Mercredi 1er février 2017

- Présidence de M. Alain Milon, président -

La réunion est ouverte à 15 h 10.

Audition de Mmes Anne-Marie Armanteras-de Saxcé, directrice générale, et Céline Descamps, chargée de mission au bureau R4 (prises en charge post aigües, pathologies chroniques et santé mentale), de la Direction générale de l'offre de soins (DGOS)

M. Alain Milon, président. - Merci tout d'abord de vous être rendue disponible pour cette audition qui est au coeur des préoccupations de notre mission d'information. L'organisation des soins psychiatriques sur le territoire a été modifiée par la loi de modernisation de notre système de santé et les communautés psychiatriques de territoires qu'elle prévoit sont en train de se mettre en place. Des groupements hospitaliers de territoire (GHT) ont également été créés dont certains pourront être uniquement dans le domaine de la psychiatrie. La ministre a également mis en place le conseil national de la santé mentale dont nous auditionnerons le président prochainement. Sur tous ces points, votre analyse de la situation nous sera particulièrement utile.

Mme Anne-Marie Armenteras-de Saxcé, directrice générale de la Direction générale de l'offre de soins (DGOS). - Nous sommes particulièrement intéressés par le rapport que vous rendrez à l'issue de cette mission d'information. Le rôle de la psychiatrie infanto-juvénile est exigeant car il suscite beaucoup d'attentes. Nous sommes à un croisement de cycles d'organisation, ce qui nous oblige à nous interroger sur un certain nombre d'enjeux.

Les dernières lois de santé ont fait une large part à la psychiatrie et à la santé mentale. La psychiatrie infanto-juvénile est organisée en secteurs qui couvrent l'ensemble du territoire national et dont la gestion est confiée à des établissements psychiatriques assurant une responsabilité populationnelle. La loi de modernisation de notre système de santé a insisté sur la nécessité politique de garantir à l'ensemble de la population un recours de proximité en soins psychiatriques, notamment par l'organisation de soins ambulatoires, l'accessibilité territoriale et financière des soins psychiatriques ainsi que la continuité de ces soins. Autre acquis majeur de cette loi, le territoire est reconnu comme le bon endroit pour faire le diagnostic et pour libérer l'initiative des acteurs, qu'il s'agisse des élus, des représentants des organisations professionnelles ou des structures. L'organisation du territoire est primordiale et la création des GHT est de ce point de vue secondaire. Tel est le sens du décret du Conseil d'État actuellement en concertation pour poser les principes fédérateurs autour desquels les acteurs pourront élaborer un projet territorial de santé mentale, dans les territoires, en collaboration avec les agences régionales de santé. La psychiatrie est incluse dans ce parcours de santé mentale.

Il existe à ce jour 320 secteurs de psychiatrie infanto-juvénile qui prennent en charge les enfants et adolescents jusqu'à l'âge de 16 ans. Que faut-il faire pour la tranche des 16-18 ans ? Le sujet est en discussion et nous n'avons pas d'a priori sur la question. Le professeur Moro et Michel Laforcade ont rédigé des rapports sur le panier de soins qui devrait exister dans chaque territoire, quelle que soit l'offre proposée. Ils mentionnent l'opportunité qu'il y aurait à faire passer la prise en charge des enfants âgés de 16 ans dans le secteur des 16-18 ans car on éviterait ainsi une rupture trop brutale entre l'enfance et l'âge adulte. La réflexion mérite d'être approfondie en tenant compte du fait que l'accessibilité aux soins et la démographie des professionnels qui portent les structures de psychiatrie infanto-juvénile influent bien évidemment sur l'élasticité de la prise en charge.

L'offre de soins hospitalière de psychiatrie infanto-juvénile est majoritairement le fait des établissements publics ou à but non lucratif, même s'il existe aussi une offre libérale. Sur les 2 465 psychiatres infanto-juvéniles recensés en 2015, 38 % étaient des libéraux purs et 14 % avaient un exercice mixte, ce qui représente au total 1 287 praticiens. La prise en charge est essentiellement à temps partiel et très peu en hospitalisation complète. Les chiffres sont publics. Nous dénombrons 2 257 lits d'hospitalisation complète, dont 2 000 concentrés au sein d'établissements publics et privés à but non lucratif et 230 dans les établissements privés à but commercial. Sur les 9 500 places d'hospitalisation de jour, 9 400 sont dans des établissements publics ou à but non lucratif.

Cette offre d'hospitalisation est inégalement répartie, puisque 10 départements sont sans aucun lit d'hospitalisation en psychiatrie infanto-juvénile. Cependant, les enfants présentant des troubles psychiques peuvent aussi être pris en charge dans des structures médico-sociales comme les centres médicaux psychopédagogiques et les centres d'action médico-sociale précoce (CAMSP).

Cette offre est en très légère progression depuis 2001, avec une hausse de 4,5 % entre 2012 et 2014. Le nombre de centres médico-psychologiques est resté stable entre 2012 et 2014, oscillant entre 1 453 et 1 467. Les effectifs de l'ensemble des personnels exerçant dans les structures de psychiatrie infanto-juvénile ont augmenté de 4,5 % sur la même période.

L'activité est en forte croissance dans les secteurs de psychiatrie infanto-juvénile, puisque la file active a connu une augmentation de 82 % entre 1991 et 2003. Cette augmentation s'est poursuivie entre 2007 et 2014, à + 22 %, pour s'atténuer ensuite. On recense 530 000 enfants et adolescents suivis dans les secteurs depuis 2014. Cette augmentation de l'activité est difficile à absorber pour les établissements, de sorte que les délais d'attente sont devenus trop longs pour les familles, les enfants et les professionnels.

La démographie des pédopsychiatres est très défavorable. La France est relativement bien dotée en nombre de psychiatres : on en recense 15 000 en 2015, soit 22,8 pour 100 000 habitants, alors que la moyenne de l'OCDE est de 15,6. Ce nombre tend à s'accroître en raison de l'augmentation du numerus clausus depuis les années 2000 (+ 4 %). Cependant, la part des spécialistes de psychiatrie infanto-juvénile reste très insuffisante.

Il convient de préciser que le dénombrement de ces spécialistes est malaisé du fait que le diplôme d'études spécialisées (DES) est commun à la psychiatrie et à la psychiatrie infanto-juvénile considérée comme une qualification supplémentaire à acquérir dans un diplôme d'études spécialisées complémentaires (DESC). Les pouvoirs publics ne régulent que l'entrée dans le DES de psychiatrie générale. Le nombre de postes ouverts a augmenté de 500 en 2012 à 559 en 2015 pour retomber à 505 en 2016. Cependant, il ne suffit pas de déclarer des postes ouverts pour qu'ils soient pourvus.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Le DESC de psychiatrie infanto-juvénile est-il ouvert uniquement à ceux qui ont un diplôme de psychiatrie générale ?

Mme Anne-Marie Armanteras-de Saxcé. - Je pense que oui. Il faudrait vérifier.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Un étudiant qui voudrait se consacrer d'emblée à la pédopsychiatrie ne pourrait donc pas y accéder.

Mme Anne-Marie Armanteras-de Saxcé. - En 2015, le numerus clausus en psychiatrie générale a augmenté de 59 postes par rapport à 2012. Sur les 559 postes ouverts, 543 seulement ont été pourvus. Et en 2016, 497 postes ont été pourvus sur les 505 postes ouverts.

Une soixantaine de DESC en psychiatrie infanto-juvénile sont délivrés chaque année, soit plus précisément 55 en 2011-2012, 66 en 2012-2013 et 57 en 2013-2014. S'y ajoute le dispositif de la validation des acquis de l'expérience (VAE), soit 20 diplômes délivrés en 2013, 12 en 2014, 6 en 2015 et 5 en 2016. S'ajoute également la procédure de VAE ordinale en vigueur depuis 2015, avec 13 demandes et 9 validations cette année-là.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Sous quelles conditions est acquise la VAE en matière de psychiatrie infanto-juvénile ? Combien d'années faut-il exercer ? Qui valide ces années : le Conseil de l'ordre, l'université ? Il serait intéressant que vous puissiez nous transmettre des précisions là-dessus.

Mme Anne-Marie Armanteras-de Saxcé. - La réforme du troisième cycle des études médicales est en cours et la maquette du DES de psychiatrie n'est pas encore stabilisée. Nous y travaillons avec le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Nous sommes encore en concertation sur le nombre de stages prescrits en pédopsychiatrie, par exemple.

M. Michel Amiel, rapporteur. - C'est un point crucial. S'oriente-t-on plutôt vers un DES de pédopsychiatrie à part entière ou envisage-t-on de maintenir le système actuel avec un DESC de pédopsychiatrie ? Je découvre la notion de VAE qui ne peut que me surprendre. L'enfant n'est pas un adulte en miniature. Obtenir une formation en pédopsychiatrie par le biais d'une VAE me choque en tant que médecin.

M. René-Paul Savary. - Il n'y a de VAE qu'en psychiatrie ?

Mme Anne-Marie Armanteras-de Saxcé. - Non. La VAE existe dans tous les diplômes. Dans le cadre de la réforme du troisième cycle, la pédopsychiatrie sera une option. Les pédopsychiatres universitaires ont demandé la création d'un co-DES. Cela supposerait qu'il y ait suffisamment d'unités encadrées par des spécialistes sur le territoire pour accueillir des internes, ce qui n'est pas le cas. La solution retenue est plutôt celle d'une option de pédopsychiatrie d'une durée de un an à réaliser au terme du DES, dans le cadre d'une cinquième année d'études. Les questions relatives au nombre de stages à effectuer sont encore en discussion. Nous pourrions envisager deux ans de formation spécialisée en pédopsychiatrie dans le cadre de la formation initiale avec des stages répartis en deuxième et troisième cycles.

M. Michel Amiel, rapporteur. - La demande d'un co-DES est-elle par défaut ou a-t-elle un caractère volontariste ? C'est le serpent qui se mord la queue. Si l'on forme moins de pédopsychiatres universitaires, on n'en aura jamais assez pour augmenter le nombre de praticiens et on renforcera l'inadéquation entre l'offre et la demande.

Mme Anne-Marie Armanteras-de Saxcé. - Voilà pourquoi le calendrier de la réforme du DES et celui de l'élaboration des projets territoriaux de santé mentale sont les piliers sur lesquels repose le chantier. À la fin 2016, il était déjà un peu tard pour demander la création d'un co-DES. Depuis, on a constaté les difficultés qu'il y avait à organiser ce diplôme. Nous avons mis cette question à l'ordre du jour de notre comité de pilotage et nous avons rencontré les représentants universitaires de la discipline, dont le professeur Benoît Schlemmer qui coordonne l'élaboration des maquettes et la mise en forme du diplôme. L'objectif est de remettre la problématique universitaire sur le devant de la scène car il est essentiel que nous parvenions à augmenter le nombre d'enseignants en pédopsychiatrie.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Comment se profilerait le co-DES par rapport au DES ou au DESC existant ? Pouvez-vous préciser le concept ?

Mme Anne-Marie Armanteras-de Saxcé. - Il s'agit de répartir les enseignements dans le diplôme, en prévoyant par exemple, deux tiers de psychiatrie générale pour un tiers de pédopsychiatrie.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Dans le DES de psychiatrie générale, il y a déjà une part non négligeable d'enseignement de la pédopsychiatrie. Je ne vois pas la différence. Il faudrait avoir une définition précise de ce que serait ce co-DES.

Mme Anne-Marie Armanteras-de Saxcé. - La question qui se pose est celle de l'incarnation de la discipline dans des universités où il n'y a pas d'enseignants pour la transmettre. Cela nuit à l'attractivité de la filière et aux vocations car, sauf à changer de région, les étudiants ne pourront pas se destiner à la pédopsychiatrie. La démographie des spécialistes en psychiatrie infanto-juvénile est descendante et particulièrement inquiétante.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Vous dites « sauf à changer de région ». Ma génération a connu l'internat local. On est passé à un examen national. N'est-il pas temps de préconiser une vision régionale pour la fin du troisième cycle, de manière à former le nombre de spécialistes nécessaire en fonction d'une carte régionale ? Vous avez insisté sur la notion de territoire. Pourquoi ne pas imaginer une déclinaison des études universitaires en fonction des besoins sur le territoire ?

Mme Anne-Marie Armanteras-de Saxcé. - Cette question relève du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Cette discipline connaît de telles difficultés que nous devons examiner toutes les options possibles.

La formation est cruciale. L'articulation avec l'action des autres professionnels de santé qui prennent en charge l'enfant et l'adolescent l'est tout autant. Le comité de pilotage de psychiatrie co-présidé par le professeur Halimi travaille sur ce chantier avec nous. Il faut renforcer la coopération entre les pédopsychiatres et des professions telles que les orthophonistes, les psychomotriciens, les psychologues cliniciens, etc. Vous avez sans doute eu vent de l'initiative prise par le ministère de lancer un programme expérimental de prise en charge d'enfants par des psychologues dans trois régions. Mme Moro insiste sur la nécessité d'établir ce type d'articulation dans la prise en charge. Le comité de pilotage en fait une priorité.

Enfin, l'élaboration des projets territoriaux de santé mentale doit se faire en lien avec d'autres secteurs que le secteur sanitaire, et c'est particulièrement vrai pour la prise en charge des troubles et des maladies de l'enfant et de l'adolescent. On favorisera ainsi le dépistage précoce des troubles psychiatriques, notamment les troubles graves du développement qui se déclarent la plupart du temps au cours de l'enfance et de l'adolescence. L'efficacité de leur traitement dépend de la précocité du diagnostic. Après ce diagnostic, il est essentiel que les structures prennent le relais.

Il faut également favoriser l'accès aux soins des enfants et des adolescents dans le champ de la santé mentale, en veillant à ne pas psychiatriser toutes les situations, pour éviter d'allonger les délais d'attente. Cela suppose un travail collaboratif dans tous les territoires en fonction de la diversité de l'offre pour dessiner un parcours qui variera d'un endroit à l'autre. La mobilisation des acteurs dans le cadre du projet territorial de santé mentale est essentielle.

L'articulation de la pédopsychiatrie avec l'action des autres intervenants garantira un parcours sans rupture qui préservera les chances d'intégration et d'inclusion sociale du jeune. Les secteurs concernés sont ceux de l'Éducation nationale, de la petite enfance et les secteurs médico-sociaux.

Les politiques engagées par le Gouvernement n'ont pas abandonné la pédopsychiatrie à elle-même. Au contraire, le président de la République a lancé en novembre dernier un plan « bien-être et santé des jeunes » pour favoriser les interventions précoces, diversifier et améliorer les prises en charge, et réduire les inégalités. Parmi les mesures, figurent l'accès facile aux consultations de psychologues, avec l'expérimentation dans trois régions du remboursement des consultations de psychologues libéraux pour les jeunes en situation de mal-être.

Autre dispositif pivot du plan, les maisons des adolescents ont été renforcées. La DGOS a publié le 28 novembre 2016 une circulaire qui conforte ces structures et solidifie leurs missions en faisant une pierre angulaire du dispositif de réponse à la souffrance psychique et au mal-être des jeunes. En offrant aux jeunes des accès sans rendez-vous, ces lieux pluridisciplinaires contribuent au dépistage de leur souffrance. On peut y proposer des prises en charge de courte durée ou orienter les jeunes vers des centres médico-psychologiques. Un réseau d'acteurs s'y mobilise, médecins généralistes, professionnels de la protection de l'enfance, personnel de l'Éducation nationale, protection judiciaire de la jeunesse et missions locales. En 10 ans, nous sommes parvenus à un maillage territorial quasi-complet, avec 104 maisons des adolescents, soit presque une par département. Chaque année, nous renforçons le soutien financier que nous leur accordons. Un supplément est prévu en 2017 pour accompagner les ambitions que les agences régionales de santé nourrissent au sujet de ce dispositif.

L'article 69 de la loi de modernisation de notre système de santé organise les conditions d'accès à la population, en précisant que le projet territorial de santé mentale doit inclure tous les acteurs de la santé mentale et pas seulement les pédopsychiatres. Dans un territoire où l'offre est insuffisante, l'ensemble des professionnels de la santé mentale, tout secteur confondu, devront travailler à pallier ce manque, soit en le comblant, soit en développant une meilleure organisation. Ils devront orienter les familles et leur suggérer un parcours.

M. Alain Milon, président. - Le projet territorial de psychiatrie est inclus dans le projet territorial de santé mentale et il est nécessaire que l'ensemble des acteurs de santé travaillent en commun. Le décret précise qu'il faut un projet médical de territoire pour constituer un GHT. Quelle est la place du projet territorial de santé mentale dans ce projet médical de territoire ?

Mme Anne-Marie Armanteras-de Saxcé. - Le projet territorial de santé mentale engage tous les secteurs et tous les acteurs, sans se limiter à la psychiatrie : services médico-sociaux, services de la protection de l'enfance, services du logement social. Toute la vie du malade est prise en considération et les acteurs travaillent à déterminer un parcours intersectoriel.

En ce qui concerne les GHT, le parti pris est de privilégier les plus généralistes d'entre eux de manière à y insérer les établissements spécialisés en psychiatrie. Depuis le 1er juillet, 12 établissements spécialisés en psychiatrie ont bénéficié d'une dérogation. Les directeurs généraux des agences régionales de santé ont autorisé 5 GHT à ne représenter que des établissements spécialisés en santé mentale, soit 13 établissements au total. Cette décision correspond à des situations particulières liées au territoire ou à une conjonction de projets. Pour le reste, tous nos établissements de psychiatrie se sont insérés dans des GHT généralistes. À l'issue du débat parlementaire, on a autorisé la constitution de communautés psychiatriques de territoire rassemblant plusieurs établissements pour développer des champs de formation initiale, d'accueil d'internes ou de formation continue et des projets d'accueil des patients.

Le projet territorial de santé mentale s'articulera avec ces projets.

Il ira au-delà des questions relevant de la seule psychiatrie et interrogera des équipes qui travaillent déjà dans des collectivités de projet, soit de groupements hospitaliers de territoire, soit de communautés psychiatriques de territoire.

M. Michel Amiel, rapporteur. - La question de la méthode a donné lieu à un débat au Sénat. N'avez-vous pas l'impression qu'il aurait mieux valu commencer par un projet et se donner ensuite les moyens d'y répondre, plutôt que par les aspects de structure ?

Je sais qu'il est délicat de répondre à cette question mais c'est un point important pour les préconisations que nous serions susceptibles de faire.

Mme Anne-Marie Armanteras-de Saxcé. - En juillet 2016, 98 % des groupements hospitaliers de territoire avaient identifié une filière psychiatrie-addiction. En janvier 2016, ils étaient 60 % à l'avoir fait. On voit que la dynamique est en marche.

Pour le ministère de la santé, qui a porté la réforme des GHT, il y avait urgence à obliger les établissements à coopérer, compte tenu notamment de la démographie des professionnels.

M. Alain Milon, président. - Nous en sommes conscients. L'orientation prise en la matière n'est pas tout à fait celle que le Sénat souhaitait au départ !

Créer des GHT psychiatriques, des communautés psychiatriques de territoire revient en quelque sorte à ignorer les services de psychiatrie des hôpitaux généraux. Cela pose un vrai problème.

Dans le Vaucluse, par exemple, l'établissement de Montdevergues-Montfavet fait partie d'une communauté psychiatrique de territoire et de plusieurs GHT, du fait qu'il dessert à la fois les Bouches-du-Rhône, le Vaucluse et le Gard. Qu'il fasse partie de plusieurs GHT, soit ! Mais qu'il crée son propre GHT...

Mme Anne-Marie Armanteras-de Saxcé. - Monsieur le président, c'est précisément avec ces arguments que notre ministre et mon administration ont oeuvré pour réduire au strict minimum les groupements hospitaliers spécialisés en psychiatrie et pour en faire l'exception. La création de quelques-uns tient vraisemblablement à des moments particuliers de leur histoire.

Montfavet bénéficie d'une dérogation.

Pour aller dans votre sens, le taux d'admission dans un établissement MCO, au cours des trois dernières années, pour les patients hospitalisés dans un établissement spécialisé en psychiatrie, s'élève à 60 %.

Il nous semble fondamental aujourd'hui, pour l'organisation des parcours des patients hospitalisés en psychiatrie, d'améliorer l'accès aux soins somatiques. Comment y parvenir si chacun reste derrière ses murs ? Il est tout de même plus simple d'inscrire cette question dans le projet général de plusieurs communautés médicales, celle des établissements en médecine-chirurgie-obstétrique et celle des établissements de psychiatrie.

Au demeurant, vous savez que je réunis quasiment tous les mois un comité national de suivi des groupements hospitaliers de territoire. Depuis un certain temps, des équipes viennent nous raconter comment elles travaillent et nous parler de leur projet. J'en suis très heureuse. Demain, le comité entendra justement des équipes d'établissements spécialisés en psychiatrie qui se sont insérés dans des groupements hospitaliers de territoire. Nous avons eu pléthore de candidats, si bien que nous devrons organiser trois séances au lien d'une...

Le débat sur le commencement - par la structure ou par le projet - est tout à fait légitime. Mais nous avons l'impression que nos équipes, en France, sont embarquées. La réforme est encore jeune. Il faut du temps pour que les équipes se l'approprient ! La date-butoir a été fixée en juillet 2017, soit un an après la mise en place de la réforme.

Dans cette période, le docteur Müller et certains de ses confrères nous ont demandé de réunir un comité de pilotage sur la psychiatrie, ce qui n'avait pas été fait depuis très longtemps. Mme la ministre et son cabinet ont considéré que c'était effectivement le bon moment de le faire, compte tenu des très nombreux sujets en cours.

Le sujet de la structuration d'une offre ne niant pas les spécificités de la psychiatrie, mais plurielle dans son articulation et soucieuse de la demande des familles est très important. Toutes les équipes doivent y travailler, au-delà de la seule administration centrale.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Merci de cet exposé dense qui répond à la plupart des questions que nous vous avions adressées.

Pensez-vous que la pédopsychiatrie et la psychiatrie en général mériteraient une loi spécifique ?

Quid de l'urgence en pédopsychiatrie ? Je pense à l'accueil en période d'urgence, mais aussi à l'aval, qui sont deux problématiques bien distinctes.

Mme Laurence Cohen. - Vous dites que la loi de modernisation de notre système de santé a réaffirmé l'importance du secteur. Cependant, je relève des contradictions entre les informations que vous nous communiquez, qui corroborent d'ailleurs ce que nous avons entendu lors d'un certain nombre d'autres auditions, et ce que nous disent, sur le terrain, les professionnels soignants, infirmiers ou psychiatres.

La psychiatrie, notamment infanto-juvénile, a toujours été un secteur très novateur et précurseur. Il a permis un travail en réseau extrêmement dense qui a pu inspirer d'autres secteurs de la médecine.

Votre exposé donne l'impression que l'on ne part de rien. Les mesures que vous préconisez visent à une meilleure articulation des différents professionnels entre eux, pour répondre à une demande. Pour ma part, j'ai plutôt le sentiment que, sous couvert de réaffirmer l'importance du secteur, celui-ci est mis en miettes ! Ce sont les actes qui importent, et non les mots.

La réalité de terrain que nous percevons, c'est une pénurie de moyens pour les professionnels travaillant dans les CMP et les CMPP, une souffrance de ces personnels et des attentes importantes.

J'aimerais que vous abordiez de manière plus précise et plus concrète la question des moyens réellement mis en oeuvre.

Mme Corinne Imbert. - Vous avez évoqué une démographie très défavorable en matière de pédopsychiatrie. Avez-vous réalisé une projection sur le nombre de diplômés annuel qui permettrait, au moins, de répondre aux besoins ?

Mme Maryvonne Blondin. - Voilà quelques jours, j'ai discuté avec une pédopsychiatre à la retraite qui se félicitait que les établissements publics de santé mentale puissent désormais accueillir des internes. Sans cette relève, m'a-t-elle dit, on irait droit à la catastrophe.

Les établissements ont la volonté de travailler en transversalité avec les autres professionnels. Vous annonciez une plus grande articulation entre les professionnels de santé et les travailleurs sociaux ou médico-sociaux, pour éviter les ruptures. Mais c'est déjà une réalité grâce à la volonté de certains ! Fallait-il vraiment mettre en place des GHT pour inciter ceux qui ne l'avaient pas encore fait à travailler ensemble ?

Vous avez soulevé le problème des jeunes âgés de seize à dix-huit ans. Comment assure-t-on leur prise en charge ? On sait très bien que leur placement avec des adultes présente des inconvénients néfastes.

M. René-Paul Savary. - Les choses me paraissent encore plus confuses qu'auparavant.

Le projet territorial de santé mentale, c'est bien sur le papier, mais est-ce complémentaire du projet territorial de santé somatique ? On continue la mise en silo de l'usager tout en recherchant la mise en réseau.

Par ailleurs, l'articulation entre les GHT et la sectorisation des établissements publics de santé mentale me semble relativement complexe.

Pour siéger dans les conseils de surveillance de GHT, je constate des problèmes de hiérarchie. Qui est le chef ?

Dans son GHT, dont relève l'EPSM de Châlons-en-Champagne, le directeur du CHU de Reims prend les choses en main. Quid de l'articulation avec les autres GHT qui, par exemple, n'ont pas d'EPSM dans leur ressort ?

On le voit, l'application sur le territoire est assez compliquée.

Je veux également vous interroger, madame, sur la prise en charge de l'urgence, qui nous pose problème depuis longtemps. En trente ans de carrière, je n'ai pas vu d'évolution !

Cherchez-vous à définir une stratégie de la prise en charge de l'urgence psychiatrique, notamment en psychiatrie juvénile, comme on traite aujourd'hui l'AVC ? Ce n'est finalement pas si compliqué : il suffit de constituer un réseau organisé d'acteurs en relais d'acteurs et veiller à ce qu'il n'y ait pas de rupture dans la chaîne. Pour le reste, tous les ingrédients sont là : les CMP, les CAMSP, les EPSM, les travailleurs sociaux, les pédopsychiatres, même si leur nombre n'est évidemment pas suffisant.

Mme Anne-Marie Armanteras-de Saxcé. - La psychiatrie a-t-elle aujourd'hui besoin d'une loi ? Elle avait besoin d'orientation et d'organisation.

Comme vous le constatez vous-même, les structures en France sont très nombreuses. Cela tient à l'historicité du secteur. Depuis 1960, le secteur psychiatrique s'est structuré en France. Il a démontré depuis très longtemps l'efficacité de l'articulation entre la ville et l'hôpital, le suivi au domicile, le suivi en ville d'un patient chronique qui vient de sortir de l'hôpital. Les professionnels des secteurs se posent tous les jours la question du logement, celle du travail, de l'insertion ou de la réinsertion.

Dans un contexte de hausse de la démographie et d'augmentation du mal-être, tant chez les jeunes que chez les adultes, avec, en même temps, un effet ciseaux de la population des professionnels de santé, il était urgent de rappeler que l'ensemble des structures de prise en charge travaillent ensemble. Il était urgent d'inscrire le projet territorial de santé mentale dans la loi.

La rédaction du décret fait actuellement l'objet d'une concertation. Elle a déjà reçu beaucoup d'assentiment. L'ensemble des acteurs se disent très satisfaits de l'attention que nous portons au territoire, qui est le bassin de vie et le champ d'intervention de ces acteurs qui ont envie de travailler ensemble.

Vous paraissez étonné que l'on doive remettre l'accent sur des collaborations anciennes. Nous savons que les ruptures de prise en charge viennent aussi du repli sur soi des acteurs et des institutions. L'ensemble des représentants réunis dans le cadre du Conseil national de la santé mentale saluent l'attention portée par les pouvoirs publics au rassemblement de tous, du professionnel de santé à l'instituteur, en passant par ceux qui ont en charge le suivi du parcours d'insertion dans la vie sociale de celui qui est handicapé par sa maladie. C'est vraiment cela l'obligation du projet territorial de santé mentale, avec, à la clé, le panier de soins et le panier de prise en charge. Nous sommes en train d'y travailler.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Lorsque vous avez parlé de l'articulation avec les différents professionnels, vous n'avez pas cité les médecins généralistes. Est-ce un lapsus révélateur ou un simple oubli ?

Qui va orienter l'enfant en souffrance vers les professionnels spécifiques ? Comment le généraliste peut-il trouver le temps d'acquérir une approche suffisamment fine de ces questions ?

Mme Anne-Marie Armanteras-de Saxcé. - Monsieur le rapporteur, je regrette si je n'ai pas cité les médecins généralistes !

Le maillage, par exemple, des maisons des adolescents permet au généraliste de trouver un recours auprès d'un confrère sans rendez-vous.

Récemment, un représentant de la médecine générale avec qui je discutais s'est dit très satisfait de la montée en gamme des généralistes en matière de psychiatrie générale et de psychiatrie de l'enfant, dont témoignent le nombre et le niveau des thèses de médecine générale consacrées à ces sujets. La progression dans les maquettes de formation, pour les généralistes comme pour les spécialistes, y compris les pédiatres, est en marche.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Comment expliquer que les réseaux que vous encouragez aient été à ce point fragilisés, en particulier sur le plan financier ?

Les budgets des ARS consacrés aux réseaux - en tout cas, c'est vrai dans la région PACA - montrent un grand appauvrissement financier en la matière.

Mme Anne-Marie Armanteras-de Saxcé. - Les agences régionales de santé, poussées en cela par de nombreux rapports d'inspection, ont travaillé avec les réseaux pour chercher à les insérer davantage dans leurs territoires.

En France, de nombreux réseaux étaient monothématiques et se concentraient sur la prise en charge des patients au début ou à la fin de la maladie. C'est ainsi qu'ils avaient été créés. Tout le travail de ces dernières années, qui porte aujourd'hui ses fruits, a justement consisté à rendre ces réseaux pluri-thématiques. Cela a parfois été perçu par les professionnels concernés comme un appauvrissement des réseaux mais, en fait, il ne s'agit là que de redéploiement de financements.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Les fonds spécifiques existent-ils encore et, si oui, sous quelle forme ?

Mme Anne-Marie Armanteras-de Saxcé. - Oui mais je n'ai plus les chiffres en mémoire.

Dans notre pays, les réseaux sont de plus en plus pluri-thématiques. Ils sont financés par les fonds d'intervention régionaux des ARS. Pour beaucoup, des fusions, des réorganisations ou des regroupements sont à l'oeuvre, avec parfois des redéploiements financiers.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Je parlerais plutôt de peau de chagrin...

Mme Anne-Marie Armanteras-de Saxcé. - Nous avons vraisemblablement besoin, dans les territoires, de réseaux qui organisent les parcours. Le projet territorial de santé mentale vient aussi, en miroir, répondre à ce besoin.

Force est de constater que, jusqu'à présent, toutes les organisations, malgré des équipes volontaires, voire militantes, n'ont pas réussi à combler tous les trous dans les dispositifs visant la population entrante, de plus en plus nombreuse.

Dans le projet de loi qui a été soumis à l'Assemblée nationale figure la question des plateformes territoriales d'appui à la coordination pour les patients complexes. Il y a aujourd'hui, dans toutes les régions, des réflexions sur la manière dont les initiatives des professionnels peuvent venir en appui des médecins généralistes, dans le cadre des réseaux ou en dehors de ceux-ci. Il faut laisser ces initiatives émerger parce qu'elles créent de la richesse et parce qu'elles s'adaptent, au fond, à des situations très ponctuelles.

La loi de modernisation de notre système de santé est venue donner un ancrage général à la nécessaire coopération de tous les acteurs intéressés par la prise en charge du patient atteint de maladie mentale, au-delà des seuls psychiatres et pédopsychiatres.

La question de l'urgence est extrêmement importante. Ce sujet, auquel nous prêtons attention depuis au moins vingt ans, n'a pas encore reçu de réponse satisfaisante dans tous les territoires. C'est la raison pour laquelle un paragraphe complet des dispositions relatives au projet territorial de santé mentale est consacré à la prévention et à la prise en charge des situations de crise et d'urgence, notamment par l'intervention des professionnels de la psychiatrie sur les lieux de vie des personnes - institution, domicile ou logements protégés - et par leur présence au sein des services d'urgence des établissements de santé.

L'obligation que des psychiatres fassent partie des équipes des services d'accueil d'urgence a été un apport considérable. Je ne saurais en dater l'apparition mais mon expérience d'une collaboration des secteurs de psychiatrie avec les services d'accueil d'urgence dans la capitale, en 2000, me laisse penser que c'est antérieur à cette année. Néanmoins, cela n'est pas suffisant. Nous le voyons notamment dans les établissements de pédiatrie ou les services d'accueil d'urgence généralistes, qui accueillent adultes et enfants.

Nous devons remettre sur la table le sujet des unités de crise en psychiatrie, qui, pour l'heure, ne maillent pas suffisamment le territoire.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Ces unités ne sont pas spécifiques : elles conduisent à mêler des populations ne devraient rien avoir à faire ensemble.

Mme Anne-Marie Armanteras-de Saxcé. - Cela pose la question de l'association, dans les territoires, entre plusieurs équipes de pédopsychiatrie. On estime qu'il faut à peu près sept praticiens pour porter une liste de garde, ce qui n'est possible qu'à très peu d'endroits aujourd'hui.

Ce sujet, que nous avons mis à l'ordre du jour de notre comité de pilotage de psychiatrie, sera majeur dans la constitution des projets territoriaux de santé mentale. Pour avoir dirigé un hôpital d'enfants pendant de nombreuses années, puis des établissements qui comprenaient des services de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, j'y suis très sensible. Je connais bien cette difficulté et la nécessité des associations territoriales pour offrir de la lisibilité aux parents. Les familles n'ont pas toujours connaissance des structures et des initiatives existantes.

M. René-Paul Savary. - Il faut plutôt repartir de la base, des difficultés que l'on rencontre sur le terrain.

Il me semble que l'on aurait pu améliorer l'organisation des réseaux par le biais de la numérisation. Nous avons pris un certain retard dans ce domaine. Or le B.A.-BA, c'est que la fibre et le très haut débit arrivent partout !

Il faut lever les barrières de temps et d'horaires et faire avec les moyens du bord - n'oublions pas que notre modèle social est à crédit. Les praticiens sont insuffisamment formés et en nombre insuffisant. En tant que président de département, je connais bien ces difficultés !

S'il y a beaucoup de bonnes volontés, manque une organisation fonctionnelle. La numérisation doit nous permettre de parvenir à une meilleure articulation, sur la base du dossier personnalisé. Sur le terrain, les moyens numériques actuels pourraient rendre la chaîne beaucoup plus simple.

On sait faire des schémas mais les schémas cloisonnent !

L'avenir est de remettre l'usager au centre du dispositif et de travailler à l'organisation qui apporte la meilleure réponse.

Vous voyez encore trop les choses « d'en haut », madame. Mieux vaudrait laisser la liberté sur les territoires. C'est peut-être aux ARS de faire remonter leurs projets d'articulation en fonction de l'existant.

Mme Anne-Marie Armanteras-de Saxcé. - C'est l'ambition !

M. René-Paul Savary. - Les fonds d'intervention régionaux viennent souvent abonder des contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens, des CPOM, ou des objectifs fixés en début d'année, alors que les moyens n'arrivent qu'en fin d'année. Ce décalage empêche d'avoir les moyens de ses objectifs...

Il faudrait parfois inverser les dispositifs.

Mme Anne-Marie Armanteras-de Saxcé. - Je pense, comme vous, que nous devons introduire la révolution numérique dans tous nos programmes. Mme la ministre le dit souvent.

La télémédecine résout tout un tas de situations. Cependant, je ne crois pas qu'elle puisse résoudre la question de la crise de l'enfant et de l'adolescent...

La question de la prise en charge des jeunes âgés de seize à dix-huit ans est sur la table. Le chantier est ouvert. Michel Laforcade l'a évoquée dans son rapport et Mme Moro en parle souvent.

Le groupement hospitalier de territoire, c'est des équipes de médecine, de chirurgie, de psychiatrie, de maternité, qui se demandent comment mêler les forces de plusieurs établissements pour que les habitants soient mieux pris en charge sur l'ensemble du territoire, compte tenu des problèmes démographiques et financiers. C'est accepter que, tout seul, on est petit et que, ensemble, on est plus fort.

Le projet de groupement hospitalier de territoire est défini par les professionnels. Le ministère n'a pas défini de principe normatif prescriptif en la matière.

Il est tout à fait normal que les établissements spécialisés en psychiatrie aient un projet médical et un projet d'organisation qui leur soient spécifiques. Cependant, ils doivent tenir compte de l'expérience et du travail des communautés médicales sur un certain nombre de sujets.

Tous les hôpitaux n'ont pas résolu le problème du suivi psychiatrique des malades somatiques. Certains, qui n'ont pas d'équipe de psychiatrie, se sont déjà organisés avec des équipes mobiles ou des professionnels de l'hôpital voisin. Mais, que je sache, nous ne sommes pas encore arrivés, dans tous les territoires, au bout de la prise en charge des besoins somatiques des patients pris en charge dans les établissements de psychiatrie ! C'est ce que doivent permettre les projets communs de GHT.

Le GHT est quelque chose de très pratico-pratique. Il ne s'agit pas de faire de l'idéologie ni de réformer les structures. Le projet territorial de santé mentale, lui, sert à évoquer des questions posées par la pédopsychiatrie dans un territoire, en réunissant autour de la table l'ensemble des acteurs concernés - membres de l'éducation nationale, professionnels médicaux et représentants de toutes les institutions qui prennent en charge les enfants.

M. Alain Milon, président. - Vous n'avez pas répondu à la question de Mme Cohen sur l'avenir des secteurs.

Mme Anne-Marie Armanteras-de Saxcé. - Je n'ai pas le sentiment que la politique de sectorisation soit mise à mal. Certes, des représentants de la psychiatrie se plaignent que leur ARS veuille modifier le périmètre géographique de leur secteur. Ainsi, en Ile-de-France, l'ARS demande à certains établissements s'ils trouvent normal que des patients du XVème arrondissement soient hospitalisés à 80 kilomètres de leur domicile, avec tous les problèmes que cela pose aux familles. Ne serait-il pas préférable qu'ils soient rapatriés à proximité de leur lieu de vie ? Des problèmes identiques se posent en région où il n'est pas rare que des patients soient pris en charge à 120 kilomètres de chez eux. Selon que vous habitez d'un côté de la rue ou de l'autre, vous ne serez pas soigné dans le même établissement. Pour notre part, nous trouvons normal que les directeurs généraux des ARS essayent de modifier le tracé de certains secteurs : il s'agit d'une simple humanisation. Mais certains professionnels qui travaillent dans ces secteurs ne souhaitent pas que leur périmètre géographique soit modifié. Ils estiment que de telles évolutions déstabilisent leurs équipes. Nous devons donc agir avec prudence.

Pour moi, il n'y a donc pas de contradiction dans la politique que nous menons : la prééminence du secteur est assurée et les modifications géographiques ne le remettent pas en cause. Dans l'ARS où j'exerçais, je l'ai fait et je ne le regrette pas.

L'allocation budgétaire est une question qui préoccupe beaucoup les psychiatres et les représentants de la psychiatrie sectorisée. Ils s'interrogent sur la répartition des allocations : dans les régions, pour un nombre de lits équivalent, les dotations ne sont en effet pas toujours les mêmes. Nous avons accepté d'aborder cette question dans le comité de pilotage de la psychiatrie, même si cela ne pourra pas se traduire concrètement dans les budgets pour l'année à venir.

Je rappelle que nous avons affirmé dans la loi le rôle prééminent du secteur. Que pouvions-nous faire de mieux ?

Mme Laurence Cohen. - Je constate pour ma part que de nombreux professionnels expriment leur souffrance.

Certes, certains patients sont soignés loin de leur domicile mais que faites-vous de la continuité des soins, des équipes qui travaillent en lien avec les familles et avec les professionnels ?

Je vous rappelle que c'est nous qui votons la loi, mais pour qu'elle ait une réelle efficacité, il faut des moyens. Or, tel n'est pas le cas pour la psychiatrie. Dans les CMP, les manquements sont criants. Il manque du personnel, des psychiatres, certes, mais aussi de nombreux autres professionnels dans les réseaux. Ces professions en outre ne sont pas reconnues ; je pense notamment aux orthophonistes.

Une psychiatre nous a rappelé que les familles avaient beaucoup évolué ces dernières décennies : le modèle traditionnel du père et de la mère ne tient pas compte des familles recomposées. Or, le temps qu'elle consacre à ces familles est comptabilisé comme un seul acte, alors qu'elle doit avoir plusieurs entretiens.

Les réseaux sont asphyxiés par manque de moyens.

Mme Anne-Marie Armanteras-de Saxcé. - Les dotations affectées aux secteurs sont celles qui sont versées aux établissements. L'ARS donne une enveloppe globale aux établissements. Les représentants de la psychiatrie nous ont demandé de réactualiser les critères de répartition nationaux entre région et de rendre plus transparents les critères de dotation annuelle de fonctionnement opérés par les ARS entre les établissements. Le chantier est donc devant nous.

Le ministère de la santé est attentif à la prise en compte de la reconnaissance et de la revalorisation d'un certain nombre de métiers. Certains de ces métiers entrent dans le cadre de la réingénierie des professions, évoqués lors de la grande conférence de santé. Au ministère, nous avons travaillé avec les représentants des orthophonistes.

Mme Laurence Cohen. - Et ils sont très mécontents ! Ils vous ont d'ailleurs adressé une fin de non-recevoir. Nous ne serons pas d'accord sur les arguments échangés. Il faut prendre en compte la réalité de terrain, avec ce grand malaise qui est perceptible. Il y a un manque criant de professionnels, notamment d'orthophonistes dans le milieu hospitalier.

Mme Anne-Marie Armanteras-de Saxcé. - C'est pour cette raison que le ministère s'est préoccupé de toute la filière rééducation. Mais les travaux ne sont pas terminés pour toutes les professions, qu'il s'agisse des orthophonistes, des kinésithérapeutes ou des ergothérapeutes. Nous avons essayé d'embrasser toutes ces professions.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Au final, n'a-t-on pas trop fermé de lits en psychiatrie ?

Vous avez évoqué cette expérimentation intéressante de dix séances de psychologues cliniciens dans trois départements. Compte tenu de la pénurie en pédopsychiatrie, ne faudrait-il pas prendre en charge, en ambulatoire, le remboursement de séances de psychologues cliniciens pour les jeunes ?

Mme Anne-Marie Armanteras-de Saxcé. - Cette expérience porte sur 500 jeunes par an, pendant trois ans. Sur la base de cette expérimentation, nous verrons s'il y a lieu de la généraliser.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Ce dispositif a un périmètre très précis. Il ne s'agit pas du remboursement de séances de psychologue en ville.

Mme Anne-Marie Armanteras-de Saxcé. - Cette expérimentation est à visée évaluative ; assez logiquement, elle va nous montrer l'intérêt de la généraliser.

Le nombre de lits en pédopsychiatrie a progressé depuis 2011. Entre 2012 et 2014, l'augmentation a été de 4,5 %, à la fois dans les établissements publics et dans les établissements non-lucratifs et lucratifs. Les CMP sont restés stables, voire en légère augmentation. D'après nos statistiques, les personnels ont augmenté.

Pour autant, le comité de pilotage de psychiatrie estime qu'il faut continuer à travailler sur tous les incitatifs permettant la non-hospitalisation. Nous devons également visiter les dispositifs de prise en charge de l'hospitalisation dans les territoires pour vérifier qu'ils sont en adéquation avec les besoins.

M. Alain Milon, président. - Merci pour toutes ces précisions.

Audition du Professeur Christian Müller, psychiatre, président de la Conférence nationale des présidents de commissions médicales d'établissements (CME) de centres hospitaliers spécialisés (CHS) en psychiatrie

M. Alain Milon, président. - Mes chers collègues, je pense qu'il n'est pas utile de vous présenter le docteur Müller qui est au coeur des débats sur l'organisation de la prise en charge psychiatrique depuis maintenant plusieurs années. Sans plus attendre, je vais lui céder la parole pour un propos introductif à l'issue duquel notre rapporteur puis les sénateurs présents lui poseront toutes les questions qu'ils souhaitent. Je rappelle au docteur Müller que cette audition est ouverte au public, à la presse et qu'elle fait l'objet d'une captation vidéo qui sera retransmise sur le site du Sénat.

Dr Christian Müller, psychiatre, président de la Conférence nationale des présidents de commissions médicales d'établissements (CME) de centres hospitaliers spécialisés (CHS) en psychiatrie. - Merci beaucoup de l'intérêt que vous portez à cette question qui est d'une très grande importance humaine. Je tiens à le dire parce que même s'il y a eu toute une série de rapports remis récemment sur le sujet, la situation de la psychiatrie infanto-juvénile est absolument exemplaire de ce que vit la psychiatrie aujourd'hui. On arrive à l'acmé d'une évolution qui nécessite à mon sens d'être aujourd'hui repensée.

Pourquoi ? Parce que c'est quasiment aujourd'hui de manière caricaturale la négation sinon le déni de la pathologie, qui a conduit à des impasses cliniques et organisationnelles lourdes de conséquences. Il est difficile pour certains de concevoir aujourd'hui que la maladie mentale existe - pas seulement d'ailleurs de la part des acteurs sociaux mais aussi de bon nombres d'autres acteurs et je ne suis pas sûr qu'on ait évolué dans la connaissance fine, de la part de la population, des problématiques de psychiatrie et de santé mentale.

C'est tout à fait étonnant car, historiquement, les équipes de pédopsychiatrie se sont engagées très tôt et de manière volontariste dans un travail pluridisciplinaire et territorial. Il ne faut pas oublier que les premiers à avoir mis en place la territorialisation sont les pédopsychiatres et ils en ont une expérience tout à fait importante.

Le centre de gravité de la psychiatrie infanto-juvénile n'a d'ailleurs jamais été l'hôpital. L'expérience acquise par les équipes est absolument considérable. Je pense qu'on est devant l'exemple même de la pertinence de la psychiatrie de secteur au regard de la continuité des soins. C'est un besoin tellement important. L'enfant, peut-être plus que les autres, a besoin d'une continuité psychique. C'est-à-dire que l'interchangeabilité des acteurs est pour lui absolument délétère. Aujourd'hui, si l'on s'attache à la question de la pédopsychiatrie, on comprendra mieux pourquoi cette interchangeabilité, qui existe dans les autres disciplines mais qui n'a pas le même impact, ne doit pas se retrouver pour la pédopsychiatrie - ni d'ailleurs pour la psychiatrie générale.

Donc l'interchangeabilité des soignants, qui conditionne l'effet thérapeutique, doit être faible.

Il faut avoir conscience de ce que sont les besoins primaires de l'enfant en termes de protection psychique, de sécurité et de prévisibilité des situations. Tout ce qui est aujourd'hui rupture, négligence, violence, ce sont des réalités extrêmement importantes. Les conséquences possibles en sont la survenue d'états dépressifs, de troubles de la vigilance, du langage, des conduites, du comportement, de dysharmonies évolutives, de déficiences intellectuelles et surtout de troubles de la parentalité. Je pense d'ailleurs qu'il faut avoir un regard d'emblée soucieux de ce que serait un soutien à la parentalité. Certains parlent d'école de la parentalité, je ne sais pas si le terme convient.

Quelques éléments quantitatifs sur l'ampleur des maltraitances : 100 000 cas connus dans notre pays aujourd'hui d'enfants en danger, c'est-à-dire 10 % de plus qu'il y a dix ans. On recense 19 000 enfants victimes de maltraitance. 80 000 enfants sont dans des situations à risques, dont 45 % ont moins de six ans. 15 % des Français disent avoir été maltraités pendant leur enfance et 60 % n'en ont parlé à personne. Et parmi ceux qui se sont exprimés, 64 % n'ont pas été aidés. Deux enfants meurent en France chaque jour de violences infligées par des adultes. En général ce sont des parents.

Ces chiffres sur la maltraitance vous montrent l'ampleur du sujet et son importance. Ce ne sont pas des enfants virtuels, théoriques. En se penchant sur ce sujet, on travaille pour l'avenir. Mais ce n'est pas dans le laps de temps d'un mandat qu'on résoudra les difficultés en matière de pédopsychiatrie...

Du côté de la psychiatrie publique, 600 000 enfants sont suivis actuellement dans plus de 300 secteurs de psychiatrie infanto-juvénile. On note une augmentation de 7 % par an de la file active de patients. L'âge moyen de la patientèle se réduit, peut-être parce qu'il y a beaucoup de travaux aujourd'hui sur la psychiatrie du bébé et sur l'attachement.

Parallèlement, on constate un effondrement démographie des pédopsychiatres qui constitue à mon sens une urgence républicaine : comment va-t-on faire dans les territoires pour assurer l'accès aux soins à nos concitoyens ? On manque également d'éducateurs, d'orthophonistes...

Face à ce constat, que faudrait-il mettre en place ? Je vais vous faire cinq ou six préconisations.

Premier point : il faut renforcer, en pédopsychiatrie, les actions de dépistage et de prise en charge thérapeutique des environnements à hauts risques, trop souvent traités de manière exclusivement sociale ou judiciaire. Le dépistage n'est pas suffisant. Il suscite l'espoir, il faut qu'il y ait des soins derrière. C'est la question du parcours de soins et de santé. Il faut aussi reconnaître que l'organisation dans certains endroits de la pédopsychiatrie s'est calquée sur une temporalité plus scolaire que sanitaire, ce qui est un problème. Il faut qu'il soit question d'une disponibilité sanitaire : 7 jours sur 7, 24 heures sur 24. La psychose infantile ne s'arrête pas le week-end.

Il faut faire attention à ce que la logique de spécialisation ne porte pas atteinte à l'approche globale et à la polyvalence des équipes et des dispositifs au risque d'une fragmentation délétère de leur capacité thérapeutique. Je suis favorable aux centres de ressources et de référence mais à force de spécifier, il ne reste plus rien pour les équipes de secteur et les enfants malades se retrouvent en Belgique.

Deuxième élément : l'importance d'intégrer l'abord clinique et psychopathologique des distorsions relationnelles entre parents et enfants, éclairé notamment par des travaux modernes sur l'attachement. À cet égard, la prise en charge des enfants de deux ou trois ans est bien moins investie et couverte désormais que celle des bébés.

La promotion des actions partenariales de prévention doit être réalisée dans les pratiques des équipes par des actions, directes ou médiatisées, en direction des professionnels comme de la collectivité.

Il faut en outre organiser une pédopsychiatrie de liaison avec les services de la protection de l'enfance, comme elle existe déjà auprès des services de pédiatrie.

Il faut reconnaître la spécificité du travail en pédopsychiatrie qui nécessite du temps. Ce n'est pas la même temporalité que dans d'autres disciplines. Il faut renforcer les liens fonctionnels avec le champ médicosocial, le champ social, scolaire et éducatif. Il faut faciliter la mise en place de groupes thérapeutiques mixtes, le partage d'expériences, autrement dit aller vers davantage d'intégration et de prévention. Chacun s'y retrouvera en termes de métier : les pédopsychiatres ne sont pas des assistants sociaux...

Troisième point extrêmement important : il est nécessaire de rétablir l'accessibilité aux soins, actuellement asphyxiée par une inflation de demandes. Il faut aménager, au niveau des CMP, des modalités de gestion de file active prenant en compte l'organisation différenciée des réponses à l'urgence et aux situations non programmées. C'est aussi poursuivre l'amélioration du dispositif public de sectorisation encore trop souvent sous-équipé pour mettre en oeuvre ses missions de prévention et de soins.

Quatrièmement, l'accès aux soins d'une population en grande souffrance et en carences sévères doit être garanti, notamment en soutenant les CMP, leur répartition territoriale et leurs moyens. Le nombre des CMP est à peu près constant mais il y a eu des réorganisations, avec des fusions de CMP. Or le CMP est vraiment un pivot territorial.

Il est nécessaire de remédier aux carences constatées quant aux possibilités de soins à temps complet en pédopsychiatre dont le bien-fondé doit être réaffirmé comme temps de soins nécessaire non seulement pour les adolescents (dont l'évolution est parfois chaotique) mais aussi pour les plus jeunes qui n'ont connu que discontinuité et carences. Pour eux, l'hospitalisation peut être pour la première fois le moment propice à l'établissement de liens dans un cadre fiable. Les capacités d'hospitalisation pour les enfants et les adolescents doivent correspondre aux besoins, tant pour les enfants que pour les adolescents. Des lits peu nombreux mais à proximité d'un plateau technique, souvent intersectoriel, et dédiés par exemple aux adolescents, doivent être maintenus.

Des exemples d'hôpitaux de jour pour des prises en charge de courte durée d'adolescents sont en activité et donnent satisfaction dans la période post-urgence. Il y a une expérience remarquable à Poitiers, où l'hôpital de jour intervient juste après les tentatives de suicide d'adolescent. 95 % des adolescents suicidaires aux urgences sont pris en charge à l'hôpital de jour, très rapidement. Les services de pédiatrie aujourd'hui, il faut le reconnaître, ont aussi leurs limites. Ils peuvent proposer un accueil de qualité pour certains enfants suivis par l'équipe de pédopsychiatrie mais ils n'ont pas vocation à assurer l'hospitalisation à temps complet de toutes les pathologies pédopsychiatriques, d'autant qu'ils connaissent eux aussi une réduction de leurs capacités hospitalières.

Le tout ambulatoire a des limites, même si la plupart de notre travail est ambulatoire. L'absence de lit n'est pas un critère de modernité. La fermeture des lits a des limites. Aujourd'hui, nous sommes à peu près à une stabilisation du nombre de lits, il ne faut surtout pas le réduire.

Quels sont les points d'appui pour améliorer la situation ? La loi de modernisation du système de santé nous donne un point d'appui dans son article 69 qui prévoit le projet territorial de santé mentale. Le projet territorial de santé mentale doit indiquer des orientations sur la prise en charge en pédopsychiatrie et l'articulation avec les autres acteurs. La psychiatrie peut prendre en charge globalement mais elle ne peut pas tout faire. Il faut que les responsabilités du champ de la psychiatrie d'une part, du champ social et médicosocial d'autre part, soient clairement délimitées.

Le projet territorial de santé mentale permet des projets d'association avec le médicosocial et le social.

Les communautés psychiatriques sont aussi un point d'appui important car elles seront, je l'espère, d'une taille territoriale adaptée - pour peu que les acteurs veuillent bien s'en saisir. Elles permettent de travailler avec les acteurs du médicosocial et du social. Les contrats territoriaux de santé mentale pour les établissements devraient intégrer quasi systématiquement une dimension de pédopsychiatrie et de psychiatrie infanto-juvénile. Tout ce que j'ai dit tout à l'heure ne peut se décliner que dans une vision territoriale au plus proche et en faisant confiance aux acteurs. Ces derniers, d'une manière générale, savent à peu près ce qui est nécessaire.

Dernier point d'appui : le comité de pilotage de la psychiatrie installé le 13 janvier par la direction générale de l'offre de soins. Il est là pour proposer une orientation générale pour notre discipline. Je pense qu'il faut harmoniser une politique de santé mentale.

Pour terminer, je voudrais faire deux focus.

Le premier sur la formation. Selon Pierre Thomas, le président du conseil national des universités en psychiatrie (CNUP), on ne peut pas s'étonner de la situation de la pédopsychiatrie quand on sait qu'il existe actuellement sept facultés de médecine en France sans compétence d'universitaires en pédopsychiatrie. On est en droit de se poser la question, dans ces conditions, de la qualité des formations en la matière pour l'avenir, mais aussi de l'attractivité future de la carrière. Il y a des endroits où les professeurs sont dans le CHU, les internes dans les villes alentour : l'encadrement est alors assez faible. Et vous imaginez la situation outre-mer. Il y a un vrai problème. La reconnaissance d'une discipline et d'une spécialisation qu'est la pédopsychiatrie passe bien sûr aussi par les universitaires.

Second focus sur le divorce entre les familles d'enfants autistes et les professionnels de pédopsychiatrie. Il constitue une situation contre-nature alors que l'alliance thérapeutique devrait être la règle. Nous appelions déjà en 2013 à « la restauration d'un dialogue confiant et constructif avec les associations de familles, sans complaisance et sans démagogie mais attentif aux préoccupations du quotidien des parents ». Nous savons l'existence de travaux en cours à la Haute Autorité de santé et nous souhaitons nous associer à toute démarche utile pour retrouver les conditions d'échanges mutuels en confiance entre les familles et les professionnels.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Ce que vous nous avez décrit correspond à un tableau idéal vers lequel il faut tendre. Vous nous avez donné quelques pistes que vous avez appelées des points d'appui. Puisque vous avez parlé de spécificité, je voudrais revenir sur la question de la formation. Lors de l'audition de la directrice générale de l'offre de soins du ministère de la santé, cette question a été évoquée avec quelques flous. Aujourd'hui, il y a un DES en psychiatrie générale mais il n'y a pas de DES spécifique de pédopsychiatrie. Et il semblerait que les projets de maquettes prévoient d'une part des CO-DES et d'autre part - ce qui m'a énormément étonné - des dispositifs de validation d'acquis de l'expérience (VAE). Je voudrais donc avoir votre avis sur les formations qui vous sembleraient nécessaires.

Vous avez brièvement évoqué la question d'une « loi psychiatrie ». Pensez-vous que cela rentrerait dans le champ législatif ?

Vous avez évoqué dès votre introduction, au-delà de la psychiatrie et des psychopathologies avérées, ce qu'on pourrait appeler le champ de la souffrance psychique en général, en l'articulant avec la protection de l'enfance ; pensez-vous qu'il faut étendre notre regard à travers cette mission d'information, sur la souffrance psychique, ou faut-il que nous nous concentrions uniquement sur les problèmes de la pédopsychiatrie ?

Enfin, faut-il mettre en place des GHT ou bien des GHT- psychiatriques ? Je crois que vous connaissez bien ce sujet.

Mme Laurence Cohen. - La directrice de l'offre de soins m'a semblée dans le déni puisque d'après elle tout allait bien en matière de psychiatrie et de pédopsychiatrie. Votre audition correspond davantage à ma vision des choses.

Ce qui me semble important, c'est que vous avez abordé d'abord le côté humain et le défi républicain que constitue le développement de la pédopsychiatrie et le fait de lui donner les moyens de remplir ses missions. Vous avez aussi parlé de la continuité des soins. Cela me semble très important et je voudrais le mettre en lumière avec les points d'appui que vous avez soulignés : projet territorial de santé mentale, communauté psychiatrique à la bonne taille territoriale, et comité de pilotage de la psychiatrie.

La psychiatrie de secteur a permis une avancée importante et innovante avec un travail en réseau qui était hors du commun. C'était vraiment innovant en matière de santé. Or quand on parle de projet territorial de santé mentale, je pense qu'il ne faut pas s'arrêter à la conception seulement territoriale, départementale, car il existe aujourd'hui un travail commun de différents professionnels de pédopsychiatrie qui ne vont pas obligatoirement se trouver sur un territoire administratif unique. Quand vous parlez de la bonne taille territoriale, il me semble que le projet qui doit être sous-tendu est de travailler en favorisant la participation de ces différents acteurs et créer les conditions pour qu'il y ait une réelle participation de ceux qui travaillent aujourd'hui ensemble sur un secteur donné et qui en ont l'habitude. Ce travail en commun est malheureusement mis à mal par la pénurie de moyens, notamment au niveau des CMP. J'ai été alertée sur le redéploiement d'un certain nombre de CMP, qui ont porté un coup à la mixité sociale. Quand on déplace des CMP sans tenir compte de ce qui est fait en termes de soins mais aussi en termes de mixité sociale, on détruit le travail effectué par les professionnels de santé.

La question est donc de savoir comment parvenir à travailler en bonne intelligence, sans évidemment faire parcourir des milliers de kilomètres aux patients, en tenant compte de ce travail de proximité. Je suis très inquiète car il me semble que depuis plusieurs années - et ça ne date pas de ce quinquennat - du fait du manque de moyens, ce travail de proximité est mis à mal. Comment le retisser ?

Enfin, je voudrais savoir comment est composé le comité de pilotage.

Mme Maryvonne Blondin. - Merci Dr Müller pour votre présentation. J'avais des questions sur cette nécessité de reconnaissance des pédopsychiatres. Je crois que, comme dans beaucoup de métiers, si on n'a pas la reconnaissance, on se sent rejeté et on devient un peu agressif.

Vous avez parlé d'hospitalisation de jour. Dans les Maisons thérapeutiques du collégien et du lycéen (MTCL), il y a déjà des formes d'hébergement adaptées à toutes les situations : hébergement complet, de courte durée, ou de nuit simplement. Certaines ont même expérimenté l'hébergement de jour avec un retour dans la famille la nuit. Voulez-vous des équipements à part ou tout cela peut-il s'organiser suivant les situations et les besoins ?

Je voudrais également des précisions sur le rétablissement des soins à temps complet. Dans le cas des hospitalisations complètes, dans ce lieu sécurisé qu'est l'hôpital, comment est organisée la scolarité ? Le temps de scolarisation est-il adapté, alors qu'on sait que les postes de l'Éducation nationale ne sont plus aussi nombreux qu'ils l'ont été, malheureusement.

Dr Christian Müller. - Je vais commencer par parler de l'organisation territoriale.

Il faut que nous voyions comment les agences régionales de santé vont interpréter l'article 69 de la loi de modernisation de notre système de santé. Le comité de pilotage de la psychiatrie, dans lequel sont représentées les ARS, devra harmoniser les pratiques.

Je pense que tout psychiatre a toujours beaucoup de doutes sur ce qu'il faudrait faire. Avoir des doutes, c'est aussi le signe qu'on a des convictions ! J'ai effectivement des convictions sur la nécessité du soin telle que je l'ai exposée. Comment le met-on en place ? C'est selon les territoires. Il y a des grandes orientations et après, il faut voir les déclinaisons territoriales. C'est très fin et très subtil. La psychiatrie est une discipline qui a autant à voir avec l'histoire qu'avec la géographie ! Par exemple, les communautés psychiatriques de territoires : dans certains départements peu peuplés, elles s'organiseront au niveau départemental : les acteurs se connaissent déjà et trouvent un argument pour travailler ensemble, et pour articuler la pédopsychiatrie avec la psychiatrie générale. Mais le territoire du projet territorial de santé mentale, c'est le territoire « suffisant pour l'articulation de second niveau ». Qu'est-ce qu'on met derrière « second niveau » ? On n'est pas censés entrer forcement dans un territoire administratif. La pression est forte, ici ou là, pour que ce soit le cas. Parfois on peut l'entendre, mais tout ça doit être l'objet de discussions. J'insiste sur le rôle par exemple des conférences territoriales de santé. Il y a une dimension pédagogique importante. Le conseil territorial de santé, avec les acteurs de proximité, travaille à un diagnostic qui aide pour la mise en place des projets territoriaux de santé mentale. Je le vois très bien pour la région dans laquelle je travaille. Les aspects territoriaux sont à construire et les acteurs auront à convaincre les ARS dans un dialogue qui sera, je l'espère, constructif.

Je dois évoquer le rôle des conseils locaux de santé. Nous sommes nombreux à dire, dans une volonté de dé-stigmatisation, que les conseils locaux de santé mentale - qui sont très hétérogènes - ne devraient pas être dans les mains des psychiatres, mais dans les mains des maires. Ces derniers devraient s'intéresser aux questions relatives à la santé mentale. Il y aurait intérêt à ce que d'autres acteurs investissent les conseils locaux de santé : les médecins scolaires, les médecins urgentistes, les acteurs de la petite enfance... Aujourd'hui, certains conseils locaux de santé mentale sont déjà moins actifs qu'il y a quelques mois.

Les groupements hospitaliers de territoire ne sont pas l'outil efficace pour régler les problématiques que j'ai indiquées. Les communautés psychiatriques de territoires sont beaucoup plus efficaces car elles sont à bonne échelle. Les GHT, de par leur taille imposante, n'ont pas la capacité de gérer les problématiques qui se posent au plus près des territoires. Pour d'autres sujets, tels que la formation, les systèmes d'information, les politiques d'achat, je n'y suis pas opposé, ils ont un intérêt. Notre réserve porte sur les aspects de gouvernance. La spécificité de la psychiatrie doit avoir une incidence en termes de gouvernance et d'allocation de ressources. La psychiatrie n'intéresse pas forcément les commissions médicales d'établissements généraux : les équipements lourds, c'est quand même beaucoup plus intéressant que le positionnement des CMP. Nous souhaitons pouvoir préserver les moyens alloués à la psychiatrie.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Comment sanctuariser ces budgets, puisqu'au fond, c'est de cela qu'il s'agit ?

Dr Christian Müller. - Sincèrement, je regrette de ne pas avoir fait d'études suffisantes dans le domaine budgétaire et financier. Je peux néanmoins vous dire que nous avons souhaité au sein du comité de pilotage de la psychiatrie - et même auparavant avec des collègues de la Fédération hospitalière de France (FHF) et de la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne (FEHAP) - qu'un regard soit porté sur les modalités d'allocation des ressources et des dotations régionales et interrégionales. Nous avons d'ailleurs reçu un accueil favorable pour que, dès 2017, un socle de critères soit étudié en commun.

Ensuite, le comité de pilotage de la psychiatrie doit repenser toutes les modalités d'allocation de ressources au niveau général, comme le prévoit son programme. Je pense en outre que le moment était venu de relancer les travaux pour la revalorisation de l'activité en psychiatrie, c'est désormais chose faite. Lorsque nous disons à nos directeurs que nous souhaitons sanctuariser le budget de la psychiatrie, on nous répond que c'est impossible. Or il importe que notre budget soit maintenu, cette question est primordiale.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Grâce à ce que les spécialistes appellent la « fongibilité asymétrique », je ne vois pas pourquoi cette sanctuarisation ne serait pas possible.

Dr Christian Müller. - Je retiens !

Faut-il que vous vous penchiez sur le champ de la souffrance psychique ou que vous vous limitiez à la question de la pédopsychiatrie ? Je crois que la pédopsychiatrie vaut bien qu'on se penche sur elle de manière particulière. À un certain moment, il faut évoquer la santé mentale des gens malades et le soin. Il faut s'occuper des enfants qui ont des problématiques psychiques. Cela me paraît essentiel eu égard à l'ampleur du phénomène et de ce qu'on a dit un à moment : moins on hospitalise, mieux c'est. Dans le contexte d'une certaine époque, j'ai aussi contribué à diminuer les durées d'hospitalisation et à fermer des unités d'hospitalisation. Notre mission, aux yeux de nos concitoyens, consistait alors à sortir les malades de l'asile. Nous l'avons fait, et avec bonheur, car nous avions les moyens de suivre les patients une fois qu'ils étaient sortis de l'hôpital, nous ne les abandonnions pas. Désormais, c'est une limite. Si l'on veut soigner les gens et tenir un discours de vérité, il nous faut expliquer que cinq jours d'hospitalisation ne suffisent pas pour soigner une dépression.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Mais il n'est pas toujours simple de faire la distinction entre une pathologie avérée qui va nécessiter une véritable prise en charge psychiatrique et une simple souffrance. Il y a donc le problème, au départ, du diagnostic.

Dr Christian Müller. - Absolument ! Je crois que les patients doivent être reçus au moins une fois par un psychiatre ou un pédopsychiatre.

M. Michel Amiel, rapporteur. -Mais qui les recevra si l'on n'a pas assez de pédopsychiatres ?

Dr Christian Müller. - Les CMP dont nous disposons. Il faut dans un premier temps repenser les modalités d'accueil dans les CMP !

Vous faites peut-être également allusion au rôle et à la place des psychologues dans le parcours de soins ? L'orientation vers un psychologue peut se concevoir. Néanmoins, les médecins généralistes ne sont pas forcément les mieux armés pour orienter vers un psychologue. On a donc un petit problème, car il faut forcement qu'à un moment il y ait un entretien avec un psychiatre ou un pédopsychiatre. Moyennant quoi, adresser aux psychologues peut s'entendre.

Sur la formation universitaire, je suggère que vous auditionniez Pierre Thomas. Avec lui, nous avons souhaité que soit identifiée une formation de pédopsychiatrie spécialisée qui ne soit pas sous-qualifiée.

Sur la loi spécifique, le mieux est l'ennemi du bien ! Commençons par quelques articles de loi. Et si jamais la représentation nationale nous ouvre des possibilités, je serai présent pour participer à la réflexion !

M. Alain Milon, président. - Quid de la mise en place d'états généraux de la psychiatrie sur le territoire national ?

Dr Christian Müller. - Pourquoi pas ? Je pense que la psychiatrie doit être l'objet d'un débat public. À un moment, il faut qu'on se demande et qu'on nous dise ce que notre pays et nos concitoyens attendent de nous et de la psychiatrie. J'ai en mémoire les débats autour de la loi sur les soins sans consentement.

M. Alain Milon, président. - Merci beaucoup M. Müller, une fois de plus c'était intéressant !

Audition du Professeur Marion Leboyer, directrice de la fondation FondaMental et responsable de la recherche à l'Hôpital Chenevier-Mondor de Créteil

M. Alain Milon, président. - Madame la professeure, votre audition aujourd'hui nous permet d'aborder un thème particulièrement important, celui de la recherche en matière de psychiatrie des mineurs et de son application clinique. Je rappelle, qu'en plus de vos activités hospitalo-universitaires, vous êtes la directrice de la fondation FondaMental qui promeut la recherche et gère des centres experts en matière de diagnostics. Nos précédentes auditions ont souligné le manque de recherche dans le domaine de la psychiatrie des mineurs et le manque de traduction de cette recherche dans les pratiques cliniques. On nous a par ailleurs indiqué que poser un diagnostic précoce ne sert à rien si les prises en charge ne sont pas accessibles immédiatement. Nous souhaitons donc échanger avec vous sur ces points. Je vous cède la parole pour un propos introductif à l'issue duquel notre rapporteur et les sénateurs membres de la mission d'information vous poseront des questions.

Pr Marion Leboyer, directrice de la fondation FondaMental et responsable de la recherche à l'Hôpital Chenevier-Mondor de Créteil. - e souhaite préciser en préambule que je suis une psychiatre d'adultes ; je ne prends pas en charge de mineurs. Mais qui est mineur devient majeur, donc susceptible d'être pris en charge par des psychiatres d'adultes.

Je rappelle que les maladies mentales sont un enjeu majeur de santé publique, qui concerne 38 % de la population européenne. Je ne peux pas vous dire les chiffres en France car il n'y a malheureusement pas de recherche en épidémiologie ; nous ne disposons pas de chiffres, à la différence de tous les pays européens et anglo-saxons.

Les maladies mentales représentent un problème de santé publique sur le plan de la fréquence et sur le plan du coût. Nous avons présenté au Sénat, en 2012, la première étude de coût (direct et indirect) des maladies mentales qui s'élève à 109 milliards d'euros. Il n'a sûrement pas diminué depuis. À l'horizon 2020, l'OMS prévoit que les maladies mentales seront la première cause mondiale de handicap.

Cette situation grave serait pour partie évitable si l'on soutenait la recherche. On sait aujourd'hui que la psychiatrie, comme les autres disciplines médicales mais probablement plus que les autres, a besoin d'innovation : dans la compréhension de ces pathologies, dans le développement de marqueurs diagnostics, et dans les stratégies thérapeutiques innovantes, toutes choses que la France est parfaitement placée pour faire. Or, aujourd'hui elle est en queue de peloton des pays européens : nous ne consacrons que 2 % du budget de la recherche biomédicale à la recherche en psychiatrie. C'est d'autant plus scandaleux que la London School of Economics a démontré que c'est en psychiatrie que le retour sur investissement de la recherche biomédicale est le plus important. Il y a vraiment un manque de reconnaissance et de prise en compte des besoins d'innovation. Or l'innovation, en diminuant la fréquence et les conséquences de la maladie mentale, rapporterait au pays.

Cette situation est encore plus criante pour la pédopsychiatrie. Je suppose que vous avez dû entendre à ce micro que le nombre de cas d'autisme recensés est passé de 1 pour 5 000 dans les années 1970 à 1 pour 12 au dernier recensement. Comme d'habitude, on ne dispose pas de chiffres en France, en l'absence d'étude épidémiologique.

Quelles sont les causes de cette augmentation de prévalence ?

Probablement le déploiement de systèmes diagnostiques. Nos consultations et nos centres experts sont envahis de demandes de bilan diagnostique qui ne sont pas réalisés par le système de soins classique. Sur le centre Asperger que je dirige à Créteil, le nombre de consultations a augmenté l'an passé de 2 500 %. Aujourd'hui, le délai d'attente pour obtenir un bilan diagnostique est de trois ans, ce qui est inadmissible pour un pays développé.

Cette augmentation des cas d'autisme dans le monde est également certainement liée à des facteurs environnementaux qu'on ne sait pas identifier. Une série d'études en cours, par exemple à Harvard, supposent ou recherchent l'impact de polluants, de pesticides et de toute une série de facteurs de risques environnementaux. Certains sont périnataux.

Des études scandinaves ont mis en lumière l'augmentation du risque de développer une série de pathologies psychiatriques qui apparaissent précocement (autisme, schizophrénie, troubles bipolaires) en cas de survenue d'infection virale pendant le premier trimestre et infection bactérienne pendant le second trimestre de la grossesse.

La prise de certains médicaments (Valproat par exemple) augmente également l'incidence d'autisme. Cela est connu depuis très longtemps. C'est probablement vrai d'autres psychotropes. L'information est très en retard en France. Les maladies auto-immunes sont également en cause.

L'information doit donc être correctement dispensée, à la fois au grand public et aux médecins. Il existe un énorme problème de qualité de la formation dans notre pays, qui touche à la fois des jeunes médecins et des professions paramédicales tels que les psychologues, les orthophonistes, les infirmières. Vous avez dit tout à l'heure que la recherche avait fait des progrès mais que l'impact sur le plan de la prise en charge des mineurs laissait à désirer. C'est en grande partie parce que les exigences de formation sont insuffisantes.

Pour conclure sur les grands enjeux de santé pour la psychiatrie des mineurs, je souhaite évoquer plusieurs points.

Comme toujours en France il y a des clivages.

Quand on atteint l'âge de la majorité et qu'on a été suivi par des services de psychiatrie pour enfants, la transition, le suivi, la continuité des soins ne se font pas. Il y a une rupture entre la pédopsychiatrie et la psychiatrie d'adultes, avec une série de clivages : idéologique mais aussi maintenue par l'organisation des soins. Il y a la pédopsychiatrie d'un côté et la psychiatrie d'adulte de l'autre, et entre les deux, cette zone d'ombre qui s'appelle l'adolescence et pour laquelle l'organisation des soins est très floue. Les maisons des adolescents ne sont pas coordonnées et n'ont pas toutes le même fonctionnement, ce qui augmente l'inégalité de l'accès aux soins.

Beaucoup de pays ont imaginé, pour remédier à ce clivage entre psychiatrie de l'enfant et de l'adulte, des services de psychiatrie conjuguant de la pédopsychiatrie, un service de psychiatrie de l'adolescent, un service de psychiatrie de l'adulte et un service de géronto-psychiatrie. Cela permet une vraie continuité et une meilleure circulation des informations.

Un autre clivage existe entre le MCO (médecine-chirurgie-obstétrique) et la psychiatrie. Il est à l'origine d'une catastrophe sanitaire puisque les malades psychiatriques ont plus souvent que les autres des maladies somatiques non prises en charge. Ils n'ont pas de généraliste, pas d'accès aux spécialistes des maladies auto-immunes ni aux diabétologues. Leur espérance de vie est réduite de vingt ans du fait de cette absence de prise en charge somatique.

Ensuite, les moyens pour la recherche en psychiatrie sont insuffisants, probablement encore plus encore en psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent. Qui dit absence de recherche dit absence d'innovation, donc absence d'accès à l'innovation, ce qui nous amène au troisième enjeu : la formation.

Ou plus précisément à l'absence de formation. En France, on n'exige pas des jeunes psychiatres en formation qu'ils lisent, qu'ils écrivent, qu'ils publient. Certaines exigences internationales ne sont pas respectées. Les psychologues ne sont pas formés à l'utilisation d'outils thérapeutiques : remédiation cognitive, la psycho éducation, thérapies cognitivo-comportementales Même si l'on prescrit ces stratégies thérapeutiques, elles demeurent inaccessibles pour les patients.

Des outils existent pour pallier ces dysfonctionnements, comme la e-santé, mais encore faut-il qu'on ait les moyens de les déployer. C'est ce que nous souhaitons faire dans l'institut de médecine personnalisée en psychiatrie à Créteil, que nous voulons créer. Il permettrait de promouvoir l'innovation diagnostique et de déployer la médecine personnalisée. Un patient n'a pas le même âge qu'un autre, n'a pas la même histoire, n'a pas les mêmes facteurs de risques, n'a pas le même besoin de prise en charge et on a absolument besoin, comme on le fait pour le cancer ou pour les maladies cardiovasculaires, d'une évaluation complète qui conduise à un temps et à une prise en charge personnalisée. C'est vrai pour les mineurs comme pour les majeurs et ça n'existe pas en France aujourd'hui.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Vous avez parlé des manques en matière de recherche. Quels sont les tabous français qui conduisent à cette situation de parent pauvre en matière de recherche, en particulier en épidémiologie ?

Les lois récentes concernant la santé (loi HPST de 2009 ou plus récemment la loi de modernisation de la santé de 2016) ont-elles apporté une amélioration en matière de prise en charge du fait psychique ?

Vous avez parlé de la Dépakine mais aussi des maladies inflammatoires du premier ou du deuxième trimestre de grossesse ; où en est l'état des recherches médicales ?

Comment améliorer le parcours de soins ?

Pensez-vous que la distinction entre neurologie et psychiatrie est toujours d'actualité ou faut-il revenir aux neuropsychiatres d'antan ?

Pr Marion Leboyer. - Le manque de recherche touche absolument tous les domaines de la psychiatrie, pas uniquement l'épidémiologie. Pourtant, les maladies mentales sont des maladies comme les autres qui ont besoin de développement d'outils de compréhension Il s'agit de recherches en neurosciences, en immunologie, en imagerie cérébrale, de développement de modèles animaux, de développement de bio-marqueurs. On a besoin d'avoir accès aux plateformes de métabolomique, de protéomique, de génomique, d'immunologie. Ça implique la construction de bio-banques.

Or, la psychiatrie n'a pas accès aux réseaux des CIC par exemple, ce qui est totalement scandaleux. Je passe mon temps à supplier mes collègues d'avoir accès à toutes ces infrastructures. La psychiatrie est toujours reléguée, considérée comme le parent pauvre qui n'a pas accès à tout cela alors même que les neurologues y ont accès très facilement. Nous, psychiatres, n'avons accès ni aux financements ni aux infrastructures. Le législateur pourrait se saisir de ce sujet car sans une vraie volonté de donner des moyens et accès aux infrastructures existantes, on n'y arrivera pas.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Pensez-vous vraiment que cela relève du champ de la loi ? Si tel est le cas, il faut effectivement s'en saisir et ce sera l'une de nos toutes premières préconisations.

Pr Marion Leboyer. - Je vous le demande. Les maladies mentales sont des maladies comme les autres qui ont besoin d'innovation et qui peuvent bénéficier, comme dans tous les pays développés, de tous les outils auxquels ont accès les autres spécialistes. On a besoin d'accès aux biobanques, à toutes les plateformes biologiques, à l'imagerie cérébrale, aux grands outils de calculs. Le législateur doit dire que la psychiatrie est un enjeu majeur de santé publique, que la situation s'aggrave et que ça devient une priorité. Tant que ce ne sera pas perçu comme une priorité de santé publique, qui coûte extrêmement cher à la société et à l'État et qui fait que des mineurs malades vont devenir des majeurs malades qui vont se transformer en patients chroniques et résistants et seront pris en charge à l'hôpital, alors qu'on peut faire de la prévention, du dépistage, de l'identification de facteurs de risques environnementaux, il n'y a aucune raison que ça s'arrête. C'est toujours la recherche qui porte l'innovation en médecine. Il y a besoin d'un acte fort qui dise qu'au même titre que les autres disciplines, la psychiatrie a besoin de recherche. En épidémiologie pour chiffrer et pour calculer les besoins de santé, pour identifier les facteurs de risques environnementaux ; en big data pour améliorer la stratification des patients. Et on a besoin d'innovations thérapeutiques. J'ai construit plusieurs projets, afin de développer la e-santé, les compléments alimentaires, la transplantation, qui ne trouvent pas de financement. Nous n'obtenons pas de moyens, ni publics ni privés, pour développer des essais thérapeutiques.

M. Alain Milon, président. - Que pensez-vous du comité de pilotage de la psychiatrie qui a été mis en place le 13 janvier dernier ?

Pr Marion Leboyer. - Un groupe si hétérogène ne peut espérer parvenir à un consensus. Tant qu'on mettra autour d'une table des gens qui ont des visions diamétralement opposées, on n'avancera pas. J'assume le fait d'être totalement politiquement incorrecte en affirmant cela !

M. Michel Amiel, rapporteur. - Faut-il élaborer une loi spécifique sur la psychiatrie ?

Pr Marion Leboyer. - Peut-être... Mais une loi avec des moyens, on a besoin de ça. Et la recherche portera l'information, l'innovation. La dissémination qu'on peut faire des résultats de ces recherches permettra que les usagers se saisissent de ces informations et que la prévention soit implémentée.

On peut aujourd'hui identifier des sujets à risques, dont on peut améliorer la prise en charge et le suivi. On peut mettre en place des stratégies qui ne sont pas thérapeutiques mais d'hygiène de vie (sommeil, alimentation, activité sportive).

Sur le plan de la recherche, je pense qu'il n'y a pas de tabou mais pas non plus de volonté politique et décisionnaire. On a mis en place un « plan cancer », un « plan maladies vasculaires »...

M. Alain Milon, président. - Mais il y a eu des plans « santé mentale »...

Pr Marion Leboyer. - Oui, mais sans un centime pour la recherche ! Ces pathologies ne sont toujours pas considérées par les décideurs de ce pays comme étant des maladies comme les autres, qui ont besoin comme les autres d'innovations, à la fois du privé et du public.

Le privé pose aussi problème : l'incitation des industriels à se rendre compte qu'il y a de la production de valeur en travaillant sur les maladies mentales est inexistante. Et je ne parle pas que de l'industrie pharmaceutique ; cela concerne aussi l'industrie du numérique, l'industrie des outils connectés, l'industrie des compléments alimentaires. Il y a vraiment une richesse possible déployée vers la prévention et vers des outils de diagnostic précoce. Comme toujours, si la France ne le fait pas, les pays alentours vont le faire. De nouveau, nos concitoyens n'auront pas le droit d'avoir accès à toutes ces innovations.

La fondation FondaMental a apporté une modernisation du système de santé dirigée vers des stratégies de déploiement de la prévention. Je n'ai jamais vu ces termes-là portés par aucune loi.

De quoi a-t-on besoin en termes de prévention ? On a besoin d'être capables d'identifier des facteurs de risques, qu'ils soient génétiques, familiaux ou environnementaux, de manière à pouvoir empêcher l'apparition de la maladie. Cela pourrait se traduire dans les faits et dans des recommandations. L'Australie, qui s'est fait l'apôtre de la médecine de prévention chez les très jeunes, a transformé ses soins chez les sujets à risques à l'initiative du Gouvernement ; cela s'avère extrêmement efficace .

La prévention secondaire consiste à réduire le temps entre l'apparition de la maladie, le diagnostic et la prise en charge d'une pathologie. Aujourd'hui en France, il y a un intervalle de temps inadmissible entre le début d'une maladie et son diagnostic.

Je reprends l'exemple des autistes de haut niveau : la pathologie commence avant l'âge de trois ans, or je vois des patients qui ont 70 ans et qui n'ont jamais été diagnostiqués. Ils ont fait de hautes études, sont polytechniciens ou normaliens, mais sont au ban de la société. Ils ne bénéficient d'aucune prise en charge médicale ni sociale, ni d'aide à l'insertion professionnelle, et vivent de façon absolument scandaleuse avec une série de pathologies psychiatriques et somatiques qui vont venir compliquer l'évolution de leur pathologie. On rencontre cette situation pour des autistes de haut niveau, certains schizophrènes, des personnes bipolaires, qu'on continue à diagnostiquer trop tard.

La prévention secondaire est particulièrement importante pour les mineurs puisqu'une grande partie des pathologies d'adultes commence entre 15 et 25 ans. C'est l'âge auquel tous les efforts devraient être faits pour offrir, dès l'apparition des premiers symptômes un bilan diagnostic complet, des recommandations thérapeutiques et un parcours de soins psychiatrique et somatique digne de ce nom. Si le médecin généraliste, qui est en général en première ligne, suggère à un jeune d'aller consulter un psychiatre, le patient prend généralement ses jambes à son cou. Il faut former les généralistes et les spécialistes et leur donner accès à des outils en ligne qui permettent de faire des diagnostics plus rapidement.

La prévention tertiaire consiste à réduire la survenue du handicap en déployant des stratégies thérapeutiques personnalisées : médicament adapté, prise en charge des comorbidités somatiques. La première cause de mortalité chez les schizophrènes et les bipolaires sont les maladies cardiovasculaires. Cela est inadmissible et constitue, d'une certaine manière, une non-assistance à personne en danger.

Il faut déployer des thérapeutiques dites psychosociales, très spécialisées ; elles ne sont ni prescrites ni accessibles puisque les psychologues qui devraient être formés à ces stratégies sont trop peu nombreux. Par exemple, quand on prescrit des séances de rééducation des habiletés sociales à un autiste de haut niveau, qui lui permettraient d'avoir une insertion sociale de bonne qualité et une vie professionnelle correcte, ce type de stratégie n'est pas disponible. Idem quand on cherche des équipes pour les coacher pour qu'il améliore son insertion professionnelle : l'offre n'est pas disponible sur l'ensemble du territoire. En raison de l'augmentation de prévalence, il faut développer cette offre pour permettre la prévention du handicap.

Tout ça, je ne l'ai jamais vu dans aucun texte de loi.

Troisième point sur les inflammations. C'est l'un des sujets qui est le plus porteur d'espoir aujourd'hui pour mieux comprendre ces pathologies, pour déployer des bio marqueurs diagnostics, pour stratifier les patients en sous-groupes et surtout, pour développer des stratégies thérapeutiques innovantes. Nous ne bénéficions pas d'un centime de financement sur ce sujet ; on a pourtant été l'une des premières équipes à l'identifier. C'est un domaine extrêmement innovant et précurseur.

Quel est le modèle qui sous-tend cette hypothèse dysimmunitaire dans quasiment toutes les pathologies psychiatriques ? C'est l'hypothèse qui est au coeur d'interactions entre un terrain immunogénétique et des facteurs de risques environnementaux. Ces patients seraient porteurs d'un terrain génétique qui les rendrait incapables de se défendre face à certains facteurs de risques environnementaux. Il peut s'agir d'infections pendant la grossesse ou au cours de la vie, d'expositions à des facteurs environnementaux, de stress sévères ayant des conséquences inflammatoires. Cela va déclencher une cascade immuno-inflammatoire qui peut se déclencher in utero puis se déployer pendant toute la vie et avoir des conséquences au niveau du système nerveux central, au niveau périphérique et au niveau digestif.

Il est donc nécessaire d'identifier des bio marqueurs diagnostics et de développer des thérapeutiques. Il y a plusieurs pistes thérapeutiques extrêmement innovantes pour lesquels nous aimerions beaucoup avoir les moyens d'effectuer des essais thérapeutiques : le test de traitement immuno modulateur, le développement de compléments alimentaires, des techniques de stimulation du nerf vague et les thérapies cellulaires. Cela suppose qu'on soit capable de stratifier les patients sur la base de signatures clinico biologiques : on identifierait ainsi au sein de la très grande hétérogénéité de ces pathologies, celles qui pourraient bénéficier de ces stratégies thérapeutiques.

Je vous donne trois exemples.

Dans le domaine de l'autisme, on a vraiment besoin de thérapeutiques innovantes puisqu'il n'existe pas de thérapeutique aujourd'hui. On a déposé à plusieurs reprises, depuis dix ans et à la demande des associations de patients, trois projets. Le premier porte sur le développement d'essais thérapeutiques grâce à des antibiotiques. Il y a plus d'un millier d'enfants suivis par un généraliste qui ont démontré, de façon non randomisée, que l'adjonction de traitements antibiotiques pendant de longues durées permettait d'observer des régressions extrêmement impressionnantes des tableaux autistiques. Je n'arrive pas à trouver les moyens de faire financer cette étude.

Deuxième espoir, la voie des probiotiques et de la transplantation. On a plusieurs projets écrits et prêts à démarrer demain matin, mais pas de financement.

La troisième voie, plus innovante, est celle de l'utilisation des thérapies cellulaires qui ne sont pas très dangereuses et permettraient de faire un reset du système immunitaire.

Plusieurs études ont déjà démarré sur ces trois domaines aux États-Unis et ont des résultats très encourageants. Là encore, ce sont des Français qui proposent ce type d'études mais ils n'ont pas les moyens de les réaliser.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Y a-t-il une classe d'antibiotiques ciblée dans les essais que vous évoquez ?

Pr Marion Leboyer. - Le groupe de la minocycline, une molécule antibiotique mais aussi anti-inflammatoire, a démontré son efficacité mais ne peut être utilisée chez l'enfant. D'autres molécules peuvent être utilisées chez l'enfant. Encore faut-il avoir les moyens de le faire.

La neurologie et la psychiatrie ne traitent pas les mêmes pathologies. Les pathologies psychiatriques sont réellement des pathologies de système. On voit bien que cette cascade immuno inflammatoire va toucher le système nerveux central mais aussi le système périphérique et le système digestif.

Il y a un processus inflammatoire de bas niveau qui va augmenter la perméabilité des barrières cérébrales et digestives, le passage d'un certain nombre de protéines, ce qui va déclencher des réactions auto-immunes. Cela explique l'augmentation des maladies auto-immunes chez les mères des patients et chez ces derniers. Ce sont des pathologies extrêmement complexes qui vont évoluer au cours du temps si l'on n'en freine pas l'évolution et qui ne concernent pas que le système nerveux central. Je ne vois donc pas ce que cela apporterait de réunir la neurologie et la psychiatrie.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Vous parliez de tube digestif. A-t-on établi des liens entre maladie chronique inflammatoire du tube digestif et les pathologies psychiatriques que l'on évoque ?

Pr Marion Leboyer. - Bien sûr. 30 à 70 % des personnes avec autisme ont des symptômes gastro-intestinaux extrêmement invalidants. C'est également vrai pour d'autres pathologies psychiatriques. Les Français sont très compétents dans ce domaine, c'est pourquoi il est frustrant de ne pas parvenir à financer des recherches sur ces sujets avec l'Inra par exemple, pour faire une cartographie des micro-biotes et proposer des stratégies de compléments alimentaires. Un traitement pro biotique ne permettra pas à lui seul de guérir ces pathologies, il faut une stratégie globale, mais cela peut compléter les traitements traditionnels. Ce sont des voies d'espoir.

Mme Maryvonne Blondin. - Je découvre cette absence de financement et de prise en compte de la recherche. Je salue votre combat, votre dynamisme et votre volonté. Vous avez dit quelque chose qui me parait essentiel, à savoir que les maladies mentales sont des maladies comme les autres. Or, dans l'esprit des gens, ce n'est pas tout à fait le cas. Il faudrait que cet état d'esprit change, ce serait un changement d'ordre culturel.

2 % du budget de la recherche biomédicale, c'est véritablement peu. Je pensais que dans des instituts tels que le CNRS, l'Inra, existaient des services dédiés à cette recherche-là.

Êtes-vous plusieurs à vous battre là-dessus ou êtes-vous seule ? Quelles batailles avez-vous pu mener vis-à-vis des élus ? Avez-vous déjà été auditionnée par des élus nationaux ?

Vous avez parlé des polluants, des prises de médicaments. Les perturbateurs endocriniens ont-ils un impact sur la santé mentale ?

Lorsque vous évoquez la corrélation entre les troubles intestinaux et l'autisme, il me revient en mémoire le débat, voire la bagarre entre les psychanalystes traditionnels et un médecin de mon département, qui était en avance, et avait détecté cette corrélation entre l'intestin et le trouble mental, et la vessie.

Avez-vous suivi les études cliniques sur les bactériophages ?

J'aimerais par ailleurs que vous développiez ce que vous entendez par « prise en charge personnalisée ».

Pr Marion Leboyer. - Sur le manque de connaissances du grand public et des décideurs, je pense que c'était la même chose il y a trente ans pour le cancer ou pour l'épilepsie. Je pense qu'il y a trente ans, si un jeune homme faisait une crise d'épilepsie dans la rue, on l'emmenait au poste de police et non à l'hôpital. Il y a un retard en France en matière d'information. Si on exigeait de nos jeunes collègues qu'ils lisent la littérature internationale, qu'ils aillent en congrès et qu'ils publient une thèse de médecine s'ils ont écrit un papier eux-mêmes, cela les obligerait à se tenir au courant de l'évolution de la science. Cela nécessite qu'on se forme, puisque la vérité d'aujourd'hui ne sera pas la vérité de demain. Plus tôt on apprend à avoir un esprit critique, mieux c'est.

C'est la même chose pour nos concitoyens. On s'est donné beaucoup de mal à la fondation FondaMental pour communiquer auprès de la presse, on voit bien que les choses changent assez vite. Il faut qu'on ose parler des maladies mentales. Aujourd'hui, on dit presque facilement qu'on a un cancer ou une épilepsie, mais dire qu'on a dans sa famille un schizophrène reste encore tabou. Pour que les plus jeunes aient accès aux soins, pour que le dépistage et le diagnostic soient effectués tôt, il faut qu'on ait une représentation de ces pathologies comme étant des maladies comme les autres, qui nécessitent un diagnostic le plus précis et précoce possible, et l'accès à l'ensemble des stratégies thérapeutiques.

La question de savoir s'il faut recourir à la psychanalyse, qui est toujours en débat mais malheureusement spécifiquement française, est à mon sens totalement fausse puisque nous, médecins, nous nous devons d'utiliser toutes les stratégies thérapeutiques qui sont les plus efficaces pour un patient donné à un moment donné de son parcours. La médecine personnalisée consiste à se donner tous les outils possibles pour faire un diagnostic exhaustif (psychiatrique, somatique et neuropsychologique) de manière à pouvoir prescrire l'ensemble des stratégies thérapeutiques, qu'elles soient médicamenteuses, psychosociales ou qu'elles concernent le style de vie. Quand on soigne un patient diabétique, on ne se limite pas à lui prescrire de l'insuline.

Puisqu'on n'arrive pas à obtenir cette représentation-là, c'est peut-être au législateur d'imposer qu'il y ait des recommandations de la part des hautes autorités de santé, que nous, les sociétés savantes, puissions fournir des recommandations thérapeutiques, et qu'il y ait des soins imposés. Il y a une évolution des stratégies qui est parfaitement appliquée partout dans le monde, je ne vois pas très bien pourquoi elle ne pourrait pas l'être en France. Et c'est cela l'essence de la médecine personnalisée, ce n'est absolument pas de faire des clivages entre médecins généralistes et psychiatres ou entre psychanalystes et d'autres disciplines. Certains patients peuvent bénéficier de thérapies cognitivo-comportementales ou de psychanalyses, d'autres pas.

Vous m'avez ensuite demandé si j'étais seule. Non. La fondation FondaMental a été créée par le ministère de la recherche à l'issue d'un concours international il y a dix ans. Le nombre des équipes médicales et de laboratoires de recherche nous rejoignant augmente chaque année. Nous avons aujourd'hui près de quarante centres experts sur l'ensemble du territoire. Nous recevons beaucoup de demandes d'associations d'usagers d'une part, et de psychiatres d'autre part, pour déployer le réseau des centres experts diagnostiquant les troubles bipolaires, la schizophrénie, la dépression résistante et l'autisme de haut niveau.

Nos collègues nous demandent qu'on les aide à développer la même chose pour l'hyperactivité, le trouble des conduites alimentaires, le suicide, ce qui permettrait d'offrir aux patients une évaluation diagnostique. Le bilan diagnostique est ensuite adressé au médecin qui nous a envoyé le patient de manière à ce qu'il puisse avoir une évaluation complète et standardisée de la pathologie de son patient et des recommandations thérapeutiques personnalisées. Cette extension permettrait de compléter l'actuelle offre de soins de la psychiatrie de secteur, qui est une psychiatrie beaucoup plus généralisée et qui se sert de ce dispositif de centre experts.

M. Alain Milon, président. - Cette audition est édifiante. Je connais le professeur Leboyer depuis plus de dix ans. 

Pr Marion Leboyer. - Effectivement, la fondation a été créée en 2007. Nous fêtons nos dix ans en espérant que l'institut qu'on appelle de nos voeux sera créé. Nous avons eu le soutien de la région, d'un certain nombre de mécènes. Notre objectif est de créer, en Ile-de-France, un institut de recherche en médecine personnalisée en psychiatrie qui repose à la fois sur des soins innovants autour de ces centres experts, de la recherche de pointe autour de l'innovation diagnostique et thérapeutique, qui déploie des stratégies de formation. Nous cherchons à valoriser des partenariats public/privé pouvant être extrêmement bénéfiques sur le plan économique et sur le plan du développement de l'innovation.

M. Alain Milon, président. - Nous avons le projet d'organiser avec Mme Leboyer un colloque dans les locaux du Sénat. C'est absolument fondamental pour l'évolution de la médecine. Il faut savoir investir pour pouvoir faire des économies par la suite.

Pr Marion Leboyer. - J'ai été auditionnée cet après-midi par l'Agence nationale de la recherche (ANR) sur le projet de cohorte, financé par des investissements d'avenir. Nous avons apporté les premiers résultats médico-économiques de l'impact du déploiement des centres experts. On montre, que deux ans après le passage dans un centre expert, il y a une diminution de 50 % du nombre de journées d'hospitalisation. Un bilan précoce complet, accompagné de recommandations thérapeutiques, permet vraiment de faire des économies.

Les centres experts doivent évoluer d'un statut expérimental à un vrai dispositif de santé publique. Aujourd'hui, il n'y a pas de coordination entre les différents dispositifs, par exemple les centres ressources ne sont pas coordonnés. Il faudrait s'assurer de la qualité des évaluations cliniques, de l'homogénéité et de l'efficacité des stratégies thérapeutiques, fondées sur la preuve. Nous avons besoin d'avoir cette mission de service public à la fondation FondaMental, que nous n'avons pas. Si nous ne sommes pas aidés et soutenus financièrement, l'action que nous menons depuis dix ans cessera.

M. Alain Milon, président. - J'avais eu l'idée, qui n'a pas été suivie, de mettre en place un plan psychiatrie, avec tout un volet recherche, comme cela avait été fait pour le plan cancer. Le plan santé mentale n'a pas marché, le plan autisme ne marche pas vraiment car ils sont dépourvus de volet « recherche ».

Pr Marion Leboyer. - Ce qui est vraiment nécessaire, c'est de développer des outils de diagnostic comme les centres experts et pas seulement pour les enfants, comme on le fait pour l'autisme. Les adultes ont également besoin d'être pris en charge. Il faut assurer le diagnostic, le parcours de soins et innover dans la formation et dans la recherche.

M. Alain Milon, président. - Nous vous remercions.

La réunion est close à 18 h 45.