Jeudi 10 avril 2014

- Présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Audition de M. Simon Chignard, consultant, auteur de L'open data, comprendre l'ouverture des données

M. Jean-Jacques Hyest, président de la mission commune d'information. -Nous terminons aujourd'hui nos auditions par la présentation des stratégies de l'Etat en matière d'ouverture des données publiques. Nous accueillons M. Simon Chignard, consultant, auteur de L'open data, comprendre l'ouverture des données. Après avoir contribué à des projets locaux, notamment à Rennes, il est actuellement chargé d'une mission d'accompagnement pour Etalab, en lien avec la plate-forme ouverte des données publiques data.gouv.fr.

Monsieur Chignard, vous êtes un observateur, un analyste et un praticien de l'open data. Comment percevez-vous les attentes des différents publics en matière d'ouverture des données publiques ? Quelles doivent être les priorités en la matière ? Quelle appréciation portez-vous sur la qualité des données publiques ouvertes à la réutilisation ? Les modalités de mise en ligne et de réutilisation retenues par l'Etat, les grands opérateurs publics et les collectivités locales répondent-ils aux attentes de ces publics ? Quelles lacunes et insuffisances identifiez-vous dans l'articulation des démarches des différents acteurs de l'open data ? Comment voyez-vous l'avenir se dessiner en la matière, les obstacles à lever, la stratégie à définir ?

M. Simon Chignard, consultant, chargé de mission pour Etalab. - Le mouvement d'ouverture des données publiques est à la fois ancré dans la tradition et très neuf. En 2010, Rennes est la première ville à avoir choisi l'open data, et le portail national data.gouv.fr date de fin 2012. Une soixantaine de collectivités et de territoires sont aujourd'hui engagés dans cette démarche qui concerne tous les échelons territoriaux, de la commune jusqu'à l'Etat. Voilà donc une histoire qui a commencé il y a quatre ans.

Dès l'origine, aux Etats-Unis comme en France, le mouvement d'ouverture des données est porté par deux courants. L'un procède de l'impératif de transparence, défendu par la fondation américaine Sunlight Foundation, dont la devise reprend les mots de Louis Brandeis : « La lumière du soleil est le meilleur des désinfectants », et par le collectif français Regards citoyens que vous avez auditionné ; pour eux, dans la suite de la loi de 1978, l'open data est un autre moyen de porter une ambition de transparence. L'autre courant est centré sur la réutilisation des données publiques comme un élément de transformation économique. Les données attendues ne sont pas les mêmes. Les plus utilisées relèvent du domaine de la mobilité, par exemple les horaires des transports publics. Ceux qui les réclament ne sont pas forcément coutumiers des lois d'accès aux documents administratifs. L'ambition démocratique, le retour aux citoyens, l'utilisation des données comme matière première balisent le champ de l'open data de manière parfois contradictoires. Les attentes des différents publics sont multiples et diverses, ce qui rend difficile une évaluation générale de la pertinence des choix en matière d'ouverture des données. La perspective est morale, si l'on envisage l'ouverture des données comme l'occasion de défendre des valeurs ; elle est utilitaire, lorsque les données sont considérées comme une valeur économique.

L'ouverture des données publiques n'a pas seulement pour enjeu le droit d'accès, mais aussi le droit de réutilisation. La régulation s'élabore de manière parallèle au mouvement d'ouverture comme si les deux champs étaient séparés. Ainsi, peu d'acteurs publics qui publient des données sur leur portail fournissent le répertoire de leurs informations publiques, pourtant obligatoire. La majorité des avis de la Cada ne porte pas sur des informations entrant dans le champ de l'ouverture des données publiques : pour des raisons évidentes de protection des données personnelles, l'accès à un dossier médical n'en relève pas ; il en est de même pour un dossier d'avancement d'agent public, ou la notation des répondants à un appel d'offres public.

Les données en ligne ne sont pas exhaustives. D'une part, l'open data n'est pas encore le mode de fonctionnement par défaut ; il reste l'exception, soit que les enjeux ne soient pas bien compris, soit que la volonté manque. D'autre part, les données publiques ne sont pas gérées comme un actif par les acteurs publics qui ne se posent pas la question de leur gouvernance. Leurs documents sont généralement efficacement gérés, mais elles ne procèdent pas de même pour leurs données. C'est un fantasme de croire qu'il y a dans chaque administration, dans chaque service de collectivité ou encore au sein de chaque cabinet ministériel, des données de qualité, à jour et facilement exploitables sur l'ensemble des sujets. Cela reste exceptionnel, limité à des domaines comme les données environnementales ou géographiques.

L'acteur public choisit les données qu'il ouvre. C'est donc moins la pertinence des données que la pertinence du choix qu'il faut évaluer. Est-il pertinent par exemple, comme cela s'est fait dans une ville, d'ouvrir des données sur les massifs de magnolia ? Sans doute.

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Sont-elles exhaustives ?

M. Simon Chignard. - Sans être spécialiste de botanique, je ne doute pas que cela ait un sens pour beaucoup de réutilisateurs. Il serait sans doute tout aussi pertinent d'ouvrir les données sur les subventions attribuées aux associations ou les attributaires des marchés publics. Il n'y a pas de bonne ou mauvaise demande. Seule la pertinence des choix d'ouverture peut être questionnée.

Quant à la qualité des données, elle s'évalue en fonction des usages que l'on souhaite en faire. Or, outre leur format ou leur documentation, l'enjeu majeur reste la pauvreté ou le manque de profondeur des données disponibles. Malgré les efforts consentis, nous sommes loin de disposer d'une offre de données suffisante. Dès 2010, la ville de Rennes a publié un fichier complet des subventions attribuées aux associations, avec le nom des attributaires, l'adresse, le champ de l'action publique et le type de subventions accordées. C'est une bonne pratique au niveau national, mais trop souvent, dans beaucoup de territoires, le fichier des subventions publié se réduit à deux colonnes où ne figurent que le nom de l'association bénéficiaire et le montant de la subvention. Du coup, les réutilisateurs se demandent ce qu'on leur cache. Et si on ne leur cache rien, leur confiance dans la gestion des affaires publiques ne peut qu'être mise à mal. Un décalage existe entre l'ambition affichée et la réalité, le traitement des données contribuant à les appauvrir.

En quatre ans, les avancées juridiques sur l'open data ont été considérables. Alors que les licences standardisées n'existaient pas au départ, nous avons maintenant deux grandes licences à notre disposition (la licence ouverte et la licence ODbL), qui toutes deux partagent les fondamentaux des principes de l'ouverture des données, à savoir de larges autorisations de réutilisation, y compris à des fins commerciales, et la réaffirmation du principe de gratuité. La dualité de licence ne me choque pas, chacune correspondant à un choix politique fort.

Les évolutions attendues concernent surtout la généralisation de l'ouverture par défaut, la montée en qualité des données, l'introduction d'un dialogue direct entre réutilisateurs et producteurs des données et, enfin, la mise en cohérence des données disponibles au niveau national. L'amélioration de l'offre des données contribuerait à une plus grande cohérence, grâce à un effort d'harmonisation dans chaque grand domaine - transports, social, budget. Pour pouvoir comparer deux budgets dans deux territoires différents, leur présentation doit être identique. Il faut également que la donnée fournisse un référentiel commun partageable. Enfin, une meilleure articulation entre la loi Cada, la loi Cnil et le principe d'open data serait souhaitable.

La première lacune dans le domaine de l'ouverture concerne les données clefs, autrement appelées données pivot, qui jouent un rôle fondamental pour l'infrastructure informationnelle du pays - données du cadastre, du registre des entreprises, de la base des codes postaux. Elles sont au coeur de multiples services et de réutilisations possibles. Certains pays comme les Pays-Bas ou le Danemark, avec le programme Basic data, se sont fortement engagés, en ouvrant les données de ces registres. En France, la publication de ces registres clefs est rendue difficile par le statut des opérateurs qui les gèrent et le défi économique que représente la gratuité de leur mise à disposition. Une deuxième lacune tient au décalage entre les réalités de l'action publique et l'offre de données correspondante. Si l'on examine les trois grands postes de dépenses d'un acteur public local - routes, politique sociale, formation, par exemple - au vu des données disponibles, on observe un manque de cohérence entre les données ouvertes et les domaines d'intervention les plus importants. Une difficulté majeure résulte sans doute de la mauvaise articulation des corpus juridiques de la Cada et de la Cnil. Les réutilisateurs manquent de réponses à leurs questions pratiques. Les problématiques d'anonymisation se règlent dans le service producteur qui appauvrit les données dans une tendance à la surprotection par défaut.

Sur 100 décideurs publics, 10 se prononceront pour l'ouverture des données publiques, 10 seront farouchement contre, et 80 n'auront pas d'avis motivé. Cela, malgré nos efforts depuis quatre ans. La stratégie de réponse réside sans doute dans la riposte graduée. Un effort certain de pédagogie reste à faire pour expliquer le sens du mouvement d'ouverture des données publiques, au coeur d'un outil de travail, de la pédagogie pour ceux qui veulent bien entendre, de l'accompagnement pour ceux qui veulent bien faire, de l'obligation pour ceux qui ne souhaitent pas faire et, pourquoi pas, un pouvoir de sanction pour ceux qui délibérément ne souhaitent pas participer.

Deux chantiers s'ouvrent pour l'avenir. La modernisation de l'action publique n'entrait pas initialement dans le champ de l'ouverture des données publiques. Cette dimension prend du poids au niveau international. Pour ce faire, chacun des acteurs publics doit avoir compris que l'ouverture des données publiques constitue un outil de travail pour lui. La mise en place d'une vraie gouvernance de la donnée publique est également indispensable. Au même titre que le document, la donnée est un actif qui se gère, se gouverne et se valorise de multiples manières.

Mme Corinne Bouchoux, rapporteure. - Je vous remercie pour votre sens de la pédagogie. Vous avez fort bien expliqué les trois opportunités que notre mission souhaitait étudier. Un des enjeux était de favoriser une démocratie plus dynamique. D'autre part, dans le groupe écologiste auquel j'appartiens et dont l'obstination à vanter l'industrie de la transition énergétique est bien connue, nous pensons qu'il y a aussi une nouvelle industrie, un nouveau modèle économique avec de nouveaux gisements d'activités et d'emplois. Enfin, à l'heure où la situation budgétaire est contrainte, la possibilité de choix éclairés est particulièrement importante.

Il me semble qu'en France, la recherche sur le nouveau modèle économique qui se profile est trop peu documentée. A l'inverse, elle est très en avance dans les pays nordiques et aux Etats-Unis où l'on y consacre des thèses et des séminaires. Confirmez-vous cette insuffisance de la recherche française ? Comment rattraper ce retard ? Nous allons devoir convaincre les 80 % de nos collègues qui n'ont pas d'avis.

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Pas seulement nos collègues...

Mme Corinne Bouchoux, rapporteure. - Avez-vous des suggestions à nous faire ?

M. Simon Chignard. - Des programmes sont en train de se monter mais les recherches manquent sur la valeur des données. J'ai été surpris de ne rien trouver sur le sujet dans la littérature scientifique, alors que les marchés de données existent depuis très longtemps, notamment le marché de la donnée juridique ou de la donnée météorologique. Pour autant, je ne crois pas que l'Etat soit assis sur une mine d'or qu'il va vendre : quelques soient les modèles de valorisation de ces données, il ne s'agit pas de données directement monnayables sur un marché.

Un autre manque concerne la recherche sur l'impact des modèles économiques ouverts. Il y a déjà des études sur l'ouverture des contenus de la science qui en analyse l'impact, y compris sur le plan économique. Je peux vous transmettre quelques références.

Le meilleur ouvreur de données est celui qui les réutilise. Un vrai enjeu serait que les acteurs de l'open data soient dans une logique de réutilisation et pas seulement de publication. L'ouverture des données publiques pourrait encourager cette boucle. Faire des portails d'open data ne relève pas d'une logique de diffusion mais d'une logique de travail. Les données mises en ligne montrent souvent que les services qui les produisent n'en font pas grand-chose. C'est déjà un peu le cas : à la mairie de Paris, les statistiques ont montré que la plupart des consultations du portail venaient des services internes. Cela éclaire sur la capacité d'une donnée à être réutilisée.

Mme Corinne Bouchoux, rapporteure. - Vous avez dit que l'anonymisation des données n'était pas toujours pertinente et qu'il y avait plutôt une perte de valeur que des risques de fuites. Croyez-vous que l'instance d'anonymisation devrait être différente du producteur initial ?

M. Simon Chignard. - Je ne suis pas sûr que ce soit la réponse la plus adaptée, compte tenu de la fréquence des besoins actuels. Dans le domaine de la santé, l'anonymisation est très forte et importante. Dans d'autres domaines, elle est beaucoup plus triviale. Le fichier des prénoms est l'un des plus consultés sur le portail des collectivités. Il recense les prénoms donnés chaque année dans chaque ville. Le portail de Rennes explique qu'en raison d'une recommandation de la Cnil, les prénoms donnés moins de cinq fois n'y figurent pas. Or la Cnil n'a émis aucune recommandation sur le sujet. Rennes dit avoir copié sur Nantes, qui a copié sur Paris. A Paris, le service de l'état-civil recommande de ne pas mentionner les prénoms donnés moins de trois fois : le responsable du portail de Paris a pris une marge de sécurité.... En pratique, ce choix arbitraire fait que trois-quarts des naissances sont occultées, appauvrissant ainsi considérablement la qualité de l'information. Il n'est pas toujours nécessaire qu'un organisme soit en charge de l'anonymisation, mais il faut quelques règles de bon sens.

Mme Corinne Bouchoux, rapporteure. - Les lois de 1978 étaient libérales. Sur quels points suggéreriez-vous de les modifier pour les adapter aux évolutions technologiques ? La question du coût de l'open data revient souvent. Dans quelle mesure peut-on dire qu'il s'agit plutôt d'un investissement ?

M. Simon Chignard. - Sans être spécialiste des lois de 1978, j'ai toujours été frappé que la France se soit dotée de deux lois sur le sujet à quelques mois d'intervalle. La révolution numérique les remet en question sur bien des aspects. La logique du droit d'accès ne correspond pas à la pratique du numérique qui fonctionne sur une logique de publication. Lorsque la Cada donne un avis favorable à l'accès, celui-ci n'est pas pour autant publié. Les pratiques des données personnelles remettent en cause nombre des fondamentaux de leur protection - le principe du consentement explicite, le principe de finalité. Faut-il adapter la loi aux pratiques ou bien les pratiques à la loi ? Le choix revient au législateur.

Mme Corinne Bouchoux, rapporteure. - Les administrations se plaignent de ne pas avoir les moyens financiers et humains de se lancer dans l'open data. Comment leur expliquer qu'il s'agit à long terme d'un investissement ?

M. Simon Chignard. - L'investissement ne repose pas sur l'open data, mais sur la gouvernance des données grâce à laquelle l'on ira plus loin. L'Urssaf me demande plusieurs fois dans l'année de remplir des formulaires avec des informations que je ne trouve qu'auprès d'elle... Nous avons des problèmes de systèmes d'information à tous les niveaux. Il faut d'abord investir dans la donnée parce que l'ouverture en révèle les limites.

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Voilà qui révèle les limites du système.

M. Simon Chignard. - Des stratégies d'ouverture contribuent à l'amélioration des données et à une meilleure valorisation. C'est un moyen, non un objectif.

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Les premiers utilisateurs des données sont les services. Cela devrait contribuer à améliorer la qualité des données. Je suis conseiller général. Je ne suis pas certain qu'il y ait une cohérence entre les données de la Caf et celles des services du conseil général. Je ne suis pas sûr non plus qu'ils utilisent les mêmes bases. Les dysfonctionnements constatés ne sont pas étonnants. Les classements font apparaître que dans le secteur des transports, les données ne sont pas aussi bien faites et ouvertes qu'elles devraient l'être. Quel avis portez-vous sur cela ?

M. Simon Chignard. - Un débat thématique doit s'ouvrir prochainement sur le sujet. Les données du transport sont les plus demandées, les plus réutilisées, et les plus soumises à usages non officiels. Elles sont aussi extrêmement complexes. Le statut juridique de ceux qui les détiennent est variable. La question de la propriété des données gérées par les systèmes se pose entre les différents intervenants, l'exploitant, le fournisseur des données .... C'est un champ qu'il faut travailler.

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Je vous remercie.

Audition de MM Julien Rencki, secrétaire général pour la modernisation de l'action publique (SGMAP) et Henri Verdier, directeur de la mission Etalab au SGMAP

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Nous entendons MM. Julien Rencki, secrétaire général pour la modernisation de l'action publique (SGMAP) et Henri Verdier, directeur de la mission Etalab au SGMAP. Pourriez-vous nous rappeler le statut, les missions et les moyens du SGMAP, et nous indiquer comment la mise en ligne et la publication des documents administratifs ainsi que l'ouverture des données publiques s'inscrivent dans la démarche de modernisation des administrations ? Quelle part prend-t-elle effectivement dans les programmes ministériels de modernisation et de simplification ? Le SGMAP ne pourrait-il faciliter l'accès aux documents administratifs, par exemple en normalisant la mise en place systématique d'un accès électronique sur la page d'accueil des portails publics ? A-t-il défini des orientations, une stratégie et un contrôle en matière de publication des documents administratifs ? Surveille-t-il la publication des répertoires, leur qualité et leur mise à jour ? Quel regard porte-t-il enfin sur l'ouverture des données publiques ? Les effets de cette démarche ont-ils été mesurés ? Les retombées répondent-elles aux ambitions initiales ?

D'un point de vue plus technique, un questionnaire très détaillé a été envoyé à M. Verdier. L'approche retenue en France en matière d'ouverture des données publiques est-elle comparable à celle des pays les plus avancés en la matière ? Qu'en est-il de la dimension collaborative et de l'organisation de l'écosystème des réutilisateurs de données ? Comment envisagez-vous d'améliorer la qualité et la lisibilité des données mises en ligne sur data.gouv.fr ? Enfin, comment voyez-vous l'avenir ?

M. Julien Rencki, secrétaire général du SGMAP. - Le SGMAP est une administration jeune, créée il y a un an et demi, et qui ressemble au portrait classique qu'Edgar Pisani a dressé des administrations de mission en les opposant aux administrations de gestion : « L'administration de mission est légère, elle a le goût de faire faire, elle est réaliste, elle est mouvante, elle va vers l'événement, elle est mêlée à la vie, elle n'attend pas l'initiative, elle la sollicite, elle prend des risques ». Le SGMAP est une structure interministérielle, placée sous l'autorité du Premier ministre et mise à disposition de la ministre en charge de la réforme de l'Etat.

Venus d'horizons divers, ses 170 collaborateurs partagent une même passion pour la réforme de l'Etat. Le SGMAP est né de la fusion de trois entités : la Direction générale à la modernisation de l'Etat (DGMAP), la Direction interministérielle des systèmes d'information et de communication - la Disic, qui est la DSI de l'Etat- et Etalab, que dirige Henri Verdier.

Le SGMAP a pour mission ambitieuse de contribuer à répondre aux défis auxquels l'administration et l'action publique sont confrontées : défi de l'adaptation aux évolutions économiques et sociales, de la mobilité des entreprises et des salariés, du vieillissement, les enjeux d'attractivité et de compétitivité, défi des nouvelles attentes de services de nos concitoyens, défi de la révolution numérique, défi des attentes nouvelles des agents publics qui aspirent à une rénovation du mode de management, défi du redressement des finances publiques auquel la MAP doit prendre sa part comme boîte à outils. Nous devons essayer de dessiner l'action publique de demain, plus ouverte, plus agile, plus innovante et économe. Nous sommes responsables de la conception et de l'animation interministérielle de la réforme de l'Etat, conduite d'abord par les ministères et sous la responsabilité des ministres. Nous ne sommes pas un prescripteur, mais un aiguillon de la modernisation.

Ce rôle s'incarne dans quelques axes d'action : l'amélioration de la qualité des services publics, grâce à la stimulation de l'innovation publique, l'écoute des usagers, le choc de simplification. Nous jouons également un rôle dans l'évaluation participative des politiques publiques : une soixantaine d'évaluations sont engagées, couvrant 20 % de la dépense publique. Nous apportons un appui concret aux administrations confrontées à des transformations. Enfin, nous soutenons l'accélération de la transition numérique de l'Etat au travers de la stratégie numérique de l'Etat dont l'open data est une partie essentielle.

La stratégie numérique de l'Etat donne son sens à la création du SGMAP qui rassemble en son sein les compétences nécessaires pour la piloter et la mettre en oeuvre. Elle s'appuie sur trois piliers. Tout d'abord, et c'est le rôle que le dernier Cimap (Conseil interministériel pour la modernisation de l'action publique) a confié à la Disic, la modernisation en profondeur de ses systèmes d'information pour donner à l'Etat une architecture numérique moins cloisonnée, plus solide et plus agile, indispensable pour lui permettre de développer son ambition numérique, notamment en offrant de nouveaux services. Le second pilier est l'offre de services numériques, qui est porteuse de gains d'efficience pour l'administration ; de nouveaux services seront bâtis autour des besoins des usagers, faisant fi du découpage des structures administratives. Enfin, la politique d'ouverture des données, qui est au coeur de la modernisation de l'action publique depuis son lancement. Elle répond à trois objectifs : l'impératif démocratique de redevabilité de l'Etat qui trouve sa source dans l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : le public a le droit de savoir et de comprendre comment l'administration prend ses décisions et l'usage qu'elle fait des ressources qui lui sont confiées. Elle contribue également à stimuler l'activité économique et l'innovation sociale. Enfin, elle est un levier pour la modernisation de l'action publique. L'open data a bénéficié de son insertion en 2012 dans l'agenda de la MAP, faisant l'objet d'une impulsion et d'une dynamique nouvelles, puisqu'il a été discuté lors de quatre comités interministériels successifs, sous la présidence du Premier ministre, ce qui traduit un engagement fort. Des avancées nombreuses ont été réalisées, qu'il s'agisse du nombre des données rendues accessibles, des progrès sur le front de la gratuité, de la facilitation des conditions de leur réutilisation. Les programmes de modernisation des ministères sont mis à contribution pour diffuser en profondeur cette dynamique d'ouverture des données dans les administrations de l'Etat. L'open data contribue à la modernisation de l'action publique ; c'est en particulier un facteur de décloisonnement puissant des administrations, ce qui fait que les fonctionnaires en sont les premiers bénéficiaires. Ainsi, les données sur la qualité des eaux souterraines et celles sur les rivières peuvent-elles aujourd'hui être rapprochées, ce qui n'était pas le cas il y a peu.

L'open data est également un vecteur de co-construction des politiques publiques avec les acteurs de la société civile. Le nouveau site data.gouv.fr, créé il y a trois mois, recueille 900 contributions citoyennes qui réinterprètent les données publiques et permettent à l'administration d'être plus intelligente.

L'évaluation des politiques publiques disposera systématiquement d'un volet open data. Ainsi, faut-il rapprocher les données sur l'état des routes (détenues par les conseils généraux) de celles relatives à l'accidentologie (produites par l'Etat) afin d'améliorer la sécurité routière.

L'open data, qui restera une priorité, n'est qu'une des facettes de la politique de la donnée de la puissance publique qui recouvre des enjeux multiples et parfois contradictoires, entre protection de la vie privée et transparence démocratique, entre appui à l'innovation économique et protection d'enjeux économiques vitaux, entre opportunité pour le développement de nouveaux services publics et, pour certains opérateurs, perte de monopoles de la production de données par exemple.

Le SGMAP est particulièrement attentif à la question de la capacité de l'Etat à faire que la valeur que portent les données puisse être exploitée au bénéfice de nos concitoyens et des politiques publiques. Les données publiques sont parfois présentées comme des mines d'or relativement inexploitées et qui pourraient l'être davantage pour renforcer l'efficacité des politiques publiques tout en réduisant les dépenses, grâce notamment au partage des données entre administrations. Nous expérimentons ainsi en ce moment une simplification des marchés publics - je pourrais aussi évoquer la conception et l'implantation des équipements publics, la lutte contre la fraude ou l'amélioration de la santé publique.

Nous abordons toutes ces questions avec beaucoup d'humilité : Etalab a trois ans, le SGMAP dix-huit mois et je suis secrétaire général depuis six mois. Nos partenaires internationaux, confrontés aux mêmes problématiques, cherchent, eux-aussi, les bonnes réponses. Nous sommes au début de l'aventure de la donnée.

Il est essentiel que l'Etat dispose des capacités de maîtriser ses données, que ce soit pour les partager, les exploiter pour son propre compte, les protéger mais aussi pour en restreindre l'usage. Cette question est multidimensionnelle, technique, technologique, de compétences, de ressources humaines : dispose-t-il en son sein des compétences, ses cadres sont-ils suffisamment formés à ces enjeux ? Nous attendons avec impatience les recommandations de votre mission commune d'information.

M. Henri Verdier, directeur de la mission Etalab. - Ne cédons pas au charme de l'hypostase : parler de l'open data n'en fait pas une réalité tangible. C'est un mouvement aujourd'hui protéiforme. L'Etat met en place de nouvelles politiques publiques, en concertation avec des partenaires internationaux alors que la société et l'économie se transforment de façon radicale sous l'effet de la révolution numérique. Nous vivons en effet la troisième révolution industrielle qui redéfinira la valeur, les principes d'organisation et les logiques d'efficacité.

Le SGMAP estime que le travail sur la fluidité de l'information, sa meilleure exploitation, est un moyen de parvenir à une démocratie plus aboutie, de stimuler l'innovation économique et sociale et la croissance. C'est aussi un moyen d'améliorer l'efficacité de l'action publique.

Au sein d'une petite administration de mission, sans avoir autorité directe sur les données des administrations derrière lesquelles il y a une expertise métier, un savoir sur une politique publique, nous agissons sur trois niveaux. Nous accompagnons l'administration dans ses démarches d'ouverture et de partage : nous travaillons d'ailleurs avec un réseau de treize correspondants open data auprès de chaque secrétaire général. Nous développons et animons le portail national data.gouv.fr. Enfin, nous encourageons les réutilisations pour que cet effort de partage de données débouche sur de nouveaux services et crée de la valeur et des emplois.

Notre mission est très large, alors que notre équipe ne compte qu'une dizaine de personnes. L'open data prend place dans ce contexte de révolution numérique. Nous ne sommes pas simplement un au-delà de la loi Cada : avec la révolution numérique, ce droit est en pleine métamorphose. Cette troisième révolution industrielle emporte une radicalité de l'évolution technologique dont on peine parfois à prendre la mesure : tous les dix ans, la puissance des ordinateurs est multipliée par dix, ce qui fait que tous les dix ans nous changeons de monde industriel. Ce qui était hors de portée il y a une décennie devient la norme. Nous vivons une révolution qui est aussi économique, avec de nouveaux acteurs dont certains sont encombrants pour la puissance publique ; l'entrepreneuriat et l'innovation retrouvent toute leur place dans notre pays ; comme au temps où la France régnait sur le monde de l'innovation au début du XXe siècle, de petites équipes motivées peuvent changer le monde. Il faut donc avoir une politique .

Nous voyons arriver de nouvelles manières d'agir et d'être efficaces dans la sphère privée comme dans la sphère publique. Ainsi en est-il de la cartographie, qui met à disposition un nouveau référentiel ; ainsi faut-il s'organiser pour attirer à soi l'innovation ouverte, qui n'est pas le réflexe normal d'une grande institution mais peut se révéler la manière la plus efficace d'être innovant ; ainsi faut-il développer des stratégies de plate-forme qui ont fait le succès des géants du numérique et qui mettent les données en culture : elles peuvent aussi être des stratégies d'efficacité de la puissance publique. Pour le secteur public, vendre de la donnée brute est choquant au regard des missions de service public de l'Etat et surtout bien maladroit car cela en interdit la valorisation et donc l'innovation qui aurait pu résulter de son exploitation, et risque de créer une rente au seul profit de certains.

Cette troisième révolution industrielle implique également de profonds changements politiques : nous avons tous dans la poche une puissance de calcul dont rêvait l'armée américaine il y a trente ans. Nos concitoyens sont équipés, éduqués, informés : ils veulent participer au débat public et la sphère politique doit s'adapter pour répondre à ces nouvelles attentes. Il faut travailler sur tous ces savoirs que détient l'Etat. Pour moi, ces données sont comparable au sang dans un organisme vivant : elles charrient du savoir, de l'oxygène, des nutriments...

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Des maladies aussi !

M. Henri Verdier. - La métaphore est bonne, car il peut effectivement y avoir aussi du danger.

Le changement culturel est en marche, Etalab doit l'accompagner. Une démocratie plus aboutie implique également de donner aux citoyens plus de ressources pour agir, pour se mêler aux débats publics, pour prendre leur destin en main : c'est la capacitation, l'empowerment, la libération de la puissance d'action dans la société civile.

Nous devons concevoir de nouvelles infrastructures de données pour faire naître des secteurs industriels. Prenant l'exemple du réseau GPS qui a fait naître aux Etats-Unis une filière industrielle complète, le président Obama se félicite de sa politique de l'open data. Nous devrons sans doute inventer d'autres filières industrielles dans l'énergie, le transport, le tourisme, la santé, à condition de concevoir et de financer les infrastructures de données qui donneront vie à ces secteurs industriels.

La société ouverte est déjà plus efficace grâce au décloisonnement des administrations, grâce aussi à la nouvelle façon de travailler des corps d'inspection comme des scientifiques qui savent qu'il est beaucoup plus facile de contrôler la validité de leurs travaux. Mais l'open data incitera également la puissance publique à entrer dans des stratégies fondées sur la donnée : stratégies d'efficacité par exemple de la ville de New-York qui fait passer ses patrouilles de police aux heures et dans les lieux où se manifeste la délinquance, qui a modifié l'implantation des casernes de pompiers pour réduire les durées moyennes d'intervention. En partageant les données, on les rend plus intelligentes.

Lors des échanges que nous avons avec nos collègues internationaux, nous discutons d'égal à égal. Nous nous intéressons mutuellement à nos choix technologiques respectifs. Nos amis britanniques estiment avoir diffusé une plus large part des données de l'Etat, mais celui-ci en détient moins et elles sont de moins bonne qualité que les nôtres.

La question du site data.gouv.fr est au coeur de notre stratégie multidimensionnelle. Pour nous, le site Internet constitue un levier pour faire réussir la politique d'ouverture des données publiques. Nous voulions que le portail facilite la vie des administrations qui souhaitent jouer le jeu et qu'il leur apporte des bénéfices. C'est pourquoi nous avons voulu, au-delà d'une logique démocratique, que les citoyens, les entreprises montrent les usages qu'ils ont faits des données. De même, autoriser la société civile à partager des données sur le portail, parce que l'Etat n'a pas le monopole de leur fabrication, a permis de créer une saine émulation : la dynamique sociale du site est à cet égard très prometteuse et contribuera à améliorer la qualité des données.

Nous avons considéré qu'Etalab ne devait pas devenir le réceptacle de l'ensemble des données publiques existantes : le site est un point d'entrée central pour les recherches ; il héberge les données des administrations qui n'ont pas de portail et déclare les données de celles qui possèdent le leur. Il est pour ces derniers un apporteur de trafic. De très nombreux organismes sont venus spontanément s'y déclarer, notamment des collectivités locales. Tout producteur de données publiques doit les partager afin de nouer un dialogue fécond avec ceux que ces données intéressent.

Nous sommes également saisis de nombreuses questions relatives à l'open data : l'année dernière, le cadre juridique et règlementaire a été revu ; nous avons notamment été associés à l'élaboration de la directive européenne « information du secteur public » et de la charte du G8. De très nombreuses lois parlent de données publiques et nous veillons à la cohérence en la matière.

Nous nous concertons avec le Coepia et nos référents open data. Nous avons constitué un réseau d'experts très pluraliste de la société civile qui apporte beaucoup d'idées novatrices. Avec des collectivités locales, nous sommes membre fondateur de l'association OpenData France. Nous suscitons et accompagnons des débats thématiques : il y aura sans doute une politique de la donnée ouverte pour les transports, qui ne sera pas la même que pour la santé ou l'énergie.

Le débat sur l'open data en santé était, il y a un an, très idéologique : les uns considéraient qu'on laissait mourir des patients faute de données, tandis que les autres estimaient que la vie privée des Français était bradée. Personne n'avait une vision exacte des données concernées, en particulier de celles qui portent des risques de réidentification. Nous avons dressé la cartographie la plus exhaustive possible de toutes les données qui existent dans le système de santé et nous l'avons mise en ligne en open data la semaine dernière : il y a plus de 260 systèmes d'information, bases de données et fichiers différents, plus ou moins centralisés, qui portent, ou non, des informations à caractère personnel.

Par-delà cet exercice de factualisation, de données sur la donnée, Etalab anime chaque année plus d'une dizaine d'événements avec les innovateurs afin de rapprocher les chercheurs, les entrepreneurs, les associations de citoyens activistes, de l'administration, ce qui constitue un grand apport à la modernisation de l'action publique.

Il faut également diffuser dans l'administration une culture de la donnée, pour que les politiques publiques soient construites à partir de la donnée, pilotées avec de la donnée, optimisées grâce à de la donnée. La nouvelle culture statistique, - les data sciences -, revue après la révolution numérique, avec par exemple des tests rapides associant l'informatique et la statistique, doit également être diffusée dans l'administration.

Nous relançons nos relations avec nos homologues étrangers qui sont très étroites : dans deux semaines se tiendra à Paris la conférence sur l'open data et le gouvernement ouvert : nos amis britanniques, américains, mexicains et allemands viendront y parler de cette transformation dans toutes ses dimensions. Bien sûr, ces débats seront diffusés sur Internet. Ce sera une étape dans le potentiel que recèle cette politique.

Cette politique naissante dans un monde mouvant est en pleine évolution : nous devons rester à l'écoute de nos homologues étrangers, mais aussi de la société. Pour une fois, la puissance publique est en avance de phase sur le secteur privé. Il ne faut pas faire des silos au sein de politiques de la donnée. Il y a trois ans, l'on tendait à séparer les données accessibles aux citoyens de celles ouvertes aux chercheurs. Or, il est préférable de mettre l'accent sur la fluidité intelligente de la donnée et que l'Etat apprenne à l'utiliser à son profit, à chercher pour lui-même à l'améliorer.

Il y aura un au-delà de l'open data lorsqu'on passera de la donnée au modèle, en ouvrant le code source, et donc en donnant les outils d'une citoyenneté active car les informations ne suffisent pas toujours, par exemple pour comprendre les effets d'une décision fiscale.

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Il s'agit finalement de pouvoir examiner comment une décision est prise. Les études d'impact ne sont-elles pas faites pour cela ?

M. Henri Verdier. - Elles ne sont pas toujours effectuées de manière extrêmement scientifique....

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Les ministères sont plus ou moins réticents à l'ouverture des données. Par exemple, le ministère de la justice n'est pas particulièrement en avance. Est-ce dû à des outils statistiques et informatiques qui ne sont pas très performants ? L'ancien ministère de l'équipement diffusait beaucoup de données de qualité, notamment pour les permis de construire, que le ministère des finances utilise pour l'impôt. Encouragez-vous les administrations à s'améliorer en la matière ?

M. Henri Verdier. - Certains ministères sont prédisposés à la diffusion des données, comme celui de l'écologie et de l'aménagement du territoire, sans doute parce que l'équipement était le lieu d'élection du corps des Ponts qui a inventé le concept d'externalité économique. Développer un territoire demande de l'information. Le ministère de l'intérieur a pris l'habitude de publier très rapidement les résultats électoraux. D'autres ministères sont traditionnellement les gardiens de secrets et ils nous voient arriver avec inquiétude. Le secret administratif était une valeur il y a encore 30 ou 40 ans, qui avait son éthique ; l'administration apprend à être une puissance publique qui dialogue dans la transparence : ce changement survient plus rapidement que je ne l'imaginais.

M. Julien Rencki. - Certains fonctionnaires n'ont pas nécessairement vu l'importance de la diffusion des données pour leurs politiques publiques et avec leurs parties prenantes. Notre rôle est de diffuser cette culture. Les moyens d'Etalab sont assez modestes et l'Etat n'est pas aujourd'hui à même d'inventorier l'intégralité de ses propres données. Il va falloir inventer une nouvelle gouvernance des données.

M. Henri Verdier. - Un nouveau métier est en train de naître, le chief data officer, chargé de créer un système de données complet, de s'assurer de sa fiabilité et de son utilité pour nourrir la décision. L'Etat devrait se doter d'une telle fonction.

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Les correspondants de l'open data dans chaque grand ministère ne pourraient-ils pas jouer ce rôle ?

M. Henri Verdier. - La représentation nationale pourrait s'interroger sur la façon dont des administrations s'opposent mutuellement au secret administratif.

Mme Corinne Bouchoux, rapporteure. - Merci pour ces exposés précis. Très souvent les résistances sont dues à la peur existentielle de personnes qui craignent un changement qui peut fragiliser leur posture professionnelle et de services qui ont peur d'être supprimés.

D'apparence technique, le sujet est surtout stratégique : faut-il modifier les deux lois fondatrices de 1978 ? Peut-on demander à la Cnil et à la Cada un changement radical de posture ? Comment convaincre notamment les parlementaires qu'il s'agit d'un enjeu stratégique pour éviter de voir passer le train de l'histoire et accompagner ces évolutions de révolution numérique et de transition démocratique ?

M. Henri Verdier. - Je fais partie du comité de prospective de la Cnil. A titre personnel, je crois que la France peut s'enorgueillir d'avoir voté les deux lois de 1978 : nos produits se trouveront peut-être bien de leur qualité numérique et de leur intelligence de la protection de la vie privée. En revanche, le cadre méthodologique conçu avant la révolution de l'informatique individuelle ne convient plus, notamment le contrôle par la finalité. Auparavant, on demandait aux producteurs de données ce qu'ils comptaient en faire. Aujourd'hui, la situation est toute autre car les gens testent d'abord pour innover.

Vous devrez vous interroger sur la différence entre les données à caractère personnel et la vie privée : qu'une donnée prenne un sens plus ou moins personnel n'implique pas l'intimité : avoir un marronnier devant sa fenêtre ne relève pas de la vie privée, laquelle concerne la liberté de conscience et la démocratie. Nous ne pourrons pourtant pas la protéger en gelant une donnée dès qu'elle a un caractère personnel.

La Cada n'est pas obsolète et les citoyens doivent disposer d'une voie de recours pour obtenir des informations. En revanche, elle ne dispose que de 13 personnes et elle n'a pas les moyens juridiques de mener à bien sa mission. Elle ne souhaite pas recevoir un pouvoir d'injonction car elle ne pourrait défendre 5 000 avis par an devant les tribunaux administratifs. Une réflexion sur ses moyens est indispensable.

Dans les régimes despotiques, l'Etat est en totale opacité et la vie des citoyens en totale transparence ; dans les démocraties, c'est l'inverse. Nous devons entrer collectivement dans l'intelligence du numérique. Il n'y a pas de silver bullet : personne ne gagnera seul.

M. Julien Rencki. - Nous devrons montrer quelles sont les améliorations concrètes qu'apporte l'exploitation de la donnée dans les politiques publiques.

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Nous vous remercions infiniment.

Audition de Mme Marylise Lebranch, ministre de la décentralisation, de la réforme de l'Etat et de la fonction publique

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Merci, madame la ministre, d'avoir répondu à notre invitation. Nous souhaiterions savoir comment vous sensibilisez les administrations à leurs obligations en matière d'accès aux documents administratifs. Que penseriez-vous d'un renforcement des pouvoirs de la Cada ? Ne faudrait-il pas systématiser la publication de certains documents d'intérêt général, mieux documenter les informations publiées ? Une réflexion sur la cartographie des portails administratifs et sur leur articulation avec les collectivités locales ne serait-elle pas nécessaire ? Ne pensez-vous pas nécessaire de mieux informer en amont les citoyens, les associations et les acteurs économiques pour les associer à la prise de décision ? Les administrations sont-elles entrées culturellement et techniquement dans la démarche d'ouverture des données publiques ? Comment le modèle économique de production et de gestion des données doit-il s'adapter au principe de gratuité affiché par le Gouvernement ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation, de la réforme de l'Etat et de la fonction publique. - Nous en sommes à un moment important de l'open data et certaines collectivités territoriales avaient précédé l'Etat dans cette démarche. La transparence est un enjeu pour la démocratie, mais aussi pour la création d'entreprises et pour l'emploi. A Rennes, handimap, un système embarqué sur les Smartphones indique aux personnes handicapées quelles rues emprunter pour cheminer sans encombre par exemple jusqu'à la gare, et cela grâce à des données récoltées par la ville. M. Ayrault avait fait une priorité de la mise en ligne des données de l'Etat à un faible coût.

L'expression open data n'est pas du tout connue de nos concitoyens : il nous faudra peut-être inventer une expression française, car il s'agit d'un enjeu démocratique important. En outre, à chaque fois que l'on demande à une administration de mettre en ligne ses données, elle doit les mettre en ordre, en organiser la présentation, ce qui permet de moderniser l'action publique.

Dans le projet de loi de modernisation de l'action publique, nous ne devrons pas oublier de parler de l'extension de l'open data et de la fongibilité des systèmes pour renforcer la transparence des données. Dans un premier temps, Bercy voulait faire payer les données, mais le Gouvernement a souhaité mettre en ligne un maximum de données gratuites, ce qui constitue une petite révolution culturelle.

L'ouverture des données est un enjeu de démocratie, reconnu par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen en son article 15. La reconnaissance du droit d'accès aux données publiques est essentielle, et elle devra être décrite et documentée dans la loi - les conclusions de votre mission nous seront très précieuses. Elle passe par les Archives nationales ainsi que par les missions de l'Etat. Il nous faut un grand service public de l'information statistique. Depuis 1978, la Cada s'en charge, mais il ne s'agit que d'une étape. Cette évolution est loin d'être achevée. Le vocabulaire employé dans les données disponibles est trop compliqué pour être compris par tous. Toutefois, un outil comme Legifrance est bien connu.

Il y a quinze jours, un article de Courrier International sur l'action publique du XXIe siècle rappelait qu'un enfant qui entre aujourd'hui en 6e n'a rien à voir avec celui qui y entrait il y a quinze ans. L'arrivée du numérique nous a obligés à l'interactivité et à la participation des citoyens.

Lorsque nous avons décidé il y a quelques mois de simplifier diverses procédures, les participations citoyennes ont été importantes et j'ai aussi facilement pu consulter les agents. Comme les choses changent rapidement, nous devons aussi être vigilants sur l'utilisation des données. Je me méfie beaucoup de leur utilisation : à une époque, les ministres de la santé s'inquiétaient de la consultation des encyclopédies médicales par les patients. Aujourd'hui, le sujet revient mais à cause des sites Internet. Faut-il instaurer un pouvoir régulateur ou une médiation publique ? Nous devons définir le type de régulation adéquat. Nos concitoyens comprennent-ils que certains sites sont totalement privés, portés par certains intérêts, sans contrôle ni régulation ni médiation ?

La modernisation de l'Etat sera accélérée par cette volonté de transparence. Les administrations centrales, déconcentrées et locales sont déjà sensibilisées à la question. Les textes existent depuis 1978, mais nous devons changer la nature des publications et accompagner toutes les administrations. Certaines sont en avance, comme à Marseille ou à Rennes ; d'autres nous demandent de les aider. Les directeurs d'administration centrale comme les directeurs généraux des services des collectivités sont maintenant largement sensibilisés. En revanche, une aide technique à faire et à bien faire est sollicitée. Il faut conforter Etalab. Pour autant, y croiser les cultures ne suffira pas, il faut aussi réfléchir aux usages. Or il existe à ce niveau beaucoup de résistances. L'esprit start-up domine mais nombre d'entreprises des secteurs classiques de l'économie, qui avaient pourtant la culture de l'innovation, ne se sont pas saisies des nouvelles opportunités ainsi offertes. Il convient de former les personnels, de développer la médiation : quels outils mobiliser, quels logiciels, quelle mise à jour ? L'on dépend aussi de l'outil et de sa maintenance. Etalab est un point d'appui qui peut fournir des conseils utiles pour guider les choix dans la bonne direction. Nous avons mis en place une nouvelle plate-forme data.gouv.fr, mais pour le citoyen lambda, le terme  « data » n'est pas explicite.

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Peut-être faudra-t-il alors changer de mot ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre. - Ou sensibiliser un maximum de citoyens au fait que cette plate-forme existe. Nous avons trop de sites, trop de portails, trop d'entrées. Celui qui veut proposer une simplification connaît-il faire-simple.gouv.fr ? Le numérique ne doit pas faire disparaître les relais classiques ni le cheminement habituel des informations, comme envoyer un mot aux intéressés pour les guider. En tout cas, il est frappant de constater à quel point l'on ignorait, lorsque nous avons mis en ligne les données, les potentialités de création qu'elles recélaient.

La Cada a un petit budget. Elle ne peut être saisie que si une administration a refusé de communiquer un document ; elle n'a pas de pouvoir d'injonction. Il faut se poser la question de la Cada telle qu'elle est. Faut-il raccourcir les délais ? Peut-être. S'il apparaît difficile d'aller vers un pouvoir d'injonction, la création d'un référé communication constitue une piste très intéressante qui pourrait permettre au citoyen de bénéficier d'une communication rapide.

Quelles sont les limites à la transparence ? C'est une question délicate. Il importe de préserver le secret industriel, commercial et privé. La transparence des données financières des entreprises risque d'avantager des entreprises étrangères qui n'y sont pas astreintes. Il ne faudrait pas que leurs clients prennent argument des résultats d'un fournisseur pour négocier une baisse de prix. Peut-être faut-il déposer les données financières sans les publier en ligne immédiatement. Ne mettons pas nos entreprises en difficultés par un différentiel de concurrence.

M. Jean-Jacques Hyest, président. - La transparence est néanmoins nécessaire.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. - La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a rendu un avis le 21 janvier 1999 : la liberté d'information prime sur le secret. Il faut trouver un équilibre entre le secret industriel et l'exigence de transparence. Si les aides publiques perçues par les entreprises doivent être publiques, il en va différemment des expertises fondant les autorisations de mise sur le marché des médicaments, car mettre en ligne les expertises scientifiques préalables dévoilerait du même coup la nature de l'innovation, de sorte qu'il suffirait à un concurrent de modifier un détail pour pouvoir déposer un brevet concurrent.

Oui, le secret fiscal est plus fort en France que la transparence. Si les statistiques du ministère de l'économie et des finances sont mises en ligne - revenu moyen, médian, revenu par habitant, CSP -, il sera possible d'identifier qui paie quoi et qui gagne combien dans une commune.

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Au moins qui acquitte l'ISF.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. - A titre personnel, je n'ai pas d'état d'âme : on finira par publier les feuilles d'impôt. Néanmoins la protection des données personnelles est un droit fondamental. Toucher à notre loi fondamentale, c'est changer de régime.

L'article 9 du code civil fonde le droit au respect de la vie privée. Est-il protégé pour autant ? En vérité, je ne sais pas. Une difficulté concerne les personnes morales. La protection de la vie privée des entreprises est très relative, tout comme celle des chefs d'entreprise, y compris de leur famille. Tout cela mérite sans doute d'être revisité.

Oui, il serait judicieux de systématiser la publication de certains documents d'intérêt général, tels les plans locaux d'urbanisme (PLU), les plans locaux d'urbanisme intercommunaux (Plui), les schémas de cohérence territoriale (Scot), les études d'impact, etc. La tâche des élus locaux en serait facilitée et la démocratie renforcée. Les administrations devraient aussi rendre publiques la méthodologie qui sous-tend leurs études et analyses, car les résultats en dépendent, et les données brutes. La question ne concerne pas seulement la détermination du coefficient budgétaire qui a fait couler beaucoup d'encre... Plutôt que de nouvelles contraintes, pourquoi ne pas prévoir un système d'information partagée, développé par Etalab pour naviguer entre informations sans obstacles de code, de formats ...?

Etalab a engagé une réflexion sur la cartographie des données de santé. M. Garrec se souvient du grand débat sur les liens entre la qualité de l'eau sur la côte ouest et les cancers de l'estomac. Les conclusions de la mission n'étant pas vérifiables, l'étude a été très discutée...

M. René Garrec. - L'équipe de physiciens et de professeurs de faculté fonctionne toujours !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. - Etablir une cartographie méthodique suppose une gouvernance. Faut-il un SG - secrétariat général - des données, à l'image du chief data officer anglo-saxon ? Pourquoi pas ? L'enjeu est de fournir des données publiques pour nourrir le débat public. Pour cela, il faut qu'elles soient gérées.

Les petites communes auront plus de difficultés à ouvrir un portail. Il est possible d'envisager une interface avec data.gouv.fr et de mettre ce site au service des collectivités territoriales. La décentralisation ne signifie pas la segmentation de l'action publique : les collectivités territoriales exercent des compétences au nom de l'Etat.

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Je l'ai toujours dit !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. - Sur la question de l'association des citoyens à la décision publique, je suis très favorable au développement documenté de l'information délibérative. Nous travaillons avec la Commission nationale du débat public sur la mise à disposition en ligne des documents de consultation.

Nous devons par ailleurs améliorer l'information technique tout en accompagnant les collectivités comme les administrations. Il faut que l'interministériel, dont les vertus sont depuis longtemps reconnues, prenne corps : nous raisonnons encore trop en silos. C'est affaire de sensibilisation et de culture. Le chemin de l'ouverture des données publiques sera long...

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Plus ou moins !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. - J'ai été frappée de constater l'absence de beaucoup de responsables d'administrations centrales lorsque Etalab a présenté son portail, comme si l'enjeu ne les concernait pas directement. La transparence des données publiques est pourtant devenue une question de service public ; depuis deux ans les progrès sont sensibles et Etalab est devenu un objet identifié.

Le 24 avril se tiendra la conférence de Paris sur l'open data. Nous réfléchissons à adhérer à l'organisation internationale. Nous avons travaillé avec le Canada au sein de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur la recherche de l'innovation en matière de politiques publiques, ainsi qu'avec le Danemark sur les laboratoires d'évaluation des politiques publiques : la transparence des données publiques apparaît comme un facteur essentiel de modernisation de l'action publique.

Le financement n'est plus un problème. Le principe de gratuité n'est pas un obstacle. Le coût des nouvelles installations l'a montré. Les clouds sont des sources ouvertes. La loi de 1978 avait décidé leur mise à disposition gratuite. Si nous restons fidèles au principe que les biens communs ne peuvent faire l'objet d'une vente, alors les données publiques, qui en font partie, ne sauraient être vendues. Les opérateurs trouvent progressivement leur modèle économique. Le rapport Trojette est éclairant à cet égard.

Les limites de l'ouverture au regard des enjeux de l'intelligence économique m'avez-vous demandé ? Je garde mes doutes : quelle médiation, quelle protection, quelle vérification ? Mettons en ligne pour nourrir l'innovation mais protégeons les secrets légaux et les secrets industriels.

Alors, quelle stratégie pour accompagner l'ouverture des données publiques ? Les acteurs existent en Europe. Il faut les encourager. L'Europe, ce vieux continent, a été très innovante. En termes de connaissances, nous ne sommes pas en retard.

Doit-on mettre en place une gouvernance des données distincte des producteurs dans certains secteurs sensibles comme la santé par exemple ? Nous y parviendrons avec un mode de gouvernance cohérent des données de l'Etat sous l'égide du Premier ministre, qui soit déliée des producteurs.

Faut-il encourager une approche collaborative des données publiques ? Oui. Nous souhaitons un open data social. Les collectivités territoriales ont choisi des licences différentes. Pour notre plate-forme, nous avons autorisé tous les types de licences, y compris les licences ouvertes. Je n'ai mis aucune restriction.

La transposition de la directive de juin 2013 est prévue dans le cadre de la grande loi sur le numérique ; le projet de loi n'est pas finalisé, votre contribution sera utile, je note d'ailleurs votre remarque sur le droit d'auteur des fonctionnaires qu'il faut régler. Nous souhaitons organiser une concertation publique sous l'égide du Conseil national du numérique. Le secrétariat d'Etat en charge du numérique suivra ce dossier, en concertation avec nous. Je souhaite que nous travaillions ensemble pour éviter les divergences.

M. Jean-Jacques Hyest, président. - La décision de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) en matière de protection des données personnelles, la semaine dernière, témoigne du progrès en Europe d'une démarche prudente, dans le droit fil d'ailleurs des positions de la commission des lois du Sénat mais ce sujet est traité par une mission d'information de la commission.

La gratuité inquiète l'IGN, Météo France ou l'INA car l'élaboration de leurs données est coûteuse. Celles-ci constituent-elles un bien commun ou peuvent-elles faire l'objet d'une tarification ? L'INA met d'ailleurs ses prestations en ligne, de manière payante, avec succès et a ainsi amélioré sa situation financière. Faut-il modifier le statut de l'IGN et le transformer en établissement public à caractère industriel et commercial (Epic) ? La mise à jour permanente de ses données a un coût. Il est en tout cas nécessaire d'assurer la transition. N'est-il pas choquant d'autoriser une multinationale américaine d'Internet à réutiliser gratuitement ces données pour les revendre ensuite ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre. - En effet, soit on modifie le statut de ces opérateurs pour qu'ils puissent continuer à vendre leurs prestations, soit on les aide, avec un fonds public d'investissement sur l'innovation publique, comme le suggère le SGMAP. Le débat est ouvert. J'ai confié une mission complémentaire à Philippe Lemoine sur l'utilisation des données. Convient-il de distinguer les données brutes et celles plus élaborées comportant une valeur ajoutée : les cartes de l'IGN, par exemple, fournissent des informations géologiques qui résultent d'analyses du terrain et qui ne sont pas accessibles autrement. A priori, je ne suis pas favorable à la mise en ligne gratuitement de ces dernières ; il a deux types de données publiques. Cependant, rien n'est tranché.

Mme Corinne Bouchoux, rapporteure. - Notre pays est confronté au triple défi de la transition énergétique, de la transition numérique et de la transition démocratique. Le groupe écologique a utilisé son droit de tirage annuel pour proposer la création de cette mission car ce sujet constitue un instrument de levier qui influe sur tous les champs de l'action publique. Nous cherchons à dresser un constat partagé autour d'un nombre de propositions limité, immédiatement efficaces. Quelles seraient, selon vous, les trois actions majeures sur lesquelles vous aimeriez avoir prise ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre. - Tout d'abord, il faut que les administrations centrales travaillent davantage en interministériel grâce au numérique et en connexion avec les collectivités territoriales : parvenir à partager les données serait formidable et le débat sur le millefeuille territorial en serait grandement simplifié ! Etalab pourrait constituer la plate-forme nodale dans ce dispositif. Nous devons ensuite réfléchir à la protection des données et à l'étendue du secret. Enfin, il convient de déterminer le périmètre des données dont le citoyen peut avoir besoin à tous les niveaux et les mettre à sa disposition.

Notre excellent fonctionnement juridique sur les enquêtes d'utilité publique, les schémas d'urbanisme ou les décisions qui heurtent le droit de propriété, a abouti à la formation de groupes de pression plus que de groupes d'analyse qui contribuent au débat public. C'est un échec démocratique. Imaginez un débat public sur l'avenir des départements en 2021 : quels sont les citoyens suffisamment informés pour pouvoir participer à égalité avec les élus ? Combien savent-ils que le RSA est payé par les départements grâce à des dotations de l'Etat mais que les conseils départementaux y contribuent à hauteur de 3 milliards d'euros ?

Mme Catherine Procaccia. - Seuls les initiés le savent !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. - A tous les niveaux il faut accélérer l'ouverture des données. Je salue votre initiative. Je disais naguère que le Sénat était en avant des masses...

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Nous réfléchissons avant d'agir. Peut-être est-ce cela la sagesse ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre. - Si la transparence des données était totale, les citoyens nous supplieraient de ne pas fermer le Sénat et sa suppression ne serait pas présentée, comme en Italie, comme un élément de modernisation. Combien de personnes connaissent l'importance de vos travaux ? Vivement votre open data...

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Pourtant le site Internet du Sénat est très performant, bien meilleur que celui d'une autre assemblée.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. - Absolument. Le site du Sénat s'adresse aux élus locaux, et s'efforce d'être à la hauteur de ce public exigeant. Le site de l'Assemblée nationale l'oublie en voulant s'adresser à tous. Les élus vont d'ailleurs sur le site du Sénat depuis déjà plusieurs années.

Mme Catherine Procaccia. - J'aime entendre cela !

Mme Corinne Bouchoux, rapporteure. - Est-il opportun de travailler les lois sur la Cnil et la Cada ? Faut-il les changer pour avancer, ou bien changeront-elles quand nous aurons avancé ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre. - Tout doit aller de pair.

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Il n'est pas nécessaire de légiférer sur tout. La modernisation de l'action de l'Etat peut passer hors des lois, avec une nouvelle organisation par exemple.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. - En effet. Je me souviens de vous avoir entendu dire qu'on légiférait souvent lorsqu'on ne savait pas réfléchir.

M. Jean-Jacques Hyest, président. - La Cada c'est la garantie de la transparence contre le secret ; la Cnil c'est la garantie des citoyens contre l'envahissement et les croisements des fichiers.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. - N'oubliez pas la récente décision du Conseil constitutionnel sur le fichier positif...

M. Jean-Jacques Hyest, président. - ...ni celle de la CJUE sur la directive relative à la conservation des données.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. - On a perdu.

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Pas tout à fait. Nous étions plutôt réservés sur cette directive.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. - Les journalistes se demandaient pourquoi la CJUE avait été saisie. Etrange question car il s'agissait d'une directive.

M. René Garrec. - En effet !

M. Jean-Jacques Hyest, président. - C'est la voie de recours habituelle contre une directive ! Je vous remercie, madame la ministre d'avoir répondu à nos questions.

La réunion est levée à 12 h 20.