Mardi 8 avril 2025
- Présidence de Mme Dominique Vérien, présidente -
La réunion est ouverte à 14 h 30.
Audition de M. Jean-Michel Blanquer, ancien ministre de l'Éducation nationale et de la jeunesse
Mme Dominique Vérien, présidente. - Chers collègues, Nous recevons aujourd'hui Jean-Michel Blanquer, ministre de l'Éducation nationale de mai 2017 à mai 2022, recteur d'académie (de Guyane et de Créteil) ainsi que Directeur général de l'enseignement scolaire (DGESCO) de 2009 à 2012.
Cette audition s'inscrit dans le cadre de nos travaux sur la thématique « Femmes et sciences », qui visent à identifier les leviers d'action permettant de donner aux filles et aux femmes toute leur place dans les parcours et carrières scientifiques, alors qu'elles ne représentent encore qu'un tiers des chercheurs scientifiques et un quart des ingénieurs en France.
Nos premières auditions ont souligné l'importance des choix de spécialité et d'orientation au lycée mais aussi le rôle clé des professeurs, de leur appropriation de la culture scientifique, de leurs représentations genrées et des encouragements qu'ils prodiguent, ou non, à leurs élèves filles, et ce dès l'école primaire.
Or, la réforme du bac et de l'organisation des enseignements au lycée, en 2018, a généré des biais de genre dans le choix des spécialités et eu des conséquences significatives en matière d'égalité puisque, dès la rentrée 2019, on observait une baisse de 60 % de l'effectif des filles poursuivant des enseignements de mathématiques et qu'en 2022 on constatait également une chute de 60 % des bachelières « scientifiques », selon l'association Femmes et mathématiques.
Aujourd'hui, les lycéennes recommencent progressivement à choisir la spécialité « mathématiques » - qui était leur second choix en 2023 - et les combinaisons de spécialités, et donc de parcours scientifiques, sont plus diversifiés. Cependant, les filles demeurent sous-représentées dans les spécialités scientifiques, à l'exception des sciences de la vie et de la terre (SVT). Alors qu'elles représentent 56 % des élèves de terminale générale, elles ne constituent que 42 % des élèves ayant choisi la spécialité « mathématiques », 15 % pour la spécialité « numérique et sciences informatiques » et 14 % pour la spécialité « sciences de l'ingénieur », selon des chiffres de 2023.
Certes, il semblerait qu'il s'agisse davantage d'une anticipation de choix qui se faisaient auparavant au moment de l'entrée dans l'enseignement supérieur : la proportion de filles inscrites dans les classes préparatoires scientifiques et dans les filières universitaires scientifiques est restée stable, c'est-à-dire tout aussi faible qu'auparavant - entre 20 et 30 % selon les spécialités.
Pour autant, cet abandon plus précoce des mathématiques et des sciences dès le lycée a des conséquences plus vastes, sur la culture scientifique des jeunes, et en particulier de celles et ceux qui deviendront professeurs des écoles et devront enseigner les mathématiques et les sciences aux enfants de l'école primaire.
Nous avons auditionné des chercheuses ayant souligné que sans professeurs les ayant incitées à poursuivre des études scientifiques en seconde ou en première, elle se seraient orientées vers d'autres filières, plutôt littéraires. Ce sont aujourd'hui de grandes chercheuses.
Monsieur le ministre, avec les quatre rapporteures Marie-Do Aeschlimann, Jocelyne Antoine, Laure Darcos et Marie-Pierre Monier, présentes à mes côtés, nous avons donc souhaité vous entendre pour évoquer ensemble les conséquences de la réforme du lycée que vous avez menée il y a sept ans.
Plus globalement, puisque vous avez été, pendant une quinzaine d'années, au coeur des politiques nationales d'éducation, nous souhaitons échanger avec vous sur les leviers qui sont de nature à amener davantage de filles vers les mathématiques et les sciences, dès le plus jeune âge et tout au long de leur scolarité.
Nous sommes particulièrement intéressées par les initiatives que vous avez pu mener ou dont vous avez eu connaissance en tant que recteur, DGESCO ou ministre, pour faire évoluer la pédagogie en classe, renforcer la formation des professeurs, ou encore améliorer les dispositifs de soutien à l'orientation des élèves.
Monsieur le ministre, je vous laisse donc sans plus tarder la parole. Je laisserai ensuite le soin à mes collègues rapporteures de vous poser des questions.
Je précise que cette table ronde fait l'objet d'une captation audiovisuelle en vue de sa retransmission en direct sur le site et les réseaux sociaux du Sénat.
M. Jean-Michel Blanquer, ancien ministre de l'Éducation nationale et de la jeunesse. - Merci pour votre invitation. C'est avec un grand plaisir que je saisis cette opportunité d'un échange approfondi sur un sujet qui, précisément, le requiert. Il a été largement déformé par des slogans simplistes, des contrevérités et une désinformation proprement sidérante. J'ai été confronté à de nombreux exemples de désinformation au cours de ma carrière, mais celui concernant les sciences au lycée - et plus largement leur place dans notre système éducatif - a, depuis trois ou quatre ans, été au coeur d'une véritable campagne de manipulation de l'opinion.
C'est pourquoi je souhaiterais, en premier lieu, insister sur l'importance de poser un diagnostic clair et rigoureux. Je proposerai ensuite des pistes de réflexion en vue d'améliorer la situation. Mes propos ne visent nullement à affirmer que tout va pour le mieux et qu'aucune correction n'est nécessaire. Bien au contraire. Je crois néanmoins que la dynamique actuelle est globalement positive, et qu'il convient de l'accentuer fortement.
Permettez-moi de commencer par deux affirmations simples - qui, compte tenu du climat ambiant, pourront paraître provocatrices, mais qui reposent sur des faits aisément vérifiables.
Premièrement, à l'heure où je m'adresse à vous, jamais, dans l'histoire de notre pays, nous n'avons compté autant d'élèves inscrits en classes préparatoires scientifiques. Ce constat contredit directement l'un des discours récurrents, selon lequel la réforme du baccalauréat aurait conduit à une baisse du nombre d'ingénieurs et de chercheurs en devenir - affirmation que je réfute avec la plus grande fermeté.
Deuxièmement : jamais non plus il n'y a eu autant de jeunes femmes engagées dans des études supérieures scientifiques en France. Les chiffres sont sans équivoque : entre 2018 et 2023, nous sommes passés de 676 000 à 742 000 étudiantes dans les filières scientifiques. Pour une réforme que l'on accuse d'avoir nui aux sciences et à l'engagement des jeunes filles dans ces disciplines, ces résultats me paraissent satisfaisants.
Ce sujet cristallise à lui seul un degré de désinformation remarquable. Une campagne systématique s'est développée autour de cette question, au point que l'opinion publique elle-même en est profondément imprégnée. Aujourd'hui, une majorité de nos concitoyens est convaincue que la réforme du baccalauréat a porté atteinte à l'enseignement des mathématiques et des sciences, alors même que les données disponibles permettent d'en dresser un tableau sensiblement différent.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Ce n'est nullement ce que j'ai exprimé dans mon intervention liminaire. Je partage votre analyse quant à la présence des jeunes filles dans les filières scientifiques post-baccalauréat : il apparaît en effet que la réforme n'a fait que différer un choix qui, dans tous les cas, aurait été opéré à l'issue de la classe de terminale.
M. Jean-Michel Blanquer. - Vous avez tout à fait raison. Nous sommes ici confrontés à des enjeux complexes, où chaque nuance compte et où chaque affirmation a son importance. J'ai bien saisi que vous êtes imprégnée de l'idée que la réforme du baccalauréat et du lycée aurait altéré l'orientation des jeunes filles vers les filières scientifiques.
Il est possible de soutenir que cette réforme a simplement déplacé plus en amont un choix qui, auparavant, s'opérait après la terminale. Autrefois, de nombreux élèves s'orientaient vers la série S sans nécessairement se destiner à des études scientifiques supérieures. Aujourd'hui, ils sont moins nombreux à choisir des enseignements scientifiques, mais ceux qui sélectionnent cette trajectoire le font avec une véritable intention de poursuivre dans cette voie. Là où environ 50 % des élèves issus de la série S poursuivaient dans des filières scientifiques, nous constatons désormais que près de 90 % des élèves ayant choisi les enseignements scientifiques s'y engagent effectivement dans l'enseignement supérieur.
Le véritable enjeu n'est plus tant l'orientation des élèves ayant fait ce choix, mais plutôt la manière d'élargir cette base initiale. Car si ce taux de 90 % est élevé et sans doute durable, il pourrait, au pire, diminuer légèrement - peut-être jusqu'à 80 % -, mais il est peu probable qu'il baisse davantage. À l'inverse, son augmentation au-delà de 90 % demeure incertaine. L'objectif est donc d'élargir le vivier de départ.
Le sujet se situe donc bien en amont de la réforme. Toutefois, avant de proposer un remède, encore faut-il poser un diagnostic juste. Or, à l'heure actuelle, celui qui prévaut dans la majorité des analyses médiatiques et commentateurs est, selon moi, erroné. Je suis prêt à en débattre. Je l'ai d'ailleurs fait récemment à l'École des Mines. Car dès que l'on commence à s'appuyer sur des données concrètes, que l'on examine les faits avec rigueur, la réalité apparaît bien différente.
Votre mission, j'en suis convaincu, a un rôle crucial à jouer. Elle peut même se révéler déterminante, à condition qu'elle choisisse de rétablir les faits avec exactitude. Je n'en attends pas davantage : simplement que la vérité soit dite.
Je tiens à partager une conviction née de mon expérience, notamment durant la crise sanitaire : même la parole scientifique ne doit pas être reçue comme indiscutable. Ce n'est pas parce qu'un propos émane d'une association de spécialistes qu'il doit être tenu pour vérité absolue. En la matière, nous sommes tous, en quelque sorte, à égalité.
Prenons, par exemple, la controverse autour de l'enseignement des mathématiques dans le tronc commun, ou encore vos remarques concernant la formation scientifique des futurs professeurs des écoles. Je me dois de déconstruire ces éléments afin d'aborder la suite de manière cohérente. Je me souviens notamment d'une pétition, relayée par un hebdomadaire en 2022, que l'on pourrait résumer ainsi : « Au secours, les mathématiques vont s'effondrer en France, et nous allons manquer des scientifiques et des ingénieurs dont notre pays a besoin, parce que les mathématiques ont été retirées du tronc commun». Ce discours repose sur une contradiction manifeste, car la question des mathématiques dans le tronc commun est sans lien direct avec celle de la formation des futurs scientifiques.
Il faut ici distinguer deux axes fondamentaux, valables en tout temps et pour toute politique éducative en mathématiques :
1. Comment former une élite scientifique large, excellente et mixte, dans les meilleures conditions ;
2. Comment garantir un socle commun solide en mathématiques pour l'ensemble des élèves.
Or, le débat autour du tronc commun concerne exclusivement le second point. Quant au premier, les données montrent au contraire que l'on n'a jamais fait autant de mathématiques que dans le système actuel.
À ce propos, je tiens à rappeler que les programmes de mathématiques et de sciences - comme ceux d'autres disciplines - ont été intégralement revus, entraînant un relèvement notable du niveau d'exigence. Auparavant, chaque réforme des programmes en France les a édulcorés. La réforme récente a, elle, inversé cette tendance. Ce que j'avance ici est aisément vérifiable par toute personne prenant le temps de consulter les programmes officiels.
De plus, l'option dite « mathématiques expertes » en classe de terminale représente aujourd'hui neuf heures hebdomadaires, là où les élèves les plus engagés auparavant n'en suivaient que huit. Par ailleurs, le nombre d'élèves inscrits dans cette spécialité a augmenté depuis l'introduction de la réforme : de l'ordre de 40 000 au départ, ils sont aujourd'hui près de 60 000.
Je dois néanmoins reconnaître un bémol sur ce point : la proportion de jeunes filles inscrites à cette option est demeurée relativement stable, ce qui signifie, en effet, une légère baisse en proportion. Il s'agit là d'une nuance importante : il ne s'agit pas d'une diminution du nombre de filles, mais bien d'une augmentation globale du nombre d'élèves, notamment de ceux et celles qui se destinent aux classes préparatoires aux grandes écoles d'ingénieurs.
Ce constat corrobore l'affirmation faite en introduction : jamais nous n'avions compté autant d'élèves inscrits en classes préparatoires scientifiques qu'à présent. C'est un motif de satisfaction, mais nous vivons dans un pays où il semble parfois difficile de se réjouir, tant certains s'emploient à remettre en cause toute avancée positive. Ce que je viens de vous exposer, vous ne l'avez peut-être jamais entendu aussi clairement. Y compris au sein de ma propre majorité, il n'est pas courant -- voire pas populaire -- de défendre ce bilan. Et pourtant, ce sont là des faits. Je pourrais les répéter longuement, même si nombre de discours ambiants persistent à affirmer que la situation se dégrade. Ce n'est pas le cas sur ce sujet précis : la situation s'améliore, bien qu'elle ne soit pas totalement satisfaisante. Et c'est à partir de ce constat objectif qu'il convient d'élaborer la suite.
Vous avez évoqué les mathématiques dans le tronc commun et la formation scientifique des professeurs des écoles. À ce titre, j'aimerais rappeler que la culture mathématique générale des élèves se construit essentiellement entre l'âge de trois ans et la fin du collège, soit jusqu'en classe de troisième. C'est à ce moment-là que se joue véritablement l'acquisition commune des savoirs fondamentaux pour l'ensemble des jeunes Français.
Ensuite, nos discussions portent uniquement sur le baccalauréat général -- à l'exclusion du baccalauréat technologique et professionnel -- ce qui revient à concentrer notre attention sur seulement la moitié des élèves. Et parmi ces élèves du général, environ deux tiers choisissent les mathématiques en enseignement de spécialité. Autrement dit, seul un tiers de cette moitié ne suit plus de mathématiques dans le tronc commun. Ce constat relativise fortement la portée de cette polémique.
D'autant que, dans le système antérieur, il était déjà possible pour certains élèves d'échapper à l'enseignement des mathématiques en fin de parcours scolaire.
Enfin, si l'on souhaite réellement s'interroger sur la culture mathématique de l'ensemble des Français, il faut se demander de quoi elle devrait véritablement être composée. Est-ce la maîtrise des équations différentielles, que l'on aborde en première et terminale, qui permet à chacun de se repérer dans la vie quotidienne ? Ou ne serait-ce pas plutôt la capacité à effectuer des opérations de base, à comprendre des probabilités simples, ou encore à calculer un taux d'intérêt ? Demandons-nous honnêtement si l'on attend de chaque citoyen qu'il soit capable de résoudre une équation complexe ou s'il ne serait pas plus utile qu'il sache appliquer des raisonnements élémentaires et concrets.
En revanche, une maîtrise insuffisante des quatre opérations de base ou un faible niveau en calcul mental demeure un véritable enjeu. C'est précisément sur ces points que des efforts significatifs ont été déployés, en particulier à l'école primaire et au collège, afin d'impulser un redressement salutaire.
Ce débat a émergé à partir du constat qu'au lieu d'allouer, admettons, un million d'heures d'enseignement des mathématiques au lycée, on en aurait attribué 990 000, à peu de choses près. Une réduction marginale, mais qui a été interprétée comme symptomatique d'un désengagement. C'est un peu comme si l'on reprochait à un jardinier d'avoir remplacé le bombardement d'eau par canadair de son jardin par un système d'irrigation plus raisonné.
Ces décisions n'ont pas été prises à la légère, ni dans l'improvisation. Il ne s'agit pas d'une lubie, née d'un matin où je me serais exclamé : « Tiens, et si nous retirions les mathématiques du tronc commun sans la moindre considération pour l'avenir scientifique de notre pays ? ». Les réformes s'inscrivent dans une logique de long terme et s'appuient sur des analyses solides, à l'image du rapport Villani-Torossian, que tout le monde devrait lire. Celui-ci a donné lieu à une série de vingt recommandations dont la mise en oeuvre a été conduite avec méthode.
La réforme du baccalauréat, elle-même fruit d'un long travail de concertation, n'a suscité que peu de critiques initialement. Ce n'est que plus tard, dans un contexte de crise sanitaire, que les tensions sont apparues. Dans cette période compliquée, un certain « trou d'air » a été observé la première année. Nombre d'observateurs ont alors confondu les effets conjoncturels liés à la pandémie avec des conséquences structurelles de la réforme. Cette confusion a donné lieu à un diagnostic erroné et à un débat public largement biaisé.
Au-delà de la volonté légitime de rétablir des faits, il s'agit surtout de recentrer l'attention sur les véritables défis actuels. En persistant dans une lecture erronée de la situation, nous risquons de gaspiller une énergie précieuse sur des controverses artificielles au lieu de nous atteler aux véritables priorités.
J'aimerais conclure cette partie par un mot sur la culture scientifique des professeurs des écoles, qui constitue en effet un enjeu majeur. Environ 95 % d'entre eux proviennent d'un cursus initial à dominante littéraire et présentent souvent une faible maîtrise des savoirs mathématiques et scientifiques. Ce que nous observons aujourd'hui est en réalité l'héritage de trois ou quatre décennies de désintérêt progressif pour les sciences.
Dans ce contexte, il est paradoxal que ceux qui tentent aujourd'hui d'agir concrètement pour inverser cette tendance soient immédiatement la cible de critiques virulentes. Il est aisé de dénoncer un déclin, qui a certes bien eu lieu; il est plus exigeant d'y répondre avec constance. C'est précisément ce que nous avons entrepris. Pour la première fois, ce sujet est véritablement pris à bras-le-corps et commence à produire des effets tangibles -- certes encore fragiles, mais bien réels. Ces avancées naissantes doivent être protégées, encouragées, au lieu d'être attaquées prématurément.
Enfin, pour clore ce diagnostic, permettez-moi de partager quelques chiffres précis. Le nombre d'étudiantes inscrites en filières scientifiques, hors domaine de la santé, est passé de 676 000 en 2018 à 742 000 en 2023. La part des filles dans ces formations est ainsi passée de 31,5 % à 34 %, ce qui représente environ 40 000 étudiantes supplémentaires engagées dans des études scientifiques -- à l'exclusion des études médicales. Si l'on restreint le périmètre à un segment encore plus spécifique, les STEM (sciences, technologies ingénierie et mathématiques), la part des femmes descend à 25 %. Ce taux est resté globalement stable.
Sur ce point également, il me semble essentiel de replacer le débat dans une perspective de fond, qui dépasse largement les frontières françaises. Il est certes pertinent de distinguer les filières scientifiques dites « dures » des sciences de la vie, mais il serait absurde de considérer que la biologie, la botanique ou, a fortiori, la médecine, ne relèveraient pas des sciences. Or, la présence féminine y est très significative.
La progression du nombre de jeunes femmes engagées dans des études scientifiques tient donc, en bonne part, à la croissance constatée hors du champ médical stricto sensu. Cela témoigne d'une dynamique globale que nous devons observer avec attention.
Permettez-moi, à ce titre, de faire un focus sur un autre domaine : celui de l'informatique. J'ai parfois entendu, de manière assez caricaturale, que l'on aurait compromis l'avenir des ingénieurs informaticiens en France, et ce, en pleine révolution de l'intelligence artificielle. Or, au vu de ce que j'ai déjà mentionné concernant les classes préparatoires scientifiques, cette affirmation ne résiste pas à l'analyse.
Je me dois aussi de souligner la création de la discipline Numérique et Sciences Informatiques (NSI). Cette innovation, relativement peu médiatisée, constitue pourtant une évolution majeure. Elle s'est accompagnée de la création d'un CAPES et d'une agrégation en sciences de l'informatique, qui n'existait pas auparavant. Il s'agit là d'un levier essentiel pour favoriser la diversification des profils et notamment, pour encourager davantage de jeunes filles à s'orienter vers le numérique.
Rappelons qu'en 2017, la part des femmes dans les start-ups du secteur technologique ne dépassait pas 5 %. Il s'agit d'une problématique mondiale. On sait désormais que l'enjeu ne se situe pas en fin de parcours, mais bien en amont, dès les premières représentations que les jeunes filles se forment des carrières scientifiques. D'où l'importance de leur proposer des parcours accessibles, attractifs, et surtout porteurs de confiance en soi.
Depuis la création de la spécialité NSI, la proportion de filles inscrites est passée de 11 % à 19 %. Ce chiffre reste naturellement insuffisant - notre objectif doit être d'atteindre une parité -, mais il faut aussi rappeler que la discipline n'existait pas auparavant. Nous devons désormais poursuivre et amplifier cette dynamique.
Je souhaiterais également revenir sur la question de la culture scientifique au sens large. Je récuse fermement l'idée selon laquelle les élèves qui ne suivent plus d'enseignement mathématique dans le tronc commun disposeraient d'une culture scientifique moindre que leurs aînés. Là encore, certains éléments mériteraient d'être davantage mis en lumière. En effet, deux heures hebdomadaires de sciences ont été introduites dans le tronc commun. Pour schématiser, on pourrait dire qu'au lieu de rester passivement en fond de classe, désintéressés devant une équation différentielle, ces élèves bénéficient aujourd'hui d'un enseignement scientifique centré sur le développement durable. Ces heures ne relèvent pas d'un contenu superficiel : elles s'appuient sur des programmes conçus avec rigueur et exigence.
Cela étant dit, je reconnais que le suivi de la mise en oeuvre de cet enseignement par les services du ministère n'est pas encore totalement satisfaisant. Sur le terrain, il apparaît que ces deux heures sont parfois réparties de manière éclatée - une heure de SVT, une heure de physique - alors qu'elles devraient faire l'objet d'une approche plus intégrée, plus transversale. À mes yeux, il est désormais nécessaire de repenser cette organisation, afin d'en tirer pleinement parti.
À cadre constant, sans qu'il soit nécessaire de recourir à une réforme d'ampleur, un travail pédagogique approfondi sur le contenu et les modalités des deux heures de sciences évoquées précédemment permettrait déjà de répondre partiellement à votre interrogation quant à la culture scientifique des futurs professeurs des écoles. Des évolutions plus structurelles dans la formation initiale au sein des INSPÉ (Instituts Nationaux Supérieurs du Professorat et de l'Éducation) sont également nécessaires.
Voilà pour ce qui concerne le diagnostic. Venons-en maintenant aux leviers d'action. Il est désormais bien établi que les déterminants des inégalités de genre en mathématiques et en sciences émergent très tôt, dès les premières années de la scolarité. Ce constat est d'ailleurs partagé à l'échelle internationale : la situation de la France, à cet égard, n'est ni particulièrement défavorable, ni exemplaire, même si, à titre personnel, je la juge plutôt encourageante au regard d'autres pays.
Ce phénomène mondial touche notamment au potentiel des filles en mathématiques et en sciences, souvent inhibé ou insuffisamment valorisé. Il s'agit, à mes yeux, d'un sujet majeur, au coeur des combats que je considère essentiels. C'est pourquoi je m'efforce d'apporter de la clarté dans ce débat, et que je déplore parfois que l'attention publique se focalise sur des polémiques secondaires plutôt que sur les vrais enjeux.
Parmi les leviers que je souhaiterais évoquer, notamment en me fondant sur mon expérience passée de recteur et de ministre, figurent deux outils auxquels on pense peut-être moins spontanément. Le premier concerne l'implication des familles dans ce combat pour une meilleure représentation des disciplines scientifiques, notamment auprès des jeunes filles, dès l'école primaire et le collège.
À cet égard, je me permets de rappeler une initiative que nous avions mise en place lorsque j'étais recteur de l'académie de Créteil : la mallette des parents. À l'époque, le ministre de l'Éducation nationale avait souhaité généraliser ce dispositif à l'échelle nationale. Il s'agissait d'un outil pédagogique destiné à renforcer le lien entre l'école et les familles, en particulier dans les milieux les plus défavorisés - même si son principe peut être transposé à tous les contextes.
Ce dispositif consistait à accueillir les parents en petits groupes - cinq à dix personnes - notamment au cours du premier trimestre de la classe de sixième, mais aussi à d'autres moments clés, pour échanger simplement sur les enjeux de la scolarité. Il ne s'agissait pas d'une réunion parents-professeurs classique, mais d'un espace de dialogue plus intime, intégrant une dimension psychologique essentielle. L'idée était de rappeler aux parents leur rôle de co-éducateurs, et de les associer pleinement aux objectifs poursuivis pour leurs enfants. Cette approche a montré de nombreuses vertus en matière de climat scolaire. Il serait tout à fait pertinent, me semble-t-il, d'y adjoindre une dimension spécifique autour des mathématiques et des sciences - et ce, en particulier pour les filles. Les bénéfices ne se limiteraient d'ailleurs pas à ces seules disciplines.
Le second levier, dans le même esprit, concerne le temps périscolaire et extrascolaire. N'oublions pas que le temps scolaire des enfants est déjà très dense, structuré autour de multiples ambitions éducatives. Il est parfois même surchargé de bonnes intentions. À l'inverse, le temps en dehors de l'école est souvent laissé au hasard, peu structuré. C'est ce temps-là qui, bien plus que le temps scolaire, contribue à creuser les inégalités.
C'est précisément pourquoi j'ai attaché une grande importance, durant mes fonctions, à pouvoir également intervenir sur ce champ en tant que ministre de la jeunesse et des sports. Nous avons agi sur ce vecteur essentiel, notamment à travers les cités éducatives ou encore le dispositif des vacances apprenantes. Il s'agit là d'une démarche portée par une volonté sincère d'agir pour le bien commun.
Rien n'est plus pertinent que de proposer des vacances apprenantes à dominante mathématiques et sciences, durant les congés scolaires, tout particulièrement à destination des enfants issus de milieux défavorisés. Nous savons en effet que la dimension ludique des apprentissages scientifiques, si riche en potentiel pédagogique, n'est pas toujours facile à développer pleinement dans le cadre strict du cursus scolaire - en dehors peut-être de l'école maternelle. Les périodes de vacances offrent, à cet égard, un terrain idéal pour laisser place à la curiosité, à l'expérimentation et au plaisir d'apprendre.
Il en va de même pour la culture informatique, qui aujourd'hui se diffuse souvent de manière désordonnée, sans véritable accompagnement. Or, des initiatives structurées, comme celles que je viens d'évoquer, permettraient de la canaliser de manière constructive.
Il me semble donc que le champ des temps périscolaires et extrascolaires recèle un potentiel immense. Bien sûr, nous devons poursuivre l'amélioration des contenus et pratiques pédagogiques dans le cadre scolaire, mais il serait réducteur de négliger l'impact décisif du temps familial et de l'éducation informelle dans la formation des esprits.
S'agissant ensuite des programmes scolaires eux-mêmes, ainsi que des manuels qui les accompagnent, il demeure un enjeu essentiel : celui de la motivation des jeunes filles, de leur représentation et de leur engagement dans les disciplines scientifiques. Il est extrêmement instructif d'analyser le contenu des manuels scolaires, d'examiner les instructions adressées aux enseignants, ou encore la manière dont certains modèles féminins ou certaines approches sont (ou non) valorisés. De réels progrès ont été accomplis dans ce domaine, et l'attention portée à ces enjeux est croissante.
Dans cette dynamique, nous avions d'ailleurs signé en 2019 une convention interministérielle qui couvrait la période 2019-2024. Il me semble qu'elle a été renouvelée l'an dernier. Elle réunissait plusieurs ministres, dont celui de l'Éducation nationale que j'étais alors, autour d'un engagement commun : agir sur l'ensemble des facteurs influant sur la représentation des métiers et leur découverte, en particulier pour les jeunes filles. Je pourrai, si vous le souhaitez, vous transmettre quelques extraits de ce texte. En relisant les différents axes qu'il contient, on constate qu'ils vont globalement dans le bon sens. La qualité de la mise en oeuvre peut en revanche être interrogée. Celle-ci a sans doute manqué, par endroits, d'ambition ou de coordination. Mais ce cadre pourrait tout à fait retrouver une dynamique nouvelle, d'autant plus qu'il s'agit d'un sujet sur lequel un consensus semble possible - et même souhaitable.
C'est d'ailleurs ma principale motivation : sur les enjeux scolaires, nous avons plus que jamais besoin de consensus. Le thème de l'accès des filles aux sciences se prête particulièrement bien à cette logique. Je n'ai encore jamais rencontré quiconque affirmant que les sciences seraient inutiles ou qu'il faudrait y réduire la place des femmes. Contrairement à d'autres sujets, sur lesquels les clivages sont vifs, celui-ci offre l'opportunité de concentrer nos efforts sur des problèmes réels, au lieu de nous diviser autour de faux débats.
La deuxième grande catégorie d'actions à mener relève, selon moi, de ce que l'on pourrait appeler un volontarisme de l'orientation. Le premier levier en est la qualité de l'information transmise aux élèves. Vous l'avez vous-même mentionné : les rôles modèles en sciences jouent un rôle fondamental. Il peut s'agir d'interventions ponctuelles, mais aussi de l'influence durable exercée par un enseignant, notamment lorsqu'il est professeur principal.
Les professeurs de mathématiques et de sciences, précisément parce qu'ils sont au coeur de la chaîne de transmission, peuvent être des acteurs de premier plan dans la construction des parcours d'orientation. Ce volontarisme peut - et doit - être soutenu par un pilotage institutionnel plus explicite. À partir de 2020, nous avons d'ailleurs introduit cette logique, en demandant aux établissements de se fixer des objectifs chiffrés en matière d'orientation, notamment pour inciter davantage de jeunes filles à choisir la spécialité mathématiques.
Cette mesure a sans doute contribué, après une période de stagnation, à l'inversion de la tendance : nous avons observé un redressement très net du nombre de filles s'orientant vers cette spécialité.
Si chaque lycée de France parvenait à faire en sorte qu'une élève supplémentaire, chaque année, choisisse la voie des mathématiques ou des sciences entre la classe de seconde et celle de première, alors, en cinq années à peine, nous aurions sensiblement transformé la donne. Si l'on devait retenir une action simple, mais efficace, ce serait celle-là. Naturellement, cela suppose tout un travail en amont ; il ne s'agit évidemment pas de contraindre qui que ce soit à s'engager dans une voie qu'il ou elle ne souhaiterait pas. Mais imaginez que l'on fixe à chaque chef d'établissement un objectif minimal : faire passer le nombre d'inscriptions féminines en spécialité mathématiques de 100 à 101, puis à 102 l'année suivante et ainsi de suite. Ce n'est pas un objectif insurmontable - et s'il peut être dépassé, tant mieux. L'essentiel est de ne pas régresser, mais de progresser chaque année.
C'est précisément à cela que sert un service public national de l'enseignement. La France a cette capacité d'organisation, cette force de cohésion qui permet de mener ce type de politiques ambitieuses. Le même raisonnement peut être tenu pour l'ensemble des disciplines scientifiques : nous avons souvent tendance à mettre en avant les associations disciplinaires les plus visibles, mais pensons aussi à la SVT, à la physique-chimie, à l'informatique, ou encore aux sciences de l'ingénieur. Chacune de ces spécialités mérite une attention particulière et un effort collectif en faveur d'une plus grande mixité.
Vient ensuite, en troisième lieu, la question de l'enseignement supérieur. Celui-ci doit jouer son rôle en envoyant les bons signaux et en adoptant les bonnes pratiques. C'était d'ailleurs l'un des fondements des réformes que nous avons conduites, en particulier celles du lycée, du baccalauréat et de Parcoursup. L'objectif était clair : favoriser un continuum plus fluide entre le lycée et le cycle universitaire, de bac -3 à bac +3. Cela suppose notamment que les établissements d'enseignement supérieur s'intéressent réellement à ce qui se passe en amont, dans les lycées, et qu'ils s'y impliquent. Il est essentiel, par exemple, que des universitaires - et notamment des femmes - viennent présenter leurs travaux, partager leurs parcours, incarner des modèles de réussite.
Il est tout aussi important que l'enseignement supérieur tienne compte de la diversité des profils. Je le dis avec clarté : il ne s'agit aucunement de relativiser l'importance des mathématiques, bien au contraire. La réforme en a d'ailleurs renforcé la place : aujourd'hui, les mathématiques demeurent, de très loin, l'enseignement de spécialité le plus choisi. C'est également la seule discipline offrant une telle diversité de formats : en terminale, les élèves peuvent opter pour trois, six ou neuf heures hebdomadaires. Les programmes eux-mêmes ont été rehaussés, ce qui témoigne de la place centrale que continue d'occuper cette matière dans notre système éducatif.
Pourtant, d'un point de vue symbolique, le retrait des mathématiques du tronc commun a pu être perçu comme une forme d'atteinte à leur statut. Dans les faits, cette discipline conserve son rôle de pilier. Il faut néanmoins oser affirmer que l'on peut réussir dans les sciences sans être nécessairement le meilleur en mathématiques. Cela aussi doit être dit clairement.
Beaucoup de jeunes filles choisissent aujourd'hui la spécialité SVT. Lorsqu'elles envisagent une orientation vers les études médicales, elles associent souvent SVT, physique-chimie et mathématiques complémentaires. Et elles deviennent, ensuite, d'excellentes médecins. Car, disons-le franchement, les médecins que nous connaissons n'utilisent pas des équations complexes au quotidien ; ils mobilisent bien davantage leurs connaissances en sciences de la vie. Il ne faut donc pas réduire les sciences aux seules mathématiques, ni entretenir l'idée qu'elles seraient un prérequis absolu pour toute réussite dans ce domaine.
Tenir de tels propos en France peut susciter des soupirs, et pourtant, il s'agit simplement de dire la vérité telle qu'elle est. D'ailleurs, de nombreux autres pays adoptent cette approche. Il est indispensable de maintenir une excellence en mathématiques, et cette excellence, nous la possédons. Je suis bien conscient que certaines de mes formulations peuvent être isolées de leur contexte et interprétées de manière biaisée ; je le dis avec prudence. Mais essayons de faire preuve d'honnêteté intellectuelle sur l'ensemble de ces questions. Rien dans ce que j'exprime ne remet en cause la qualité de la formation mathématique française.
Encore une fois, dans la filière la plus traditionnelle, à savoir les classes préparatoires scientifiques menant aux écoles d'ingénieurs, les effectifs n'ont jamais été aussi élevés. C'est là que se forment les très grands mathématiciens et les ingénieurs de demain. Mais il est tout aussi essentiel de reconnaître que d'autres scientifiques brillants s'épanouiront sans nécessairement avoir excellé en mathématiques, mais grâce à leurs compétences en physique, en SVT, en informatique, et dans bien d'autres domaines encore. Il convient de ne pas enfermer notre système dans un modèle monolithique à la française. Il faut, au contraire, favoriser une diversité de parcours, de canaux de réussite. Cette diversité est, de fait, favorable à une plus grande égalité entre les sexes, car elle permet à chacun et chacune, selon sa sensibilité et ses talents, de s'épanouir.
Ce changement de paradigme contribuera également à lever les complexes associés à une vision unique de la réussite, où l'on considérerait qu'un élève n'ayant pas intégré telle ou telle grande école serait nécessairement mal engagé dans la vie. Ce modèle hiérarchisé, où certaines écoles d'ingénieurs seraient perçues comme des voies de second rang, mérite d'être nuancé.
Comme le temps presse, je me contenterai, pour conclure, d'un mot à propos des INSPÉ et de la formation des futurs professeurs des écoles, qui gagneraient à acquérir une culture scientifique plus affirmée. J'ai déjà abordé partiellement ce point en évoquant le lycée, mais il me semble important d'insister, d'autant qu'uneréforme de la formation est en cours.
D'abord, la loi pour une école de la confiance, adoptée en 2019, a posé le principe d'un équilibre clair : au moins 50 % du temps de formation doivent être consacrés aux savoirs fondamentaux, c'est-à-dire au français et aux mathématiques. Le respect rigoureux de cette exigence par les INSPÉ constitue, à lui seul, un premier levier de progression vers les objectifs que nous partageons.
Ensuite, nous avons mis en place les classes préparatoires au professorat des écoles. Il me semble que ce modèle constitue une base pertinente pour la réforme à venir : en petits groupes, les étudiants y consacrent la moitié de leur temps aux disciplines littéraires et aux sciences humaines, et l'autre moitié aux mathématiques et aux sciences. Ce dispositif, proposé dès la sortie du baccalauréat, permet d'initier une préparation solide et équilibrée. Si un futur enseignant bénéficie de trois années de formation dans ce cadre, on peut raisonnablement estimer qu'il deviendra un professeur des écoles compétent et bien formé.
Les deux années suivantes, intégrées à un parcours en alternance comprenant des stages, viendront renforcer encore cette formation.
À ce sujet, un rapport de l'inspection générale de l'éducation nationale sur les femmes et les sciences est en cours de préparation. Je ne sais pas s'il vous est déjà parvenu - pour ma part, je n'ai pas encore pu le consulter -, mais je crois qu'il serait pertinent de le prendre en compte avant la conclusion de vos travaux.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Merci pour cette intervention. Nous accueillerons cette semaine les représentants des écoles d'ingénieurs et aurons l'occasion d'examiner la situation au niveau des classes préparatoires.
Nous constatons que les filles ont souvent tendance à choisir leurs orientations plus tardivement que les garçons. Certaines chercheuses, bien qu'excellentes dans de multiples disciplines, y compris en lettres, ont souvent été incitées à poursuivre des études scientifiques. Si elles avaient été laissées libres de leurs choix, il est fort probable qu'elles se seraient arrêtées dès que l'opportunité leur en aurait été donnée. Ce n'est que plus tard qu'elles ont pris conscience de leur véritable intérêt pour cette discipline. Il existe, en outre, ce phénomène où les filles choisissent plus tardivement leur orientation, en particulier avec l'apparition de classes préparatoires en trois ans, dont une a vu le jour au lycée Henri IV. Celles-ci sont majoritairement prisées par les jeunes filles souhaitant poursuivre leurs études dans les sciences et la littérature sans avoir à faire un choix prématuré.
Je ne suis pas certaine que l'idée de choisir une spécialité trop tôt soit toujours appropriée, car garçons et filles ne prennent pas leurs décisions de la même manière, ni au même moment. En effet, les filles ont souvent la capacité d'exceller dans de nombreuses disciplines et tendent à vouloir repousser leur décision afin de prendre le temps de bien choisir.
Il existe donc une problématique liée à un choix prématuré. Pap Ndiaye, ancien ministre de l'éducation nationale qui vous a succédé, a d'ailleurs réintroduit les mathématiques dans le tronc commun. Il serait souhaitable que la réforme de la la formation des professeurs des écoles en préparation tienne compte de la séparation entre les filles et les garçons vis-à-vis des sciences et des mathématiques qui s'opère de manière manifeste entre le début et la fin du CP. Cependant, il se trouve que durant l'année de la pandémie de Covid-19, cette différenciation de niveaux n'a pas eu lieu, car les élèves étaient à la maison. Il s'est donc avéré que le décrochage de niveaux se faisait, en réalité, au sein de l'école.
La véritable différence ne réside certainement pas dans votre réforme en particulier, mais dans la formation initiale des professeurs des écoles, qui eux-mêmes avaient suivi un cursus littéraire avant de devenir enseignants. Nombre d'entre eux se considéraient comme « mauvais en mathématiques », une discipline où il est socialement accepté de revendiquer, non sans une certaine fierté, son manque de compétence. Il est beaucoup moins courant de se déclarer « nul en français » avec fierté.
Ainsi, ces questions sont bien réelles et concernent de nombreux pays de l'OCDE. Il semblerait toutefois que le Portugal ait trouvé certaines solutions. Nous nous rendrons sur place pour observer leurs actions en la matière.
Mme Jocelyne Antoine, rapporteure. - Je souhaiterais revenir brièvement sur la réintroduction des mathématiques dans le tronc commun, à la rentrée 2023, en classe de première. Permettez-moi de soumettre à votre réflexion un élément basé sur les chiffres de la DEPP qui, je pense, ne relèvent pas de « fake news », et qui tendent à confirmer que l'abandon des mathématiques continue de diminuer, ou, pour le dire autrement, que le choix de cette spécialité progresse.
Lors de la rentrée 2024, 31,5 % des élèves avaient abandonné la spécialité « mathématiques », contre 32,7 % en 2023, 38,4 % en 2022 et 41,7 % en 2021. Comme vous l'avez justement fait observer, on constate une évolution des chiffres, particulièrement notable en 2023. Peut-on réellement établir un lien de cause à effet entre le retour des mathématiques dans le tronc commun en première et cette inversion de tendance ? Il est légitime de s'interroger.
À l'époque où j'ai moi-même passé le bac, il se trouve que, même dans la filière A, les élèves suivaient des cours de mathématiques en terminale. À cette époque, nous représentions une proportion non négligeable d'élèves, filles et garçons, poursuivant cette discipline jusqu'au baccalauréat. Il est vrai que nous étions peut-être moins nombreux à passer cet examen, ce qui pourrait aussi en partie expliquer cette situation. Je souhaiterais connaître votre avis à ce sujet.
Ma soeur, bien qu'elle ne fût pas du tout orientée vers les sciences, a passé un bac A et a pourtant suivi une carrière brillante en tant qu'infirmière en réanimation. Elle le reconnaît elle-même, la formation qu'elle avait reçue lui a permis d'acquérir un schéma de pensée qui, d'une certaine manière, était influencé par sa poursuite des mathématiques jusqu'en terminale.
Ne serait-il donc pas pertinent de réfléchir à l'idée d'un tronc commun minimum, incluant les mathématiques, jusqu'au baccalauréat ? Cela permettrait, à mon sens, de garantir à chaque élève de se former à ces compétences, avant de se spécialiser. Il me semble que cette question mérite d'être posée, compte tenu du fait que les filles ont tendance à choisir leur orientation plus tardivement. Il est dit que nous serions naturellement plus aptes aux matières littéraires qu'aux disciplines scientifiques. Il est donc possible que le déclic pour les sciences ne survienne pas immédiatement durant l'adolescence, période de recherche de soi, mais plutôt lorsqu'on commence à mûrir.
Mme Marie-Pierre Monier, rapporteure. - Monsieur le ministre, permettez-moi de lever une ambiguïté qui m'a particulièrement interpellée. En effet, tout à l'heure, vous avez déclaré : « Finalement, si les filles ne font pas de mathématiques, elles peuvent se tourner vers d'autres sciences ». Cette remarque m'a profondément choquée et m'a fait réagir. La semaine dernière, nous avons eu l'occasion d'écouter une chercheuse qui expliquait précisément que cette attitude contribue à une dynamique où, dès leur plus jeune âge, les filles sont souvent incitées à ne pas se diriger vers les mathématiques. Cependant, nous avons un cerveau aussi capable que celui des hommes, et nous avons la même aptitude à aborder les mathématiques. Il ne s'agit donc en aucun cas d'une alternative ou d'un « lot de consolation » de se tourner vers d'autres disciplines scientifiques plutôt que vers les mathématiques.
Vous avez également souligné l'importance primordiale du premier degré. Vous avez insisté sur la nécessité de travailler sur les opérations. J'aimerais moi-même affirmer à quel point il est important de comprendre le sens des opérations. L'enjeu n'est pas seulement de réaliser une opération, mais de savoir laquelle choisir pour résoudre un problème donné. C'est en cela qu'il est fondamental d'offrir aux futurs enseignants du premier degré une formation solide et approfondie, incluant les mathématiques jusqu'en terminale. Une telle formation leur permettrait de maîtriser les concepts de manière concrète et rigoureuse, et ce, avant toute révision éventuelle des programmes de formation.
Je souhaite également mentionner un article du Monde qui rapporte que depuis deux ans, la Conférence des directeurs des écoles françaises d'ingénieurs, alarmée par la stagnation des effectifs féminins dans ces établissements, a décidé de financer davantage d'initiatives de sensibilisation au niveau secondaire. Vous avez évoqué les réformes que vous avez mises en place, notamment celles qui ont réduit le nombre d'heures de mathématiques obligatoires. Toutefois, la question ne réside pas seulement dans l'instauration d'un tronc commun, mais aussi dans l'obligation pour tous les élèves, garçons comme filles, de poursuivre les mathématiques en première et en terminale. Cette matière est essentielle et tous les élèves doivent y être exposés.
Il est vrai que les mathématiques ont été réintroduites comme matière obligatoire en première, mais les retours de terrain indiquent que cette mesure n'a pas eu l'effet escompté. Au cours de nos auditions, qui se poursuivent depuis plusieurs semaines, il est clairement ressorti que la présence des filles dans ces filières demeure insuffisante. Il semble même que la situation se soit détériorée. Vous avez souligné que les chiffres ne montraient pas de baisse significative, mais concrètement, les retours que nous avons reçus sur le terrain vont dans une autre direction. Permettez-moi de citer une chercheuse, Mélanie Guenais, de l'Université Paris-Saclay. Elle a observé que, depuis la réforme du bac, les effectifs ont diminué de 30 % pour les garçons et de 60 % pour les filles. Ainsi, après la réforme de 2022, un garçon avait 2,3 fois plus de chances qu'une fille d'obtenir un bac scientifique, inégalité la plus marquée depuis le début de la Ve République.
Mme Dominique Vérien, présidente. - On le sait, les filles qui étaient bonnes à l'école allaient auparavant en première S, sans forcément faire des sciences par la suite. Nous ne pouvons pas accuser le système face à ce constat.
Mme Marie-Pierre Monier. - Au sein de la commission de la culture, nous avons élaboré un rapport sur le bilan des mesures éducatives mises en place durant le quinquennat, en collaboration avec mes collègues Annick Billon et Max Brisson. L'inspecteur général chargé du suivi des voeux sur la plateforme Parcoursup avait conclu que cette réforme n'avait fait que mettre en lumière une réalité qui existait déjà au sein des classes préparatoires. Selon vous, cette réforme n'a-t-elle donc pas eu d'impact significatif sur la poursuite des études supérieures dans les disciplines scientifiques ? Comment expliquer la baisse des inscriptions des filles dans les classes préparatoires scientifiques (-1,6 % en 2023) ?
L'inspection générale a présenté en juillet 2021 un rapport intitulé « Faire de l'égalité filles-garçons, une nouvelle étape de la mise en oeuvre du lycée du XXIe siècle », qui propose de nombreuses recommandations, notamment concernant la formation initiale des enseignants, une pédagogie plus inclusive dans les classes et une orientation plus volontariste. Avez-vous eu l'occasion de prendre en compte ces recommandations et de favoriser leur mise en oeuvre au sein du ministère avant votre départ ?
M. Jean-Michel Blanquer. - Je serais ravi si une séance comme celle-ci pouvait contribuer à instaurer un consensus, notamment concernant les chiffres. Si je cite des chiffres erronés, il sera facile de les vérifier. Je ne suis pas le meilleur mathématicien de France, mais il me semble qu'un passage de 676 000 à 742 000 filles suivant des études scientifiques reflète une augmentation de leur nombre. Bien entendu, il est possible que dans l'établissement X, une baisse soit observée. Le problème du débat réside souvent dans le fait que chacun cherche à mettre en avant l'élément qui illustre sa thèse. Néanmoins, il reste possible d'objectiver la situation à l'échelle nationale.
Il est également essentiel de reconnaître le creux observé en 2021, qui a indéniablement nui au débat public et a conduit à une situation complexe. Cependant, depuis lors, certains cherchent à tout prix à présenter des nouvelles comme étant mauvaises, même lorsqu'elles sont en réalité positives. Ne caricaturons pas mes propos : je ne dis pas que tout va pour le mieux. À l'heure actuelle, la part de filles s'élève à 34 %, ce qui signifie qu'il reste encore 16 % de progrès à accomplir pour atteindre la parité. Concentrons-nous sur cette conquête à venir.
Le sujet du choix tardif me semble mieux abordé depuis la réforme du baccalauréat, qui répond précisément à la problématique que vous soulevez, Madame la Présidente. Auparavant, il existait des voies très cloisonnées : en première, choisir la filière L signifiait souvent renoncer à une orientation scientifique. Il fallait absolument opter pour la série S afin de conserver ses chances. Cela explique en partie pourquoi de nombreuses filles étaient présentes en série S, mais se dirigeaient ensuite vers des filières non scientifiques. Aujourd'hui, prenons l'exemple typique de l'élève brillante, bonne dans toutes les matières, que vous avez mentionnée à plusieurs reprises. Cet archétype est effectivement très répandu. Si cette élève cherche à préserver ses options pour faire ses vrais choix en Licence 3 ou en Master 1, la réforme du baccalauréat lui permet désormais de le faire. Des statistiques montrent que la moitié des élèves compose avec les anciennes formules, par exemple en choisissant mathématiques et physique en spécialité, ce qui est leur droit. Pour autant, l'autre moitié opte pour des combinaisons nouvelles et originales.
Ces cas sont particulièrement intéressants à étudier, car ils permettent d'analyser les trajectoires de ces élèves et d'observer l'impact de la réforme sur leurs parcours. Ils incitent aussi l'enseignement supérieur à évoluer, répondant à l'une des idées sous-jacentes de la réforme. Il ne s'agit pas d'un changement instantané, mais d'un mouvement progressif et structurel, bien que profondément transformateur pour le pays, dans la bonne direction, en vue d'élever globalement le niveau, notamment en mathématiques et en sciences. Les effets secondaires, les ajustements et les périodes de transition sont inévitables, mais il convient de ne pas se décourager face à ces difficultés.
Je comprends que huit ans avant mon mandat de ministre, un président de la République ait décidé de suspendre la réforme du lycée, anticipant les difficultés que l'on rencontre dès que l'on cherche à introduire des changements. J'aimerais que l'on constate, au contraire, les potentialités et les opportunités offertes par cette réforme. Par exemple, dans le domaine du numérique et des sciences informatiques, un futur ministre de l'Éducation, ou toute autre autorité engagée, disposera des outils nécessaires pour ajuster les formations dans l'enseignement supérieur en tenant compte des nouvelles spécialités choisies par les élèves. Les acteurs impliqués devront alors sortir de la routine et adapter la manière dont se déroulent les classes préparatoires et les premiers cycles universitaires, pour mieux répondre à la diversité des étudiants. Ceux-ci n'ont pas attendu la réforme pour être déjà très diversifiés. La capacité de personnalisation de l'enseignement supérieur devient donc essentielle.
Nous recherchons cet ajustement constant, cette dynamique des acteurs, qui est mise en oeuvre de manière imparfaite.
Vous avez parfaitement raison de souligner que chaque pays n'est pas dans la même situation, certains s'en sortent mieux que d'autres et le Portugal est, en effet, un exemple intéressant. D'autres pays, en revanche s'intéressent à notre réforme du baccalauréat.
Vous avez également évoqué l'enseignement des mathématiques dans le tronc commun. Sa réintroduction a déjà été mise en place en première. Pourquoi ne pas en faire de même en terminale ? Nous ajouterions alors une ou deux heures supplémentaires pour des lycéens qui détiennent déjà le record européen du nombre d'heures passées à l'école. Nous devons également nous rendre à l'évidence : nous n'avons pas toujours tous les professeurs de mathématiques nécessaires pour garantir la qualité de l'enseignement, tant en termes de quantité que de qualité. C'est la métaphore de l'irrigation que j'employais tout à l'heure : je préfère 950 000 heures de mathématiques bien réalisées et bien placées, plutôt qu'un million d'heures mal réparties. Mieux rémunérer les enseignants serait également un objectif à soutenir.
Je précise que la simple réintroduction des mathématiques dans le tronc commun ne modifiera pas fondamentalement l'avenir des sciences en France. Elle pourra légèrement améliorer la culture mathématique des élèves, mais les deux questions - les mathématiques et l'avenir des sciences - sont distinctes.
En revanche, en l'absence des mathématiques dans le tronc commun, de nombreux élèves ont choisi la spécialité « mathématiques », une discipline plus exigeante que celle qui existait auparavant en première S. Ainsi, nous avons davantage d'élèves suivant un enseignement en mathématiques de haut niveau, mais un nombre réduit d'élèves littéraires étudiant cette discipline. Cette nouvelle équation pourrait ne pas nuire à l'avenir des sciences en France.
Je comprends votre proposition visant à introduire une petite portion de mathématiques en terminale. Je ne veux pas adopter une position qui serait hostile aux mathématiques. Je souhaite, comme vous tous, renforcer leur place en France. Mais je tente d'être pragmatique et rationnel sur la manière de procéder. S'il est admis depuis longtemps que le français, après la première, cesse d'être une matière obligatoire, sans que cela ne pose aucune difficulté, pourquoi serait-il aberrant de suspendre les mathématiques pendant une année ?
Il s'agit là de choisir des priorités, en évitant des semaines de 50 heures de travail pour les lycéens. Si, au lieu des deux heures de sciences, nous avions attribué ces deux heures à des mathématiques, cette polémique n'aurait sans doute pas eu lieu. Pour autant, cette décision n'aurait peut-être pas été aussi bénéfique pour le pays.
Peut-être est-ce là la solution pour apaiser les esprits, puisque, visiblement, cette question suscite des réactions viscérales. À mon sens, cette émotion n'est pas entièrement rationnelle.
Madame la Sénatrice Antoine, vous avez mentionné le rapport de la DEPP et souligné que l'abandon des mathématiques continue de reculer, comme si cela validait l'idée qu'il y avait un grand nombre d'abandons au départ. En d'autres termes, vous avez observé une augmentation du nombre d'élèves qui choisissent cette spécialité.
Le fait que 31 % des élèves ne sélectionnent pas cette option confirme que 69 % des élèves la choisissent. Ce pourcentage est significatif, surtout lorsqu'on prend en compte l'ampleur des heures d'enseignement que cela représente. Dans le système antérieur, certains élèves en filière littéraire n'avaient aucune possibilité d'étudier les mathématiques si ce n'était pas leur spécialité.
Si l'on raisonne en valeurs absolues, bien plus d'élèves suivent aujourd'hui des cours de mathématiques dans le cadre de l'enseignement général qu'auparavant. Il faut également souligner que nous ne parlons pas du même corpus d'élèves, ce qui va dans le sens de mon argument global.
Si je ne devais défendre qu'une seule idée, ce serait celle-ci : cessons ces polémiques inutiles et concentrons-nous sur ce que nous pouvons faire en amont de la classe de première pour encourager les filles à se diriger vers des spécialités scientifiques. L'enjeu réside dans la manière dont nous mobilisons l'ensemble des acteurs -- l'enseignement supérieur, les enseignants, les parents, la famille, et la société dans son ensemble -- en vue de cet objectif. C'est une véritable bataille. Pour la gagner, il faut savoir frapper là où cela compte.
Mme Marie-Do Aeschlimann, rapporteure. - Vous l'avez compris, nous cherchons à dresser un constat. Nous avons échangé un certain nombre de chiffres. Vous nous avez fait part de plusieurs propositions. Merci pour cet échange.
Je connais votre intérêt pour le jeu d'échecs et, comme vous le savez, je le partage. Vous avez largement contribué à sa diffusion à l'école, notamment lorsque vous étiez DGESCO. Le programme « Classe-échecs » a d'ailleurs été repris et soutenu par la Fédération française des échecs, avec, semble-t-il, un certain succès. Dans ma commune, à Asnières-sur-Seine, nous avons également développé cette pratique, sur le temps périscolaire, faute de convention avec l'Éducation nationale. Cette mesure nous a toutefois permis d'observer les progrès des enfants, notamment dans les domaines des mathématiques et des sciences, chez les plus jeunes, allant de la maternelle à l'élémentaire.
Plusieurs pays ont intégré le jeu d'échecs dans leur enseignement scolaire : l'Arménie, le Mexique, la Chine, l'Inde, l'Allemagne, etc. Les premiers résultats sont plutôt positifs : en Allemagne, le niveau moyen des élèves en mathématiques a augmenté de 30 % après avoir ajouté une heure d'échecs par semaine dans le programme scolaire.
C'est d'ailleurs ce que vous aviez mis en place lorsque vous étiez recteur de l'Académie de Créteil. Je pense que cette piste pourrait figurer parmi les solutions envisagées. Pensez-vous que la généralisation de l'enseignement du jeu d'échecs à l'école pourrait susciter un plus grand intérêt chez les jeunes filles et, plus généralement, chez les enfants, pour les matières scientifiques et mathématiques ? Si tel est le cas, selon vous, à quel âge devrait-on introduire ce dispositif ?
Par ailleurs, Madame la Présidente a évoqué le décrochage des filles en mathématiques, qui commence dès le CP. Ne serait-il pas pertinent de développer un accès aux mathématiques de manière plus ludique ? C'est exactement ce que permet le jeu d'échecs, qui est à la fois un sport et une activité agréable, tout en constituant un moyen de détente. De plus, ce jeu permet de développer des compétences utiles à l'apprentissage des mathématiques, telles que la concentration, la capacité d'abstraction, et la rigueur du raisonnement scientifique.
Dès lors, ne pensez-vous pas qu'un enseignement des mathématiques un peu plus ludique, qui pourrait être introduit dès la maternelle, voire dans les premières classes de primaire, permettrait de susciter davantage d'aisance, d'intérêt et d'appétence, tant chez les garçons que chez les filles, car tel est l'objectif de notre étude ? Dans le même temps, il pourrait peut-être également contribuer à mettre davantage à l'aise les enseignants, souvent des enseignantes, qui éprouvent parfois des difficultés avec les mathématiques. Ce dispositif, à travers le jeu d'échecs, pourrait ainsi leur permettre de se familiariser avec cette discipline exigeante, tout en mettant en lumière ses nombreux atouts pour l'accès de tous les jeunes à la maîtrise des savoirs scientifiques et mathématiques en particulier.
Mme Laure Darcos, rapporteure. - Je suis bien consciente de la difficulté résidant dans la mise en place des réformes, surtout au sein de l'Éducation nationale. Elles peuvent être perçues de façon ingrate, et en général, on ne se souvient que des aspects controversés. Je crois qu'il est important de souligner que, pendant cinq ans, avoir le même ministre a été bénéfique, surtout quand on considère que cinq ministres différents se sont ensuite succédés en une seule année.
Nous vous avons senti sur la défensive, à juste titre. Lorsque la délégation a décidé de lancer cette mission d'information, ce sujet était déjà sur la table depuis trois ans. Il n'est donc pas une réaction à votre réforme, mais davantage une observation générale. Dans le milieu scientifique, et plus particulièrement sur le plateau de Saclay, on ressentait déjà un déclin du domaine scientifique par rapport à d'autres pays.
J'identifie cependant, dans le contexte actuel, une opportunité de récupérer certains chercheurs américains et de faire revenir certains de nos chercheurs expatriés, bien qu'il faille les rémunérer de manière appropriée !
Mais au-delà de cette question, nous nous intéressons à la manière dont nous pourrions favoriser la réussite des femmes scientifiques et ingénieures, leur permettre de concilier carrière et vie personnelle, et leur offrir les moyens d'atteindre les plus hauts niveaux dans les établissements publics. Il est évident que plus la pyramide monte, plus elle se resserre pour elles.
Le sujet est vaste. Vous avez souligné l'importance d'avoir des modèles. Je pense que, tout comme les grandes écoles font leur possible pour inciter les jeunes filles, dès le lycée ou même le collège, à se tourner vers les mathématiques, nous devons trouver des modèles pour attirer des professeurs de mathématiques. Nous observons malheureusement un désintérêt pour la profession d'enseignant, notamment dans ces filières. Aujourd'hui, nous acceptons presque tous les candidats qui se présentent au concours, mais ce n'est pas suffisant. J'aimerais connaître votre avis sur la question, car je sais qu'avant de quitter votre ministère, vous aviez exploré des pistes pour permettre à des personnes en reconversion professionnelle, notamment des ingénieurs ou des scientifiques, de se tourner vers l'enseignement et de devenir professeurs de mathématiques. Cette voie pourrait être explorée pour combler ce déficit.
Je fais partie des stéréotypes, mais je l'assume pleinement. J'ai redoublé ma troisième, en commençant avec une moyenne de 0,5 en mathématiques, et en terminant à 3,5. Mon professeur a eu la gentillesse de souligner les progrès réalisés, tout en reconnaissant qu'il subsistait des lacunes importantes. Aujourd'hui, je suis fière de me retrouver sur le plateau de Saclay, où des scientifiques émérites évoluent.
Il pourrait être intéressant d'explorer quelques pistes pour enrichir le vivier de talents. L'Éducation nationale étant souvent perçue comme un système assez fermé, nous pourrions réfléchir à des moyens d'ouvrir de nouvelles perspectives dans ce domaine.
Par ailleurs, nous avons été interpellées par le constat d'une sociologue concernant le déterminisme dès le plus jeune âge. C'est sur ce point qu'il serait pertinent de concentrer nos efforts, notamment en ce qui concerne le cadre scolaire. Prenons, par exemple, un exercice classique de géométrie pour les élèves de primaire, en CE1 ou CP. Lorsque cet exercice est proposé, les filles réussissent moins bien que les garçons. Pourtant, si cet exercice est présenté comme une activité de dessin, les filles ont tendance à mieux performer.
Cela montre bien à quel point l'implication des parents peut être déterminante. Nous pensons que ce constat mérite d'être souligné dans notre rapport, car le déterminisme se construit en grande partie à la maison. Nous avons observé que parmi celles qui réussissent dans les études scientifiques, beaucoup ont été influencées par des modèles familiaux forts, tels que des mères ou des grands-mères ayant poursuivi des carrières scientifiques. Il est vrai que certaines se sont orientées vers des carrières scientifiques en réaction à ce modèle, mais il est également apparu que de nombreux exemples de réussite féminine dans ce domaine étaient en lien avec ces modèles familiaux. Ce déterminisme est un facteur que nous souhaitons mettre en évidence. Il faut intervenir dès l'école primaire et le collège pour initier ce changement.
M. Jean-Michel Blanquer. - Vous le savez, je suis résolument favorable à l'extension du jeu d'échecs à l'école. Pour être tout à fait précis, cette initiative a débuté en Guyane. Je tiens à rendre hommage à un professeur des écoles, Monsieur Daniel Bore, qui a sans doute été celui qui a appliqué de la manière la plus approfondie les préconisations relatives au jeu d'échecs. En tant qu'instituteur isolé dans un petit village amérindien sur l'Oyapock, il a réussi à transmettre à l'ensemble de la population locale sa passion pour ce jeu. Certains jeunes amérindiens et amérindiennes ont même eu l'opportunité de participer à des championnats en Europe. C'était une véritable aventure humaine, au travers du jeu d'échecs, par laquelle il a su allier enracinement culturel et ouverture au monde de manière remarquable.
Cette expérimentation a démontré les immenses vertus éducatives du jeu d'échecs, et a contribué à en faire, pour moi, une référence, que ce soit à Créteil, à la DGESCO ou en tant que ministre. J'ai moi-même oeuvré pour faire vivre des étapes d'élargissement de ce programme. Je suis convaincu que de nouvelles étapes peuvent encore être franchies à l'avenir.
Évoquer la généralisation de cette pratique est quelque peu délicat, car il est difficile d'imposer une telle approche. Toutefois, encourager une incitation généralisée à l'adopter me semble tout à fait envisageable, y compris dans le cadre des activités périscolaires, où de grandes avancées peuvent être réalisées. Michel Noir ou Garry Kasparov se sont longuement penchés sur ces sujets. Leurs conclusions corroborent parfaitement vos propos.
Il est également important de souligner que le jeu en général peut tenir un rôle déterminant dans ce processus. Il est fondamental, non seulement pour l'enfant, mais aussi pour l'adulte. La manipulation concrète d'objets, qui fait partie de la pédagogie Montessori, est également au coeur des recommandations de l'association « La Main à la pâte » et du modèle de Singapour. Ce principe est inscrit dans les travaux du Conseil scientifique de l'Éducation nationale. Ce dernier devrait d'ailleurs prochainement se pencher sur ces sujets pour démontrer leur pertinence, avec pour objectif de les intégrer dans l'ensemble du système éducatif. L'extension du jeu d'échecs pourrait également s'accompagner d'autres initiatives, comme les jeux de l'esprit en général, notamment le bridge, le go ou les dames. Le jeu d'échecs pourrait ainsi devenir la locomotive d'une approche pédagogique basée sur l'apprentissage par le jeu, une méthode extrêmement vertueuse.
Madame la sénatrice Laure Darcos, vous m'interrogiez quant au recrutement des professeurs de mathématiques, il s'agit là d'un problème mondial. Je rappelle ici ce que j'ai précédemment mentionné : « il vaut mieux 990 000 heures bien faites qu'1 million d'heures mal utilisées ». La ressource en enseignants est rare. Nous devons donc l'utiliser de manière optimale. De plus, il est primordial de travailler en amont pour enrichir cette ressource. Ce défi se pose différemment en fonction des régions de France, mais dans les zones où la tension est la plus forte, il est crucial de favoriser les reconversions professionnelles. Ce type de reconversion est d'ailleurs déjà en place. J'ai eu l'occasion de rencontrer de nombreux ingénieurs qui se tournent vers l'enseignement. Il existe aussi des initiatives, comme l'association « Le Choix de l'École », qui propose aux jeunes diplômés des universités et grandes écoles de devenir enseignants contractuels pendant quelques années. Certains d'entre eux passent ensuite les concours. Dans tous les cas, ce sont des jeunes avec un très bon niveau en mathématiques qui se retrouvent dans les écoles. Cette démarche mérite d'être institutionnalisée. L'État pourrait la soutenir afin de permettre à des jeunes de se lancer dans l'enseignement des mathématiques pendant quelques années, un peu comme un service civique, tout en contribuant à l'enrichissement de la profession.
Enfin, pour ce qui concerne le premier degré, des initiatives telles que les parcours professionnels pour les professeurs des écoles (PPPE) ont également été mises en place. Si vous en avez l'opportunité, je vous encourage vivement à visiter les lieux où elles existent, y compris là où elles ont vu le jour et se développent actuellement, notamment sur la montagne Sainte-Geneviève. Vous pouvez également vous rendre au lycée Léon Blum à Créteil. Elles ont un impact réel, d'autant plus que la réforme de la formation des enseignants n'est pas encore entièrement finalisée. Je suis convaincu qu'il serait pertinent de s'inspirer de ce qui se fait là, en tant qu'avant-garde, pour nourrir la future réforme que je soutiens pleinement et que j'aurais souhaité mettre en oeuvre si nous avions eu les ressources budgétaires nécessaires. En ce qui concerne les secondes carrières, de nombreuses actions peuvent encore être entreprises.
Il est clair que les enjeux du déterminisme se jouent dès les premières années de scolarité et au sein même des familles. Il s'agit d'un domaine dans lequel nous pouvons mettre en place une politique que je qualifierais d'« intégrale », visant à libérer les filles de certaines inhibitions dès leur plus jeune âge. Je suis convaincu que cet objectif est tout à fait à notre portée et qu'il représente un véritable enjeu pour la société. Je sais que je n'ai pas besoin de vous convaincre sur ce point.
En définitive, je ne me trouve par sur la défensive, mais j'estime que nous devons adopter une posture offensive en considérant que l'objectif est parfaitement clair, que les moyens pour l'atteindre sont relativement évidents, et que la situation ne s'est pas détériorée au cours des dernières années. Au contraire, elle s'est orientée dans la bonne direction.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Merci beaucoup Monsieur le Ministre. Je pense qu'il est effectivement crucial de travailler sur ces biais de genre, notamment dès le cours préparatoire. Comme nous l'avons souligné, lorsque les exercices sont de nature géométrique, les filles échouent, alors qu'elles réussissent quand il s'agit du même exercice présenté comme une activité de dessin. Cette expérience démontre qu'il existe un biais et que ce phénomène est principalement lié à des préjugés inconscients. Il est évident que l'école joue un rôle central dans ce processus, comme l'a illustré l'absence d'aggravation de ce fossé durant la crise covid, lorsque les élèves étaient à la maison. La formation des enseignants est primordiale à ce titre. Il est essentiel de travailler également sur ces biais inconscients.
Je retiens particulièrement l'idée du jeu d'échecs. Je me souviens qu'en tant que maire, j'avais pris soin d'intégrer le jeu d'échecs dans les activités périscolaires. Ce jeu permet non seulement de renforcer la concentration des élèves, mais il a également de nombreux effets positifs sur leur développement scolaire.
Je suis tout à fait d'accord avec vous concernant l'idée d'une politique globale et intégrée. C'est d'ailleurs ce modèle que nous envisageons de découvrir lors de notre visite au Portugal, où une approche inclusive des sciences a été adoptée pour l'ensemble de la population. Une telle politique touchant l'ensemble de la société bénéficie évidemment également aux filles. Je vous remercie encore, Monsieur le Ministre.