Mardi 4 mars 2025

- Présidence de M. Olivier Rietmann, président de la délégation aux entreprises, et de M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes -

La réunion est ouverte à 14 heures.

« Agenda européen : quels enjeux pour les entreprises ? » - Audition de M. Laurent Bataille, président de Schneider Electric France, représentant l'Association française des entreprises privées (AFEP), Mmes Sylvie Grandjean, directrice générale du groupe REDEX, vice-présidente du Mouvement des entreprises de taille intermédiaire (M-ETI) et Isabelle Maquet, conseillère économique à la Représentation de la Commission européenne en France

M. Olivier Rietmann, président de la délégation aux entreprises- Chers collègues, nous sommes ravis d'organiser conjointement cette table ronde sur l'agenda européen et ses enjeux pour les entreprises. Je remercie nos invités pour leur disponibilité, car cet échange marque le début d'une mobilisation sénatoriale sur ces questions cruciales.

Suite au renouvellement de la délégation aux entreprises à l'automne 2023, nous avions confié une mission d'information sur la directive relative à la publication d'informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD) à Anne-Sophie Romagny et Marion Canalès. Ce travail a mis en lumière une réglementation d'une grande complexité, avec un impact considérable, mais mal évalué, sur les entreprises. À l'issue de ce rapport, nous avons été sollicités pour intervenir, alors que le processus décisionnel de l'Union européenne était déjà clos, et que la transposition avait déjà eu lieu.

Face à ce constat, j'ai demandé aux organisations patronales de nous alerter bien plus tôt dans la procédure européenne. J'ai également proposé à Jean-François Rapin une collaboration sur les orientations de politique européenne susceptibles d'influencer le développement des entreprises. C'est dans cet esprit que nous avons présenté une proposition de résolution européenne pour la reconnaissance des entreprises de taille intermédiaire par l'Union européenne.

La Commission européenne a récemment adopté son programme de travail pour 2025, incluant une stratégie de simplification et de nouvelles ambitions économiques. Cette initiative est cruciale dans un contexte mondial en rapide mutation, où les repères géopolitiques et économiques évoluent profondément.

Le 29 janvier 2025, la Commission a dévoilé sa « boussole pour la compétitivité » de l'Union européenne pour les cinq prochaines années. Ce document stratégique, inspiré des recommandations du rapport Draghi, vise à restaurer la compétitivité du continent.

L'un des objectifs majeurs est de réduire la charge bureaucratique de 25 % pour les entreprises, et même de 35 % pour les PME. On estime que cela pourrait générer une économie de 37,5 milliards d'euros de coûts récurrents sur cinq ans. Pour y parvenir, les analyses d'impact européennes intégreront désormais « une partie spécifique au test PME ». Je me réjouis de cette convergence avec l'initiative du Sénat que j'ai portée dans le cadre du projet de loi de simplification de la vie économique, actuellement en cours d'examen à l'Assemblée nationale.

Un paquet Omnibus est annoncé pour simplifier le triptyque du Pacte vert : taxonomie, directive CSRD sur le reporting extrafinancier et directive CS3D sur le devoir de vigilance. La révision de la directive CSRD pourrait réduire le nombre d'entreprises assujetties en ne visant que celles de plus de 1 000 salariés. D'autres propositions sont envisagées, comme la réduction du nombre d'indicateurs ou la suppression de l'obligation d'appliquer des normes sectorielles spécifiques.

Les réactions des entreprises sont mitigées. Certaines soulignent l'importance de maintenir une dynamique européenne pour éviter de répéter l'erreur des normes comptables imposées par les États-Unis. D'autres critiquent le caractère inadapté des obligations découlant de cette directive, estimant qu'elles alourdissent excessivement leurs charges administratives, au détriment de leurs efforts en faveur de la transition environnementale.

C'est pour discuter de ces orientations que nous allons entendre nos invités que je remercie chaleureusement pour leur présence :

- Mme Isabelle Maquet, conseillère économique à la représentation de la Commission européenne en France, nous présentera les orientations de la Commission concernant les entreprises.

- M. Laurent Bataille, président de Schneider Electric France et membre de l'Association française des entreprises privées (Afep), accompagné de M. Gilles Vermot-Desroches, vice-président en charge de la citoyenneté des relations institutionnelles ;

- Mme Sylvie Grandjean, directrice générale du groupe REDEX et vice-présidente du Mouvement des entreprises de taille intermédiaire (METI).

Je vous invite à partager vos analyses sur les évolutions souhaitables, notamment concernant la proposition Omnibus, le pacte pour une industrie propre, la préservation de l'innovation européenne face aux ambitions du président Trump et la réduction de notre dépendance stratégique, en particulier dans le domaine énergétique.

Je cède maintenant la parole au président de la Commission des affaires européennes, que je remercie pour nos échanges constructifs et nos travaux conjoints.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Mesdames et Messieurs, bienvenue à cette table ronde. Cette réunion doit nous permettre d'approfondir les enjeux des réformes annoncées ou envisagées au niveau de l'Union européenne. Nous nous trouvons au début d'un nouveau cycle législatif et cet échange se déroule donc à un moment des plus opportuns.

Cette table ronde s'inscrit dans la continuité de nos efforts communs en faveur de la reconnaissance par l'Union européenne de la catégorie des entreprises de taille intermédiaire. Elle illustre la volonté du Sénat d'être pleinement aux prises avec les réalités et besoins de ces dernières pour contribuer au mieux à la compétitivité de notre économie.

Je remercie Laurent Bataille, Sylvie Grandjean et Isabelle Maquet pour leur participation à cet échange. Cette rencontre souligne l'importance stratégique du marché unique, l'un des atouts majeurs de l'Union européenne, ainsi que la nécessité d'appréhender la réglementation européenne relative à la vie économique au bon moment dans le processus décisionnel.

La commission des affaires européennes du Sénat demeure très vigilante sur toutes ces questions. Récemment, nous avons ainsi eu plusieurs échanges avec les services de la Commission européenne concernant la proposition de règlement sur la lutte contre les retards de paiement. Nous avons adopté une résolution européenne critique sur cette mesure, estimant que malgré un objectif louable, la proposition n'était pas convaincante, particulièrement pour les PME qui étaient pourtant au coeur de cette réforme.

Dans deux semaines, nous examinerons une proposition de résolution européenne sur le programme de travail 2025 de la Commission européenne. Ce programme, qui met l'accent sur la restauration de la compétitivité européenne, corrige certaines erreurs de la précédente mandature.

La période 2019-2024 a en effet été marquée par des mesures fortes, parfois très symboliques, de régulation de certains pans de notre économie, notamment en matière de durabilité et de devoir de vigilance (CSRD et CS3D), que la Commission européenne propose maintenant de réviser. De même, le paquet « Ajustement à l'objectif 55 » a imposé des règles parfois trop strictes pour notre industrie, comme l'avait souligné le Sénat dans une proposition de résolution portée par trois commissions et treize rapporteurs.

Je me réjouis que la Commission européenne envisage de revoir le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF ou CBAM en anglais). Avec le Président du Sénat, nous avions interpellé la présidente de la Commission européenne sur ce dossier.

Inspirée par les réflexions d'Enrico Letta et de Mario Draghi, la Commission semble s'engager dans une voie plus réaliste, sans doute plus concrète et mieux adaptée aux contraintes des entreprises. Elle paraît aussi plus consciente des défis mondiaux auxquels nous sommes confrontés, notamment face à la concurrence agressive de la Chine et des États-Unis. L'administration Trump se montre particulièrement véhémente, mais nous ne devons pas oublier l'impact de l'Inflation Reduction Act adopté sous l'administration Biden.

Face à cette situation, l'Union européenne n'a d'autre choix que d'accroître sa productivité, de stimuler son innovation, de simplifier et de rationaliser sa réglementation. Mario Draghi a souligné avec insistance que si l'Europe ne parvient pas à augmenter sa productivité, nous serons contraints de faire des choix difficiles. Nous ne pourrons pas simultanément être à la pointe des nouvelles technologies, un phare de la responsabilité climatique et un acteur indépendant sur la scène internationale. De plus, nous risquons de ne plus pouvoir financer notre modèle social et devrons revoir à la baisse nos ambitions, voire les abandonner complètement.

C'est un défi existentiel qui nécessite une volonté politique forte, que vous trouverez ici.

Dans la continuité de ses communications sur la simplification et la boussole de compétitivité, la Commission européenne vient de présenter deux premiers paquets Omnibus : l'un sur la durabilité, l'autre sur la simplification des investissements, ainsi que son plan pour une industrie propre. Un troisième paquet Omnibus, prévu pour l'été, abordera notamment les enjeux spécifiques aux petites entreprises de taille intermédiaire.

La commission des affaires européennes examinera chacun de ces textes et la séance d'aujourd'hui est donc particulièrement précieuse pour initier nos travaux.

Madame Maquet, je partage l'objectif d'une Union plus audacieuse, plus simple et plus rapide, tel que proposé par la Commission européenne. Il vous incombe de nous éclairer sur les mesures concrètes proposées et de relayer les positions que vous entendrez ici. Je vous cède donc la parole pour une dizaine de minutes. Nous écouterons ensuite Madame Grandjean et Monsieur Bataille avant d'ouvrir la séance de questions-réponses. Nous comptons sur votre discours direct à tous les trois.

Mme Isabelle Maquet, conseillère économique à la Représentation de la Commission européenne en France- Je tiens tout d'abord à remercier la commission des affaires européennes, son président, Monsieur Jean-François Rapin, ainsi que la délégation aux entreprises et son président, Monsieur Olivier Rietmann, pour leur invitation qui me donne l'occasion de présenter l'agenda européen en faveur des entreprises.

En tant que conseillère économique en poste à Paris, il est de mon devoir d'être à votre écoute et de faire remonter vos points d'attention au siège.

Je rappellerai le cadre stratégique fixé par la nouvelle équipe de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, pour relancer la compétitivité en Europe et vous présenterai les dernières propositions visant à simplifier le cadre réglementaire de l'Union européenne, à savoir les Omnibus1 et 2.

Le 29 janvier, la Commission européenne a présenté sa feuille de route stratégique en réponse aux rapports Draghi et Letta. Ceux-ci dressent un constat alarmant : l'Europe a accumulé un retard technologique par rapport aux États-Unis et à la Chine, en particulier ; l'innovation ne se traduit pas suffisamment en applications industrielles et commerciales ; la fragmentation du marché intérieur freine la croissance des start-ups ; l'Europe est exposée à une forte dépendance énergétique et industrielle, et la concurrence internationale est exacerbée par des politiques de subventions massives de nos partenaires commerciaux.

Enfin, l'Union européenne fait face à un enjeu de réindustrialisation, notamment dans des secteurs stratégiques importants pour son avenir et sa souveraineté. En somme, l'inaction mènerait l'Europe à un déclin économique graduel, ce que Mario Draghi a qualifié de « lente agonie » mettant en péril notre modèle social et notre influence mondiale.

Face à ce constat, la Commission propose de faire de la compétitivité le principe directeur de toutes ses politiques, tout en maintenant le cap sur les objectifs du pacte vert et de la transition numérique. La boussole de compétitivité s'articule autour de trois grands domaines d'action et cinq leviers d'intervention. Elle vise à la fois à ce que l'Union européenne rattrape son retard d'innovation, mène de front décarbonation et compétitivité, et réduise sa dépendance aux importations stratégiques.

Les cinq leviers d'action sont :

1. la simplification des normes, reconnaissant que la période précédente a été marquée par une inflation normative ;

2. la suppression des barrières persistantes au sein du marché unique ;

3. le financement, notamment en mobilisant l'épargne européenne au service de nos industries et de notre économie ;

4. l'investissement dans les compétences, avec la proposition d'une « Union des compétences » pour assurer une main-d'oeuvre qualifiée ;

5. une meilleure coordination des politiques des États membres, notamment via un outil de coordination de la compétitivité et un fonds de compétitivité.

Ce cadre stratégique se traduit par des objectifs chiffrés : mobiliser 470 milliards d'euros de financements supplémentaires, économiser annuellement 37 milliards d'euros grâce à la simplification, et créer 500 000 nouveaux emplois dans l'économie circulaire d'ici 2030.

Le 11 février, la Commission européenne a annoncé son agenda de mise en oeuvre et de simplification, marquant un changement dans sa culture réglementaire. Des règles trop complexes et lourdes compromettent la réalisation de nos objectifs économiques, sociaux et environnementaux.

De plus, il est nécessaire d'adapter ces règles au contexte géopolitique dégradé que nous venons d'évoquer.

En tant que fonctionnaire européenne depuis plusieurs années, j'ai vu de nombreuses nouvelles Commissions promettre la simplification. Mais comme l'a déclaré le 21 février dernier M. Valdis Dombrovskis, un de nos commissaires les plus expérimentés et respectés, en charge de cette simplification : « cette fois, nous sommes sérieux ».

Ce changement prévoit qu'en plus des évaluations d'impact déjà en place, une attention accrue soit portée à la mise en oeuvre effective des initiatives. Chaque commissaire devra examiner les règles actuelles de l'Union européenne pour proposer des simplifications et rendre compte des progrès au Parlement européen et au Conseil. Le programme de travail de la Commission prévoit déjà 37 évaluations en 2025 pour identifier les incohérences, les doublons ou l'absence de données robustes.

Une deuxième innovation majeure consiste en l'organisation par chaque commissaire d'au moins deux dialogues par an avec les parties prenantes. De plus, les services de la Commission devront effectuer des « reality checks » sur le terrain, en lien direct avec les acteurs qui mettent en oeuvre les règles. Ces nouvelles approches de consultation permettront d'identifier ce qui fonctionne et ce qui doit être amélioré, tout en encourageant les bonnes pratiques.

Des mesures sont également envisagées pour lutter contre le « gold plating », ou surtransposition, lors de la transposition des directives européennes. Un réseau d'experts en droit européen va être mis en place pour contrer cette tendance à surtransposer parfois observée parmi les États membres.

Des propositions concrètes de simplification figurent déjà dans le programme de travail 2025 et pour les années suivantes. Elles visent à diminuer les charges réglementaires pour les citoyens, les entreprises, notamment les PME, et les administrations.

L'objectif est de réduire les coûts administratifs de 25 % pour toutes les entreprises et de 35 % pour les PME. Selon Eurostat, cet effort pourrait se traduire par une baisse d'environ 37,5 milliards d'euros de coûts administratifs annuels d'ici la fin de ce mandat.

Nous souhaitons agir rapidement. Le programme de travail de la Commission pour 2025 comprend déjà 18 nouvelles initiatives visant la simplification.

Le 26 février, la Commission a publié ses deux premiers paquets Omnibus. Le premier vise à simplifier les règles de mise en oeuvre de la directive relative à la publication d'informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD), la CS3D, la taxonomie et le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières. Le second doit permettre de renforcer les investissements en simplifiant le programme InvestEU.

Concernant la CSRD, nous allons réduire drastiquement le champ des entreprises soumises à l'obligation de reporting, passant de 50 000 à 10 000 entreprises concernées. Le seuil sera désormais de 1 000 employés pour un chiffre d'affaires supérieur à 50 millions d'euros, contre 250 employés auparavant. Nous allons également réduire le nombre de données à fournir pour toutes les entreprises, en révisant les standards de reporting.

La mise en oeuvre sera reportée de deux ans pour éviter que les sociétés actuellement concernées n'aient à se mettre en conformité avant l'adoption de la révision. Une mesure séparée sera prise rapidement pour suspendre temporairement l'obligation de conformité pour les entreprises qui pourraient être exemptées à l'avenir.

Nous définissons également un reporting standard volontaire pour les PME et les ETI faisant partie des chaînes de valeur des grandes entreprises. Cela permettra de limiter l'effet de ruissellement des exigences de reporting - dont nous sommes conscients - sur ces entreprises plus petites.

L'idée de standards par secteur est pour le moment abandonnée. Cependant, le principe de double matérialité est maintenu : les entreprises devront expliquer l'impact du changement climatique sur leur activité, ainsi que leur propre impact social et environnemental.

Le deuxième élément de simplification important concerne le devoir de vigilance sur l'ensemble de la chaîne de valeur de l'entreprise. Les principales évolutions sont les suivantes.

Premièrement, le délai de transposition par les États membres est reporté d'un an, à juillet 2027. De même, le délai pour que les entreprises de la première vague respectent les exigences est repoussé à juillet 2028.

Deuxièmement, le champ d'application est restreint au premier cercle des sous-traitants.

Troisièmement, les évaluations auront lieu tous les cinq ans, et non tous les ans.

Quatrièmement, les exigences sont réduites. Il n'y aura par exemple plus d'obligation de mettre fin aux relations commerciales. Par ailleurs, la demande d'information s'alignera sur les exigences de la directive CSRD.

Cinquièmement, l'idée d'une responsabilité civile européenne est abandonnée, au profit des législations nationales. Les pénalités minimales ne seront plus fixées à 5 % du chiffre d'affaires.

Chaque entreprise devra toutefois se doter d'un plan de transition climatique, mais l'obligation de le mettre en oeuvre sera réduite.

Concernant la taxonomie, dont l'objectif est d'orienter les investissements sur des activités durables et d'apporter de la transparence, le champ des entreprises devant aligner leur reporting financier sur la taxonomie verte est réduit. Nous simplifions également les indicateurs de performance (KPIS), qui ne seront demandés que pour les activités représentant plus de 10 % du chiffre d'affaires.

Pour le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF), les petits importateurs ou les importateurs occasionnels se verront exemptés. Cela permettra d'exonérer 90 % des entreprises tout en couvrant 99 % des émissions. Nous continuerons à réviser le dispositif dans les mois à venir.

Ces quatre mesures devraient permettre des économies de 6,3 milliards d'euros par an.

Enfin, la simplification du programme InvestEU devrait permettre de mobiliser 50 milliards d'euros de fonds privés et publics. L'objectif est de réduire la charge administrative des PME et des partenaires de mise en oeuvre, d'augmenter la taille de la garantie européenne de 2,5 milliards d'euros et de faciliter l'utilisation combinée de la garantie InvestEU avec les programmes financés par l'Union européenne.

La Commission a également présenté le pacte pour une industrie propre qui réaffirme l'ambition européenne en matière de décarbonation et d'ambition climatique pour 2040. Ce pacte vise à soutenir les efforts de décarbonation et d'électrification des industries à forte intensité énergétique et à stimuler l'investissement dans les technologies propres. Un volet circularité prévu pour 2026 vise enfin à faciliter l'accès aux matières premières via des achats groupés.

Dans les prochains mois, le troisième paquet Omnibus proposera une définition des entreprises de taille intermédiaire, ou mid-caps en anglais, afin qu'elles puissent bénéficier de certaines exemptions actuellement réservées aux PME.

D'autres législations, résultant des évaluations réalisées par les commissaires, seront ensuite mises en place dans chaque domaine d'intervention de l'Union européenne.

Mme Sylvie Grandjean, directrice générale du groupe REDEX, vice-présidente du Mouvement des entreprises de taille intermédiaire (M-ETI)- Si je m'exprime en tant que vice-présidente du METI, je suis avant tout chef d'une entreprise de taille intermédiaire familiale. Nous possédons des usines en France et en Allemagne, des bureaux d'études en Allemagne et en Slovaquie, ainsi que des bureaux de représentation en Espagne et en Italie. 60 % de nos produits sont vendus en Europe, 20 % en Asie et 20 % aux États-Unis, ce qui est assez représentatif d'une entreprise de taille intermédiaire. Nous investissons près de 7 % de notre chiffre d'affaires en recherche et développement, l'innovation étant à nos yeux essentielle. Nous sommes actuellement présents sur les marchés de transformation des métaux, en forte expansion du fait des transitions énergétique et numérique.

Les paquets Omnibus 1 et 2 présentés par la Commission la semaine dernière vont dans le bon sens. Il y a eu un changement radical dans l'écoute de notre parole. Au METI, nous avons alerté les pouvoirs publics depuis 2021 sur le fait que les normes européennes menaçaient l'entrepreneuriat et l'industrie en Europe. Nous sommes satisfaits d'être non seulement entendus et écoutés, mais aussi de constater un véritable changement dans la façon dont l'Union européenne souhaite travailler pour nous accompagner plutôt que de freiner notre transition énergétique. Nous nous félicitons de ce changement d'état d'esprit.

Effectivement, les entreprises de taille intermédiaire de moins de 1 000 salariés sont maintenant exemptées de certaines charges. Cependant, il faut être attentif à l'effet domino ou de cascade. En effet, la chaîne de valeur entre un grand groupe, une ETI, une PME, une très petite entreprise et une start-up implique que toute décision ou norme imposée aura des répercussions directes ou indirectes sur les entreprises de taille intermédiaire.

Il ne faut pas opposer les PME, les ETI et les grands groupes. Nous devons travailler ensemble pour éviter que la cascade normative n'impacte négativement l'activité industrielle. Les entreprises de taille intermédiaire, ou Mittlestand en allemand, constituent la colonne vertébrale de l'industrie européenne. Nos biens d'équipements sont vendus dans le monde entier, y compris aux États-Unis où de nombreux investissements se font avec du matériel conçu et fabriqué en Europe.

Par exemple, les machines utilisées pour produire des Tesla nécessitent un appareil italien spécialisé dans l'injection d'aluminium. Même Elon Musk a dû acheter des machines à mon entreprise pour sa fusée Starlink, faute d'alternative américaine. Cela démontre notre poids économique, industriel et en matière de recherche et développement.

Cependant, nous craignons que la Commission européenne n'entrave ce développement. Concernant la directive CSRD, nous ne nous opposons pas à son objectif final, mais à sa mise en oeuvre actuelle. Nous sommes favorables à une transition énergétique et à des entreprises plus durables. Les ETI, fortement ancrées localement, travaillent depuis longtemps sur leurs engagements sociétaux, sociaux et environnementaux.

Le problème est que les nouvelles normes entravent ce déploiement que nous pourrions accélérer sans ces contraintes administratives. Les paquets Omnibus 1 et 2, censés simplifier, ont été difficiles à comprendre. Bien que l'intention soit louable, la complexité a été augmentée par ces textes de simplification. Nous nous interrogeons sur l'agenda et la mise en oeuvre, notamment face à la surtransposition française.

Vous avez évoqué des « crash-tests » et des commissions d'évaluation, mais nous manquons de temps face aux enjeux géopolitiques et économiques actuels. Nous ne pouvons pas nous permettre d'attendre. Les Omnibus 1 et 2 apportent des éléments positifs, mais insuffisants. Quant au troisième paquet Omnibus, il est regrettable que la nouvelle classification des ETI n'ait pas été établie avant la simplification. Le passage de 250 à 1 000 salariés soulève des questions sur les futures catégories : comment ce nouveau seuil a-t-il été appréhendé ? Va-t-il à nouveau évoluer ? Il est dommage que la définition des catégories n'ait pas été réalisée avant la simplification.

Le « Clean industrial deal » (pacte pour une industrie propre) est louable, car vous semblez envisager une préférence européenne pour les entreprises qui y adhèrent. Cependant, cela soulève des interrogations : comment seront définis les secteurs stratégiques ? Mon entreprise, qui travaille dans divers domaines, ne correspond à aucun silo spécifique. Cette approche en silo risque de ne pas prendre en compte la réalité de l'industrie européenne.

Nous souhaitons donc vous alerter sur ce « Clean industrial act » car nous craignons que ces démarches ne deviennent trop complexes et coûteuses. Embaucher du personnel très qualifié supplémentaire se ferait au détriment d'investissements dans l'équipement, l'efficacité énergétique ou la recherche et le développement. Nous préférons investir dans des ingénieurs techniques pour accélérer notre transformation plutôt que d'embaucher du personnel administratif.

Laurent Bataille, président de Schneider Electric France, représentant de l'Association française des entreprises privées (AFEP)- Permettez-moi d'introduire brièvement Schneider Electric pour contextualiser mon témoignage d'industriel européen et français. En Europe, Schneider Electric compte 45 000 employés répartis dans 36 pays, générant un chiffre d'affaires de 9 milliards d'euros, soit environ un quart de notre activité mondiale. Nous disposons de 62 usines et centres de distribution.

En France, notre ancrage est particulièrement fort, avec plus de 15 000 employés et plus de 20 sites industriels. 20 % de notre R&D mondiale est réalisée en France. Nous sommes également l'une des principales capitalisations boursières du CAC 40.

Notre témoignage est celui d'un industriel au service d'autres industriels. Schneider Electric est bien positionné dans son secteur, travaillant sur l'électrification et la digitalisation du monde. Nous avons su nous adapter ces vingt dernières années, notamment par une diversification géographique en Europe et au-delà, en Amérique du Nord, en Asie et en Inde.

Nos activités couvrent un large éventail de métiers, de la construction aux infrastructures, en passant par l'innovation technologique de pointe comme les infrastructures numériques. Notre perspective est à la fois européenne et mondiale, ce qui nous permet de réfléchir aux moyens d'améliorer la performance de l'industrie en Europe.

Je souhaite aborder trois thèmes majeurs : la compétitivité, la digitalisation et la décarbonation.

La compétitivité industrielle en Europe demeure une priorité absolue. L'industrie est cruciale, car elle constitue une source d'innovation dans tous les territoires où nous sommes présents, générant de la R&D et de l'innovation en produits et solutions.

Bien que l'industrie représente aujourd'hui 18 % des émissions de carbone, elle offre également une grande partie des solutions pour résoudre ce problème. Cependant, nous constatons certaines difficultés en Europe. Entre les mois de juillet 2023 et 2024, la production industrielle européenne a chuté d'environ 2 %. En quatre ans, l'Europe a perdu près d'un million d'emplois dans le secteur manufacturier. Il est donc essentiel d'examiner les éléments clés de la compétitivité.

Il existe de nombreux défis pour l'industrie européenne, mais je souhaite mettre en avant deux aspects fondamentaux.

Tout d'abord, la question des volumes est cruciale. L'industrie repose sur la répétition des processus pour améliorer les procédés et amortir les investissements. C'est pourquoi il est indispensable d'avoir un marché domestique fort et unifié, ainsi que de bonnes capacités d'exportation.

Deuxièmement, nous avons besoin de règles du jeu équitables. Celles-ci doivent s'appliquer non seulement aux acteurs européens, mais aussi aux entreprises qui exportent vers l'Europe. Or il y a actuellement un manque d'homogénéité dans l'application des règles européennes aux exportateurs non européens qui profitent de notre marché.

En termes de politiques publiques, nous pensons que deux principes doivent guider l'action européenne. Le premier est de réfléchir à la différenciation : identifier les secteurs industriels où nous pouvons exceller, en coordonnant les politiques de l'offre et de la demande. C'est particulièrement pertinent dans l'économie verte et les technologies Green Tech.

Le second principe consiste à considérer le marché européen comme un atout pour nos entreprises. Nous devons l'unifier et permettre aux industriels d'atteindre des volumes plus importants. La préférence européenne dans les appels d'offres publics est un exemple intéressant, bien que son champ d'application reste à définir. L'objectif est d'utiliser le marché européen comme un levier pour rendre nos entreprises compétitives à l'échelle mondiale et comme un outil de négociation pour établir des règles de fonctionnement réciproques avec les autres blocs économiques.

Avoir des règles du jeu équitables est primordial face aux distorsions potentielles dans la compétition mondiale. Des mécanismes comme le MACF soulèvent des interrogations sur la compétitivité des entreprises européennes.

Le deuxième grand sujet est la digitalisation. Les entreprises industrielles européennes ont sous-investi dans l'automatisation et le digital ces vingt dernières années. À titre d'exemple, en France, en 2023, on compte 180 robots pour 10 000 employés dans l'industrie, contre 429 en Allemagne, 470 en Chine et plus de 1 000 en Corée du Sud. La digitalisation offre de nombreux avantages : réduction de la facture énergétique d'environ 30 %, diminution des coûts de maintenance de l'ordre de 50 %, amélioration des processus industriels, de la traçabilité des produits, de la qualité et donc une accélération de l'innovation.

Cependant, seulement un tiers des industriels se sentent prêts à construire une infrastructure solide en termes d'automatismes et de données pour en tirer profit. La digitalisation est un socle nécessaire à la compétitivité future, notamment pour l'utilisation de l'intelligence artificielle (IA) dans l'industrie. L'Europe dispose d'ailleurs de fournisseurs de technologies, comme Dassault Systèmes en France, SAP en Allemagne, ou AVEVA, filiale de Schneider Electric.

Le troisième enjeu majeur est la décarbonation. La réduction des émissions de CO2 est impérative pour lutter contre le changement climatique, et nous pensons que l'Europe peut en faire une opportunité majeure. L'électrification de l'économie est au coeur des programmes de tous les pays membres, avec l'objectif de passer d'environ 20 % à 60 % d'électricité en 2050.

Pour réussir cette transition, trois points sont cruciaux :

1. utiliser l'électricité comme un avantage concurrentiel, ce qui soulève la question de la définition des prix, notamment pour les industries énergivores ;

2. accélérer l'électrification des usages. Nous faisons face à une course contre la montre pour sortir des énergies fossiles et développer notre leadership dans les technologies vertes. L'exemple de l'automobile montre que les premiers à démarrer ont acquis un avantage compétitif en termes de volume et de coût pour l'exportation ;

3. pour les technologies où nous sommes en retard, comme les gigafactories de batteries, il faut non seulement des plans d'investissement, mais aussi une réflexion sur la protection de ces nouvelles entités pendant leur phase d'incubation, le temps qu'elles atteignent une compétitivité mondiale.

Enfin, il est essentiel de coordonner les aspects propres à l'offre et à la demande dans l'électrification. Concernant par exemple des technologies comme les pompes à chaleur ou les batteries, l'Europe a les moyens de se développer rapidement à condition que les industriels aient suffisamment de visibilité et de volume.

- Présidence de M. Alain Cadec, vice-président de la commission des affaires européennes, et de M. Olivier Rietmann, président de la délégation aux entreprises -

M. Olivier Rietmann, président de la délégation aux entreprises- Je souhaite rapidement relever quelques points avant de passer aux échanges. Je comprends parfaitement les interrogations d'Isabelle Maquet et Sylvie Grandjean. Cependant, je crains que les mêmes erreurs ne se reproduisent.

Je peine toujours à saisir comment la Commission européenne peut prendre des décisions sans consulter d'abord les parties concernées et, en premier lieu, les entreprises de toutes tailles. À titre d'exemple, la décision d'interdire la commercialisation de moteurs thermiques neufs en Europe à compter de 2035 a été adoptée sans concertation préalable avec les industriels européens, comme l'avait souligné le président du conseil d'administration de Renault, Jean-Dominique Senard, devant la commission des affaires économiques du Sénat.

La Commission européenne a le droit de fixer des objectifs de décarbonation, de transition sociale et économique, mais doit absolument consulter et faire confiance aux chefs d'entreprise, dont beaucoup ont déjà entamé une transition sans attendre des directives.

Point positif, la Commission européenne reconnaît désormais explicitement que des entreprises compétitives, aptes à générer de la richesse, à contribuer et à investir, constituent le socle d'une Europe indépendante et souveraine, face aux autres blocs comme les États-Unis, la Chine, la Russie et l'Inde.

Demander aux entreprises de se décarboner, tout en complexifiant leur environnement, révèle un manque de confiance envers les chefs d'entreprise. Il est erroné de penser que plus on ajoutera de complexité, moins ils pourront tricher. Donnons-leur les moyens d'atteindre les objectifs fixés. Pour que nos entreprises puissent investir, elles doivent être compétitives, ce qui nécessite un environnement simple.

M. Alain Cadec, vice-président de la commission des affaires européennes. - Je voudrais souligner un point essentiel : le monde a radicalement changé la semaine dernière. Nous ne sommes plus dans les mêmes équilibres, l'Union européenne se trouve aujourd'hui dans une situation très différente de celle d'il y a dix jours. Cette évolution a des répercussions cruciales sur le plan économique.

En tant qu'ancien député européen, permettez-moi de faire remarquer que la diversité des compétences des commissaires européens est remarquable. Parmi eux, Teresa Ribera s'occupe de la transition propre, juste et compétitive ; Henna Virkkunen, de la souveraineté technologique, de la sécurité et de la démocratie ; Stéphane Séjourné, de la prospérité et de la stratégie industrielle ; Raffaele Fitto, de la cohésion et des réformes ; et Maro efèoviè, du commerce et de la sécurité économique ainsi que des relations interinstitutionnelles et de la transparence. Cette multiplicité de fonctions, qui se recoupent entre elles, témoigne de la difficulté à simplifier le travail de la Commission européenne.

Je voudrais également soulever un point important que vous n'avez pas mentionné : le cadre financier pluriannuel (CFP), à mon sens crucial pour réaliser nos ambitions au niveau européen et international.

Mme Marta de Cidrac. - Je souhaiterais orienter ma question sur le volet de la transition écologique et du développement durable. Il est encourageant de constater que 52 % des entreprises françaises alignent déjà leurs actions sur l'agenda 2030, ce qui représente une augmentation de 16 points par rapport à 2021. Cela démontre une réelle prise de conscience de notre tissu entrepreneurial sur ces enjeux cruciaux. De plus, 68 % des entreprises françaises déclarent avoir une connaissance approfondie des objectifs de développement durable (ODD), un chiffre supérieur à celui de nos homologues espagnols, bien qu'inférieurs aux 88 % des entreprises italiennes.

Dans un contexte où les entreprises françaises doivent s'adapter quasi quotidiennement aux réglementations européennes en matière environnementale et aux nouvelles normes, estimez-vous que le cadre européen offre suffisamment de lisibilité et de prévisibilité pour permettre aux entreprises de planifier leurs actions sur ces sujets ?

Nous savons que toute entreprise a besoin de stabilité et de visibilité pour se projeter dans l'avenir.

Par ailleurs, la transition écologique impose de lourds investissements aux acteurs économiques. Madame Maquet, quelles mesures l'Europe envisage-t-elle pour éviter que ces contraintes ne nuisent à la compétitivité de nos entreprises ? Comme l'a souligné Alain Cadec, le monde est en pleine mutation et les enjeux évoluent rapidement. J'aimerais connaître la position de la Commission européenne sur ces questions.

M. Daniel Gremillet. - Je souhaite d'abord souligner, comme l'a mentionné Laurent Bataille, que l'Europe connaît depuis un certain temps une fragilité en termes de développement économique, d'où l'émergence de nombreux plans, tant européens que nationaux, visant à relocaliser et réindustrialiser. N'oublions pas que le marché européen est très attractif pour les acteurs du monde entier.

Je partage entièrement l'avis de Sylvie Grandjean concernant les seuils basés sur le nombre de salariés. Ces limites sont problématiques et créent un effet cascade que nous observons constamment. Cette situation se retrouve également dans les programmes régionaux. Les seuils diffèrent selon que l'on raisonne à l'échelle européenne, nationale ou régionale.

J'aimerais poser une question à Laurent Bataille : pourquoi avons-nous pris autant de retard sur la digitalisation et comment pouvons-nous le rattraper ?

Concernant l'énergie, la stratégie énergétique actuelle de l'Europe ne nous place pas dans une position compétitive favorable. Nous constatons une agressivité concurrentielle différente de celle que nous avons connue, notamment de la part des États-Unis et de l'Asie. L'Europe semble mal armée face à ces défis, particulièrement en ce qui concerne le prix de l'énergie et l'électrification des usages.

Enfin, je voudrais souligner l'absurdité de certaines réglementations, comme celle imposant l'électrification du parc automobile pour les entreprises de plus de 100 véhicules. Cette mesure ne tient pas compte des réalités du terrain, notamment pour les entreprises dont les véhicules parcourent de grandes distances. Cela entraîne des situations où les employés passent autant de temps à recharger leurs véhicules qu'à travailler, ce qui nuit gravement à la compétitivité. Il est crucial de prendre en compte ces différences pour éviter de telles aberrations.

Mme Anne-Sophie Romagny. - Madame Maquet, je vous remercie d'avoir évoqué le rapport que nous avons rendu avec ma collègue Marion Canalès sur la directive CSRD. Il est gratifiant de voir que notre travail porte ses fruits. Cependant, comme l'a si bien exprimé Sylvie Grandjean, ce n'est pas l'objectif de la directive CSRD qui est remis en question, mais plutôt la manière de l'atteindre.

Aujourd'hui, réduire le nombre d'entreprises concernées de 50 000 à 10 000, en jouant sur la taille et les effectifs, a un impact limité. Je rejoins les propos de Daniel Gremillet, d'autant plus que les grandes entreprises sont déjà engagées dans le processus de la CSRD depuis plus d'un an, n'ayant pas attendu les directives européennes pour agir.

Comment parviendrons-nous à atténuer l'impact sur la chaîne de valeur ? Quel sera l'effet concret sur les petites entreprises ? Dire que les entreprises pourront s'exonérer de la CSRD lorsqu'elles n'auront pas atteint une taille critique en termes d'effectifs ne suffit pas. L'impact sur la chaîne de valeur doit être mesuré. Sur quelle base avez-vous mené votre réflexion ? Quels travaux avez-vous entrepris pour mesurer cet impact sur les petites entreprises ?

Mme Anne-Marie Nédélec. - Le terme « simplifier » suscite en moi quelques inquiétudes. Il semble que nous ayons une tendance à vouloir tout classifier, diriger et normer, alors que le monde évolue rapidement et nécessite plus de souplesse.

J'ai deux questions. La première s'adresse à Isabelle Maquet concernant la décision européenne d'interdire les moteurs thermiques en 2035. En tant que représentante d'une région abritant la première forge automobile de France, je m'interroge sur le processus décisionnel. Des études sérieuses et des évaluations réelles ont-elles été menées pour mesurer l'impact sur les industriels et les consommateurs ? Il me semble inconcevable de prendre une telle décision sans une analyse approfondie des conséquences.

Ma seconde question concerne les règles de fonctionnement réciproque mentionnées précédemment. Dans le contexte actuel, où nous sommes confrontés quotidiennement à des nouvelles déconcertantes, peut-on réellement espérer travailler sérieusement sur de telles règles ? La situation semble de plus en plus chaotique.

Mme Isabelle Maquet. - Concernant la limitation de l'impact sur les PME, nos propositions visent à réduire le nombre d'entreprises directement concernées en relevant le seuil d'application. Nous prévoyons également des mesures de simplification pour toutes les sociétés, y compris les plus grandes, en réduisant le nombre d'indicateurs.

Pour atténuer l'effet cascade, nous limitons les demandes que les grandes entreprises peuvent demander à celles de leur chaîne de valeur. Nous agissons donc sur trois niveaux : réduction du nombre d'entreprises concernées, diminution du nombre d'indicateurs et limitation des exigences des grandes entreprises envers les plus petites.

Concernant le processus de consultation, le législateur prévoit toujours une phase de consultation officielle dans le cadre des études d'impact et en préparation d'un nouveau règlement. Les entreprises sont représentées à Bruxelles via BusinessEurope et par les parlementaires européens. De plus, plusieurs canaux d'échanges et consultations informelles ont lieu régulièrement. Par exemple, la déclaration d'Anvers, initiée par 73 dirigeants d'entreprises en février 2024, a fortement influencé les travaux de la Commission européenne.

Le processus législatif européen est complexe. La législation est initiée par la Commission, puis discutée par le Conseil et le Parlement, qui peuvent ajouter leur propre niveau de complexité. Dans la nouvelle méthode, nous prévoyons un dialogue en amont des propositions de simplification sectorielle, avec une concertation régulière et pas seulement en dernière minute ou en amont d'une proposition.

Toutes nos propositions sont accompagnées d'études d'impact.

M. Olivier Rietmann, président de la délégation aux entreprises- Effectivement, les propositions sont accompagnées d'études d'impact, mais cela ne préjuge pas de leur qualité ou de leur profondeur. C'est un point crucial pour toute législation. Nous aimerions que l'accent soit mis sur la qualité de ces études d'impact, un aspect qui n'est actuellement pas suffisamment pris en considération.

M. Alain Cadec, vice-président de la commission des affaires européennes. - Concernant la question des moteurs thermiques, il est important de rappeler que la responsabilité est partagée. Le Parlement européen a validé cette décision, sous la conduite des Verts, qui ont réussi à convaincre le PPE, les socialistes et les autres groupes. La Commission européenne n'est donc pas la seule impliquée dans cette décision.

Mme Isabelle Maquet. - Concernant la décision sur les moteurs thermiques en 2035, il s'agit d'une mesure emblématique, résultant d'une volonté politique forte au début du mandat d'Ursula von der Leyen. Cette décision a été prise sous l'impulsion des États membres et la pression du Parlement européen, dans le cadre d'un processus démocratique.

J'ai bien noté votre remarque sur l'adhésion aux objectifs de la taxonomie et de la CSRD, visant à établir des critères de transparence et un langage commun pour évaluer les progrès vers la décarbonation et une industrie plus durable. L'intervention de l'Union européenne dans la définition d'une taxonomie et d'indicateurs-clés pour le reporting est nécessaire, précisément pour établir une norme unique permettant une compréhension et une comparaison communes au niveau européen.

Enfin, concernant la complexité des intitulés des portefeuilles des commissaires, ils reflètent la volonté de la présidence que le collège des commissaires travaille de manière collégiale, avec des dossiers qui se recoupent, mais sont coordonnés par des vice-présidents.

Mme Sylvie Grandjean. - Je souhaiterais apporter une note d'optimisme à notre discussion. L'Europe est une construction extraordinaire, dotée de valeurs remarquables qu'il faut mettre en avant. Mon expérience professionnelle aux États-Unis et en Chine me permet d'affirmer cela avec conviction. Nous devons poursuivre dans cette voie.

Concernant les données, notre organisation réalise régulièrement des baromètres et collecte des informations auprès des entreprises de taille intermédiaire, y compris au niveau européen. Nous sommes à votre disposition si vous avez besoin de ces données pour étayer vos décisions.

Pour la réglementation Omnibus 3, je vous recommande d'inclure immédiatement la catégorie des entreprises de taille intermédiaire jusqu'à 5 000 salariés, sans passer par des paliers intermédiaires. Il est crucial de prendre en compte la proportionnalité des exigences entre les grands groupes et les plus petites entreprises. Les effets de seuil sont généralement néfastes, mais une certaine classification des entreprises reste nécessaire.

En tant que dirigeante d'une entreprise de 400 salariés, je suis soumise aux mêmes contraintes européennes que les très grands groupes, ce qui n'est pas équitable. La proportionnalité est essentielle et les effets de seuil ne doivent pas être pénalisants.

Je vous invite à nous consulter pour mesurer l'impact de vos décisions. La mandature européenne actuelle est à l'écoute, contrairement à la précédente qui réalisait des études d'impact sans même connaître les critères qui allaient être mis en avant.

Concernant les règles de réciprocité avec les puissances étrangères, notamment chinoises ou américaines, il faut être réaliste quant à la fiabilité des données qu'elles pourraient fournir. Utilisez le levier de la commande publique pour favoriser les entreprises qui jouent le jeu en Europe.

Enfin, je suis d'accord pour une norme unique et une langue commune, à condition que cela soit proportionné et en adéquation avec notre réalité, et que cela serve des stratégies définies par les industriels plutôt que par les instances européennes.

M. Laurent Bataille. - Je souhaite rebondir sur les propos de Sylvie Grandjean. Il est crucial d'adopter une approche encourageante face aux transitions majeures que sont la digitalisation et la décarbonation. L'objectif est d'inciter les acteurs à se mettre en mouvement rapidement, tout en réglementant progressivement à mesure que le marché mûrit.

Concernant les appels d'offres publics, de nombreuses possibilités existent pour avantager les acteurs locaux les plus vertueux dans ces transformations. Pour la CSRD, je regrette qu'on ne se soit pas concentré sur la simplification du nombre de paramètres demandés. Une réduction significative des indicateurs serait bénéfique.

Quant à la digitalisation, plusieurs facteurs expliquent sa progression lente. En premier lieu, nous pouvons citer les marges des industriels : seules les entreprises les plus performantes ont la capacité d'investir. Deuxièmement, nous pouvons évoquer les volumes : la croissance facilite l'absorption des coûts fixes liés aux investissements. Troisièmement, nous pouvons penser aux compétences : moins on investit dans la transformation, moins on développe l'expertise nécessaire. Enfin, le manque d'incitations peut également jouer : parfois, une aide initiale suffit à encourager le passage à l'acte. Plusieurs leviers peuvent donc être activés pour accélérer ce mouvement.

Concernant la réciprocité dans un environnement géopolitique instable, nous avons un pouvoir de décision local en Europe sur de nombreuses normes et réglementations. Cependant, le contrôle de leur mise en oeuvre est souvent insuffisant, ce qui désavantage les acteurs européens qui les respectent.

Les appels d'offres publics constituent par ailleurs un levier important, utilisé par d'autres puissances pour soutenir leurs acteurs locaux.

Enfin, la question des subventions doit être repensée. L'Europe étant l'économie la plus ouverte du monde, la concurrence devrait être considérée au niveau global. L'objectif devrait être de faire progresser des chaînes de valeur entières en Europe, en prenant en compte les règles du jeu internationales plutôt que de se focaliser uniquement sur la concurrence interne.

M. Olivier Rietmann, président de la délégation aux entreprises- L'un des principaux éléments de distorsion et de handicap pour nos entreprises par rapport aux États-Unis et à d'autres pays reste le coût de l'énergie.

M. Laurent Bataille. - Ce constat est particulièrement vrai dans le secteur des énergies fossiles où les écarts de coûts entre les pays producteurs et non producteurs peuvent facilement atteindre un rapport de 1 à 5, voire plus. L'électrification progressive des usages va créer une forme de nivellement. L'hydroélectricité est moins chère et relativement bien répartie. Le solaire peut être compétitif, mais son pilotage est complexe. Le nucléaire a l'avantage d'être pilotable. Les écarts de coûts pour l'électricité seront donc probablement moins importants que pour les énergies fossiles. Néanmoins, la question cruciale reste celle de la politique tarifaire en Europe pour soutenir les plus gros consommateurs. Les mécanismes pour y parvenir sont connus, comme les contrats pour différence ou les PPA (Power Purchase Agreements). Actuellement, le marché est à la recherche de ces solutions.

Mme Sylvie Grandjean. - Il s'agit en effet d'une préoccupation majeure pour les ETI, mais elle concerne également d'autres entreprises, pas uniquement les entreprises électro-intensives. Si la situation s'est améliorée ces deux dernières années, elle reste très problématique. Une entreprise dont le contrat d'électricité était à 230 euros peut, par exemple, espérer obtenir un tarif autour de 90 euros du mégawatt par heure pour l'année prochaine. En comparaison, une petite usine aux États-Unis bénéficie d'un tarif équivalent à 35-40 euros. Un atelier en Chine est à peu près au même niveau, tandis que les très gros consommateurs électro-intensifs chinois ont un tarif proche de zéro. Il y a là une véritable injustice. Cependant, nos efforts en matière de décarbonation et d'efficacité énergétique ont permis aux entreprises européennes d'être beaucoup moins consommatrices. Nous devons capitaliser sur cet avantage et le renforcer avec des prix de l'énergie plus compétitifs.

M. Daniel Gremillet. - Lors de son audition, le dirigeant de l'entreprise Michelin a dressé le même constat d'un écart énergétique entre l'Amérique, les États-Unis et l'Asie. Nous partageons tous la même ambition et sommes convaincus de l'intérêt et de la chance que représente l'Europe. Cependant, nous devons agir et faire des choix. Nous ne pourrons pas réindustrialiser la France et l'Europe sans une visibilité sur notre puissance énergétique. Cela implique l'interconnexion, mais aussi la question du prix et le débat sur le lien avec le gaz. Ces questions majeures sont clairement posées, mais nous restons très frileux. Les décisions en matière énergétique ont des conséquences à long terme. Nous avons besoin d'énergies pilotables. Aucun industriel ne s'implantera dans nos territoires en Europe, y compris en France, sans la garantie d'un approvisionnement énergétique fiable et à un prix compétitif. C'est un enjeu sur les 10 ou 15 prochaines années. Les décisions que l'Europe ou la France pourraient prendre aujourd'hui n'auront d'effet qu'à l'horizon 2035-2040.

Mme Isabelle Maquet. - Je souhaite simplement vous renvoyer au plan pour une énergie abordable adopté la semaine dernière dans le cadre du pacte pour l'industrie propre. Cette feuille de route envisage ce que l'Union européenne entend mener au niveau de chacun des leviers évoqués, notamment investir dans les interconnexions et créer une véritable union de l'électricité.

M. Alain Cadec, vice-président de la commission des affaires européennes. - Nous vous remercions pour cet échange.

M. Olivier Rietmann, président de la délégation aux entreprises- Je tiens à vous remercier tous pour votre grande franchise. Comme l'avait souhaité Jean-François Rapin, vous vous êtes exprimés sans détour. Nous avons besoin de ce type de réunion pour coller à l'actualité. Merci beaucoup.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 15 h 45