Jeudi 16 janvier 2025
- Présidence de M. Bernard Delcros, président -
Table ronde portant sur les bonnes pratiques des communes en matière d'inclusion des personnes en situation de handicap
M. Bernard Delcros, président. - Mes chers collègues, je propose de commencer cette séance consacrée à l'inclusion des personnes en situation de handicap dans les territoires et dans l'exercice des responsabilités, notamment dans les assemblées d'élus.
L'année 2025 marque le 20ème anniversaire de la grande loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées du 11 février 2005. Le Sénat organisera un événement le 11 février prochain, sous l'égide de la commission des affaires sociales, pour dresser le bilan de cette loi. Il m'a semblé utile, en amont de cet événement, de mettre en valeur un certain nombre de bonnes pratiques déployées dans les communes et de recueillir l'éclairage des associations d'élus.
Notre séance se déroulera en deux temps : d'abord, nous entendrons des élus ayant mis en place des actions concrètes dans leurs territoires, puis nous écouterons des élus chargés de ces sujets au sein des associations d'élus.
Nos intervenants sont :
- Mathieu Annereau, président fondateur de l'Association nationale pour la prise en compte du handicap dans les politiques publiques et privées (APHPP), conseiller municipal de Saint-Herblain. Vous militez pour un monde politique plus inclusif et vous êtes convaincu que les politiques publiques gagneraient à se nourrir davantage des expériences des personnes qui sont en situation de handicap, ce que vous démontrez vous-même au travers de votre implication en tant qu'élu local ;
- Francine Maragliano, adjointe au maire d'Évreux et fondatrice de l'Agence nationale des élus du handicap et de l'accessibilité (ANDEHA). En 2014, vous avez lancé le groupe de travail Grenelle du handicap Évreux-Normandie, composé d'usagers en situation de handicap, d'associations et de professionnels de ces sujets. Les résultats ont été probants, puisqu'Évreux a été distingué plusieurs fois par la Commission européenne ;
- Magali Marty-Royer, maire de Naveil, reconnue pour son action en faveur de l'inclusion des enfants handicapés dans les écoles. Vous reviendrez sans doute sur l'installation d'une « classe bleue » et d'une « classe arc-en-ciel » dans votre commune. Vous avez également donné leur chance au sein des services de votre commune à deux jeunes en situation de handicap à la recherche de contrats d'apprentissage ;
- Laurent Michon, adjoint au maire de la commune de Caluire-et-Cuire, délégué aux affaires sociales, aux personnes âgées, au handicap et à la mobilité. Vous reviendrez sur votre action visant à inclure dans la vie de la cité les personnes en situation de handicap, par exemple au travers de la tenue des bureaux de vote. Votre commune a également lancé sous votre impulsion un plan d'action inclusif constitué d'ateliers et d'actions de sensibilisation.
Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation pour partager votre expérience concrète sur le terrain.
M. Matthieu Annereau, président fondateur de l'APHPP, conseiller municipal de Saint-Herblain. - Je suis conseiller municipal de Saint-Herblain depuis dix ans. Non-voyant, je préside l'APHPP, créée en septembre 2017. Notre association regroupe des acteurs associatifs, économiques et politiques pour placer les enjeux du handicap et de l'accessibilité au coeur des débats en France et en Europe.
Nous nous appuyons sur un réseau de correspondants locaux en métropole et en outre-mer pour identifier les dysfonctionnements et valoriser les bonnes pratiques en matière de politiques locales du handicap.
À l'approche des 20 ans de la grande loi du 11 février 2005, nous constatons que la loi ne peut pas tout. Il faut un volontarisme politique, des innovations et des expérimentations adaptées aux spécificités des territoires. Les enjeux liés au handicap et à l'accessibilité sont transversaux et concernent l'ensemble des politiques locales.
L'obligation légale d'emploi de 6 % d'agents en situation de handicap est importante, mais nous devons aller plus loin. Nous proposons des actions volontaristes comme des sensibilisations à la langue des signes française (LSF), des formations à l'accessibilité numérique, et la participation au « duo-day » au mois de novembre pour accueillir en binôme au sein des services une personne en situation de handicap demandeuse d'emploi ou en reconversion professionnelle.
Il est également crucial de soutenir les associations oeuvrant dans le domaine du handicap au niveau de la commune, financièrement mais aussi en valorisant leurs actions et en les sollicitant pour mener à bien des projets communaux.
L'accessibilité, pierre angulaire de la loi du 11 février 2005, doit être appliquée à la voirie, aux espaces publics, aux établissements recevant du public et aux transports. Au-delà des enjeux normatifs, nous voulons favoriser l'expertise d'usage des personnes en situation de handicap en les impliquant dès la conception des projets, pas seulement après leur réalisation.
En tant qu'élu non voyant, je suis particulièrement sensible à l'enjeu de la citoyenneté. Nous devons former le personnel des bureaux de vote -- présidents et assesseurs -- à l'accueil des électeurs en situation de handicap et mettre en place des dispositifs comme des lignes en braille devant les piles de bulletins de vote. La communication de la collectivité doit également être accessible -- accessibilité numérique de sa communication sur les réseaux sociaux et sur son site internet, sous-titrage, langue des signes française, audiodescription des vidéos, textes faciles à lire et à comprendre - pour rendre intelligibles les informations de la collectivité.
Enfin, il est essentiel d'encourager la participation des personnes en situation de handicap aux conseils municipaux. Elles peuvent apporter leur expertise sur tous les sujets, pas uniquement sur le handicap. Les personnes en situation de handicap sont éligibles et peuvent beaucoup apporter à l'ensemble de la collectivité. Elles peuvent briguer des fonctions en lien avec le handicap et l'accessibilité, mais aussi prendre en charge des sujets comme l'urbanisme, les finances, etc. Les prochaines élections municipales seront l'occasion d'ouvrir davantage les conseils municipaux aux personnes en situation de handicap.
M. Bernard Delcros, président. - Je vous remercie pour votre intervention, qui met en lumière deux enjeux essentiels : d'une part, assurer l'accès des personnes en situation de handicap aux services et activités, et d'autre part, favoriser leur participation dans les assemblées d'élus afin qu'elles puissent pleinement faire valoir leur expérience et contribuer à la vie de la commune ou du territoire.
Mme Francine Maragliano, maire adjointe d'Évreux et fondatrice de l'ANDEHA. - C'est un honneur pour la ville d'Évreux que d'être conviée à ces travaux. Depuis plus de dix ans, nous travaillons avec plus de 150 personnes en situation de handicap, tous âges et handicaps confondus. Je souhaiterais compléter les propos de Monsieur Matthieu Annereau : au-delà des personnes dont le handicap est administrativement reconnu, un grand nombre ne souhaitent pas faire les démarches nécessaires tant que subsiste une vision négative, centrée sur l'incapacité.
Notre système d'évaluation se concentre trop souvent sur les incapacités plutôt que sur les compétences des personnes, que ce soit chez l'enfant, l'étudiant ou le travailleur. Les Jeux olympiques et paralympiques ont heureusement contribué à changer ce regard. L'exemple d'Aurélie Aubert l'illustre : championne du monde de pétanque adaptée (Boccia) et médaillée d'or, elle a reçu la Légion d'honneur des mains du président de la République, alors même qu'elle vit dans une famille d'accueil et fréquente un accueil de jour en raison d'un handicap moteur important. Nous avons découvert Aurélie au travers de ses compétences et ses talents, alors qu'elle était perçue auparavant à travers ses incapacités.
En 2014, la ville d'Évreux était classée avant-dernière en termes d'accessibilité par l'APF France Handicap. Nous avons alors lancé un « Grenelle du handicap » pour traiter tous les aspects liés au handicap. Au travers de groupes de travail, nous avons cherché à comprendre pourquoi le terme « accessibilité » effrayait souvent, et à changer cette perception. Il en est ressorti que l'accessibilité était associée à des coûts, à d'éventuelles amendes et à un militantisme perçu comme exigeant. Ce militantisme des associations de personnes handicapées, crucial pour faire avancer les choses, peut parfois susciter des réticences.
Il était important de rééquilibrer la représentation, car moins de 1 % des familles concernées par le handicap sont membres d'associations nationales. Nous avons donc veillé à inclure également les individus non affiliés dans nos groupes de travail à Évreux, aux côtés des associations, pour équilibrer la parole des uns et des autres. Nous avons également pris le temps d'écouter les habitants, les agents et les élus pour dresser une vision plus globale du handicap.
Nous avons constaté que, dans l'esprit du public, le handicap était souvent réduit au handicap moteur, parfois associé à la cécité et à quelques grandes associations nationales. Pourtant, 80 à 85 % des handicaps sont invisibles. Notre défi a consisté à rendre cette réalité visible. Toutefois, les agences de communication que nous avons sollicitées peinaient à sortir du symbole du fauteuil roulant. Nous avons également tenté de travailler avec des journalistes qui ont eu du mal à s'adapter à cette réalité, préférant souvent l'image du fauteuil roulant pour représenter le handicap. Pendant les Jeux olympiques, des élèves m'ont raconté que certains acteurs, pour rendre visible le handicap, étaient allés jusqu'à mettre des jeunes en situation de handicap intellectuel dans des fauteuils pour les rendre « visibles » le jour du passage de la flamme olympique.
À Évreux, nous avons beaucoup écouté les familles. Elles comprennent les contraintes des collectivités et peuvent même apporter des conseils précieux, comme de nous dissuader d'installer un ascenseur dans un jardin public car elles étaient convaincues qu'il ne servirait à rien. Cette « expertise d'usage » est essentielle pour changer le regard porté sur le handicap. Nous misons sur l'inclusion, pour faire en sorte que tous les citoyens - avec ou sans handicap - partagent les mêmes espaces, qu'il s'agisse des crèches, des écoles ou des clubs sportifs. C'est en vivant ensemble que nous ferons évoluer les mentalités.
Le pictogramme international du handicap, représentant une personne en fauteuil roulant, n'est plus adapté à la diversité des situations du handicap. Nous ne pouvons plus continuer à envoyer aux citoyens et aux élus le message que le handicap est uniquement moteur, qui plus est depuis l'amélioration des diagnostics pour les troubles neurodéveloppementaux ou l'autisme. À Évreux, nous avons donc instauré une relation de confiance et de transparence avec les associations et les personnes en situation de handicap : nous travaillons avec plus de 40 associations, couvrant différentes formes de handicap et tous les âges, y compris la perte d'autonomie liée au grand âge. L'ensemble de ces actions profite à tous les habitants, notamment aux personnes âgées se déplaçant avec un déambulateur.
Pour éviter la connotation négative du terme « accessibilité », nous avons adopté le slogan « Évreux, ville agréable et confortable pour tous ». Nous avons aussi ajouté sur les panneaux de stationnement pour les personnes à mobilité réduite (PMR) la mention : « Soyons vigilants, 80 % des handicaps sont invisibles ». Si nous devions les refaire aujourd'hui, nous privilégierions plutôt la formule « Soyons attentifs, 80 % des handicaps sont invisibles ». Cette démarche a permis de sensibiliser les personnes et de réduire les jugements hâtifs envers les personnes utilisant les places PMR sans être en fauteuil roulant.
Notre effort de sensibilisation a été reconnu par la Commission européenne. Il reste toutefois une forte attente des citoyens français pour une reconnaissance officielle de l'ensemble des handicaps, au-delà des représentations traditionnelles. À Évreux, nous avons ainsi lancé un concours de design pour repenser le pictogramme international du handicap, et mieux refléter cette diversité. Notre ville s'est transformée en laboratoire expérimental, notamment en matière de mobilité. Représentatifs des villes moyennes françaises, nous partageons notre expérience avec d'autres collectivités, en partenariat avec l'Association française de normalisation (AFNOR), pour créer un guide de recommandations recensant toutes les sources de financement possibles. Les élus sont en effet de bonne volonté, mais ils manquent souvent d'informations sur les solutions qui existent. À Évreux, nous bénéficions de nombreux établissements médico-sociaux qui nous offrent leur expertise très précieuse et bénévole.
Dans le département de l'Eure, les listes d'attente dans les structures médico-sociales restent longues : deux ans pour un rendez-vous chez l'orthophoniste, cinq à huit ans pour intégrer une structure spécialisée. Cette situation met les familles en difficulté et suscite parfois un phénomène de « tourisme médical » : certaines personnes viennent de l'étranger pour accéder à nos services, réputés pour la qualité de l'accueil et des soins. Nous devons donc également aborder cette nouvelle problématique avec lucidité.
M. Bernard Delcros, président. - Je vous remercie pour cette intervention passionnée, fondée sur votre expérience d'élue locale.
Mme Magali Marty-Royer, maire de la commune de Naveil. - Merci de nous accorder ce temps de parole sur un sujet qui nous passionne tous !
Notre commune de 2 500 habitants s'est engagée en 2020 dans l'inclusion scolaire d'enfants autistes. À l'époque, une inspectrice de l'éducation nationale m'a contactée dans l'espoir de trouver enfin un terreau favorable à l'ouverture d'une classe - de nombreux élus avaient précédemment refusé l'ouverture d'une classe spécifique, sans doute par méconnaissance du handicap.
Ainsi, nous avons ouvert en 2020 une classe en maternelle pour des enfants autistes, que nous avons baptisée « classe bleue » parce que nous ne souhaitions pas stigmatiser ces enfants en appelant cette classe « classe d'enfants handicapés ». Nous avons par la suite attribué une couleur à l'ensemble des classes de l'école.
Ce projet a nécessité une concertation avec l'équipe enseignante et les parents d'élèves pour surmonter les appréhensions, certaines familles refusant que leur enfant soit scolarisé avec des enfants handicapés, craignant que ce soit dangereux. Ces temps d'échange ont permis aux familles de poser toutes leurs questions et nous avons pu y apporter des réponses. Parallèlement, une psychologue spécialiste de l'autisme est intervenue dans chaque classe pour sensibiliser les enfants. Quatre ans plus tard, cette « classe bleue » est un succès, permettant aux enfants de réintégrer progressivement les classes ordinaires.
En 2022, nous avons étendu notre démarche en accueillant un apprenti autiste dans nos services municipaux, plus précisément aux espaces verts. Nous avions consulté au préalable nos 25 agents pour nous assurer qu'ils étaient prêts à s'engager dans cette aventure. Ce jeune a été complètement intégré dans l'équipe et nous avons aussi mis en place un accompagnement scolaire supplémentaire. Nous avons également formé le personnel communal à l'utilisation de pictogrammes pour faciliter la communication. Tant au plan scolaire que professionnel, nous avons constaté combien ce dispositif nous enrichit mutuellement.
Nous organisons par ailleurs une « journée bleue » annuelle, rassemblant toutes les associations locales pour collecter des fonds. Ceux-ci sont répartis entre la « classe bleue », une nouvelle classe « arc-en-ciel », et notre conseil municipal des jeunes.
Notre approche de l'inclusion vise à intégrer les enfants en situation de handicap tout en sensibilisant les autres élèves. En 2022, nous avons reçu le deuxième prix de l'Association pour adultes et jeunes handicapés (APACHE) pour notre engagement en faveur de l'insertion des jeunes en situation de handicap.
En 2023, nous avons donc ouvert une classe « arc-en-ciel » au sein de l'école élémentaire, accueillant des enfants présentant divers types de handicaps. Malgré la complexité du projet, notre méthode fondée sur l'écoute, le partage et la formation a rapidement porté ses fruits.
Les enfants sont inclus dans les activités scolaires et périscolaires, partagent le même restaurant scolaire et participent à des activités, comme la chorale, sur la pause méridienne. Nous avons réalisé ces progrès avec des moyens financiers limités, ce qui démontre que, si l'argent est utile à certains aménagements, c'est avant tout la volonté d'agir qui est déterminante.
Notre premier apprenti a obtenu son certificat d'aptitude professionnelle (CAP) et est maintenant employé comme un salarié ordinaire dans une collectivité. Il a même obtenu son permis de conduire. Nous en sommes tous très fiers.
En septembre 2024, nous avons embauché un nouvel apprenti au sein du service de restauration, qui prépare les repas pour notre restaurant scolaire. Chaque situation présente des défis uniques, chaque jeune autiste est différent, mais nous continuons d'avancer.
En novembre 2024, nous avons reçu le premier prix du trophée APACHE pour les services publics et la ville inclusive. Cette reconnaissance nous encourage à poursuivre nos efforts. Nous développons actuellement un potager communal impliquant tous les enfants, y compris ceux de l'Institut médico-éducatif (IME). Cette initiative s'inscrit dans le parcours de civisme et le passeport du civisme mis en place dans la commune il y a huit ans.
Toutes ces actions autour du handicap sont devenues une véritable fierté communale. Nous attendons avec impatience l'ouverture, en septembre 2025, d'une classe unité d'enseignement en élémentaire autisme (UEEA) réservée aux enfants autistes.
M. Bernard Delcros, président. - Je vous remercie et je cède la parole à Monsieur Laurent Michon.
M. Laurent Michon, adjoint délégué aux affaires sociales, aux personnes âgées, au handicap et à la mobilité de la commune de Caluire-et Cuire. - Merci beaucoup d'avoir organisé cette matinée et de nous avoir conviés pour évoquer les bonnes pratiques et les projets innovants que nous pouvons mettre en place sur nos territoires.
Caluire-et-Cuire est une commune de 43 000 habitants située au sein de la métropole de Lyon. Nous comptons plusieurs établissements accueillant des personnes en situation de handicap, dont une crèche et l'école Atys pour les enfants présentant des troubles du spectre autistique. Dans cette école, des professionnels accueillent à mi-temps les enfants à partir de deux ans. Pendant l'autre mi-temps, les enfants sont dans leur école de quartier. Nous avons également un collègue qui accueille les élèves en situation de handicap et une cité scolaire, le collège et le lycée Élie Vignal, qui accueille un nombre important d'enfants porteurs de handicap. Enfin, nous disposons de deux accueils de jour, l'un dépend de l'association OEuvre des Villages d'Enfants (OVE) et l'autre d'une association locale, l'Association lyonnaise de gestion d'établissements pour personnes déficientes (ALGED), dont le siège est situé dans notre commune. Nous avons également un foyer de vie de l'Association départementale de parents et amis de personnes handicapées mentales (ADAPEI 69), un IME et un centre de formation pour les personnes sourdes et malentendantes.
En 2020, lorsque je suis devenu adjoint au maire chargé du handicap, j'ai rencontré l'ensemble de ces structures pour les encourager à s'impliquer davantage dans la vie communale et à s'ouvrir aux habitants.
Notre commune est labellisée « Ville amie des enfants » et « Ville amie des aînés » et j'ai réfléchi à ce que nous pourrions entreprendre en matière de handicap.
À la fin de l'année 2023, nous avons diffusé un questionnaire pour recueillir les besoins et les difficultés des personnes handicapées et de leurs aidants. Nous avons ensuite organisé les premières « rencontres inclusives », réunissant sur une matinée les acteurs du champ du handicap et les habitants concernés.
À la suite de ces rencontres, nous avons mis en place des ateliers de travail sur des thématiques comme l'accès au logement, la vie sociale, la vie associative, l'accès aux soins et la mobilité. Ces échanges ont permis d'identifier les améliorations à mettre en place.
Nous élaborons actuellement un plan d'action sur le handicap, directement fondé sur les besoins exprimés par les personnes concernées et conçu pour un déploiement à court et moyen terme, dans le respect des compétences communales. Nous avons veillé à associer pleinement les personnes en situation de handicap à ce projet.
En 2022, nous avons intégré des personnes présentant un handicap mental au sein des bureaux de vote pour les élections présidentielle et législative. Cette initiative enrichissante a permis de rendre le handicap plus visible, en permettant à ces personnes de participer en tant qu'acteurs à la vie de la cité. Cette opération a été renouvelée en 2024 et nous la poursuivrons lors des prochaines élections. En amont de chaque élection, nous avons organisé des séances d'information adaptées pour expliquer le processus électoral aux personnes en situation de handicap mental dans les foyers de vie et les centres d'hébergement.
Nous avons également conclu une convention entre un centre d'accueil de jour et nos services d'espaces verts, permettant à des personnes handicapées de travailler avec nos agents. Ces actions démontrent notre volonté politique d'intégrer et d'inclure les personnes en situation de handicap dans la vie de la cité. Notre rôle est aussi de créer du lien entre les habitants, les structures et les associations.
En tant que président de l'Union départementale des centres communaux d'action sociale (CCAS) du Rhône et de la métropole de Lyon, j'ai organisé en novembre 2024 un colloque régional pour déstigmatiser la santé mentale auprès des élus et des directeurs de CCAS. L'objectif était de mieux comprendre les maladies psychiques et d'améliorer l'accueil et l'orientation des personnes concernées dans nos collectivités.
M. Bernard Delcros, président. - Je vous remercie pour ces initiatives remarquables. Elles démontrent l'importance de la volonté communale et de l'engagement des élus sur ces sujets, au-delà du cadre légal, puisque de nombreux projets reposent sur des initiatives locales.
Comment pourrions-nous accompagner et aider d'autres communes à mettre en place des actions similaires ? Votre exemple de partage d'expériences à l'échelle territoriale est intéressant. Existe-t-il d'autres moyens de sensibilisation ou d'accompagnement pour permettre aux personnes en situation de handicap d'accéder à des postes à responsabilité dans les territoires, les communes ou les assemblées ?
Je cède à présent la parole à Corinne Féret, membre de notre délégation et de la commission des affaires sociales, rapporteure de la mission d'information sur le bilan de la loi du 11 février 2005.
Mme Corinne Féret. - En tant que co-rapporteure de la mission d'information sur le bilan de la loi de 2005, je suis heureuse de participer à cette réflexion. La commission des affaires sociales travaille sur ce sujet, mais d'autres commissions du Sénat sont également impliquées, notamment sur les questions d'éducation et d'accessibilité. Nous préparons aussi un colloque qui aura lieu le 11 février prochain.
Je me réjouis que la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation organise ces deux tables rondes. Les associations jouent un rôle essentiel dans l'intégration au quotidien des personnes handicapées, mais les initiatives des élus locaux sont tout aussi cruciales pour faire avancer les choses.
La loi sur le handicap a 20 ans. Il est important d'en dresser le bilan et d'être force de proposition pour l'améliorer. Je souhaite savoir comment s'organisent concrètement les initiatives dans vos communes. Y a-t-il systématiquement un élu en charge du handicap dans les conseils municipaux ? Comment cela fonctionne-t-il au niveau des intercommunalités ?
M. Bernard Buis. - Ma question s'adresse à Madame Maragliano. Vous avez indiqué que vous avez fait travailler une agence de communication privée. Que leur avez-vous demandé et pourquoi cela a-t-il échoué ?
Mme Pascale Gruny. - Dans ma ville, nous avons une adjointe au maire chargée du handicap et un conseiller municipal en fauteuil, ce qui a permis de progresser sur l'accessibilité.
L'adjointe au maire a ainsi créé une association de danse pour les personnes handicapées, ce qui a changé le regard sur le handicap physique, mais aussi sur le handicap mental puisqu'elle accueille des enfants autistes.
J'ai également travaillé en entreprise et j'ai toujours cherché à intégrer des personnes handicapées. Je regrette que notre chambre de commerce ait cessé d'organiser son colloque annuel sur l'intégration des personnes handicapées dans les entreprises. Celle-ci reste complexe, les entreprises comme les collectivités territoriales craignant de mal faire. On ne connaît pas toujours le handicap des personnes et la médecine du travail ne nous accompagne pas suffisamment.
Par ailleurs, la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) est saturée de demandes et les dossiers n'avancent pas.
J'étais députée en 2005 et la loi sur le handicap est la première que j'ai votée. Elle a marqué un tournant important, même si elle est aujourd'hui critiquée car il y a encore énormément d'attentes. Ce matin, le partage des bonnes pratiques me semble essentiel.
M. Jean-Claude Anglars. - Je m'adresse à Madame Maragliano. Il y a 12 ans, j'ai participé au développement du chemin de Saint-Jacques de Compostelle classé au patrimoine mondial de l'UNESCO entre Le Puy dans la Loire et Conques dans l'Aveyron. Nous avons travaillé sur l'équipement du chemin avec des tablettes en braille avec l'association « Braille et Culture ». Je suis toujours surpris du regard des gens sur l'utilité de ces équipements pour les marcheurs malvoyants. Comment maintenez-vous votre enthousiasme face aux interrogations persistantes sur la perception du handicap ?
M. Laurent Burgoa. - Je vous remercie pour vos propos et pour vos actions. Comment organisez-vous le budget dédié au handicap dans vos collectivités ? Est-ce un budget autonome ou une ligne du CCAS ? Quelle est votre organisation administrative ? Disposez-vous d'un directeur spécifique, d'un directeur général adjoint (DGA) ou est-ce l'élu qui gère tout ?
M. Bernard Delcros, président. - Je propose à Madame Maragliano, qui a été directement interpellée, de commencer à répondre, puis chacun pourra s'exprimer.
Mme Francine Maragliano. - Je vous remercie pour toutes ces questions pertinentes.
Concernant nos difficultés de financement pour les projets de mobilité, nous excellons dans les concours internationaux, mais nous manquons de soutien financier pour concrétiser nos projets qui visent à offrir un meilleur service à nos usagers sur l'ensemble de notre territoire.
Un projet vise à mutualiser les véhicules sous-utilisés dans les structures médico-sociales, la commune et les entreprises, en s'appuyant sur l'intelligence artificielle. C'est un projet inclusif qui bénéficierait à tous.
Pour la communication sur le handicap, nous avons rencontré des difficultés avec une agence qui ne maîtrisait pas le vocabulaire spécifique au handicap. Nous lui avons demandé de nous aider à rendre visible l'invisible. Je pensais que ce serait un atout de sortir de l'entre-soi, mais nous avons finalement compris que le handicap nécessitait une connaissance approfondie des besoins spécifiques et surtout plus de temps pour l'écoute des personnes venant en mairie, la compréhension et l'adaptation des infrastructures. Par exemple, les feux rouges doivent être plus longs pour permettre aux personnes en situation de handicap de traverser la route sans craindre la circulation. Cette notion de temps est au coeur du handicap.
La peur est un frein majeur dans l'approche du handicap. Beaucoup veulent bien faire, mais craignent de mal faire, ce qui les paralyse. Quand nous apprenons qu'un membre de notre famille ou un ami proche est atteint d'une maladie grave, nous n'osons plus l'appeler, nous ne savons pas quels mots choisir.
Quand je suis devenue conseillère municipale au handicap en 2014, mon bureau était situé hors de la mairie. Je suis rapidement devenue adjointe au maire et tous les commerçants me demandaient des conseils pour leurs employés ou les membres de leur famille en situation de handicap.
Concernant le financement et l'organisation, j'ai constaté que le handicap touchait tous les aspects de la vie municipale - emploi, scolarisation, santé, voirie, urbanisme, environnement ou encore numérique. Au début, je souhaitais que chaque délégation gère le handicap au sein de son périmètre de responsabilité. Cependant, les agents m'ont dissuadée de poursuivre dans cette voie pour éviter que la délégation au handicap perde sa ligne budgétaire, me privant ainsi de toute visibilité sur son suivi.
Il reste donc primordial de positionner la délégation au handicap à un niveau décisionnel élevé afin d'éviter de devoir sans cesse rattraper les projets initiés par d'autres services. L'idéal serait même de la rattacher directement au bureau du maire, comme Jacques Chirac l'avait fait au niveau national en la plaçant sous l'autorité du Premier ministre.
Enfin, il est essentiel d'intégrer l'accessibilité dès la conception des projets, notamment numériques. Trop de logiciels sont mis sur le marché sans être accessibles aux personnes malvoyantes parce qu'ils n'ont pas été testés, ce qui pose de réels problèmes sur le terrain.
M. Matthieu Annereau. - Je me concentrerai sur deux points essentiels.
Premièrement, il est crucial de compiler les bonnes pratiques, les expérimentations et les retours d'expérience sur ce qui n'a pas fonctionné dans une base documentaire largement partagée et régulièrement mise à jour. Cette ressource serait précieuse pour tous les élus locaux.
Deuxièmement, concernant les budgets, il serait pertinent d'adopter une approche similaire aux budgets genrés ou climatiques, en extrayant les actions concrètes liées au handicap et à l'accessibilité. Bien que ces enjeux soient transversaux, il est important de les rendre visibles dans les budgets pour éviter qu'ils ne soient négligés. L'exemple récent des nominations au Gouvernement montre que confier la responsabilité du handicap à tous les ministres sans désigner un ministre dédié peut être contre-productif.
Notre objectif est l'inclusion totale, mais tant que la société n'est pas prête, il faut marquer les étapes. Un élu dédié et une ligne budgétaire annuelle sont essentiels pour compiler les actions sur l'accessibilité des établissements publics, l'aménagement de la voirie, les sensibilisations et les formations. Cela montre aux personnes handicapées et aux associations l'engagement financier de la collectivité. Une projection pluriannuelle permettrait également de visualiser la montée en charge. La loi de 2005 sur l'accessibilité aurait dû inclure cet engagement pluriannuel des collectivités. Il faut commencer progressivement, même si le coût total semble élevé, en avançant concrètement chaque année sur 5 à 10 ans.
Mme Magali Marty-Royer. - Dans notre commune de 2 600 habitants, nous inscrivons simplement les actions au budget principal. Sans DGA, la communication est plus rapide. Une élue gère le travail autour du handicap, assumant plusieurs rôles. Notre approche est pragmatique, rapide et efficace. Nous n'utilisons pas de cabinets d'études, mais nous nous appuyons sur l'expertise locale. Par exemple, pour notre nouveau centre de loisirs, nous avons collaboré directement avec l'architecte et les professionnels de l'IME pour le design, sans frais supplémentaires. Notre taille nous permet cette flexibilité. Tout est inscrit au budget principal, projet par projet.
M. Laurent Michon. - Je n'ai pas de données sur le nombre d'adjoints délégués au handicap au niveau départemental ou national. Cependant, avoir un adjoint dédié met en lumière ce sujet et offre un point de contact rassurant pour les habitants concernés. Par exemple, lors des rentrées scolaires, les parents me contactent souvent concernant l'absence d'Accompagnants d'Élèves en Situation de Handicap (AESH), espérant que je puisse faire remonter l'information à la MDPH ou au rectorat.
La visibilité d'un adjoint au handicap montre la prise en compte de ce sujet par la commune. Le handicap n'est pas toujours prioritaire au sein des communes et il reste beaucoup à faire. C'est une question de volonté politique et d'actions concrètes. Nous allons par exemple créer une version « Facile à lire et à comprendre » (FALC) de notre plaquette CCAS, ce qui nécessitera un petit budget.
D'autres actions, comme la participation de personnes handicapées aux bureaux de vote, l'organisation de rencontres entre les acteurs du handicap ou l'élaboration d'un plan inclusif ne demandent pas d'investissement particulier.
En Auvergne-Rhône-Alpes, nous avons la chance d'avoir une vice-présidente engagée sur le handicap, ce qui encourage les initiatives locales. Il faut oser se lancer, sans craindre l'échec.
Enfin, je souligne le problème récurrent du manque d'AESH à chaque rentrée scolaire, qui est une réelle difficulté pour les familles.
Je vous remercie pour cette opportunité d'échanger sur ces sujets importants et de partager nos expériences.
M. Bernard Delcros, président. - Je remercie chaleureusement tous nos intervenants pour leurs actions concrètes et leurs initiatives dans leurs territoires respectifs. Vos témoignages et recommandations sont précieux. Je retiens notamment l'idée d'une base documentaire pour partager les bonnes pratiques et aider d'autres collectivités ou celle de l'élu référent. Vos contributions alimenteront l'événement du 11 février, organisé par la commission des affaires sociales pour le 20e anniversaire de la loi sur le handicap de 2025.
Table ronde réunissant des membres d'associations d'élus et du Comité national consultatif des personnes handicapées
M. Bernard Delcros, président. - Nous avons souhaité consacrer cette matinée à la question du handicap, qui est un sujet qui nous tient à coeur. La commission des affaires sociales du Sénat, dont plusieurs membres sont ici présents, organisera le 11 février prochain un événement à l'occasion des 20 ans de la loi de 2005 sur le handicap.
Nous avons entendu plus tôt les témoignages d'élus locaux en charge du handicap sur leurs actions concrètes sur le terrain, leurs réussites et les difficultés qu'ils rencontraient.
Cette seconde table ronde donne maintenant la parole à des responsables d'associations nationales, à des représentants d'associations d'élus et à des membres du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH).
Nous accueillons M. Jérémie Boroy, président du CNCPH. En tant que président de cette instance, vous vous intéressez notamment à la manière dont les collectivités s'emparent des politiques publiques sur le handicap. Vous avez lancé en 2024 une consultation sur la mise à jour des lois françaises en matière d'accessibilité et d'accès aux droits des personnes handicapées. Vous multipliez également les temps d'échange pour confronter les propositions nationales à la réalité des territoires.
Mme Sandrine Chaix est vice-présidente de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Vous nous présenterez la vision portée par Régions de France, dont vous présidez le groupe de travail handicap. Les régions ont, en effet, un rôle essentiel à jouer pour améliorer les parcours de vie des personnes en situation de handicap, et elles sont étroitement associées au suivi des mesures de la Charte d'engagement pour une société pleinement accessible, signée en 2023.
Pour l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF), nous accueillons Mme Isabelle Assih, maire de Quimper et M. Xavier Odo, maire de Grigny-sur-Rhône et conseiller régional de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Vous reviendrez tous les deux sur les diverses actions mises en oeuvre par les maires en faveur de l'inclusion des personnes handicapées, sur le rôle de l'AMF pour encourager cet élan, mais aussi sur les difficultés que peuvent rencontrer les élus locaux pour adapter leurs communes.
Pour Départements de France, nous accueillons M. Marc Fleuret, président du département de l'Indre. Votre parcours en tant qu'entraîneur national puis directeur technique du judo malvoyant vous a conduit à participer à cinq Jeux paralympiques, d'Atlanta 1996 à Londres 2012. Vous poursuivez aujourd'hui votre engagement en faveur de l'inclusion à la tête du département de l'Indre. Vous reviendrez sans doute sur les actions mises en place au niveau départemental - qu'il s'agisse de l'accompagnement assuré par les maisons départementales des personnes handicapées, du financement des foyers de vie ou de votre rôle comme président du groupe de travail handicap de l'Assemblée des départements de France (DF). Les départements, au plus près des territoires, ont en effet un rôle majeur à jouer pour soutenir les initiatives communales.
M. Jérémie Boroy, président du CNCPH. - Je vous remercie pour cette invitation et vous présente mes voeux pour la nouvelle année. Le CNCPH a pour mission d'assurer la participation et la représentation des personnes handicapées, de leurs familles et des professionnels contribuant à leur autonomie dans la co-construction des politiques publiques.
Notre rôle est de veiller à la mobilisation de tous les acteurs publics, notamment les ministères et les collectivités territoriales, pour garantir l'accès au droit commun des personnes handicapées. Nous insistons sur l'importance d'une approche interministérielle, où chaque ministre intègre les besoins des personnes handicapées dans sa feuille de route. Le CNCPH participe ainsi activement au Comité interministériel du handicap, qui se réunit deux fois par an autour du Premier ministre, permettant à chaque ministre de mettre à jour ses objectifs en collaboration avec les représentants des personnes handicapées.
Depuis notre renouvellement en 2023, nous avons créé une nouvelle délégation « Territoires » pour renforcer notre collaboration avec les acteurs des collectivités territoriales, en particulier les élus. Nous avons modifié notre méthode de travail pour collaborer davantage avec les associations du CNCPH, notamment l'AMF, DF, Régions de France et France urbaine. Nous organisons désormais une conférence annuelle des territoires du CNCPH. La première s'est tenue dans les Landes en décembre 2024, réunissant tous les acteurs des services publics locaux.
Pour le 20e anniversaire de la loi du 11 février 2005, nous avons lancé une consultation nationale pour évaluer cette loi et identifier les domaines nécessitant une mise à jour législative. Cette consultation nous a amenés à échanger dans les territoires avec les élus et les collectivités sur les axes d'amélioration de la loi. Nous prenons en compte non seulement la loi de 2005 qui a posé un cadre, mais aussi la Convention relative aux droits des personnes handicapées des Nations Unies, ratifiée par la France et qui apporte un certain nombre d'éclairages sur la manière dont nous devons engager nos politiques publiques. Il existe encore des écarts entre nos actions et les engagements que nous avons pris en ratifiant cette convention, notamment sur le plan législatif, comme la définition du handicap. Celle de 2025 n'est par exemple pas à jour.
Nous suivons attentivement le déploiement de services publics nationaux au niveau local pour garantir l'égalité de traitement sur tout le territoire, quels que soient les choix qui sont faits localement. Cela inclut les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), qui sont d'incontournables contributrices à l'accès aux droits des personnes en situation de handicap, le déploiement des maisons France Service, l'impact des nouveaux pôles d'appui à la scolarité et l'impact de la préfiguration du service public départemental de l'autonomie.
Deux axes structurent notre action : l'accessibilité de nos environnements tels que les établissements recevant du public, les services publics, et le numérique et l'application des lois post-2005. Le bilan de la mise en oeuvre des objectifs fixés en 2005 est mitigé. Les Agendas d'Accessibilité Programmée (Ad'AP) introduits en 2014 quand l'État a pris conscience que les échéances fixées en 2005 ne seraient pas tenues par l'écrasante majorité des acteurs publics et privés qui devaient mettre en conformité leurs établissements ont pris fin en septembre dernier. Ces agendas avaient pour objectif de laisser aux acteurs un peu plus de temps en fonction de la taille de leur patrimoine à adapter, à la condition qu'ils s'engagent dans la programmation des travaux. Désormais, les établissements non conformes sont hors-la-loi et s'exposent à des sanctions.
On nous dit souvent que ce n'est pas la priorité, qu'il faut des moyens financiers, mais quand on voit le bel engagement de la France au moment des Jeux olympiques et paralympiques, la mobilisation pour reconstruire Notre-Dame de Paris en cinq ans, délai particulièrement court et ambitieux, on constate que la France sait être au rendez-vous des priorités qu'elle choisit. Nous proposons donc la même démarche, un « plan Notre-Dame de l'accessibilité » pour rattraper le retard, avec des objectifs précis d'ici fin 2025, 2026 et 2027. Notre but est qu'aucune école, collège, lycée ou établissement d'accès aux soins ne soit inaccessible au-delà de ces dates.
Le deuxième axe concerne la participation des personnes handicapées. Les collectivités ont un rôle majeur à jouer pour développer cette participation à tous les niveaux de la société, notamment via les conseils départementaux de la citoyenneté et de l'autonomie et les commissions communales d'accessibilité. La participation, c'est aussi la possibilité de contribuer au débat public sur tous les sujets, y compris qui ne sont pas directement liés au handicap.
Nous voulons examiner avec les collectivités comment encourager et garantir cette participation, quel que soit le type de handicap. Il est crucial que les collectivités s'emparent de cette question avant les prochaines échéances électorales, pour permettre aux personnes handicapées de s'engager et d'exercer pleinement leur mandat une fois élues.
La loi prévoit que la Conférence nationale du handicap se réunisse tous les trois ans pour faire le bilan des années écoulées et dresser les perspectives des années à venir. Lors de la Conférence de 2023, une charte a été signée avec les représentants des collectivités territoriales (AMF, DF, Régions de France et France urbaine). Nous estimons qu'un suivi plus rapproché de cette charte est nécessaire et qu'elle doit servir de cadre à des échanges réguliers entre le CNCPH et les élus des collectivités territoriales.
Mme Sandrine Chaix, vice-présidente de la région Auvergne-Rhône-Alpes, présidente du groupe de travail handicap de Régions de France. - Je suis très heureuse de participer à cette table ronde sur un sujet qui nous importe. Au niveau de Régions de France, bien que nous n'ayons pas de compétences institutionnelles spécifiques sur le handicap, nous avons adopté une approche volontariste et transversale. Nous mobilisons l'ensemble de nos politiques pour répondre aux besoins des personnes en situation de handicap, que ce dernier soit visible ou invisible.
Concernant l'accessibilité, nous investissons des centaines de millions d'euros pour rendre les lycées et les transports accessibles. Les Ad'AP ont pris fin, mais nous avons pris contact avec les préfets pour obtenir des délais et nous poursuivons nos efforts malgré les retards dus à divers facteurs comme la crise sanitaire, la complexité des marchés publics et la défaillance d'entreprises. Il est vrai que l'accessibilité est souvent abordée à la fin des travaux et que nous avons besoin de temps pour mobiliser l'ensemble des corps de métier.
Au-delà de l'accessibilité pour les personnes en fauteuil, pour lesquelles il faut construire des rampes ou des ascenseurs qui nécessitent des investissements très importants, nous travaillons également sur l'accessibilité pour les handicaps sensoriels et cognitifs. Par exemple, en Auvergne-Rhône-Alpes, nous avons installé des balises sonores à l'entrée des lycées et distribué des boucles magnétiques pour l'accueil des déficients auditifs. Nous devons également travailler sur la signalétique, essentielle pour offrir davantage d'autonomie de déplacement aux personnes en situation de handicap.
Pour les transports, la responsabilité est partagée entre l'État, les régions et les différentes composantes de la SNCF. Nous investissons massivement dans l'équipement des cars et des TER, avec 300 millions d'euros mobilisés pour l'accessibilité dans le cadre du Contrat de Plan État-Région (CPER) mais nous ne sommes pas responsables des quais.
En termes d'organisation, nous avons mis en place des équipes dédiées et des référents handicap dans chaque direction pour prendre en compte le handicap dans tous les domaines : sport, culture, numérique, formation ou encore transport. Je suis 3ème vice-présidente chargée du handicap et je dispose d'une équipe dédiée de sept personnes mais nous rencontrons encore des difficultés pour surmonter certaines contraintes réglementaires et organisationnelles.
Pour prendre en compte le handicap de manière concrète, il est essentiel de former l'ensemble des acteurs et des professionnels. Par exemple, si tous les architectes étaient formés au handicap, nous n'aurions plus de problèmes d'accessibilité du bâti. De même, si les soignants étaient formés aux particularités du handicap, comme les dentistes pour l'accueil des enfants autistes, nous n'aurions plus de problème d'accès aux soins. Cette sensibilisation est cruciale pour mettre en place des actions opérationnelles.
Nous souhaitons également contribuer à changer le regard sur le handicap, en nous appuyant sur l'expérience des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024. Alors que nous approchons des anniversaires des lois de 1975, 2005 et 2015, il est temps de passer à l'action concrète, y compris dans les petites actions du quotidien. C'est en éliminant tous ces « petits cailloux » que nous faciliterons la vie des personnes en situation de handicap.
M. Marc Fleuret, président du département de l'Indre, président du groupe de travail Handicap de DF. - Le handicap est au coeur des compétences des départements, notamment à travers les Maisons départementales pour les personnes handicapées (MDPH) créées par la loi de 2005. Ces guichets uniques garantissent les droits et l'autonomie des personnes handicapées.
Nos champs d'action incluent l'éducation, avec l'aide matérielle et l'allocation des Accompagnants d'Élèves en Situation de Handicap (AESH), la promotion de l'emploi des personnes handicapées, la simplification de l'accès aux droits et le soutien à l'autonomie et à la vie à domicile. Les MDPH regroupent diverses instances et travaillent de façon transversale avec tous les acteurs concernés, notamment pour l'attribution des allocations avec notre commission des droits de l'autonomie au sein de laquelle siègent les associations et les familles.
Les départements financent également l'accessibilité dans les établissements publics. DF a proposé que l'attribution des subventions du « Fonds vert » pour la rénovation énergétique des bâtiments soit conditionnée à leur mise en accessibilité.
Depuis 2005, nous avons mis en place des plateformes numériques pour simplifier les démarches administratives, avec un accompagnement dans les espaces France Services. De nombreux départements innovent dans le secteur de l'habitat regroupé ou partagé et de l'emploi pour les personnes handicapées. Dans l'Indre, nous avons travaillé avec la société Barilla pour que les personnes autistes puissent intégrer une cellule de travail, avec un accompagnement dans l'entreprise et à l'extérieur.
Cependant, nous rencontrons des freins, notamment financiers. Les mesures décidées par l'État sans discussion préalable ni compensation financière ont un impact important sur les budgets départementaux. En 2005, environ 50 % de notre budget de fonctionnement concernait l'action sociale. Cette part est aujourd'hui de 70 %.
Nous faisons également face à un manque de moyens pour la mise en accessibilité des bâtiments et à des problèmes d'attractivité des métiers dans le secteur du handicap. Ces métiers sont trop souvent présentés avec leurs particularités, leurs freins, alors qu'ils sont en contact avec l'humain et très valorisants. Par ailleurs, les délais administratifs sont parfois très longs et il faut absolument que nous parvenions à accélérer.
DF a formulé dix propositions, allant de l'accessibilité universelle à l'inspection des établissements. Nous nous réunissons tous les deux mois pour avancer sur ces questions.
En conclusion, il est crucial de changer le regard porté sur le handicap. L'élan suscité par les Jeux paralympiques doit être maintenu. Nous devons travailler ensemble pour que cette dynamique perdure.
M. Xavier Odo, maire de Grigny-sur-Rhône, maire-référent Handicap et Accessibilité à l'AMF. - Je vous remercie de nous accueillir et de nous permettre d'échanger avec vous sur les difficultés auxquelles nous sommes confrontés.
La loi du 11 février 2005 a été un catalyseur du changement des mentalités, mais sa mise en oeuvre prend du temps en raison de la diversité des 35 000 communes françaises. Certaines communes disposent de budgets conséquents mais doivent gérer des patrimoines anciens et complexes, alors que d'autres s'interrogent sur la fermeture de leur dernier commerce et ne se posent pas la question de savoir s'il est aux normes.
L'agenda d'accessibilité programmée est au coeur du projet dans les collectivités territoriales. Nous proposons de rencontrer les collectivités en 2025 avec les préfectures pour évaluer leur progression. Les bâtiments posent des défis importants, notamment en termes de maintenance des ascenseurs.
Les communes sont la porte d'entrée pour l'école et les crèches, jouant un rôle crucial dans l'accueil, le diagnostic précoce et l'accompagnement des enfants en situation de handicap. Des efforts ont été faits pour l'accueil scolaire, notamment avec le déploiement d'AESH, mais des questions subsistent concernant le temps périscolaire et la pause méridienne. Les collectivités sont également prêtes à mettre en place de nouveaux espaces comme les salles de répit dans les écoles.
Mme Isabelle Assih, maire de Quimper, maire référente Handicap et Accessibilité à l'AMF. - Je suis honorée de représenter l'AMF pour la première fois au Sénat sur cette politique publique transversale. Je suis référente Handicap et Accessibilité depuis le dernier Congrès des maires de novembre 2024.
J'accorde beaucoup d'importance à la définition du champ d'intervention du handicap. Le terme « handicap » vient de l'anglais « hand in cap » qui veut dire « main dans le chapeau » et évoque à la fois le hasard - on naît avec ou sans handicap - et la notion de compensation puisque le « hand in cap » permettait d'assurer l'égalité entre les joueurs dans les paris hippiques. C'est important de le rappeler.
La loi de 2005 est très complète, définissant le handicap comme une incapacité d'assurer un rôle dans la vie sociale du fait de déficiences. Elle couvre un large spectre de handicaps - moteur, sensoriel, mental, psychique, cognitif, troubles du neurodéveloppement, autisme et troubles du spectre autistique, troubles dysfonctionnels, polyhandicap et maladies invalidantes -, dont 80 % ne sont pas visibles. Il est crucial de considérer tous les types de handicaps dans les politiques d'accessibilité, pas seulement les déficiences motrices ou sensorielles. Les communes doivent s'emparer de toutes les dimensions liées au handicap dans leurs politiques publiques pour éviter, par exemple, qu'un jeune en déficience intellectuelle, qui peut monter dans un bus, se perde.
La tâche des maires est immense mais passionnante. Je précise également que la compétence petite enfance est exercée dans ma commune au niveau de l'agglomération.
Depuis 2005, il y a eu beaucoup d'avancées, il faut le reconnaître, mais il reste encore beaucoup à faire. Les communes, responsables des bâtiments scolaires, doivent s'intéresser à l'accueil des enfants tant sur le temps scolaire que périscolaire.
L'orientation des enfants présentant des troubles cognitifs vers le médico-social se fait désormais vers 12 ans, contre 6 ans auparavant. Dans les Instituts médico-éducatifs (IME), ces enfants ne reçoivent que 7 à 10 heures d'enseignement par semaine, ce qui soulève des questions sur l'équité et l'accessibilité de notre système éducatif. L'expérimentation « l'IME à l'école » proposée par l'ancienne ministre des solidarités et du handicap Aurore Bergé était prometteuse pour améliorer l'autonomie des enfants, mais elle a été abandonnée à la suite du changement de ministre. J'appelle les élus nationaux à relancer des politiques proactives sur le handicap. Les maires seront alors très heureux de créer les espaces pour l'école véritablement inclusive du XXIème siècle.
Concernant l'emploi, les collectivités territoriales sont plus performantes que l'État dans l'embauche de personnes en situation de handicap, avec un taux moyen de 6,80 %. À Quimper, nous atteignons 11 %. Nous avons organisé un Forum de l'emploi pour les collectivités territoriales, ciblant spécifiquement les personnes en situation de handicap, avec des résultats positifs.
La loi de 2005 reste une référence importante, offrant de nombreuses possibilités d'action. Enfin, les conseils locaux du handicap sont des outils précieux permettant aux personnes concernées de s'exprimer directement sur leurs besoins.
M. Bernard Delcros, président. - Je vous remercie pour vos interventions, très complémentaires, qui soulèvent plusieurs questions. En particulier, existe-t-il des différences d'engagement et d'initiatives entre les départements concernant leur compétence en matière de handicap ? Comment assurer un traitement équitable dans tous les territoires compte tenu de la diversité des collectivités ? Quelles initiatives prenez-vous pour sensibiliser les maires aux handicaps non visibles, qui représentent 80 % des cas, afin d'améliorer l'intégration et l'accès aux services pour ces personnes ?
Mme Corinne Féret. - Le Président du Sénat a souhaité organiser un colloque le 11 février pour marquer les 20 ans de la loi de 2005 sur le handicap. Elle n'est pas parfaite dans son application, certaines dispositions doivent être confortées, adaptées, mais il est intéressant de faire un bilan de cette loi.
Une mission d'information a été mise en place par la commission des affaires sociales, avec trois co-rapporteurs, Chantal Deseyne, Marie-Pierre Richer et moi-même. D'autres commissions du Sénat travaillent également sur le bilan de cette loi, notamment sur l'accès à l'éducation, jusqu'à l'enseignement supérieur, et l'accessibilité.
La délégation aux collectivités locales et à la décentralisation organise ce matin deux tables rondes sur ce thème et je remercie son président pour cette initiative.
Depuis décembre dernier, nous avons mené plusieurs auditions. Nous avons par exemple déjà entendu Monsieur Boroy.
Vous avez présenté ce que les différents niveaux territoriaux ont mis en oeuvre et vous nous avez fait part d'éléments que nous pourrions faire évoluer. Le Sénat, en tant que relais des territoires, accorde une grande importance à vos témoignages et vos expériences pour faire évoluer la législation si nécessaire. Votre présence et vos contributions sont précieuses pour notre travail parlementaire.
Mme Pascale Gruny. - Je remercie Madame Assih qui a dit que la loi de 2005 était une très belle loi et qu'il fallait la relire. Comme j'ai eu l'occasion de le dire lors de la première table ronde, c'est la première loi que j'ai votée en tant que Députée. La ministre qui la portait, Marie-Anne Montchamp, comme le président de la République Jacques Chirac, voulait aller plus loin mais sa mise en oeuvre s'est heurtée, comme souvent, à des problèmes de financement.
L'accessibilité reste un défi majeur, nécessitant du pragmatisme et de la flexibilité dans son application. Le coût pour rendre accessibles les bâtiments est énorme mais même si une commune ne compte aucun administré en situation de handicap moteur, il ne faut pas oublier qu'un accident de la vie peut avoir pour conséquence un handicap.
Le handicap concerne tous les niveaux de collectivités, pas uniquement les départements. Toutes les collectivités doivent se mobiliser pour faire avancer cette cause.
J'ai constaté des problèmes pratiques, comme des ascenseurs équipés de braille américain, notamment au Sénat, illustrant le besoin d'une meilleure sensibilisation des ascensoristes.
Dans l'éducation, la MDPH et le Directeur académique des services de l'Éducation nationale (DASEN) sont saturés de demandes mais nous faisons face à une pénurie d'AESH, ce qui complique la rentrée scolaire pour de nombreux enfants. L' « école inclusive » pose des défis importants aux enseignants, contribuant à leur démission, car il est parfois impossible de faire cours avec de nombreux élèves ayant des troubles de l'attention ou du comportement. Je pense qu'il est nécessaire de repenser notre approche pour ne pas négliger les autres élèves.
Les IME sont en nombre insuffisant. Le vieillissement des personnes handicapées soulève de nouvelles questions, notamment sur leur prise en charge. J'ai été sollicitée la veille de Noël par une maman de 80 ans à qui on a brutalement annoncé que sa fille trisomique ne pourrait plus rester dans son logement d'autonomie après son 60e anniversaire en mars prochain et serait transférée en EHPAD. J'ai contacté la MDPH qui m'a expliqué que certains EHPAD étaient dotés de services spécifiques pour l'accueil de personnes en situation de handicap.
L'accès à l'emploi pour les personnes handicapées reste difficile, avec des obstacles en termes de formation et d'intégration. J'ai expliqué lors de notre première table ronde ce matin que j'avais réussi à intégrer un salarié en situation de handicap dans mon entreprise uniquement parce que je suis élue. Malgré les progrès réalisés depuis la loi de 2005, il reste beaucoup à faire. Nous avons besoin de pragmatisme, de confiance et de moyens financiers accrus.
Mme Anne-Sophie Patru. - J'ai rencontré la semaine dernière le DASEN et l'Association départementale de parents et d'amis des personnes handicapées mentales (anciennement Association départementale des amis et parents d'enfants inadaptés (ADAPEI)) à l'occasion de la signature d'une Convention. Je confirme les difficultés de l'inclusion scolaire, particulièrement pour les enfants atteints de troubles du spectre autistique. Les listes d'attente pour les IME sont très longues. L'inclusion en milieu classique peut parfois avoir des effets négatifs, les autres élèves percevant ces enfants comme perturbateurs.
Concernant les heures d'enseignement dans les IME, il faut nuancer les chiffres. Bien que le nombre d'heures d'enseignement formel soit limité, de nombreux ateliers favorisent l'apprentissage. Ces enfants ont besoin de décloisonnement et de sessions de travail courtes.
M. Bernard Delcros, président. - Je vous invite à présent à réagir à ces observations.
M. Xavier Odo. - La diversité des situations entre les petites et grandes communes pose un défi majeur. Nous proposons de relancer le dialogue avec les directions départementales des territoires (DDT) et les préfectures pour identifier les besoins, notamment en réactivant le projet des ambassadeurs de l'accessibilité. L'AMF est prête à promouvoir cette initiative, particulièrement auprès des communes rurales.
Aujourd'hui, le problème n'est plus l'opposition à l'accueil du handicap, mais plutôt la difficulté à mettre en oeuvre les solutions, d'autant plus que le vieillissement de la population accentue les besoins. Le domaine du sport illustre bien cette évolution : après le développement du sport handicap et du sport santé, nous voyons émerger des pratiques inclusives, comme le Baskin, qui permettent à tous de jouer ensemble. Ces évolutions représentent de nouveaux défis pour les collectivités. Notre objectif est de comprendre ces défis et de les aborder collectivement, en dépassant la phase de jugement pour entrer dans celle de l'action concertée.
Mme Isabelle Assih. - Je soutiens l'idée d'une coopération accrue entre communes. L'échelle de l'établissement public de coopération intercommunal (EPCI) peut être pertinente pour mutualiser les ressources, notamment pour l'accès à l'emploi et l'accompagnement des petites communes souhaitant accueillir des agents en situation de handicap. Chaque commune ne peut pas disposer d'une équipe dédiée avec un ergonome ou un médecin du travail.
Concernant les handicaps invisibles, la formation des acteurs associatifs à l'accueil de tous les types de handicaps est une mesure peu coûteuse et efficace pour favoriser l'inclusion sociale.
Pour l'école, il faut être vigilant à ne pas régresser et respecter l'esprit de la loi. L'AESH n'est pas la solution unique à l'inclusion. Nous devrions nous inspirer de modèles étrangers, comme au Québec ou en Italie, où le médico-social est intégré à l'école, avec des professionnels qui accompagnent les enfants et les enseignants. Si nous avions en France cette organisation, les MDPH ne seraient pas submergées de demandes d'AESH.
Je tiens à souligner que dans les IME, contrairement à ce qui est souvent affirmé, l'enseignement n'est pas véritablement intégré aux activités pratiques. De plus, les enseignants en IME, comme je l'observe dans le Finistère, ne sont souvent pas des professeurs des écoles, ce qui est problématique.
M. Marc Fleuret. - Il existe une réelle disparité entre les départements concernant la perception et l'accompagnement du handicap. Dans mon département, nous avons réussi à rendre accessibles les 38 collèges à la fin de l'année 2024, grâce à des investissements importants. Cependant, certains départements en difficulté financière ne peuvent pas réaliser ces aménagements, ce qui conduit parfois certaines familles à déménager.
Les critères de financement des MDPH créent également des disparités. Dans les territoires ruraux, où la population handicapée est souvent plus âgée, les financements sont insuffisants, car ils sont principalement axés sur les jeunes et les personnes actives. Cette situation pénalise les départements ayant une forte proportion de personnes handicapées de plus de 60 ans. Le département que je préside doit investir 120 000 euros cette année pour équilibrer le budget de la MDPH et assurer la continuité de ses missions.
Concernant le sport, le Comité paralympique français a lancé une initiative nationale de subventionnement conjoint avec les collectivités volontaires pour former les éducateurs sportifs à l'accueil des personnes handicapées. Cette démarche se développe bien et le succès des Jeux paralympiques devrait la renforcer.
Enfin, pour l'accessibilité, un financement conséquent de l'État est nécessaire, les collectivités ne pouvant assumer seules les travaux requis.
Mme Sandrine Chaix. - Concernant les ascenseurs, essentiels à la mobilité verticale, une réglementation sur les délais de réparation et une obligation de disposer de moyens de substitution comme les monte-escaliers à chenillette seraient nécessaires. Il est inacceptable que des personnes restent isolées chez elles à cause de pannes. Malheureusement, la loi portant évolution du logement de l'aménagement et du numérique (ELAN) ne nous a pas aidés sur la problématique de l'accessibilité du logement.
Nous avons besoin de lois qui imposent mais aussi qui facilitent l'innovation. Le financement est crucial : le fonds d'accessibilité territoriale de 300 millions d'euros sur cinq ans devrait être réduit d'après le projet de loi de finances sur lequel vous travaillez, et le fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées est désormais plafonné. Il y a beaucoup d'annonces mais les critères sont modifiés et les moyens diminuent souvent avec le temps.
Tous les élus devraient être sensibilisés à l'accessibilité de leur communication, notamment sur les réseaux sociaux et dans les courriels.
Concernant l'inclusion scolaire, je suis de plus en plus réservée sur l'inclusion à tout prix. On manque de données précises sur le temps réel de scolarisation des enfants handicapés L'inclusion ne doit pas être un simple affichage, mais servir réellement l'intérêt des personnes concernées, que ce soit à l'école, dans le sport ou au travail.
Enfin, il est essentiel d'impliquer les personnes handicapées dans les décisions qui les concernent, pour éviter des erreurs comme celle du braille américain dans les ascenseurs du Sénat.
M. Bernard Delcros, président. - Je vous remercie pour ces précisions. Pour conclure cette matinée très enrichissante, la parole est à Monsieur Boroy.
M. Jérémie Boroy. - Ces dernières années, on a pris l'habitude d'opposer les différents types de handicap. Cette approche est contre-productive. Il n'y a pas de handicap mieux pris en compte qu'un autre, ni de handicap plus ou moins important. La distinction entre handicaps visibles et invisibles n'a pas de sens non plus.
Notre mission collective est d'identifier les contraintes et les situations de handicap pour les prévenir, les contourner, les réduire ou les supprimer. Nous devons faire connaître la diversité des situations sans créer de catégories. Chaque type de handicap présente ses propres défis. L'accessibilité doit prendre en compte toutes les situations de handicap. Même si nous ne sommes pas tous experts de tous les sujets, il existe des solutions d'accessibilité pour chaque situation.
En réponse à Mme Gruny, je trouve qu'il est problématique d'invoquer Jacques Chirac et sa loi tout en parlant de pragmatisme 20 ans plus tard. Le pragmatisme est le quotidien des personnes concernées par le handicap. L'accessibilité doit être garantie partout, sans exception. La loi prévoit déjà suffisamment de flexibilité, voire trop, car on constate un abus de dérogations. Celles-ci devraient être réévaluées périodiquement, car les contraintes techniques et financières évoluent avec le temps et les innovations.
Concernant l'aspect financier, il faut rappeler que ces obligations existent depuis 20 ou même pour certaines 50 ans. Même quand des moyens sont disponibles, comme le fonds territorial de l'accessibilité doté de 300 millions d'euros, peu de dossiers sont déposés. L'accessibilité a été trop longtemps considérée comme optionnelle.
Il est nécessaire de mieux informer les différents acteurs sur les aides disponibles et de les accompagner, notamment les petites communes dans les zones rurales. L'État doit fournir un appui en termes de méthodes et d'accès à l'information. Une délégation interministérielle à l'accessibilité a notamment été créée il y a deux ans et un réseau de sous-préfets référents accessibilité a été mis en place dans toutes les préfectures pour accompagner les collectivités.
Concernant l'école, il faut se concentrer sur le droit à l'éducation pour tous. Les mots sont importants et vous avez peut-être noté que je n'ai jamais utilisé les termes d' « école inclusive ». La loi de 2005 dispose que tous les enfants doivent être inscrits dans leur école de référence. La question est de savoir quels moyens l'Éducation nationale se donne pour rendre l'école accessible, tant en termes de lieu que d'accès au savoir. Il faut former et accompagner les professionnels, tout en reconnaissant leurs difficultés.
L'école doit rester le lieu d'apprentissage principal, mais son organisation peut être adaptée aux besoins de chaque enfant. Cela nécessite une meilleure coopération avec les ressources du médico-social. Enfin, il est important de noter que l'Organisation des nations unies (ONU), après l'audition de notre pays par le Comité des droits en 2021 sur la mise en oeuvre de la Convention relative aux personnes handicapées, a appelé la France à désinstitutionnaliser son approche, à cesser de faire de la ségrégation.
Enfin, la réponse ne peut se limiter aux AESH. Le fait que ce soit devenu le deuxième métier de l'Éducation nationale montre que nous nous sommes trompés dans nos priorités depuis 20 ans.
M. Bernard Delcros, président. - Je vous remercie pour cette conclusion de notre matinée. Vos interventions, allant des cas concrets aux perspectives plus globales, alimenteront l'événement organisé par la commission des affaires sociales le 11 février prochain, jour anniversaire de la loi de 2005.