Mardi 16 juillet 2013

-Présidence de M. Joël Bourdin, président-

Audition de M. Martin Hirsch, président de l'Agence du service civique et ancien Haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, puis à la jeunesse

M. Joël Bourdin, président. - Je suis heureux d'accueillir cet après-midi, en votre nom, Martin Hirsch, président de l'Agence du service civique et ancien Haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, puis à la jeunesse.

Son audition trouve sa place dans le cadre de la préparation du rapport d'information que nous avons confié à notre collègue Yannick Vaugrenard, à sa demande, sur le thème de la pauvreté.

Il ne s'agit pas pour nous de nous limiter à dresser un état des lieux, encore que ces données soient essentielles à la compréhension d'un problème dont l'acuité met en péril la cohésion sociale.

Conformément à notre règlement interne, notre délégation à la prospective a pour mission « de réfléchir aux transformations de la société en vue d'informer le Sénat ». Réfléchir aux moyens d'endiguer ce phénomène dramatique de l'essor de la pauvreté sur notre territoire entre donc pleinement dans nos préoccupations et je remercie Yannick Vaugrenard d'avoir pris l'initiative de ce travail.

Je sais que, depuis deux mois déjà, il a mené de nombreuses auditions, qu'il s'agisse d'entendre le ressenti des organismes d'action sanitaire et sociale qui interviennent sur le terrain ou d'analyser les expériences de sociologues, d'économistes ou de responsables de structures publiques dédiées. Il s'est également joint à une équipe parisienne du Samu social, le 10 juillet dernier, pour prendre la mesure du phénomène de la grande pauvreté.

Je ne doute pas que l'audition de Martin Hirsch, que je remercie pour sa présence, complétera utilement les premières observations que notre rapporteur a pu faire.

M. Yannick Vaugrenard, rapporteur. - À mon tour, je veux remercier Martin Hirsch d'avoir accepté notre invitation pour parler d'un sujet extrêmement vaste, terriblement difficile mais ô combien important.

La démarche que j'ai entreprise au nom de la délégation s'articule autour de trois objectifs : rappeler la juste réalité ; refuser la fatalité ; rechercher l'efficacité.

D'abord, rappeler la juste réalité : pour se projeter dans l'avenir, il faut partir du présent. Les chiffres sont connus, je n'en citerai que quelques-uns.

La pauvreté, en France, touche 14 % de la population, 8,6 millions de personnes, près de 4 millions de ménages, c'est-à-dire un niveau jamais atteint depuis le début des années soixante-dix. Plus déstabilisant, plus choquant encore, le fait qu'un enfant sur cinq soit pauvre ; dans les zones urbaines sensibles, c'est le cas de plus d'un enfant sur deux.

Loin de diminuer, la pauvreté est un phénomène qui se durcit, s'intensifie, se transforme et s'étend à de nouvelles populations. Pour le dire autrement, en reprenant une expression du sociologue Nicolas Duvoux, « les pauvres sont de plus en plus nombreux et de plus en plus pauvres ». Les professionnels de terrain le constatent : la pauvreté rajeunit, se féminise, s'urbanise et s'installe au coeur du salariat.

Déjà, à ce stade, apparaît un problème de définition et de quantification. D'une part, le phénomène a de multiples visages et ne se limite pas à la pauvreté monétaire. D'autre part, les chiffres que je viens de citer datent de 2010 : nous manquons non seulement de statistiques récentes, fiables, simples et compréhensibles, mais aussi de suivi au long cours, notamment en ce qui concerne la pauvreté des enfants.

Ensuite, refuser la fatalité : nous ne saurions nous résigner à accepter la pauvreté comme un phénomène non réversible. Quand bien même l'objectif d'éradiquer la pauvreté paraîtrait par trop ambitieux, la situation est suffisamment grave pour que nous ne le perdions pas de vue.

Refuser la fatalité, cela passe aussi par combattre les idées reçues, qui ont toujours tendance, en temps de crise, à prospérer et à se propager.

La fraude sociale, que certains mettent en avant, est d'une ampleur bien inférieure à celle de la fraude fiscale.

Et l'assistance, ce n'est pas l'assistanat : je veux le souligner avec force, les personnes en situation de pauvreté, éligibles aux minima sociaux, sont des ayants droit, pas des assistés.

Qui mieux que ces personnes est capable de nous parler de stigmatisation, de culpabilisation, d'estime de soi, de cette méfiance envers un système qui pousse toujours plus de monde, notamment les jeunes, à le rejeter ?

La lutte contre la pauvreté s'est longtemps circonscrite au fait de mener des actions « pour » les pauvres, parfois « avec » les pauvres. Il est temps d'agir « à partir » des pauvres et de les replacer au centre des dispositifs.

Enfin, rechercher l'efficacité : la problématique de l'accès aux droits, le non-recours aux prestations - je rappelle d'emblée que ce non-recours ne concerne pas uniquement le RSA -, la peur du déclassement, le sentiment de plus en plus ancré que plus personne n'est « à l'abri », cette spirale infernale qu'est la transmission intergénérationnelle de la pauvreté, voilà autant d'éléments qui montrent que l'efficacité doit être le maître-mot quand il s'agit de combattre la pauvreté.

Aujourd'hui, un double constat s'impose.

Premièrement, le montant des sommes engagées dans notre pays ne suffit pas à résorber la pauvreté.

Deuxièmement, la multiplicité des intervenants et des acteurs de terrain ne permet d'assurer ni l'accompagnement efficace des personnes ni la coordination satisfaisante, sur le plan national, des politiques mises en place.

J'attends donc de voir les suites qui seront données aux mesures annoncées dans le cadre du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale. Il importe également de pouvoir faire des comparaisons avec ce qui se fait dans d'autres pays, notamment en Europe du Nord ou au Canada, en termes d'expériences et de politiques menées.

Sur tous ces aspects, je me réjouis de pouvoir vous entendre et recueillir à la fois votre expertise et votre expérience. Il est un sujet qui me préoccupe plus particulièrement, celui, pour reprendre vos propres mots, de la « pauvreté en héritage », avec cette question : « Comment briser la chaîne de transmission héréditaire de la pauvreté ? »

M. Martin Hirsch, président de l'Agence du service civique et ancien Haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, puis à la jeunesse. - Vous avez signalé mon expertise en matière de pauvreté. Je me dois de dire aussi que j'ai eu l'expérience d'un échec dans la lutte contre ce phénomène : j'étais à l'époque partisan de la définition d'objectifs chiffrés dans la réduction de la pauvreté. Or, son taux de prévalence a augmenté sur la période.

Plusieurs raisons expliquent cette évolution défavorable : le non-recours au RSA ou la crise économique, d'abord. Mais aussi une autre observation, qui m'a surpris : en fixant des objectifs de réduction, je pensais être interpellé par le Parlement et par la société civile sur l'exécution de ce programme. Or, pendant la période, nous n'avons jamais fait l'objet de la moindre question sur le sujet. Comment expliquer ce manque d'intérêt ? À mon sens, c'est parce que la pauvreté est comprise comme un sous-produit résultant des autres politiques : la politique économique, la politique de l'emploi... C'est de celles-ci que l'on se préoccupe et non de la politique de lutte contre la pauvreté proprement dite. Je ne partage pas cette analyse et je souhaite ardemment que les esprits évoluent sur ce point.

Si j'étais partisan d'objectifs chiffrés, c'est parce qu'en 2007 le niveau de pauvreté avait cessé de régresser alors qu'on y consacrait des fonds publics d'un montant de plus en plus élevé. Il est anormal que la France n'ait pas un rendement plus efficace de cette politique. Depuis la Seconde Guerre mondiale, si la situation s'était améliorée, c'était grâce à la conduite de deux grandes politiques : l'une consacrée aux retraites, l'autre dédiée aux familles. Leur effet cumulé avait eu un impact très positif. Depuis lors, le contexte a changé. J'observe surtout qu'aucune réflexion prospective n'a été menée sur ce sujet : de la même manière qu'on a ignoré longtemps la montée des tensions dans le secteur du logement, on n'a pas pris la mesure de l'émergence de la pauvreté chez les travailleurs. D'ici à dix ans, il est évident qu'on constatera la résurgence de la pauvreté parmi les populations âgées et l'on ne s'y prépare pas.

La démographie est, à mon sens, la seule matière scientifique qui ne ment pas : c'est la variable prospective la plus fiable. Les observations montrent en effet une hausse de la pauvreté chez les enfants, sa transmission entre générations, l'impact de la multiplication des foyers monoparentaux, la reprise de la pauvreté pour les personnes âgées, l'augmentation du phénomène pour les chômeurs mais aussi pour les travailleurs. Et j'attire votre attention sur l'effet trompeur du chiffrage du seuil de pauvreté : ce n'est pas parce qu'un ménage se situe juste au-dessus de la barre, pour quelques euros, qu'il est tiré d'affaire ! Cette situation est particulièrement problématique dans un pays comme le nôtre, où l'on applique pourtant un salaire minimal et de nombreuses politiques sociales.

Comment peut-on analyser la pauvreté ? En gros, c'est la résultante de ressources insuffisantes et de dépenses excessives. On assiste à une sorte de course de vitesse entre les dépenses engagées par les personnes pauvres et les prestations sociales qui leur sont versées pour y faire face. Il existe en fait une « double peine » de la pauvreté : quand on est pauvre, on paie son loyer plus cher au mètre carré ; on paie son téléphone portable plus cher parce qu'on utilise des cartes et non des forfaits mensuels ; on paie son assurance à un tarif plus élevé ; on paie son électricité plus cher, en dépit des tarifs sociaux. Tout cela est le fait non pas de mauvais comportements de consommation, mais simplement d'un effet-prix. C'est un peu comme si on avait institué un impôt sur la pauvreté, dont le produit s'élève à environ 2 milliards d'euros par an : une étude a été menée pour établir ce chiffrage dont je peux vous communiquer les travaux.

Vous comprendrez que ce n'est pas en augmentant les prestations sociales de 1 % que l'on pourra rétablir la situation de ces personnes et cette observation n'est pas assez connue du grand public. Prenons l'exemple de l'eau : il existe une règle selon laquelle la facture d'eau ne doit pas excéder 3 % du budget des ménages ; mais qui sont ceux concernés par cette limite ? Personne ne le sait... Il existe des taxes sur la consommation d'eau, un impôt sur l'eau en quelque sorte, qui varie selon les collectivités territoriales et qui repose non pas sur le revenu mais simplement sur le niveau de consommation.

Un exemple encore : celui des aides au logement dont le montant est de l'ordre d'une vingtaine de milliards d'euros chaque année, mais je ne me rappelle pas le chiffre exact. Avant les années soixante-dix, lorsque ces aides n'existaient pas, le taux d'effort des ménages pour se loger correspondait à environ 25 % de leur budget. Aujourd'hui, ce taux d'effort est resté le même en dépit du montant élevé des aides versées aux familles car ces aides ont été absorbées par les bailleurs et la hausse des loyers. Il faudrait donc repenser tout le système et analyser le montant des dépenses et ce à quoi elles correspondent.

Un autre aspect qui me paraît essentiel : l'effet de seuil qui affecte de nombreuses prestations comme la CMU ou certaines tarifications sociales. Cet effet de seuil est coûteux budgétairement et créateur de colère au sein de la population. Je suis partisan d'un nouveau système, qui repose à la fois sur le statut et sur le revenu. Il faut conduire une réflexion d'ensemble autour de la ligne de pauvreté et remplacer ce seuil par une démarche de progressivité, de proportionnalité.

D'autant qu'un second phénomène a émergé : celui de la pauvreté au travail. Depuis des années soixante-dix, deux dates ont été marquées par une hausse importante du Smic : 1981, ce qui a entraîné un recul marqué de la pauvreté ; 2002, en période post trente-cinq heures, ce qui n'a eu aucun effet ni sur la pauvreté en général, ni sur la pauvreté au travail en particulier. Et il n'y aurait rien à attendre aujourd'hui d'une hausse du Smic. Il convient de trouver d'autres moyens d'action, ce qui renvoie à la réflexion actuelle sur le RSA, et je me réjouis des conclusions du rapport rendu hier au Premier ministre par M. Sirugue, qui vont aussi dans ce sens.

À l'avenir, on n'aura pas les moyens d'augmenter les salaires, ni d'améliorer sensiblement le montant du Smic. Il en résultera une hausse de la pauvreté laborieuse, sauf si l'on parvient à compléter les ressources des ménages par des revenus extra-salariaux. Des pays étrangers le font, la France l'a fait elle-même, sans le savoir, avec les allocations familiales. Il faudra trouver un complément qui protège l'emploi comme les employés, et ne pas troquer chômage contre pauvreté au travail.

J'en viens à la question du non-recours, qui est en partie voulu. Lorsqu'on a instauré le RSA en 2007-2008, on a posé quelques verrous qui auraient dû sauter avec la survenance de la crise. Cela aurait évité que le fonds dédié au RSA soit surdoté et que les demandeurs potentiels s'abstiennent de faire valoir leurs droits. Il ne faut pas oublier que le RSA est un dispositif consacré à la reprise d'emploi : c'est un complément de salaire, pour les travailleurs pauvres. Il est essentiel que l'on décloisonne ces mécanismes : les bénéficiaires concernés sont avant tout des travailleurs. Il ne s'agit pas de faire de la charité légale.

Il est parfaitement exact de dire que les politiques sociales varient selon les collectivités territoriales. Ce n'est pas un phénomène nouveau : le RMI, en son temps, avait été expérimenté par l'Ille-et-Vilaine. Dès lors qu'on est favorable à la décentralisation, on accepte le fait que les politiques soient différentes. Si l'on décentralise mais que l'on impose la normalisation parallèlement, on cumule tous les inconvénients.

Aujourd'hui, j'observe l'éclatement des réseaux et c'est pour moi une grosse désillusion. La multiplicité des acteurs est contraire à la coordination. Tous les intervenants - la région, le département, les caisses d'allocations familiales, les caisses d'assurance maladie, le service public de l'emploi... - devraient converger sur des principes et des moyens. Ce n'est pas du tout le cas, au contraire : quand un acteur contribue davantage, on constate que les autres se retirent, et lorsque, finalement, le premier n'assure pas ses engagements, ce sont les bénéficiaires qui en pâtissent. On l'a observé avec Pôle emploi ou bien encore sur le dossier de l'allocation personnalisée d'autonomie (Apa). Quoi qu'il en soit, je reste résolument favorable à la décentralisation. Tous les autres pays décentralisés sont d'ailleurs confrontés aux mêmes difficultés : même la Suède et la ville de Stockholm ont été conduites à reconstituer une sorte de service public de l'emploi dédié aux populations les plus fragiles.

J'en viens au service civique, et je plaide alors pour ma propre paroisse laïque, qui a participé au défilé du 14-Juillet sur les Champs-Élysées dimanche dernier.

À mon sens, il est illusoire de penser que l'emploi public, au niveau de l'État, des caisses de protection sociale et des collectivités territoriales, va pouvoir suivre l'évolution des besoins sociaux. Parlons franchement : la réponse humaine à cette pression grandissante est un ensemble fait d'agents publics et de volontaires bénévoles.

Cela m'arrache le coeur de voir un certain nombre de caisses d'allocations familiales fermées le mercredi, le « jour des mamans », pour cause de dossiers en retard à rattraper. De toute manière, les agents sont débordés et ils ne seront jamais assez nombreux pour traiter l'ensemble des tâches. Dès lors, l'accueil des usagers pourrait être assuré, en partie, par des bénévoles, qui viendraient donner un coup de main pour renseigner et aider.

Il importe de ne pas opposer l'intervention de l'État, des professionnels et des agents publics. L'engagement des uns ne doit pas entraîner le désengagement des autres. L'objectif est le co-engagement des différents acteurs.

Il y a quelques jours, j'ai assisté, avec Michèle Delaunay, au lancement de Monalisa, la mobilisation nationale contre l'isolement social des personnes âgées, souvent en situation de pauvreté. J'ai pu mesurer l'enthousiasme avec lequel professionnels et bénévoles accueillent cette initiative.

Il s'agit là d'une dimension qui aura son importance dans les prochaines années. Il faut assumer, sans pour cela être taxé de vouloir imposer une cure d'amaigrissement au secteur public, l'idée selon laquelle ce secteur ne pourra pas, compte tenu du coût horaire d'un professionnel spécialisé, répondre à tous les besoins. Ce dernier pourra d'autant plus s'épanouir en exerçant ses responsabilités qu'il sera aidé par d'autres.

J'avance sur ce terrain sans prendre de gants, mais c'est un vrai sujet, que l'on retrouve dans de nombreux autres pays et pour lequel il y a un enthousiasme assez formidable de celles et ceux qui sont prêts à donner un coup de main au service public.

M. Yannick Vaugrenard, rapporteur. - En écoutant vos propos avec un grand intérêt, j'ai repensé à un point qui est ressorti des différentes auditions que j'ai pu mener depuis maintenant deux mois, à savoir l'impérieuse nécessité de l'évaluation. C'est vrai pour l'ensemble des politiques publiques, et plus particulièrement des politiques sociales.

Or je mesure combien cette ambition peut parfois gêner, déranger, notamment lorsqu'il s'agit d'évaluer le travail fait par des bénévoles. Notre pays compte 200 000 « petites ONG », autant d'associations qui oeuvrent dans le domaine de l'action sociale. Pourquoi serait-il choquant de vouloir, à partir de comptes rendus d'expériences, prendre des conseils chez les uns et les autres qui pourraient permettre d'être plus efficaces ? C'est pourtant un pas que certains hésitent à franchir ; peut-être en raison du sentiment diffus qu'il ne serait pas moralement concevable d'agir de la sorte avec des gens qui prennent de leur temps pour être disponibles au service des plus défavorisés.

À mon sens, une telle évaluation est absolument indispensable, indépendamment, bien entendu, de celle, plus globale, des politiques publiques.

À la fin de votre intervention, vous avez évoqué les relations entre les différents acteurs. Je ferai un parallèle avec les contrats de projet, ceux qui ont succédé aux contrats de plan - lesquels seront peut-être d'ailleurs prochainement relancés -, car aucune contractualisation de ce type n'a jamais été engagée dans le domaine de l'aide sociale.

Les responsables politiques et économiques sont toujours très à l'aise pour parler grandes infrastructures, recherche, innovation, soit autant d'enjeux bien entendu très importants pour penser l'avenir. Cependant, même le nez dans le guidon, il devrait être possible de faire ce travail de prévision lorsqu'il s'agit de pauvreté.

J'entends bien ce que vous dites sur la décentralisation, mais il m'est difficile d'admettre que les publics défavorisés puissent être traités différemment dans notre société, selon leur département de résidence. Pour régler les différentes problématiques, n'y aurait-il pas moyen d'élaborer des contrats de projet d'une durée de trois, quatre, cinq ans, concernant l'aide sociale et les différents aspects sociaux sur l'ensemble des départements ? Ils ne se substitueraient en rien aux expérimentations mises en oeuvre. Bien au contraire, ils permettraient d'assurer un minimum d'unicité, pour associer chacun dans des objectifs communs, fixés collectivement dans un cadre national, où l'ensemble des départements seraient liés à l'État par un système de conventions.

En matière de pauvreté, d'extrême pauvreté, il y a urgence, particulièrement au niveau des publics jeunes. Nombreux sont ceux qui, parmi ces derniers, choisissent de se débrouiller tout seuls : ils ne veulent plus entendre parler de lourdeurs administratives, de dispositifs trop compliqués et qui leur donnent le sentiment d'être stigmatisés, montrés du doigt. S'ils abandonnent, c'est aussi parce que, souvent, à Pôle emploi, à la caisse d'allocations familiales, au bureau d'aide sociale de la commune, leurs interlocuteurs respectifs se renvoient la balle. N'y aurait-il pas intérêt à poser le principe d'un travailleur social référent pour chaque personne en grande difficulté, chargé de débroussailler, sur le plan administratif, les aides dont cette dernière est susceptible de bénéficier ?

Lorsque vous avez évoqué un équilibre à trouver entre professionnels et bénévoles, j'ai pensé à la situation du Samu social de Paris. Le Samu social n'est composé que de professionnels, six cent cinquante en tout, dont une centaine affectée aux maraudes. Parallèlement, ces professionnels travaillent avec des bénévoles, notamment de la Croix-Rouge et de la Croix-Blanche. Pourquoi ce qui se fait au niveau du Samu social ne pourrait-il s'envisager dans d'autres domaines, sachant effectivement que la puissance publique ne sera pas éternellement en mesure de créer des emplois ?

Pour finir, je voulais avoir votre sentiment, même si je le connais un petit peu, sur les allocations familiales. Dans notre pays, les allocations familiales ne commencent à être versées qu'à partir du deuxième enfant. Or, avant d'en faire un deuxième, il faut déjà en faire un premier ! Il arrive, malheureusement, qu'entre-temps le ménage se délite : force est de constater statistiquement que de plus en plus de femmes se retrouvent seules avec un enfant à élever sans pour autant bénéficier des allocations familiales.

Si la politique familiale à la française a fait ses preuves, ne vous paraît-elle pas aujourd'hui insuffisamment adaptée à l'évolution de la société ? La séparation d'un ménage, au-delà des souffrances qu'elle entraîne, notamment chez les enfants, emporte des conséquences financières non négligeables.

M. Martin Hirsch. - Sur ce dernier point, ma réponse sera extrêmement simple et claire : je suis favorable au versement des allocations familiales dès le premier enfant, mais pas de manière universelle, seulement pour les familles modestes, notamment les familles monoparentales. C'est d'ailleurs ce qui a été prévu au moment de la mise en place du RSA, puisque nous y avons intégré une majoration pour tout allocataire avec un enfant à charge.

C'est pour cela que le non-recours me chagrine tellement. Vous avez tout à fait raison : plutôt que de stigmatiser, il faudrait encourager. L'absence d'allocations familiales au premier enfant s'explique par le fait que, initialement, la politique familiale était plus nataliste que sociale. Quand on a jugé qu'elle devrait aussi être sociale, les caisses étaient déjà vides et il était trop tard pour agir.

L'enjeu est réel pour les familles modestes. Nous en avons la démonstration dans le rapport remis hier au Premier ministre. M. Sirugue, jugeant le RSA trop compliqué, prône une prime d'activité individualisée. Dans cette logique, c'en serait fini du supplément accordé aux femmes élevant seules un enfant. Il prévoit alors d'ajouter au dispositif un « complément enfant », construit sur le même mécanisme qui prévaut actuellement, donc accessible dès le premier enfant.

Par ailleurs, la question de l'évaluation, du poids de la décentralisation et du rôle des collectivités me tient particulièrement à coeur.

Grosso modo, les dépenses sociales payées par les collectivités territoriales, notamment celles qui touchent à la lutte contre la pauvreté, sont à peu près équivalentes à celles que l'État engage. Or je suis frappé de constater les disparités existantes en matière de capacité d'expertise mutualisée.

Du côté de l'État, on trouve notamment la DGCS, la direction générale de la cohésion sociale, avec deux cents personnes, la Drees, la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques, avec quatre-vingts personnes, la Dares, la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques, avec soixante-dix personnes. Au total, ce sont plusieurs centaines de personnes qui produisent de l'expertise sur les politiques sociales.

Du côté des collectivités territoriales, la capacité d'expertise est quasiment inexistante. Au maximum, sur les sujets sociaux, il doit y avoir au total, à l'Odas, l'observatoire de l'action sociale décentralisée, à l'ADF, à l'ARF et à l'AMF, une petite douzaine de personnes.

Or les milliards d'euros dépensés sont les mêmes et les dossiers tout aussi complexes : c'est totalement délirant ! Du coup, il est strictement impossible de connaître la réalité des situations, d'évaluer les actions mises en oeuvre, donc d'envisager une mutualisation.

Les collectivités n'ont visiblement pas envie de s'engager sur ce terrain. Pourtant, si elles décidaient de financer un organisme commun d'évaluation, elles auraient à leur disposition une batterie d'expertises, ce qui bouleverserait la donne.

C'est ce qui existe dans une certaine mesure dans le domaine des personnes âgées et du handicap. La CNSA, la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, s'apparente presque à une joint venture des départements et de l'État en vue de produire de l'expertise commune. Sur les questions de pauvreté, rien de tel n'existe. Ce vide sidéral pose un problème considérable.

Il est normal de considérer qu'une commune peut préférer construire, en équipement de loisirs, une piscine plutôt qu'une patinoire ou, en matière d'action sociale, un centre d'hébergement plutôt qu'une autre structure. Que les pauvres soient traités différemment selon les territoires n'est pas un problème en soi, mais il faut pouvoir en connaître les raisons : cela passe par l'évaluation des actions menées et le partage des résultats obtenus.

De la même façon que les entreprises sont appelées à cotiser à la taxe d'apprentissage, les collectivités devraient contribuer, à hauteur, disons, de 10 000 euros par an, au financement d'un organisme d'évaluation des politiques sociales décentralisées.

M. Joël Bourdin, président. - Il suffirait de prendre de l'argent au CNFPT !

M. Martin Hirsch. - Et dans une proportion infime. Ce serait un progrès majeur, qui ne coûterait pas grand-chose.

M. Alain Fouché. - Vous disiez tout à l'heure que vous n'aviez pas réussi dans le domaine de la lutte contre la pauvreté. Mais s'il n'y avait pas eu le RSA, les pauvres seraient beaucoup plus nombreux dans notre pays. Le RSA a représenté une avancée importante, imaginée d'ailleurs au départ, non par l'État, mais par des départements qui se sont portés volontaires.

M. Joël Bourdin, président. - La première convention a été signée dans mon département, l'Eure.

M. Alain Fouché. - Et la deuxième dans le mien, la Vienne.

M. Martin Hirsch. - Absolument. Je citerai également, entre autres, la Côte d'Or.

M. Alain Fouché. - Cela étant dit, ne pensez-vous pas que, dans le domaine de l'emploi, trop de structures d'accueil coexistent au sein des départements, aux côtés de Pôle emploi ?

M. Martin Hirsch. - La réponse est quasiment dans la question !

M. Alain Fouché. - Par ailleurs, dans nos permanences d'élus, nous sommes souvent amenés à rencontrer des personnes pour lesquelles le coût de l'énergie est un vrai problème. Pourquoi ne pas consacrer encore plus de moyens en amont ? De nombreuses personnes sont locataires de logements peu ou pas isolés. Au-delà des efforts qui sont faits, il n'y a pas de réelles obligations imposées aux propriétaires.

J'aborderai un dernier point, qui a trait à la différence des situations selon les départements, en prenant comme exemple le nombre d'enfants isolés : l'écart varie de un à soixante ; or, chaque enfant isolé « coûte » 30 000 euros aux départements.

Sans remettre aucunement en cause les compétences attribuées aux départements par la décentralisation, ne serait-il pas envisageable de prévoir un certain nombre d'éléments régulateurs ?

M. Martin Hirsch. - Pour illustrer l'empilement des structures, je rappellerai une anecdote que vous connaissez sûrement.

En 2006, Jean-Louis Borloo, alors ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale, a pour ambition de fusionner l'ANPE et les Assedic. Conscient des obstacles à franchir, notamment du point de vue syndical, il sait qu'une telle réforme ne pourra jamais se faire « par la tête ». Il décide donc, localement, de regrouper les équipes des Assedic et de l'ANPE en créant les maisons de l'emploi. Certaines villes s'emparent du projet et s'engagent à apporter leur propre contribution financière.

En 2007, Nicolas Sarkozy souhaite que soit créé un seul service public de l'emploi. Il préside lui-même la réunion, à laquelle j'assiste, chargée de concevoir la coordination entre les maisons de l'emploi et Pôle emploi. Je propose, comme solution, que les premières soient rattachées au second. Et là on me répond - je ne pense pas dévoiler un secret - que je n'ai rien compris, qu'il faut faire quelque chose de nouveau !

C'est bien dans notre pays que l'on a osé engager une telle fusion en créant les maisons de l'emploi pour ensuite se demander comment coordonner celles-ci avec le service public de l'emploi ! Résultat : les maisons de l'emploi et Pôle emploi entrent en rivalité pour leurs crédits de fonctionnement.

Nul doute que tout gouvernement a dû être confronté à pareille situation et je pourrais trouver quatre-vingts exemples similaires. Un tel système est énormément budgétivore autant que « dépressiogène ».

Dans le département de l'Eure, puis dans celui de la Loire-Atlantique, nous avons mené une expérience conjointement avec le président du conseil général : plutôt que de demander à chaque bénéficiaire potentiel de faire le tour des organismes sociaux pour rencontrer l'ensemble des acteurs en charge d'une partie de son dossier, l'idée était de réunir ces derniers dans une même pièce au moins une demi-journée par semaine ; ce faisant, les formalités, qui prenaient normalement deux mois, étaient faites en deux heures.

Nombreuses sont les structures qui appartiennent à de grands réseaux. Or il faut l'accord du sommet pour pouvoir agir à la base. Ainsi le directeur de la Caf d'Évreux n'a-t-il pas le pouvoir de décider seul s'il n'a pas l'avis de la Cnaf. Il peut agir à titre expérimental, et encore sans le crier sur les toits. Du reste, quand l'un est d'accord, rien ne dit que l'autre le sera. Le problème est connu.

M. Joël Bourdin, président. - Mais la situation n'évolue pas !

M. Martin Hirsch. - Non. En réalité, il y a tellement de décideurs que nous sommes face à un système « à autorité diluée ». J'en étais presque arrivé à défendre l'idée d'une gouvernance tournante pour ce qui est de l'action sociale sur un territoire, afin de pouvoir, à un moment donné, identifier une autorité responsable, le président du conseil général par exemple.

M. Joël Bourdin, président. - C'est ce qui a été réussi dans le cadre des missions locales, au service des jeunes.

M. Martin Hirsch. - Les missions locales sont en effet un service plus intégré, même s'il est mal articulé avec Pôle emploi.

J'en viens au coût de l'énergie, qui est un aspect à ne pas négliger dans le cadre d'une démarche prospective. Tous les acteurs du secteur - Suez, la Lyonnaise des Eaux, Veolia, EDF, GDF - annoncent, pour les vingt prochaines années, une augmentation des tarifs du gaz et de l'énergie. Dans la mesure où le niveau des dépenses sociales ne suivra probablement pas le même rythme, imaginez l'effet que cela pourra avoir en termes de pauvreté.

Sauf à changer les modes de tarification, de consommation ou d'isolation, on risque de faire « exploser le compteur ». C'est en cela que la réflexion prospective me paraît véritablement déterminante et utile. Il faut aussi attirer l'attention sur des facteurs qui, au-delà des questions d'emploi ou de croissance, peuvent avoir un impact sur la pauvreté si aucune réflexion n'est engagée sur la manière d'agir.

M. Joël Bourdin, président. - Le coût de l'énergie pèse pour une très large part sur le budget des ménages.

M. Martin Hirsch. - Je n'ai pas les chiffres en tête, mais c'est significatif. Le coût d'usage d'une Clio est de 4 000 euros par an, en comptant le remboursement du prêt et l'essence. De plus en plus de personnes, qui ne disposent que de 800 ou 900 euros par mois, sont en train de renoncer à la voiture et, par là même, à leur travail.

M. Joël Bourdin, président. - Existe-t-il un modèle général de la pauvreté ? Vous avez rappelé, en préambule, que la pauvreté était le résultat de difficultés économiques diverses. C'est d'abord comme cela qu'elle est perçue, comme un phénomène induit. Mais vous avez également souligné que la pauvreté avait « sa propre vie », un caractère autonome. Sans doute y a-t-il des éléments psychologiques, sociologiques, qui viennent se greffer aux problèmes économiques, d'où la difficulté éprouvée par les personnes en situation de pauvreté pour en sortir.

Autour de moi, je vois des gens devenir pauvres, connaître une descente rapide. La remontée est beaucoup plus difficile. Le phénomène a tendance, tel un chancre, à s'accroître, à se répandre dans les familles, jusqu'aux enfants.

M. Martin Hirsch. - Au niveau macroéconomique, les phénomènes de pauvreté ont leur autonomie. Ainsi la baisse du chômage n'entraîne-t-elle pas automatiquement celle de la pauvreté.

Pour être un tout petit peu caricatural, je dirais que la meilleure façon de prévenir l'apparition des sans-abris dans les grandes villes, en dehors de la question particulière des migrants, consiste à promouvoir une politique efficace de protection des enfants. Pourquoi ? Quand vous interrogez les personnes qui sont à la rue ou celles qui s'en occupent, neuf fois sur dix, vous trouvez des situations de carence affective rencontrées au cours de la petite enfance. Un choc, qu'il s'agisse d'un divorce, d'une perte d'emploi, que certains surmonteront par leurs réseaux ou d'autres ressorts, sera toujours plus déstabilisant pour celles et ceux qui ont subi une telle carence affective. La protection de la petite enfance a donc un réel effet préventif pour éviter de se retrouver à la rue vingt ans après.

M. Joël Bourdin, président. - Les chercheurs ont-ils réussi à modéliser tous ces phénomènes déclencheurs ?

M. Martin Hirsch. - Vous aurez du mal à trouver une démonstration par équation.

Il existe cependant des modèles probabilistes. C'est la raison pour laquelle je suis toujours très réservé sur les études soulignant la crainte prétendument éprouvée par tous les Français de se retrouver un jour à la rue. Autour de cette table, personne ne sera jamais dans ce cas, la probabilité est trop faible. Cela ne nous empêche pas d'être sensibles au problème. En prenant comme critères le lieu de naissance, la langue maternelle, la situation familiale, il est possible d'évaluer un tel risque, avec toute la limite que constitue, en France, l'absence de statistiques ethniques.

M. Yannick Vaugrenard, rapporteur. - Vous l'avez dit vous-même, les systèmes actuels sont inefficaces. S'ils fonctionnent mal, c'est parce que, systématiquement, par principe, la méfiance l'emporte sur la confiance. Si c'était le contraire, ces dispositifs nous coûteraient probablement beaucoup moins cher tout en étant objectivement plus efficaces. Il faut donc inverser la donne, mais c'est loin d'être simple car il faut tenir compte de l'opinion publique et des conséquences que peut avoir sur elle tel ou tel discours.

Puisque méfiance il y a, nos concitoyens doivent remplir des dossiers administratifs très compliqués, ce qui favorise le non-recours. Ne pensez-vous pas qu'il serait utile, pour reprendre l'idée que j'ai déjà évoquée, de nommer un travailleur social référent ? Appelez-le comme vous voulez, mais ce pourrait être quelqu'un de Pôle emploi, de la caisse d'allocations familiales, du bureau d'aide sociale, peu importe. Aujourd'hui, ce qui me frappe, c'est cette incapacité d'identifier un référent unique capable d'informer les personnes en grande difficulté sur leurs droits.

Je ne suis pas un jacobin obsessionnel, mais il me semble évident que, dans une telle situation, il revient au représentant de l'État dans le département de faire le lien entre l'ensemble des organismes pour que tout fonctionne. Or je n'ai pas le sentiment que cela se passe ainsi, dans ce domaine comme dans d'autres. Pourquoi le représentant de l'État ne serait-il pas chargé de réunir l'ensemble des responsables des différents secteurs pour trouver des points d'accord sur un système de gouvernance à responsabilités tournantes ? En quoi cela pourrait-il nuire à la décentralisation ?

M. Alain Fouché. - Il agirait comme une sorte de régulateur.

M. Martin Hirsch. - Vous avez raison de souligner cette méfiance qui prédomine actuellement et qui est source de complexité. C'est lié au fait que, historiquement, on a pris le principe d'égalité au pied de la lettre. On est passé de la charité à la tête du client à la reconnaissance de droits spécifiques, qui, pour être mis en oeuvre, supposent de satisfaire à un certain nombre de critères. Tout est donc défini, écrit, ce qui est plus confortable pour le professionnel, car il peut s'appuyer sur tel ou tel article du code lorsqu'il ne peut répondre à une personne en difficulté. Comme prédomine cette crainte de voir l'État, les départements, les caisses, les travailleurs sociaux donner plus que ce qui est nécessaire, on ne délègue aucune possibilité de répondre en fonction, non pas de la tête du client, mais de la situation de l'usager.

Il faudrait introduire dans le système une certaine marge d'appréciation, d'ajustement et de responsabilité pour ce qui est de l'enveloppe financière. Cela pourrait se faire au travers de référents, comme vous le préconisez. Personne ne peut connaître complètement la législation, la réglementation, maîtriser toutes les questions, l'évolution des barèmes, etc.

Pour autant, aujourd'hui, si vous appelez n'importe quelle compagnie aérienne pour connaître les horaires d'un Paris-Hong Kong à tel jour et à telle heure, celle-ci saura vous répondre même si elle n'est pas spécialiste de l'Asie du Sud-Est ! J'imagine qu'il devrait être possible de trouver des personnes, au sein du service public de l'emploi, susceptibles de maîtriser le « logiciel », d'aiguiller les personnes en situation de pauvreté, d'être leur référent principal. Cette idée d'un interlocuteur unique, nous l'avions défendue au moment du RSA.

Encore une fois, il faut une volonté commune pour agir en ce sens. Et qui prendrait le leadership ? Le préfet ? L'Assemblée des départements de France a souhaité voir précisé dans la loi de 2008 que le département est le chef de file de l'insertion. Par conséquent, j'ai du mal à imaginer le préfet pouvoir imposer un quelconque mode d'organisation au président du conseil général.

En même temps, la décentralisation ne doit pas empêcher les expérimentations. Pourquoi, par exemple, ne pas s'appuyer sur ce qui existe en matière de délégations de compétences pour la gestion des aides à la pierre ? Ainsi, pendant deux ou trois ans, la région Pays-de-la-Loire pourrait décider de placer sous sa tutelle les agents de Pôle emploi et des caisses d'allocations familiales. Ceux-ci conserveraient leur statut d'agents de l'État, mais l'autorité serait décentralisée. Avec des moyens identiques, la région se verrait confier le management et serait alors en mesure de coordonner l'organisation et les actions des différentes agences sur le territoire, pour cibler, par exemple, tel ou tel public ou privilégier un mode de remboursement des indus par rapport à un autre. Voilà qui serait intéressant à faire.

M. Yannick Vaugrenard, rapporteur. - Du coup, il conviendrait de poser le principe d'une expérimentation sur une région ou un département, en ne l'élargissant que si les résultats sont concluants.

M. Martin Hirsch. - Absolument.