Mardi 14 février 2023

- Présidence de Mme Valérie Létard, présidente -

La réunion est ouverte à 16 h 00.

Audition de Mme Laurence Rouède, vice-présidente de la région Nouvelle-Aquitaine chargée de l'aménagement du territoire, au titre de Régions de France

Mme Valérie Létard, présidente. - Mes chers collègues, pour notre première audition plénière, nous entendons aujourd'hui Mme Laurence Rouède, vice-présidente de la région Nouvelle-Aquitaine chargée de l'aménagement du territoire, également présidente de l'établissement public foncier de Nouvelle-Aquitaine. Mais c'est au nom de l'association Régions de France qu'elle intervient devant nous pour présenter l'analyse que font les régions de la proposition de loi visant à faciliter la mise en oeuvre des objectifs de « zéro artificialisation nette » (ZAN) au coeur des territoires.

Le 6 décembre dernier, la mission conjointe de contrôle relative à la mise en application du ZAN avait déjà auditionné la présidente de l'association Régions de France, Mme Carole Delga. L'exercice est aujourd'hui quelque peu différent puisque nous avons, depuis lors, déposé une proposition de loi sénatoriale et constitué une commission spéciale chargée d'examiner ce texte. Nous devrons, d'ici au 8 mars prochain, présenter un texte de commission, qui sera ensuite examiné en séance publique le 14 mars. Il s'agit donc non plus de rédiger un texte en partant d'une feuille blanche, mais de recevoir plus précisément l'analyse des régions sur les dispositions de cette proposition de loi, article par article, afin éventuellement d'y apporter des ajustements.

L'analyse de Régions de France est très importante pour nous, madame Rouède, puisque les régions sont au coeur de la mise en oeuvre du ZAN et de sa déclinaison dans les territoires. Elles élaborent les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet) afin de fixer des objectifs et de les répartir entre les territoires, donnant également la possibilité de mutualiser des projets d'intérêt régional ou national.

La proposition de loi sénatoriale comporte plusieurs articles qui concernent directement les régions. Par exemple, elle modifie le calendrier d'évolution des Sraddet ainsi que leur rapport avec les documents locaux d'urbanisme. Elle vise aussi à trouver des modes de coopération et de concertation entre différents niveaux de collectivités territoriales, par le biais de la création de la conférence régionale de gouvernance de la politique de réduction de l'artificialisation des sols. Enfin, elle tend, au niveau régional, à réserver une partie de l'enveloppe de sols artificialisés pour constituer un droit à une surface minimale de développement communal qui ne peut être inférieure à un hectare. Nous attendons vos retours sur ces différents points et sur toute autre mesure du texte que vous souhaiteriez aborder.

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Le calendrier du ZAN étant serré, je souhaite d'abord vous poser quelques questions sur le chapitre Ier de notre proposition de loi, intitulé « Favoriser le dialogue territorial et renforcer la gouvernance décentralisée ».

La loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (Climat et résilience) a confié aux régions un rôle prépondérant dans cette architecture nouvelle du ZAN, celui de chef de file, ce que la Première ministre a confirmé récemment à Marseille. Tel que nous l'avions envisagé au Sénat et en commission mixte paritaire, il s'agissait pour la région de donner de grandes orientations, déclinées par les collectivités compétentes en matière d'urbanisme, à savoir la commune et l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI).

Pourtant, les décrets d'application ont profondément modifié la nature du Sraddet, qui sera désormais une sorte de « super-Scot » régional (schéma de cohérence territoriale), fixant des objectifs contraignants pour les collectivités. Or le Sraddet n'est pas un document d'urbanisme ; il n'avait pas cette vocation et, d'ailleurs, son élaboration n'offre pas les garanties habituelles de concertation qui prévalent pour les Scot ou pour les plans locaux d'urbanisme (PLU).

Nous n'entendons pas remettre en cause la compétence de la région, mais il nous semble qu'il faut rassurer les collectivités locales, apporter des garanties de dialogue territorial et renforcer l'approche décentralisée.

Pourriez-vous nous donner la position des régions sur l'article 2 du texte, qui vise à revenir à l'esprit de la loi que nous avions adoptée en donnant aux dispositions ZAN du Sraddet un caractère d'orientation et non de contrainte ? En clair, nous ne voulons pas de fascicule réglementaire ! Les régions sont-elles toutes favorables à ce que le Sraddet devienne un « super-Scot », comme le souhaite le Gouvernement ?

Comment les régions entendent-elles s'emparer des propositions qui ont été faites par les conférences des Scot en matière de territorialisation des objectifs de réduction de l'artificialisation, notamment sur les critères de répartition à retenir ? Vous paraît-il de bonne pratique que les régions soient tenues de justifier la manière dont ces propositions ont été prises en compte, ce qui est l'objet de l'article 2, propositions qui devaient être formulées avant le 22 octobre dernier ? Que pensez-vous des décisions que doivent prendre les régions avant la semaine prochaine, en l'état de la législation ? Dans la perspective de réviser les Sraddet, comment avez-vous accueilli les demandes de différenciation ?

Quel est votre sentiment sur la conférence régionale de gouvernance instaurée par l'article 3, laquelle, en rassemblant la région, les intercommunalités et, surtout, les maires, se substituerait aux simples conférences des Scot ? Le ministre n'y voit que de la complexité, une énième « usine à gaz », mais n'est-il pas nécessaire de mettre tout le monde autour de la même table pour aborder ces questions ?

Quant aux projets d'ampleur nationale et européenne, prévus par l'article 4, la méthode de qualification proposée - par les régions après avis de la conférence - vous paraît-elle adéquate ? Faut-il y inclure des projets de nature économique, comme les gigafactories et des projets de nature privée dont l'intérêt est public, ou pensez-vous, comme M. le ministre Béchu, que ces projets devraient rester dans l'enveloppe de sols artificialisés régionale, au motif que le développement économique est une compétence de la région ? L'artificialisation des grands projets nationaux doit-elle être répartie entre toutes les régions, comme le souhaite le Gouvernement, ou sortir complètement de l'objectif de réduction de l'artificialisation, ce que nous souhaitons ?

Pour finir, nous souhaitions vous interroger sur les mécanismes proposés dans le chapitre III, intitulé « Mieux prendre en compte les spécificités des territoires », au profit des petites communes et de la ruralité, sans oublier les communes de littoral et de montagne. Nous proposons deux choses : la mise en réserve, d'une part, d'une petite partie de l'enveloppe régionale de sols artificialisés, en vue de pouvoir autoriser des projets d'intérêt supracommunal dans de petites communes n'ayant pas assez de droits ZAN, et, d'autre part, d'une surface minimale de développement communal, à hauteur d'un hectare - cela fait beaucoup gloser... -, afin d'éviter que les communes peu consommatrices ne soient sacrifiées. Notre proposition de filet de sécurité vise ces petites communes, qui ne parviennent pas à se faire entendre et qui ont l'impression de subir le ZAN, lequel bénéficie toujours aux mêmes : métropoles et grands ensembles.

Je crois que les régions sont peu favorables à ces mécanismes, car elles craignent qu'ils n'amputent trop fortement l'enveloppe régionale qui doit être territorialisée ; pourriez-vous nous préciser cela et nous présenter vos propositions de substitution pour protéger les communes rurales ?

Mme Laurence Rouède, vice-présidente de la région Nouvelle-Aquitaine chargée de l'aménagement du territoire, au titre de Régions de France. - Je vous remercie de me recevoir dans le cadre de cette audition consacrée aux Sraddet et au ZAN, des sujets qu'Alain Rousset, président de la commission Aménagement du territoire de l'association Régions de France, suit de près, et d'avoir créé, au travers de cette proposition de loi, les conditions d'un débat rejoignant les interrogations des régions.

Après l'adoption de la loi Climat et résilience, qui a institué le ZAN, l'association Régions de France avait été entendue par le cabinet d'Emmanuelle Wargon, avant la publication des décrets d'application et certains problèmes que nous pressentions alors se retrouvent d'actualité : sauf pour la question des délais, nous n'avions pas été suffisamment entendus. Cette proposition de loi donne la possibilité de discuter à nouveau.

Les régions ont pris leurs responsabilités en matière de sobriété foncière. Sur certains sujets, nous nous rapportons à l'esprit des dispositions de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe. Je pense en particulier à la nécessité que les Sraddet ne deviennent pas des super-Scot : les schémas régionaux donnent de grandes orientations, ils ne sont pas des documents d'urbanisme. Il faut faire la différence ; en tant qu'adjointe à l'urbanisme d'une commune de 25 000 habitants, je vois bien les deux bouts de la chaîne du ZAN...

Respectant la loi, les régions se sont engagées à réviser les schémas régionaux à échéance de février 2024, malgré la complexité. Cette complexité est d'autant plus prononcée que, avant le passage au ZAN à l'horizon de 2050, il faut tenir compte d'un objectif intermédiaire : la réduction du rythme de consommation d'espaces d'ici à 2031. Ces objectifs répondent à des méthodes différentes. Dès lors, tout ce qui, dans cette proposition de loi, faciliter la coordination entre consommation d'espaces et artificialisation nette est intéressant.

Toutes les régions ont organisé des concertations pour travailler sur la territorialisation des objectifs, puis, dans un second temps, sur le parcours vers le ZAN. Des interrogations ont été relayées par Régions de France et par les présidents de région, lesquels ont pris l'initiative d'écrire à la Première ministre et à M. Christophe Béchu. L'objectif était de demander le desserrement du calendrier, d'aborder la question des grands projets, qui posent de grands problèmes d'équité, et celle du fascicule des règles et objectifs, objet d'un recours de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF).

À la suite d'une concertation en octobre dernier, Christophe Béchu a assuré que, à tout le moins, il demanderait rapidement la réécriture des décrets d'application, mais sans changer le cadre de la loi ni l'échéance de février 2024 pour décliner les objectifs dans les documents de planification. À ce titre, cette proposition de loi pourrait offrir des perspectives. Force est de constater que, depuis la concertation d'octobre, nous n'avons reçu aucune information concrète : les courriers sont restés sans réponse. Cela nous inquiète : pour respecter le délai de février 2024, toutes les régions devraient adopter d'ici à mars ou avril prochain leur modification des Sraddet ! Tous ces schémas étaient déjà achevés et nous devons les recommencer quelques mois plus tard... Il faut garantir une stabilité des documents d'aménagement du territoire et de ceux de planification.

Au-delà du calendrier, il existe des impensés de fond : le lien à établir entre, d'une part, le ZAN, et, d'autre part, le logement social, l'évolution du trait de côte, la loi du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne, la capacité de renaturation dans les communes rurales ou encore les énergies renouvelables. Autant de sujets sur lesquels nous n'avons pas de réponse.

Certaines de vos propositions vont recueillir un avis favorable des régions. Je pense au desserrement du calendrier : c'est une bonne chose. Les territoires nous attendent là-dessus, d'autant plus que certains sont actuellement en train de réviser ou d'élaborer leurs Scot, leurs plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUi) et leurs plans locaux d'urbanisme (PLU).

Ce décalage de l'échéance d'un an doit concerner tous les acteurs et ne pas se limiter à la seule partie foncière. En effet, la loi Climat et résilience et la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie (Agec) imposent des modifications d'autres volets des Sraddet. En Nouvelle-Aquitaine, cela concerne la logistique et les déchets. Il paraîtrait curieux de modifier le Sraddet sur de tels volets alors que la modification de la partie sur le foncier bénéficierait d'un délai d'un an supplémentaire : nous ne pouvons réélaborer en permanence des Sraddet, cela représente un coût important !

La proposition d'une enveloppe nationale d'artificialisation des sols pour certains projets satisfait nos voeux. Selon le ministre Béchu, un tel comptage à part était prévu depuis le début. Il ne faudrait toutefois pas que cette mutualisation soit ensuite répartie entre les régions, dont les contextes diffèrent. Dans l'élaboration des Sraddet, les régions ont tenu compte des parcours et des trajectoires des territoires, en les différenciant ; la loi, à l'inverse, n'opère pas une telle différenciation. Ma région, par exemple, est concernée par le grand projet ferroviaire du Sud-Ouest (GPSO) : il paraîtrait normal qu'un tel projet remonte dans une enveloppe nationale sans faire ensuite l'objet d'une mutualisation.

Pourquoi ne pas faire également monter dans cette enveloppe des projets industriels ? Pour ces derniers, nous avions déjà proposé une « enveloppe blanche ». Cela nous a été refusé, car il faut pouvoir mesurer les retombées en nombre d'hectares. Par ailleurs, certaines régions sont très grandes : considérer qu'un grand projet national doit forcément être interrégional amènerait la Nouvelle-Aquitaine à ne pas faire remonter à l'échelle nationale la liaison Poitiers-Limoges !

Concernant les fascicules d'objectifs et de règles, les régions veulent également en revenir à l'esprit de la loi NOTRe, à savoir conserver leur liberté. Peu de régions ont intégré l'objectif de 50 % de réduction du rythme de consommation d'espaces dans le fascicule des règles. Pourquoi rendre cela obligatoire dans le fascicule des objectifs ? Pourquoi ne pas laisser latitude aux régions pour décider ce qui relève de l'objectif et ce qui relève de la règle ? En Nouvelle-Aquitaine, ces 50 % sont intégrés dans le fascicule des objectifs, la règle générale mentionnant, quant à elle, le fait de tenir compte de la sobriété foncière ; cela a été négocié avec les Scot.

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - L'association Régions de France ne souhaite-t-elle pas un fascicule réglementaire dans chaque Sraddet, c'est-à-dire des Sraddet normatifs ? Ne pensez-vous pas que le sens de l'histoire, pour les politiques publiques, est de disposer de régions chefs de file planificatrices ?

Mme Laurence Rouède. - Le fascicule d'objectifs est normatif.

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Prônez-vous la prise en compte du ZAN dans les Sraddet ou leur compatibilité ?

Mme Laurence Rouède. - Nous demandons de revenir à l'esprit de la loi NOTRe, laissant la possibilité d'inscrire la sobriété foncière soit dans les objectifs soit dans les règles générales. En Nouvelle-Aquitaine, la règle est de démontrer qu'un projet ne peut être réalisé dans l'enveloppe urbaine existante, l'objectif étant de limiter l'extension du commerce de périphérie. La portée est prescriptive. Le principe est de respecter la négociation : nous avions co-écrit cette disposition en fonction des Scot. Toutes les régions ont fait ainsi.

La prise en compte des efforts passés est un principe vertueux, mais difficile à concevoir dans les faits. Chaque territoire considère avoir été vertueux du point de vue de son contexte : si l'on observe la pure consommation d'espace, on en déduit une certaine cartographie, mais si l'on rapporte la consommation au nombre d'habitants supplémentaires, l'image est inversée, car les territoires ruraux ou moins attractifs consomment alors beaucoup plus d'hectares ! Les régions tâchent de distinguer la consommation selon des périodes - 2011-2016, 2016-2021 - afin de mesurer l'effort réalisé. Il faut faire de la pédagogie.

La notion de « trajectoire » figure dans le Sraddet de ma région : un territoire soumis à un Scot dont la diminution de la consommation d'espaces passe de 30 % à 45 % réalise un gros effort.

Nous sommes plus réservés face à certaines des dispositions de votre proposition de loi. Sans reprendre les propos de M. Béchu, l'association Régions de France considère que la conférence régionale de gouvernance de la politique de réduction de l'artificialisation des sols n'est pas forcément souhaitable. Nous avons l'habitude de travailler avec la conférence régionale des Scot, nous avons tous créé des commissions de concertation ad hoc et la conférence territoriale de l'action publique (CTAP) permet de discuter de toutes les étapes du Sraddet. En Nouvelle-Aquitaine, nous avons également créé un groupe de travail regroupant des membres de la CTAP et des représentants des associations départementales de maires ruraux.

Une conférence régionale obligeant la région à rendre systématiquement des comptes sur toutes les décisions nous paraîtrait compliquée à mettre en oeuvre, relançant des débats complexes. Les régions ont déjà pris leurs responsabilités au niveau de la pédagogie. Cette conférence régionale, en outre, ne respecterait pas leur rôle de chef de file en matière d'aménagement du territoire.

Mme Valérie Létard, présidente. - Auriez-vous une proposition à formuler afin de permettre une gouvernance partagée des collectivités, tenant compte de la dimension prescriptive présente dans les décrets ?

Mme Laurence Rouède. - Je ne connais aucune région élaborant son Sraddet ou sa politique ZAN sans discuter avec les acteurs qui sont au coeur de la planification, c'est-à-dire les représentants des Scot et les maires.

Les conférences régionales des Scot, intégrant les EPCI dépourvus de Scot, la CTAP et les commissions ad hoc, suffisent. Elles ont déjà dû surmonter de nombreux désaccords, chacun défendant son territoire. Par exemple, en Nouvelle-Aquitaine, elle n'a pas proposé de pourcentage de territorialisation des objectifs du fait de l'impossibilité à se mettre d'accord.

Il ne s'agit pas de balayer la concertation, mais il faudrait discuter de la composition de la conférence régionale de gouvernance de la politique de réduction de l'artificialisation des sols, et de ses compétences. Si, face à des demandes d'EPCI de faire entrer un projet dans une enveloppe régionale, il faut justifier chaque décision en assemblée plénière, la mise en oeuvre sera difficile. Tout le monde plaiderait pour son projet : je ne rencontre jamais un président d'EPCI sans que ce dernier demande à faire remonter des projets, qu'il considère d'un intérêt supérieur. Une telle mesure risquerait de remettre en cause la mise en oeuvre de la sobriété foncière et l'objectif final des 50 % territorialisés. Si l'on fait cela, je crains que nous n'y arrivions pas en 2031. Conjugué avec la garantie rurale, cela risque de constituer une véritable échappatoire par rapport à l'objectif général...

En ce qui concerne la garantie rurale, les régions ont bien compris l'enjeu. Il y a deux problèmes : la consommation d'espace et le ZAN. Les maires ruraux ont, à juste titre, défendu l'idée qu'il fallait raisonner par projet plutôt que par décompte. On les comprend très bien lorsqu'ils nous disent qu'avec le ZAN ils n'auront rien à renaturer, que c'est inéquitable. C'est vrai, puisqu'un territoire qui aura des facilités à renaturer pourra récupérer des droits à consommer. C'est un aspect auquel il importe de réfléchir, en Nouvelle-Aquitaine et ailleurs. Il est indispensable de faire en sorte que les secteurs ruraux, qui n'ont pas été très consommateurs de foncier, puissent disposer d'un pourcentage plus favorable.

Dans le cadre de la conférence régionale des Scot, nous nous sommes mis d'accord sur l'échelle de territorialisation : en Nouvelle-Aquitaine, ce sera à l'échelle des Scot. Nous avons pensé aux EPCI sans Scot, que nous avons songé à regrouper à l'échelle des contrats de territoires, mais les régions n'ont pas à décider que des EPCI doivent se regrouper entre eux : s'ils n'ont pas de Scot, ce n'est pas un hasard. Il faut respecter leur choix : pour les EPCI sans Scot, nous nous situerons donc à l'échelle des EPCI. Nous avons également décidé de raisonner plutôt en pourcentage qu'en hectare, afin de laisser plus de souplesse. Nous n'allons donc pas fixer d'enveloppes d'hectares à consommer, nous allons donner des pourcentages par profil.

Mme Valérie Létard, présidente. - Des pourcentages par rapport à quoi ?

Mme Laurence Rouède. - C'est la territorialisation des 50 %. Si l'on était à 50 % sans projets d'envergure nationale ou régionale, cela voudrait dire que certains territoires seraient à 52 % et d'autres à 48 %, en fonction de leurs besoins. La territorialisation permet de ne pas fixer 50 % pour tout le monde. La difficulté - raison pour laquelle nous avons milité pour l'enveloppe nationale -, c'est que, par exemple en Nouvelle-Aquitaine, c'est non pas un taux de 50 % qui servira d'étiage, mais un taux de 54 %, parce que nous allons devoir mutualiser 3 500 hectares en prévision pour de grands projets. Nous avons donc établi cinq profils : littoral et rétro-littoral ; métropolitain ; grandes aires urbaines ; en confortement ; en revitalisation. Chaque profil se verra attribuer un pourcentage à l'échelle du Scot ou de l'EPCI sans Scot. Un profil en revitalisation sera peut-être à 51 % - par rapport à 54 % - et un profil littoral, lui, sera peut-être à 58 %. On travaille ça avec les territoires, en fournissant toutes les études et les calculs. Pour nous, le point important est de ne pas partir de 54 %, mais de 50 %, c'est-à-dire de bien faire remonter cette enveloppe des projets nationaux pour ne pas grever la possibilité de développement des territoires au niveau local.

Ce qui est dommage avec la loi Climat et résilience, c'est que la sobriété foncière est vertueuse, elle permet de travailler différemment l'aménagement du territoire. Certaines pratiques doivent être repensées - je pense aux commerces de périphérie -, mais territorialiser ou aller vers le ZAN, c'est plus compliqué, ça crispe, et la vertu se perd un peu en chemin. Surtout, le grand défaut, c'est que cela pousse tout le monde à aller vers du quantitatif là où en matière d'aménagement du territoire et de sobriété foncière on devrait travailler sur le qualitatif. Dans cette proposition de loi, la question du qualitatif doit être un fil directeur. L'AMF, l'Association des maires ruraux de France (AMRF), les départements, les intercommunalités, etc. sont tous d'accord sur ce point. Tout le monde ne peut pas densifier de la même façon. Oui, il faut changer les formes urbaines, mais cela demande du temps. Le fait de nous contraindre sur du quantitatif dans un délai extrêmement restreint est malheureusement contre-productif alors que tous les élus ont intégré l'objectif.

Quoi qu'il en soit, il importe de bien mesurer ce qui relève des Sraddet et ce qui n'en relève pas. En Nouvelle-Aquitaine, par exemple, la garantie rurale passe par le profil « revitalisation et confortement ».

Mme Valérie Létard, présidente. - Pourriez-vous nous préciser ce profil ? S'agit-il d'appliquer un pourcentage ?

Mme Laurence Rouède. - Oui, c'est un pourcentage.

Mme Valérie Létard, présidente. - De combien ?

Mme Laurence Rouède. - Tout dépendra de ce qui sera décompté au titre des grands projets d'envergure nationale, sachant que nous voulons également conserver une enveloppe pour les grands projets régionaux : tout n'a pas vocation à remonter au niveau national, il faut garder cette capacité de mutualisation. Il y a plein de dispositifs intelligents sur lesquels il est possible de réfléchir au travers des Sraddet.

Votre proposition de loi prévoit que les grands projets territoriaux pour les EPCI et les communes sans Scot ou sans PLUi pourront être décidés par les Sraddet. C'est à mon avis une mauvaise idée. Les régions n'ont pas à s'occuper de cela. Cela posera évidemment problème.

En tout état de cause, il y a plein d'idées à creuser. Pourquoi ne pas prévoir une décote sur la consommation foncière pour le logement social ? Évidemment, tout cela devient plus compliqué à mettre en oeuvre lorsque l'on fixe des barrières quantitatives.

L'article 5 sur la saisine des EPCI après avis de la conférence ZAN sur les projets d'ampleur régionale ne nous paraît vraiment pas souhaitable ni acceptable.

Se pose aussi la question des jardins, des espaces verts, de la densification, du calcul de la consommation ou de l'artificialisation. Nous vous répondrons par écrit sur ce point.

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Je ne suis pas d'accord avec vous pour ce qui concerne les conférences régionales du ZAN. Supposons que je suis maire d'une petite commune rurale et que je ne suis pas arrivé à me faire entendre de l'EPCI, du Scot, encore moins de la région. Alors je ne me sens pas concerné par le ZAN, que je subis comme un « truc » de riches, de métropoles. Pour autant, c'est un objectif que je partage, car il répond à une attente et je suis conscient de l'urgence climatique, etc.

Sur toutes nos travées, nous avons voté pour la territorialisation. Les Scot ont remis le 22 octobre dernier leurs propositions. Il faut être franc, l'État n'a rien fait pour que cela fonctionne. De sorte qu'il y a deux types de régions : les régions qui s'embarrassent, parce qu'elles sont imprégnées par l'objectif de transition écologique, et celles qui s'embarrassent moins ! Notre demande de territorialisation est donc un échec. La colère est intacte sur toutes les travées, d'où la mission conjointe de contrôle relative à la mise en application du ZAN, d'où la proposition de loi et d'où aujourd'hui cette commission spéciale.

Notre question est la suivante : qu'allons-nous dire aux maires ruraux et aux petites communes du littoral ou de montagne qui n'ont pas réussi à se faire entendre ? Nous proposons deux filets de sécurité. Nous voulons instaurer un droit universel pour ne pas opposer l'urbain et le rural. Sur le terrain, cela rassure beaucoup d'élus d'entendre parler d'une enveloppe d'au moins 1 hectare. Le ministre nous parle du droit au 1 % : on n'en sait toujours pas plus sur ce 1 % ni sur ce qu'il implique. Idem pour la définition d'une « part réservée au développement rural », qui vise également à rassurer nos élus par rapport au ZAN.

Quant à notre volonté de renforcer la gouvernance, elle s'explique par notre impression que quelques hauts fonctionnaires définissent, en accord avec eux-mêmes et de manière unilatérale et arbitraire, ce qu'est un projet d'intérêt national. Or non seulement personne ne sait ce qu'est un projet d'intérêt national, mais de surcroît ce n'est pas décompté. Sans parler des décrets qui reviennent sur tout ce que nous avons décidé. Voilà pourquoi il ne nous a pas paru mauvais de demander leur avis aux élus. Je le sais bien, on en a assez des CTAP, de tous ces dispositifs lourds à gérer, mais il nous a semblé utile de créer des conférences régionales du ZAN.

Vous venez d'affirmer que les CTAP fonctionnent : c'est intéressant, c'est la première fois que j'entends cela, mais il se trouve que les élus hyper-ruraux ont toujours le sentiment de ne pas arriver à se faire entendre dans les conférences des Scot ni à faire valoir leur spécificité. Comment faire en sorte qu'ils puissent donner un avis sur un projet d'intérêt national, un projet d'intérêt régional et participer à la gouvernance du ZAN ? Si l'on renature, peut-on récupérer des droits ? Peut-on les transférer ? Si vous n'êtes pas favorable à des conférences régionales du ZAN, quelle autre forme de gouvernance pourrions-nous imaginer ? Vous parlez de la concertation des Scot et des PLUi, mais on m'a expliqué comment fonctionnent les concertations de Sraddet dans ma région : on fait des ateliers, les maires collent des post-it sur un mur pour dire ce qu'ils veulent et au bout de deux heures on fait une synthèse. Mais il n'y a pas de réelle discussion autour des rares propositions.

Mme Valérie Létard, présidente. - Le changement de nature du Sraddet, qui deviendra prescriptif si le Gouvernement va au bout de sa logique, justifie aussi l'attente forte des collectivités. Il existe une vraie revendication des élus.

Mme Laurence Rouède. - C'était déjà prescriptif, mais cela le sera davantage du fait de l'inscription obligatoire dans le fascicule des règles générales, ce que nous n'avons pas demandé. Nous, nous voulons simplement en revenir à la loi NOTRe, c'est-à-dire laisser la liberté aux régions de travailler en finesse les règles générales sur la sobriété foncière. Nous avons d'ailleurs très bien compris le recours de l'AMF.

En ce qui concerne la conférence régionale, notre seul souhait est qu'elle puisse être opérationnelle. Nous ferons bien sûr des propositions sur la composition et sur la nature des prérogatives. Simplement, nous vous alertons : depuis un an, aucun vice-président chargé de l'aménagement du territoire ni aucun président de région n'a rencontré un élu sans qu'on lui ait parlé du ZAN. La concertation va donc plutôt dans le sens de notre intérêt, même si certaines régions sont plus engagées que d'autres dans la sobriété foncière. Nous faisons beaucoup de comparaisons, nous avons un groupe de travail sur le Sraddet, les présidents de région en parlent entre eux, partagent leurs méthodes, j'ai même une liste faisant le point de la situation dans toutes les régions. Pour autant, le problème de la représentation des maires ruraux ne sera pas réglé du seul fait que ces derniers seront représentés dans une conférence régionale des Scot par dix maires ruraux ! De la même manière, une conférence régionale du ZAN ne suffira pas à résoudre cette question...

Il y a beaucoup de choses dans cette proposition de loi qui nous paraissent très intéressantes, notamment le fait de tenir compte des injonctions faites aux communes du littoral ou de montagne, mais ne perdons pas non plus de vue l'objectif global de sobriété foncière. Faut-il considérer les surfaces artificialisées rendues impropres à l'usage en raison de l'érosion côtière comme ayant fait l'objet d'une renaturation ? Faut-il cumuler cette mesure avec leur décompte de la consommation d'espaces naturels ? Je ne sais pas, mais votre proposition présente au moins l'avantage de soulever la question. Il en va de même de vos interrogations sur les zones de montagne, qui tendent à faire avancer les choses. Le ministre nous a dit qu'il ne changerait pas la loi, qu'il réécrirait seulement les décrets d'application. Mais si la loi change via cette proposition de loi, tant mieux ! D'autant que vous proposez effectivement des dispositifs de nature à rassurer les élus.

Encore une fois, une conférence régionale du ZAN ayant de tels pouvoirs, imposant de justifier systématiquement pourquoi tel ou tel projet n'est pas pris en compte, va devenir une foire d'empoigne ! Tout cela sera difficile à objectiver. En outre, s'il faut systématiquement justifier tous les particularismes par délibération, cela risque d'être instable juridiquement.

En ce qui concerne la garantie rurale et le décompte, il faut regarder les choses localement. En Nouvelle-Aquitaine, plus de 4 100 communes sont classées en ruralité selon les critères de l'Insee. À ces 4 100 hectares s'ajoutent les 3 500 hectares des grands projets. Notre consommation foncière annuelle passée s'élevait à 46 000 hectares ; 50 % de cette surface représente 23 000 hectares, dont il faudrait soustraire, en plus des 3 500 hectares, 4 100 hectares : le pourcentage de remutualisation va nécessairement se complexifier. Mais pourquoi pas ? Quoi qu'il en soit, nous devons travailler à l'échelle locale : ce n'est certainement pas au Sraddet de se justifier !

Mme Cécile Cukierman. - Je peux comprendre que l'association Régions de France ne souhaite pas être l'arbitre d'une loi qui n'est pas la sienne. À partir de là, soit elle devient assez révolutionnaire pour entrer dans le camp de ceux qui dénoncent cette loi et qui plaident pour un nouveau texte, mais ce n'est pas dans sa tradition, soit elle respecte la loi et participe aux débats. Les régions devront-elles être l'arbitre d'une forme de territorialisation locale ? Aucun président de région ne le souhaite, de peur de se fâcher avec ses propres territoires. Je fais partie de ceux qui prédisaient que les grandes régions allaient devenir de grandes baronnies. Vous soutenez la loi NOTRe et les Sraddet, mais cette réforme créait déjà des usines à gaz qui, de fait, n'accélèrent pas la décentralisation, mais réintroduisent des concentrations régionales.

Tous les vice-présidents de région chargés de l'aménagement du territoire nous disent que tout se passe bien chez eux, qu'ils ont fait des consultations et que tout va très bien, madame la marquise ! Or les élus de ma formation politique, qui sont, selon les régions, dans la majorité ou dans l'opposition, me rapportent que les choses sont tout de même un peu plus compliquées que cela...

Les maires ruraux, qui demandent à être entendus, n'ont pas voix au chapitre. Ils gèrent pourtant un territoire et des habitants, ils sont dans une intercommunalité, ils défendent des projets. Plus encore aujourd'hui qu'au moment de nos débats sur la loi NOTRe, ils constituent un maillon indispensable de la République. Comment peuvent-ils accepter que leurs projets se heurtent systématiquement à la direction départementale des territoires (DDT), au PLU, au Scot, au Sraddet, même s'il n'est pas prescriptif ?

Vous dites que la conférence régionale du ZAN sera compliquée à mettre en oeuvre, mais soyons francs : les CTAP ne fonctionnent pas pour les élus au quotidien ! Notre proposition vise simplement à faire entrer les maires, en tant que tels, comme des acteurs à part entière de l'aménagement du territoire. Il faut que vous l'entendiez parce qu'on en a besoin. Le qualitatif, la sobriété, ça fonctionne pour les riches, mais c'est toujours compliqué pour les pauvres. L'association Régions de France, en raison de sa compétence en matière d'aménagement du territoire - réclamée au moment de la loi NOTRe -, doit justement être l'un des vecteurs d'un aménagement du territoire qui parte du bas et aille vers l'égalité des territoires, plutôt que de continuer à aseptiser ces derniers dans toutes les régions, quelles que soient les majorités politiques !

M. Cédric Vial. - Revenons sur la question des projets stratégiques nationaux ou internationaux. Imaginons que le Président de la République annonce dans un département - l'Isère - la création d'un pôle technologique nouveau - Minatec - créant 1 000 emplois dans le secteur des nanotechnologies. Même s'il s'agit d'un investissement privé, le fait qu'il soit annoncé par le Président de la République lui-même le classe certainement comme un projet d'envergure nationale. Une telle installation consommera probablement une centaine d'hectares et sera certainement prise en compte dans une enveloppe nationale.

Toutefois, si ces mille employés n'habitent pas déjà sur ce territoire rural, il faudra les faire venir et loger mille familles, sans compter les sous-traitants. Admettons qu'on les installe dans un rayon de 30 ou 40 kilomètres autour du site, cela concernera trois Scot et deux départements. Même si l'on peut prendre sur l'enveloppe nationale les 100 hectares pour l'implantation de l'entreprise, comment traite-t-on cette conséquence du projet ? Comment installer ces mille logements dans des communes rurales, qui peuvent délivrer chacune un permis de construire ? En outre, pour octroyer de nouveaux droits à construire à ces communes, il faudra modifier non seulement les trois Scot mais encore le Sraddet et les autres Scot de la région. Bref, le système ne fonctionne pas et il empêche tout aménagement...

Mme Sonia de La Provôté. - Quand un projet industriel s'implante dans un territoire, il faut héberger les salariés et leurs familles. On doit prendre en compte le projet lui-même mais aussi toute l'infrastructure qui en découle et qui consommera du foncier. Comment s'y prendre ?

La logistique est un sujet majeur, car c'est un secteur très consommateur de foncier, pour les infrastructures routières et les centres logistiques et intermodaux. Cette dimension est désormais intégrée dans les Sraddet et l'enveloppe régionale devra également en tenir compte, d'autant que la bonne gestion logistique est un facteur de développement durable. Comment avez-vous traité cette question ?

Il y a une quasi-unanimité pour considérer que les CTAP ne sont que des chambres d'enregistrement. Vous voulez faire descendre la pédagogie, mais il faut aussi faire remonter les attentes. Cela pourrait donner lieu à une conférence régionale ; ce sera peut-être une foire d'empoigne, mais c'est ainsi que s'exprime la démocratie locale. La pédagogie doit se faire dans les deux sens, par l'échange et le compromis, mais il faut pour cela une instance de dialogue, car, pour le ZAN, c'est l'échelle régionale qui est pertinente.

Quelle sera la place des départements dans ce schéma ? Il y a des projets d'intérêt départemental, qui peuvent être à cheval sur plusieurs départements et qu'il faut prioriser...

S'agissant de la dimension qualitative du ZAN tel qu'il sera mis en place dans les Sraddet, on sera contraint de faire de la planification purement comptable, à cause des contraintes de l'État. C'est la négation de la notion d'aménagement du territoire.

M. Christian Redon-Sarrazy. - Ma question porte sur la garantie rurale, un sujet important. Comment seront déterminés les profils de territoire et par qui ?

M. Éric Kerrouche. - Et ces profils pourront-ils être suffisamment différenciés ?

Mme Angèle Préville. - Les efforts doivent être partagés. Nous vivons des situations nouvelles : dans le Lot, par exemple, il y a des emplois à pourvoir, mais il n'y a plus de logements à louer ni à vendre. Comment une commune rurale, qui dispose, pour les dix ans à venir, d'un demi-hectare pour cinq maisons, peut-elle s'en sortir ? Ce carcan handicape les territoires ruraux.

Ma seconde question porte sur la renaturation. Sur certaines friches anciennes, la nature a repris ses droits. Seront-elles comptabilisées dans les friches disponibles ?

Mme Valérie Létard, présidente. - Nous poserons la question au ministre...

M. Ronan Dantec. - Ma question porte sur la part régionale. Toutes les intercommunalités vont vouloir démontrer que leur projet est d'ampleur régionale. Vous allez donc passer votre temps à arbitrer entre des demandes paraissant toutes légitimes. Ne préféreriez-vous pas que l'on vous donne une part de l'artificialisation, un nombre d'hectares, pour que vous puissiez choisir ce qui vous semble relever du niveau régional ?

L'association Régions de France est-elle clairement opposée à la mutualisation des projets d'intérêt national sur l'ensemble des régions ? En avez-vous débattu ?

Mme Laurence Rouède. - Je ne pourrai pas répondre à certaines questions, car je me les pose également. Vous allez entendre M. le ministre, n'hésitez pas à les lui poser.

Je le répète, nous n'avions pas souhaité le ZAN. En Nouvelle-Aquitaine, nous venions de finir notre Sraddet... Plusieurs régions ont tenté d'intégrer le ZAN dans leur schéma régional, mais cela n'a pas pu se faire, car, quand on entre dans le concret, on se rend compte qu'une telle prise en compte est très complexe. C'est pourquoi je vous invite à être vigilants lors de l'examen de la proposition de loi, car, dans ce domaine, le diable se niche dans les détails. Il y a des sujets complexes, qui peuvent conduire à des blocages. Je vous alerte par exemple sur la garantie rurale. Sur le principe, nous y sommes favorables, mais attention aux modalités précises...

Selon nous, il doit y avoir une enveloppe nationale sur les infrastructures. C'est indispensable, il serait injuste de faire autrement. L'État ne différencie même pas selon les régions, ce qui est en soi un problème : tout le monde est à 50 %, alors que les régions n'ont pas toutes le même parcours, les mêmes infrastructures, les mêmes projets.

Nous sommes bloqués sur un grand nombre de sujets. Nous avons demandé s'il était possible de prévoir une enveloppe blanche pour les projets de développement économique. Les cabinets ministériels nous ont répondu par la négative. Si vous trouvez des critères pertinents pour y remédier, cela nous aidera, car cela évitera la situation dans laquelle chaque intercommunalité doit systématiquement déposer une demande, devant être examinée en conférence régionale du ZAN puis délibérée en assemblée plénière.

Mme Valérie Létard, présidente. - Qu'est-ce qu'une enveloppe blanche ?

Mme Laurence Rouède. - On connaît à peu près l'ampleur et la trajectoire d'un grand projet d'implantation d'une industrie à l'échelle d'une région, donc il s'agit de pouvoir prévoir une surface approximative, incluse dans l'enveloppe régionale mais « à blanc ». Actuellement, la loi impose de déclarer la superficie exacte qui sera consommée. Il s'agirait d'intégrer, dans notre enveloppe régionale, 500, 700 ou 800 hectares pour des projets de développement économique à mutualiser. On décompte ensuite du pourcentage.

M. Ronan Dantec. - Vous dites « à blanc », mais c'est tout de même comptabilisé dans l'enveloppe régionale. Elle n'est pas « à blanc », elle est non fléchée.

Mme Laurence Rouède. - Oui, c'est intégré dans notre enveloppe, car, si toutes les régions le font, on dépassera les seuils à l'échelle nationale.

La question de la logistique est à régler. Les représentants des intercommunalités vous diront qu'il ne faut pas traiter de la même manière les grandes plateformes comme Amazon et les plateformes logistiques nécessaires à l'industrie. On pourrait imaginer une décote pour ces dernières, par exemple.

Mme Valérie Létard, présidente. - Il y a donc deux niveaux de projet économique : un qui doit être dans le « compte national » et un qui pourrait être mutualisé à l'échelle régionale.

Mme Laurence Rouède. - Pourquoi pas ? Mais sans entrer dans la justification permanente de chaque projet par les intercommunalités.

M. Ronan Dantec. - Cela implique d'accroître le nombre d'hectares disponibles pour l'artificialisation.

Mme Laurence Rouède. - Oui...

Mais cela correspond à peu près à la garantie rurale à 1 hectare.

Il y a un dispositif très intéressant, qui consisterait à compter la renaturation dès maintenant. Tout ce qui débloquera la situation actuelle, contre-productive, sera bien perçu.

Mme Valérie Létard, présidente. - Je vous remercie de cet échange nourri et intéressant. Nous vous souhaitons bon courage pour mettre en oeuvre le ZAN.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et de Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur et du ministre de la transition écologique, chargé des collectivités territoriales et de la ruralité

Mme Valérie Létard, présidente. - Nous recevons à nouveau, un peu plus de deux mois après leur audition par notre mission conjointe de contrôle, M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, et Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.

Monsieur le ministre, lors de votre prise de fonction en juillet dernier, vous avez hérité du précédent gouvernement le dossier brûlant du « zéro artificialisation nette » des sols (ZAN). C'est votre prédécesseure, Mme Wargon, qui avait piloté la naissance du ZAN et défendu ce volet de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (Climat et résilience), avec parfois un certain dogmatisme. Cela nous vaut aujourd'hui l'examen de cette proposition de loi.

Vous rappelez souvent, comme vous l'avez fait la semaine dernière au Sénat lors des questions d'actualité au Gouvernement, que vous n'êtes pas à l'origine du ZAN, contrairement à nous, parlementaires, qui avons adopté cette loi. À ce renvoi de balle, qui me semble un peu facile, je souhaite vous répondre en trois points.

D'abord, je rappelle que le ZAN, politique ô combien structurante, a été introduit à dessein dans un texte-fleuve, un patchwork dénué d'étude d'impact sérieuse, la loi Climat et résilience, qui comptait bien d'autres sujets, comme la rénovation énergétique, les zones à faibles émissions, etc. Nous l'avons adopté en responsabilité, parce que nous soutenons l'ambition écologique de la France, mais ce vote ne vaut pas chèque en blanc pour l'ensemble de ses dispositions, notamment pour le ZAN. En outre, vous le savez, des initiatives du Sénat, comme la sortie du compte foncier des projets d'intérêt national, ont été abandonnées en commission mixte paritaire.

Ensuite, vous n'ignorez pas la position du Sénat au sujet des décrets d'application, qui ont en partie dévoyé l'esprit du texte. La loi ne faisait pas du schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet) un super-schéma de cohérence territoriale (Scot) ; ce sont les décrets d'avril 2022 qui ont durci le ZAN. Dans la loi, nous avions demandé au Gouvernement de fixer rapidement par décret la maille d'observation de l'artificialisation, afin de permettre aux collectivités de se mettre au travail ; ces seuils ne sont toujours pas fixés et la nomenclature est insatisfaisante. On peut donc dire sans exagération que la loi que nous avons adoptée n'est pas celle que le Gouvernement entend faire appliquer. Nous sommes donc en droit d'être critiques sur l'application actuelle du ZAN, même si nous avons adopté ce texte : cela relève de l'exercice de notre rôle de contrôle de l'action du Gouvernement.

Enfin, vous n'étiez, certes, pas ministre lors de la naissance du ZAN, mais vous ne pouvez pour autant vous en laver les mains : nous avons un intérêt commun, Parlement et Gouvernement, en responsabilité, à faciliter son déploiement au sein des territoires. Le ZAN est aujourd'hui l'inquiétude numéro un des maires et de nombreux obstacles encombrent le chemin ; l'État ne peut s'en désintéresser, il faut fournir soutien, accompagnement, ingénierie, financement et, comme nous le proposons, ajustements législatifs, lorsque c'est pertinent. Vous nous avez indiqué, voilà quelques mois, que vous étiez prêts à retenir la proposition législative du Sénat comme véhicule d'adaptation du ZAN. Maintenant que ce texte est déposé, nous espérons que votre état d'esprit n'a pas changé et que vous soutiendrez notre initiative. Les collectivités attendent depuis de longs mois un geste de votre part : le temps est venu de leur envoyer un signal positif et de leur adresser des réponses concrètes.

Madame la ministre déléguée, vous êtes, au sein du Gouvernement, l'interlocutrice privilégiée des collectivités territoriales. Vous êtes spécifiquement chargée de la ruralité et de ses spécificités, que le Sénat connaît bien, vous n'ignorez donc pas les lourds enjeux de cohésion, de réduction des inégalités territoriales et de développement rural. Nous nous étonnons que l'approche très centralisée et descendante du ZAN, bien que tempérée par des amendements issus du Sénat, n'ait pas été accompagnée de mesures spécifiques à la ruralité. Vous avez évoqué, il y a quelques mois une garantie rurale, dont les contours étaient encore flous. Il nous semble que c'est maintenant qu'il faut avancer sur ces sujets, avant que le coup ne soit parti et que l'on ne s'en morde les doigts, dans cinq ou dix ans.

Monsieur le ministre, madame la ministre, lors de votre dernière audition devant la Haute Assemblée, nous vous avions demandé quelles actions vous entendiez prendre pour faciliter la mise en oeuvre du ZAN, mais aucune évolution législative ou réglementaire n'est intervenue à ce stade. Deux mois plus tard, le Sénat a pris les devants et a présenté un texte de loi pluripartisan contenant des mesures concrètes.

C'est sur celles-ci que nous souhaitons vous entendre aujourd'hui, afin de recueillir votre analyse mesure par mesure. L'enjeu de cette audition est simple : comment pouvons-nous avancer ensemble pour faire aboutir un texte facilitateur et constructif sur le ZAN, répondant aux attentes concrètes des collectivités territoriales ? Quelles mesures pouvez-vous soutenir et quelles mesures vous paraissent devoir être ajustées ?

Nous savons que les députés se sont aussi saisis du sujet, en lien avec votre gouvernement, au sein d'un groupe de travail chargé de formuler des propositions d'évolution du ZAN. Pourtant, le temps presse et le calendrier est serré ; j'espère que les travaux de l'Assemblée nationale ne vous empêcheront pas de considérer avec sérieux le texte issu du Sénat, qui s'appuie sur de nombreux mois de travaux approfondis ainsi que sur l'expérience des élus locaux de toutes régions, et de l'inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale afin que la navette se poursuive.

Je donne la parole à notre rapporteur Jean-Baptiste Blanc, qui va vous interroger plus précisément sur les mesures portées par la proposition de loi, puis nous vous céderons la parole pour un propos liminaire. Enfin, nos collègues vous adresseront leurs questions.

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Je souhaite pour ma part évoquer plus précisément certaines des mesures de la proposition de loi sénatoriale.

Monsieur le ministre, le décret d'application d'avril dernier est allé à l'encontre de l'esprit de la loi Climat et résilience telle qu'elle a été adoptée par le Parlement, en prévoyant le recours obligatoire aux règles du fascicule du Sraddet, c'est-à-dire à un fort degré de contrainte vis-à-vis des collectivités.

L'article 2 de la proposition de loi sénatoriale prévoit donc un retour à l'esprit de la loi, avec un rapport de prise en compte entre documents locaux et Sraddet. Nous entendons en parallèle renforcer le pilotage du ZAN, via une conférence régionale de gouvernance qui effectuera un suivi régulier des trajectoires. Dans ces conditions, le Gouvernement entendra-t-il l'appel à la souplesse qui émane des collectivités ou persistez-vous à vouloir faire des documents régionaux des « super-Scot », ce qui irait à l'encontre de la répartition des compétences décentralisées en matière d'urbanisme ?

Nos auditions et nos analyses, notamment dans le cadre de la mission conjointe de contrôle, ont confirmé qu'il était intenable de faire porter sur l'enveloppe d'artificialisation d'une région et des collectivités de son ressort la superficie des grands projets situés sur son territoire. C'est pourquoi notre proposition de loi formule deux propositions concernant ces chantiers à l'article 4 : d'abord, les compter à part, au sein d'une enveloppe nationale ; ensuite, ne pas les inclure dans les objectifs de réduction de l'artificialisation du ZAN.

De nos précédents échanges, il ressort que vous êtes défavorable à cette solution, à laquelle vous préférez une mutualisation nationale. Ma question est double. Premièrement, votre solution de mutualisation est-elle vraiment équitable, notamment pour les régions qui ne portent pas de grands projets et qui ne bénéficieront pas de leurs retombées économiques, mais qui devront mutualiser leur foncier ? Deuxièmement, est-elle réaliste ? Si l'enveloppe pour la deuxième période était non plus de 120 000, mais de 60 000 hectares, les grands projets consommeraient un tiers des droits à construire ! En 2050, il nous faudra atteindre zéro artificialisation nette : cela ne sonnera-t-il pas la fin de ce type de projets ? Car, même mutualisés, ceux-ci ne pourront jamais être compensés par une renaturation équivalente, sauf à ce que rien d'autre ne soit construit en France pendant dix ans. Concrètement, comment pourrons-nous encore réaliser de grands projets en 2050 ?

Madame la ministre, vous avez été alertée à de nombreuses reprises par les élus des territoires ruraux sur le sort qui leur sera réservé sous le régime du ZAN. Nous attendons toujours d'en savoir plus sur la garantie rurale annoncée par le Gouvernement il y a plusieurs mois. Le Sénat a donc formulé une proposition simple à l'article 7 : que toutes les communes puissent disposer d'une enveloppe minimale, c'est-à-dire que la territorialisation ne puisse pas priver complètement une commune de possibilités de construction. Nous avons souhaité la fixer à 1 hectare. Nous savons que le Gouvernement est opposé à cette proposition, mais serait ouvert à un plancher correspondant à 1 % de la surface artificialisée de la commune. Pourriez-vous nous indiquer le nombre de communes qui seraient effectivement protégées si l'on retenait ce critère de 1 % ? Pour éviter que celui-ci soit plus favorable aux communes ayant beaucoup artificialisé par le passé, la réserveriez-vous à certaines communes et, si tel devait être le cas, lesquelles ? Comment éviter les effets de seuil ? Je suis plutôt déçu de mes échanges avec la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP), laquelle s'est montrée incapable de répondre à mes questions et de nous transmettre des données fiables sur ce sujet pourtant simple. Dans ces conditions, il nous est difficile de réellement expertiser vos propositions.

Que pensez-vous de la proposition formulée par le Sénat à l'article 8, qui vise à mettre en réserve une partie de l'enveloppe régionale ou du Scot au profit de projets d'intérêt supracommunal, afin de permettre aux petites communes ou à la ruralité de porter des projets communs ? Quelle autre solution voyez-vous pour que les projets intercommunaux puissent se réaliser, surtout dans les communes non couvertes par un plan local d'urbanisme intercommunal (PLUi), le tout sans mettre en péril les solidarités territoriales ?

Enfin, à l'article 12, nous proposons deux outils très concrets pour que les maires puissent gérer plus facilement la transition vers le ZAN et piloter la consommation de foncier : un sursis à statuer et un droit de préemption. Il me semble que vous y êtes plutôt favorable. Quels dispositifs d'ingénierie et quels nouveaux outils le Gouvernement entend-il mettre en place pour combler les manques ?

Nous avons compris que M. Bastien Marchive, député apparenté au groupe Renaissance de l'Assemblée nationale, va présenter demain une proposition de loi sur ce sujet. J'espère que les travaux de l'Assemblée ne vous empêcheront pas de considérer avec sérieux le texte issu du Sénat, qui s'appuie sur de nombreux mois de travaux approfondis et l'expérience des élus locaux de toutes régions, et de l'inscrire à l'Assemblée nationale afin que la navette se poursuive.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. - Puisque vous êtes francs, madame la présidente, monsieur le rapporteur, je répondrai de la même manière. Cela nous permettra d'aller au fond des choses.

Depuis le milieu du mois de juillet, j'ai eu l'occasion de rencontrer les uns et les autres à de multiples reprises et d'exprimer la position du Gouvernement sur cette question.

Cela a commencé mi-juillet 2022 avec une question au Gouvernement, cela s'est prolongé avec la suspension des décrets d'application le 6 août et cela s'est poursuivi par une visioconférence avec de nombreux partenaires, dont certains sénateurs. Fin août, j'ai indiqué que nous étions prêts à bouger sur cette question et j'ai précisé qu'une évolution législative était nécessaire. Depuis le mois de septembre, je soutiens la position selon laquelle il est légitime que cette évolution procède d'une initiative sénatoriale, afin de prendre en compte vos échos du terrain et de traduire avec justesse la vision du Sénat. Au mois de décembre, j'ai annoncé que, le groupe majoritaire à l'Assemblée nationale ne souhaitant pas que le débat n'ait lieu qu'au Sénat, il déposerait une proposition de loi pour exprimer ses propres lignes, dans le cadre d'un dialogue entre les chambres, en vue de procéder à une « commission mixte paritaire virtuelle », sans remettre en cause le véhicule législatif issu du Sénat.

Par conséquent, ne voyez pas ce qui se passe demain comme étant autre chose que la suite du dialogue annoncé par le Gouvernement. Le bicamérisme suppose de respecter également l'initiative de la chambre basse, que l'on ne saurait empêcher de déposer une proposition de loi.

Ensuite, faire de la politique est s'efforcer de tenir compte du présent tout en préservant l'avenir, en ayant le souci de ceux qui s'expriment le moins facilement, et de l'intérêt général. Il y a peu de questions plus délicates, de ce point de vue, que l'étalement urbain. Personne ne considère, j'en suis persuadé, que l'étalement urbain n'est pas un problème. On a atteint, dans les années 1970, un niveau d'artificialisation de 60 000 hectares par an ; puis on a tâché, au travers de divers textes, de le faire baisser. Toutes les majorités qui se sont succédé se sont emparées du sujet depuis 2000, et nous avons atteint, au cours des dernières années, une consommation annuelle de 20 000 hectares.

Avec 305 articles, la loi Climat et résilience est en effet particulièrement dense et elle se prête bien à des révisions régulières. Elle a abouti, pour le ZAN, à des dispositifs qui ont donné lieu soit à des décrets d'application, suscitant des réactions, soit à des propositions d'ordre législatif, comme votre texte, destiné à revenir sur les dispositions ne relevant pas du Gouvernement.

Dominique Faure et moi-même vous le confirmons solennellement : nous considérons cette proposition de loi non pas comme un objet sénatorial, mais comme le véhicule permettant une évolution de la loi Climat et résilience sur le ZAN ; je tiens à le répéter. Il s'agit donc non pas de permettre au Sénat d'adopter une proposition de loi en mars ou en avril pour montrer aux grands électeurs qu'il se soucie d'eux quelques mois avant les élections sénatoriales, mais bien d'aboutir à un texte définitif ! Il importe donc que les divergences concernant les évolutions législatives se résolvent dans le cadre de la navette parlementaire : il y a des points pour lesquels un compromis pourra être trouvé et d'autres qui suscitent des réserves au sein du Gouvernement ou parmi les députés.

Je vais maintenant répondre aux questions posées par le rapporteur sur les différents articles. Sur ce sujet, Dominique Faure et moi sommes parfaitement alignés.

Votre texte comprend bon nombre d'avancées. Il corrige certaines erreurs - en permettant par exemple que la logique « nette » prenant en compte la renaturation puisse s'appliquer dès 2021 -, il a le mérite de proposer des outils nouveaux pour que les collectivités territoriales puissent mettre en oeuvre le dispositif de manière effective, et il précise ce que le Gouvernement doit faire pour le rendre applicable - je pense à la délivrance de données. Le Sénat a soulevé par ailleurs, dans un rapport d'information mené par Jean-Baptiste Blanc sur le sujet de la fiscalité, des angles morts qui ne sont pas traités par ce texte.

Sur la moitié des articles du texte, nous n'avons pas de difficultés. Quelques articles posent des questions de rédaction et quelques autres nous posent des difficultés plus importantes.

Vous commencez par l'ajustement des délais. Sans doute la sagesse exige-t-elle de bouger sur cette question. Il y a plusieurs manières de procéder. Pour certains, la durée initiale doit être fixée non plus à dix, mais à douze ans ; d'autres considèrent qu'il faut garder la période de dix ans, mais différer la date de démarrage. Sur ce sujet, je pense qu'il ne sera pas difficile de trouver un accord.

L'article 2 nous pose clairement une difficulté. S'il n'y a pas de trajectoire prescriptive, il n'y a aucune garantie que nous atteignions les objectifs. Je le rappelle, la France est le pays d'Europe qui a le rythme d'artificialisation rapportée à sa population le plus élevé. Or un hectare d'espace naturel ou agricole représente entre 190 et 290 tonnes de CO2 stocké ; à l'inverse, un hectare artificialisé non seulement ne stocke pas de CO2, mais participe à l'accentuation du dérèglement climatique. En outre, dans le monde qui arrive, préserver des surfaces agricoles, c'est aussi préserver notre souveraineté alimentaire.

Vous soulevez par ailleurs un angle mort qui n'est pas traité dans votre proposition de loi. Je vais l'évoquer à propos de l'article 4, sur les grands projets d'envergure nationale. Si nous conservons le dispositif tel qu'il est proposé, la charge de ces grands projets sera répartie différemment selon les territoires. Ce n'est pas juste, parce que certains projets profitent à d'autres régions que celle dans laquelle ils s'implantent. Le canal Seine-Nord Europe, par exemple, profitera à d'autres territoires, grâce à la décarbonation des moyens de transport ou à la réorganisation de la chaîne logistique.

Le problème se pose aussi avec les lignes à grande vitesse (LGV). Les territoires qui en ont construit par le passé en bénéficient doublement, car cette artificialisation passée détermine leurs nouveaux droits à artificialisation. Au contraire, les territoires qui ont attendu plus longtemps non seulement n'ont pas bénéficié du désenclavement que permet une LGV, mais en outre ont un droit à artificialisation inférieur ; c'est la double peine ! Cela ne me semble donc pas juste. La somme des grands projets théoriques, compte tenu du temps de réalisation de ces chantiers, me semble très optimiste. Il faudra aussi garantir que la mutualisation ou le « compté à part » ne tienne pas pour acquis que tous ces projets seront réalisés en temps et en heure.

Je veux maintenant aborder trois éléments sur les grands projets d'envergure nationale.

D'abord, nous plaidons pour que la liste ne soit pas exhaustive ; il faut éviter de bâtir une usine à gaz dans laquelle n'importe quel projet d'échelle nationale deviendrait un grand projet d'envergure nationale. Un caractère limitatif est souhaitable ; certains d'entre eux sont évidents, d'autres sont discutables.

Ensuite, nous ne souhaitons pas que les projets qui ne sont pas d'initiative nationale soient considérés comme de grands projets d'envergure nationale. Je pense à des projets industriels qui, s'ils relevaient de cette catégorie, nécessiteraient une autorisation administrative pour bénéficier du « compté à part », ce qui fausserait la décentralisation économique. Si l'on peut conférer un tel label, cela exigera un acte gouvernemental, donc un arbitrage entre les actions des régions pour attirer de grands projets économiques. En outre, à partir de quel seuil un projet économique sera-t-il considéré comme d'envergure nationale ? On risque d'avoir des débats sans fin, du contentieux, et donc des délais.

Enfin, si ces projets sortent de la trajectoire d'artificialisation, la tentation relevée dans les deux premiers points sera encore plus forte : si un projet local consomme du foncier et qu'un projet national n'en consomme pas, tous les projets seront présentés comme d'envergure nationale.

Le débat se focalise sur le point d'arrivée, sans considération pour le chemin. Tout le monde est obnubilé par l'horizon du « zéro » ; personne ne s'intéresse à ce que signifie une division par deux du rythme d'artificialisation dans les années qui viennent, compte tenu du stock et des tendances. Surtout, personne ne discute de ce qui se passera entre 2031 et 2050. Or ce débat est, du point de vue du nombre d'hectares, beaucoup plus important que la question des grands projets d'envergure nationale entre 2021 et 2031. La question « Où allons-nous après 2031 ? » est centrale et personne ne s'en est saisi.

Si nous devons suivre, au cours des années à venir, une trajectoire d'artificialisation annuelle de 12 500 hectares, hors renaturation, il ne faut pas oublier que nous avons un stock de friches de 200 000 hectares, qui équivaut à peu près à la surface artificialisée au cours des dix dernières années, et qui nous offre donc une décennie « gratuite » d'artificialisation. Nous aurons en outre un « droit » annuel moyen supérieur à la moitié du rythme des dernières années, puisqu'il est fondé sur la moyenne des dix dernières années, qui ont suivi une tendance baissière.

J'en viens à la garantie rurale. Nous avons entendu les propos du Sénat et la Première ministre a eu une expression forte ; j'ai indiqué que nous étions disposés à la mettre en place et Dominique Faure s'y est engagée devant des associations d'élus. Le point d'arrivée de notre proposition est comparable à la vôtre sur le nombre d'hectares, mais diffère sur le mode de calcul. Les éléments que je vous ai donnés oralement ne semblent donc pas vous avoir été fournis par mes services, cela m'agace passablement. Je m'engage à ce qu'ils vous soient envoyés dès la fin de l'audition. Le mode de calcul fondé sur un pourcentage ne dépend que d'une chose : cette garantie de 1 % doit-elle s'appliquer à toutes les communes de France ou seulement aux communes rurales ? Dans ce cas, quel est le critère à retenir : le nombre d'habitants ou la densité ? Selon les différentes hypothèses retenues, on peut calculer le nombre de communes et d'hectares concernés. Je pensais avoir donné la consigne de vous adresser ces éléments ; je déplore que cela n'ait pas été le cas. Voici les principaux chiffres ; le reste vous sera envoyé. Globalement, 1 % des surfaces urbanisées en France, cela correspond à 36 171 hectares, soit à peu près 1 hectare par commune. La différence résidera dans la répartition. En outre, 798 communes n'ont pas artificialisé un mètre carré depuis quinze ans, et sont donc de facto déjà en zéro artificialisation nette - certaines parce qu'elles sont situées en zone inondable, d'autres en raison d'appellations d'origine contrôlée... Si l'on retient la notion de commune peu dense au sens de l'Insee, qui correspond à une notion de ruralité sur laquelle nous pouvons nous accorder, l'application du critère de 1 % donne 18 000 hectares. Avec les communes très peu denses, on obtient 4 000 hectares. En additionnant les deux notions, on atteint 22 000 hectares. Cette garantie rurale doit-elle être subordonnée à l'existence de documents d'urbanisme - plan local d'urbanisme ou carte communale - ou s'applique-t-elle sans limites ? Avec une application sans limites, vous obtenez les chiffres que j'ai indiqués. Si l'on applique des limites, vous avez d'autres chiffres, que vous aurez prochainement.

Je termine avec la création de la part réservée au sein des Scot et des PLUi. Cela existe déjà. Je ne vois pas l'intérêt de préciser que c'est une faculté ; cela peut ajouter une couche de complexité, même si cela peut donner des idées à des élus. Nous n'avons pas d'opposition de principe, mais la possibilité d'une réserve pour les projets d'importance intercommunale existe déjà.

Enfin, je répète l'intérêt que nous portons au droit de préemption, au sursis à statuer et aux obligations de délivrance de données, avec simplement une interrogation sur le délai et sur la maille pertinente.

Mme Cécile Cukierman. - Pour paraphraser une chanson actuelle, faisons « simple, basique ». Sans doute n'êtes-vous pas comptable des choix du gouvernement précédent, mais la majorité n'a pas changé, vous en êtes donc l'héritier.

Sur le calendrier de notre proposition de loi, vous citiez les échéances électorales : vous n'ignorez pas que ce calendrier nous est surtout imposé par la loi Climat et résilience elle-même.

Je souhaite vous présenter deux situations auxquelles j'ai été confrontée.

Je me trouvais récemment dans une commune de 1 000 habitants. Il a fallu plus de douze ans pour obtenir la requalification du tènement foncier dans le centre-bourg, pour une opération qui, sur un terrain nu, aurait pris un an et demi. Il y a eu des difficultés financières. Surtout, il y a eu des problèmes d'ingénierie. De tels projets, aussi vertueux soient-ils, posent des problèmes considérables à toutes les communes qui n'ont pas la disponibilité foncière ni les compétences.

Deuxième exemple, celui d'une commune de 5 000 habitants sortie d'une communauté de communes pour entrer, sur le fondement de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), dans une communauté d'agglomération et qui est soumise, de ce fait, aux contraintes de la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU). Or elle n'a pas le pourcentage requis de logements sociaux. Comment faire pour que les communes dans ce cas construisent du logement social pour satisfaire les besoins ? Comment concilier le ZAN et la loi SRU ?

Enfin, les projets nationaux ne doivent pas être renvoyés aux régions. Je crois à un État stratège et aménageur, il ne s'agit pas seulement d'un enjeu décentralisé qu'il faut laisser à la seule charge des régions.

M. Ronan Dantec. - Je soutiens le ministre sur un point essentiel : le seuil de 50 % pendant les dix prochaines années. Le respect de ce plafond exige de ne pas créer des enveloppes qui ne seraient plus comptabilisées nulle part, sans quoi il passera à 55 %, puis à 70 %, etc. Malgré la mutualisation, les projets nationaux doivent donc être répartis tôt ou tard, c'est crucial ; à défaut, il s'agirait d'un contournement de la loi.

Cela dit, cette loi est assez mal « fagotée », notamment parce que la méthode pour les dix prochaines années et celle qui s'applique aux vingt suivantes ne sont pas identiques et que l'on ignore les objectifs quantitatifs qui seront fixés pour la période 2031-2050. Jusqu'où peut-on aller ? La base des dix prochaines années est probablement la bonne, car elle évite beaucoup de faux débats, notamment sur la prise en compte des espaces naturels, agricoles et forestiers (Enaf). Le concept du ZAN suppose que l'on ne touche pas aux Enaf, mais uniquement à ce qui se trouve dans une enveloppe urbaine. Cette règle doit s'appliquer sur les trente prochaines années. Qu'en pensez-vous ?

Ensuite, il y a un problème avec le quota de 50 %, qui ne fonctionne pas bien, car il donne une prime aux territoires qui ont artificialisé abondamment dans le passé. Ne pourrait-on pas revoir ces pourcentages ? D'accord pour un pourcentage à l'échelle de la commune, mais alors, celui-ci doit intégrer l'effort de non-artificialisation et il faut également un pourcentage régional, voire national. Sur ce point, nous ne sommes pas bien partis, ce qui explique les tentatives de contournement d'une règle trop rigide et ne tenant pas assez compte de la diversité des territoires auxquelles nous assistons. Il est encore temps, en gardant le plafond de 50 %, de remettre à plat la déclinaison des pourcentages.

Mme Angèle Préville. - Le Lot est très peu dense, avec 174 000 habitants et beaucoup de communes comptant beaucoup moins de 1 000 habitants. Comment développer un tel territoire, où nombre d'emplois ne sont pas pourvus, où les droits à construire seront peu importants et dont les terres agricoles sont pauvres ? Les élus ne comprennent pas que l'on ne puisse pas accorder des permis de construire quand il y a des demandes. Il n'y a plus rien à louer ni à vendre. La crise de la Covid-19 a tout changé, les maisons se sont vendues vite.

Les 200 000 hectares de friche que vous avez cités sont-ils pollués ? Déjà construits ? En outre, quand un terrain a été abandonné depuis plus de deux ans, il a été reconquis par la nature et la biodiversité. Faut-il le renaturer ? Cela ne va-t-il pas à l'encontre de nos objectifs ?

M. Stéphane Sautarel. - Le Cantal est rural également, donc peu dense.

Je vous remercie de votre attachement à la garantie rurale, car l'attente est forte. Les territoires ruraux souffrent aussi de la double peine que vous avez mentionnée, car ils partent d'une base de référence très faible. L'artificialisation découle essentiellement de la métropolisation, il ne faudrait pas que les territoires ruraux en pâtissent aujourd'hui. Cette garantie doit donc être apportée, quel qu'en soit le contenu, et elle doit être simple, sans être simpliste.

En outre, il faut donner de la liberté aux territoires, qui font face à des enjeux contradictoires : là où il y a de la biodiversité, il faut la protéger ; et, là où il y a un besoin de population, donc de logements, il faut lever les obstacles. Il faut plus de cohérence.

M. Christophe Béchu, ministre. - Soyons clairs : je ne me suis pas défaussé de mes responsabilités dans mes diverses réponses. J'ai simplement fini par indiquer, à une occasion, que je n'étais pas présent lors du vote de la loi Climat et Résilience. Néanmoins, j'assume pleinement le ZAN, y compris l'objectif de diminution de l'étalement urbain.

Sur le dépôt de cette proposition de loi, le calendrier vous l'imposait évidemment, mais la question est : voulez-vous que ce texte aboutisse avant l'été ? Si oui, il faut commencer dès maintenant le dialogue avec l'Assemblée nationale. C'est cela que je voulais dire.

La loi SRU est un mauvais exemple, parce que la loi Climat et résilience n'empêche pas toute artificialisation supplémentaire, mais limite l'artificialisation annuelle à 12 000 hectares. En outre, on ne construit pas les logements sociaux sur les espaces naturels et agricoles, on cherche plutôt à reconstruire la ville sur elle-même. Voudrait-on imputer au ZAN l'impossibilité de respecter la loi SRU ? Des communes sans foncier respectent la loi SRU et des communes avec du foncier ne la respectent pas ; ne simplifions pas trop le sujet.

Monsieur Dantec, je suis d'accord avec vous concernant l'objectif de 50 %. Le vrai sujet stratégique est : que se passe-t-il après ? Néanmoins, la première période est importante et 12 000 hectares, avec nos réserves de friche, ne constituent pas un objectif anxiogène.

Concernant les 200 000 hectares de friches, il y a de tout : d'anciennes bases aériennes, des dalles de béton ayant accueilli une serre, des terrains industriels gigantesques, etc. Il y a une grande disparité de tailles et de localisations ; il est difficile de catégoriser.

Monsieur Sautarel, le dispositif de garantie rurale doit être simple et le chiffre, immédiat ; je suis d'accord. La règle « 1 hectare » ou « 1 % » permet d'être lisible. Cela dit, il est inexact de dire que l'étalement urbain procède de la métropolisation. En réalité, tous les territoires ont été concernés. On observe un phénomène d'étalement urbain sans logement autour des métropoles et un phénomène de consommation de foncier avec peu d'habitants dans certaines zones. Des écarts persistent au sein même des départements, avec des territoires qui ont été sobres et d'autres moins. Quelque 60 % de l'étalement urbain des dernières années s'est fait en zone C, c'est-à-dire en zone détendue ; 5 % de l'étalement s'est fait en zone A et le reste s'est partagé sur les zones B1 et B2. L'artificialisation n'est pas réservée aux zones urbaines et n'est pas corrélée au nombre d'habitants.

D'où l'idée de ne pas avoir une règle aveugle, mais de territorialiser. La Convention citoyenne pour le climat avait fixé le seuil de 50 % ; le Parlement a répliqué que cela n'était pas raisonnable. C'est l'une des limites du tirage au sort. Nous allons donc territorialiser les enveloppes et faire confiance aux régions pour déterminer les trajectoires, mais il n'est écrit nulle part qu'une région ne donnera aucun droit à construire à des territoires ruraux. On pourrait tout à fait donner plus aux territoires moins denses.

Aujourd'hui, certaines métropoles affirment qu'elles atteindront l'objectif de ZAN dès 2040, ce qui donnerait des réserves d'artificialisation à d'autres territoires. C'est même le cas de la région Bretagne, qui s'y est engagée pour l'ensemble de son territoire. Pour autant, ces territoires pourront-ils assumer ces objectifs ? C'est complexe.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur et du ministre de la transition écologique, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. - Je veux insister sur notre détermination à redonner à nos maires la confiance qu'ils ont perdue, ainsi que je l'ai moi-même perçu depuis six mois. Nous devons donc définir une feuille de route, une méthode, afin que l'on puisse rapidement lever les blocages soulevés par cette proposition de loi. Vous pourrez ainsi les rassurer, leur dire que nous sommes d'accord sur beaucoup de points et que nous travaillons sur les quelques sujets qui ne recueillent pas encore un consensus.

Par ailleurs, je travaille avec l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) à un programme visant à accompagner les élus locaux ruraux en matière d'ingénierie, afin de leur donner les moyens de porter un projet de territoire. Comment travailler, dans un petit village, sur une surface de 1 hectare ou de 1 % si les maires ne sont pas accompagnés ? Ainsi, d'ici à la fin du mois de mars, je vous présenterai l'état de nos travaux pour accompagner les maires dans leurs projets de territoire, si possible collectifs et à la maille de l'intercommunalité.

S'agissant de la garantie rurale, la contre-proposition de 1 % évoquée par Christophe Béchu me paraît intéressante, elle doit être encore travaillée, mais il me semble qu'il est possible de trouver une voie qui vous convienne, sans remettre en cause les fondamentaux de la loi.

Enfin, laissons de la liberté aux territoires. En matière de Sraddet, les situations sont très diverses. Dans certaines régions, celui-ci fait l'objet d'un travail main dans la main avec les maires et les intercommunalités, les territoires sont au travail, font des propositions, et prennent conscience qu'ils ont des possibilités Certains portent même l'ambition d'atteindre 40 % de réduction de l'artificialisation en 2030.

Mme Sonia de la Provôté. - Avec le ZAN, les élus de terrain subissent des injonctions contradictoires, entre les objectifs prioritaires en matière d'environnement et de développement durable, et ceux qui s'imposent concernant le logement et le développement économique. La réalité vient percuter l'idéal et le ZAN est vécu comme une perte de solidarité par les territoires ruraux : derrière cela, il y a un enjeu démocratique. La parole de l'État doit être claire sur les objectifs : le ZAN ne saurait être contradictoire avec le logement, notamment le logement social sur les terres agricoles dans les communes nouvelles, en application de la loi SRU ; ni avec la biodiversité, avec les trames bleue ou verte. De même, Territoires d'industrie et France 2030 portent l'ambition de projets industriels innovants. Les gigafactories, qui sont d'intérêt national, ont une emprise foncière importante et imposent en plus la construction de nombreux logements. Enfin, il va falloir que l'État décide ce que l'on fait à propos de la logistique. Ce secteur consomme beaucoup de foncier localement, mais il porte également un enjeu important de décarbonation. Les injonctions deviennent tellement complexes que les élus ne savent plus à quoi ils ont droit, ils subissent des contraintes sans pouvoir y faire face. Il faut déterminer ce qui est prioritaire commune par commune.

Ensuite, que met-on dans le « nette » de « zéro artificialisation nette » ? Quels sont les critères de renaturation ? Suffit-il de désimperméabiliser ? Nous trouverons peut-être les solutions pour les dix années à venir, mais il faut avant tout définir la renaturation, car c'est un des moyens par lesquels les villes pourront être solidaires des territoires ruraux.

M. Jean-Marc Boyer. - Les maires des petites communes rurales se sentent déjà marginalisés, oubliés au sein des intercommunalités, et ont le sentiment qu'ils ont perdu des responsabilités. Si on leur en enlève encore, il ne restera presque rien.

Cette proposition de loi avance un minimum de 1 hectare garanti aux communes ; vous défendez un plancher fixé à 1 %. Les représentants de l'Île-de-France nous ont fait part de la demande importante de logements dans leur région, et nous ont présenté leur dispositif : 1 %, avec un minimum de un hectare. Cette solution m'a paru intéressante, en ce qu'elle permet d'avoir le 1 % que vous défendez, mais aussi 1 hectare pour les communes rurales. Qu'en pensez-vous ?

M. Christian Redon-Sarrazy. - J'ai présidé une mission du Sénat sur l'innovation, qui concluait que la réindustrialisation était un impératif. Or dans les dix années passées, la tendance était plutôt à la délocalisation, donc à une moindre consommation d'espace. Pour inverser la tendance, la solution n'est donc sans doute pas de se baser sur cette période. Ne faut-il pas privilégier une approche particulière pour reconquérir de la souveraineté industrielle dans les industries innovantes ? Vous avez laissé ce sujet aux régions, ce qui peut poser problème, dès lors qu'il s'agit de faire émerger des projets nouveaux.

M. Éric Kerrouche. - On oublie souvent de croiser l'objectif du ZAN avec l'évolution de la population ; or celle-ci va croître moins vite que durant les dix dernières années. Le ZAN ne pose donc pas tant un problème d'expansion que de distribution en fonction des limites territoriales. Une même règle va s'appliquer à des territoires dont la trajectoire démographique diffère. Les territoires en croissance démographique sont promis à une double peine, les autres l'ont déjà subie. Comment différencier la mise en application, quand au sein d'une même région, certaines zones sont plus attractives que d'autres ? Comment prendre en compte la rareté du foncier sur le littoral ? Faut-il imaginer des différences de traitement typologiques, par exemple avec une surcote « ZAN » sur les résidences secondaires ?

Enfin, vous avez évoqué 200 000 hectares de friches, mais celles-ci ne sont pas réparties de manière uniforme sur le territoire français, et certaines peuvent être situées dans des territoires qui n'auront pas besoin à l'avenir de l'extension la plus importante. Ce stock est théorique, le problème réside dans sa distribution. Comment le résoudre ?

Mme Anne-Catherine Loisier. - Il y a en effet beaucoup de disparités dans nos territoires ; la difficulté à laquelle nous sommes confrontés est l'application d'un principe national. C'est cela qui inquiète nos élus, qui se voient imposer une contrainte supplémentaire, alors qu'ils en subissent déjà beaucoup.

Monsieur le ministre, vous évoquiez les territoires sous-denses dont la population n'augmente pas et dans lesquels on construit tout de même. Cette situation s'explique par les résidences secondaires, et par les besoins découlant de l'explosion de la cellule familiale. Le ZAN nous conduit à un exercice de fiction, alors que nous ne savons pas comment les moeurs vont évoluer. Tout cela pose encore la question de la gouvernance des Sraddet et d'un ZAN de proximité, qui devra évoluer avec les réalités du territoire.

S'agissant de la garantie rurale, en Bourgogne-Franche-Comté, le Sraddet a conservé une enveloppe de réserve qui a vocation à être répartie dans les communes dans lesquelles il ne reste pas de potentiel suffisant et dont l'appréciation sera laissée à une instance - peut-être la conférence des Scot ? C'est une piste de souplesse territoriale.

M. Éric Gold. - Sommes-nous confrontés aux conséquences de la loi Climat et résilience ou plutôt aux symptômes de la loi NOTRe, laquelle a estimé que big is beautiful ? Les maires ont été dessaisis de la gestion de leur territoire par les documents d'urbanisme, comment les remettre au centre des décisions en la matière ? Auparavant, les maires des communes les plus rurales s'investissaient dans les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), mais ils peinent aujourd'hui à s'intégrer dans les grands ensembles. La garantie rurale serait un outil pour corriger cela.

M. Cédric Vial. - Merci d'avoir choisi cette salle, dans laquelle nous n'avons pas l'habitude de nous réunir. Cette image de satellite accrochée au-dessus des ministres est parfaitement en adéquation avec nos débats, tant les maires sont effectivement un peu satellisés et que la loi Climat et résilience peut faire l'effet d'un « objet non identifié »... J'ai voté contre ce texte, monsieur le ministre, et je ne savais pas alors à quel point j'avais eu raison de le faire.

Avec le ZAN, nous avons créé un objet urbanistique en quatre dimensions. Il existait une organisation verticale du Sraddet vers les Scot puis les PLU. Les Scot avaient mis les PLU en coupe réglée, et les rendant dépendants les uns des autres. La gestion du ZAN sous forme d'enveloppe à répartir conduit maintenant à lier les Scot entre eux. Ceux-ci deviennent interdépendants au sein des Sraddet, comme les PLU le sont au sein des Scot. Or dans ce type de construction, la souplesse est nécessaire, pour éviter la rupture, mais on ne la trouve pas ici. Cela produit des situations inextricables et un système qui ne fonctionne pas.

L'urbanisme allie planification et opportunité. Comment pourra-t-on accueillir un projet d'intérêt national, régional ou local, s'il faut, pour cela, modifier le PLU, le Scot et le Sraddet ? C'est impossible, on ne pourra plus construire en France. Vous indiquez que votre objectif est écologique, mais alors il faut produire localement ! Cette mesure va aggraver la situation dans les territoires en tension et condamner certains territoires fragiles. Avec les programmes comme Petites villes de demain (PVD) on restaure les façades et les commerces, mais ceux-ci ont besoin de clients et les écoles ont besoin d'élèves. Si nous ne pouvons plus gérer le développement local, nous irons dans le mur !

C'est en outre injuste pour les territoires qui ont déjà fait des efforts. Dans mon département, l'Isère, depuis la loi de 1985 relative au développement et à la protection de la montagne (loi Montagne), on ne construit plus qu'en proximité de l'urbanisation.

S'agissant des projets d'intérêt national - qui seront comptabilisés au niveau local ! -, comment expliquer que le Président de la République soit venu en Isère annoncer l'arrivée de STMicroelectronics, avec 1 000 emplois, que l'on suppose d'intérêt national, sans pourtant consulter les Scot, non plus que les communes qui devront loger les employés et leurs familles ? Devra-t-il le faire demain ? S'y engage-t-il ? La même question se pose concernant les éventuels accès au tunnel du Lyon-Turin.

Mme Valérie Létard. - J'avais à l'esprit une question analogue à propos du projet de vallée de l'électromobilité, dans les Hauts-de-France, comprenant un ensemble considérable de gigafactories, lié aux grandes infrastructures de la région, telles que le port de Dunkerque ou le canal Seine-Nord Europe. Je ne suis pas certaine que le président du conseil régional ait bien à l'esprit que ce développement, lié à notre autonomie en matière de véhicules électriques pour demain, soit défalqué de son enveloppe régionale de ZAN. Les territoires veulent accompagner la mutation écologique de notre industrie, mais les élus doivent être prévenus de ce qui les attend. Pouvez-vous nous donner les éléments d'information concrets ? Quid des projets privés de grande envergure ?

M. Christophe Béchu, ministre. - L'étalement urbain est mauvais pour le climat comme pour la biodiversité. Au fur et à mesure de nos discussions, on risque de remettre en cause cet objectif. On peut considérer qu'il n'est pas prioritaire, mais vos arguments conduisent à remettre en question la trajectoire d'artificialisation que nous nous sommes fixée. Peut-être faudra-t-il alors appliquer un coefficient à la place que l'on donne à la biodiversité et à la lutte contre le dérèglement climatique ?

Monsieur Vial, souhaitez-vous qu'un projet gagne une envergure nationale par la seule venue du Président de la République ? Je ne peux pas le croire. Ainsi, ce serait le fait du prince qui conduirait à sortir un projet des objectifs du ZAN ?

M. Cédric Vial. - Une fois que vous aurez annoncé le projet, ce sera aux élus de se débrouiller !

M. Christophe Béchu, ministre. - En caricaturant nos positions, vous ne faites pas progresser la coconstruction. Oui, il y a des injonctions contradictoires, parce qu'aucune génération n'a connu la situation dans laquelle nous nous trouvons. Le coût de notre retard à agir sur le climat se retournera contre ceux que l'on fait mine de défendre ce soir et alors, la question de notre responsabilité sera posée.

Concernant le rôle des maires, au cours de ces dix dernières années, 15 000 communes ont consommé moins de deux hectares ; un système de double cliquet ouvrirait encore davantage de droits et nous conduirait sur une trajectoire d'artificialisation figée, non répartissable, et plus élevée. La question est toujours la même : pour quoi faire ? Dans les années 1970, on gagnait de la population ; nous ne referions pas aujourd'hui ce que nous faisions alors : personne ne construirait actuellement de grandes zones commerciales de périphérie. La tendance, c'est que l'artificialisation soit consacrée soit au logement, soit à la réindustrialisation ; dès lors, forts de ce que nous avons appris dans tous nos territoires, nous devons examiner ce que nous ferons en moins. Beaucoup d'élus ont pris conscience de la situation et ont déjà rationalisé la consommation foncière, comme le montre la forme des zones d'activités récentes.

M. Fabien Genet. - L'industrie est partie et le tertiaire est moins gourmand en espace.

M. Christophe Béchu, ministre. - Certes, cela a produit des friches, mais ce ne sont pas les projets comprenant beaucoup d'emplois qui ont produit le plus d'artificialisation ; ce processus s'est trouvé décorrélé de la création de richesse comme de l'accueil de populations.

Faisons basique et simple, en effet : coter différemment une résidence secondaire conduirait à complexifier l'ensemble. Que se passerait-il si la destination du bâti changeait ensuite ? Notre intérêt est bien de limiter l'artificialisation là où elle est déjà très élevée. Nous avons voté la loi relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral (loi Littoral), car nous avions constaté que la pression foncière menaçait nos paysages ; aujourd'hui, nous prolongeons ce processus vers des espaces que nous n'avions pas l'habitude de regarder comme des richesses, mais qui le seront demain. Les bienfaits tirés de ces espaces n'apparaissent pas assez, à mon sens, dans nos discussions.

Vous décrivez notre objectif comme l'aboutissement d'un processus d'intercommunalisation, provoquant une forme de désespérance des élus locaux. À l'échelle des Scot, voire des PLU, il existe pourtant déjà des pratiques diverses d'un territoire à l'autre, et certaines communes sont plus ou moins bien traitées par leurs intercommunalités. Je conçois l'intérêt qu'il y aurait à créer un « inter-Scot » : la plupart du temps, on ne consomme pas ce que l'on met sur la table dans les Scot, afin de conserver une soupape permettant de faire face à l'inattendu. Pour autant, je ne crois pas qu'un système de précaution généralisée soit efficace. La soupape pourrait plutôt découler du lien entre réindustrialisation et grands projets à travers les opérations d'intérêt national (OIN) labellisées par l'État, que nous pourrions élargir. À mon sens, les grands projets d'envergure nationale comprennent les lignes à grande vitesse, ainsi que leurs bretelles d'accès, comme toutes les infrastructures de transport et de décarbonation, les centrales nucléaires ou les prisons. En revanche, les projets économiques doivent susciter une émulation entre les territoires. Dès lors, le dispositif de labellisation OIN me semble être une piste appropriée, sur laquelle nous pourrions nous retrouver.

Enfin, certes, les friches ne sont pas réparties également et concernent les territoires qui ont le plus subi la désindustrialisation. La rationalisation foncière devrait toutefois nous conduire à flécher des projets vers ces territoires. Pour sauver une classe, le bon réflexe est d'abord de vérifier que toutes les maisons du bourg sont pleines, avant d'en construire d'autres. Nos anciens s'assuraient que les maisons soient proches des commerces, nous avons tourné le dos à cette rationalité avec les maisons espacées. Nous ne pouvons pas continuer ainsi, alors que des exigences de sobriété s'imposent à nous.

Vous connaissez notre état d'esprit : nous souhaitons qu'un texte aboutisse à l'Assemblée nationale et au Sénat à une évolution législative globale, et débouche sur une commission mixte paritaire conclusive, afin de donner de la souplesse au processus, tout en maintenant son objectif.

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Nous sommes très favorables à un travail de navette concernant le sort du Sraddet, au sein duquel nous souhaitons que la notion de « prise en compte » remplace celle de « compatibilité », ainsi que la question de la surface minimale communale. Sur ce dernier point, il existe 30 775 communes rurales ; notre proposition conduit donc à libérer 30 775 hectares, la vôtre - le 1 % -, 22 000 hectares. Les communes rurales n'en bénéficieront donc pas de la même manière.

M. Christophe Béchu, ministre. - Il s'agit bien d'un plancher, et non d'un plafond.

Mme Valérie Létard, présidente. - Je vous remercie.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 19 h 10.