Mardi 16 mai 2023

- Présidence de M. Rémy Pointereau, président -

La réunion est ouverte à 18 h 30.

Table ronde consacrée aux offices de l'eau dans les outre-mer

M. Rémy Pointereau, président. - Nous remercions les représentantes et représentants des Offices de l'eau dans les outre-mer de participer à cette table ronde à laquelle ont été invités les sénatrices et sénateurs d'outre-mer. Sont présents : Dominique Laban, directeur de l'Office de l'eau de la Guadeloupe, Faïçal Badat, directeur du développement durable des territoires adjoint auprès du directeur général de l'Office de l'eau de La Réunion, Myriane Inimod, directrice par intérim de l'Office de l'eau de la Guyane et responsable du pôle technique territorial, Michela Adin, directrice générale de l'Office de l'eau de la Martinique, Loïc Mangeot, directeur adjoint de l'Office de l'eau de Martinique et Olivier Kremer, directeur de la DEAL (Direction de l'environnement, de l'aménagement, du logement et de la mer) de Mayotte.

Les sénateurs membres de la délégation sénatoriale aux outre-mer ont également été invités à participer à cette table ronde, et nous saluons la présence de Stéphane Artano, président de la délégation et Micheline Jacques, sénatrice de Saint-Barthélemy.

L'objectif de cette audition est d'éclairer les membres de la mission d'information transpartisane sur la gestion durable de l'eau, constituée le 8 février dernier, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Je rappelle que cette mission est composée de sénateurs représentant l'ensemble des groupes politiques et devrait achever ses travaux au début du mois de juillet. Dans ce délai, il nous revient d'entendre les experts, parties prenantes et acteurs institutionnels de la politique de l'eau en France.

L'objet de notre mission ne se limitant pas au territoire métropolitain, les enjeux hydriques ultramarins sont également à prendre en compte qu'il s'agisse des spécificités liées à l'insularité, à l'absence dans certains cas de masses d'eau souterraines, à la forte exposition aux effets du changement climatique, à la vétusté ou au maillage insuffisant des réseaux de distribution d'eau, aux questions de salinité, voire à la pression démographique ou touristique.

Il s'agit d'évaluer la pertinence de la politique publique de l'eau menée dans les territoires d'outre-mer, tant au regard des aspects quantitatifs que qualitatifs. Les objectifs fixés sont-ils adaptés à la réalité ? L'accompagnement de l'État est-il suffisant ? Les instruments juridiques, organisationnels et financiers de la politique de l'eau sont-ils efficaces ? Le cadre institué par les grandes lois sur l'eau de 1964, 1992 et 2006 doit-il évoluer, notamment vers une différenciation accrue au bénéfice des outre-mer ? Quelles évolutions doivent-elles être enclenchées pour améliorer la gestion de l'eau dans ces territoires, au regard de leurs contraintes particulières ?

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Je vous propose en préambule de décrire les structures que vous représentez dans le cadre de cette audition et de nous apporter de premiers éléments de réponse ou commentaires aux questions que le Président vient de formuler. Dans un second temps, nous aborderons les interrogations plus précises qui vous ont été communiquées par un questionnaire.

M. Dominique Laban, directeur de l'Office de l'eau de la Guadeloupe -L'Office de l'eau de la Guadeloupe, présidé par Isabelle Amireille-Jomie, est un établissement public rattaché à la collectivité départementale.

Parmi les autorités organisatrices, on note la création, en 2021, du Syndicat mixte de gestion de l'eau et de l'assainissement de Guadeloupe (SMGEAG) ainsi que de la communauté de communes de Marie-Galante.

En ce qui concerne l'approvisionnement en eau potable, la principale difficulté à laquelle nous sommes confrontés tient à la vétusté du réseau, les conduites étant âgées de plus de 80 ans. Depuis la mise en oeuvre du Plan eau DOM, au cours des cinq dernières années, un important effort d'investissement a été fourni en faveur du renouvellement des canalisations et de la remise en état d'unités de production. Le récent passage de la tempête Fiona a fortement endommagé l'un des principaux réseaux alimentant la majorité des usagers de Grande-Terre, des Saintes et de la Désirade. En tout état de cause, l'état global du réseau appelle un renouvellement d'envergure.

Une augmentation significative des volumes d'eau potable prélevés est constatée depuis quelques années, conduisant à une surexploitation de la ressource disponible : 120 millions de mètres cubes d'eau sont prélevés annuellement, principalement au niveau des eaux superficielles et 50 % de ces prélèvements sont perdus en raison des fuites qui émaillent le réseau d'approvisionnement. Les eaux souterraines de Grande-Terre font également l'objet d'une surexploitation ; il en résulte un phénomène de salinisation observé par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) à l'échelle de plusieurs forages.

La ressource en eau est affectée par les effets du dérèglement climatique : une récente période de sécheresse a nécessité un apport supplémentaire en eau, principalement pour les agriculteurs de Grande-Terre. La politique d'irrigation, reposant notamment sur l'utilisation de barrages, mise en place par la collectivité départementale, a permis de répondre en grande partie à ce besoin en eau, mais les conséquences du changement climatique doivent nous amener à appliquer une gestion de l'eau beaucoup plus responsable. Actuellement, nous observons une multiplication des dispositifs de stockage des eaux pluviales et de l'eau potable ; de plus, l'achat de bouteilles d'eau représente un coût de plus en plus lourd pour les ménages, en particulier les bénéficiaires des minimas sociaux.

La Guadeloupe est par ailleurs confrontée à des problèmes de pollution, émanant, au premier chef, de l'utilisation de pesticides tels que le chlordécone, mais également de rejets industriels générés, notamment, par les producteurs de rhum et les distilleries. En outre, l'échouage de plus en plus important de sargasses impacte le milieu côtier.

Le Plan eau DOM prévoyait une enveloppe de 35 millions d'euros, qui s'est avérée insuffisante au regard des investissements à réaliser pour réhabiliter les dispositifs d'eau potable. Ce budget a été complété par un plan d'actions prioritaires que la région et le département ont piloté : celui-ci a permis une accélération de la rénovation du réseau d'approvisionnement, de la réparation des fuites et des renouvellements de compteurs d'eau. On enregistre donc des améliorations, qui ne s'étendent toutefois pas encore aux problèmes de non-conformité qui concernent 80 % des dispositifs d'épuration. La résolution de l'ensemble des dysfonctionnements constatés en matière d'eau potable, sans compter l'assainissement, nécessiterait un budget estimé à environ 800 millions d'euros.

L'Office de l'eau a apporté sa contribution aux travaux de rattrapage destinés à remédier à l'état de vétusté du réseau d'eau et d'assainissement ; ce dernier a fait l'objet d'un inventaire exhaustif qui a été mis à disposition du SMGEAG.

À l'heure actuelle, les ruptures d'approvisionnement en eau potable touchent majoritairement des populations de catégorie sociale défavorisée.

Mme Michela Adin, directrice générale de l'Office de l'eau de la Martinique. - Le fonctionnement de l'Office de l'eau de la Martinique est assuré par une équipe de 30 agents, sur la base d'un budget annuel d'environ 12 millions d'euros. Sa compétence s'étend à l'ensemble du territoire.

L'approvisionnement en eau potable n'est pas affecté par une raréfaction de la ressource et 99,9 % des Martiniquais ont accès à l'eau potable ; la consommation devra toutefois être ajustée, eu égard aux perspectives associées au changement climatique. Si la ressource est abondante, le taux de rendement du réseau, estimé à environ 40 %, est faible du fait de nombreuses fuites. Il en résulte un prélèvement en eau largement supérieur aux besoins réels de la population. En revanche, la consommation d'eau potable est en baisse : cette tendance sur le temps long reflète une évolution dans les habitudes des usagers.

La répartition géographique de la ressource en eau est inégale : elle est essentiellement localisée dans les parties nord et centrales de l'île, où se situent les principaux captages. Il est donc nécessaire d'acheminer l'eau jusqu'au sud de la Martinique, davantage peuplé que le nord. Parallèlement, la saisonnalité de la recharge est irrégulière : des périodes de sécheresse intense, de plus en plus longues, surviennent entre décembre et juin. En ce mois de mai, des seuils d'alerte sont déjà atteints.

Si la Martinique est convenablement équipée pour assurer l'assainissement, le niveau de performance et de conformité de ces installations doit être amélioré : seules 15 % des stations d'assainissement collectif satisfont les critères de conformité. On constate des défauts d'entretien ou encore des problèmes de sous-dimensionnement. Les dispositifs d'assainissement non collectif représentent 60 % du parc et 90 % d'entre eux présentent un problème de non-conformité dont la résolution requiert, pour les particuliers concernés, un investissement de 10 000 à 12 000 euros ; or, la majorité de la population ne peut assumer de telles dépenses.

Dans ce contexte, l'assainissement constitue la première cause de pollution des masses d'eau, en particulier côtières. Le SDAGE 2022-2027 fait de l'amélioration de l'assainissement une priorité. Outre les moyens financiers nécessaires, un travail de sensibilisation est à conduire auprès des usagers. Dans le cadre du dispositif de financement de l'assainissement aux particuliers (DFAP), l'Office de l'eau reçoit le soutien de la Caisse générale de sécurité sociale, de la Caisse d'allocations familiales (CAF) et de la Collectivité territoriale de Martinique (CTM) dans le but d'apporter une aide financière aux particuliers qui souhaitent réhabiliter leur dispositif d'assainissement.

L'utilisation du chlordécone dans les bananeraies constitue une seconde source de pollution des eaux martiniquaises. En plus des indicateurs exigés par la directive cadre sur l'eau (DCE), l'Office de l'eau surveille des données locales afin d'adopter une approche précise et territorialisée des pollutions auxquelles la Martinique est confrontée. Une attention particulière est portée au cas des distilleries qui sont incitées à modifier leurs pratiques.

Un groupement d'intérêt public a été constitué, à l'initiative de la CTM, pour lutter contre la prolifération des sargasses. L'Office de l'eau y prend part en contribuant au développement de la connaissance mais également à travers des financements.

La compétence eau est répartie, depuis 2017, entre trois établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) correspondant à un découpage nord-centre-sud du territoire. Cependant, ceux-ci ne disposent pas de moyens à la hauteur de leur besoin en investissement, bien que 85 % à 100 % des financements soient assurés dans le cadre du Plan eau DOM, du plan de relance et des dispositifs proposés par l'Office de l'eau. Les EPCI rencontrent en outre des problématiques d'ingénierie interne, les équipes techniques n'étant pas assez nombreuses, ce qui limite la mise en oeuvre d'une partie des projets.

M. Olivier Kremer, directeur de la direction de l'environnement, de l'aménagement, du logement (DEAL) et de la mer de Mayotte. - Mayotte ne possède pas d'Office de l'eau, la structure n'ayant pas encore été créée. Les missions afférentes sont donc réparties entre la DEAL, le syndicat mixte et l'Office français de biodiversité.

L'île connaît une situation de tension permanente sur la ressource en eau : cette dernière provient majoritairement des précipitations et dépend de la capacité des retenues collinaires. L'année 2023 est particulièrement critique : la saison habituelle des pluies s'est caractérisée par une très faible pluviométrie qui n'a pas permis la recharge des nappes ni le remplissage des retenues. Ces dernières ne sont remplies qu'à 40 %. La demande en eau potable étant supérieure à la ressource disponible, des « tours d'eau », ou coupures programmées nocturnes, sont instaurés plusieurs fois par semaine. Afin d'augmenter l'approvisionnement en eau potable, plusieurs leviers sont activés : recherche des fuites, optimisation des forages et accélération des investissements déjà identifiés dans une programmation pluriannuelle (2022-2026), destinés à la création de nouveaux forages, d'unités mobiles de traitement, d'une nouvelle usine de dessalement pour Grande-Terre ainsi que d'une troisième retenue collinaire. Un budget de 287 millions d'euros a été prévu en faveur des travaux liés à l'approvisionnement en eau potable pour la période 2022-2026.

Les installations d'assainissement affichent un retard quant aux obligations fixées par la directive Eaux résiduaires urbaines (DERU) pour les agglomérations de plus de 10 000 habitants. Le plan pluriannuel d'investissement (PPI) précité intègre donc un volet assainissement, pour 181 millions d'euros, dont l'objectif est de mettre en conformité avec la DERU les six agglomérations concernées.

La gestion de crise immédiate est centrée sur une répartition équitable et sur l'augmentation de la ressource en eau. À moyen terme, il est prévu de réviser la planification des investissements inscrits dans le PPI afin de mettre fin aux coupures programmées : il s'agit notamment d'accélérer le versement des financements destinés à l'usine de dessalement, dont la livraison était initialement prévue en 2026. Une première tranche permettant de produire 10 000 mètres cubes d'eau douce par jour devrait être achevée en juillet 2024.

M. Faïçal Badat, directeur du développement durable des territoires adjoint auprès du directeur général de l'Office de l'eau de La Réunion. - L'île de La Réunion, d'une superficie de 2 500 kilomètres carrés, compte 860 000 habitants et se situe en zone intertropicale, laquelle se caractérise par une forte pluviométrie : 7 milliards de mètres cubes d'eau de pluie arrosent le territoire en un an. Pour autant, en dehors de la saison des pluies, qui s'étend de décembre à avril et contribue à 80 % à la recharge de la ressource, l'île connaît une saison sèche de juin à octobre, voire novembre, durant laquelle l'accès à la ressource en eau peut localement atteindre une situation de tension.

Avec la mise en oeuvre de la loi NOTRe, le service public d'eau et d'assainissement, réparti jusqu'en janvier 2020 entre une vingtaine d'autorités organisatrices, est désormais assuré par les cinq communautés d'agglomérations de l'île. Les Offices de l'eau des DOM-TOM ont été créés 40 ans après l'entrée en vigueur de la loi de 1964 : leurs missions équivalent à celles des Agences de l'eau, mais s'articulent, dans ces territoires, de façon particulière avec les compétences d'autres structures. En l'occurrence, l'Office de l'eau de La Réunion est rattaché à la collectivité départementale.

L'île compte 394 000 abonnés à l'eau potable, 80 % de la population étant alimentés en délégation de service public, et environ 6 000 km de réseau affichant une moyenne de 60 % de rendement.

Un important effort a été fourni entre 2016 et 2021 en faveur de la potabilisation de l'eau : durant cette période, 18 des 26 unités actuellement en fonctionnement ont été créées.

Les travaux nécessaires au renforcement du réseau d'assainissement ont été principalement réalisés entre 2009 et 2015 : plusieurs stations d'épuration ont été créées ou réhabilitées. Le parc, comportant 16 stations, possède une capacité de traitement suffisante. L'assainissement collectif concerne 55 % de la population. Il existe donc, en parallèle, 175 000 dispositifs d'assainissement individuel dont 90 % présentent des problèmes de conformité ou de fonctionnement, ce qui constitue un risque significatif du point de vue sanitaire comme environnemental.

Il est à souligner que les compétences qui reviennent, sur le territoire métropolitain, aux comités de bassin et à l'OFB, sont confiées, à La Réunion, au Parlement de l'eau et de la biodiversité qui valide le PPI de l'Office de l'eau.

Les objectifs à atteindre en matière d'assainissement concernent l'amélioration des dispositifs individuels et l'augmentation du nombre de personnes raccordées au réseau collectif.

Sur les 12 aires d'alimentation de captage, 6 sont affectées par un problème de pollution.

Enfin, en matière d'ingénierie, la disponibilité des outils financiers est à souligner : des travaux ont été réalisés à hauteur de 500 millions d'euros sur une période de 6 ans. Néanmoins, la mise en oeuvre de certains projets est entravée par la structuration insuffisante des équipes ou de leurs compétences, que celles-ci touchent à l'eau potable, à l'assainissement ou à la gestion des milieux aquatiques. Ce constat concerne les collectivités comme les bureaux d'étude. C'est pourquoi nous travaillons avec les services de l'État, dans le cadre du Plan Eau DOM, afin d'établir des cursus de formation spécifiques.

Mme Myriane Inimod, directrice de l'Office de l'eau de la Guyane et responsable du pôle technique territorial. - La carte intercommunale de la Guyane est découpée en quatre EPCI, mais un seul d'entre eux exerce les compétences eau et assainissement. Un deuxième EPCI est compétent en matière d'assainissement non collectif.

Les prélèvements en eau annuels s'élèvent à 21 millions de mètres cubes pour l'alimentation en eau potable, et 90 % d'entre eux sont réalisés dans des captages de surface.

S'agissant de l'approvisionnement en eau potable, un seul exploitant historique fonctionne avec une délégation de service public et couvre 90 % du territoire, soit 18 communes. Les quatre communes restantes sont en régie.

Deux exploitants sont respectivement en charge des stations d'épuration et des réseaux d'assainissement.

Le budget de l'Office de l'eau s'élève à 3,4 millions d'euros issus des redevances et 1,4 million d'euros d'aides aux porteurs de projets. Un PPI a été voté pour une période de 7 ans et porte sur un budget total de 9,6 millions d'euros.

Dans la perspective du transfert des compétences, en application de la loi NOTRe, les EPCI ont lancé des études, lesquelles ont fait ressortir que la mutualisation au sein d'un service intercommunal ne se traduirait pas par une réduction des coûts. Celles-ci démontrent également que les redevances ne suffisent pas, dans le cas des communes isolées, à financer les services publics d'eau et d'assainissement.

Quatre projets d'envergure, dont les dossiers de consultation des entreprises sont finalisés, ne peuvent être amorcés faute de financements ; pour deux d'entre eux, cette situation s'explique par la modification des règles d'attribution des moyens alloués par l'OFB. Par exemple, la création de réservoirs de stockage n'est plus éligible.

L'Office de l'eau de la Guyane compte trois ingénieurs accompagnant les communes dans la réalisation de leurs projets eau et assainissement. Une étroite collaboration a été établie avec l'un des quatre EPCI : la Communauté de communes de l'Ouest guyanais (CCOG) qui réunit 8 des 22 communes de l'île.

En ce qui concerne l'assainissement, 90 % du parc d'assainissement non collectif est non-conforme ; un dispositif d'aides aux particuliers a été mis en place, à hauteur de 1,7 million d'euros, à l'intention des usagers de deux des quatre EPCI.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Je vous remercie pour ces présentations et états des lieux de la gestion de l'eau en outre-mer.

Pouvez-vous à présent nous fournir des indications sur les modèles économiques et financiers ainsi que sur les coûts au mètre cube de l'eau et de l'assainissement collectif ? Il serait par ailleurs intéressant, en écho aux problèmes d'investissement mentionnés, de chiffrer le décalage entre vos capacités de financements dans le cadre d'un PPI et les besoins constatés. Il conviendrait également de préciser, le cas échéant, les sources d'autres interventions financières.

D'importants niveaux de non-conformité, notamment en matière d'assainissement individuel, ont été pointés : quelle serait la trajectoire la plus adéquate pour diminuer ces taux ? Une mutualisation de certains coûts d'intervention est-elle envisageable, afin d'en abaisser le montant pour les particuliers concernés ?

Enfin, quelles propositions pourriez-vous formuler en vue d'améliorer la prise en charge des compétences eau et assainissement par les Offices de l'eau ?

Mme Michela Adin. - D'une part, la mise aux normes des installations d'assainissement non collectif doit être encouragée par une intense sensibilisation de la population quant à la pollution occasionnée, mais aussi des élus : ces derniers s'emparent progressivement de ce sujet alors que leurs préoccupations portaient davantage par le passé sur l'eau potable.

D'autre part, des solutions d'aide à la population à travers les aides sociales, le chèque énergie ou des réductions d'impôts doivent contribuer à cet effort de mise en conformité.

Enfin, il est souhaitable d'offrir aux EPCI un accompagnement dans la prise de compétences, en premier lieu en ce qui concerne l'entretien de l'assainissement non collectif. Parallèlement, les dispositions règlementaires en matière d'assainissement non collectif, qui sont assez strictes, s'appliquent à toute la France, alors que les territoires ultramarins sont équipés d'installations rustiques qui ne nécessitent pas systématiquement une réhabilitation totale. Une évolution de la législation pourrait être envisagée.

M. Dominique Laban. - Des appels à projets ont été lancés en direction des bailleurs sociaux en faveur d'une amélioration des systèmes d'assainissement collectif, avec des résultats positifs, même s'ils restent modestes.

Nous observons depuis cinq ans un effondrement du recouvrement des redevances - le total des créances s'élève à 55 millions d'euros. Malgré tout, l'Office de l'eau de la Guadeloupe inclut dans son budget une part réservée à la remise en conformité 14 stations d'épuration par l'opérateur unique existant sur le territoire.

S'agissant de l'assainissement non collectif, l'Office recherche des partenaires. Mais la CAF et la Caisse de sécurité sociale nous ont indiqué que leur maquette financière devait avant tout couvrir les actions destinées aux publics défavorisés.

Nous rencontrons de grandes difficultés qui tiennent à la combinaison de deux facteurs : on a une utilisation excessive de la ressource - 120 millions de m3 d'eau prélevés dont la moitié est perdu en fuites - et nous ne recouvrons que 40 % de nos factures. Nos redevances encaissées sont donc faibles. Notre système s'effondre et on essaie de le sauver en négociant avec le nouvel opérateur. Les opérateurs privés, par exemple sur Marie-Galante, payent les redevances, mais on a besoin d'en encaisser davantage.

Nos demandes sont les suivantes : les procédures gagneraient à être simplifiées et l'ingénierie qui fait défaut aux opérateurs gagnerait à être prise en charge de manière à accélérer la politique de rattrapage dans le rétablissement de la performance des réseaux et de dispositifs d'assainissement conformes afin d'endiguer la dégradation des milieux, qui s'amplifie.

M. Faïçal Badat. - Le prix du mètre cube eau potable et assainissement se situe entre 2,40 et 2,50 euros ; si ce coût peut paraître faible au premier abord, il doit être mis en regard de la situation socio-économique de La Réunion. De plus, celui-ci est amené à augmenter au gré des investissements programmés en faveur des unités de potabilisation.

La capacité de programmation du territoire équivaut à 450, voire 550 millions d'euros sur six ans tandis que l'estimation du besoin d'investissement, pour la même période, peut atteindre 1 milliard d'euros. Néanmoins, nous devons nous intéresser à ce que nous sommes capables de réaliser dans un temps imparti. À cet égard, une certaine agilité financière est souhaitable : par exemple, la fongibilité des quatre enveloppes du PPI de l'Office de l'eau permet une plus grande adaptabilité en cours d'exécution budgétaire.

Le PPI 2022-2027 intègre des opérations collectives destinées à la réhabilitation des dispositifs d'assainissement non collectif : bien que les maîtres d'ouvrage soient des particuliers, l'autorité organisatrice doit être impliquée dans le processus.

M. Olivier Kremer. - De nombreuses sources de financement sont mobilisables : outre les fonds proposés dans le cadre du programme européen en cours, de nouvelles enveloppes vont être associées aux contrats de plan État-Région. Des prêts délivrés par l'Agence française de développement sont également à citer, permettant d'initier certains projets prévus dans les PPI. Une fois ces financements mutualisés, il convient de ne pas les flécher trop précisément, de manière à pouvoir en mobiliser rapidement une partie.

Mme Micheline Jacques, sénatrice de Saint-Barthélemy - Je remercie chacune des personnes auditionnées pour la qualité de leurs interventions, à travers lesquelles je note, en premier lieu, une inquiétude quant à la raréfaction de la ressource en eau. Face à ce phénomène, envisagez-vous l'expérimentation de technologies innovantes de production d'eau potable ? Je pense, en particulier, à la captation de l'eau atmosphérique, très présente dans les territoires ultramarins du fait de l'importante hygrométrie qui caractérise leur climat.

Par ailleurs, pensez-vous qu'il serait pertinent d'élaborer en outre-mer des projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE) - dispositifs déjà mis en oeuvre à l'échelle métropolitaine ?

M. Faïçal Badat. - Le recours à de nouvelles techniques de production d'eau potable fait partie des solutions qui doivent être envisagées dès lors qu'une région est confrontée à une situation de stress hydrique ou à un accès insuffisant à la ressource - ce qui n'est pas le cas de La Réunion, hormis en période d'étiage. Au demeurant, de telles technologies comportent des inconvénients en matière de consommation énergétique.

J'identifie certaines limites à la mise en place de PTGE à La Réunion ; en effet, les autorités organisatrices en charge de la gestion de l'eau depuis 2020 n'exercent pas encore pleinement leur compétence, notamment en ce qui concerne l'animation territoriale. Cette dynamique s'instaure peu à peu : par exemple, l'Office de l'eau travaille conjointement avec les autorités organisatrices et les professionnels de l'agriculture pour améliorer la gestion des aires de captage prioritaires.

M. Olivier Kremer. - Nous avons étudié la possibilité de capter l'eau atmosphérique pour répondre en partie à la crise que rencontre l'île de Mayotte ; cette solution a cependant été écartée pour le moment, la production qui en découle étant limitée au regard des besoins du territoire. Les unités dont nous avons eu connaissance peuvent générer 180 000 litres d'eau en un an. Il est prévisible que cette technologie devienne plus performante ; en tout état de cause, celle-ci peut convenir à des besoins ponctuels.

S'agissant de l'efficience d'un PTGE, nous observons attentivement sa mise en oeuvre à l'échelle de la Corse.

M. Loïc Mangeot, directeur adjoint de l'Office de l'eau de Martinique. - En Martinique, le recours à des générateurs d'eau atmosphérique ne constitue pas une voie d'expérimentation, la ressource étant suffisante, la plupart du temps. Nous privilégions, dans un objectif de sobriété, les projets d'utilisation des eaux non conventionnelles, et notamment des eaux usées traitées (REUT), ainsi que les possibilités de récupération des eaux pluviales à l'échelle domestique ou des entreprises.

Dans le but de planifier la gestion de la ressource en eau, l'Office de l'eau de Martinique a développé un modèle de gestion combinant les facteurs liés aux conditions climatiques et environnementales avec les données propres aux infrastructures, tout en intégrant les besoins associés aux différents usages de l'eau. Ce modèle permet de simuler des scénarios d'aménagement, dans la perspective d'une aggravation des phénomènes de sécheresse, ainsi que de chiffrer les résultats qui seraient obtenus par l'amélioration du rendement des réseaux, les interconnections, la diversification des ressources... Il en ressort que la solution la plus efficace consiste à allier toutes les catégories d'intervention. Ce modèle est utilisé par les EPCI pour développer leur schéma directeur d'alimentation en eau.

Le coût du service d'eau en Martinique s'élève à 2,73 euros par mètre cube pour l'eau potable et à 2,71 euros pour l'assainissement. Nous n'avons donc plus de marge de manoeuvre pour trouver des recettes supplémentaires.

M. Stéphane Artano, président de la délégation aux outre-mer. - Je vous remercie, Monsieur le Président et Monsieur le rapporteur, d'avoir associé les membres de la délégation sénatoriale aux outre-mer à ces importantes réflexions sur la gestion durable de l'eau.

La politique de l'eau fait partie, dans les territoires ultramarins, des piliers à l'aune desquels les politiques publiques sont jugées et évaluées par nos concitoyens. La parole publique et la capacité d'action de certains élus sont remises en question, au regard des taux de rendement et de non-conformité.

Il ressort de la majorité des interventions des représentants entendus que, si les financements destinés aux opérations de réhabilitation et mise en conformité sont disponibles, les autorités organisatrices sont confrontées à une carence en ingénierie. Dans ces circonstances, il apparaît indispensable de bénéficier des compétences détenues par les opérateurs rodés à ce type d'exercice, y compris en dehors des territoires ultramarins. Ce sujet amène à interroger l'intervention de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) en outre-mer, dont le représentant est, dans la majorité des cas, le préfet des territoires sans qu'un service nouveau soit créé pour aider les petites collectivités qui souhaiteraient solliciter des expertises dont ils ne bénéficient pas en interne.

Au regard de ces constats, et dans la mesure où des schémas et PPI sont déjà constitués, il semble essentiel, en premier lieu, de généraliser une prise de conscience collective à l'échelle des élus ; la situation de certains territoires atteint un tel niveau de gravité que des défauts de conformité et des cas de pollution des sols pourraient être portés devant les tribunaux.

En second lieu, il est primordial de structurer l'ingénierie, ce en quoi le Gouvernement peut apporter un soutien aux collectivités.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Dans le cadre des travaux de cette mission d'information, nous allons nous saisir de ces sujets afin de formuler des propositions d'accompagnement des Offices de l'eau ultramarins dans l'accomplissement de leurs missions.

Tous les aspects de la gestion de l'eau dans les territoires d'outre-mer n'ayant pu être abordés au cours de cette table ronde, nous laissons le soin aux représentants interrogés de nous apporter par écrit des éclairages complémentaires.

M. Rémy Pointereau, président. - Je remercie les participants pour leur disponibilité.

La réunion est close à 20 heures.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Mercredi 17 mai 2023

- Présidence de M. Rémy Pointereau, président -

La réunion est ouverte à 14 heures.

Audition de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses)

M. Rémy Pointereau, président. - Nous avons le plaisir de recevoir aujourd'hui l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) dans le cadre des travaux de notre mission d'information sur la gestion durable de l'eau. Nous accueillons M. Matthieu Schuler, directeur général délégué du Pôle Sciences pour l'expertise, Mme Éléonore Ney, cheffe d'unité d'évaluation des risques liés à l'eau, M. Éric Vial, directeur de l'évaluation des risques, et Mme Sarah Aubertie, chargée des relations institutionnelles.

L'ANSES a pour mission principale d'évaluer les risques pour la santé et pour l'environnement que nous font courir les produits, les aliments et les pratiques. L'eau est une préoccupation forte pour l'ANSES qui vient de publier un rapport sur les polluants émergents dans l'eau potable. Nous cherchons aussi à évaluer les risques sanitaires liés à la réutilisation des eaux usées. Notre objectif de voir comment nous pouvons davantage réutiliser les eaux usées. En France, nous sommes à 0,6 %, voire 1 %, de réutilisation que l'Espagne est à 13 %, l'Italie à 20 % et l'Israël à 90 %. Nos échanges vont certainement être riches.

Notre mission d'information a été constituée à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain du Sénat, dont le rapporteur est Hervé Gillé. Comme mission transpartisane, elle comprend des sénateurs de toute sensibilité politique. Nous avons commencé les auditions au mois de février. Nous ferons des déplacements sur le terrain. Nous irons dans le Cher lundi prochain. Ensuite, nous irons dans les Deux-Sèvres. Nous avons prévu de rendre notre rapport au début du mois de juillet. Il est évident que vous pourrez nous envoyer une contribution écrite pour nous communiquer quelques éléments factuels. Vous avez reçu une liste de questions en amont de cette audition.

M. Matthieu Schuler, directeur général délégué du Pôle Sciences pour l'expertise. - L'ANSES vous remercie pour le temps que vous consacrez à ce sujet qui occupe une partie des personnels scientifiques et des experts de l'agence. L'ANSES travaille bien sûr avec ses propres équipes, mais aussi avec des experts du monde scientifique et des universités. Je serai très rapide dans ma présentation et nous apporterons une contribution écrite en complément à notre audition.

L'ANSES est une agence de sécurité sanitaire. Elle est sous la tutelle de cinq ministères : travail, agriculture, santé, environnement et protection des consommateurs. Notre préoccupation est de réunir l'ensemble des connaissances scientifiques au service de la sécurité sanitaire. Nous mettons en oeuvre différents métiers. Les métiers de recherche et de référence représentent la moitié des effectifs de l'agence. S'inscrit ainsi dans ce cadre le laboratoire d'hydrologie de Nancy, qui a produit le rapport que vous évoquiez en introduction et qui travaille sur le contrôle des eaux et la prospective. Un deuxième métier de l'ANSES est l'expertise, visant à formuler des avis en appui aux décideurs de politiques publiques. Nous exerçons aussi des missions de vigilance dans différents domaines pour capter des signaux, au-delà de l'analyse de la littérature scientifique, qui méritent attention, action ou réaction des acteurs publics. Nous menons enfin des missions de prise de décision individuelle dans le domaine de produits phytopharmaceutiques et des biocides.

L'eau est un sujet par essence transversal. Avec l'air et le sol, il est l'un des trois milieux avec lesquels l'être humain est en contact permanent. L'eau est à la fois un milieu très mobile, mais aussi un milieu d'accumulation, comme les sols. Nous avons à coeur d'adopter une approche globale en matière de santé. Quand des molécules chimiques, des agents microbiologiques ou des agents physiques viennent interagir avec l'humain, les animaux ou les végétaux, il est difficile de savoir si quelle est la source de cette interaction : activité professionnelle ou exposition environnementale.

L'ANSES est en appui du ministère de la santé sur les problématiques de réutilisation des eaux usées traitées. D'une manière plus large, l'agence est souvent mobilisée par ses ministères de tutelle, dès qu'il s'agit de circularisation de l'économie. Qui dit recirculation, dit potentiellement concentration de certains facteurs de risque. La pression s'est accentuée pour réutiliser les ressources naturelles. On nous pose la question des moyens, des précautions et à des points d'attention pour que ces usages de réutilisation soient sécurisés.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Notre mission s'inscrit dans un contexte particulier, après une sécheresse estivale en 2022, nous avons connu une sécheresse hivernale et nourrissons de fortes interrogations sur l'été 2023. Ces sécheresses engendrent des concentrations plus importantes de polluants. Des questions de fond se posent aujourd'hui. Pouvez-vous nous donner des éléments de réponse sur la concentration des polluants dans nos eaux ? Les champs captant soulèvent aujourd'hui des problématiques de pollution, ce qui conduira sans doute demain à mettre en oeuvre des protections plus fortes. Le sujet du S-métolachlore est préoccupant. Pouvez-vous nous donner des éléments d'explication, puisque ce sujet fait débat aujourd'hui ? Les rapports de force sont de plus en plus conflictuels sur le sujet de l'eau. Concernant la réutilisation des eaux usées, le Plan eau en fait un axe important, dont nous comprenons les objectifs. Mais quelle est votre vision au niveau des usages possibles? Certains usages industriels et agroalimentaires peuvent poser question. L'approche des Agences régionales de santé (ARS) est aujourd'hui très prudente. L'absence d'avis conforme des ARS empêche concrètement la réutilisation des eaux usées. Sur les stratégies de stockage de l'eau, nous observons également des expérimentations en termes de recharge de nappes. Quels sont vos travaux en la matière ?

M. Éric Vial, directeur de l'évaluation des risques. - L'ANSES a récemment pris une décision de ne plus autoriser l'utilisation du S-métolachlore. Pour rappel, le S-métolachlore est la substance herbicide la plus utilisée en France. Depuis de nombreuses années, elle était largement détectée dans les prélèvements des contrôles sanitaires. La direction générale de la santé (DGS) nous a saisis en 2021 sur cette substance. Nous avons alors déclenché un processus en trois étapes. Le premier processus, engagé dans le cadre de la phytopharmacovigilance, c'est-à-dire du suivi post-autorisation de mise sur le marché, nous avons analysé l'importance des contaminations. En 2021, nous avons rendu un rapport sur cette substance qui concluait, effectivement, à une présence importante du S-métolachlore dans tous les types d'eau. Dans une seconde étape, la direction en charge des autorisations de mise sur le marché de l'ANSES s'est saisie du sujet pour ajuster les conditions d'emploi de la substance afin de diminuer les risques sanitaires. Enfin, nous avons engagé une réévaluation de l'autorisation en prenant en compte ces modifications d'emploi. En suivant la méthodologie européenne, la direction a conclu que les critères d'acceptation n'étaient pas atteints même avec ce réajustement des emplois. En effet, les concentrations de substance dans les eaux souterraines étaient supérieures au critère d'acceptabilité européen, d'où la conclusion d'interdire la substance.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Depuis combien de temps la substance avait-elle été déclarée dangereuse et cancérogène ?

Mme Éléonore Ney, cheffe d'unité d'évaluation des risques liés à l'eau. - De mémoire, à la fin de l'année 2022. La décision de classer la substance comme cancérogène probable pour l'homme est récente.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Cette décision-là a sans doute engendré des restrictions plus importantes. Autrefois, la substance n'était pas considérée comme cancérogène.

Mme Éléonore Ney. - Tout à fait. Au regard des évaluations, ce sont davantage des problématiques de contaminations des métabolites, c'est-à-dire des sous-produits générés par la substance, ce qui induit des risques pour l'environnement et la santé publique vis-à-vis de la qualité de l'eau potable.

M. Rémy Pointereau, président. - Suivons-nous les mêmes normes que les autres pays européens ?

M. Matthieu Schuler. - La précédente autorisation de la substance datait de 2005. À cette occasion, elle n'était pas classée comme cancérogène. Ces classements, s'ils sont avérés, c'est-à-dire de niveau 1, entraînent une interdiction de la substance. Aujourd'hui, la substance est cancérogène probable, donc de niveau 2. Ce n'est pas cet élément qui conduit l'agence à retirer le produit, mais le taux de transfert vers l'environnement, malgré la restriction des usages, qui est trop important. Ce taux de transfert ne respecte pas les critères européens. Ces derniers datent de 2010. Évidemment, être une substance cancérogène probable renforce la décision d'interdire la substance active.

Les autres pays européens appliqueront ces critères de manière homogène une fois que la Commission européenne aura pris position sur la base du rapport de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). Le rapport de l'EFSA conduit aujourd'hui au même constat : le problème principal qui explique la non-conformité de la substance, c'est son taux de transfert trop important vers les eaux souterraines.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Par contre, le taux de transfert n'étant pas avéré dans d'autres pays, la France est le premier pays à interdire cette substance. Ce n'est pas très clair. Quelle est la liaison avec la réglementation REACH sur ce sujet ?

M. Matthieu Schuler. - Dans un processus d'autorisation, le taux de transfert est modélisé grâce à un calcul. Ce dernier est identique pour tous les pays sauf en cas de différences importantes de climat. Pour l'Europe, l'EFSA fait le même constat que nous sur le taux de transfert de la substance. Finalement, en France, nous avons détecté plus tôt ce signal de phytopharmacovigilance, car nous avons sans doute des contrôles plus denses et plus suivis.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - S'il est avéré que dans d'autres pays européens le taux de transfert est aussi important, la même réglementation devrait s'appliquer concernant l'usage.

M. Matthieu Schuler. - Je pense même que la réglementation devrait s'appliquer dès la finalisation du processus de décision européen. L'EFSA a rendu ses conclusions en février. Elle passe le relais à la Commission européenne pour prise de décision.

M. Éric Vial. - Ce qui conduirait à une interdiction totale au niveau européen.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Oui, et la France peut être précurseur sur ce sujet.

M. Matthieu Schuler. - À ma connaissance, nous sommes le seul pays européen à disposer d'un mécanisme de phytopharmacovigilance.

Mme Éléonore Ney. - Tout à fait. Au niveau de la surveillance de la qualité de l'eau potable, qui prend en compte le contrôle réglementaire des ARS, nous sommes également l'un des pays européens qui recherchent le plus les substances actives et de métabolites. Cela nous permet de faire un état des lieux très complet sur la contamination des eaux.

M. Matthieu Schuler. - Concernant la réglementation REACH, elle coexiste avec celle des substances actives utilisées dans les produits chimiques ou dans les biocides. Certains produits sont soumis à autorisation. Nous ne pouvons pas les utiliser avant qu'ils n'aient été analysés et autorisés. Le règlement REACH, pour les substances chimiques en général, est différent. Là aussi, les industriels ont la responsabilité d'apporter des données sur les caractéristiques de danger et de toxicité des substances. Mais, aucune contrainte d'autorisation n'est imposée. L'Agence européenne des produits chimiques (ECHA) et l'EFSA coopèrent seulement pour classer les dangers des substances, comme cela a été le cas pour le reclassement du S-métolachlore.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - La réglementation européenne est en cours de redéfinition. Doit-elle aboutir avant les élections européennes ?

M. Matthieu Schuler. - Le premier règlement dit CLP pour Classification Étiquetage Emballage, a bien engagé son évolution, notamment sur l'intégration de nouvelles classes de danger comme la perturbation endocrinienne. Par contre, le règlement REACH est encore en réflexion. Je ne connais pas le calendrier des discussions au niveau européen.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Nous nous sommes aperçus que le spectre d'observation était différencié en fonction des ARS, ce que nous pouvons comprendre dans une approche territoriale compte tenu des usages industriels et agricoles existants. Néanmoins, nous n'arrivons pas à déterminer ce qui explique les choix de chacune des ARS. Avez-vous des éléments d'informations ? Existe-t-il des process d'évolution ou des plans de contrôle sur le choix des molécules observées ?

M. Éric Vial. - Il est difficile de se prononcer à la place des ARS. Il existe une figure imposée au niveau du contrôle sanitaire, mais chaque ARS peut la compléter compte tenu de l'environnement.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Comment ce choix est-il opéré ? Existe-t-il un comité scientifique ?

Mme Éléonore Ney. - Non. Au niveau national, via une instruction de la DGS, il existe des critères communs à toutes les ARS à prendre en compte pour l'élaboration des listes. Il est probable de retrouver dans le milieu environnemental différentes molécules. Ensuite, chaque ARS est responsable d'élaborer cette liste en lien avec les laboratoires d'analyse puisqu'elles sont dépendantes des capacités d'analyse et de la métrologie.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Si l'ARS ne dispose pas des compétences pour rechercher certaines familles, elle ne le fait pas ?

M. Matthieu Schuler. - Les agréments des laboratoires sont prononcés au niveau national. Ensuite, les ARS ont la capacité d'aller chercher la compétence auprès de n'importe quel acteur. Ce sont des marchés publics. Là où il pourrait en effet y avoir une impasse, ce serait sur des molécules nouvelles.

Mme Éléonore Ney. - Les listes sont désormais très longues. Des centaines de molécules sont recherchées à chaque fois dans le cadre du contrôle sanitaire.

M. Ludovic Haye. - Une de vos missions consiste à évaluer les risques liés à diverses pratiques dans les zones de protection de captage. Or, la diminution du nombre de captages progresse. Avons-nous failli quelque part ?

M. Daniel Breuiller. - Où en sont les études sur les effets cocktails des molécules ? Qu'en est-il de l'osmose inverse basse pression ?

M. Éric Vial. - Sur les captages, nous évaluons les risques, apportons des compléments et prenons des positions. Nos conclusions finales portent sur les risques de contamination des captages du fait de l'environnement. Nous évaluons les risques mais nous ne fermons pas les captages. La fermeture constitue une mesure de gestion qui n'est pas de notre ressort.

M. Ludovic Haye. - De nouvelles situations se mettent en place avec notamment des fermes de panneaux photovoltaïques. La presse s'empare du sujet. Est-ce une source de pollution ? Cette situation va-t-elle aggraver la diminution des captages sur le territoire ? Je rappelle que 34 000 captages produisaient auparavant 18 millions de mètres cubes d'eau potable, ce qui n'est pas négligeable. Aujourd'hui, nous nous approchons de plus en plus de 32 000 captages. Observez-vous cette décroissance ? Allez-vous renforcer vos services, même si vous ne décidez pas de ces fermetures ?

Mme Éléonore Ney. - Nous ne pouvons pas avoir la remontée de tout ce qui se passe sur le terrain. Je ne peux pas m'engager sur notre vision nationale et globale. Nous observons des situations par le truchement des dossiers locaux que nous traitons. Nous pouvons être amenés à être sollicités mais ce n'est pas une obligation. Au cas par cas, le préfet décide que l'avis de l'ANSES est requis sur un projet local. Dans le cas des projets dans des périmètres de protection des captages, nous sommes attentifs à l'ajout d'une installation qui ne serait pas réglementée, à son impact potentiel sur la qualité de l'eau, à la dégradation de l'eau et à son risque environnemental. Nous n'avons pas émis de position nationale. Il nous faudrait un plus grand nombre de retours d'expérience pour faire ressortir une ligne directrice globale et des points d'attention particuliers.

M. Matthieu Schuler. - Nous sommes saisis quand les acteurs veulent continuer à utiliser un captage malgré sa contamination. Ces autorisations exceptionnelles sont confiées à l'agence. Au-delà des actions menées pour restaurer la qualité de l'eau dégradée, nous réfléchissons à investiguer d'autres captages. Par le passé, nous n'avons pas été suffisamment larges dans le dimensionnement des aires de protection. Sur le sujet des panneaux photovoltaïques, nous avons effectivement été missionnés pour examiner une situation particulière. Notre avis est public. La conclusion des experts affirmait qu'il y avait peu de risques de contamination, donc il était possible d'installer ces équipements.

Sur l'effet cocktail, nous avons des procédures très précises pour examiner chaque facteur de risque, sa toxicité et sa valeur de référence sanitaire. C'est plutôt du domaine de la recherche de savoir si deux substances utilisées côte à côte produisent un effet de synergie, dit aussi « effet cocktail ». Cet effet n'est pas si fréquent. En revanche, les scientifiques additionnent entre eux les facteurs de risques simultanés. Dans le domaine des eaux, la somme de tous les pesticides ne doit pas dépasser 0,5 ug/litre. La réglementation a donc déjà posé un jalon de prudence. Nous poursuivons nos travaux de recherche, au sein de l'agence et dans le cadre du projet européen dénommé Partenariat européen pour l'évaluation des risques liés aux substances chimiques (PARC) pour 400 millions d'euros sur 7 ans, afin de mieux évaluer les facteurs de risques chimiques sous l'angle de l'effet cocktail.

M. Rémy Pointereau, président. - La France est en retard sur la réutilisation des eaux usées. Est-ce vraiment lié aux autorisations sanitaires ?

M. Éric Vial. - La réutilisation des eaux non conventionnelles, face aux pressions actuelles sur la ressource, est un levier important à activer. Il est un moyen de répondre à une attente très forte en termes de qualité et de quantité. La réutilisation est inscrite dans le Plan eau du Gouvernement. Une mesure vise à maximiser la valorisation des eaux non conventionnelles. L'ANSES souhaite que les risques liés à cette réutilisation soient maîtrisés pour garantir la sécurité sanitaire. Plusieurs de nos travaux sont en cours, notamment pour l'irrigation des espaces verts et des cultures, pour l'industrie agroalimentaire ou encore les usages domestiques. Il peut arriver que nous concluions que les risques ne sont pas suffisamment maîtrisés pour autoriser un usage spécifique.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Où trouvons-nous ces informations ?

Mme Éléonore Ney. - L'utilisation des eaux usées traitées, pour les productions agricoles et l'arrosage des espaces verts, est permise en France depuis 2010, de même que l'utilisation des eaux de pluie pour un certain nombre d'usages. Depuis peu, le cadre réglementaire s'élargit pour permettre l'utilisation d'autres eaux non conventionnelles comme les eaux ménagères ou les eaux de process pour tout type d'usage, qu'il soit urbain ou domestique. Les approches sont variées. L'ANSES est saisie en amont de l'élaboration de l'édifice réglementaire. Cela a été le cas pour les eaux usées traitées, les eaux grises et les eaux de pluie. Dans les faits, nous nous heurtons à des difficultés de disponibilité des données. Chaque cas est particulier. La volonté actuelle est d'utiliser plusieurs eaux pour des usages très variés. Nous ne pourrons pas avoir un avis général sur tous ces usages. Pour autant, nous observons des points d'attention en termes de maîtrise des risques, notamment sur la conformité de la qualité de l'eau à l'usage prévu. Pour ce faire, nous devons connaître la qualité de l'eau en amont. Seul le porteur de projet dispose de cette information pour identifier les dangers, caractériser les risques et proposer des traitements afin d'aboutir à une eau compatible avec l'usage.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Certains pays sont en pointe sur ce sujet. Ils ont déjà traité ces questions. Comment la montée en conscience scientifique nous permet-elle de consolider notre propre système ? Nous avons le sentiment que la France crée des impossibilités de mise en oeuvre.

M. Matthieu Schuler. - De nombreux progrès en santé ont été réalisés grâce à l'amélioration globale de la qualité des eaux. Aujourd'hui, les consommateurs ont l'habitude d'avoir une eau de qualité, mais celle-ci commence à manquer. Nous devons trouver de la ressource ailleurs et l'utiliser pour des usages moins exigeants. Nous sommes souvent confrontés à un manque de données. Nous demandons des données convaincantes. D'autres pays ont peut-être réussi à construire ce mécanisme de réutilisation, mais les avis manquent souvent de données. Finalement, les porteurs de projet visent à récupérer de la capacité en eau, mais ils doivent apporter des éléments solides en soutien de cette déclaration d'intention.

Mme Éléonore Ney. - L'évolution des pratiques s'observe partout dans le monde. Certains pays connaissent des sécheresses et des manques d'eau depuis de nombreuses années. Ils ont anticipé la situation. Je ne suis pas certaine que la problématique réside uniquement dans les alertes. L'appétence à pouvoir mettre en place ces nouvelles technologies doit être généralisée. Par exemple, dans le transport de l'eau, la question de la pérennité de la qualité de l'eau est un point d'attention régulier. Sans exposition à l'homme, le risque est limité. Le porteur de projet est celui qui est le même à même de proposer des solutions. Nous ne sommes pas sollicités sur tous les projets.

M. Ludovic Haye. - Nous savons que les acteurs de l'eau sont multiples. Selon vous, l'organisation actuelle est-elle la plus efficiente ? Les élus locaux ne savent pas toujours qui est responsable sur ces sujets.

M. Matthieu Schuler. - L'ANSES n'a pas de difficulté à relever de cinq ministères. Cela est normal compte tenu de la largeur de notre champ d'action. Ils peuvent être amenés tour à tour à être notre commanditaire. Au niveau local, je ne sais pas. Nous traitons actuellement un projet de texte pour la réutilisation des eaux dans les industries agroalimentaires. Ce sujet concerne au moins deux services de l'État autour du préfet, les ARS et les directions régionales de l'agriculture. Dans ce cas, il est primordial que ces services interagissent pour la démarche d'identification des risques. Les industries agroalimentaires doivent dorénavant intégrer des eaux de différentes qualités dans leur process. Cela peut nécessiter une interaction étroite entre les services locaux.

M. Éric Vial. - Sur l'osmose inverse basse pression, nous n'avons pas eu à examiner ce dossier.

Par rapport aux fuites de réseau, nous constatons aujourd'hui plus de 20 % de fuites. Lutter contre ces fuites est essentiel.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - La question portait sur l'angle qualitatif.

M. Éric Vial. - Les fuites en elles-mêmes ne sont pas un facteur de dégradation de la qualité, mais l'utilisation des produits de colmatage pour la réparation peut être un facteur de dégradation de la qualité.

M. Rémy Pointereau, président. - Je vous remercie pour cet échange.

La réunion est close à 15 heures.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.