Mardi 9 mai 2023

- Présidence de M. Gilbert-Luc Devinaz, président -

La réunion est ouverte à 19 h 10.

Audition de M. Philippe Mauguin, président-directeur général de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE)

M. Gilbert-Luc Devinaz, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de notre mission d'information sur le développement d'une filière de biocarburants, carburants synthétiques durables et hydrogène vert, en accueillant ce soir M. Philippe Mauguin, président-directeur général de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae).

M. Mauguin a occupé des fonctions de recherche, des fonctions en cabinet ministériel et des fonctions exécutives en administration déconcentrée, en administration centrale et en agence.

Il a notamment été directeur de l'agriculture et des bioénergies à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), conseiller du Premier ministre pour l'agriculture, la forêt et l'alimentation, et directeur de cabinet du ministre de l'agriculture, avant de prendre la tête de l'Institut national de la recherche agronomique (Inra), devenu Inrae après sa fusion avec l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (Irstea).

Monsieur Mauguin est accompagné par plusieurs personnes, que je tiens à saluer : Mme Monique Axelos, directrice scientifique « Alimentation et bioéconomie », M. Luc Fillaudeau, directeur de l'Institut Carnot 3BCAR, qui accompagne les entreprises dans le développement d'innovations dans les domaines des bioénergies, des biomolécules et des matériaux biosourcés, et M. Bernard Kurek, directeur de recherche à l'unité mixte de recherche « Fractionnement des agro-ressources et environnement » (FARE).

Participent également à cette audition, en visioconférence, M. Nicolas Bernet, directeur du laboratoire de biotechnologie de l'environnement de Narbonne, et Mme Isabelle Brossier, cheffe de cabinet de M. Mauguin.

Cette réunion est captée et diffusée en direct sur le site internet du Sénat, sur lequel elle pourra ensuite être consultée en vidéo à la demande.

Monsieur le Président-directeur général, Mesdames, Messieurs, notre mission d'information comprend des membres issus de différentes commissions, qui représentent l'ensemble des groupes politiques du Sénat.

Le développement des filières de biocarburants, de carburants synthétiques durables et d'hydrogène vert représente un enjeu important pour permettre à la France et à l'Union européenne d'atteindre l'objectif de neutralité carbone à l'horizon 2050, mais aussi au regard de notre souveraineté et de la compétitivité de notre économie.

La France a développé une politique ambitieuse en matière de biocarburants, qui a eu des effets significatifs, en termes tant de production que d'incorporation de biodiesel ou de bioéthanol dans les carburants. Ces orientations se trouvent aujourd'hui contestées ou interrogées par certains organismes. Pour synthétiser, nous avons eu trois grands types de questionnements ou d'interpellations concernant les biocarburants.

Tout d'abord, les analyses des acteurs divergent parfois sur l'intérêt des biocarburants de première génération, en tenant compte à la fois de l'enjeu de résilience du monde agricole, de la concurrence des usages agricoles et du bilan environnemental global de ces biocarburants. Nous serons évidemment attentifs à votre analyse.

Ensuite, l'enjeu que représente la biomasse, en excluant la première génération, a donné lieu à des prises de position très contrastées. Certains acteurs considèrent que la ressource est drastiquement limitée et qu'elle soulève des problèmes difficilement solubles de collecte efficace, tandis que d'autres ont une vision beaucoup plus positive du sujet. C'est évidemment un point majeur, car de cette analyse peuvent découler à la fois des options de répartition des carburants entre filières, mais aussi une forme contrainte de sobriété.

Nous avons également eu des approches très contrastées concernant les biocarburants de deuxième ou troisième génération et sur la capacité à passer à un mode de production industriel à un horizon de temps raisonnable. Lors de notre visite du centre du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), à Cadarache vendredi dernier, nous avons évoqué les recherches en cours sur les microalgues. Toutefois, il ne s'agit pas d'une solution à déploiement rapide.

Nous sommes heureux d'entendre l'analyse de l'Inrae, qui a une expertise spécifique sur ces sujets.

Notre rapporteur, M. Vincent Capo-Canellas, vous a adressé un questionnaire qui peut vous servir de guide, mais vous pouvez introduire votre propos comme vous le souhaitez.

Je passerai ensuite la parole à notre rapporteur puis à l'ensemble de mes collègues, qui vous poseront un certain nombre de questions. Vous pourrez nous transmettre ultérieurement des réponses écrites aux questions qui vous ont été adressées.

M. Philippe Mauguin, président-directeur général de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement. - La question des bioénergies et de la bioéconomie doit s'intégrer dans une stratégie globale de développement de l'agriculture et de la forêt.

L'Inrae est issu de la fusion, en 2020, de l'Inra et l'Irstea, comme vous l'avez rappelé. À cette occasion, une stratégie de recherche avait été définie pour l'institut, à l'horizon 2030, avec cinq grandes priorités, dont l'une est dédiée à la bioéconomie.

Premier axe stratégique, l'Inrae a pour mission de bien comprendre les changements climatiques globaux qui impacteront notre planète et notre pays dans les prochaines décennies, pour les atténuer, quand c'est possible, et adapter l'agriculture, la forêt et les systèmes alimentaires.

Le deuxième axe est l'accélération de la transition agroécologique de notre système agricole.

Le troisième axe est dédié à la bioéconomie, qui est le sujet qui nous intéresse ce soir. Il s'agit de promouvoir une vision à la fois circulaire et sobre. Les attentes concernant la biomasse sont nombreuses. Il ne sera pas facile de répondre aux défis de l'alimentation de la planète en 2050 et de la bioénergie. Nous travaillons ainsi à identifier les voies de valorisation de la biomasse les plus efficaces possible, dans une logique d'économie circulaire. Dans les territoires, nous devrons réussir à mettre en place des covalorisations des débouchés alimentaires et des débouchés énergétiques.

Le quatrième axe s'intéresse à la santé globale : comment prévenir les futures pandémies et assurer la santé de nos concitoyens grâce à une alimentation de qualité ?

Le cinquième axe est lié à la mobilisation du numérique dans l'ensemble de nos activités de recherche.

Dans son secteur, l'Inrae est le premier organisme de recherche en Europe. L'institut avait travaillé aux côtés des filières agricoles, parfois en anticipation, pour accompagner le développement des biocarburants de première génération.

Aujourd'hui, pour ce qui concerne la recherche, nous en sommes à la seconde génération. Nous considérons en effet que la première génération est mature. La production d'éthanol issu de différents substrats ou d'esters de colza est plutôt opérationnelle. On peut d'ailleurs saluer le développement industriel français et européen en la matière.

La recherche menée par l'Inrae s'intéresse donc à la seconde génération. Nous nous efforçons, dans une logique de bioéconomie circulaire, de valoriser des coproduits ou des sous-produits de la biomasse lignocellulosique, par exemple la paille, ou de la biomasse forestière. Il n'est pas si simple d'extraire les sucres de ces biomasses pour les faire fermenter. Il est plus facile de mener une telle opération à partir de la betterave ou du blé !

Nous travaillons également sur le biogaz, qui, bien que moins développé que les filières biocarburants de première génération, est en plein essor.

Outre ces recherches technologiques et scientifiques - fractionnement de la matière première, fermentation, méthanisation et gazéification -, nous menons aussi des recherches plus globales de type économique ou socio-économique sur le développement de ces filières.

Comment concilier tous ces développements ? Sur une planète de 9 à 10 milliards d'habitants, dont les besoins alimentaires croîtraient d'environ 30 % et dont les surfaces agricoles n'augmenteraient pas, afin d'éviter la déforestation, nos marges de manoeuvre sont peu nombreuses. Les terres agricoles sont grignotées par l'urbanisation, la désertification progresse et le climat se dérègle.

Depuis une dizaine d'années, nous observons, en France et en Europe, la stagnation des rendements agricoles, alors que ces derniers, au cours des décennies précédentes, augmentaient régulièrement, en raison des progrès génétiques et agronomiques. Aujourd'hui, le progrès génétique, qui continue de sortir de nos laboratoires, est contrecarré par le dérèglement climatique. Nous sommes également confrontés à des questionnements liés à la décarbonation des intrants. L'équation n'est donc pas simple ! Toutefois, ne soyons pas pessimistes, certains scénarios permettent de boucler les cycles. Ils combinent la lutte contre le gaspillage alimentaire dans les pays du Nord, la lutte contre les pertes de produits après récolte dans les pays du Sud, qui manquent d'infrastructures de stockage, ainsi que la prise en compte d'une évolution des régimes alimentaires. Il convient de trouver un nouvel équilibre entre protéines animales et protéines végétales. Mais n'oublions pas l'enjeu de la bioéconomie et de la bioénergie. Il y a en effet des attentes fortes en matière de production d'une biomasse destinée à remplacer les énergies fossiles.

Comment faire ? À l'horizon 2050, les scénarios sont extrêmement variables. Seule certitude, il faut vraiment jouer la carte de la bioraffinerie à l'échelle des territoires, dans le cadre d'une économie circulaire. Qu'il s'agisse de blé, de betterave, de miscanthus, de sorgho ou de sous-produits du bois, nous devrons optimiser la matière première pour ne rien perdre, conformément à la logique 4F « Food, Feed, Fiber, Fuel », qui vise à optimiser les produits de la photosynthèse, à savoir des macromolécules complexes ayant une haute valeur ajoutée.

Il faut donc les préserver au maximum pour l'alimentation humaine. Je participe à la préparation du projet de loi d'avenir agricole, à la demande du ministre Marc Fesneau. Dans les débats sur l'avenir de l'agriculture, il existe un consensus entre le monde agricole et les autres acteurs pour reconnaître que la vocation de l'agriculture française à l'horizon 2040 doit rester d'abord nourricière, même si elle doit évidemment contribuer aux autres enjeux du bien commun, dont l'énergie. Nos recherches sont orientées vers cette logique d'économie circulaire et de boucle de valorisation. Voilà pourquoi nous cherchons à valoriser au maximum les drêches, la paille, etc. Voilà aussi pourquoi nous implantons des cultures intermédiaires à vocation énergétique (Cive) dans les rotations agricoles.

Vers quoi orienter ces récoltes ? Devons-nous les mettre dans des méthaniseurs pour produire du gaz vert et atteindre nos objectifs de la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) en hydrogène ? Devons-nous les mettre dans la fermentation pour produire de l'additivation aux carburants des automobilistes ? Devons-nous préparer les carburants pour le transport aérien, qui sera probablement le mode de transport le plus compliqué à substituer en énergies renouvelables ?

Nous essayons de réfléchir pour valoriser au mieux la biomasse et les produits de la photosynthèse, mais nous ne nous mettons pas non plus à la place du politique : notre vocation est avant tout d'éclairer les choix. Faut-il réserver une partie de cette biomasse pour produire du biogaz avant de produire peut-être un jour de l'hydrogène de manière performante via l'électrolyse, mais ce ne sera pas avant 2040 ou 2050 ? Ce qui est compliqué, c'est d'intégrer cette dimension temporelle. Pour le moment, nous travaillons sur l'ensemble de ces voies. La question des biocarburants aériens reste le sujet le plus compliqué sur le plan international. Dans le futur, on réorientera probablement vers l'aérien une partie de la biomasse dédiée à la production de biocarburant pour les transports, même s'il n'y a pas de regrets à avoir sur la première génération. La façon dont la filière s'est développée en ester de colza, en éthanol ou en éther éthyle tertiobutyle (ETBE) a été finalement assez raisonnable et pragmatique, à un moment où l'on était en difficulté et où il fallait se diversifier. Cette première génération a sa logique. Allons-nous la développer jusqu'à un niveau très élevé ? La directive européenne fixe un objectif de 14 % de carburants renouvelables.

M. Luc Fillaudeau, directeur de l'Institut Carnot 3BCAR. - Les objectifs de la directive européenne sont de 14 %, dont 7 % de biocarburants de première génération et 3,5 % pour la seconde génération.

M. Philippe Mauguin. - Voilà comment, dans le temps, nous avons évolué d'un travail très orienté sur la première génération à un travail sur la seconde génération. On prépare aussi l'approche plus globale des bioraffineries. Avec votre permission, je vais laisser la parole à Mme Monique Axelos, pour qu'elle puisse dire un mot de notre expérience du projet Futurol.

Mme Monique Axelos, directrice scientifique « Alimentation et bioéconomie » à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement. - Le projet Futurol a démarré en 2008. Il s'agissait de concevoir un démonstrateur pour l'utilisation et la fabrication de carburants de deuxième génération à partir de lignocellulose - pailles, miscanthus, taillis à courte rotation. Il a été mené avec l'appui de plusieurs acteurs industriels : Lesaffre, Total, Tereos, ARD, IFP Énergies nouvelles, etc. Axens, désormais chargé de la commercialisation de la technologie, commence à vendre des démonstrateurs dans différents pays européens. Il existe également une tentative en Inde. Quoi qu'il en soit, le prétraitement de la biomasse reste un verrou pour l'utilisation optimale de tout ce qui est carburants de deuxième génération. Nous continuons à y travailler.

M. Philippe Mauguin. - Comment nous situons-nous au niveau international par rapport à nos homologues ? Quels sont les autres pays les plus avancés dans la recherche sur ces biocarburants de seconde génération ? Les Américains ont travaillé au niveau du National Renewable Energy Laboratory (NREL) sur le sujet de la fragmentation. Il n'y a pas, à ma connaissance, d'exemple concret de centrale fournissant des biocarburants de seconde génération à un niveau industriel.

M. Bernard Kurek, directeur de recherche à l'unité mixte de recherche « Fractionnement des agro-ressources et environnement » à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement. - On a parlé des États-Unis, mais la situation est identique au Brésil où l'on a valorisé les coproduits des bagasses en éthanol de deuxième génération. Dans mon souvenir, des volumes assez considérables ont été produits. En revanche, j'ignore si des structures produisent actuellement à un niveau industriel. Le savoir-faire est là, mais il n'est pas exploité pour des raisons probablement économiques, y compris aux États-Unis. La technologie est mûre, on sait comment faire, mais on ne produit pas.

M. Philippe Mauguin. - Tout cela s'explique probablement par une logique économique. Les grands pays producteurs de biocarburants, que vous connaissez - les États-Unis, avec la filière éthanol maïs, et le Brésil, avec la filière éthanol ex-canne à sucre - ont des productions massives, qui bénéficient de soutiens publics importants. Les filières sont matures au niveau industriel. Il est donc très difficile pour les carburants de nouvelle génération de trouver un avantage économique dans ce contexte. Mais ces pays sont prêts, si le prix de l'énergie augmente, notamment en cas de crise, à ouvrir l'approvisionnement de ces unités avec de nouvelles technologies pour de la bagasse de canne à sucre ou pour des sous-produits lignocellulosiques, qui sont plus difficiles à travailler.

Mme Monique Axelos. - Tout cela est directement lié au prix du pétrole. Futurol est né au moment où les prix du pétrole grimpaient. Tous les industriels ont arrêté le projet quand le prix du baril a commencé à baisser. Le regain d'intérêt actuel pour les biomasses est directement en lien avec la crise que nous traversons.

M. Pierre Cuypers. - L'objectif de 14 %, dont 7 % de biocarburants, est-il pour vous un taquet ? J'ai entendu dire que l'on pouvait aller jusqu'à près de 9 %. La crise énergétique nous montre combien aujourd'hui il est urgent de trouver une solution d'approvisionnement. Pour la deuxième génération, s'il existe des solutions, elles ne sont pas viables économiquement. Devons-nous nous priver ? Pouvons-nous évoluer et faire bouger ce curseur des 7 % ? Quid de la surtransposition des réglementations qui pénalisent notre développement énergétique et agroalimentaire ?

M. Philippe Mauguin. - Les 7 % ne sont pas une recommandation de l'Inrae, c'est la réglementation européenne. On a donc pris cette référence dans une logique de simulation de développement de biomasse. La consommation primaire d'énergie renouvelable en France est de 353 térawattheures (TWh) en 2020. La première source d'énergie renouvelable, c'est le bois énergie, qui représente 102 TWh. Par ailleurs, 33 TWh viennent des filières de biocarburants liquides, soit 2,9 millions de tonnes équivalent pétrole, dont environ 2,4 millions de tonnes équivalent pétrole de biodiesel et environ 0,6 million de tonnes équivalent pétrole de bioéthanol. Le petit nouveau, le biogaz, était à 13 TWh en 2020, en progression de plus 16 % par rapport à 2019.

L'univers agricole et forestier produit donc environ 150 TWh, sur une consommation d'énergie renouvelable de 353 TWh : une petite moitié des énergies renouvelables dans notre pays est déjà fournie par la forêt et l'agriculture. Jusqu'où peut-on aller ? Les différents scénarios montrent que l'on peut consommer de la biomasse d'origine agricole sans trop risquer de concurrencer le débouché alimentaire aux alentours de 130 à 150 TWh par an pour la biomasse agricole et à peu près autant, voire un peu plus, pour la biomasse forestière, soit un total de 300 TWh à l'horizon 2040-2050 pour la biomasse agricole et forestière. Mais il peut y avoir débat entre les biocarburants de première génération et ceux de deuxième génération. Dans le cadre des débats sur la loi de programmation de l'énergie, les filières poussent au développement du biogaz et de la méthanisation. Il faudra donc faire des arbitrages politiques et économiques.

M. Pierre Cuypers. - Ce ne sont pas les mêmes matières premières.

M. Philippe Mauguin. - Tout à fait, il est certainement possible de passer de 7 % à 9 %. Mais il faudrait prévoir en cas de fortes tensions sur les débouchés alimentaires - on l'a vu avec la guerre en Ukraine - une forme de réversibilité dans l'organisation des filières. Si l'on va plus loin dans les filières de biocarburants de première génération, il faudrait que les pouvoirs publics et les professionnels puissent reconnaître qu'il faut diminuer la production de biocarburants en cas de tensions pour augmenter la production de produits alimentaires. La question a failli se poser au moment de l'initiative Food and Agriculture Resilience Mission (Farm). Accepter une solution de ce type permettrait d'avoir des débats plus sereins. C'est une suggestion que je livre à votre assemblée.

M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur. - Selon vous, il est possible de se fixer un objectif 150 TWh issus de la biomasse agricole et autant de la biomasse forestière. Quelle progression cela représente-t-il par rapport à aujourd'hui ? Nous parviendrons à une production plutôt forte d'hydrogène via l'électrolyse en 2040-2050, mais vous n'avez pas de regrets s'agissant de la première génération, qui est néanmoins sur la sellette.

Quelle est votre appréciation sur les biocarburants de première génération ? Considérez-vous que celle-ci appartienne désormais au passé ? Est-elle est en mesure de participer à la transition écologique en cours ?

Je me réjouis de vos propos sur la deuxième génération de biocarburants, qui, selon vous, sont matures sur le plan technique, contrairement à ce qu'ont soutenu certains industriels que nous avons entendus. Comment faire en sorte que le modèle soit viable sur le plan économique ?

Vendredi dernier, nous avons rencontré à Cadarache des chercheurs s'intéressant aux microalgues. Envisagez-vous des ruptures technologiques en la matière ?

M. Philippe Mauguin. - Plusieurs scénarios relatifs à la biomasse potentiellement mobilisable existent : celui du WWF est plutôt pessimiste, celui de France Stratégie adopte une position médiane et celui de l'Ademe est le plus optimiste. Ils sont assez proches pour la biomasse agricole. Le WWF juge que le potentiel annuel de cette ressource s'élève de 120 à 130 TWh, contre 150 TWh selon France Stratégie. Sans inclure le bois énergie, la biomasse purement agricole représente un potentiel de 33 TWh pour la consommation et 27 TWh pour la production de biocarburants de première génération. À cela s'ajoutent les 13 TWh destinés à la filière biogaz. Aujourd'hui, la production annuelle d'origine agricole s'élève donc à 40 TWh, avec la perspective d'atteindre de 140 à 150 TWh d'ici à 2040 ou 2050, soit un triplement de la biomasse mobilisable.

La Commission de régulation de l'énergie (CRE) nous avait demandé des projections orientées vers le gaz renouvelable. Nous avions formulé des scénarios à partir de la biomasse mobilisable, sans analyser les hypothèses de développement volontariste de biocarburants liquides pour les transports. Des équilibres doivent être trouvés : il me semble raisonnable de ne pas dépasser ce potentiel de biomasse de 140 à 150 TWh. Un triplement de la production sans déstabiliser les filières alimentaires constituerait déjà une avancée. De nombreux débats se font jour autour des Cive, même au sein du monde agricole.

Les résidus de paille ou des couverts doivent être laissés sur le sol pour garder de la matière organique, séquestrer du carbone et assurer la fertilité à long terme : tout ne doit pas être exporté. Une autre partie peut être consacrée à l'alimentation animale, afin d'éviter les importations alimentaires, qui contribuent à la déforestation, notamment en Amérique latine. Mais il existe un potentiel pour produire de la bioénergie : comme le disait Pierre Cuypers, il est techniquement possible de passer de 7 à 9 % de l'énergie contenue dans les carburants. Toutefois, il me semble important de prévoir des clauses de revoyure en cas de développement des biocarburants de première génération, surtout en cas de tensions alimentaires, afin de prévoir une réversibilité. Ces débats ne manqueraient pas de réapparaître si la directive européenne faisait l'objet d'une renégociation.

Par rapport aux décisions prises par les États-Unis et le Brésil, nous n'avons pas à regretter les actions européennes en faveur des biocarburants de première génération, qui, à l'époque, étaient justifiées pour apporter des débouchés et une diversification à nos agriculteurs : les terres en jachère étaient alors nombreuses. Les choses ont été toutefois rapidement ajustées, dans l'intérêt bien compris de l'ensemble des acteurs de la chaîne de valeur. Les biocarburants étaient intéressants pour les agriculteurs, malgré leur coût pour les finances publiques.

Le bilan écologique des biocarburants de première génération, peu élevé au début, s'est progressivement amélioré, à tel point que ceux-ci ont pu être qualifiés d'énergies renouvelables. Nos investissements en recherche et développement au profit de ces filières ont cessé, car l'électricité est aujourd'hui l'énergie privilégiée pour le véhicule individuel. En revanche, les poids lourds ou les avions pourraient avoir recours aux biocarburants de première, deuxième ou troisième génération.

Mme Monique Axelos. - S'agissant des biocarburants de première génération, une amélioration des rendements, notamment grâce au mélange du colza avec des légumineuses, permettrait de passer de 7 à 9 %, sans changer l'allocation des terres. Mais les biocarburants de première génération ne pourront pas répondre à la demande du transport aérien : cela supposerait des surfaces agricoles considérables.

M. Philippe Mauguin. - En 2050, les besoins du transport aérien français en carburants renouvelables s'élèveraient à 72 TWh chaque année. Selon une directive européenne, 85 % des carburants aériens devraient être d'origine renouvelable. C'est un sujet éminemment politique : la filière des biocarburants au profit du secteur aérien parviendra-t-elle à décoller ? Aura-t-on recours à la biomasse agricole, forestière ou développera-t-on une approche nouvelle fondée sur les microalgues ou les carburants de synthèse ? Si ces nouvelles pistes n'aboutissent pas, la biomasse agricole sera très sollicitée et ne pourra être utilisée pour d'autres usages.

Mme Monique Axelos. - La biomasse pourrait servir à l'amorce de la production de carburants aériens durables, puis les carburants de synthèse prendraient le relais. Nous devons faire montre d'une agilité constante entre ces deux types de technologie.

Notre pays ne compte pas de bioraffinerie de deuxième génération, contrairement à certains pays d'Europe de l'Est, richement dotés en biomasse.

La technologie est mature : on est en mesure de produire de l'éthanol, même si les rendements peuvent toujours être améliorés, notamment grâce à des solutions thermomécaniques enzymatiques, afin de récupérer les sucres destinés à nourrir les bactéries produisant l'éthanol.

M. Nicolas Bernet, directeur du laboratoire de biotechnologie de l'environnement (LBE) de Narbonne à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement. - L'hydrogène est un intermédiaire réactionnel de la longue chaîne de la réaction de méthanisation. Sous certaines conditions, nous sommes en mesure de stopper cette réaction : il est alors possible de produire de l'hydrogène par fermentation à partir de biomasse et de déchets, surtout des sucres. Cette production d'hydrogène s'accompagne de coproduits de fermentation, valorisables notamment par la méthanisation ou par un procédé plus innovant, l'électrolyse microbienne : le processus est similaire à l'électrolyse classique, mais une partie de la réaction est réalisée par des micro-organismes, avec une moindre consommation d'électricité. La maturité de ces technologies est encore assez faible : nous construisons actuellement un pilote mobile de quelques centaines de litres avec un méthaniseur de 3 mètres cubes, pour lequel nous utilisons des biodéchets.

Nous travaillons également sur un autre projet, coordonné par Engie et financé par le programme d'investissements d'avenir (PIA) via l'Ademe : grâce à la fermentation de déchets, nous produisons de l'hydrogène, qui est ensuite injecté dans un méthaniseur, afin d'enrichir le biogaz pour convertir le CO2 résiduel en méthane.

Nous participons également à un projet européen pour la production de carburants aériens à partir de déchets. Là encore, la maturité de cette technologie est assez faible, loin d'une application industrielle.

M. Bernard Kurek. - Il nous faut gérer la diversité des biomasses utilisées dans les processus de transformation, qui vont des déchets urbains aux coproduits de l'industrie forestière. C'est un point essentiel de la recherche actuelle. Il est difficile de récupérer les données puis de les interpréter en vue d'obtenir des rendements intéressants. En tant que scientifique, je suis optimiste sur le long terme. La rupture technologique passera par une amélioration de ces procédés.

Dans le cadre des programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR), des projets importants, consacrés notamment aux conséquences de la mobilisation de la biomasse sur le cycle du carbone, ont été lancés. Les études sont en cours, mais elles dureront cinq ans. Au sein des villes, des études visent à récupérer tout ce qui est possible pour produire de l'énergie à petite échelle. À la campagne, des bioraffineries sont à l'étude. Les pistes se multiplient, mais elles obéissent toutes aux mêmes priorités : bioéconomie, circularité et sobriété. Par exemple, l'utilisation de matériaux issus de la biomasse améliorera l'isolation des logements, ce qui réduira la consommation d'énergie pour le chauffage.

M. Gérard Lahellec. - Merci pour vos éclairages, qui nous permettent de mieux comprendre la ressource mobilisable en matière de biomasse.

Parfois, nous constatons une tendance à considérer l'agriculture comme un sous-produit de l'environnement. Or sa raison d'être première reste de nourrir le vivant. Pourtant, l'opinion publique est plus sensible au développement des biocarburants qu'à la pérennisation des activités nourricières de l'agriculture. Je crains ainsi qu'une priorité ne soit accordée à la biomasse plutôt qu'aux productions agricoles utiles.

Dans mon département, les Côtes-d'Armor, la production de lait a chuté de 10 millions de litres en un an. Dans le même temps, je constate un développement de la végétalisation des terres, ce qui ne correspond pas à leur vocation initiale, d'où un déséquilibre agroécologique. Quid de la valorisation économique des productions alimentaires ? Cela me semble être l'une des pistes garanties permettant d'éviter ce type de dérives.

M. Philippe Mauguin. - Pour le moment, je pense que nous avons évité cette dérive dans notre pays. En Allemagne, entre 2000 et 2010, la décision de sortir du nucléaire a entraîné une hausse considérable des besoins en matière d'énergies renouvelables, d'où le développement de modèles économiques avec des prix de rachat du biogaz très élevés. La production de maïs a ainsi été détournée pour fournir les méthaniseurs, tellement les débouchés étaient rentables. L'alimentation devenait le coproduit de l'énergie. Il en allait de même aux Pays-Bas avec la chaleur produite par les serres de maraîchage. Le contexte n'est pas le même en France, car des bornes ont été imposées au développement de la méthanisation - les cultures à vocation alimentaire ne peuvent pas représenter plus de 15 % de la ressource d'un méthaniseur.

On a observé dans le même temps une envolée des prix des principales cultures agricoles, en raison à la fois de la guerre en Ukraine et de l'inflation, et une stagnation des prix du lait payé aux producteurs. C'est pourquoi certains agriculteurs ont considéré qu'il était préférable de réduire leur cheptel et de se lancer dans ce type de production. Selon moi, cette évolution résulte moins de l'espérance des agriculteurs dans les débouchés énergétiques de leur activité que de leurs doutes actuels quant à l'avenir des systèmes d'élevage.

Mme Nadia Sollogoub. - Ma question porte sur les plantes invasives : est-il envisageable de valoriser cette ressource végétale inexploitée dans une logique d'économie circulaire ?

M. Vincent Segouin. - L'Inrae explore-t-elle la piste des microalgues comme vecteur de production des biocarburants ?

Mme Béatrice Gosselin. - Les données que vous évoquiez tout à l'heure concernent-elles les déchets destinés à la production d'hydrogène et de méthane ?

M. Lucien Stanzione. - Les activités du CEA de Cadarache et les vôtres sont voisines : ce centre de recherche et l'Inrae ne pourraient-ils pas unir leurs forces pour avancer plus rapidement ?

La palette des solutions disponibles s'est étoffée : biomasse, biocarburants de première, deuxième ou troisième génération, hydrogène, tout-électrique... Pour éviter tout éparpillement des efforts, pourquoi ne pas choisir l'une de ces pistes et donner une ligne directrice à la recherche ? Cela serait profitable, me semble-t-il, à la fois aux établissements de recherche, aux usagers et aux sociétés privées.

M. Philippe Mauguin. - La stratégie de l'Inrae est parfaitement coordonnée avec celle du CEA, du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et des autres acteurs de la recherche.

Pour ne prendre que cet exemple, c'est le CEA et non l'Inrae qui mène des travaux sur les microalgues, et ce depuis plusieurs dizaines d'années maintenant. Cette technologie est très séduisante sur le papier, mais, en l'état actuel de nos connaissances, elle ne l'est pas tant que cela, notamment parce que son rendement est encore faible. Cela étant, le CEA a de telles infrastructures technologiques qu'il convient de soutenir cette initiative.

L'Inrae, de son côté, s'occupe davantage des carburants liquides issus de la biomasse, ainsi que de la méthanisation, du biogaz et de l'hydrogène. Permettez-moi à cet égard de souligner l'importance de l'Institut Carnot 3BCAR, dont le but est de coordonner l'ensemble des organismes de recherche travaillant sur la biomasse et de faciliter leurs relations avec les entreprises.

M. Luc Fillaudeau. - Les compétences de l'Institut Carnot 3BCAR sont en effet très étendues, puisqu'elles vont de la production de biomasse jusqu'à la bioraffinerie. L'un des instituts du réseau - il en existe trente-neuf au total - s'occupe plus spécialement des produits biosourcés pour la bioéconomie (P2B), ce qui permet de couvrir les deux champs que sont les biomolécules et les biomatériaux. L'Institut appartient aussi à l'Alliance pour les énergies à faible impact carbone (Efic) : dans ce cadre, il est le seul organisme à traiter des alternatives fondées sur l'utilisation de la biomasse.

En complément de la réponse de M. Mauguin sur les microalgues, j'ajoute que CEA coopère avec l'Institut Carnot 3BCAR à travers son laboratoire de physiologie cellulaire et végétale (LPCV), qui développe une approche encore plus fondamentale que l'entité que vous avez visitée à Cadarache, à travers notamment l'utilisation de biocatalyseurs et l'analyse à la fois de leurs avantages et de leurs inconvénients.

M. Philippe Mauguin. - Monsieur le sénateur Stanzione, vous vous demandez très légitimement pourquoi il n'existe pas de stratégie nationale en matière de recherche dans le domaine des bioénergies.

Paradoxalement, le secteur de l'énergie est à la fois réglementé et soumis à une forte concurrence. Aujourd'hui, plusieurs sujets font débat : je pense à la tarification et à la fiscalité des carburants ou au prix de rachat de l'électricité.

Je rappelle à ce titre que la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) a contribué à définir un cadre assez structurant. S'ajoutent à cela les discussions autour de la loi Énergie-climat et la SNBC.

Par ailleurs, la toute récente stratégie « France Nation verte » et la planification écologique permettront probablement de créer des référentiels pour l'ensemble des secteurs - les transports, le bâtiment, l'agriculture, l'industrie - en vue de la réduction de notre production de COà l'horizon 2050.

En outre, la loi de programmation sur l'énergie et le climat (LPEC) fixe des conditions et des tarifs de rachat, ce qui tendra à clarifier les perspectives de développement des différents opérateurs.

À l'heure actuelle, les biocarburants de première génération ont trouvé leur place sur le marché des transports routiers, situation qui ne devrait guère évoluer dans les dix prochaines années. L'énergie d'origine thermique disparaîtra progressivement au profit l'électrique ; pour les années 2030-2040, les prévisions sur la part des différents carburants utilisés par les véhicules individuels et routiers sont toutefois difficiles à établir.

Reste l'enjeu peut-être le mieux identifié par les pouvoirs publics et les divers acteurs, celui des jet fuels, notamment parce que les alternatives d'origine électrique ne sont pas encore suffisamment matures.

Mme Monique Axelos. - Il est très difficile d'anticiper l'évolution des technologies : d'ici 2050, certaines solutions issues de la biomasse seront opérationnelles, mais nous nous heurterons au problème de la disponibilité de ces matières organiques.

En parallèle, on s'aperçoit que l'hydrogène ou la capture de COsont des sources d'énergie qui commencent à être crédibles. Simplement, elles ne le sont pas assez pour un passage au stade industriel. Il existera demain un ensemble de solutions techniques qui auront vocation à se succéder.

Se posera également la question de la quantité d'énergie à produire pour satisfaire des besoins qui seront en forte hausse - qu'il s'agisse des jet fuels ou de l'électrique pour les véhicules légers et le transport de marchandises.

M. Luc Fillaudeau. - S'agissant du développement des biocarburants de deuxième génération, les enjeux se situent au niveau du prétraitement et de l'association d'opérations unitaires que l'on pense maîtriser, mais dont le couplage - entre chimie verte et biotechnologies par exemple - implique une certaine complexité.

Le monde de la recherche est confronté à une grande diversification des intrants et à la grande diversité de leur prétraitement - thermique, mécanique, chimique et/ou biocatalytique - pour l'obtention de la brique élémentaire, un sucre fermentescible qui sera réutilisé comme substrat par un autre biocatalyseur microbien, en vue de produire des molécules d'intérêt comme l'éthanol ou les molécules plateformes utilisées dans la bioraffinerie.

Cette situation nous a conduits à développer des techniques d'analyse et de caractérisation des intrants, de la manière dont on les obtient et dont on les transforme, qui doivent nous permettre de répondre aux défis que nous aurons à relever dans l'avenir.

M. Philippe Mauguin. - Pour répondre à Mme Sollogoub, et même s'il me semble que cela n'a jamais été fait, il est a priori tout à fait possible d'exploiter des mauvaises herbes ou des plantes invasives, dès lors que l'on parvient à en caractériser la composition. Cela étant, il faudrait que nous disposions de gisements de taille assez importante pour amortir les coûts engendrés en termes de recherche et développement et de transformation.

Mme Monique Axelos. - On peut tout imaginer : utiliser les mauvaises herbes, l'herbe au bord des routes et des voies ferrées, les algues vertes... En réalité, la difficulté est de récolter ces matières. Le problème que nous rencontrons avec la biomasse, par exemple, est que la ressource est territorialisée : il sera donc nécessaire d'adapter la solution au territoire concerné, ce qui est particulièrement complexe.

M. Lucien Stanzione. - Il y a un lien direct entre cette question et le débat actuel autour de l'exploitation des terres : celles-ci doivent-elles être utilisées pour des productions vivrières ou pour produire du carburant ?

M. Bernard Kurek. - En réponse à Mme Gosselin, je précise qu'il est indispensable de bien connaître la diversité des ressources exploitées pour être efficace, d'où l'intérêt de collecter un maximum de données, de les rassembler en vue de les utiliser correctement et de « modéliser ».

M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur. - Ma première question porte sur les biocarburants de deuxième génération : que manque-t-il à la France pour que cette filière soit compétitive ?

Certains opérateurs évoquent la nécessité de créer des mandats d'incorporation clairs pour mettre fin au manque de visibilité dans ce secteur : cela suffira-t-il ? Quelles suggestions pourriez-vous nous faire pour favoriser l'accélération de la décarbonation des secteurs des transports et de l'industrie ?

Dernière question : comment résoudre la question de la collecte des matières premières s'agissant de la biomasse ? Est-ce un obstacle véritablement difficile à surmonter ?

M. Gilbert-Luc Devinaz, président. - S'agissant de la filière bois, quels sont vos rapports avec l'Office national des forêts (ONF) ?

M. Philippe Mauguin. - Nous entretenons de très bons rapports avec l'ONF, ainsi qu'avec l'ensemble des opérateurs, que ce soit les propriétaires forestiers, le Centre national de la propriété forestière (CNPF) ou les communes forestières. L'Inrae a associé l'ensemble de ces acteurs dans un programme prioritaire de recherche sur l'avenir des forêts françaises face au dérèglement climatique, qu'il pilotera à la demande du Gouvernement. Les enjeux en la matière sont très importants.

Il est vrai cependant que nous manquons d'un grand programme de recherche centré sur les bioénergies. Il existe bien un programme de recherche que l'on copilotera avec l'Institut français du pétrole et des énergies nouvelles (Ifpen) sur la décarbonation, les processus de transformation de la biomasse et la production de biomolécules et de biomatériaux, mais ce ne sont pas les bioénergies en tant que telles qui sont visées, peut-être parce que les pouvoirs publics et les opérateurs considèrent que les technologies sont en bonne partie matures et que la rupture technologique concerne davantage aujourd'hui la filière de l'hydrogène.

Ainsi, il existe un programme prioritaire de recherche sur les batteries, les piles à hydrogène, l'électrolyse, mais pas sur les jet fuels et les biocarburants du futur pour le transport aérien.

La raison pour laquelle nous n'assistons pas à un réel décollage des biocarburants de deuxième génération en France tient probablement à l'absence de mandats d'incorporation obligatoire et au manque d'incitations propres à ces biocarburants. La compétitivité relative de la filière des biocarburants de seconde génération étant moins bonne que celle des biocarburants de première génération, celle-ci n'a pas encore trouvé sa place sur le marché.

Les mandants sont insuffisants : les acteurs estiment que le jeu n'en vaut pas la chandelle.

M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur. - L'état actuel des discussions au niveau de l'Union européenne montre une tendance à la hausse pour les mandats. Mais est-ce suffisant pour assurer une rentabilité économique ? Les raffineurs voudraient plus de visibilité et des mandats plus importants. Nous avons visité le site de La Mède : la transformation d'une raffinerie en bioraffinerie n'est pas une opération simple, malgré l'implication des personnels, que je salue.

M. Philippe Mauguin. - Les investissements sont en effet très élevés.

M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur. - Ceux-ci s'élèvent à plusieurs dizaines de milliards d'euros si l'on se conformait aux objectifs fixés. Qui en assumera la charge ? Telle est la question centrale.

M. Philippe Mauguin. - Deux choix sont possibles : des aides fiscales ou une prise en charge par le consommateur final.

M. Lucien Stanzione. - Nous disposons toujours de pétrole. Or on a plutôt tendance à ne rien vouloir changer dans le système, malgré l'existence de nombreux projets intéressants. Je crains que l'histoire ne nous rattrape.

M. Gilbert-Luc Devinaz, président. - Nous privilégions toujours notre confort. Cela dit, le temps nous est compté : le changement climatique est bien là, avec son lot d'événements extrêmes.

Je vous remercie pour votre participation et pour vos remarques.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 20 h 55.