Mardi 13 juin 2023

- Présidence de M. Gilbert-Luc Devinaz, président -

La réunion est ouverte à 13 h 30.

Audition de Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique

M. Gilbert-Luc Devinaz, président. - Nous poursuivons les travaux de notre mission d'information sur le développement d'une filière de biocarburants, carburants synthétiques durables et hydrogène vert en recevant ce midi Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique. Je rappelle que cette réunion est captée et diffusée en direct sur le site Internet du Sénat, sur lequel elle pourra ensuite être consultée en vidéo à la demande.

Madame la Ministre, notre mission d'information comprend des membres issus de différentes commissions, qui représentent l'ensemble des groupes politiques du Sénat. Le développement des filières de biocarburants, de carburants synthétiques durables et d'hydrogène vert représente un enjeu important pour permettre à la France et à l'Union européenne d'atteindre l'objectif de neutralité carbone à l'horizon 2050, mais aussi pour notre souveraineté et la compétitivité de notre économie. Nous avons suivi les batailles que vous avez menées au niveau du Conseil de l'Union européenne pour faire prendre en compte de manière adaptée la production d'hydrogène ou de carburants de synthèse produits à partir d'électricité nucléaire. Si l'on veut atteindre les objectifs ambitieux que l'Union et les États membres se sont fixés au travers de la loi européenne sur le climat et du paquet « Ajustement à l'objectif 55 », il nous semble qu'il faut actionner tous les leviers d'énergie décarbonée. Si nous ne le faisons pas, nous nous trouverons dans une impasse et nous serons condamnés à des importations massives d'énergie, alors que nous avons la possibilité de renforcer notre souveraineté énergétique. La capacité à produire suffisamment d'électricité est un défi majeur. De même, nous ne devons pas être naïfs vis-à-vis de nos partenaires et néanmoins concurrents. Les États-Unis, la Chine, mais également de nombreux acteurs se mobilisent et déploient des moyens importants. Nous ne pouvons l'ignorer. Nous souhaitons évidemment avoir votre perception de ces différents enjeux et de notre capacité à développer des filières industrielles performantes, cohérentes et économiquement viables.

Notre rapporteur, Vincent Capo-Canellas, vous a adressé un questionnaire qui peut vous servir de guide, mais vous pouvez naturellement introduire votre propos comme vous l'entendez. Je passerai ensuite la parole à notre rapporteur puis à l'ensemble de mes collègues, afin qu'ils puissent vous relancer et vous poser un certain nombre de questions. Vos services pourront transmettre ultérieurement des réponses écrites à la mission.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique. - Merci beaucoup pour votre invitation. En tant que ministre de la transition énergétique, je porte l'ambition fixée par le Président de la République d'atteindre la neutralité carbone d'ici 2050, ce qui permettra à la France d'être l'un des premiers grands pays industriels à sortir des énergies fossiles. Cela ne va pas de soi, contrairement aux idées reçues, car plus de 60 % de notre consommation d'énergie est aujourd'hui d'origine fossile avec des importations qui pèsent sur notre balance commerciale.

Sortir du gaz et du pétrole est donc à la fois un impératif climatique, économique, énergétique et géopolitique. Afin d'y parvenir, la Première ministre en charge de la planification écologique a présenté le 22 mai dernier la trajectoire de décarbonation de notre pays. Celle-ci implique d'accélérer l'effort déjà engagé dans tous les secteurs et concerne en premier lieu celui des transports, qui représente aujourd'hui 30 % de nos émissions. Comme votre mission l'a constaté, la tâche est ardue : les émissions de ce secteur devront baisser d'environ 42 millions de tonnes de CO2 pour passer d'environ 130 millions de tonnes aujourd'hui à 85 ou 87 millions de tonnes en 2030. Cela implique de jouer sur tous les leviers à notre disposition : la sobriété énergétique, en roulant moins vite et moins souvent, le report modal, le covoiturage, l'efficacité des véhicules, la décarbonation de l'énergie qu'ils utilisent et le fait de privilégier des modes de transport en commun plutôt que le transport individuel.

Tout doit être mis en oeuvre pour réduire la consommation de carburant qui représente, en 2022, 42 millions de mètres cubes de diesel et de gazole non-routier (GNR), 13 millions de mètres cubes d'essence, 8 millions de mètres cubes de kérosène et 2,5 millions de mètres cubes de carburant maritime, pour un total d'environ 650 TWh - soit une puissance supérieure à celle de notre production d'électricité - dont la majorité provient du pétrole. Pour y parvenir, nous devons en priorité réduire la consommation par la sobriété et l'efficacité : je fais observer que dans un contexte de prix de l'énergie élevés, permettre aux ménages de réduire leur consommation de carburant se traduit directement par une réduction de leur facture.

L'autre levier est l'utilisation d'alternatives aux technologies fossiles à savoir les biocarburants ou les carburants de synthèse. Cette solution ne s'oppose pas - bien au contraire - à la diminution de la consommation de carburant, à la réduction de la taille des véhicules ou encore à l'électrification directe dans les secteurs où cela est possible. Comme vous l'avez indiqué dans votre propos liminaire, Monsieur le Président, toutes les énergies décarbonées doivent être utilisées au service de la neutralité climatique.

La politique française de soutien aux biocarburants remonte aux années 2000 : initialement perçue comme un soutien à la création de débouchés pour nos filières agricoles, elle est aujourd'hui l'un des leviers pour atteindre nos objectifs de production d'énergies renouvelables. Un sujet qui a rapidement émergé est celui de la concurrence avec l'alimentaire. Ce débat me paraît avoir été tranché autour d'un compromis équilibré qui prévoit le maintien à ce stade des niveaux de 2022 - plus ou moins 1 %, - avec un plafond maximum de 7 % de l'énergie fournie au secteur des transports. S'y ajoute l'exclusion en France de matières critiques comme l'huile de palme ou ses dérivés ainsi que du soja. Ce plafond est inscrit dans le droit européen, le code de l'énergie, le code des douanes et dans notre stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée. À ce stade, il donne une bonne visibilité aux acteurs et il n'y a pas lieu de le modifier à court terme, ni à la hausse ni à la baisse. La France a été le premier pays à exclure l'usage d'huile de palme ou de soja avant d'être suivie par ses voisins.

Par ailleurs, en France, le dispositif de la taxe incitative relative à l'utilisation de l'énergie renouvelable dans les transports (TIRUERT) a fait ses preuves et a permis, depuis une dizaine d'années, la structuration d'une filière biodiesel et bioéthanol. Aujourd'hui, la TIRUERT verte s'élargit progressivement à l'hydrogène, en particulier celui utilisé pour le raffinage des carburants, ainsi qu'aux carburants de synthèse, pour contribuer à l'émergence de ces filières. Je vous rappelle les objectifs d'incorporation : 9,5 % dans l'essence, 8,6 % dans le diesel et 1 % dans le kérosène. Ils augmenteront en 2024 à 9,9 % dans l'essence, 9 % dans le diesel et 1,5 % dans le kérosène. Nous avons donc une trajectoire claire d'incorporation croissante pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre.

Un des fils conducteurs de nos politiques de décarbonation est la question du coût, tant pour les industriels que pour les consommateurs. Les carburants alternatifs coûtent par nature plus cher que le pétrole, sinon ils auraient déjà remplacé les carburants fossiles. C'est vrai pour la première génération de biocarburants et plus encore pour les biocarburants avancés, dont le prix est de trois à quatre fois supérieur au fossile, voire six à huit fois plus cher pour le kérosène de synthèse. Au fur et à mesure de l'augmentation des objectifs d'incorporation, le surcoût pourrait s'accroître. Dans certains secteurs, il peut être supporté par le consommateur final plus facilement que dans d'autres. Par exemple, le carburant E85 est beaucoup moins cher à la pompe que l'essence parce que les pouvoirs publics ont choisi de le subventionner fortement, sans quoi son coût serait plus élevé. L'avantage fiscal de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) en 2022 pour le carburant E85 par rapport à l'E10 - y compris en tenant compte de la différence de contenu énergétique qui se traduit par une surconsommation de 25 % en volume de E85 - s'élève à environ 350 millions d'euros et, avec la croissance des volumes, ce coût va continuer à augmenter. C'est un enjeu clé que nous devons garder en mémoire dans notre politique en matière de biocarburants.

S'agissant de notre trajectoire de décarbonation, je rappelle que chaque type de transport a ses spécificités, même si l'électrification reste la solution la plus efficace sur le plan climatique. Je précise que la fabrication de certains types de carburant à partir d'électricité s'accompagne d'une perte d'efficacité énergétique et qu'il est de ce point de vue préférable d'utiliser directement l'électricité. À cet égard, nous devons nous conformer au règlement européen qui fixe un cap de 2035 pour l'arrêt de la commercialisation de véhicules neufs thermiques, car celui-ci est au coeur de la neutralité carbone. Toutefois, pour les poids lourds, les mesures ne sont pas encore totalement finalisées. La Commission européenne a proposé une électrification à 90 % des véhicules neufs d'ici 2040, mais la position française n'est pas encore arrêtée. Je fais observer que les annonces des constructeurs sur l'électrification des poids lourds ont été plus rapides et ambitieuses que ce que nous avions prévu. Lorsque j'étais en charge de l'industrie, il y a deux ans, l'électrification ne paraissait pas une voie envisageable pour les poids lourds, mais les derniers modèles livrés permettent de nuancer ce diagnostic initial. Comme vous le constatez, les évolutions techniques sont très rapides et il nous faudra adapter nos politiques publiques dans une posture de neutralité technologique tout en essayant de lancer des signaux à moyen terme aux acteurs économiques qui investissent et qui doivent pouvoir amortir leurs investissements.

En tout état de cause, nous aurons besoin de biocarburants pour des secteurs difficiles à électrifier. Il s'agit, par exemple, des engins agricoles ou de BTP ainsi que certains matériels ferroviaires circulant sur des portions de voies malaisément électrifiables. Ce sont surtout l'aérien et le maritime qui vont déterminer la croissance du marché des carburants alternatifs dans les années à venir. Nous devons nous positionner pour structurer des filières françaises compétitives permettant d'alimenter en énergie ces deux secteurs cruciaux dans la transition énergétique. Je souligne que relever ces défis implique de résoudre en amont les problèmes de disponibilité en biomasse et en électricité décarbonée, compétitive et abondante. La disponibilité de ces ressources déterminera également nos besoins en importations et le rythme souhaitable de la baisse de la consommation.

C'est tout le sens de l'action que je porte actuellement pour définir les grands axes de notre planification énergétique qui alimentera la première loi sur ce thème, que j'aurai l'honneur de présenter au Parlement à l'automne. J'ai d'ailleurs proposé d'associer chacun des groupes politiques représentés au Sénat à cette réflexion et je les remercie de leur contribution. Il sera probablement nécessaire de prioriser les usages de la biomasse pour décarboner les secteurs qui en ont le plus besoin. Par exemple, au-delà de l'alimentation humaine ou animale et du maintien du puits de carbone, qui sont les trois premières priorités dans l'utilisation de la biomasse, il nous faudra hiérarchiser les usages énergétiques en fonction des besoins des différents secteurs ainsi que des alternatives envisageables.

En ce qui concerne la fabrication de carburants de synthèse, la clé réside dans la production d'électricité décarbonée à un coût économiquement acceptable, l'accès à des stocks de CO2 biogéniques ou sa capture directe dans l'atmosphère et une demande suffisante pour absorber les productions de ces molécules de synthèse. Vous connaissez le travail accompli en matière d'électricité décarbonée par la loi d'accélération des énergies renouvelables et la relance du nucléaire. Outre l'augmentation de la production, toutes les marges que nous réussirons à dégager grâce à l'efficacité énergétique et à la sobriété seront précieuses pour parvenir à l'objectif global.

Pour résumer mon raisonnement sur les biocarburants, le verrou réside dans l'accessibilité à la biomasse, avec des usages prioritaires tels que l'alimentation et le stockage du carbone. Pour les carburants de synthèse, le verrou réside dans la capacité à produire de l'électricité à un coût compétitif et en quantité suffisante par rapport aux autres usages que nous aurons sur notre territoire.

Je rappelle que les actes délégués de la directive RED II sur les énergies renouvelables, concernant l'additionnalité de l'électricité utilisée dans le calcul de l'analyse du cycle de vie de ces carburants verts, nous donnent un avantage compétitif en reconnaissant le mix décarboné de la France. Cela facilite notre accès à des solutions énergétiques vertueuses qui pourront être valorisées sur le plan international, puisque nous ne sommes le seul pays, avec la Suède, à avoir une électricité décarbonée à plus de 90 %. La Finlande sera probablement le troisième pays à pouvoir revendiquer un positionnement similaire avant 2030. Cela va dans la bonne direction, même si je continue de me battre au niveau européen pour la pleine reconnaissance du nucléaire comme outil de décarbonation dans tous les textes qui mentionnent la lutte contre le réchauffement climatique.

J'en viens aux priorités pour les années à venir, en commençant par la mise en place d'un volet maritime dans la TIRUERT. Je proposerai ainsi l'inscription d'un objectif spécifique dans la loi de finances à partir de 2025, afin de mettre en oeuvre le règlement européen Fuel EU Maritime, en concertation avec les acteurs du secteur. Les autres objectifs de décarbonation devront également être portés à un niveau supérieur, en particulier dans le secteur aérien pour se conformer au texte ReFuel EU Aviation. Ces objectifs permettent de lancer des signaux à la filière industrielle qui pourra anticiper des débouchés ouverts par des obligations d'incorporation.

Le développement d'une filière reposant sur les cultures intermédiaires pourrait également être intéressant : celles-ci se renforcent en matière de biogaz et des cultures oléagineuses pourraient demain être également utilisées pour fabriquer des biocarburants d'aviation, par exemple. Cependant, il faut être prudent quant à l'impact agronomique de ces cultures intermédiaires et s'assurer qu'elles ne contribuent pas à l'appauvrissement des sols. Nous y serons attentifs, conformément aux normes européennes : je précise que ces cultures intermédiaires peuvent apporter une capacité de production énergétique complémentaire avec un impact positif sur la réduction des besoins en engrais ainsi que sur le stockage de carbone des terres sur lesquelles elles sont cultivées.

M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur. - Merci, Madame la Ministre, pour votre présence qui nous est précieuse à ce stade de nos travaux. Je vais pour l'instant me limiter à trois questions. Tout d'abord, où en êtes-vous dans les négociations européennes, en particulier sur la directive sur les énergies renouvelables RED III et sur la question du nucléaire ? Ensuite, vous avez indiqué, s'agissant de la première génération de biocarburants, que vous ne souhaitez pas modifier le plafond de 7 %, ce qui signifie, en pratique, une baisse des volumes à terme. En ce qui concerne les carburants de deuxième génération, au-delà des dispositifs que sont les mandats d'incorporation et la TIRUERT, n'est-il pas nécessaire d'introduire d'autres mécanismes incitatifs pour faire décoller cette filière. J'ajoute que les producteurs, les raffineurs et les distributeurs signalent leurs considérables besoins d'investissement dans ce domaine. Quelle démarche peut-on conduire pour mobiliser la production de ces carburants de deuxième génération ?

Enfin, à quelques jours du Salon du Bourget, le monde aérien a rendez-vous avec cette exigence de décarbonation qu'il partage. D'après les auditions que nous avons conduites, le monde aérien s'est mis en situation de la remplir. Cependant, les transporteurs et les industriels font état de l'insuffisante disponibilité en volume des biocarburants et des carburants synthétiques de demain ainsi que de prix élevés. Sommes-nous rentrés dans une logique où le respect des mandats d'incorporation conduira à se fournir en carburants verts aux États-Unis ou en-dehors de l'Union européenne ?

Mme Agnès Pannier-Runacher. - Tout d'abord, s'agissant de la directive RED III, et contrairement à certaines informations diffusées par les médias, le débat qui se poursuit aujourd'hui ne porte pas sur le nucléaire, mais sur la décarbonation profonde de certains sites industriels, dont le calendrier risque de ne pas pouvoir se conformer aux jalons prévus par cette proposition de directive pour atteindre les objectifs d'électricité renouvelable et non fossile.

Quant au nucléaire, la reconnaissance de l'hydrogène bas-carbone dans la directive RED III, conjuguée au fait que la France bénéficie d'un mix électrique décarboné à 90 % grâce au nucléaire, correspond aux objectifs que nous nous sommes fixés.

En ce qui concerne les carburants de première génération, nous sommes à un équilibre de 7 % de taux d'incorporation : en principe, cela n'encouragera pas la diminution des besoins, sauf si nous réduisons drastiquement notre consommation globale de carburants. Il est vrai que notre objectif est effectivement de la réduire, mais aujourd'hui, celle-ci est plutôt stable, voire en légère progression. C'est pourquoi j'ai bien précisé dans mon propos qu' « à ce stade », le plafond de 7 % nous semblait correspondre à une situation de marché équilibré compte tenu de la dynamique des trois à cinq prochaines années.

En ce qui concerne les carburants de deuxième génération, qui regroupent différentes technologies, le Gouvernement a lancé sous l'égide du président de la République, à travers de France 2030, un certain nombre d'appels à projets pour accompagner la fabrication de carburants durables dans l'aviation ou le secteur maritime. Nous allons accompagner les acteurs qui sont en mesure non seulement de proposer des avancées technologiques, mais aussi l'industrialisation de ces productions et, comme vous le savez, des projets de transformation de raffineries sont en cours sur notre territoire. Le Président de la République s'exprimera dès vendredi 16 juin sur la question de la décarbonation de l'aviation, et les soutiens que nous apporterons à l'aéronautique.

De façon plus générale, notre dispositif d'accompagnement repose sur trois piliers. Le premier, qui se rattache à France 2030, est l'accompagnement de la recherche, du développement, de la pré-industrialisation et de l'industrialisation. Le deuxième pilier correspond aux outils normatifs, comme les taux d'incorporation au niveau européen et français, qui encourageront la production de ces carburants de deuxième génération. Enfin, le troisième pilier concerne l'accompagnement de l'installation de nouveaux sites industriels verts en leur garantissant une compétitivité suffisante pour produire de manière crédible sur le territoire français. Bien entendu, l'un des points clés est le coût de production de ces carburants de deuxième génération, et depuis six ans, le Président de la République a engagé une politique de réindustrialisation visant à combler les écarts de compétitivité mis en avant par les investisseurs étrangers par rapport à nos concurrents.

Enfin, la loi de programmation sur l'énergie et le climat traitera des grands enjeux liés aux biocarburants et permettra de transposer les directives européennes concernant l'aviation ainsi que le secteur maritime : ces mesures donneront de la visibilité aux acteurs qui se positionneront sur ce marché.

M. Pierre Cuypers.- J'aurais souhaité plus de détails sur votre intention de bloquer le taux d'incorporation de biocarburants aux environs de 7 %, alors que l'ensemble de de nos outils industriels est dimensionné pour atteindre 9 à 9,5 %. Vous avez évoqué la nécessité de prioriser la biomasse pour l'alimentation humaine et animale, mais je fais ici observer que plus vous produirez de biocarburants et plus vous produirez de protéines nécessaires à l'alimentation animale. L'effet réel est donc inverse à celui auquel semble conduire votre raisonnement : je doute que vous puissiez démontrer que l'augmentation de la fabrication de biocarburants n'implique pas nécessairement l'accroissement de la production de biomasse alimentaire.

M. Vincent Segouin.- Vos propos sur la réduction globale de la consommation de carburants soulèvent à mon sens des inquiétudes, car il faut prendre en compte l'augmentation de la population : le président-directeur général d'Aéroports de Paris nous a par exemple indiqué que les projections à long terme dans le transport aérien font entrevoir une forte croissance. Je me demande si on ne risque pas de passer à côté de l'économie de demain et de continuer à aggraver nos déficits commerciaux. Ma question porte donc sur la pertinence de vos orientations. Vous tenez des propos favorables à l'énergie nucléaire, mais il me semble que vous y étiez opposée il n'y a pas si longtemps. Vous évoquez l'électrification totale du parc roulant, y compris pour les poids lourds, mais les constructeurs soulignent le poids considérable des batteries et le volume très élevé des réservoirs d'hydrogène, ce qui amène à se demander s'il restera suffisamment de place pour les passagers à transporter et leurs bagages.

J'ai l'impression que vous focalisez votre attention sur le calendrier de décarbonation, mais notre industrie ne sera pas en mesure de le satisfaire. Notre pays risque d'en faire les frais en subissant des phénomènes qui prolongent l'effondrement actuel des ventes d'automobiles, qui sont passées de 2,2 millions en 2019 à 1,529 millions aujourd'hui. Nos compatriotes ne savent plus du tout où on veut aller et comment on va aller. Êtes-vous bien certaine que votre politique correspond à une réalité mature ?

Mme Béatrice Gosselin.- Je prolonge l'interrogation de mon collègue sur l'électrification des véhicules lourds. À travers nos auditions et nos déplacements, le poids des batteries nous a semblé demeurer un très sérieux obstacle à leur utilisation dans le transport lourd qui semble en conséquence s'orienter vers l'hydrogène. Peut-on réellement tabler sur les évolutions technologiques que vous évoquez pour pouvoir envisager un transport lourd uniquement alimenté par des batteries ?

Mme Agnès Pannier-Runacher. - Le fait que j'ouvre des perspectives sur une réalité technologique - à savoir une solution en matière de poids lourds électrifiés de plus de 5 tonnes produits en France - ne signifie pas qu'on doive arrêter tout le reste. Par ailleurs je m'étonne un peu de vos observations sur les objectifs de notre politique énergétique, car celle-ci est parfaitement claire, constante, et elle traduit directement les recommandations des experts en matière internationale, à la fois sur le climat, l'énergie, la compétitivité, la sobriété et l'efficacité énergétique, ainsi que la production d'énergies renouvelables ou nucléaire. Je n'ai donc rien inventé. En revanche, je mets en oeuvre cette politique énergétique avec une traçabilité très claire. Je mentionne ici, d'une part, la loi d'accélération sur les énergies renouvelables et 30 textes qui ont été mis en oeuvre et, d'autre part, l'augmentation des budgets alloués à la rénovation thermique des bâtiments avec des incitations très claires pour l'électrification, tout en respectant strictement le principe de neutralité technologique. Ce principe nous conduit à vérifier en permanence, et sans condamner aucune piste, quelles sont les solutions les plus performantes, les moins coûteuses pour les Français et les plus accessibles pour nos entreprises. Nous adaptons également nos politiques aux innovations technologiques. Si notre filière industrielle est capable de produire des véhicules lourds fonctionnant à l'électricité, c'est une très bonne nouvelle et ce n'est pas à moi de remettre en cause leur affirmation. Le coût de ces véhicules sera sans doute élevé et le défi est donc de faciliter son cheminement vers des niveaux plus abordables. Il est de notre responsabilité politique de faire émerger ces nouvelles filières industrielles, comme nous l'avons fait dans d'autres secteurs. Je rappelle qu'il y a six ans, nous avons subi des moqueries lorsque nous avons lancé et défendu au niveau européen un projet de soutien à la filière de batteries électriques. Or j'ai eu le plaisir, à la fin du mois de mai dernier, d'inaugurer la première ligne de production de batteries électriques en France, qui fonctionne aujourd'hui dans les Hauts-de-France : cela génère plusieurs milliers d'emplois et il y aura quatre usines dans cette région. Nous agissons de même sur les autres sujets et je souligne à nouveau que l'hydrogène ne condamne pas l'électricité, pas plus que l'électricité ne condamne les biocarburants : en effet, il est quasi certain que les solutions seront multifactorielles. Au fil du temps et des innovations technologies, le marché s'ajustera pour privilégier les filières les plus compétitives.

Je rappelle également que notre politique de sobriété conduite l'hiver dernier a permis de réduire de 12 % notre consommation d'électricité et de gaz au cours de cette période ainsi que d'abaisser nos émissions de gaz à effet de serre de 2,7 % sur l'ensemble de l'année et de 15 % dans le secteur du bâtiment. Or cela n'a pas entraîné une diminution de la croissance économique, mais a permis aux Français et aux entreprises de payer moins cher leur facture d'énergie. Aujourd'hui, les pratiques de gestion technique des bâtiments qui ont été encouragées sont considérées comme un succès à pérenniser : ce n'est pas seulement moi qui le dis, mais aussi l'enquête menée par l'AMF auprès de l'ensemble des maires de France.

En ce qui concerne le colza, je pense que vous faites référence aux indications fournies par le groupe Avril : je connais bien celui-ci pour avoir participé à l'ouverture de son capital il y a 15 ans, lorsque je travaillais à la Caisse des dépôts. Vous avez raison de dire qu'il y a une congruence entre la production de colza et celle de ses co-produits que sont les tourteaux de colza. Ces derniers permettent à la France de réduire ses importations de tourteaux de soja en provenance d'Amérique latine. J'ajoute que l'huile de colza peut également être affectée à des usages alimentaires. Je tiens surtout à préciser que l'exclusion de l'huile soja ou de palme ouvre plus de débouchés à l'huile de colza pour fabriquer des biocarburants au sein de cette enveloppe de 7 % : ce taux plafond me semble, pour l'instant, équilibré et il donne une visibilité à nos sites industriels qui sont tout à fait méritants.

Pour en revenir brièvement aux poids lourds, je vous confirme qu'il est intéressant de développer l'hydrogène et de le combiner à la propulsion électrique. Il nous faut rester ouverts aux différentes technologies dont les avancées sont parfois plus rapides que ce que nous imaginions et qui, historiquement, ont pu prendre de court les décisions des pouvoirs publics. Je signale également que, sur le segment des poids lourds de plus de 5 tonnes, nos constructeurs ont une part de marché qui atteint 80 % : je me félicite que nos politiques puissent aider à structurer ces filières, tout en précisant que la part de marché est moindre sur les véhicules de moins de 5 tonnes et que le nombre d'unités de poids lourds est bien inférieur à celui des voitures. C'est ce que j'appelle ne pas être naïf, Monsieur le Président, pour reprendre une des préoccupations que vous avez exprimées : lorsque la loyauté de la concurrence est remise en question par des entreprises étrangères lourdement subventionnées sur leurs territoires, il s'agit d'instituer quelques barrières à l'importation et d'encourager le développement de nos filières industrielles en facilitant leur accès aux marchés publics, dès lors qu'elles satisfont aux conditions environnementales et sociales requises.

M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur. - Je souhaite relayer l'inquiétude qui transparaissait dans la question de notre collègue Béatrice Gosselin. Nous avons entendu des entreprises du secteur des travaux publics et du transport routier qui se sont exprimées sur le GNR (Gazole Non Routier). Les transporteurs routiers longue distance, et en particulier les PME parfois familiales, s'inquiètent vivement de la cherté des camions électriques ou à pile à combustible, avec des prix affichés ou annoncés hors d'atteinte pour eux. Cela soulève un réel besoin d'accompagnement de ces filières qui nous disent que les biocarburants pourraient être, à ce stade, une solution intéressante sans recourir à une rupture technologique. On constate une attente similaire dans le secteur ferroviaire pour la partie non électrifiée du réseau et, en tous cas, nous avons perçu une véritable difficulté à surmonter pour la FNTR (Fédération Nationale des Transports Routiers) et la FNTP (Fédération Nationale des Travaux Publics), sans quoi ils devront subir des hausses de prix des carburants sans avoir les moyens de renouveler leur flotte.

Mme Agnès Pannier-Runacher. - Je vous rejoins totalement en ce qui concerne la FNTP : aujourd'hui on ne dispose pas d'alternative aux biocarburants, surtout pour les engins lourds d'intervention dans les travaux publics. S'agissant du secteur routier, les solutions alternatives électriques émergent, mais elles restent effectivement très coûteuses et doivent faire l'objet d'un accompagnement à deux niveaux. Je rappelle d'abord qu'un appel à projets lancé l'année dernière avec une enveloppe de 60 millions d'euros a permis de financer quelques centaines de camions électriques. Je proposerai, dans la discussion budgétaire, de prolonger ce dispositif qui permet de structurer le marché. En second lieu, nous accompagnerons l'implantation de bornes de recharges spécifiques pour ces engins, car elles ne vont pas émerger sur le territoire sans soutien public.

Encore une fois, nos politiques tiennent compte de la nécessité de structurer nos filières industrielles et restent attentives au caractère évolutif de la transition énergétique : à l'horizon 2050, des innovations de rupture relégueront peut-être dans le passé un certain nombre de solutions actuelles. Cependant, celles-ci resteront sans doute bien positionnées dans les dix prochaines années, avec des acteurs industriels performants sur notre territoire et des coûts accessibles pour le consommateur final. Je vous rappelle qu'il y a 20 ans, le coût des éoliennes marines était très élevé, tout comme celui des panneaux photovoltaïques il y a dix ans, et tout le monde craignait de subventionner des secteurs non rentables. Au final, ils le sont devenus grâce à l'accompagnement dont ils ont bénéficié.

Mme Martine Berthet.- Vous avez très peu parlé de l'hydrogène. Quels sont les projets du Gouvernement pour intensifier sa production, son transport et son utilisation ?

M. Daniel Salmon.- Je souhaite vous interroger sur l'évaluation des gisements de biomasse : ces derniers ne sont pas illimités face aux besoins croissants en biocarburants qui sont apparus au fil de nos auditions. Je mentionne par exemple les coproduits issus de la filière bois : les acteurs de la pyrogazéification s'y intéressent pour produire du méthane, d'autres les transforment en pellets et ces coproduits peuvent également servir à fabriquer des biocarburants de deuxième génération, mais leur gisement n'est pas illimité. J'aimerais savoir quelle part pourrait représenter la biomasse sur les 650 TWh de consommation que vous avez évoqués. Quelle est la part de la sobriété dans ce total ? Quels sont les objectifs assignés à la mobilité d'ici 2032, chiffrés en TWh ? Enfin, le coût très élevé des biocarburants de deuxième génération est-il transitoire et peut-on espérer qu'il diminue comme c'est souvent le cas des technologies matures ?

M. Lucien Stanzione.- Ma première question est générale et porte sur le recensement des sources de propulsion : vous avez mentionné l'électrification du parc de véhicules légers, mais aussi des poids lourds alors qu'on évoque plutôt la pile à combustible et l'hydrogène pour ces derniers. Il subsiste manifestement des zones d'ombre et vous indiquez qu' « il y aura de tout ». À travers les nombreuses auditions que nous avons réalisées, il me semble que cette incertitude crée un malaise : à quel moment pourrez-vous dégager des orientations claires en direction des industriels pour répondre à leurs interrogations sur l'opportunité de s'engager dans telle ou telle filière ?

Ma deuxième question concerne l'aérien. Les opérateurs indiquent que les motorisations peuvent d'ores et déjà être alimentées en biocarburants jusqu'à hauteur de 50 %. Cependant, ils constatent le coût très élevé de ces derniers en France - entre 4 000 et 5 000 euros la tonne - alors qu'aux États-Unis, on les trouve à 2 000 euros. Quel est votre positionnement sur les deux volets de cette question ?

Mme Agnès Pannier-Runacher. - J'indique tout d'abord que notre stratégie sur l'hydrogène figure dans la programmation pluriannuelle de l'énergie qui est en cours de révision. Cette stratégie est relativement précise et elle est élaborée en concertation avec les industriels et au sein de groupes de travail qui associent des sénateurs de chacun de vos groupes. De plus, la loi de programmation énergie-climat vous sera présentée dès l'automne prochain. Les grands axes de cette stratégie, présentés par le Président de la République fixent, tout d'abord, un objectif minimal de 6,5 gigawatts de production d'hydrogène bas-carbone à l'horizon 2030. Elle prévoit ensuite le développement d'une filière hydrogène qui se structure autour des électrolyseurs, des piles à combustible et des technologies de stockage à haute densité. Ce développement sera accompagné par des appels à projets relevant de France 2030 et par un projet important d'intérêt européen commun (PIIEC) qui a déjà permis de financer l'industrialisation d'une dizaine de procédés à travers des entreprises comme Faurecia et Plastic Omnium. Notre stratégie hydrogène comporte également une réflexion sur l'utilisation de ce vecteur énergétique par ordre de mérite pour donner la priorité aux secteurs qui ne disposent pas d'alternatives à l'hydrogène bas-carbone. Je souligne que celui-ci jouera un rôle essentiel dans la décarbonation de l'industrie lourde et en particulier des trois filières - comme le ciment ou l'acier - qui représentent aujourd'hui 75 % des émissions de CO2 industrielles en France. Mon collègue Roland Lescure, en charge de l'industrie, est en train de travailler sur une contractualisation site par site des 50 emplacements les plus émetteurs de carbone où la solution de l'hydrogène bas-carbone se présente comme l'une des plus efficaces, à côté du biogaz ou de l'électrification.

La décarbonation des transports est un sujet sur lequel nous en sommes à un stade un peu moins avancé. Au niveau européen, le « paquet gaz », en cours de mise en oeuvre, vise à faciliter le passage du gaz fossile au gaz bas carbone en utilisant de l'hydrogène vert. Cela soulève des questions de mise en place d'infrastructures de transport et de terminaux à hydrogène.

L'analyse de la France se résume aux éléments suivants : tout d'abord, nous devons combler notre retard - en particulier par rapport à l'Allemagne, qui dispose de briques technologiques plus avancées - de structuration de notre filière industrielle. Grâce au travail réalisé au cours des trois ou quatre dernières années, nous disposons à présent de projets et d'opérateurs bien identifiés pour réunir les technologies requises. Dans un deuxième temps, nous devrons produire de l'hydrogène bas-carbone à proximité des sites de consommation les plus importants, en commençant par les cinq grandes plateformes industrielles fortement émettrices de carbone que sont Dunkerque, Le Havre, Saint-Nazaire, Fos-sur-Mer, et également Chalampé et Roussillon. D'autres utilisations nécessiteront de recourir au transport d'hydrogène vert et nous travaillons avec l'Europe ainsi que les régions sur des projets comme le gazoduc BarMar : la construction de ce dernier a été annoncée lors du sommet avec le Portugal et l'Espagne et vise à relier Barcelone à Marseille, en passant peut-être par Port-la-Nouvelle. Ce projet devrait aboutir d'ici la fin des années 2020 ou le début des années 2030 à installer un réseau cohérent qui avance au rythme de nos capacités de production et de nos besoins en importations d'hydrogène.

Pour préserver notre souveraineté énergétique, la production d'hydrogène sur le sol français est fondamentale et il nous faut également bien maîtriser les technologies, disposer d'une production d'électricité bas-carbone compétitive et surveiller l'évolution du marché mondial pour diversifier nos sources d'approvisionnement. Il s'agit d'alimenter les sites industriels en quantité et en prix suffisamment bas pour qu'ils puissent rester compétitifs sur notre territoire. L'impact du coût d'approvisionnement en hydrogène est, par exemple, décisif pour permettre aux sites d'ArcelorMittal ou de Veolia d'affronter la concurrence internationale. J'ajoute que nous sommes particulièrement vigilants à l'égard d'initiatives comme l'Inflation Reduction Act (IRA) américain et il est crucial de mettre en place une taxe carbone aux frontières afin de garantir une concurrence équitable.

Par ailleurs, au cours des neuf derniers mois, nous avons quantifié nos gisements de biomasse au prix d'un travail intense. Notre scénario évalue le potentiel de la biomasse à 330 TWh, dont un peu moins de 40 % proviennent de la biomasse forestière et environ 60 % de la biomasse agricole avec un reliquat de 4 % provenant de déchets. Atteindre cette cible nécessitera un effort considérable de production de biomasse à partir de cultures intermédiaires à vocation énergétique ainsi que l'implantation d'environ 1,5 million de kilomètres de haies sur l'ensemble du territoire français. L'amélioration de la gestion durable de nos forêts est également requise.

Nos groupes de travail réfléchissent sur les arbitrages les plus pertinents à réaliser. Je précise que, du côté de l'offre, accroître la production de biomasse implique de réussir des changements qui ne vont pas de soi dans nos pratiques agricoles et forestières : celles-ci ne se décrètent pas et nécessitent une maîtrise technique, en particulier sylvicole. Plus nous mettrons l'accent sur l'utilisation de la biomasse, plus la pression sera forte sur notre nos capacités et de production de biomasse ; en complément, nous en importons, mais ce recours aux marchés extérieurs a ses limites.

Je fais observer que lors des premiers exercices de stratégie nationale bas-carbone, la biomasse représentait environ la moitié des usages dans certaines simulations, ce qui est excessif et nous en sommes arrivés à des scénarios plus réalistes : ils incorporent des exigences de production élevées et nous avons chargé les groupes de travail d'apporter des réponses aux incertitudes qui subsistent sur l'utilisation de la biomasse. Il s'agit d'évaluer si nous n'avons pas poussé les curseurs un peu trop loin et de préciser les politiques publiques adéquates en matière de biomasse.

S'agissant de l'aérien, je précise que des tests déjà réalisés montrent que les motorisations sont compatibles avec une incorporation de carburants durables à 100 %. Les annonces du Président de la République, en amont du salon du Bourget, seront prolongées par des mesures législatives et réglementaires qui donneront de la visibilité en matière de production et de consommation de carburants d'aviation. De manière plus générale, l'exercice de programmation pluriannuelle de l'énergie, qui est réalisé tous les cinq ans, éclaire les perspectives et comporte trois séquences successives : 2024-2028 ; 2029-2033 et au-delà. Nous prenons aussi en compte la demande des parlementaires qui, lors de la mise en place des groupes de travail, ont souhaité élargir le cadre de prévision jusqu'en 2050 : sans pouvoir atteindre un fort degré de précision à cette échéance, cela permettra de réunir un consensus minimal et transpartisan sur la politique énergétique à long terme de notre pays, même si peuvent subsister des opinions nuancées sur le nucléaire, l'efficacité énergétique ou la rénovation thermique.

M. René-Paul Savary.- Madame la Ministre, en cohérence avec vos propos, il est essentiel de redonner confiance aux territoires. Or, dans nos territoires ruraux, et pour citer le cas du Grand-Est dont je suis originaire, on constate des mesures de soutien bénéficiant à des éoliennes qui sont des investissements d'origine principalement chinoise. La France subventionne aussi très largement, à travers les véhicules électriques, les investissements réalisés par les constructeurs chinois. En revanche, après avoir incité les acteurs locaux à investir des sommes importantes dans les méthaniseurs pour produire du biogaz à injecter directement dans les réseaux, on annonce à nos concitoyens l'interdiction des chaudières à gaz considérées comme néfastes pour l'environnement. Je signale ici que les investissements réalisés pour fabriquer les biocarburants de première génération ne sont toujours pas amortis. Il y a un combat à mener dans ce domaine, car aujourd'hui la Commission européenne semble remettre en cause la stratégie française de détaxation des biocarburants et nous avons bien compris que cette filière est dans le collimateur des autorités européennes. Comment répondez-vous à cette inquiétude ? Nous comptons sur vous pour redonner confiance aux acteurs de terrain qui craignent de nouvelles mesures qui pénaliseraient les biocarburants.

M. Bernard Buis.- En complément de la question de notre collègue Martine Berthet sur l'hydrogène, je rappelle que de nombreuses lignes SNCF sont quasiment impossibles à électrifier et il me semble qu'il conviendrait d'accélérer la mise en place de véhicules ferroviaires à hydrogène. Quels sont les moyens de nature à encourager la SNCF à adopter cette technologie plus rapidement ?

Mme Agnès Pannier-Runacher. - S'agissant des investissements étrangers, j'indique que les travaux que nous menons prévoient d'informer le consommateur sur la part de valeur ajoutée française et européenne incorporée dans chaque type d'énergie. Par exemple, plus de 90 % de la valeur ajoutée est française dans le nucléaire et je fais observer que très peu de secteurs atteignent une telle proportion. Comme vous le suggérez, il n'en va pas de même pour l'énergie éolienne, mais la part de valeur ajoutée française qu'elle contient n'est pas nulle. Je tiens à vous rassurer sur le biogaz puisque son prix d'achat par les fournisseurs de gaz vient d'être augmenté de 12 % - grâce au soutien de l'État - conformément au texte que j'ai signé et qui vient d'être publié. Je rappelle cependant que les 10 TWh de biogaz qui sont injectés dans le réseau ne représentent que 2 % des 500 TWh de notre consommation totale de gaz naturel.

En ce qui concerne la biomasse, la question de l'acceptabilité territoriale de nouvelles installations comme les méthaniseurs s'ajoute à celle de la disponibilité.

S'agissant de la dimension territoriale de notre politique, je rappelle que le Parlement a introduit, en concertation avec les associations d'élus, un volet de planification dans la loi sur les énergies renouvelables. Pour sa mise en oeuvre, nous avons d'ores et déjà ouvert un portail permettant aux collectivités locales d'accéder à des informations qui concernent par exemple le potentiel éolien, les plans de prévention des risques et le thème de la biodiversité. J'organise une réunion par mois avec les préfets de région pour faire le point sur cette planification ; s'y ajouteront des réunions avec les préfets de département et une ou deux conférences en ligne avec les associations d'élus. L'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) va bientôt publier des descriptifs opérationnels en quatre pages sur chaque énergie renouvelable avec les données techniques précises de nature à faciliter la prise de décision des élus en tant qu'acteurs de l'énergie sur nos territoires.

Je souhaite également vous rassurer à propos des initiatives de la Commission européenne en matière de fiscalité de l'énergie : dans ce domaine, l'adoption de textes requiert l'unanimité et il n'est pas facile de l'atteindre - ni même parfois la majorité qualifiée ; nous restons cependant vigilants à ce sujet.

En ce qui concerne les lignes ferroviaires, je précise que l'hydrogène commence à être déployé, essentiellement pour le transport de passagers. L'État a apporté son soutien financier pour les matériels acquis par les régions Occitanie, Bourgogne Franche-Comté, Auvergne-Rhône-Alpes et Grand-Est. C'est le début d'un plan d'accompagnement élaboré en collaboration avec Alstom.

M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur. - Je constate que le Gouvernement s'efforce de construire un raisonnement global de planification énergétique à long terme : nous sommes favorables, sur le principe, à cette démarche, tout en sachant qu'elle comporte nécessairement des incertitudes et des anticipations qui risquent d'être démenties par les faits. Notre mission d'information a plutôt construit son approche à partir de l'observation des territoires et des rencontres d'acteurs de terrain. Je m'inquiète de savoir si ces deux méthodes vont pouvoir converger. Ne faut-il pas réduire le décalage entre, d'un côté, des raisonnements théoriques remarquablement ambitieux présentés par le Gouvernement et, de l'autre, des actions concrètes qui le sont beaucoup moins puisqu'elles se limitent souvent à annoncer le lancement d'appels à projets.

Ma deuxième question va un peu dans le même sens que celle de notre collègue Daniel Salmon : RTE estime que les besoins en électricité de notre pays pourraient atteindre 640 TWh d'ici 2035 ; or le scénario médian de la stratégie nationale bas-carbone prévoit d'arriver à 650 TWh en 2050 : comment résoudre cet autre décalage.

M. Gilbert-Luc Devinaz, président. - Dans votre propos liminaire, vous avez rappelé que le meilleur rendement énergétique consiste à utiliser directement l'électricité. Je partage ce constat et me suis donc intéressé aux expériences d'autoroutes électriques aménagées pour les poids lourds, surtout par induction et non pas par caténaires. Pouvez-vous nous indiquer si ce sujet est toujours à l'étude et s'il continue de retenir votre attention ?

Par ailleurs, au vu des prévisions portant sur la consommation d'énergies fossiles et la production d'énergies renouvelables, un déficit en térawatt-heure me semble assez probable. L'ajustement à l'offre disponible nécessitera vraisemblablement des efforts de sobriété : qui devra les consentir et comment ?

Mme Agnès Pannier-Runacher. - Je précise à nouveau que notre planification énergétique se construit aujourd'hui en concertation avec les élus locaux, les filières, les organisations syndicales ainsi que les experts et les acteurs de la société civile, en particulier les organisations environnementales : nous pouvons ainsi tenir compte de tous les points de vue. En parallèle, le système de planification adopté par le Parlement comporte la loi de programmation sur l'énergie et le climat qui se décline dans deux décrets : l'un relatif à la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) et l'autre qui définit la stratégie nationale bas-carbone. Conformément à la volonté du Parlement, la PPE donne lieu à une territorialisation, avec des objectifs fixés région par région. Les régions s'en emparent et les inscrivent dans leur schéma régional d'aménagement et de développement durable du territoire (SRADDET), lesquels peuvent ensuite s'articuler avec les êtres en résonance avec les plans climat air énergie territoriaux (PCAET). Cet enchaînement de travaux d'élaboration de normes réglementaires, qui donne un peu le tournis, doit respecter des délais permettant aux régions de finaliser, vers 2025-2026, la mise à jour de leurs SRADDET, en conformité avec la PPE. Avec Mme Carole Delga et les autres présidents de région, nous avons considéré que le fait de commencer dès à présent ces travaux de planification, de façon simultanée, sera particulièrement vertueux : cela permettra une démarche itérative qui renforcera la cohérence des trajectoires nationales et des stratégies régionales, en commençant par bien vérifier que la somme des stratégies régionales est cohérente avec la PPE nationale, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. De plus, en temps réel, on pourra repérer les impasses énergétiques ainsi que les gisements sur lesquels les élus locaux se sentent en capacité de s'appuyer. Toutes les décisions permettant d'accroître la production d'énergies renouvelables et la sobriété devront être prises sans regret en se fixant un horizon de prix du mégawattheure (MW) compétitif, c'est-à-dire en dessous de 100 euros. Comme vous l'indiquez à juste titre, notre planification énergétique ne doit pas être technocratique, mais les signaux envoyés aux élus locaux doivent être fondés sur la science et des calculs précis.

Par ailleurs, s'agissant de l'énergie électrique, vous avez raison de rappeler l'importance majeure de la maîtrise de la consommation. Je rappelle que les textes européens nous assignent un objectif de réduction de 30 % de notre consommation d'énergie à l'horizon 2030 par rapport à 2012, ce qui correspond à une baisse de 20 % par rapport à 2022. Jusqu'ici, le principal levier sur lequel nous avons travaillé est celui de l'efficacité énergétique et nous y avons ajouté, l'année dernière, la sobriété énergétique. Cette dernière doit nous permettre d'abaisser notre consommation de 10 à 15 % et doit s'articuler avec le gisement de l'efficacité énergétique que recouvre, en particulier, la rénovation thermique. La sobriété énergétique pourra même jouer un rôle d'amortisseur de la consommation, dans l'hypothèse où la rénovation thermique prendrait du retard, ce qui facilitera l'équilibre entre l'offre et la demande d'électricité.

Enfin, mes collaborateurs me confirment qu'un appel à projets sur les autoroutes électriques par induction sera lancé dans le cadre de France 2030 : je précise que la réalisation pratique de ces infrastructures est envisagée à un horizon 2030-2050 et que cette technologie est étudiée avec attention par le secrétariat général à l'investissement.

M. Gilbert-Luc Devinaz, président. - Merci beaucoup, Madame la Ministre, pour le temps que vous nous avez accordé et pour votre éclairage.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 14 h 45.