage les accidents, qui seraient plus utiles à l'intérêt général avant d'être mises en oeuvre dans le monde entier.

Il n'empêche, nous avons aussi le souci de l'emploi. Cette industrie est majeure en France. Je me souviens, j'avais fait un contrôle sur la taxe carbone à Copenhague. La TVA au Danemark double le prix des voitures. C'est normal, ils n'ont pas d'industrie automobile. Leur équilibre des transports est très différent du nôtre. C'est ce qui explique que de tout temps ils aient été extrêmement protecteurs de l'environnement.

M. Bernard Darniche. - Les chiffres sont ce qu'ils sont, mais enfin, la diminution du kilométrage par individu ne peut pas engendrer une augmentation du business automobile. Par rapport à l'Allemagne, un fossé se creuse.

M. Denis Baupin. - Ce que j'entends dire dans cette table ronde, c'est que moins de voitures ne signifie pas forcément moins d'emplois. La rénovation des véhicules peut créer de l'emploi.

M. Bernard Darniche. - L'âge moyen augmente sans arrêt, il ne cesse de croître. Et c'est typiquement français.

M. Denis Baupin. - C'est à cause du coût d'achat des voitures.

M. Bernard Darniche. - Non, c'est un positionnement et une fiscalité qui ne sont plus adaptés.

M. Denis Baupin. - Je veux bien qu'on compare l'économie française à celle de l'Allemagne, mais alors il faut prendre en compte ce que les ménages consacrent au loyer et à l'immobilier. La France propriétaire... Les conséquences que cela a eues pour attirer des milliards de capitaux, des dizaines, des centaines de milliards vers l'immobilier plutôt que vers l'entreprise. Ça, c'est un modèle sur lequel on peut discuter en comparaison de la France et de l'Allemagne. Dans le pouvoir d'achat des Français, il est sûr que la part qu'ils consacrent aux logements par rapport à la mobilité est très différente de celle des Allemands. Je ne suis pas certain que ce soit une question de culpabilisation de l'automobile, quelles que soient d'ailleurs les raisons pour lesquelles les constructeurs automobiles mériteraient qu'on se pose quelques questions. Mais je crois que tu partages ce point de vue, sur la capacité d'anticipation et sur les mutations nécessaires ?

M. Bernard Darniche. - Je suis plus âgé, alors j'ai suivi l'évolution plus longtemps. Franchement, notre politique de sécurité routière est certes légitime, mais elle devrait être ciblée sur les individus qui méritent d'être punis. Cette année, on va voir arriver le retrait de 15 millions de points. Cela a des conséquences sur le monde l'automobile, car cela ne favorise pas un usage serein de la voiture, ni l'envie d'avoir une voiture plaisir - envie - désir et passion.

En Allemagne, ce marché existe, et la résultante, c'est que chaque ouvrier des usines allemandes a touché 7 000 euros de primes, alors que nous fermons des usines. Il y a quand même de grosses nuances.

M. Denis Baupin. - On nous a expliqué que ce n'était pas grave. Je caricature.

M. Franck Cazenave. - Dans une vie précédente, j'ai été directeur des achats, et donc je connais assez bien le tissu des fournisseurs français, surtout des ETI. Quand même, la crise des volumes en France, et disons dans tous les pays environnants, en particulier pour les constructeurs français, génère des problèmes de volumes, et donc de moyens sous-occupés, d'emplois, et au final de trésorerie pour un grand nombre d'ETI.

La situation de Valeo, qui est un grand groupe qui fait 10 milliards d'euros de chiffre d'affaires, ou celle de Bosch, sont différentes de la réalité des ETI présentes en France. Parfois, elles n'ont qu'un seul site de production qui est basé en France. Je pense qu'en France, nous avons des ETI qui sont en train de crever. Sur la situation de la filière, le rang 1 après les constructeurs et les grands équipementiers automobiles, ça va encore, mais en dessous, en ce moment, c'est particulièrement dur. Dans l'ensemble de l'Europe, les volumes ont encore l'air de baisser, et le marché allemand a baissé cette année alors qu'il s'était maintenu les précédentes années. Cela n'augure pas de très bonnes perspectives en France et pour les ETI.

Je vais vous donner un signal d'alerte. Je sais que la Banque publique d'investissement est en cours de création. La semaine dernière j'ai rencontré Oséo qui va faire partie de la BPI. Il y a des problématiques de fond de roulement pour des entreprises, pour des ETI dans la filière automobile. Comment faire ? Est-ce qu'on les accompagne ?

M. Denis Baupin. - En effet, avec Fabienne Keller, nous avons plutôt le sentiment qu'il y a une crise. La fermeture de sites industriels et les pertes d'emplois ne sont pas le signe que tout va bien. Par ailleurs, nous avons des problèmes environnementaux de pollution de l'air, de dérèglement climatique, d'épuisement de ressources, qui sont en quantité limitée sur la planète. Ces questions se posent. Et notamment, il y a une question que nous voulons poser : est-ce qu'il y a une évolution du modèle automobile à penser, au niveau de sa taille, de sa vitesse, de son poids, de sa motorisation, des équipements de communication embarqués, etc. ?

Il y a quelques semaines, nous avons fait une série d'auditions sur les besoins de mobilité. Aujourd'hui l'audition est plutôt technique. Elle a porté sur les questions de motorisation, de pollution, et il y a celle de ce soir. Vous qui êtes des acteurs de la filière, des constructeurs, des équipementiers, etc., quelle est votre réflexion sur la capacité à prendre en compte ces évolutions dont nous avons beaucoup parlé aujourd'hui pour aller vers d'autres motorisations ? Indépendamment de la question de la taille du véhicule et de sa sobriété, il y a aussi la question de l'évolution des carburants, vers les agro-carburants, le gaz, l'électricité, etc. Est-ce que, finalement, pour un certain nombre d'équipementiers, les équipements que vous fournissez seront les mêmes quels que soient les types de motorisations ? Pour d'autres, cela implique-t-il des changements de métiers fondamentaux ? Dans ce cas, pensez-vous que ces évolutions sont gérables, et sur quelle durée ? Voilà les questions que nous nous posons sur la capacité de la filière à prendre des virages, qui nous paraissent, sinon indispensables, en tout cas à envisager sérieusement.

M. Guillaume Devauchelle. La filière s'est saisie de cette question il y a deux ans en proposant la création de l'Institut d'excellence sur les énergies décarbonées (IEED) VeDeCoM. Cela fait deux ans que nous travaillons intensément pour monter l'IEED, et donc nous sommes en phase finale, on peut l'espérer, en négociation avec le Commissariat général à l'investissement et les différentes instances pour voir naître cet institut de recherche. Cet institut se veut parmi les premiers mondiaux, avec à terme 400 personnes, dont 100 chercheurs issus de la recherche publique, 100 chercheurs propres à VeDeCoM, 100 chercheurs propres aux grands équipementiers et constructeurs et 100 chercheurs propres aux ETI. Nous créons un modèle économique sur le modèle des Fraunhofer en Allemagne pour créer un institut de recherche majeur sur ces questions. 44 sociétés y participent. Les grandes entreprises automobiles, les françaises et les autres. Je cite Continental, mais aussi des filiales de la SNCF, l'IFSTTAR (Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux), l'IFPEN, le CEA, et aussi des ETI et des PME.

Aujourd'hui, ce qui est propre au territoire français par rapport aux autres, c'est l'extraordinaire difficulté à monter des dossiers de recherche et de compétitivité. Je vous assure que dans d'autres pays, ce même type d'initiative voit le jour en quelques mois, alors qu'ici, compte tenu de la complexité des systèmes, c'est plutôt quelques années, voire une décennie.

M. Bernard Darniche. - Dans la filière automobile, il y a une catégorie d'acteurs dont on ne parle jamais, ce sont les distributeurs automobiles. Du fait qu'ils sont en bout de chaîne, ils sont en très grande difficulté et ce sont eux qui sont en train d'exploser en priorité.

M. Philippe Cholet, délégué affaires commerciales et économiques, direction des affaires publique, PSA Peugeot Citroën. - Je souhaite revenir sur plusieurs points. Le premier, c'est l'importance du marché socle national. Celui des Allemands est extrêmement important en termes de taille, de type de véhicules. En France, nous sommes très décalés par rapport à l'Allemagne. Les Japonais ont un marché socle très important, avec une capacité à faire que les acteurs internationaux soient assez peu présents. La Corée du Sud est aussi une grande nation automobile, avec cette même capacité. En France, la capacité à avoir une filière nationale extrêmement puissante dépend de la qualité de ce marché socle. Nous avons un décalage. C'est important de le savoir, et peut-être faut-il se demander pourquoi.

Le deuxième élément tout à fait fondamental, c'est la R&D. On démontre et on démontrera qu'on évolue, qu'on est capable d'évoluer, avec des équipementiers leaders dans beaucoup de technologies. On a très souvent des coups d'avance en termes de conception de véhicules, de concept de véhicules, et de technologies avec l'aide des équipementiers. C'est important. Nous sommes le premier dépositaire de brevets en France depuis plus de cinq ans, et de façon très large. Cette partie R&D, c'est quelque chose sur laquelle nous comptons beaucoup. C'est par le haut que nous nous en sortirons.

Troisièmement, sur l'aspect filière, je vais vous donner un ordre de grandeur qui montre l'importance de l'industrie automobile en France, et accessoirement de son marché socle, même si évidemment pour nous, le développement se fait à l'international, hors Europe. Nos achats en France représentent environ 10 milliards d'euros par an, c'est assez considérable. Sur un plan industriel, ce sont plus de 800 sites fournisseurs en France que PSA emmène directement dans son navire. Évidemment, chez PSA nous sommes très attentifs à la qualité de ce tissu de fournisseurs et tout ce qui peut faire qu'il soit solide, performant. Il l'est déjà, mais comment peut-on l'améliorer ?

Pour finir, je dirai que la Plateforme de la Filière Automobile (PFA) nous donne la perspective de travailler plus en commun, de l'amont jusqu'à l'aval, en tout cas l'aval au niveau industriel. C'est aussi très important pour nous.

M. Tommaso Pardi, chargé de recherche au CNRS (IDHE-ENS de Cachan). - Je vais peut-être apporter le point de vue décalé d'un chercheur. On parlait de l'emploi en France et des volumes de production en France. Nous avions constaté, en analysant l'évolution de l'industrie automobile française, que le déclin des volumes et de l'emploi était antérieur à la crise. À partir de 2004, les volumes de production en France se sont réduits de moitié dans les quatre années qui ont suivi. En 2008, on était à - 50 %.

Quelles étaient les raisons de cette diminution ? Il y a deux dynamiques. D'une part, c'est la stagnation du marché et l'augmentation de la productivité, qui fait que l'emploi va forcément diminuer si le marché ne se développe pas. D'autre part, les constructeurs français, et par conséquent les équipementiers français, avaient augmenté leurs capacités dans les pays d'Europe de l'est. Comme dans ces pays il n'y a pas eu le développement des marchés attendu, de manière presque mathématique, le volume de production s'est déplacé vers ces pays.

Deux questions se posent. L'une est politique, celle de l'architecture européenne, comment elle fonctionne et comment elle doit être régulée. Cette question dépasse d'ailleurs les acteurs automobiles et concerne davantage Bruxelles.

La deuxième question, c'est le marché. Cela a été dit, le marché chinois nous apporte une bonne nouvelle. Mais pourquoi les marchés automobiles européens devraient-ils être une fatalité ? Pourquoi vend-on mal ou peu de voitures en Europe ? Aujourd'hui, lorsqu'on regarde l'évolution du produit comme vous le disiez, il devient non seulement de plus en plus lourd, de plus en plus encombrant, de plus en plus rapide et efficace, mais aussi de plus en plus cher. Il ne faut pas se baser sur les données INSEE qui tiennent compte de l'évolution technologique. Lorsqu'on réfléchit en termes de mois de salaire nécessaires pour acheter une voiture, les voitures ne deviennent pas moins chères. Elles deviennent plutôt plus chères. Et donc le marché de l'occasion se développe énormément. Et on peut penser qu'une voiture écologique, plus légère, mais aussi moins chère, pourrait relancer le marché européen. Ce serait aussi une solution pour l'industrie française, avec sa capacité historique d'être innovante dans les véhicules moyens et petits. Il y a là peut-être une opportunité à saisir, que l'on voit peut-être à travers les modèles Dacia. La solution n'est pas forcément low cost, mais dans la façon de repenser l'architecture des modèles, leurs usages, et peut-être relancer le marché européen. Aujourd'hui il est à un niveau très bas, non seulement à cause de la crise, mais aussi à cause du prix des voitures.

M. Daniel Moulène, président de Lumeneo. - Nous faisons des petits véhicules électriques qui correspondent à des objectifs de réduction de consommation et d'encombrement. Par rapport au lancement de nouveaux véhicules, nous avons remarqué qu'en France, nous avons beaucoup d'aides pour faire des démonstrateurs, des concept-car. Il y a beaucoup de petites entreprises, et même des personnes physiques, pour faire ce genre de chose. Et puis, quand le produit arrive, à ce moment-là il n'y a plus personne. Il n'y a plus d'aides au niveau de la commercialisation par exemple, où les montants deviennent plus importants. À ce stade-là, le système français d'aide disparaît un peu.

Le deuxième point, au sujet d'une entreprise comme la nôtre, c'est que nous fabriquons nos véhicules dans une usine automobile déjà existante, chez un équipementier dont la capacité de production est trop importante par rapport à la production actuelle de ces équipements. Donc on redonne du travail à ces personnes. C'est une sorte de reconversion qui me semble efficace. En confiant à des sociétés de grande série des petites séries, que ce soit sur de nouveaux véhicules ou de nouveaux équipements, il y a un potentiel de réindustrialisation, en laissant les très grandes séries aux pays low cost.

M. Jacques Chauvet. - Il ne faut pas oublier les facteurs de rang. Le marché européen, c'est un marché de renouvellement. Ce n'est pas le marché chinois qui est un marché d'accès à l'automobile. Deuxièmement, la démographie européenne plafonne le marché européen. Troisièmement, vous l'avez dit pour la France, il y a le poids de l'immobilier. Le marché français fait 2 millions de voitures quand le marché allemand en fait 3 millions. En France, il y a un facteur de gel des avoirs dans l'immobilier qui est stérilisant. Alors la réponse n'est pas forcément dans le défaitisme. Elle est dans l'innovation et les nouveaux services. Mais il ne faut pas se tromper. En Europe, nous sommes dans un marché de renouvellement qui sera forcément moins dynamique qu'un marché d'accès à l'automobile.

M. Yves Riou. - Et j'ajoute qu'au regard de l'évolution du produit automobile, je viens de me séparer d'un véhicule d'une dizaine d'années. Il était nickel. Je l'ai revendu d'occasion à quelqu'un qui va continuer à s'en servir.

M. Jacques Chauvet. - Une voiture, ça dure quinze ans maintenant.

M. Denis Baupin. - D'un point de vue écologique, je ne vais pas m'en plaindre !

M. Yves Riou. - Et nous, pour les réparer, non plus d'ailleurs !

M. Denis Baupin. - Le modèle pose un problème. S'il faut organiser l'obsolescence rapide pour qu'il puisse fonctionner, cela veut dire que d'un point de vue écologique, ce n'est pas soutenable. Il y a une contradiction.

M. Yves Riou. - Nous avons tous nos préoccupations, qu'elles soient d'ordre politique, industriel ou commercial. Et en réalité, tout cela est à relativiser en fonction du marché et du temps. Nous ne sommes pas dans le même espace-temps. Entre le temps de l'usage, le temps de la conception et du développement... Nos collègues des centres de R&D nous ont dit que c'était formidable, mais c'est formidable pour qui ? Pour la recherche. Parce que les problèmes que nous subissons aujourd'hui sont des facteurs d'accélération de sortie par l'innovation.

Eux, ils sont déjà dans le futur. Nous, ou les constructeurs, sommes dans les ajustements et les capacités de production qui ont été évoqués. C'est le problème du présent. Et il y a aussi le parc qui est en circulation. En fait, c'est une longue chaîne qu'il ne faudrait pas prendre par un point en disant que l'espace-temps est le même pour tout le monde. Dans ce cas, on est sûr d'aller dans le mur. Si par exemple on prenait l'espace-temps qui est le nôtre et qu'on l'adaptait à celui de la R&D, on irait dans le mur.

Il faut adapter notre mode de pensée pour chacune des activités, qui génèrent en elles-mêmes de l'activité économique et de l'emploi. Le tout tend à un équilibre. Les remarques de notre ami chercheur s'inscrivent là-dedans, c'est-à-dire qu'il faut prendre en compte une multiplicité de paramètres. On ne va pas dire, d'un claquement de doigt : allez, on achète tous des voitures neuves et on résout la crise. Personne autour de la table ne pense que c'est possible.

M. Guillaume Devauchelle. - Il n'y a pas de fatalité. Je vous rappelle qu'en 2000, General Motors était mourant, Volskwagen était au chômage technique, et aujourd'hui ils sont les grands gagnants. La vraie compétitivité passe par l'offre de service. Et cette offre démarre dans la R&D, elle continue dans le service, ou dans la maintenance, dans l'upgrade des véhicules. Tout cela doit être pris en compte. Il y a un changement de rapport à l'objet, c'est clair. Cela a été rappelé, on a eu pendant des générations une voiture qui était mieux, elle allait plus vite, elle était plus lourde et elle consommait un peu plus, etc. Je pense que c'est fini. Tout le monde a tiré un trait dessus.

Il faut réfléchir sur le futur. Vous l'avez souligné, le marché va probablement se segmenter. Il va y avoir des usages urbains. C'est une chance pour la France d'être dans les premiers à expérimenter ces usages urbains, sachant que plus de 50 % de la population mondiale vit dans des mégapoles. C'est donc une opportunité de développer des technologies uniques. L'automobile était vue comme un objet isolé. De plus en plus, elle est vue comme une tranche de vie dans laquelle on doit continuer à vivre. Je fais notamment allusion aux technologies de l'information. On veut être connectés. Il suffit de voir le nombre de gens qui téléphonent et qui font leurs mails en roulant.

M. Denis Baupin. - Pas au volant, sinon je demande que ce soit off the record.

M. Guillaume Devauchelle. - Je roule à moto parce qu'on ne peut pas rouler facilement en voiture en région parisienne. Donc je remonte les files de voitures et je vois tous ceux qui font leurs mails matin et soir. Ce sont des contraintes qu'il faut prendre en compte. Il faut les transformer en avantages. Quel est l'avantage ? Une voiture qui offre plus de services n'est pas forcément plus chère. Je prends l'exemple du téléphone portable. Il a une puissance de calcul embarquée qu'on peut très bien faire utiliser par le véhicule. Ce n'est pas nécessaire de payer deux fois la puissance de calcul. Il y a beaucoup d'architectures innovantes, beaucoup d'idées - vous avez parlé de Dacia tout à l'heure -, qui permettent de surmonter ces difficultés.

Et la France est bien positionnée. Valeo est présent dans 26 pays et la France est le seul pays au monde, à ma connaissance, où il n'y a pas cette impérieuse nécessité d'avoir une solidarité de place. Cela a été dit. Si l'on vend en Corée, c'est parce qu'on a racheté des sociétés coréennes. Si l'on vend au Japon, c'est qu'on a racheté des parts de keiretsu japonais. Si l'on vend en Chine, c'est parce qu'on a des bureaux d'études locaux. Si l'on vend en Allemagne, qui est le premier pays de destination de Valeo, c'est parce que nous avons des centres de R&D majeurs et des centres de production majeurs en France. La France est le seul pays où cela ne s'impose pas. Il faut y réfléchir.

M. Tommaso Pardi. - Vous avez oublié l'Italie.

M. Guillaume Devauchelle. - Fiat a connu une renaissance. Il y a eu des hauts et des bas.

Mme Danièle Attias, professeur à l'École Centrale Paris, titulaire de la Chaire Armand Peugeot (PSA Peugeot Citroën). - Je profite de la présence des constructeurs pour poser une question. Je suis à l'École Centrale de Paris où depuis environ six mois, j'encadre un groupe d'étudiants de première année qui sont absolument passionnés par les plateformes collaboratives. Ils ont recensé, l'air de rien, environ 3 000 sites existants dans le monde aujourd'hui, où des jeunes se connectent par web et co-construisent des véhicules de toutes sortes. Pour des jeunes ingénieurs, ce n'est pas si compliqué que cela de construire un véhicule électrique. Ils savent faire. Ce qui est un peu drôle, c'est que non seulement ils construisent, mais au travers de cette mise en commun des informations et des connaissances, ils traduisent aussi des besoins de mobilité. Est-ce que les constructeurs seraient prêts aujourd'hui à intégrer, ou à aller voir ce qui se passe sur ces sites ? Il y a là une richesse incroyable en termes d'innovation.

Ce qu'ils traduisent eux, c'est un besoin de voitures modulaires ou modulables. Alors là, il y a une vraie question, très intéressante. Le matin, il leur faut une voiture à une place, en fin de journée peut-être une voiture à deux places, une voiture à quatre places le soir avec les amis, etc. À travers cette expression de besoins, c'est finalement leur perception qui se dessine sur la mobilité dans une ville, qui est aussi en train de changer. Cela pourrait être pour nous une opportunité extraordinaire. Dirigeant une chaire de recherche pour un constructeur français, je suis sans arrêt très attentive pour lui rapporter cette information. Il y a des signaux très intéressants.

Il faudra faire attention. Est-ce que les constructeurs traditionnels de voitures seront encore les constructeurs demain ? Qui demain construira les véhicules ? Aujourd'hui, le champ est ouvert. On n'est pas sur une hypothèse où l'on est convaincu que demain nos grands constructeurs seront les constructeurs. Peut-être qu'ils construiront autre chose, qu'ils offriront des services, plein d'autres choses, diverses. Et je crois qu'on est en train de redéfinir aujourd'hui les métiers de chacun, les axes de chacun, les frontières qui sont de moins en moins claires, qui deviennent plus floues. À mon avis, cette mixité, tous ces maillages, sont des chemins très intéressants pour l'innovation.

M. Yves Riou. - Concernant la situation automobile française, il y a trente ans, les constructeurs employaient 320 000 personnes. Aujourd'hui, on doit être aux alentours de 110 000/120 000 emplois, si l'on prend les deux constructeurs nationaux. Pourquoi ? Auparavant, les voitures étaient fabriquées ici et on les exportait. Aujourd'hui, la demande fait que les voitures sont fabriquées localement. Ce sont toujours nos constructeurs qui les font, mais ils sont obligés de les fabriquer localement. L'ère où l'on exportait des voitures dans le monde entier ne reviendra pas de la façon qu'on l'a connue.

Face à cela, il y a des adaptations à avoir. Et je rebondis sur ce que vous disiez, madame. Je sais qu'il y a eu un think tank également chez l'un de nos grands constructeurs français. Il prenait toutes les idées pour se mettre au diapason de toutes les nouvelles demandes. Et l'on a tous pensé à cette voiture qui fait deux places quand elle est à Paris, et puis qui en fait quatre le soir avec les copains, et qui en fait six quand on part en vacances. En termes de motricité, de tenue de route, de sécurité, ce n'est pas si évident que cela. Je pense que les gens de la R&D ne me contrediront pas.

Par contre, et c'est là où je voulais en venir, ce que vous imaginez, en termes de services, représente un gisement très important. Comment imaginer la réponse à cette demande ? Nous, les indépendants, sommes bien placés par rapport à la demande. On ne vit que par la demande des clients et par la réponse qu'on y apporte. S'il y a cette appétence pour ce type de service, comment faire pour y répondre ? On a là peut-être une piste à explorer en termes de gisement d'emplois. Cela existe déjà avec l'auto-partage, mais ce ne sont que des prémisses.

Je voulais aussi répondre à la question : Comment tirer parti du développement de nouveaux marchés de la mobilité dans les pays émergents ? Je pense que l'une des réponses est d'exporter dans le monde entier des concepts qui sont nés en France. Quelques exemples. Norauto est présent dans 22 pays. C'est un groupe familial qui est né dans le nord de la France dans les années 70. Feu Vert, qui est également un groupe familial à l'origine, exporte son concept en Espagne et dans les pays émergents. C'est du savoir-faire français, et ces gens-là tirent les pièces des équipementiers avec lesquels ils travaillent. Je sais bien qu'une fois installés dans un pays émergent, ils ne tireront pas 100% des pièces chez nous, mais une partie viendra. Il y a également l'utilisation sur place de pièces fabriquées et conçues chez nos amis équipementiers localisés en France.

M. Christophe Aufrère. - C'est la question de l'open innovation que vous posez. Demain on ne sait pas comment seront générés les nouveaux équipements et les nouveaux véhicules, mais l'open innovation est un axe très fort pour tout le monde, constructeurs et équipementiers. On y pense tous les jours. Cela se traduit par des chaires industrielles. Nous en avons une avec l'École Centrale de Nantes, une autre maintenant avec l'École Centrale de Paris, une avec Supélec. Donc on s'ouvre beaucoup sur le milieu académique, car cela nous permet de réfléchir très en amont. Nous sommes également présents dans les IRT. Nous pensons que c'est un bon vecteur, et en même temps, cela permet d'agglomérer de l'argent pour aller vers un destin commun, en évitant de payer plusieurs fois la même chose. Nous sommes également beaucoup avec les pôles. On cherche à toucher les start-up aussi (Paris Region Lab). On en reçoit régulièrement. Et je suis personnellement impliqué à la Silicon Valley.

Justement, je voulais parler un peu de la Silicon Valley. En France, on est très mal organisé pour aller chercher de la qualité à l'extérieur. Je suis allé pour la première fois à la Silicon Valley en septembre dernier. J'ai été reçu par un pavillon Allemagne. Ils sont là-bas, pas seulement pour y faire des choses, mais aussi pour vendre leur technologie à partir de l'Europe, là-bas, à des constructeurs, etc. Et tout le monde est là-bas maintenant : Hyundai, Audi, BMW, Volkswagen,... Il n'y a que les constructeurs français qui n'y sont pas. On le voit bien aussi au salon de Shanghai. Il y a un pavillon allemand qui organise tout un tas de choses et qui fait la promotion de leurs équipementiers, de leurs ETI, etc. Donc je pense qu'il y a beaucoup de travail à faire si on veut un vrai network français, qui soit un peu managé.

M. Guillaume Devauchelle. - Je vais rebondir sur ce qu'a dit Christophe Aufrère et ce que vous avez dit pour souligner l'importance du cadre de l'écosystème. Valeo a encore soumis trois projets de chaires cette année. Nous avons de plus en plus de doctorants. S'il y a de plus en plus de chaires, c'est parce qu'il y a un écosystème. En France, cela s'appelle principalement le crédit d'impôt recherche, les bourses CIFRE, et toute la fiscalité qui est attachée aux chaires. Je pense qu'il faut faire très attention à ce cadre. La France reste un grand pays de R&D automobile. Paris est une des seules villes au monde, avec Detroit, qui possède deux constructeurs sur la même ville, avec des équipementiers majeurs locaux et des filiales de bureaux d'études étrangers. Je pense que c'est très important de faire croître et embellir cet écosystème. Il n'y a aucune raison pour qu'on n'ait pas une Silicon Valley à la française. Il y a un vrai effort, un vrai cadre qui permet cet épanouissement. Ne le négligeons pas. Au contraire, il me semble que c'est le rôle du politique de créer ce cadre.

En plus, nous avons une chance, qui n'existe pas ailleurs à ma connaissance, notamment dans le cadre des pôles de compétitivité, c'est d'avoir les collectivités locales. Très souvent, elles opèrent des territoires, que ce soient des conseils régionaux, des mairies, des communautés d'agglomération. Elles permettent ainsi de faire des expériences grandeur nature sur des expériences de mobilité. C'est très important. Tout le monde est d'accord pour dire que l'objet automobile seul est en train de disparaître, et c'est l'objet automobile dans son contexte qu'il faut réinventer.

Et là, nous retrouvons encore un des champs d'activité de VeDeCoM, qui consiste à mettre tous les acteurs dans le même panier, de faire très rapidement les prototypes dont on parlait tout à l'heure, et de les expérimenter. L'expérience montre que le succès n'est pas facile à prévoir. Dans le cas de Valeo, on a présenté il y a dix-huit mois au salon de Francfort un véhicule qui se garait automatiquement depuis le Smartphone. C'était plutôt une démonstration d'ingénieur, mais je peux vous dire que c'est un buzz commercial de première grandeur. Et donc le succès n'est pas toujours prévisible, les usages ne sont pas toujours prévisibles, et il faut être capable de les essayer ensemble. C'est une force du territoire français.

M. Franck Cazenave. - Le politique joue sur le cadre réglementaire. Vous avez parlé de la voiture qui se gare toute seule sans conducteur. Mais la convention de Vienne l'interdit. Derrière un volant, il doit y avoir normalement un conducteur.

M. Guillaume Devauchelle. - Il y a une interprétation. Excusez-moi de vous interrompre. Je voudrais rappeler à tout le monde que la réglementation qui s'applique en la matière est issue de la traction hippomobile. La dernière fois que la solution s'est posée, c'est quand les chevaux rentraient tout seuls. Et c'est toujours applicable !

M. Franck Cazenave. - Effectivement, dans la convention de Vienne, il est rappelé cette particularité. Mais si nous voulons avoir un écosystème compétitif, il faut jouer la réglementation. Aujourd'hui, aux États-Unis, dans trois États il est possible d'avoir des véhicules sans conducteur en test. En Europe, quand on veut faire des tests sur route ouverte, on est obligé d'avoir des gens dans le véhicule. On n'a pas les mêmes réglementations. La voiture du futur dont nous avons parlé aujourd'hui, et qui est l'objet de votre rapport, a une contrainte réglementaire qui doit évoluer. Vous avez parlé du parking sans conducteur. Mais dans le futur, nous allons mettre des radars et des caméras dans les véhicules. Ils vont permettre par exemple de faire du freinage d'urgence. Même un piéton qui traverse de manière inopinée, on va pouvoir le détecter et freiner la voiture s'il n'y a pas d'action du conducteur. Avec ces mêmes technologies embarquées, on pourra faire un véhicule autonome.

Pourquoi la conduite autonome présente-t-elle un intérêt ? Premier enjeu, le temps de réaction de la machine est plus rapide que celle de l'être humain. C'est une réalité. De plus, avec les moyens embarqués, l'attention des moyens de détection est tout le temps la même, alors que l'attention d'un conducteur varie énormément suivant son parcours. Il y a donc un premier enjeu de sécurité routière. Si on permet à un véhicule de se conduire tout seul, que faites-vous dans le véhicule ? Le véhicule va évoluer vers quelque chose d'autre, les net services, etc. Cela a été évoqué par Georges Amar. Vous avez un temps que j'appellerai « retrouvé ».

Donc là, la contrainte réglementaire est énorme. Si nous voulons permettre aux acteurs français d'être dans cette compétition mondiale, cela signifie qu'il faudra faire évoluer le cadre réglementaire. Les États-Unis n'ont jamais adhéré à la convention de Vienne. Aujourd'hui les Américains n'ont pas cette contrainte. Nous, nous l'avons. Si nous voulons entrer dans cette compétition mondiale, nous avons besoin de faire évoluer la contrainte réglementaire. C'est du domaine de l'action publique.

M. Denis Baupin. - Je confirme que le rôle de l'Office parlementaire est d'éclairer les parlementaires sur les enjeux technologiques et scientifiques, et éventuellement, de faire des préconisations si nous pensons qu'il faut faire bouger certaines choses.

CONCLUSION

M. Denis Baupin, député, co-rapporteur. - La journée a été très longue et très riche. Nous avons eu beaucoup d'informations. Je tenais à remercier tous ceux qui sont encore là, ainsi que ceux qui ont dû partir. Toute la journée, ils nous ont apporté des éléments d'éclairage. Nous allons faire reposer tout cela. D'ici la remise du rapport, deux autres séances d'audition auront lieu, puis une séance conclusive au cours de laquelle nous vous apporterons tous les éléments que nous aurons retenus. Merci à tous.

Jeudi 21 mars 2013

. - Présidence de M. Bruno Sido, sénateur, président, et de M. Jean-Yves Le Déaut, député, vice-président

Évaluation du plan de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR) 2013-2015 : séparation-transmutation et déchets à faible activité et à vie longue (FAVL)

M. Bruno Sido, sénateur, président. - Mes collègues Jean-Yves Le Déaut, Christian Bataille et moi-même sommes heureux de vous accueillir, au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, pour cette seconde audition organisée dans le cadre de l'évaluation du plan national de gestion des matières et déchets radioactifs.

Je rappelle que la troisième édition du PNGMDR, pour la période 2013-2015, a été transmise à l'Office parlementaire en début d'année et qu'elle doit, comme le prévoit la loi du 28 juin 2006, faire l'objet d'une évaluation par le Parlement. Nous avons choisi d'organiser, dans ce cadre, deux auditions publiques, afin de faire preuve de la plus grande transparence possible sur ce sujet crucial des déchets radioactifs.

Dans le cadre de la première audition, qui a eu lieu le 28 février dernier, nous avons eu l'occasion de nous pencher, d'une part, sur le fonctionnement du groupe de travail pluraliste du PNGMDR, animé par l'Autorité de sûreté nucléaire et la Direction générale de l'énergie et du climat, et, d'autre part, sur le projet de centre de stockage des déchets de haute et moyenne activité à vie longue Cigéo, qui correspond à l'un des trois axes de recherche sur la gestion des déchets radioactifs définis par la loi du 30 décembre 1991. Christian Bataille, vice-président de notre Office et rapporteur de cette loi est parmi nous mais devra nous quitter après avoir fait un rappel sur le rapport d'évaluation du précédent PNGMDR, car il est pris par une autre audition, dans le cadre d'une nouvelle étude que l'Office lui a confiée.

Lors de cette première audition, j'ai noté avec satisfaction qu'un grand nombre des recommandations formulées par Christian Bataille et Claude Birraux, dans leur rapport d'évaluation du précédent PNGMDR, avaient été suivies d'effet.

Nous avons par ailleurs tous pu constater que, sauf exception, les représentants du groupe de travail avaient un avis plutôt positif sur le fonctionnement de celui-ci, même si des progrès restent bien entendu à réaliser. Je pense que cet échange a aussi permis à chacun de prendre conscience de l'importance de la contribution demandée, sous forme d'études techniques, aux personnels de l'Andra, d'AREVA, du CEA et d'EDF, ainsi que du caractère essentiel de la participation des associations. Les industriels apportent au PNGMDR leurs compétences techniques pointues et les associations leur compréhension citoyenne de problèmes souvent ardus sur le plan technique et scientifique, ainsi que leur crédibilité vis-à-vis du public. À cet égard, la question de la disponibilité des ressources humaines au sein des associations représente une réelle difficulté à laquelle nous n'avons, dans notre pays, pas encore trouvé de solution.

J'ai d'ores et déjà relevé au cours de ces débats plusieurs suggestions intéressantes. Je vous en livre quelques-unes dans le désordre: l'élargissement du groupe de travail à de nouveaux participants, tout en veillant à conserver son caractère opérationnel, le souhait d'une plus large publicité du plan, le rôle de relais que pourraient jouer, à cet égard, les Commissions locales d'information (CLI), l'intérêt d'une mise en cohérence avec d'autres documents, tel le rapport du Haut comité sur le cycle, la nécessité d'une publication assez rapide du décret d'application du PNGMDR, ou encore d'une meilleure information des associations sur certaines réunions techniques.

Par ailleurs, un certain nombre de problèmes sur le fond du sujet de la gestion des déchets radioactifs ont aussi été relevés à l'occasion de nos débats, par exemple sur la gestion de certaines catégories de combustibles nucléaires ou des déchets issus des démantèlements.

Enfin, je crois que l'intervention du président de l'Académie des sciences morales et politiques, M. Jean Baechler, même si elle a donné lieu à des débats quelque peu houleux, nous a aidés à nous interroger sur les conditions du dialogue démocratique entre citoyens, représentants associatifs et experts techniques ou scientifiques, ainsi que sur le rôle des élus que nous sommes. C'est une question certes un peu en marge de nos réflexions sur le PNGMDR mais qui est néanmoins vitale pour notre société, dans laquelle ce dialogue a parfois du mal à s'établir.

La deuxième table ronde de l'audition du 28 février, consacrée au projet de stockage géologique profond Cigéo, a également permis de nous éclairer sur ses modalités mais je laisserai le soin à Jean-Yves Le Déaut d'en parler, ainsi que de présenter les tables rondes d'aujourd'hui.

Avant de donner la parole à Jean-Yves Le Déaut, je rappelle ce que j'avais eu l'occasion de dire en conclusion de la précédente audition : compte tenu du temps restreint qui nous est imparti, tous les participants au groupe de travail du PNGMDR n'ont pu être invités mais nous demandons à tous ceux qui souhaiteraient exprimer leur point de vue de nous adresser leur contribution sous forme écrite.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président. - Je vais donc d'abord essayer, en quelques mots, de tirer les premiers enseignements de nos échanges sur le projet Cigéo dans le cadre de l'audition du 28 février.

Ces échanges ont, je crois, d'abord fait apparaître que le projet avançait convenablement, grâce à l'action efficace de l'Andra. Il semble aujourd'hui suffisamment avancé pour que les citoyens puissent utilement s'informer et donner leur point de vue dans le cadre du débat public qui va très prochainement débuter.

Suite aux inquiétudes exprimées par Christian Bataille et Claude Birraux, dans leur rapport d'évaluation de janvier 2011, sur les conflits apparus entre, d'une part, EDF, le CEA et AREVA, et, d'autre part, l'Andra, nous avons pu constater que le Gouvernement avait agi en mettant en place des instances de concertation. Ces instances ont permis à AREVA, au CEA et à EDF, comme ils l'avaient demandé, d'apporter une contribution significative au projet Cigéo, avec leur importante expérience industrielle.

Si la conclusion du débat public s'avère positive et sous réserve de la délivrance de l'autorisation de création dans les conditions de réversibilité prévues par la future loi, avec une bonne information des citoyens sur les conditions de cette réversibilité, le projet Cigéo pourra ensuite entrer dans sa phase de réalisation, avec le maître d'oeuvre qui aura été choisi par appel d'offre, sous le contrôle du maître d'ouvrage, c'est à dire de l'Andra, qui s'est d'ailleurs dotée à cette fin d'une assistance à maîtrise d'ouvrage solide. Le pilotage d'un projet de cette ampleur ne peut évidemment ni se déléguer, ni se partager sans mettre en péril tout le processus, et d'ailleurs la loi attribue sans ambiguïté aucune à l'Andra la responsabilité exclusive de la réalisation, puis de l'exploitation des centres d'entreposage et de stockage de déchets radioactifs.

Il revient évidemment au Gouvernement d'organiser la suite de ce processus, de façon à ce qu'il se déroule conformément au cadre défini par la loi, pour que l'ensemble des acteurs concernés continuent à coopérer, de la meilleure façon, mais sans confusion des genres, en restant chacun dans leur rôle respectif, afin de parvenir, dans l'intérêt de tous, au résultat souhaité par la population, qui est celui d'un stockage géologique présentant le meilleur niveau de sûreté.

Quant à la représentation nationale, elle aura l'occasion d'exercer ses pouvoirs de contrôle, comme elle le fait depuis plus de vingt ans, sur l'action du Gouvernement et le projet lui-même, puisqu'un rendez-vous est prévu à cette fin par la loi de 2006, d'abord avec l'Office, pour une évaluation du projet, puis avec les commissions compétentes de l'Assemblée et du Sénat, pour la loi sur la réversibilité. Je tiens à assurer que nous serons particulièrement vigilants à ce sujet et que nous n'hésiterons pas, le cas échéant, à dire ce qui nous semble insatisfaisant.

Nous avons aussi noté, à l'occasion de l'audition du 28 février, qu'un certain nombre de préoccupations ont été exprimées par les associations et les industriels. L'Andra a apporté, pour beaucoup d'entre elles, en la personne de Madame Dupuis, des réponses qui nous ont semblées plutôt convaincantes. Il reste néanmoins plusieurs points à clarifier, comme par exemple celui des déchets bitumés. Nous aurons, je pense, l'occasion de revenir sur ce dernier sujet dans le cadre de la deuxième table ronde.

Un grand journal du soir a publié plusieurs tribunes sur cette question des déchets radioactifs. Je voudrais juste revenir, en quelques mots, sur ma réponse, non publiée à ce jour, à un article récent s'étonnant du consensus - à mon sens positif - existant, en ce domaine, entre les deux grands partis de gouvernement. Cet article souligne que certains élus locaux des pays voisins refusent l'installation de centres de stockage. Il me semble qu'au contraire, nous pouvons nous féliciter qu'en France, comme en Finlande ou en Suède, nous allions, à l'horizon 2025, vers une solution à ce problème. Nous aurons, de toute façon, à le résoudre, quelle que soit notre position sur la filière nucléaire, puisqu'indépendamment des décisions à venir, les déchets radioactifs existent et devront être gérés. Si l'entreposage au pied des centrales des combustibles usés en phase de refroidissement est nécessaire, ce n'est pas une solution de long terme, comme l'a démontré l'accident de Fukushima. Notre autorité de sûreté nucléaire a clairement donné son avis, voici deux ans, sur cette question, à l'occasion d'une audition. Non seulement le stockage géologique profond n'est pas dépassé, mais il demeure la meilleure manière de prendre en compte la nécessaire protection des générations futures. Voici le résumé de ma réponse à un journaliste qui donnait une version partiale de cette question.

Notre audition de ce jour comporte deux tables rondes. La première sera consacrée à la séparation-transmutation et la deuxième aux déchets de faible activité à vie longue (FAVL). Compte tenu de la richesse des échanges lors de notre première audition, il nous a semblé essentiel de privilégier cette fois le temps consacré au débat. De ce fait, seuls Monsieur Bernard Bigot, administrateur général du CEA, au début de la première table ronde, et Madame Dupuis, au début de la deuxième, disposeront d'une vingtaine de minutes, mais pas plus, pour nous présenter le sujet traité. Les autres intervenants auront cinq minutes pour donner leur point de vue, mais pourront intervenir au moment du débat. Enfin l'ASN et la CNE parleront 10 minutes pour conclure le débat.

Je donne à présent la parole à Christian Bataille qui va rappeler les conclusions du rapport d'évaluation du précédent PNGMDR relatives à la séparation-transmutation et aux déchets FAVL.

M. Christian Bataille, député, vice-président. - Je veux en préambule me réjouir des propos tenus par Jean-Yves Le Déaut. Durant la vingtaine d'années que j'ai eu à m'occuper de ce dossier à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, nous avons travaillé de concert, majorité et opposition, selon les périodes. J'ai travaillé avec Bruno Sido, avec Jean-Yves Le Déaut, Claude Birraux, Henri Revol et avec le regretté Robert Galley. En dépit de nos sensibilités politiques différentes, sur ce sujet, nous nous sommes toujours rejoints. Au contraire de ce journaliste, je me réjouis que dans ce pays puisse exister une unité de vue sur des dossiers qui nous projettent loin dans le futur, tels ceux de la filière nucléaire, des déchets radioactifs, de la politique de défense ou internationale. Si je suis ce dossier depuis plus de vingt ans, aujourd'hui, par le jeu des circonstances, je n'aurai pas cinq minutes de plus à lui consacrer après mon intervention, puisque j'auditionne sur le sujet des gaz et huiles de schiste, tout aussi controversé que celui des déchets radioactifs.

Je vais revenir très rapidement sur le rapport d'évaluation du précédent plan que nous avons publié, avec Claude Birraux, le 19 janvier 2011, afin de rappeler nos conclusions et nos recommandations concernant les deux sujets dont nous traitons aujourd'hui : la séparation-transmutation et les déchets de faible activité à vie longue.

D'abord sur la séparation-transmutation, l'un des trois axes de recherche définis par la loi sur les déchets radioactifs de 1991 et repris par celle de 2006, je rappelle qu'elle vise à réduire le risque pour les générations futures, en éliminant directement les radio-éléments les plus nocifs. Paradoxalement, ce processus de physique nucléaire extrêmement avancé, fait partie de l'argumentaire anti-nucléaire. Certains esprits avant-gardistes annoncent une énergie nucléaire du futur sans déchets qui rendrait obsolètes les centrales nucléaires actuelles. Faut-il préciser qu'il s'agit là d'une illusion ? Toute activité industrielle, quelle qu'elle soit, ne peut faire autrement que de produire des déchets. Plus sérieusement, la transmutation doit, avant tout, être vue comme un moyen de diminuer les émissions radioactives et de chaleur des déchets les plus nocifs. Le gain se traduira par une réduction de la taille du stockage géologique profond, donc de son coût, et par une décroissance plus rapide de la radioactivité des déchets stockés. La faisabilité de la transmutation a été scientifiquement démontrée. Bien que nous n'ignorions pas toutes les difficultés pratiques que pose son industrialisation à grande échelle, nous avons, avec Claude Birraux, estimé que ces obstacles ne doivent pas conduire à une remise en cause de l'objectif de long terme de la séparation-transmutation. A fortiori cet objectif de long terme ne saurait être remis en cause par des calculs économiques à courte vue.

Aussi, avons-nous formulé plusieurs recommandations visant à garder à la transmutation toute sa place au coeur des réflexions sur le développement des réacteurs de quatrième génération. Nous avons notamment demandé que le rapport sur l'évaluation des perspectives industrielles des filières de quatrième génération, que le CEA a remis à la fin de l'année dernière au Gouvernement, présente un échelonnement des solutions possibles de transmutation, en fonction des gains attendus et des difficultés estimées et, de plus, que ces solutions de transmutation fassent une place à des conceptions industrielles innovantes de recyclage des déchets de haute activité. Nous avons également estimé que les recherches sur les réacteurs de quatrième génération devaient résolument tirer le meilleur avantage de la coopération internationale, pour mutualiser les coûts et préserver l'objectif de la transmutation. Dans la première table ronde, M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA, nous présentera ce dossier d'évaluation et nous pourrons donc vérifier si ces recommandations ont été prises en compte.

Ensuite, sur le stockage des déchets FAVL, je rappellerai d'abord que la France est l'un des premiers pays à s'être doté de centres de stockage pour ses déchets radioactifs à vie courte: dès 1969 pour les déchets faiblement et moyennement radioactifs, et en 2004 pour ceux de très faible activité. La France s'est également préoccupée très tôt, avec la loi de 1991, des déchets radioactifs à vie longue. Malheureusement, en 2009, le projet lancé par l'Andra pour trouver un site destiné au centre de stockage des déchets de faible activité à vie longue a tourné court. Après avoir auditionné les principaux intervenants, nous avons constaté que ce dossier a d'abord été traité par le Gouvernement dans la précipitation, pour recueillir les candidatures des communes, et qu'ensuite il a tergiversé pendant 8 mois pour faire un choix. Ce délai injustifiable de 8 mois a été mis à profit par des militants antinucléaires, pour obliger les élus locaux à revenir sur leur décision initiale, avec des méthodes parfois contestables. De plus, les élus concernés n'ont bénéficié d'aucun soutien de l'État, bien qu'il s'agisse d'un dossier d'importance nationale.

Après avoir, approuvé la démarche de redéfinition et de rééchelonnement engagée pour pallier les difficultés rencontrées, nous avons, là aussi, formulé plusieurs recommandations. Tout d'abord, nous avons réaffirmé que les difficultés politiques rencontrées ne devaient en aucun cas conduire à transiger sur les critères scientifiques de choix du ou des futurs sites. Ensuite, nous avons indiqué que la concertation sur le choix d'un site de stockage pour les déchets FAVL doit être menée en impliquant non seulement la ou les communes directement concernées, mais aussi les Conseils généraux, voire régionaux. Enfin, nous avons rappelé que, de toute évidence s'agissant de projets d'intérêt national, l'État doit une protection et un soutien spécifiques aux responsables des collectivités locales qui apportent leur concours à la politique nationale de gestion des déchets. La deuxième table ronde nous permettra de faire le point sur les progrès réalisés par l'Andra, depuis début 2011, dans sa démarche de mise en place d'une filière adaptée à cette catégorie de déchets radioactifs. Comme l'a indiqué Jean-Yves Le Déaut, cette table ronde doit aussi être l'occasion de clarifier les enjeux sur les déchets bitumés. Je serai, je tiens à le dire, comme mes deux collègues, particulièrement vigilant sur le fait que l'intérêt collectif, qui exige de donner la priorité à la sûreté, ne soit pas mis à mal pour de simples questions d'opportunité de court terme. Car au final, comme le prévoit la loi, et comme l'a rappelé Jean-Yves Le Déaut, c'est bien la représentation nationale qui aura le dernier mot sur le stockage géologique profond, puisque l'Office parlementaire aura à se prononcer à ce sujet et qu'un rendez-vous législatif est d'ores et déjà fixé en 2015.

M. Laurent Michel, directeur général de l'énergie et du climat. - L'Office nous a demandé de présenter le cadre législatif, réglementaire et budgétaire des deux sujets abordés aujourd'hui.

Pour la séparation-transmutation et les réacteurs de IVe génération, les fondements législatifs se trouvent dans la loi du 28 juin 2006, relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs, complétée par les décrets pris en application des plans nationaux de gestion des matières et déchets radioactifs. Dans ce cadre, il est demandé au CEA de mener et de coordonner les recherches sur la séparation-transmutation des déchets radioactifs à vie longue et les réacteurs de IVe génération, en lien avec les autres organismes de recherche. L'article 5 de la loi de programmation de juillet 2005 rappelle l'importance pour la France de la filière nucléaire, et appelait à mener des recherches sur ces systèmes de IVe génération. Il est aussi demandé au CEA de produire, en 2012, une évaluation des perspectives industrielles des filières de IVe génération. Comme indiqué lors de la précédente audition, le CEA a remis, fin 2012, ce dossier d'évaluation, élaboré avec les autres acteurs du domaine, EDF et AREVA, et intégrant des contributions du CNRS et de l'Andra. Ce document a été présenté au groupe de travail du PNGMDR et rendu public début mars à la demande du Gouvernement. Il permet de confirmer que, parmi les différentes filières de IVe génération étudiées en France et au plan international, le concept de réacteur à neutrons rapides à caloporteur sodium présente la plus grande maturité technologique pour un déploiement dans la première moitié de ce siècle, grâce notamment à divers efforts de R&D engagés, en particulier le projet de recherche et développement ASTRID.

Cela nous amène à dire quelques mots de l'aspect budgétaire. Ce projet a été lancé dans le cadre des investissements d'avenir. La loi de finances rectificative pour 2010 a attribué au CEA des moyens, actés par la convention CEA-État de septembre 2010, correspondant à ses missions sur les recherches relatives au nucléaire du futur, notamment une somme globale de 626 millions d'euros pour un projet de démonstrateur. Les investissements d'avenir financent la plus grande partie de ce programme, sachant que la subvention de fonctionnement et d'activité normale du CEA, portée par le programme 190, apporte un complément d'environ 25 millions d'euros par an. Par ailleurs, la contribution des industriels pour les travaux actuellement en cours, en particulier en nature, s'élève à environ 20 millions d'euros par an. Il s'agit donc d'un projet destiné à garder des options ouvertes, à l'avenir, pour la gestion du plutonium. Il a pour but de développer un démonstrateur industriel permettant de prouver la faisabilité industrielle du recyclage du plutonium et d'accumuler des données sur la transmutation des actinides.

Concernant les déchets de faible activité à vie longue, la loi prévoit qu'ils doivent faire l'objet d'une gestion spécifique, adaptée à leur longue durée de vie. Leur stockage définitif ne peut se faire dans les mêmes conditions que pour les déchets de très faible et faible activité à vie courte, mais, sous réserve que les conditions de sûreté soient totalement réunies, ce ne doit pas non plus être le stockage géologique profond, dont le concept est centré sur les déchets à haute et moyenne activité-vie longue. Ces déchets de faible activité à vie longue incluent, en particulier, les déchets de graphite, les déchets radifères, une partie des bitumes de Marcoule et une partie des résidus de traitement de conversion de l'uranium. Aujourd'hui, nous en sommes à un stade d'entreposage sur les sites de production. Là aussi, une perspective a été tracée par la loi de programme du 28 juin 2006, qui prévoyait une solution de stockage pour les graphites et les radifères, en vue d'une mise en service en 2013.

Comme l'a rappelé M. Christian Bataille, la recherche de sites de stockage lancée en 2008, en vue d'une mise en service en 2013, n'a pu aboutir. D'ailleurs, après le retrait, en 2009, des deux communes retenues, l'État a décidé de lever les contraintes de calendrier, de relancer un processus, et a indiqué qu'un débat public serait organisé, le moment venu. Il a été également constitué, sous l'égide du Haut comité à la transparence et à l'information sur la sûreté nucléaire, un groupe de travail pour analyser le retour d'expérience de ce processus, et disons-le, de son échec. Le rapport a été remis par le Haut comité en 2011. Il a été demandé à l'Andra, dans le cadre du décret du précédent PNGMDR, de remettre à l'État une étude sur les scénarios de gestion des déchets à faible activité-vie longue, devant contenir diverses options, dont la possibilité de séparer les déchets de graphite et les déchets radifères. Le rapport a été remis fin 2012, et également rendu public. Suite à ce rapport, la ministre, Mme Delphine Batho, donnera prochainement ses orientations à l'Andra, dans le cadre de celles définies par le nouveau PNGMDR. Ce dernier demande la poursuite des études et des recherches sur ces déchets de faible activité à vie longue. L'échéance fixée par le plan à l'Andra est de remettre d'ici fin 2015 un rapport comportant, d'une part, une analyse de faisabilité de la recherche d'un site de stockage sous couverture intacte, avec des scénarios de gestion pour les différentes catégories de déchets, et d'autre part, une analyse de faisabilité d'un projet de stockage sous couverture remaniée, avec une définition du périmètre des déchets à y stocker, ainsi qu'un calendrier de mise en oeuvre. Sur le plan budgétaire, les études et les recherches sur ces déchets sont financées, par le biais de la taxe recherche, par les producteurs de déchets, selon le principe pollueur-payeur.

M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA. - Je vais vous présenter les travaux conduits par le CEA avec l'ensemble de ses partenaires : le CNRS, les universités et l'Andra, ainsi que, sur un certain nombre d'aspects, avec EDF et AREVA. Je suis accompagné de MM. Bernard Boullis et Christophe Béhar. Ensemble, nous répondrons à vos questions.

Les travaux que nous avons menés, dans le cadre défini par la loi du 28 juin 2006, sont conduits en relation avec ceux prévus par la loi du 13 juillet 2005 fixant les orientations de la politique énergétique, sur les nouvelles générations de réacteurs nucléaires ainsi que sur les réacteurs dédiés à la transmutation des déchets pilotés par accélérateur (ADS), afin de disposer, en 2012, d'une évaluation des perspectives industrielles de ces filières. Le décret PNGMDR en précise les échéances. Nous les avons respectées, puisque nous avons remis ce dossier en temps utiles, comme cela nous avait été rappelé à deux occasions au sein de réunions du Comité à l'énergie atomique. Les enjeux, décrits en détail dans les cinq tomes aujourd'hui publiés sur le site du CEA, sont notamment de réduire, pour les déchets radioactifs de haute activité, les rayonnements et particules nocives ou létales pour les systèmes biologiques et la chaleur qui accompagne ces rayonnements.

Le cycle du combustible mis en oeuvre aujourd'hui intègre un recyclage du plutonium dans les combustibles de la filière des réacteurs à neutrons thermiques. Il est dénommé cycle fermé par abus de langage, puisqu'il comporte un entreposage des combustibles usés, avec notamment un flux annuel d'environ une dizaine de tonnes de Plutonium pour l'ensemble du parc, en une décennie cent tonnes de plutonium sont ainsi accumulées. Une première réduction de cet inventaire est effectuée par recyclage du plutonium dans les MOX, permettant une diminution de 30 % environ de ce flux. L'objectif serait d'envisager une réduction plus complète de l'inventaire de plutonium et d'actinides mineurs en mettant en oeuvre le seul système véritablement efficace: des réacteurs à neutrons rapides, dits de IVe génération. Ces réacteurs présentent l'intérêt, au-delà du multi-recyclage du plutonium, d'ouvrir une possibilité de multi-recyclage de l'uranium des combustibles usés et de valorisation des stocks d'uranium appauvri, à ce jour de 270 000 tonnes et, au rythme actuel, de 500 000 tonnes en 2040. Ils permettent d'envisager un nucléaire multiséculaire, perspective justifiant les recherches menées qui visent à un recyclage systématique des matières, uranium et plutonium, au sein d'un système permettant d'en tirer le meilleur parti.

Le programme de recherche correspondant comporte trois axes. Le premier consiste à aller aussi loin que possible dans le développement des technologies de multi-recyclage du plutonium et de l'uranium, en commençant par la séparation, et ensuite à développer la capacité à produire des combustibles utilisables dans les nouveaux réacteurs. Le deuxième, une fois cette technologie acquise, vise à mettre au point un réacteur à neutrons rapides (RNR) qui satisfasse les exigences fixées à la IVe génération, notamment en termes de sûreté. La sûreté de ces réacteurs ne saurait être inférieure à celle que nous connaissons aujourd'hui sur les réacteurs à neutrons thermiques de IIIe génération. Le troisième axe concerne l'optimisation économique qui passe par une opérabilité efficace.

Au-delà du multi-recyclage incontournable du plutonium, une optimisation est recherchée pour les actinides mineurs, notamment l'américium. La séparation-transmutation est une opération complexe qui nécessite la récupération des éléments d'intérêt. Elle met en oeuvre le recyclage en réacteur, en mode homogènes ou hétérogènes. Il s'agit soit d'une répartition homogène des actinides mineurs dans l'ensemble des combustibles, soit, au contraire, dans une fraction de ces combustibles ou dans des strates dédiées. Voilà les éléments qui ont été, de mon point de vue, validés aujourd'hui au niveau du laboratoire. Les progrès accomplis sont multiples. Nous avons développé des étapes complémentaires au procédé actuel de retraitement, permettant de récupérer les actinides mineurs, en complément de l'uranium et du plutonium, de nouvelles molécules extractantes, plus sélectives et plus résistantes au rayonnement, et des procédés mettant en oeuvre ces molécules. Trois options de séparation ont été retenues : des actinides mineurs pris un à un, avec le procédé SANEX, des actinides groupés, avec le procédé GANEX, ou, au contraire, uniquement de l'américium, avec le procédé EXAM. Tous ces concepts ont pu être testés en laboratoire, sur des combustibles usés réels, à l'échelle de plusieurs kilos, avec des technologies représentatives de ce que l'on peut imaginer pour un procédé industriel. Mais pour les procédés de fabrication des combustibles, nous en sommes plutôt actuellement à des dizaines de grammes.

D'autre part, des tests sur la faisabilité de la transmutation ont été réalisés. Une des possibilités est le « once through » ou « passage unique » : un combustible contenant des actinides mineurs est laissé en réacteur, aussi longtemps que possible. Nous n'avons constaté dans cette configuration qu'une réduction minime, assez éloignée de l'objectif, de ces actinides. Par conséquent, nous ne recommandons pas cette option. Une autre option est celle du recyclage homogène. Des travaux ont été réalisés à l'échelle d'aiguilles dans le réacteur PHENIX, avant son arrêt. C'est une solution envisageable. L'option du recyclage hétérogène n'a pas été développée de manière aussi avancée, en l'absence de réacteur à neutrons rapides avec des flux suffisants, les travaux ne peuvent, pour le moment, pas progresser de manière très significative. Enfin, des travaux ont été réalisés sur les combustibles destinés aux ADS.

Les études technico-économiques demandées ont été conduites avec l'ensemble de nos partenaires. Les critères considérés sont les suivants : les flux, l'incidence sur les installations, les conditions d'entreposage et de stockage, la radioprotection et tout ce qu'elle implique au niveau des travailleurs concernés, les aspects directement économiques, et les risques industriels associés à différentes options. La conclusion majeure, unanime je crois, est que le recyclage du curium présentant des difficultés beaucoup trop importante, ne doit pas être envisagé. L'estimation des surcoûts, avec toutes les précautions qu'il convient de prendre à ce stade de la réflexion et de l'analyse, est dans la gamme des 10 % du coût moyen actualisé.

Une différence essentielle entre les combustibles usés de type UOX et les MOX issus des REP ou des RNR, concerne l'énergie susceptible d'être extraite. Au bout de 5 ans, l'augmentation de la part des actinides mineurs dans les MOX est double de celle dans les UOX. Plus le temps de refroidissement des MOX usés est prolongé, plus la part d'américium augmente de façon significative. Pour l'éliminer, la transmutation est donc une nécessité. La transmutation de l'américium seul dans un coeur de réacteur double la puissance thermique en situation homogène et la quintuple en situation hétérogène. Ces effets thermiques doivent être pris en considération. L'un des deux bénéfices de la transmutation réside dans la réduction des émissions radioactives, mais les actinides mineurs et le plutonium étant peu mobiles dans un stockage géologique doté d'un bon confinement, ce facteur ne modifiera pas la radioactivité résiduelle à l'exutoire. La transmutation permet par ailleurs une réduction thermique significative, susceptible de réduire l'emprise du stockage géologique profond dans l'argile. Le traitement de l'ensemble des actinides mineur permettrait une réduction de la surface d'un facteur dix, celui de l'américium seul une réduction d'un facteur huit.

La conclusion nous semble assez claire. C'est la nécessité de mettre au point et de valider à l'échelle industrielle les procédés performants de séparation des actinides mineurs, qui ont été étudiés dans la période 2006-2012. Nous avons pu procéder à des expériences de séparation-transmutation mettant en évidence les orientations à retenir, même si les conclusions ne sont pas définitives. Un travail important reste à mener pour passer à une phase industrielle. Les études technico-économiques menées en partenariat avec EDF et AREVA ayant montré que le recyclage du curium conduirait à des difficultés très importantes, nous l'écartons. Le recyclage de l'américium, qui constitue de notre point de vue le seul objectif à retenir, demande encore énormément de travail pour être complètement qualifié, l'étape première étant la démonstration du multi-recyclage du plutonium.

C'est le sens du projet de réacteur à neutrons rapides, appelé ASTRID. Le choix a été fait de donner une priorité à l'effort sur ces réacteurs à neutrons rapides à caloporteur sodium, comme élément de référence au vu des données déjà accumulées et des potentialités que recèle cette technologie. Mais il ne s'agit pas d'abandonner la perspective de réacteurs à neutrons rapides refroidis au gaz, dont les études sont menées en partenariat par un consortium de pays d'Europe centrale, auquel le CEA apporte son concours. Des paramètres ont été définis concernant le démonstrateur technologique ASTRID: une puissance de 600 MW, un choix d'iso-générateur, c'est-à-dire qu'il produira autant de plutonium qu'il en aura été introduit, un objectif de représentativité industrielle sur les options de sûreté, celles-ci ayant été confortées par le choix d'un coeur particulièrement innovant que je détaillerai si nécessaire, et un dispositif d'évacuation de la puissance, donc de conversion de l'énergie, qui pour le moment n'est pas définitivement arrêté mais que nous souhaiterions particulièrement innovant avec la conversion à gaz. À ce stade, le planning d'ASTRID est entaché de très lourdes incertitudes. Dans le meilleur des cas, en mobilisant tous les moyens humains et financiers, une divergence pourrait intervenir en 2025, soit 5 ans après l'objectif initial de 2020. Nous envisageons un développement très progressif de tels réacteurs, sans l'objectif d'une compétitivité économique avec les réacteurs classiques, en considérant leur apport au fonctionnement global du parc, notamment par l'optimisation du cycle et de la gestion des combustibles usés, en particulier du plutonium. Ce travail se développe dans un cadre international, au sein du forum international Génération IV, ouvrant des perspectives de coopération active, avec la Russie en particulier, mais aussi la Chine et l'Inde, pays qui disposent de programmes comparables et sont intéressés à collaborer étroitement avec nous. Dans ce contexte, la France dispose d'atouts, en particulier dans sa maîtrise des technologies du cycle.

M. Bruno Sido.- Étant donné l'absence de Mme Monique Séné, je donne la parole pour dix minutes à M. Yannick Rousselet de Greenpeace.

M. Yannick Rousselet, Greenpeace. - Je me trouve en situation un peu difficile puisque ni France Nature Environnement, ni Monique Séné ne sont présents. Sur cette question de la transmutation, je ne vais pas essayer de concurrencer le savoir du CEA, ni ses compétences, car nous ne sommes, entre guillemets, qu'une association, et nous n'avons pas les moyens d'aller regarder ce que vous faites dans le détail. Il n'y a pas de contre-expertise réellement possible dans ce domaine. C'est une difficulté pour nous. Voilà le préambule que je souhaitais faire.

Le plus marquant dans cette notion de génération IV et de transmutation, est qu'on nous la présente souvent, à nous citoyens, comme une chose quasi acquise, quasiment établie. La voie est toute tracée. Nous le voyons régulièrement, notamment dans le groupe de travail sur Cigéo, au sein du Haut comité : nous nous sortons d'à peu près toutes les situations par la future génération IV. Il paraît difficile de comprendre la réelle cohérence de tout cela. Par exemple, vous expliquiez tout à l'heure que si nous stockions les MOX, il y aurait production d'américium 241, ce qui représenterait évidemment un problème. Je pourrais retourner le problème, en soulignant qu'extraire, comme à l'heure actuelle, le plutonium conduira, avec le temps, à un plutonium à forte teneur en américium 241. Il conviendrait de s'interroger sur la cohérence de ce système qui conduira à devoir retirer de nouveau l'américium. Ce n'est qu'un exemple. Nous comprenons mal cette volonté de retraitement d'une partie des combustibles, avec une zone tampon d'entreposage dans les piscines de La Hague, qui finalement continue d'augmenter, puisque le contrat d'EDF avec AREVA pour le retraitement est inférieur à ce qu'il extrait de ses réacteurs. Nous sommes donc face à un système ambivalent avec, d'un côté, une volonté affichée de retraitement, mais de l'autre une part non traitée augmentant en permanence, avec une particularité : comme les MOX ne sont pas retraités, leur proportion dans les piscines augmente d'une manière notoire par rapport aux UOX retraités. Cela conduit à s'interroger sur la cohérence entre ce choix affiché de retraiter le stock, d'environ 60 à 64 tonnes de plutonium, et EDF qui affirme ne pas pouvoir consommer plus de plutonium, étant arrivé au maximum de consommation de MOX dans ses réacteurs. Cela implique qu'il est impossible de retraiter d'avantage. Nous sommes dans une situation que nous percevons comme bancale, incohérente.

Il nous est dit que seule la voie du retraitement est bonne, que seule la génération IV est bonne, mais finalement, des incohérences demeurent. J'insisterais là-dessus, car si pour le public lambda ces questions sont obscures, pour ceux qui s'y intéressent, il semble très difficile de faire la part entre la vision de l'esprit, la recherche à laquelle nous ne sommes pas opposés, car il est bien clair que nous ne sommes pas opposés à la recherche fondamentale, les évolutions techniques réelles, dont vous nous avez parlé, et les choix politiques. Tout cela mis ensemble, même si vous nous dépeignez un tableau qui semble cohérent, nous apparaît vraiment très mitigé entre ces différentes options. En particulier vous parliez des différents facteurs pris en compte : si nous regardons l'évolution économique, la situation du monde, de nos finances françaises, j'ai du mal à voir où nous allons en termes de capacité sur ce type de réacteur, puisque nous connaissons déjà de vraies difficultés sur les coûts pour la génération III. Il convient de vraiment s'interroger sur ce que nous allons faire, car nos ressources financières ne sont pas un puits sans fond. De véritables choix seront nécessaires.

En ce qui concerne le choix sodium, nous sommes également un peu dubitatifs. Nous avons énormément travaillé en France sur cette filière, ce qui nous conduit à dire : c'est celle-là la bonne. Pour nous le sodium a tellement d'inconvénients qu'il nous semble délicat de continuer sur cette piste quasi-unique. Surtout si l'on présente la génération IV comme la porte de sortie à l'utilisation de l'URT, de notre stock de plutonium, etc. Finalement, nous sommes dans une espèce d'impasse où l'on nous dit : de toute façon nous n'avons pas le choix. Cela va marcher. Il faut que cela marche, parce que sinon tous nos arguments sur la séparation ne tiennent plus. Ce sont avant tout ces questions qui nous préoccupent. Elles nous paraissent obscures. Il est difficile de faire la part des choses entre ces différents critères, et nous n'arrivons pas pour le moment, tel qu'on nous présente les choses, à y croire, sur le plan technologique et économique. Je ne sais pas si le mot croire est adapté, mais en tout cas, l'on ne nous a pas encore convaincu, comme je l'ai déjà dit pour Cigéo. L'ensemble de tout cela nous semble fumeux, c'est le terme le plus entendu dans ce que l'on peut appeler les organisations critiques. Surtout, nous avons l'impression d'être emmenés dans une voie qui va coûter extrêmement cher et dont la démonstration de sûreté pour le moment ne nous semble pas du tout acquise. Les différentes expériences dans le monde sur l'utilisation du sodium ne sont pas toutes convaincantes, c'est le moins que l'on puisse dire. Je voudrais citer, par exemple, l'évènement de Monju et un certain nombre d'expériences. Nous pouvons avoir de sérieux doutes sur l'utilisation du sodium.

Je rappelle une position de principe de notre organisation, puisque je suis là pour cela : nous sommes opposés à la séparation, au retraitement tel qu'il est fait aujourd'hui. Nous considérons que cela amène beaucoup plus d'inconvénients que d'avantages. Nous sommes sur une position d'opposition au retraitement, et en tout état de cause les débouchés proposés par rapport au retraitement, ne sont pas suffisamment établis, ni suffisamment clairs. Évidemment, un jour, si tout cela fonctionne, dans une grande démonstration de sûreté et d'innocuité pour l'environnement, nous pourrons nous reposer la question de la séparation. Si nous sommes opposés au retraitement, nous ne le sommes pas à la recherche fondamentale. Une difficulté réside dans la puissance d'ASTRID : 600 MW. Nous ne sommes plus là dans la recherche, mais dans la construction d'un prototype industriel. En d'autres termes, nous avons du mal à voir la limite entre l'engagement vers une filière industrielle, qui apparaît comme une sortie d'un point de vue politique, et la pure recherche. Il est vrai que vous allez nous expliquer avoir absolument besoin de ce réacteur pour avancer. Pour le moment, je n'arrive pas à me convaincre du caractère indispensable d'une puissance de 600 MW, ni d'un refroidissement au sodium, sachant que nous avons de nombreux retours d'expériences sur cette question du sodium.

Je pense avoir résumé notre position : pas d'opposition à la recherche, mais refus du retraitement tel qu'il est pratiqué. La raison principale en est qu'il s'agit d'un processus extrêmement polluant. Nous discuterons évidemment de l'impact des usines. Mais pour nous ces procédés génèrent un volume de déchets important, en plus de ceux qui existent sous d'autres formes.

M. Thibault Labalette, directeur des programmes, Andra. - Je passe la parole à M. Jean-Michel Hoorelbeke, chargé au sein de l'Andra de piloter toutes les études de prospective sur ces possibles déchets produits par de futurs réacteurs. Il va présenter le travail effectué sur ce sujet en lien avec le CEA.

M. Jean-Michel Hoorelbeke, Andra. - Comme l'a dit M. Bernard Bigot, le CEA a demandé à l'Andra d'évaluer l'impact sur le stockage géologique, de la mise en oeuvre de plusieurs options possibles de transmutation avec des réacteurs rapides, sachant que la transmutation ne supprime pas la nécessité d'un stockage géologique profond. Comme la transmutation ne peut s'effectuer que dans de futurs réacteurs, l'Andra n'a pas étudié l'impact sur le projet Cigéo, mais sur son éventuel successeur. En effet, Cigéo est conçu pour gérer les déchets existants, et les déchets générés dans les années à venir par le parc actuel de réacteurs. Cigéo n'est donc pas impacté par la mise en oeuvre éventuelle, dans l'avenir, d'options de transmutation. Dans toutes les options étudiées avec le CEA, le plutonium est toujours supposé multi-recyclé, car il n'y aurait pas de sens à transmuter les actinides mineurs sans s'être d'abord occupé du plutonium. Nous avons comparé un scénario où seul le plutonium serait intégralement recyclé dans un futur parc de réacteurs rapides, et donc ne se trouverait pas dans les déchets de ce parc, un scénario où l'américium serait séparé et transmuté et un scénario où tous les actinides mineurs seraient transmutés. Je voudrais rappeler également que le CEA avait conclu la première phase de recherche, menée dans le cadre de la loi de 1991, par l'impossibilité en pratique de chercher à séparer et à transmuter des produits de fission, qui sont l'autre grand constituant des déchets de haute activité. Certains de ces produits de fission ont aussi une longue période radioactive, impliquant une gestion dans un stockage profond. La transmutation est un processus lent. Je crois qu'il faut plusieurs recyclages pour faire disparaître les actinides, et donc les scénarios étudiés avec le CEA comportent deux futurs parcs électronucléaires successifs qui fonctionneraient pendant environ un siècle. La transmutation des actinides mineurs ne diminue pas le volume des déchets produits, qu'il s'agisse des déchets de haute activité vitrifiés, ou de moyenne activité à vie longue. Il faudra stocker en profondeur ces deux types de déchets, avec ou sans transmutation, bien que celle-ci permette de réduire la radio-toxicité. Les réacteurs rapides produisent un volume de déchets de moyenne activité à vie longue (MAVL) plus important que les réacteurs actuels et les EPR. À notre avis, l'optimisation des volumes de ces déchets et de leur caractère plus ou moins inerte au plan chimique peuvent constituer des enjeux de R&D pour de nouvelles filières nucléaires.

Si elle ne diminue pas le volume, la transmutation diminue la chaleur dégagée par les déchets de haute activité et cette chaleur décroît plus vite dans le temps. Cela permet, comme cela a déjà été dit, une diminution de l'emprise du stockage. Cette emprise dépend également de la durée préalable d'entreposage des déchets de haute activité avant leur stockage. Si l'on entrepose des déchets de haute activité pendant 70 ans, la transmutation des actinides permettrait une réduction d'un facteur 2 à 2,5 de l'emprise souterraine de stockage des déchets à haute activité. Si l'on accepte de prolonger l'entreposage jusqu'à 120 ans, nous trouvons une possibilité de réduction plus forte. En allant au maximum des possibilités, nous atteignons un facteur 10. Cela étant, il ne faut pas oublier l'emprise des déchets MAVL, indépendante des options de transmutation, et qui peut devenir aussi importante que celle des déchets de haute activité. Au final, en densifiant au maximum le stockage et en acceptant d'augmenter la durée d'entreposage jusqu'à 120 ans, l'emprise totale de l'installation souterraine du stockage pourrait diminuer avec la transmutation jusqu'à un facteur 3 environ. Pour gérer les déchets d'un siècle supplémentaire de production électronucléaire, avec les déchets rapides il nous faudrait à peu près 15 km² - soit l'équivalent du projet Cidéo actuel - en souterrain sans transmutation et 4 à 5 km² avec transmutation. Du point de vue de la sûreté, l'impact radiologique résiduel à long terme d'un stockage résulte des produits de fission et d'activation à vie longue contenus dans les déchets à haute activité et dans les déchets MAVL. Cet impact ne provient pas des actinides, car leur mobilité en stockage est extrêmement faible. La transmutation ne peut donc pas amener de gain sur ce point, comme l'a déjà précisé M. Bernard Bigot.

M. Jean-Michel Romary, directeur de la gestion des déchets et matières nucléaires, AREVA. Sur la séparation-transmutation et sur ASTRID, les actions sont, comme cela a été dit, essentiellement portées par le CEA. Toutefois, AREVA y contribue fortement, en apportant ses compétences sur les installations du cycle, relatives à tout ce qui concerne les impacts des débits de dose liés à la gestion des actinides mineurs, en s'appuyant sur son expérience à La Hague et à Melox en particulier. AREVA y contribue également en apportant ses compétences sur les îlots nucléaires, et son expérience liée à Superphénix. À ce titre, AREVA participe à des groupes de travail pour étudier de manière technique et économique les différents scénarios pour les parcs futurs, vis-à-vis de la séparation-transmutation, mais aussi du multi-recyclage du plutonium en réacteur à neutron rapide. D'autre part, nous participons également au programme ASTRID, pour l'amélioration de la sûreté et de la performance de ce réacteur, sur la base du retour d'expérience de Superphénix, et également pour la gestion de leurs combustibles. Nous apportons nos compétences, et pour indiquer un chiffre, un peu moins de 200 ingénieurs d'AREVA sont sollicités en permanence pour ce programme ASTRID, une trentaine concernant les installations du cycle, et 150 pour la partie îlot nucléaire. Techniquement, nous en retenons l'importance de la gestion du plutonium, qui serait le premier contributeur en termes d'impact au niveau de déchets si jamais l'on ne s'en occupait pas. Nous le recyclons aujourd'hui, et il conviendra de le multi-recycler dans le futur. L'impact sur l'emprise du stockage étant très importante, il faut envisager ce multi-recyclage en parc mixte : réacteurs à eau légère et à neutrons rapides. Dans un deuxième temps, la séparation-transmutation des actinides mineurs permet de réduire la radio-toxicité des déchets ultimes à stocker, en particulier de l'américium, deuxième contributeur, à hauteur de 10 %, permettant ainsi de réduire l'emprise du stockage profond. La faisabilité, cela a été dit par M. Bernard Bigot, est dictée par celle de la technologique des installations du cycle, par rapport à la gestion des actinides mineurs.

Nous avons déjà une expérience de multi-recyclage par dilution dans un réacteur à eau légère. Ce n'est pas tout à fait ce que l'on ferait en multi-recyclage en réacteur à neutrons rapides, mais toutefois nous saurions, sur la base de notre expérience, gérer du MOX recyclé dans des réacteurs à neutrons rapides sur les installations du site, en améliorant les boites à gants de Melox par exemple. Notre compétence, nos connaissances techniques, nous permettent d'en avoir pratiquement la certitude. Nous pourrions également, vis-à-vis des installations du cycle, moyennant quelques progrès technologiques également autour de ces boites à gants pour gérer le combustible, traiter l'américium. Par contre, et cela a été dit également, le traitement du curium n'est pas du tout envisageable. En conclusion, je dirai simplement que le déploiement de la séparation et de la transmutation demande une certaine progressivité. Nous devons développer, au fil de l'eau, les technologies requises, en minimisant le risque industriel, technologique et financier. La première des choses à faire pour nous, AREVA, concerne donc la gestion de l'uranium et du plutonium en cycle fermé, en parc mixte, réacteur à eau légère, réacteur à neutrons rapides, avec effet favorable sur le stockage, qui permettra dans l'avenir de préserver la ressource naturelle. À ce titre, ASTRID est nécessaire, et son planning est important pour parvenir à un premier démarrage et disposer d'un premier retour d'expérience. Dans un second point de ma conclusion, je rappelle que la vitrification apporte déjà une bonne réponse pour le stockage des produits de fission et des actinides mineurs, une réponse de gestion durable des déchets, et cela reste l'option de référence. On peut toutefois, dans un but d'optimisation, envisager, à moyen et long terme, en s'appuyant sur le retour d'expérience que nous pourrons avoir sur le multi-recyclage du plutonium, travailler sur une gestion de l'américium. C'est en particulier envisageable pour les combustibles des réacteurs à neutrons rapides.

M. Sylvain Granger, directeur de la division combustible, EDF. - Je voudrais tout d'abord rappeler qu'EDF est le seul électricien au monde à pratiquer le recyclage à l'échelle industrielle, puisque par année, nous envoyons à La Hague 1200 tonnes de combustible usé, et nous en retraitons 1000 tonnes. Cela correspond à retraiter l'ensemble du combustible usé à uranium naturel enrichi qui sort de nos réacteurs. Les 200 tonnes restantes correspondent à des combustibles qui proviennent de matières recyclées, c'est-à-dire le plutonium, mais aussi l'uranium, extrait par le procédé de traitement des combustibles usés envoyés à La Hague. Dans ce cadre-là, dans le système industriel actuel et avec les réacteurs dont nous disposons, les combustibles recyclés une fois ne peuvent pas l'être une deuxième fois. C'est pour cela que ces 1 200 tonnes ne sont pas complètement traitées et que seules les 1 000 tonnes provenant du combustible qui n'a pas encore été recyclé sont traitées, le reste ne pouvant pas l'être. C'est là l'un des enjeux majeurs du développement des réacteurs de IVe génération, dits à spectre rapide : permettre la récupération des matières intrinsèquement recyclables de ces combustibles usés, donc uranium et plutonium, MOX et uranium de retraitement, et permettre un recyclage très intéressant.

Pour répondre à la question de Greenpeace, je voudrais préciser que si jamais les réacteurs de IVe génération ne se développaient pas, ce que nous faisons aujourd'hui présente un intérêt évident, puisque par rapport à une situation où nous n'aurions pas du tout traité ou recyclé, en fin de jeu certes il nous resterait des combustibles usés à considérer en situation de stockage, en plus des déchets radioactifs aujourd'hui considérés en référence. Mais nous aurions décru l'inventaire global des déchets radioactifs de 80 %. C'est-à-dire que par rapport à une situation où il n'y aurait pas eu de traitement-recyclage, il n'y a que 20 % de volume de déchets à considérer : les déchets radioactifs après traitement, plus une part, raisonnablement faible d'ailleurs, de combustible usé MOX et uranium de retraitement. Ce n'est pas notre scénario de référence, qui est bien sûr de n'avoir pas de combustible usé en situation de stockage, et nous soutenons le développement des réacteurs de IVe génération. Ces réacteurs de IVe génération présentent un autre avantage. En effet nous n'utilisons pas l'intégralité, loin s'en faut, de l'uranium extrait des mines. Nous en utilisons à peu près 1 % pour faire nos combustibles à l'uranium naturel enrichi. Il y a une première transmutation, celle de l'uranium 238 en plutonium, et donc l'enclenchement d'un multi-recyclage uranium-plutonium dans ces réacteurs de IVe génération, qui n'est pas possible dans les réacteurs actuels. C'est très intéressant du point de vue de l'économie de la ressource énergétique, car cela pourrait nous permettre, en utilisant les produits déjà extraits des mines et non-utilisés aujourd'hui, de disposer d'une ressource énergétique pratiquement inépuisable. Pour ces deux raisons EDF soutient clairement le développement des réacteurs de génération IV : Ils constituent un élément essentiel pour une gestion durable des ressources énergétiques, et ils sont un outil complémentaire important pour la gestion de nos déchets radioactifs.

En revanche, il y a une deuxième transmutation : celle des actinides mineurs. Les résultats de recherche montrent qu'il convient d'être extrêmement prudent. Il faut bien peser le bilan inconvénients-avantages, compte tenu de trois facteurs essentiels. Nous sommes sur des quantités extrêmement faibles, représentant environ un pour mille de l'inventaire global des déchets à considérer de toute façon en situation de stockage. Il a été clairement établi que ces radionucléides sont très bien confinés, donc qu'ils n'ont pas d'impact pratique sur la sûreté du stockage. En revanche si l'on ne les stocke pas via la vitrification, il faudra les conserver dans le cycle industriel. Cela implique de bien mesurer les contraintes industrielles et sanitaires que pourrait engendrer la présence des actinides mineurs, à la fois dans le cycle du combustible et dans nos réacteurs. Effectivement, comme cela a été rappelé par M. Bernard Bigot, ces considérations ne sont pas simples, et il faut bien les mesurer avant d'envisager un déploiement industriel de la transmutation de l'américium, comme cela a été proposé. En conclusion, EDF soutient le développement des réacteurs de IVe génération. Nous proposons d'un point de vue extrêmement pratique de concentrer les efforts de R&D sur le cycle uranium-plutonium, comme cela a d'ailleurs été proposé par le CEA, de façon à ce que nous puissions disposer en temps utile d'une filière électronucléaire performante de IVe génération.

M. Pierre-Franck Chevet, président de l'Autorité de sureté nucléaire. Je n'utiliserai pas les 10 minutes qui me sont données. Je voulais vous faire part de notre avis préliminaire sur trois points. Tout d'abord, pour la séparation-transmutation, nous n'avons pas encore formalisé l'avis définitif que nous ferons dans les prochaines semaines. Cet avis sera publié et disponible pour le débat public à venir autour de Cigéo. Il est question, en parlant de transmutation, d'optimisation de l'inventaire de stockage. Mais dans tous les cas il y a besoin de stockage. Quel que soit l'intérêt des recherches d'optimisation, sur les quantités et sur la nocivité des matières, il ne faut pas que cela nous retarde sur l'avancement du projet Cigéo, pour le court terme. Le deuxième aspect de notre avis concerne les transmutations : il y en a plusieurs, et je salue les avancées faites notamment par le CEA en matière de recherche. Ce sont des technologies validées en laboratoire, mais non encore industriellement prouvées, encore moins en termes de sûreté. Nous sommes encore loin de pouvoir avoir un jugement totalement conforté comme pour des installations beaucoup plus matures. Le troisième point est le plus important dans ce jugement préliminaire, qui n'entre pas dans le cadre d'un dossier de sûreté complet. Au plan de la sûreté et de la radioprotection, les opérations de transmutation envisagées présentent des inconvénients avérés, notamment pour le cycle, qu'il complexifie. Il s'agit non seulement de la sûreté et de la radioprotection dans les réacteurs, mais aussi pendant les transports, et dans les usines qui participent à ce schéma. Ces Inconvénients sont avérés, difficiles à apprécier à ce stade car nous ne disposons pas encore de dossier complet. Les bénéfices sont contrastés. Ils sont relativement faibles sur l'impact radiologique. Il peut y en avoir sur l'empreinte, liés à la diminution des chaleurs résiduelles, mais ils ne sont pas encore totalement convaincants à ce stade. Pour autant, il faut poursuivre ces recherches, d'ailleurs prévues par la loi. Mais notre avis définitif s'orientera autour de ces trois idées. Ce disant, je préjuge d'un avis que nous rendrons dans quelques semaines.

Sur ASTRID, nous développons trois idées. Le prototype est un réacteur de génération IV. Si nous parlons d'un prototype à l'horizon 2020, en décalage à 2025, à l'évidence ce réacteur de génération IV doit répondre aux exigences de sûreté d'un réacteur de génération III. Nous avons, notamment via Superphénix, une expérience que je connais très bien, des réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium, tel qu'ASTRID. Il existe des enjeux de sûreté particuliers sur ces réacteurs. Il nous paraît évident qu'il faut les traiter dans le cadre d'un prototype, en gardant en tête les critères actuels, les meilleurs standards de génération III. Cela suppose de fournir un travail très rigoureux et très complet. Je peux détailler un peu : la capacité à pouvoir contrôler en service, les questions de feu de sodium, peut-être dans une moindre mesure, celles de réactivité. Ce sont des enjeux absolument centraux, déjà dans le cadre d'un prototype unique. Mais s'il s'agit d'une tête de série, devant conduire à un déploiement industriel massif, à l'horizon 2040, nous ne serons peut-être plus sur des standards de sûreté de génération III. Les exigences de sûreté auront encore vraisemblablement augmenté. Il nous parait donc que le prototype réalisé dans un premier temps, doive être non-seulement de génération III, mais permette d'explorer concrètement des solutions de sûreté futures, au-delà de la génération III.

En dernier point, nous comprenons l'argumentaire présenté par le CEA sur le thème : nous avons une expérience réelle sur les réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium. Effectivement d'autres réacteurs présentent des difficultés ou des enjeux techniques compliqués, notamment par des questions de matériaux. À l'évidence, si nous étions dans un déploiement immédiat à l'échelle de temps du nucléaire, 10-15 ans, la conclusion du CEA serait valable. Mais il ne faut pas exclure que ces déploiements de génération IV soient différés un peu dans le temps. Dans ce cas, nous plaidons pour que le CEA garde un regard très attentif sur les autres technologies, et nous plaidons pour disposer d'une étude comparative des filières, notamment sur les aspects de sûreté-radioprotection. En effet dans ces différents réacteurs de génération IV, certains ont des caractéristiques intrinsèques de sûreté positives, même si nous le reconnaissons, il existe des difficultés à disposer de matériaux avancés.

Nous serons amenés à nous prononcer sur l'ensemble du dossier de sûreté en juin prochain, considérant qu'aujourd'hui ce dossier est de simple orientation de sûreté, phase amont. Par ailleurs, sur l'aspect de la comparabilité des filières, qui nous tient beaucoup à coeur, il est prévu que l'instruction technique s'achève fin 2013. Nous serons amenés à nous prononcer début 2014.

M. Maurice Leroy, vice-président de la CNE. - Je ne pense pas m'écarter beaucoup de ce que vient de dire l'ASN. S'agissant de la séparation, la CNE attire l'attention sur le fait que la France a une avance assez considérable dans ce domaine. Il faudra veiller à ne pas à arrêter les recherches et les études. En effet, s'agissant d'un réacteur pour 2040, et considérant les progrès faits sur les matériaux, la chimie, sur ce qu'il est possible de créer, nous insistons très vivement pour que la recherche reste très active dans ce domaine. Le jour venu, il pourrait exister des solutions évidemment inconnues aujourd'hui.

Je voudrais parler des ADS, en liaison avec les réacteurs à neutrons rapides, dits RNR. Nous nous sommes rendus à Mol, où nous avons écouté une délégation venue nous présenter les ADS qui constituent certainement une solution envisageable pour la transmutation des actinides. Le déploiement d'ADS ne résout pas le problème du plutonium, mais offre des dispositifs permettant de réaliser une transmutation de l'américium et, éventuellement, du curium. Associés à une séparation, en Europe tout au moins, il est nécessaire qu'il y ait à la fois des ADS et des RNR pour utiliser le plutonium. Il faut ajouter qu'un ADS n'est pas producteur d'électricité. Quand nous faisons des comparaisons, je pense que ces éléments doivent être pris en compte. En ce qui concerne les RNR, la Commission constate que le CEA, EDF et AREVA sont engagés dans le développement d'ASTRID, et recommande que cette aventure se poursuive jusqu'au bout. Tout ce qui a été fait a validé une approche scientifique et technologique, même si la validation industrielle n'est pas faite. Cette validation industrielle est extrêmement importante puisqu'elle va toucher à des problèmes de sûreté, de dimensionnement et de matériaux. Il faut donc, pour que la communauté puisse prendre une décision par rapport aux RNR, que cette aventure aille à son terme. Pour cela, il faut évidemment pouvoir à la fois séparer, prendre le plutonium, l'associer à de l'uranium appauvri, et faire recycler ce même plutonium, c'est-à-dire réalimenter le réacteur avec le plutonium sorti après retraitement du combustible. C'est un élément primordial.

En deuxième point, si un réacteur à neutrons rapides de type ASTRID est proposé, la sûreté doit être au minimum de troisième génération. Pour cela des ruptures technologiques sont nécessaires, qui permettent de gagner presque un ordre de grandeur sur la probabilité de fusion de coeur. Voilà les conditions que nous relevons. À cette occasion la Commission salue la capacité du CEA, d'EDF et d'AREVA à nous accueillir et à répondre à toutes les questions que nous pouvons poser. Nous avons retenu comme innovations, pour ASTRID, en le comparant à ses homologues dans le monde entier : un coeur à faible perte de réactivité, avec un coefficient de vide négatif, une réduction du risque de réaction sodium-eau, en recourant à des échangeurs modulaires, ou à un gaz inerte; par ailleurs ASTRID pourra bénéficier de l'inspection en service. Celle-ci a considérablement progressé au moment où Phénix a été arrêté, puis remis en service. Des avancées considérables sur l'inspection en présence d'un refroidissement sodium ont pu être réalisées, ce qui constitue une retombée très importante.

La Commission rappelle la nécessité de recycler le plutonium. De plus, ASTRID est un outil qui peut permettre la transmutation des actinides mineurs. Des expériences ont été faites avec des outils d'irradiation, en Norvège, à Petten, ou aux États-Unis. Des aiguilles ont été constituées qui contenaient de l'américium. La transmutation de cet américium a donc été démontrée. Il est nécessaire d'aller beaucoup plus loin, cela a été rappelé par l'ASN, car la manipulation de l'américium implique un cycle différent. La commission insiste sur la nécessité de déployer ces études, en prenant en compte ces différents paramètres.

Nous émettons également des recommandations concernant la recherche. La Commission ne prétend pas être inventive, simplement elle appuie ses propositions sur les éléments qui lui sont parvenus. Sur le plan des matériaux, des recherches approfondies sont nécessaires, dans la mesure où l'on atteint des taux de combustion élevés, avec des teneurs en plutonium importantes. Également dans le schéma proposé, il est nécessaire qu'à la fois l'unité de fabrication du combustible et son unité de retraitement soient associées d'emblée à ASTRID. À défaut, il manquerait un élément pour la fermeture du cycle, alors que l'un des objectifs majeurs d'ASTRID est la fermeture de cycle.

M. Bruno Sido. - Nous en arrivons à la phase du débat, sur l'ensemble de ce qui vient d'être dit, en particulier sur ASTRID qui pourrait avoir deux fonctions. Nous pourrons parler de la sûreté de la IIIe et de la IVe génération. Je vais lancer ce débat en revenant sur ce qu'a dit l'Andra concernant des entreposages durant 120 ans destinés à réduire l'emprise du stockage. Qu'en pensent les uns et les autres, l'entreposage sur 120 ans posant d'autres problèmes ?

M. Jean-Michel Hoorelbeke. - J'ai simplement mentionné que pour bénéficier au mieux de cette potentialité de réduction de l'emprise du stockage souterrain, il est préférable de porter la durée d'entreposage de 70 ans, minimum technique en pratique, à 120 ans. L'Andra, dans le cadre de la loi de 2006, coordonne aussi des études et recherches sur l'entreposage, un autre axe de recherche défini par la loi. Ce n'est pas le sujet du jour, mais l'un des thèmes de recherche que nous menons concerne l'augmentation de la durabilité de futures installations d'entreposage, en fixant une échelle de temps séculaire, la différence entre 100 et 120 ans étant à cet égard minime. Du reste, comme AREVA pourrait peut-être mieux le dire, il y a déjà dans une installation d'entreposage en construction à La Hague, des innovations permettant d'escompter une durabilité un peu plus grande de l'entrepôt.

M. Jean-Michel Romary. - En complément de ce que vient de dire mon collègue, je voudrais rappeler que ce gain est offert par des verres qui ne contiendraient pas d'américium. Là réside un intérêt. Mais pour les verres existants, entreposés à la Hague, il est envisagé une durée d'entreposage de l'ordre de 50 à 70 ans, faute de possibilité de gain significatif pour l'emprise de Cigéo, en allongeant ce temps.

M. Yannick Rousselet. - Je n'ai pas bien saisi l'explication d'EDF sur la diminution de 20 % de la quantité de combustible, car nous ne sommes pas dans un mouvement perpétuel. Nous nous retrouverons toujours avec un stock de combustible à gérer. J'ai du mal à comprendre si l'on nous dit qu'il n'y a plus de combustible, parce qu'on va multi-recycler. Même si vous avez des espoirs millénaires sur la filière, il y aura toujours un stock de combustible à gérer. Par ailleurs, vous nous dites que l'on sera en mesure de retraiter le MOX. Mais jusqu'à preuve du contraire, le MOX est retraité par dilution avec de l'UOX. Donc, il faut aussi de l'UOX. Et comme l'on augmente constamment la quantité de MOX dans les piscines, il y aura un jour un blocage. Entre la théorie affichant que tout est possible et ce que je constate, je ne fais pas le lien. Cette théorie n'explique pas la réalité. Oui, on a retraité du MOX allemand, mais il a fallu pour cela de l'UOX. AREVA peut le confirmer. Ma dernière question concerne la réutilisation de l'uranium de retraitement. Dites-nous où vous le ré-enrichissez aujourd'hui, car nous apprenons quelque chose si vous utilisez encore cet uranium. Vous n'en avez plus envoyé en Russie depuis trois ans, cela nous a été confirmé à plusieurs reprises. Donc a priori, il n'y a plus d'utilisation d'uranium de retraitement aujourd'hui, et si j'ai bien compris il n'y a pas encore de contrat avec Georges Besse II pour enrichir un tel uranium de retraitement. Il n'y a donc pas d'unité chimique qui permettre actuellement de « nettoyer » cet uranium de retraitement pour le réutiliser.

M. Sylvain Granger. - Sur la question des 20 et des 80 % : il s'agit du résultat concret, avec le procédé actuel, que certains appellent le mono-recyclage, donc le recyclage uniquement des combustibles à l'uranium naturel enrichi. Comme des combustibles sont construits à partir de matières recyclées, que ce soit le plutonium pour les MOX, ou que ce soit l'uranium récupéré après traitement pour les combustibles dits à l'URE, à la différence de la situation américaine où il n'y a pas eu de retraitement du tout, nous avons un volume de déchets réduit de 80 %. En fait le volume des déchets radioactifs issus du traitement, plus les MOX usés et les URE usés qui à ce moment-là devraient, comme aux États-Unis, être considérés comme des déchets au moins provisoirement, représentent 20 % de ce que ce serait si l'on avait pas traité du tout. Le traitement, tel qu'il est pratiqué dans le dispositif industriel actuel, par rapport à une situation sans traitement, permet donc une réduction significative du volume total, une fois conditionné, des déchets destinés au stockage. En deuxième point, avec un dispositif industriel de IVe génération permettant de recycler à nouveau les matières qui sont dans les combustibles MOX ou URE usés, il n'y aura plus de nécessité de stockage. Vous faites référence à une règle de fin de jeu où, si l'on arrête un réacteur, il restera du combustible dedans. Il y a des études justement, sur ces règles de fin de jeu. Elles montrent que nous sommes sur des échéances temporelles extrêmement lointaines et que l'on est capable, en ajustant le fonctionnement des réacteurs à neutrons rapides, de réduire encore cet inventaire de fin de jeu. Donc, au bout du compte, il resterait éventuellement quelques pour cent dans très, très longtemps. En pratique, il est possible de considérer que le développement des réacteurs de IVe génération permettrait aussi de recycler la quasi-totalité des matières qui seraient comprises dans les MOX usés et le URE usés. Mais dans la situation actuelle, il y a bien réduction de 80 % du volume, ce n'est pas de la théorie, c'est constaté aujourd'hui. Sur la question de l'uranium issu des réacteurs : pour des questions de qualité de la matière, et de sûreté, le paramètre prépondérant pour notre politique de recyclage est le plutonium. Nous nous interdisons d'avoir du plutonium sous forme séparée, c'est-à-dire issu du traitement des combustibles usés, qui soit en trop forte quantité. Nous maintenons juste le stock circulant nécessaire pour effectuer les opérations industrielles de recyclages à Melox, mais ne souhaitons pas traiter du combustible usé sans exutoire suffisant pour le plutonium. Donc le recyclage du plutonium, pour des raisons de sûreté et de bonne qualité de la matière énergétique, fixe la quantité de matière traitée, puisque nous recherchons un recyclage en ligne, modulo les stocks industriels nécessaires au fonctionnement du système. Sur l'uranium dit de retraitement, il n'y a pas de telles contraintes. Il est essentiellement entreposé sur le site de Pierrelatte, après stabilisation, dans des conditions parfaitement sûres. Cela occupe des entreposages en nombre limité. C'est principalement une question de choix relevant de la sécurité de l'approvisionnement. En France, nous n'avons plus de ressource naturelle d'uranium, puisque les dernières mines ont été fermées en 2001. Aujourd'hui, il n'y a pas de stress particulier sur la ressource en uranium, mais cela peut arriver sur la longue durée. Il y a certainement un arbitrage à faire entre utiliser cet uranium qui est notre seule réserve énergétique présente sur le sol national, ou la conserver pour l'utiliser plus tard. Nous avons toujours cherché à maintenir un recyclage minimum de cet uranium pour nous assurer qu'il existe un système industriel permettant de réaliser les opérations, mais ce recyclage a été plus ou moins important selon les conditions de marché de l'uranium naturel. Le marché de l'uranium naturel s'est profondément tendu au début des années 2000 jusque 2007-2008, et nous avons eu l'opportunité de montrer la pertinence de cette stratégie en augmentant le recyclage, et donc en augmentant la substitution de l'uranium de retraitement par rapport à l'uranium naturel. Aujourd'hui nous sommes dans des conditions de marché beaucoup plus favorables, car il y a une abondance de matières basées sur l'uranium naturel. Il n'y a donc plus d'intérêt majeur à faire un recyclage important de l'uranium de retraitement. Nous l'avons donc réduit considérablement, mais il s'agit de gestes de gestion conjoncturels, pour avoir la meilleure optimisation de notre parc, de la gestion des matières, et aussi la meilleure optimisation économique de la production d'électricité d'origine nucléaire.

M. Bernard Bigot. - Je voudrais dire un mot après la première intervention de M. Rousselet. Le choix du sodium n'a pas été fait parce que nous avions une expérience. C'est le choix unanime de tous les pays et de toutes les entreprises ayant une perspective de développement de réacteurs à neutrons rapides. Nos amis russes, chinois, japonais ou indiens, tous considèrent qu'il présente le meilleur avantage sur le plan de la sûreté et de l'efficacité: pas de pression et une inertie thermique considérable. Bien sûr, il y a un certain nombre d'inconvénients, vous les avez soulignés. Mais ce choix est le fruit de l'expérience et des options potentielles à l'échelle internationale. Sur la question que vous posez sur le MOX usé. L'objectif du CEA est d'être capable de pouvoir séparer et donc recycler, sans faire appel au mélange avec de l'UOX. Il y a un retour d'expérience, incomplet encore, pour pouvoir faire cette démonstration. Mais je crois que M. Bernard Boullis, qui connaît beaucoup mieux les éléments historiques peut vous dire précisément ce qui a pu être fait à ce niveau. L'objectif est d'éviter de se mettre dans une dépendance à l'UOX. Les MOX usés ont de l'ordre de 10 % d'EPU, et pour les MOX des RNR, nous serions plutôt dans la gamme des 25 %.

M. Bernard Boullis, chef du département radiochimie et procédés, CEA - Il n'y a pas d'obstacle de principe au retraitement du combustible MOX. Il est simplement besoin d'ajustages opératoires. Les problèmes de principe se rencontrent plutôt quand l'on veut tirer parti du plutonium récupéré dans ces combustibles MOX. La qualité isotopique de ce plutonium le rend difficilement recyclable plusieurs fois dans les réacteurs actuels. C'est ce qui appelle des réacteurs différents, comme les réacteurs à neutrons rapides. Il y a eu des quantités significatives de combustible MOX recyclées, environ 70 tonnes dans les ateliers de La Hague, ce recyclage se fait la plupart du temps en dilution, puisque l'on est pris par des contraintes d'exploitation des ateliers construits et conçus pour les combustibles UOX. En particulier, pour respecter la contrainte de criticité, il faut une certaine concentration en uranium accompagnant le plutonium dans le procédé. La plupart du temps cela se fait en diluant ce combustible MOX dans du combustible UOX, mais parfois aussi en ajustant une recirculation d'uranium. Cet artifice opératoire a permis de faire une partie des campagnes en ne retraitant que du combustible MOX. Des quantités significatives de combustible MOX de réacteurs à neutrons rapides, issus du réacteur Phénix, ont été traitées. Environ 25 tonnes, contenant 20 à 30 % de plutonium, à La Hague avec des conditions de dilution, mais également à Marcoule, dans une installation pilote, sans dilution par du combustible UOX. Nous avons un retour d'expérience significatif sur le retraitement du combustible MOX, et il n'y a pas d'obstacle de principe à franchir pour ces retraitements. Il s'agit simplement d'une question d'adaptation.

M. Christian Namy, sénateur. - J'interviens surtout en tant que président du Conseil général de la Meuse, très directement concerné par le projet Cigéo. La transmutation est quelque chose de potentiel, à terme, mais pas réellement réalisable, ou dans un délai excessivement long. Cela veut bien dire, et j'ai bien entendu M. Pierre-Franck Chevet le dire, que l'enfouissement est la condition ultime du traitement des déchets. Il n'y a pas d'autre condition. Le projet Cigéo aboutira, puisqu'il n'y a pas d'autre hypothèse de travail, et je voudrais rappeler aux opérateurs les engagements qui étaient les leurs. Je parle sous le contrôle de Bruno Sido, puisqu'il est aussi concerné que moi. Ces engagements consistaient en un accompagnement économique. Celui-ci n'est absolument pas au niveau de ce qui avait été promis. Je voudrais simplement le rappeler.

M. Bernard Bigot, CEA. Je voudrais juste conclure, pour que l'on ne se méprenne pas. Il y a donc cet effort de séparation, et il y a encore beaucoup à faire avant d'envisager la mise en place de la première transmutation d'un actinide mineur, qui serait l'américium. Le vrai sujet sur lequel se concentre le CEA au travers des réacteurs à neutrons rapides, est de faire la démonstration claire du multi-recyclage du plutonium. S'il n'y a pas cette étape-là, nous serons amenés à stocker de grandes quantités de plutonium. Il y aurait donc un problème à examiner. L'avantage du multi-recyclage du plutonium réside en la possibilité, si nous sommes avec un iso-générateur, de maintenir l'inventaire. Mais, au-delà, nous avons aussi la possibilité de réduire cet inventaire car ASTRID est non seulement un iso-générateur potentiel, mais aussi un sous-générateur. Et donc, pour répondre à la question posée par M. Rousselet, si je l'ai comprise correctement, si les filières d'énergie nucléaire de fission venaient à leur terme, nous aurions la possibilité de réduire l'inventaire dans des proportions considérables en une soixantaine d'années. Pour moi l'intérêt de ce démonstrateur, car il s'agit d'un démonstrateur, pas du tout d'un produit industriel, est d'abord de permettre d'explorer cette piste, et ensuite d'avoir une source de neutrons rapides suffisamment abondante pour pouvoir tester les effets de ces neutrons rapides sur les moyens d'explorer d'autres alternatives de transmutation. C'est la raison pour laquelle il est de notre point de vue totalement nécessaire de poursuivre ce projet au rythme donné par les compétences techniques et les ressources financières, pour faire cette première démonstration, point très important dans le débat que nos concitoyens sont an droit d'avoir sur la manière dont nous pouvons gérer l'ensemble du cycle nucléaire.

M. Bruno Sido.- Tout ce que vous venez de dire, M. Bigot, dépendra de la politique qu'entend mener le gouvernement. Surgénérateur, iso-générateur, sous-générateur, il s'agit d'une question éminemment politique. Nous passons à la deuxième table ronde, consacrée aux déchets de faible activité à vie longue. Je donne la parole à Mme Marie-Claude Dupuis.

Mme Marie-Claude Dupuis, directeur général de l'Andra. - Nous avons prévu deux courtes interventions sans support vidéo, une petite synthèse que monsieur Thibault Labalette, directeur des programmes, va présenter. Elle concerne le point des études et travaux sur les déchets FAVL, puis les bitumes. Une précision préalable : il y a plusieurs catégories de bitumes, ceux de moyenne activité à vie longue, qui ont vocation à aller à 500 mètres de profondeur dans Cigéo, et des bitumes de faible activité à vie longue, destinés à être stockés à faible profondeur.

M. Thibault Labalette. - En introduction je voudrais indiquer que fin décembre 2012, l'Andra a remis son rapport au gouvernement sur les scénarios de gestion à long terme des déchets de faible activité à vie longue, conformément à la demande qui avait été faite par le plan de gestion des matières et des déchets radioactifs. Ce rapport a été présenté en février au groupe de travail du plan national. Il est aujourd'hui disponible sur le site internet de l'Andra. Il répond à une demande de l'État, après le retrait des deux communes présélectionnées en 2009. L'État nous a demandé d'ouvrir d'autres scénarios de gestion que ceux envisagés précédemment, notamment d'étudier les possibilités de gestion séparée des déchets de graphite et des déchets radifères. Je vais aborder deux points dans ma présentation: nos conclusions techniques sur l'étude de ces différents scénarios, et nos propositions pour poursuivre la démarche de recherche de sites. Sur le plan technique, il existe différentes familles de déchets de faible activité à vie longue, avec chacune ses caractéristiques et ses spécificités. Nous nous sommes attachés dans ce rapport à considérer chaque famille de déchets. Notre première conclusion est qu'aujourd'hui en France, le stockage des déchets radifères est une priorité, car la majorité de ces déchets sont déjà produits, et sont actuellement entreposés dans des installations temporaires, dont certaines seront saturées d'ici une dizaine d'années. Le stockage de ces déchets, dans une couche d'argile suffisamment épaisse, à une quinzaine de mètres de profondeur, permettra de confiner efficacement la radioactivité à très long terme. Avant de pouvoir mettre en oeuvre une telle solution, il est nécessaire de mener une table de caractérisation géologique sur site, pour vérifier les performances de sûreté d'un éventuel centre de stockage, avant de prendre la décision de démarrer les études du projet industriel. C'est l'un des objectifs pour les années à venir. Concernant les déchets de graphite, produits par le démantèlement des premières générations de réacteurs, des études de R&D qui visent à approfondir différents scénarios de gestion sont conduites, en lien avec EDF et le CEA, à la fois sur le tri des déchets ou leur traitement en amont du stockage. Les conclusions de ces études, les progrès dans la caractérisation des déchets, et les résultats des investigations géologiques, nous permettront de proposer un scénario de gestion optimal pour ces déchets en 2015. En particulier, l'un des scénarios étudiés serait de stocker les graphites les moins actifs à faible profondeur, avec les déchets radifères, et les plus actifs dans Cigéo, à 500 mètres de profondeur. Cette option est une alternative à ce que nous avions présenté en 2008 : la création d'un stockage dédié pour les graphites à une centaine de mètres de profondeur. Il est à noter néanmoins que par précaution, nous avons prévu des réserves dans l'inventaire de Cigéo pour couvrir le cas où il y aurait nécessité de stocker certains de ces déchets en profondeur.

Pour les autres déchets FAVL, l'inventaire de ceux qui seront compatibles avec un stockage à faible profondeur sera précisé, sur la base des résultats des investigations géologiques. Sans cette connaissance exacte, il nous est difficile de préciser de manière définitive ce qui pourra relever d'un stockage à faible profondeur. Il s'agit de certains déchets bitumés du CEA, dont je reparlerai par la suite, de sources scellées usagées, d'objets contenant du radium, collectés notamment chez des particuliers, de déchets à radioactivité naturelle renforcée, de résidus de traitement d'uranium naturel. Par ailleurs, l'inventaire national des déchets radioactifs 2012 montre que l'on aura besoin dans quelques années de nouvelles capacités de stockage pour les déchets de très faible activité, produits par le démantèlement des installations nucléaires. Elles sont à prévoir pour l'horizon 2025, selon les prévisions de livraison actuelles des producteurs de déchets. Pour favoriser la synergie entre les filières de stockage, l'Andra propose d'étudier un centre de stockage capable à la fois de prendre en charge des déchets de très faible activité (TFA) et des déchets de faible activité à vie longue. Voilà les grandes orientations techniques de notre rapport en 2012. L'enjeu est donc bien d'avancer dans la connaissance géologique, et donc de poursuivre la démarche de recherche de site, initiée suite à la loi de 2006 par un premier appel à candidature. Pour poursuivre cette démarche, nous avons proposé au gouvernement de nous appuyer sur les recommandations du Haut comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire, qui a réalisé un retour d'expérience très riche de la précédente phase d'appel à candidature, et a remis un rapport public à l'État en septembre 2011. Après deux années de réflexion et d'audition des acteurs concernés, il est important de rappeler les points saillants du rapport du Haut comité: le projet FAVL est un projet d'intérêt national, et la sûreté est le facteur premier du choix du site de stockage. Par ailleurs, le Haut comité recommande, pour la poursuite de la recherche de sites, de prendre en compte certaines considérations. En premier lieu, de nous appuyer sur les résultats de l'appel à candidatures de 2008. En deuxième lieu de privilégier le choix de territoires qui accueillent déjà des installations nucléaires, avec l'idée que l'éventuelle implantation d'un centre de stockage en serait facilitée. En troisième lieu d'engager des discussions à minima à l'échelon intercommunal, avec le soutien de l'État et des grandes collectivités. Enfin, de mener une démarche d'information et de dialogue avec la population, en parallèle de tout ce processus. Sur la base des recommandations du Haut comité, l'Andra fait l'analyse suivante. La communauté de communes de Soulaines, dans le département de l'Aube, est aujourd'hui le seul territoire qui réponde aux trois recommandations du Haut comité, car sa géologie est a priori favorable pour l'implantation d'un stockage à faible profondeur. Elle accueille déjà des installations nucléaires: le centre de stockage de l'Andra, à Soulaines. De plus, plusieurs communes s'étaient portées candidates en 2008 sur ce territoire. Nous avons donc présenté les conclusions de notre rapport à la Codecom de Soulaines, qui nous a indiqué ses conditions préalables à la réalisation d'investigations géologiques sur son territoire, en particulier la mise en place, avant toute présence sur le terrain, d'une structure de concertation avec l'Etat, les élus, les producteurs de déchets et l'Andra, pour définir les modalités d'accompagnement d'un éventuel centre de stockage. La communauté de communes souhaite également que l'Andra donne toute l'information nécessaire aux élus et à la population, en s'appuyant notamment sur les Commissions locales d'information existantes auprès de nos centres de stockage en activité. Cette position des élus ne porte en aucun cas sur l'acceptation ou non d'un centre de stockage. Pour les autres territoires, où des communes s'étaient portées candidates en 2008, l'Andra leur a transmis son rapport, en indiquant sa disponibilité pour venir présenter la démarche en cours et recueillir leurs intentions. Enfin, pour les autres territoires qui accueillent des installations nucléaires aujourd'hui, l'Andra doit se rapprocher d'AREVA, du CEA et d'EDF pour préciser les sites potentiels comportant une couche d'argile affleurante. Il est toutefois à noter que la majorité de ces sites nucléaires sont situés à proximité immédiate de cours d'eau. Une analyse détaillée est donc à mener sur la compatibilité de l'implantation d'éventuels centres de stockage, respectant les orientations de sûreté définies par l'Autorité de sûreté nucléaire, en vue de la recherche d'un site pour les déchets de faible activité à vie longue. En conclusion de ce rapport, l'Andra propose de fixer un nouveau rendez-vous dans trois ans, en 2015, où l'on pourra discuter des orientations pour la suite du projet sur la base de deux nouveaux rapports: un premier rapport technique de l'Andra qui proposera une ou des solutions industrielles pour la gestion des déchets FAVL et TFA, selon leurs différentes natures, et un second rapport qui comprendra une synthèse des échanges avec le public, ainsi que le projet de développement du territoire pouvant accompagner l' implantation d'un centre industriel, tel qu'il aura été discuté avec les acteurs du territoire.

Je vous propose de passer au deuxième volet de la table ronde pour donner un éclairage sur les études techniques menées par nos soins sur les déchets appelés bitumes. Les déchets bitumés sont constitués de boues sèches, enrobées dans une matrice de bitume. Ils sont conditionnés dans des fûts en acier, et proviennent du traitement d'effluents radioactifs aqueux sur les sites nucléaires, principalement par insolubilisation des radionucléides, avec l'ajout de réactifs minéraux. Ces colis de boue bitumée sont très largement des colis historiques, produits, depuis 1966, par les stations de traitement d'effluents liquides de Marcoule et, depuis 1989, de La Hague. C'est un mode de conditionnement aujourd'hui progressivement remplacé par d'autres procédés. Sur le site de Marcoule, cet historique de production conduit à une variabilité des caractéristiques radiologique et chimique des colis de boue bitumée, ce qui conduit le CEA à en affecter environ la moitié dans la catégorie des déchets de faible activité à vie longue, et l'autre moitié dans la catégorie des déchets de moyenne activité à vie longue. L'acceptabilité d'une partie des déchets bitumés dans ce projet de stockage, tel que nous l'étudions, sera confirmée à l'avenir à partir de mesures conduites par le CEA pour conforter l'inventaire radiologique de ces colis de boues bitumées de faible activité à vie longue, et également par les caractéristiques des sites que nous allons acquérir. Par précaution, comme pour certains déchets graphites, nous avons pris en compte ces déchets bitumés FAVL dans les réserves de l'inventaire de Cigéo.

Pour en venir de manière plus large aux déchets de moyenne activité à vie longue et aux questions relatives à leur stockage en profondeur et dans d'autres filières, il convient de déterminer les problématiques spécifiques liées au stockage de boues bitumées. Les deux questions essentielles pour démontrer la sûreté de leur stockage, portent premièrement sur le gonflement constaté sur certains enrobés en situation d'entreposage, et deuxièmement sur le risque d'incendie en exploitation. Nous avons donc travaillé avec le CEA et AREVA pour élaborer ensemble un programme d'étude de ces grandes problématiques. Il est en cours de finalisation, en impliquant les compétences du CEA, et, à l'international celle de l'homologue belge du CEA, le SCK-CEN, et prévoit notamment de nouvelles expériences pour continuer à étudier les phénomènes de gonflement : des prélèvements d'échantillons sur fûts réels avec des mesures calorimétriques réalisées sur ces échantillons, des essais de caractérisation du comportement thermique des enrobés en laboratoire, et même des essais de feu à l'échelle un, bien entendu sur des colis inactifs. Tout le travail qui va être mené vise à fournir un premier ensemble de résultats pour 2014, à la demande des évaluateurs, qui seront présentés à la CNE et à l'ASN. Certaines actions pourront se poursuivre au-delà.

En conclusion, il y a un consensus entre tous les acteurs pour dire que ces déchets bitumés ne seront pas stockés dans la toute première tranche de Cigéo, une phase de démarrage pendant laquelle nous aurons notamment pour objet d'éprouver les méthodes d'exploitation. Leur stockage est envisagé à partir de 2030, ce qui nous donne tout le temps nécessaire pour conforter les connaissances nécessaires avant de pouvoir les inclure dans le centre de stockage.

M. Bruno Sido. - Je vais sortir un peu de mon rôle de président de séance pour vous dire ce que je pense de votre rapport. L'expérience malheureuse que vous avez connue en 2008, en vous adressant directement aux communes, vous conduit à nous dire qu'il conviendrait de passer à l'échelon supérieur, celle de la communauté de communes. L'échelon départemental fonctionne parfaitement bien, et, de mon point de vue, l'échelon intercommunal est insuffisant. Il souffrira des mêmes difficultés.

Mme Marie-Claude Dupuis. - Effectivement, M. Thibault Labalette ne l'a pas précisé dans son intervention, mais bien entendu les discussions et les échanges que nous avons eus avec la communauté de communes ont été préparés, en amont, avec le président du Conseil général de l'Aube, sénateur, et avec le député de la circonscription. Et d'ailleurs, monsieur Adnot, sénateur, a eu l'occasion de s'exprimer publiquement sur ce sujet à la télévision. Nous sommes parfaitement en phase sur le processus et la démarche.

M. Yannick Rousselet. - À nouveau je ne vais pas rentrer dans les détails techniques, puisque je laisse le soin à l'Andra de le faire. Je voudrais me faire le porte-parole des gens autour de moi, de leurs interrogations sur la manière de voir les choses. Lorsque nous parlons de ces déchets FAVL, nous sommes dans une vision extrêmement ciblée, avec des éléments précis, à replacer dans un contexte global. Nous nous apercevons, par exemple, que dans certains pays ayant décidé, pour des raisons politiques, de sortir de l'industrie nucléaire, le problème est abordé d'une manière psychologique complètement différente, car l'on se trouve dans une situation de sortie, et donc de prise en compte d'un héritage. À partir du moment où l'on se trouve dans une situation de fuite en avant, de poursuite de la production dans le cadre de cette industrie, la manière dont les gens reçoivent les choses est différente: ils ont l'impression d'un puits sans fond. On leur dit: « on va vous en mettre un peu, mais demain nous allons continuer à produire ». Nous sommes en train d'éponger au pied de la baignoire, et nous n'avons pas fermé les robinets. Même si c'est un peu imagé, c'est ce que j'entends souvent. Il faut bien comprendre cela, bien l'intégrer dans l'acceptabilité, ou non, de la part des populations. Si l'on se trouve dans un système où l'on continue à produire, où la cohérence sur la génération IV et ce qui l'entoure ne semble pas claire et établie, pour ceux qui acceptent de considérer la réalité des choses, le citoyen lambda ou ceux, dont nous faisons partie, qui se préoccupent un peu de la question, se posera toujours le problème suivant : annoncer que l'on est en train de résoudre le cas d'une petite famille de déchets, dans un coin, puis une autre famille, etc. J'entends bien ce discours d'un point de vue technologique et industriel, mais pas quand je le considère dans une vision globale des choses. Finalement MAVL, FAVL, TFA hormis les gens autour de Soulaines, il y en a peu qui comprennent de quoi il s'agit. La vision globale est extrêmement importante pour les gens. S'ils n'ont pas cette vision globale de ce qu'est l'équilibre, la structure de cette industrie, et de ce qu'elle va devenir, cela ne marchera pas. Nous pouvons toujours changer d'échelon, et lorsque nous nous éloignons du reflexe ni-ni, nous pouvons composer. Mais il n'empêche que cela restera toujours une problématique s'il n'y a pas un crédit véritable apporté aux propos globaux sur les orientations. Depuis ce matin, un peu habitué à ce type de réunion, je vous entends, j'entends les arguments, ce qui se dit. Je vous assure que si vous mettiez quelques citoyens lambda à vous écouter, ils diraient « qu'ils » sont complètement à côté des réalités, « qu'ils » marchent à un mètre du sol, tous ces gens-là. Entre ce que j'appelle la vision de l'esprit, des volontés technologiques, des volontés politiques, et la réalité, il y a toujours une marge énorme. Et tant que cette marge restera, quelle que soient les décisions politiques prises, cela coincera. Soit il y a un partage, une appropriation collective des choix énergétiques, et donc de leurs conséquences, y compris de l'héritage des déchets, soit il n'y a pas cette compréhension globale, permettant d'être convaincu de la logique de l'ensemble.

Pour les déchets bitumés, il y a encore des études à mener et notre première recommandation, bien évidemment, est de surtout ne pas s'engager plus avant. Je connais personnellement des gens, puisqu'ils sont dans la famille, qui ont travaillé sur les bituminés à La Hague. Je sais qu'ils sont partis en retraite en disant qu'ils ne s'en sont pas sortis. Pour ces bitumes, il faut rester très prudent sur la sûreté, notamment quant aux risques d'incendies.

M. Bruno Sido. - Vous pouvez prendre le temps de parole de Mme Monique Séné si vous avez d'autres choses à dire.

M. Yannick Rousselet. - Je crois avoir livré l'essentiel du message. Nous voyons bien que la question technique de ces déchets est assujettie à un débat beaucoup plus global : social, éthique et politique. Ce n'est pas suffisant que des politiques disent : voilà la bonne voie. Je vais citer encore le baromètre de l'IRSN sur la crédibilité et la compétence, où les exploitants sont en bas à gauche de ce schéma en croix, les politiques malheureusement très en bas et les associations très en haut à droite. Vous pouvez donc toujours dire quelque chose, les gens le croiront peu, mais si nous vous appuyons, ils vont se mettre à le croire. Vous voyez bien qu'il y a une dichotomie entre, d'une part, la vision technologique et politique, et, d'autre part, la réalité des citoyens. Or le refus des citoyens est très souvent animé par le réflexe ni-ni, mais pas seulement. Il est question de pouvoir faire confiance, en comprenant la logique dans laquelle nous nous trouvons. Nous avons fait un exercice avec l'Andra sur la mémoire. Nous ne pouvons pas traiter ces sujets uniquement d'un point de vue technique, avec le CEA. Il faut aussi des sociologues et des historiens, des gens qui ont compris comment un héritage, qui est un fardeau, est gérable dans l'avenir. Si nous n'intégrons pas les réflexions de ce matin en première table ronde, et cet ensemble de recherches et connaissances, nous n'avons rien compris. Et nous n'aboutirons pas, y compris pour l'existant. De fait, si demain nous avons une position politique différente sur l'énergie, peu importe, nous disposons tous autour de la table d'un héritage, incluant les questions de la sûreté et du devenir de ces produits. Si nous n'avons pas cette logique globale de compréhension, en dehors du discours technique, et du discours politique simpliste, cela ne marchera pas.

M. Jean-Michel Romary. - Concernant les déchets FAVL, nous avons pour notre compte une variété assez importante de déchets. Des graphites, issus de la fabrication et du traitement des combustibles usés UNGG, sont entreposés dans des silos de l'atelier UP2 400 de la La Hague. Il s'agit toutefois d'une faible quantité, au regard de la quantité globale française, puisqu'on est à peu près à 1 100 tonnes, pour 23 000 tonnes au total. Il est prévu de les reconditionner, pour les entreposer dans des conditions sûres, dans un bâtiment spécifique, en l'attente d'un centre de stockage définitif. La deuxième catégorie est composée des déchets radifères, à Jarrie, issus de la fabrication des éponges de zirconium à partir du zircon, utilisé pour fabriquer des gaines d'assemblages combustibles destinés aux réacteurs. Ils sont également entreposés dans des conditions sûres, dans un bâtiment dédié. Il y en a à peu près 3 000 tonnes, et à terme, en 2030, environ 9 000 tonnes. Toutefois l'entreposage a une capacité d'environ 4 500 tonnes. Donc l'effet de saturation des entreposages qu'évoquait tout à l'heure M. Thibault Labalette concerne entre autres ces déchets, puisqu'il devrait intervenir d'ici une dizaine d'années. Les bitumes forment la troisième catégorie de déchets pour AREVA. Quelques-uns sont de type FAVL. La majorité, que ce soit pour notre compte ou pour celui d'EDF, pour qui nous assurons le conditionnement de ces déchets, sont de de type MAVL. Ils sont parfaitement caractérisés, connus et entreposés dans des conditions sûres, vis-à-vis en particulier du risque d'incendie, sur le site de La Hague. J'ai entendu M. Yannick Rousselet : il n'y a jamais eu d'incendie de bitumes à La Hague. C'est une chose parfaitement maîtrisée. Je mettrai de côté une dernière catégorie de déchets, au sens du PNGMDR, issus du traitement chimique de l'uranium, ceux de Malvési, qui font l'objet d'une gestion particulière : des déchets historiques, non-considérés comme FAVL, et des déchets à produire sur lesquels nous conduisons des études. Nous allons fournir un rapport d'étape fin 2013, sur la manière dont nous allons spécifiquement gérer ces déchets. Voilà pour l'état des lieux.

Dans notre vision du stockage des déchets FAVL, entreposés dans des conditions sûres, il est important qu'il se mette en oeuvre assez rapidement. J'ai évoqué la dizaine d'années avant saturation pour les déchets de Jarrie. Il est aussi important, quelle que soit sa caractéristique, couverture intègre ou remaniée, qu'il accueille un maximum de déchets, non pas uniquement des radifères, mais aussi des graphites. Ce centre de stockage va nécessiter des investissements. Il doit donc être le plus capacitif possible, et à ce titre, l'adosser à un centre TFA peut être vu également d'une manière favorable. C'est la position d'AREVA. Il est important aussi que ce stockage accueille des déchets ayant des caractéristiques non-traitées en TFA, qui contiennent plus de radionucléides à vie longue comme le chlore 36 ou le carbone 14, ou des radionucléides alpha, comme l'américium, de manière à en faire un vrai stockage FAVL. En conclusion, une décision devra être prise. C'est important pour nos entreposages, car nous ne disposons que d'une dizaine d'années devant nous. De même la spécification des colis et des types de déchets qui seront acceptés dans ce centre, devra être définie.

M. Christophe Béhar, directeur de l'énergie nucléaire au CEA. - Concernant le projet FAVL, le CEA considère nécessaire d'aboutir à un scénario industriel de stockage optimum, intégrant l'angle technique mais aussi économique, capable de prendre en charge tout l'inventaire radiologique et physicochimique des trois catégories de déchets FAVL existant au CEA : les résidus radifères, entreposés actuellement sur le site d'Itteville dans l'Essonne, les déchets de graphite, générés par le démantèlement du graphites des réacteurs GI, G2 et G3, à Marcoule, et les déchets bitumineux les moins chargés que nous avions historiquement orientés vers le centre de stockage de surface CAS de l'Aube, alors que nous sommes aujourd'hui dans une autre configuration.

Les déchets bitumineux entreposés sur le site de Marcoule, comme résultat d'opérations de conditionnement en provenance de la station de traitement des effluents liquides de Marcoule, et comme exposé lors de la précédente audition du 28 février, sont orientés par le CEA vers le centre de stockage profond Cigéo. Il s'agit des 28 000 fûts de bitume les plus chargés, dits MAVL, sous réserve qu'une démonstration de sûreté convaincante soit faite, comme cela a été discuté, notamment au sein de la CNE. Le programme commun de recherches Andra-CEA, qui a été commandité par la CNE, pour donner des éléments fin 2014 sur le stockage des colis de bitumes dans Cigéo, sera envoyé prochainement, et nous y travaillons de manière très intense avec l'Andra. Concernant les bitumes les moins chargés, de type FAVL, nous en avons environ 32 000 fûts. Trois points nous semblent importants. Premièrement, plusieurs scénarios de gestion prospective sont inscrits pour ces bitumes FAVL dans le rapport diffusé fin 2012 par l'Andra, comme M. Thibault Labalette l'a rappelé : le stockage sous couverture remaniée, la caractérisation, le tri, le stockage sous couverture inerte avec les déchets graphites, si c'est bien la solution retenue pour les déchets graphites, et enfin le traitement et le stockage des résidus concentrés dans Cigéo. En deuxième point, le CEA rappelle que la solution de référence est pour lui le stockage en site FAVL sous couverture remaniée (SCR). La stratégie de l'Andra consiste à reprendre les investigations géologiques des sites. La démarche du CEA vise à améliorer la connaissance des inventaires radiologiques et physicochimiques des fûts de bitumes historiques. C'est un effort conséquent du CEA, qui doit s'accompagner, et c'est le cas, d'actions spécifiques de l'Andra, visant à prendre en compte des valeurs optimisées sur les paramètres physicochimiques qui pilotent le transfert des radionucléides à l'exutoire d'un site de stockage SCR, afin de consolider le scénario d'acceptation de ces déchets en stockage FAVL SCR. Enfin, l'option de traitement des colis de déchets bitumés, dont l'étude est demandée fin 2013 au CEA dans le cadre du PNGMDR, et sur laquelle nous travaillons, mais dont la faisabilité n'est pas acquise, ne correspond pas à la solution de référence du CEA. Elle pourrait impliquer, si elle était retenue, des surcoûts importants.

M. Sylvain Granger. - En ce qui concerne la question des déchets FAVL et de leur futur stockage, EDF est principalement concernée par les déchets de graphite qui résulteront du démantèlement des réacteurs à uranium naturel graphite-gaz. Il s'agit d'un stock, puisque nous n'exploitons plus ce type de réacteur, à gérer en tant que déchets de faible activité à vie longue. Nos programmes de démantèlement ont été conçus pour ne pas multiplier les manipulations et les centres d'entreposage intermédiaire. Les décrets d'autorisation obtenus pour engager et poursuivre ces programmes de démantèlement sur les réacteurs graphite-gaz prennent en considération ce scénario. Le graphite est évacué dans un stockage, moyennant un conditionnement préalable adapté. Quand tout cela a été conçu, la loi du 28 juin 2006 nous donnait comme perspective un stockage en faible profondeur à l'horizon 2013. Malheureusement, il n'a pas pu être développé pour les raisons évoquées. Nous avons donc essayé de regarder, avec l'ensemble des parties prenantes, en particulier avec l'Andra, les différents scénarios de repli possibles, y compris des alternatives de stockage, en considérant les possibilités de traitement du graphite. Nous continuons à les étudier, mais ce ne sont pas des solutions immédiates. Elles présentent un certain nombre de risques, et il y a beaucoup d'incertitudes quant à la capacité de déboucher sur une solution industrielle. Sans dire que cela ne peut pas se faire, au vu des études, ce n'est actuellement pas une option pouvant être considérée comme solution de référence. Pour nous, le stockage direct reste la meilleure solution, en termes de délais, de sûreté ou de radioprotection. À ce titre, nous soutenons la proposition faite par l'Andra de reprendre et de poursuivre la recherche des sites, à condition de l'articuler convenablement avec le programme de démantèlement et avec le développement du projet Cigéo, car demeure cet enjeu très important pour nous des déchets de moyenne et de haute activité à vie longue. Pour conclure sur la question des bitumes, dont certains sont des déchets de moyenne activité à vie longue, et sont à priori destinés au stockage Cigéo, la décision a été prise de manière consensuelle que pour simplifier, il est préférable de ne pas inclure de colis de bitumes dans la première tranche de Cigéo. Il n'en demeure pas moins que l'objectif pour nous est que ces déchets puissent à terme y être stockés. Nous avons besoin de visibilité, pour savoir à peu près à quelle échéance et sous quelles conditions ces déchets pourraient être stockés. Il est aussi nécessaire que, même si ces déchets n'intervenaient pas en première tranche, la sûreté et la conception du stockage les prennent en considération de façon à avoir d'emblée une vision globale des impacts sur l'ensemble de la gestion, en particulier des déchets de bitume.

Ceci renvoie à une question plus générale qui nous préoccupe, sur laquelle nous avons commencé à travailler avec l'Andra, et nous souhaitons que ce travail soit mis en priorité importante : disposer de spécifications d'acceptation au stockage Cigéo de l'ensemble des déchets qui y sont destinés, bitumes et autres déchets. Nous avons constitué depuis longtemps des dossiers de connaissance importants sur ces déchets. Ils ont été transmis à l'Andra, ont été étudiés par la CNE. Nous avons besoin de ce qui existe pour les centres de stockage en opération actuellement, c'est-à-dire d'un processus clair d'acceptation, de spécifications, qui nous permettent de savoir si les déchets produits, les conditionnements réalisés, sont bien compatibles, et bien adaptés au stockage envisagé pour ces déchets. Ce sujet est pour nous très important.

M. Jean-Claude Duplessy, président de la CNE. - La CNE a suivi depuis de nombreuses années tous les travaux de l'Andra, et en particulier les reconnaissances faites sur le centre géologique de Meuse-Haute-Marne. La conclusion de ces études, que nous acceptons sans la moindre réticence, montre un site stable depuis des millions d'années, et révélant d'excellentes qualités de confinement. Donc nous considérons qu'aujourd'hui rien n'empêche de passer à une phase industrielle, concrète, des opérations. Nous avons notamment, au cours des années 2011, 2012, et tout début 2013, suivi dans nos auditions les prévisions de stockage. Notre attention a été attirée sur les bitumes MAVL, prévus, nous l'avons remarqué, en option pour la première période d'exploitation de Cigéo. La position de la CNE a été définie alors dans son rapport numéro six, remis à l'Office parlementaire le 12 décembre dernier, et visible sur le site Internet de la CNE (cne2.fr). Globalement, nous considérons que ces colis soulèvent de nombreux problèmes spécifiques, et que les connaissances actuelles montrent encore des incertitudes sur leur comportement, notamment à court terme en cas d'incendie. Par conséquent notre première recommandation était de ne pas les prévoir dans la première phase d'exploitation du stockage. Je constate avec plaisir que l'ensemble des producteurs nous rejoint.

Nous avons considéré nécessaire, pour pouvoir nous prononcer de manière définitive sur le stockage des bitumes, de lever ces incertitudes sur leur comportement en cas d'incendie. Puisqu'il y aura demande de création de stockage avec un décret et un inventaire à présenter, nous avons très fortement souhaité recevoir pour décembre 2014, une démonstration en vraie grandeur du comportement des bitumes dans des conditions extrêmes, en ne nous satisfaisant pas de constater la réussite d'un d'entreposage industriel. Il convient de se placer d'emblée dans les conditions les plus pénalisantes pouvant survenir en stockage géologique profond. Nous avons demandé qu'un protocole d'essai nous soit présenté, établi conjointement par le CEA et l'Andra, et qu'AREVA puisse les rejoindre, compte-tenu de l'intérêt qu'ils y portent. Je pense que nos collègues de l'Autorité de sûreté nucléaire suivront avec intérêt ce travail. Si la démonstration est convaincante, c'est-à-dire que les colis se comportent bien, nous aurons levé l'incertitude. Si elle ne l'était pas, nous serions amenés à recommander d'étudier, avant toute décision, certains modes de traitements, soit des bitumes, soit des colis, pour que leur comportement réponde aux exigences de sûreté nécessaires dans le stockage. Je constate que les réponses du CEA et de l'Andra ont été positives : tout est mis en oeuvre pour que nous puissions avoir, à la fin de l'année 2014, des éléments qui nous permettent de prendre une position claire sur ces bitumes. Je ne peux que me féliciter de cette réponse positive du CEA et de l'Andra.

Pour les FAVL, je vais faire un peu d'historique. La CNE suivant les travaux et émettant des avis sur dossier, a pris bonne note des actions entreprises par nos collègues de l'Andra, du CEA et d'AREVA. Mais nous jugerons les résultats. Les FAVL comprennent deux grandes familles, comme signalé : les radifères et les graphites. Quand nous avons analysé cette situation, il y a quelques années, les radifères pouvaient clairement bénéficier, sans réelle difficulté, d'un stockage sous couverture remaniée. Le problème nous est apparu pour les graphites, non pas à cause du graphite lui-même, mais parce que ces déchets contiennent des éléments radioactifs mobiles : carbone 14 et chlore 36. Le chlore 36 est labile, donc, dès que l'eau arrive, il l'accompagne et il sort. Une des difficultés à laquelle nos collègues ont été confrontés était que l'inventaire en chlore 36 de ces graphites était en fait très mal connu. Par conséquent, en bonne logique, les exploitants ont pris des barres supérieures. Si cet inventaire se confirme, cela aurait comme conséquence qu'il y aurait autant de chlore 36 dans les graphites que dans tous les autres déchets MAVL, prévus de mettre en stockage souterrain dans Cigéo. Nous le savons, ce chlore 36 est le premier qui sort aux exutoires, comme les graphiques l'ont montré, à des normes très en dessous de celles imposées par les règles de sûreté, en raison de sa mobilité. Par conséquent la gestion des déchets FAVL ne peut pas ignorer ce point. Nous avons dit que des graphites ayant cette composition relevaient d'un stockage sous couverture intacte. En effet nous avons, par les études excellentes faites pour Cigéo, une idée du flux et du taux de diffusion dans cette argile très compacte. Il faut donc, pour ce chlore 36, une barrière argileuse comparable à celle qui existe dans Cigéo, même pour un stockage plus près de la surface. Cela nous a amené à recommander de les placer au centre d'une couche d'argile d'une centaine de mètres de profondeur. Compte-tenu de la très longue période radioactive du chlore 36, 300 000 ans, il ne faut pas que celle-ci soit affectée de façon dramatique par l'érosion. Elle devra donc être surmontée par une couche de calcaire, ou d'autres roches dures, qui préservera l'argile et lui permettra de bien jouer son rôle. Voilà les grandes orientations qui nous ont parues assez simples à prendre en compte pour stocker des graphites contenant du chlore 36. Nous avons pris bonne note du fait que les producteurs sont en train de réviser, sur des mesures approfondies, les teneurs réelles en chlore 36, et d'étudier des possibilités de décontamination du graphite. La CNE approuve cette démarche, et nous émettrons un avis quand nous aurons reçu un dossier et des documents nous montrant l'état de la situation, et comportant une proposition pour un stockage définitif.

M. Pierre-Franck Chevet, président de l'ASN. - Nous sommes attachés à ce qu'il y ait des solutions définitives pour l'ensemble des catégories de déchets, et à ce que le projet FAVL aboutisse dans les meilleurs délais possibles, ce qui n'est pas fait à ce jour, comme pour toutes les autres catégories de déchets. Je voudrais souligner la très grande qualité du travail réalisé par le Haut comité pour faire le retour d'expérience de la première démarche lancée sur les FAVL. Nous devons nous attacher, pour la suite, à respecter l'ensemble de leurs préconisations qui me semblent tout à fait pertinentes. En particulier, nous avons évoqué la concertation avec les élus, mais aussi avec le public concerné. À l'évidence, il faut la faire sur un périmètre plus large que l'approche initiale par commune, plutôt ciblée sur les élus.

J'ai bien noté que les déchets graphites issus du démantèlement sur site UNGG avaient normalement vocation à aller directement dans le projet FAVL. Mais il n'est pas encore là, même si j'espère qu'il arrivera au plus tôt, comme je l'indiquais dans ma première remarque. Néanmoins la question d'un entreposage intermédiaire plus fiable devient d'actualité. Cette question n'est pas tranchée et mérite encore d'être débattue entre nous, en fonction des perspectives d'avancement du projet FAVL tel qu'il se dessinera au terme de nos discussions.

Le risque d'incendie dans des stockages de déchets, avec l'évocation du cas de StocaMine, que je connais par ailleurs, est un sujet qui mérite, concernant les bitumes, une très grande attention. J'ai bien noté la réalisation d'études. Nous aurons l'occasion d'en discuter au plan technique. C'est un point extrêmement important que d'avoir des études très solides sur cet aspect-là.

Mme Marie-Claude Dupuis. - Je voudrais réagir aux propos de M. Yannick Rousselet, puisqu'à travers ses commentaires il sollicite une grande clarté de l'inventaire des déchets FAVL prévus pour ce futur stockage. Il est vrai que c'est un exercice un peu difficile, puisque nous-mêmes affirmons que l'inventaire définitif dépendra de la couche d'argile à considérer. Je voudrais tout de même souligner qu'une grande partie des déchets FAVL sont de nature historique, déjà prévus ou déjà existants au sein de réacteurs à démanteler, ou sur des sites, même en centre-ville, attendant d'être dépollués. La partie des nouveaux déchets FAVL à produire est assez faible. Peut-être pourrions-nous de nouveau faire appel aux compétences du Haut comité à la transparence et à l'information sur la sécurité nucléaire, puisqu'il est en train de mener un travail équivalent pour Cigéo, de façon à bien clarifier la problématique de cet inventaire. Quels sont les déchets déjà existants, inévitables, et ceux à venir qui dépendent de la politique énergétique ? Le rapport est en cours de finalisation. Beaucoup de personnes autour de la table y contribuent activement.

J'ai bien entendu aussi la demande des producteurs d'y voir clair sur les processus d'acceptation des colis. C'est une demande récurrente. Nous nous sommes mis d'accord sur un processus pour converger ensemble, mais il est difficile pour l'Andra de s'engager sur une acceptation de colis de déchets tant qu'elle n'a pas d'autorisation de création, car nous sommes nous-mêmes dépendants de l'évaluation et de l'autorisation de l'État pour le stockage et les déchets pouvant y être accueillis. En revanche nous comprenons la nécessité d'éclairer les producteurs pour qu'ils puissent travailler sur leurs conditionnements de colis de déchets, pour ceux qui ne sont pas encore conditionnés. Cela ne peut-être qu'un travail partagé, qui n'aboutira pas avant 2015, il n'y aura pas de miracle. Pour nous, ce ne seront que des projets de spécification d'acceptation, joints à la demande d'autorisation de création du stockage. Le concept de stockage, et les spécifications de conditionnement de déchets forment un tout. En revanche, nous ne pouvons pas nous renvoyer la balle indéfiniment, donc nous devons progresser ensemble.

M. Yannick Rousselet. - J'ai juste une petite remarque sur la manière de parler, et sur les conjugaisons de nos verbes. Nous devons y faire très attention, car le public y est très attentif, alors qu'il va y avoir un débat sur Cigéo. Nous parlons de choses à venir, de décisions officiellement non encore entérinées. Ce matin, j'ai remarqué très souvent l'emploi du futur, comme si c'était acquis. Mais si l'on veut être dans de bonnes conditions vis-à-vis des citoyens, il ne faut pas que dans nos propres débats ces décisions apparaissent comme déjà prises. Vous avez vu, tout à l'heure, la réaction du sénateur de la Meuse. Si l'on veut parler avec les citoyens, ils doivent tous avoir compris être associés à un processus dans lequel ils ont encore un mot à dire.

M. Bruno Sido. - Je ne peux que vous donner raison.

M. Bernard Bigot. - Une question a été évoquée par plusieurs personnes: le risque d'incendie des bitumes. Ce risque est dans quelle phase, celle de transport, la phase d'accumulation dans l'enceinte du sous-sol éventuel, ou la phase fermée?

M. Thibault Labalette. - Pendant toutes les opérations de manutention et de stockage.

M. Bernard Bigot. - Effectivement, autrement dit il n'y a pas de comburant possible. Donc il faut que dans l'esprit du public on comprenne bien que c'est cette phase là qu'il faut traiter.

Mme Marie-Claude Dupuis. - Elle dure 100 ans.

M. Bernard Bigot. - Il peut y avoir des phases successives avec des fermetures, qui isolent. C'est ce débat là qu'il faut instruire, avec la meilleure garantie.

M. Bruno Sido. - Je voudrais remercier tous les participants car cette audition a été riche d'enseignement pour toutes les personnes présentes. Quelle que soient les conclusions du débat en cours sur la transition énergétique, une question apaisée sur les déchets nucléaires déjà produits sera indispensable.


* 1 Techno-economic analysis of large wind-hydrogen plants in Gemany, IPHE-Workshop, 15-16 nov. 2012, Seville/Spain.

* 2 Sources des études citées : Platt et al, EAC,2012. Prevot et al, AAAR, 2012.