Mercredi 10 mai 2023

Présidence de M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes, et de M. Stéphane Artano, président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer -

La réunion est ouverte à 13 h 30.

Politiques européennes en outre-mer - Audition des services de la Commission européenne : Mmes Monika Hencsey, directrice budget, communication et affaires générales (Regio A) de la direction générale politique régionale et urbaine, et Catherine Metdepenningen, chef de l'unité des relations avec les pays et territoires d'outre-mer, accompagnée de M. Frédéric Maier, chargé de la coopération, à la direction générale partenariats internationaux (INTPA B3)

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Les régions et territoires d'outre-mer sont une richesse pour l'Union européenne, dont le territoire se trouve ainsi étendu autour du globe, bien au-delà du seul continent européen. Ils constituent à cet égard de précieux atouts pour l'Union sur le plan stratégique, mais ils lui offrent aussi des opportunités en matière de développement touristique ; ce sont aussi des lieux riches d'une grande biodiversité.

Un grand nombre de ces régions et territoires font partie intégrante de la République française, sous le statut de régions ultrapériphériques (RUP) ou bien de pays et territoires d'outre-mer (PTOM) ; notre pays est l'État membre le plus concerné par le sort que leur réserve l'Union. Depuis 1999, les traités prévoient explicitement de leur accorder une attention spécifique au titre de leur éloignement, de leur insularité, de leur climat, de leur faible superficie ou de leur dépendance économique. Nous pourrions ajouter à cette liste leur exposition particulière aux risques naturels : volcans, cyclones, séismes, voire tsunamis.

En 2019, j'ai eu l'occasion de présenter un rapport à ce sujet ; celui-ci avait été adopté par la délégation aux outre-mer, dont je suis membre. Tous ces éléments justifient en effet que l'Union adapte ses règles en outre-mer et apporte un soutien constant au développement de ces territoires, grâce aux différents outils existants : c'est une conviction partagée par la délégation sénatoriale aux outre-mer et par la commission des affaires européennes, ce qui justifie l'organisation, aujourd'hui, de cette table ronde par nos deux instances.

De ce point de vue, nous saluons de concert la décision de la Commission européenne, prise en février dernier, d'autoriser un régime français de 3 milliards d'euros d'aides d'État destiné à indemniser, jusqu'en 2027, les entreprises de cinq régions ultrapériphériques françaises, pour les surcoûts qu'elles supportent dans le cadre des activités qu'elles exercent sur ces territoires. Ce régime d'aide consiste en une réduction de l'octroi de mer, cette taxe prélevée sur les produits importés dans les RUP françaises ou les productions locales de ces dernières : nous nous réjouissons qu'il puisse contribuer au développement régional et à la compétitivité de ces régions.

Toutefois, sur de nombreux autres dossiers, il nous semble utile d'approfondir les échanges avec la Commission européenne pour mieux la sensibiliser aux enjeux des outre-mer, et je remercie ses représentants d'avoir accepté notre invitation, depuis Bruxelles : le cabinet de la commissaire européenne à la cohésion et aux réformes, Mme Elisa Ferreira, représentée par Mme Monika Hencsey, directrice Budget, communication et affaires générales (Regio A) au sein de la direction générale Politique régionale et urbaine de la Commission européenne ; et Mme Catherine Metdepenningen, chef d'unité de la direction générale Partenariats internationaux de la Commission, accompagnée de M. Frédéric Maier, plus particulièrement chargé des pays et territoires d'outre-mer (Intpa B3).

Nous souhaitons examiner avec vous la possibilité de recourir plus fréquemment aux dispositions des traités consacrées aux outre-mer, notamment l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). Mécaniquement, l'élargissement progressif de l'Union rend de plus en plus difficile la prise en compte des réalités des RUP : celle-ci comprend désormais 27 États membres, dont la plupart ignorent les problématiques des outre-mer, et l'intégration possible des États aujourd'hui candidats, situés dans les Balkans ou sur le flanc est du continent, pourrait encore occulter un peu plus les sujets ultramarins.

Dans ce contexte, nous sommes particulièrement inquiets à l'approche de la révision à mi-parcours du cadre financier pluriannuel de l'Union européenne : les fonds aujourd'hui consacrés à soutenir les outre-mer pourraient être réduits au nom d'autres priorités incontestables, comme la transition énergétique ou le soutien à l'Ukraine.

Plus généralement, nous souhaiterions comprendre comment convaincre nos partenaires de la nécessité d'adapter les normes européennes aux réalités des outre-mer. Je pense par exemple à la marque CE, dont la mention est requise pour les produits importés dans l'Union européenne : cette exigence appliquée dans les régions d'outre-mer les empêche de s'approvisionner directement dans leur environnement régional, et conduit, pour importer des marchandises provenant parfois d'un pays voisin, à les faire transiter par un pays de l'Union. C'est ce type de décalage entre les règles et la réalité de terrain que nous avons collectivement intérêt à éviter, pour ne pas entraver le développement local de ces territoires qui, je le répète, sont une chance pour l'Union européenne.

M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - Je remercie vivement Jean-François Rapin d'avoir pris l'initiative de réunir nos deux instances afin d'aborder les politiques européennes sous l'angle de nos territoires ultramarins.

Nous estimons en effet que la France a un rôle particulier à jouer dans ce domaine, car elle est la seule à posséder à la fois des régions ultrapériphériques et des PTOM - six RUP et six PTOM au total. Notre pays est en quelque sorte le porte-parole des outre-mer au plan européen : nous mettons en exergue de manière transversale les difficultés constatées dans des territoires qui sont, comme vous le savez, extrêmement variés.

Ce n'est pas la première fois que notre délégation se saisit de la dimension européenne des politiques menées dans les outre-mer. En juillet 2020, alors que nous étions en pleine négociation du cadre financier pluriannuel 2021-2027, celle-ci a adopté un rapport sur les enjeux financiers et fiscaux européens pour les outre-mer, dans lequel figurait une trentaine de recommandations.

La présente réunion s'inscrit d'ailleurs, à nos yeux, dans le cadre du suivi de ce rapport et de la prise en compte des sujets d'actualité, comme l'a fortement préconisé le groupe de travail de notre collègue Pascale Gruny.

À l'époque, notre objectif était de veiller à ce que l'équilibre budgétaire pluriannuel ne soit pas défavorable aux outre-mer et de mieux faire entendre leur voix auprès des institutions françaises et européennes. La délégation avait ainsi organisé de nombreuses réunions et surtout un déplacement à Bruxelles, ce qui lui avait permis d'entendre au total une quarantaine de personnalités. Presque trois ans après sa sortie, et à un mois du prochain comité interministériel des outre-mer (Ciom) sous l'égide de la Première ministre, où en sommes-nous ?

Comme l'a dit le président Rapin, nous attendons de nos invités un certain nombre d'éclairages. Pour notre part, nous souhaiterions vous entendre sur les sujets en lien avec les travaux récents menés par la délégation, tels que la gestion des déchets, la continuité territoriale ou encore le foncier agricole.

La commission des affaires européennes devrait examiner prochainement une proposition de résolution européenne relative aux déchets, déposée par nos collègues Gisèle Jourda et Viviane Malet, à la suite de leur remarquable rapport sur ce sujet. Celles-ci préconisent de faire du secteur des déchets et de l'économie circulaire l'un des champs prioritaires d'adaptation des normes et des aides européennes aux spécificités des RUP, conformément à l'article 349 du TFUE.

Leur rapport appelle aussi à l'adaptation du règlement européen sur les transferts de déchets aux contraintes particulières des outre-mer et à l'ouverture de discussions dans le cadre de la convention de Bâle, afin de conclure des accords régionaux pour le traitement des déchets des outre- mer.

Des évolutions des règles en matière de continuité territoriale sont également en cours, avec la réforme de l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (Ladom) ; des annonces seront faites à ce sujet au cours du prochain Ciom qui se tiendra le 12 juin prochain.

J'insisterai davantage sur le secteur agricole. Les rapporteurs de notre délégation, Vivette Lopez et Thani Mohamed Soilihi, reviennent de Martinique : ils ont pris la mesure du défi de l'autonomie alimentaire pour ces territoires et de la nécessité d'une revalorisation des enveloppes communautaires allouées à l'agriculture ultramarine par le biais du programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (Poséi), notamment pour faire face à l'augmentation des coûts de production.

Sur place, il a beaucoup été question des ravages de la cercosporiose noire : ce champignon, présent partout aux Antilles, progresse de façon exponentielle ; il est à l'origine d'une chute très importante des tonnages récoltés de banane, avec une baisse de plus de 20 % en 2021. L'utilisation de nouvelles techniques génomiques (NTG) pourrait être une solution, mais cela suppose un cadre juridique spécifique, dont la compétence relève de la Commission. Où en sont les travaux à ce sujet ?

L'adaptation du règlement général d'exemption par catégorie (RGEC) - notamment pour faciliter et accélérer encore davantage la transition écologique et numérique européenne -, et des politiques européennes en matière de pêche figure également au coeur des préoccupations de nos territoires.

Alors qu'elle a été autorisée par principe par la Commission européenne en février 2022, l'aide au renouvellement des flottes de pêche n'est toujours pas entrée en vigueur. J'espère que vous pourrez nous préciser les causes de cette situation.

Enfin, la demande de simplification des procédures d'attributions des aides au titre du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) et du Fonds européen de développement régional (Feder) est unanimement partagée, afin de relancer les productions.

Mme Monika Hencsey, directrice Budget, communication et affaires générales (Regio A) au sein de la direction générale Politique régionale et urbaine de la Commission européenne. - Je vous prie de bien vouloir excuser mon absence à Paris, en raison d'un problème de transport.

Ce débat est une excellente occasion d'examiner la stratégie de l'Union européenne (UE) en faveur des RUP, c'est-à-dire la Guadeloupe, La Réunion, la Martinique, Saint-Martin, Mayotte, la Guyane, mais aussi les Açores, Madère et les îles Canaries. Ces régions font partie intégrante de l'UE et leurs citoyens sont pleinement européens. Malgré leur éloignement, ils doivent profiter des avantages de l'Union.

Ces territoires disposent d'atouts incontestables : une biodiversité très riche, une situation stratégique, notamment pour le lancement des satellites, et des zones maritimes étendues, proches des autres continents.

Malheureusement, la crise ukrainienne a renchéri le coût des transports, de l'énergie et de l'alimentation. Or ces régions sont très dépendantes des importations. Au mois de mai dernier, la Commission s'est pleinement engagée à poursuivre le soutien aux RUP. Nous voulons contribuer à combler le fossé en matière de qualité de vie entre ces régions et le reste de l'Union européenne : à cet égard, la politique de cohésion est très importante.

De plus, nous renforçons le dialogue avec toutes les RUP, par le biais d'une coopération bilatérale. La commissaire Elisa Ferreira se rendra à l'automne dans chaque région. Cette nouvelle stratégie vise à améliorer le niveau de vie des habitants et à renforcer l'accès aux infrastructures et aux services essentiels. Nous voulons relancer la croissance durable, en nous fondant sur les atouts de chaque région, en vue de diversifier leur économie et de créer des emplois.

La Commission a déjà commencé à mettre en oeuvre cette stratégie : nous avons inscrit les spécificités de ces régions dans plus de 70 initiatives lancées par l'Union européenne. Le Pacte vert pour l'Europe prend en compte leur vulnérabilité au changement climatique et aux catastrophes naturelles. La protection et la restauration de leurs écosystèmes figurent au coeur de la stratégie de l'Union en faveur de la biodiversité. Le transport est un secteur essentiel, compte tenu de leur situation géographique : la proposition relative aux réseaux transeuropéens de transport les rend éligibles au financement de mécanismes facilitant l'interconnexion avec les réseaux européens. Le paquet Fit for 55 maintient une exception au système d'échange de quotas jusqu'en 2030 pour les vols domestiques vers et en provenance des RUP afin de faciliter la continuité territoriale. Il en va de même pour les voyages maritimes.

De plus, les RUP peuvent pleinement prétendre aux financements européens. Nous organisons plusieurs ateliers avec les représentants de ces régions pour les aider à monter des projets de qualité.

Les fonds structurels sont également très utiles ; la mise en oeuvre de la programmation 2021-2027 peut commencer. En revanche, je m'inquiète du faible taux d'exécution financière des fonds du Feder au titre de la période 2014-2020 pour les régions françaises, notamment les RUP : ceux-ci risquent d'être définitivement perdus.

La Commission européenne a lancé les consultations sur l'avenir de la politique de cohésion ; un groupe de réflexion de haut niveau a été constitué. Nous aimerions avoir des discussions avec chaque État membre, mais aussi avec les RUP : nous voulons nous assurer que ces dernières soient bien intégrées au processus. J'encourage la France à participer à ces échanges.

Mme Catherine Metdepenningen, chef d'unité de la direction générale Partenariats internationaux de la Commission. - Je salue le dialogue constructif que nous maintenons avec la France sur ce dossier. La présidence française de l'Union européenne (PFUE) a été un succès ; je salue sa contribution au dossier - complexe - de la coopération intrarégionale. Je remercie la France et la Nouvelle-Calédonie pour l'organisation du forum Union européenne-PTOM, qui s'est tenu à Nouméa en novembre 2022. Les résultats de cette réunion ont été très satisfaisants. Notre prochain forum se tiendra à Bruxelles, à la mi-novembre.

Les relations entre l'Union et les 13 PTOM sont uniques et durables. Elles ont des fondements historiques, depuis le traité de Rome de 1957. Contrairement aux RUP, les PTOM ne font partie ni du territoire ni du marché de l'Union : ils ne sont donc pas liés par l'acquis communautaire. En revanche, leurs citoyens disposent de la citoyenneté européenne et ils ont le droit de vote au Parlement européen.

Les PTOM jouent un rôle important en tant qu'avant-poste stratégique dans de nombreuses régions du globe et contribuent à la promotion des valeurs et des normes européennes.

Les relations entre l'Union et les PTOM sont régies par un cadre juridique se traduisant par des décisions d'association, qui promeuvent un dialogue politique continu entre ces territoires et les pays concernés, à savoir la France, les Pays-Bas et le Danemark. Les PTOM bénéficient d'un accès libre - exempt de tout droit - au marché intérieur et d'une coopération financière répondant à leurs besoins spécifiques. L'accord d'association ne revêt pas uniquement un aspect financier : il matérialise également des liens politiques et commerciaux.

Le Groenland bénéficiera d'un soutien bilatéral d'un montant de 225 millions d'euros. Cette somme importante s'explique notamment par l'existence d'un accord de pêche très favorable à l'Union européenne. Des subventions d'un montant de 164 millions d'euros seront versées aux autres PTOM. Une enveloppe de 76 millions d'euros est prévue pour les programmes régionaux, dont 15 millions d'euros en faveur de la coopération intrarégionale. Par ailleurs, les PTOM ont accès à tous les programmes européens, comme Erasmus+ ou Horizon Europe.

Les décisions d'association font actuellement l'objet d'une évaluation à mi-parcours. La consultation publique est ouverte jusqu'à la fin du mois de juin 2023 et le rapport, mené par des évaluateurs indépendants, sera présenté devant le Parlement européen à la fin du mois de février 2024. Une évaluation stratégique de notre coopération avec tous les PTOM est également prévue en 2024 ; la dernière évaluation couvrait la période 1999-2009.

Notre coopération est bien avancée, puisque nous avons adopté 14 documents de programmation avec les PTOM, qui se décomposent ainsi : 30,9 millions d'euros pour la transition énergétique en Nouvelle-Calédonie ; 31,1 millions d'euros au titre d'un projet de gestion durable de l'eau en Polynésie française ; 2,5 millions d'euros au titre de la réduction des risques liés aux catastrophes naturelles pour Saint-Barthélemy ; 4 millions d'euros pour la protection de la biodiversité marine dans les Terres australes et antarctiques françaises (Taaf) ; 27 millions d'euros au profit du tourisme durable à Saint-Pierre-et-Miquelon ; 20,4 millions d'euros au profit du développement socioéconomique durable de Wallis-et-Futuna.

Tous ces programmes comporteront des actions prioritaires consacrées à la lutte contre le changement climatique, en lien avec le Pacte vert et les autres priorités de l'Union européenne. L'appui budgétaire est le mode d'action privilégié : les fonds seront directement versés aux autorités partenaires, afin de soutenir leurs politiques sectorielles et de développer leurs capacités institutionnelles.

La stratégie Global Gateway, ou, en français, « passerelle mondiale », vise à orienter vers certaines priorités les investissements européens à travers le monde, en sus de ceux des États membres qui le souhaitent. Le constat est simple : au niveau mondial, il existe un déficit d'investissements dans des secteurs importants, comme le numérique, l'éducation, la santé, les transports ou la recherche, entre autres. La Commission européenne a débloqué 300 milliards d'euros afin de soutenir ces secteurs essentiels : c'est là un véritable plan Marshall d'investissements.

La région indopacifique compte 4 PTOM français - la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française, les Taaf et Wallis-et-Futuna. L'Union européenne a fait sienne la stratégie française dans cette région. Des forces armées françaises sont basées en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française : ce sont les seules à pouvoir intervenir dans le cadre du mécanisme de protection civile de l'Union.

M. Frédéric Maier, chargé des pays et territoires d'outre-mer au sein de la direction générale Partenariats internationaux de la Commission européenne. - La stratégie intrarégionale s'inscrit dans le cadre de la décision relative à l'association des outre-mer, y compris le Groenland (Decision on the Overseas Association including Greenland- DOAG).

Nous disposons depuis longtemps d'une coopération bilatérale classique avec les PTOM, mais c'est la première fois qu'une enveloppe en faveur de la coopération intrarégionale est créée. Nous avons bien avancé : 14 des 16 programmes indicatifs pluriannuels ont été adoptés. L'un d'eux est consacré à l'enveloppe intrarégionale. Cette année, nous voulons avancer dans le dialogue avec les PTOM. Les premières idées de projets pourraient être examinées entre 2024 et 2025, avec une application jusqu'en 2027. Une enveloppe de 15 millions d'euros a été débloquée pour cet objectif.

Mme Catherine Metdepenningen. - En 2020, lorsque le Royaume-Uni faisait encore partie de l'Union européenne, les PTOM concentraient 80 % de la biodiversité mondiale. C'est un atout fantastique à l'heure du changement climatique : l'Union reste plus que jamais engagée auprès des PTOM.

De plus, la Commission européenne ouvrira en septembre un bureau à Nuuk au Groenland, sur le modèle de celui créé en Nouvelle-Calédonie.

M. Thani Mohamed Soilihi. - Je remercie les intervenants pour cette présentation. J'ai l'impression que l'action de l'Union européenne dans nos territoires est très importante, mais qu'elle n'est pas assez mise en valeur. Partagez-vous ce constat ? Comment agir pour améliorer cette situation ? Nous sommes unis non seulement par ces actions, mais aussi par des valeurs communes.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - L'ouverture d'un bureau de l'Union européenne au Groenland est une excellente nouvelle : la Chine veut s'y implanter, en « surfant » sur les tentations indépendantistes de ce territoire.

Serait-il envisageable d'utiliser les fonds européens destinés aux PTOM pour financer la création d'Alliances françaises dans les pays voisins ? Je pense à la Guyane : aucun enseignement de français n'est dispensé dans la région brésilienne de l'Amapá ; ce serait pourtant un bon moyen d'assurer le développement de ces territoires.

Mme Micheline Jacques. - Merci pour vos propos éclairants.

Plusieurs études de la Délégation sénatoriale aux outre-mer ont mis en évidence les inadaptations normatives aux réalités ultramarines, ce qui contribue à renchérir les coûts de production, notamment dans le domaine du bâtiment. Existe-t-il une volonté de prendre ce sujet à bras-le-corps ? Pourquoi ne pas créer un référentiel d'équivalence facilitant les échanges commerciaux dans l'environnement proche des outre-mer, à l'heure où la réduction de l'empreinte carbone est une nécessité ? Faut-il maintenir l'exclusivité des échanges avec l'Union européenne ?

M. Jean-Yves Leconte. - Quid de la conjugaison du pacte sur la migration et l'asile avec les réalités ultramarines ? Certains de nos départements et territoires d'outre-mer ne sont pas dans l'espace Schengen, alors que ce sont bien des territoires européens. Aucune disposition des accords européens relative aux questions d'asile et de migration n'y est en vigueur: le règlement Eurodac n'est pas appliqué en Guyane et à Mayotte, par exemple. La France refuse d'utiliser Eurodac ; pourtant, des personnes utilisent comme point d'entrée les territoires d'outre-mer.

De plus, les Brésiliens souhaitant se rendre en Guyane doivent disposer d'un visa, alors que cette obligation ne leur est pas imposée lorsqu'ils se rendent sur le continent européen, dans un État membre de l'Union.

Mme Monika Hencsey. - Je souscris à l'analyse de M. Thani Mohamed Soilihi : nous devons améliorer notre communication et mieux mettre en valeur le travail de la Commission dans les PTOM. Nous nous sommes engagés à multiplier les rencontres avec les autorités locales et nous avons lancé un appel à projets doté d'un million d'euros en direction des jeunes. En outre, la commissaire Elisa Ferreira entend se rendre dans chaque RUP.

Les questions liées à l'espace Schengen relèvent de la compétence des États membres. Cela dit, de nombreux fonds européens peuvent être mobilisés dans ces territoires pour faciliter l'accueil et l'intégration des migrants, y compris les mineurs non accompagnés (MNA).

Mme Catherine Metdepenningen. - Il faut le reconnaître, les PTOM, malgré l'obligation qui leur est faite de communiquer sur l'origine des fonds européens dans le cadre de nos échanges, ne le font pas suffisamment. C'est souvent là que le bât blesse dans le cadre de la coopération. Il s'agit du reste d'une difficulté qui concerne la coopération en général et pas seulement les pays et territoires d'outre-mer, d'où le projet Global Gateway, qui se veut non seulement un programme d'investissement, mais aussi un plan de communication beaucoup plus agressif.

Il est temps que l'Union européenne se fasse respecter par les structures ou territoires qu'elle finance.

Même s'il existe des forums tripartites entre Union européenne, États membres et PTOM au sein desquels nous discutons de ces questions, nous avons décidé de dédier une grande partie des fonds de notre assistance technique à la mise en oeuvre d'un plan de communication beaucoup plus ambitieux, destiné aux PTOM en particulier.

Mme Micheline Jacques. - Ma question portait sur l'inadaptation normative aux réalités ultramarines, qui conduit à un renchérissement des coûts de production, notamment dans le secteur de la construction.

Existe-t-il une volonté de prendre ce sujet à bras-le-corps, en élaborant par exemple un référentiel d'équivalence qui faciliterait les échanges commerciaux dans les zones régionales ? Est-il indispensable de maintenir l'exclusivité des échanges entre les régions ultrapériphériques et l'Union européenne, au vu notamment de l'empreinte carbone que ces échanges induisent ?

Mme Catherine Metdepenningen. - Tous les produits issus des RUP, à l'exception des produits de la pêche du Groenland, qui relèvent du protocole 33 du traité, bénéficient d'un régime hors taxes.

Les RUP font parfois l'objet d'un traitement plus favorable que les PTOM, ce que ces derniers leur envient d'ailleurs. Il ne faut cependant pas oublier que ces derniers disposent eux aussi de conditions d'échanges plus qu'avantageuses.

Pour ce qui est des normes techniques, rien n'empêche un PTOM de se porter candidat à un projet de coopération commerciale, dans le cadre duquel il pourrait travailler à l'amélioration de ces normes. Cela étant, nous n'avons eu aucune demande de ce genre à ce jour.

Mme Monika Hencsey. - Nous sommes conscients des difficultés de certification que peut poser la réglementation européenne pour ce qui est de l'importation de produits issus des RUP au sein de l'Union européenne.

Je sais qu'il existe actuellement des discussions à ce sujet dans le cadre de l'élaboration des directives européennes sur l'énergie renouvelable. J'ignore l'issue de ces travaux, mais je me renseignerai.

Mme Annick Petrus. - Vous venez d'indiquer que les jeunes des RUP pourraient percevoir des aides issues des fonds européens, afin de monter des projets innovants pour leur territoire. Or, très souvent, les jeunes qui souhaitent se lancer dans ce genre de projet se heurtent à un problème de préfinancement.

Chacun sait qu'aujourd'hui l'Europe ne préfinance pas les jeunes qui se trouvent dans cette situation : quelles solutions pourrait-on imaginer à cette échelle ?

Mme Monika Hencsey. - Nous avons lancé un appel à propositions en direction des jeunes, mais nous cherchons encore des organisations, au sein ou non des RUP, avec lesquelles nous pourrions monter les projets. Nous espérons y parvenir avant l'été ou l'automne prochain.

Dans ce cadre, aucun préfinancement ne sera demandé aux jeunes concernés : ils recevront entre 500 et 1 000 euros, peut-être davantage, pour mettre en oeuvre leurs projets.

M. Victorin Lurel. - Sachez que, parfois, les collectivités rencontrent elles-mêmes des problèmes de préfinancement et qu'elles ont aussi des difficultés pour consommer les crédits européens.

Il existait pourtant une solution qui consistait à ce que les collectivités concluent une convention de mandat financier : des sociétés d'économie mixte (SEM) préfinançaient les opérations lorsque les collectivités avaient des difficultés ou étaient en déficit. Sur la base d'un appel d'offres ou d'une convention passée avec une SEM, les collectivités pouvaient alors avoir accès au crédit bancaire.

Or les chambres régionales des comptes ont condamné cette pratique, au motif qu'il s'agissait d'une activité bancaire déguisée. L'Union européenne pourrait-elle reconsidérer cette question et encourager ce mode de financement ? Après tout, cette problématique relève tout autant des gouvernements nationaux que de l'Europe.

Ma deuxième question porte sur la coopération régionale : il est très difficile aujourd'hui de délimiter les différentes frontières maritimes ou les zones économiques exclusives. Par exemple, dans la Caraïbe, il n'y a pas de limitation entre la Guadeloupe et la Dominique, la Dominique et la Martinique, Martinique et Sainte-Lucie.

Les conventions de pêche relèvent ainsi de la compétence de l'Europe, ce qui pose des difficultés. C'est la même chose en matière de coopération judiciaire et policière : il est très compliqué d'obtenir des officiers de liaison par exemple, alors que nous sommes membres de l'Organisation des États de la Caraïbe orientale (OECS).

Autre remarque, les préfets ont davantage de pouvoir dans ces territoires que les préfets hexagonaux, notamment en matière de reconduite à la frontière et de rétention administrative.

Personne ne soulève ce point, mais si on devait l'étudier de près, nous nous apercevrions qu'il est très difficile à traiter.

Mme Monika Hencsey. - Dans la plupart des cas, les RUP bénéficient de conditions de préfinancement beaucoup plus favorables que les autres régions. C'est vrai pour les fonds structurels contrôlés par les États membres, mais aussi pour différents programmes directement gérés à Bruxelles, pour lesquels les RUP doivent certes postuler, mais qui leur assurent, si elles sont choisies, un taux de cofinancement plus bas que celui qui s'appliquerait aux autres.

Par ailleurs, nous avons créé un certain nombre d'instruments d'urgence en réponse à la crise du covid, à celle des réfugiés, ou pour garantir une énergie abordable. Nous avons introduit davantage de flexibilité dans l'utilisation des fonds de cohésion, avec un taux de préfinancement s'élevant à 100 % et un cofinancement réduit des régions et des États membres. Cette flexibilité permet de pallier le défaut d'exécution financière que nous constatons en temps normal : elle favorise en effet une consommation beaucoup plus rapide de ces fonds.

Mme Catherine Metdepenningen. - Dès qu'une convention de financement est signée, le territoire concerné a directement accès aux crédits, d'abord par tranches fixes, puis par tranches variables, ce qui est le propre de l'aide budgétaire. De la même manière, quand le citoyen d'un PTOM participe, au même titre qu'un État membre, à un appel à propositions pour n'importe quel projet ou programme de l'Union européenne, il peut postuler sans avoir à verser le moindre euro au moment de la signature grâce aux avances de la Commission européenne.

Dans le cadre de nos actions de coopération, il n'existe donc a priori aucun souci d'accès au préfinancement.

M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - Je souhaiterais vous faire partager mon expérience d'ancien ordonnateur d'un PTOM, celui de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Ce que l'on vient de nous décrire en termes de tranches fixes et de tranches variables est exact, mais il arrivait tout de même à la collectivité que je présidais de devoir faire appel au préfinancement bancaire, tout simplement pour enclencher le processus. C'est probablement cette difficulté que pointait Victorin Lurel.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Je remercie chaque intervenant pour sa disponibilité.

La coopération entre la commission des affaires européennes et la délégation aux outre-mer est importante, tant - je l'ai dit dans mon propos liminaire - l'Union européenne a besoin des outre-mer.

La réunion est close à 14 h 40.