Jeudi 22 mai 2025
- Présidence de M. Bernard Delcros, président -
La réunion est ouverte à 8 h 30.
Audition de Stéphane Dedeyan, président du directoire de La Banque postale portant sur la mission de service public d'accessibilité bancaire et la présence de La Banque postale dans les territoires
M. Bernard Delcros, président. - Mes chers collègues, nous recevons ce matin M. Stéphane Dedeyan, président du directoire de La Banque postale, directeur général adjoint du groupe La Poste.
La Banque postale est une banque publique, filiale à 100 % du groupe La Poste, dont elle a repris les services financiers depuis le 1er janvier 2006. Elle a succédé aux anciens centres de chèques postaux (CCP) qui géraient les comptes courants postaux créés par la loi du 7 janvier 1918. L'institution était tournée vers les particuliers, connue et appréciée pour les obligations qui lui étaient faites d'assurer un service bancaire de base à toute la population.
La loi du 20 mai 2005 relative à la régulation des activités postales a confirmé cette orientation en lui confiant une mission de service public dans les domaines bancaires, financiers et d'assurance, et en lui faisant obligation de proposer des produits et services au plus grand nombre.
Puis, la loi du 4 août 2008 de modernisation de l'économie lui a reconnu une mission d'accessibilité bancaire, l'une des quatre grandes missions de service public confiées au groupe La Poste avec le transport et la distribution de la presse, l'aménagement du territoire et le service universel postal.
La création de La Banque postale s'est accompagnée, à partir des années 2010, d'une diversification de ses activités et d'une ouverture à d'autres acteurs comme les entreprises et les collectivités locales. Son site internet présente d'ailleurs La Banque postale comme le premier prêteur bancaire des collectivités territoriales, ce que certains élus ignorent encore aujourd'hui.
Monsieur le président, cette audition doit tout d'abord nous permettre d'aborder avec vous la problématique de votre mission de service public d'accessibilité bancaire et la présence de La Banque postale dans les territoires, missions qui relèvent de deux cadres distincts. Par ailleurs, au moment où nos collectivités sont appelées à conduire une politique d'investissements ambitieuse, par exemple au titre de la transition écologique, nous vous interrogerons probablement sur votre contribution au financement de ces projets.
M. Stéphane Dedeyan, président du directoire de La Banque postale. - Je vous remercie de votre invitation dans une assemblée qui, nous le savons tous, représente les territoires.
Depuis quatre ans et demi que je suis dans le groupe La Poste et, plus encore, depuis que je suis devenu président du directoire de La Banque Postale, j'ai pu mesurer à quel point la présence de cette banque et ses capacités de financement au niveau local sont au coeur de son ADN et de ses missions.
En tant qu'assureur puis banquier, et comme beaucoup de Français, je sais à quel point les collectivités territoriales sont des acteurs essentiels du tissu social, du tissu économique et à quel point elles constituent la colonne vertébrale de notre pays.
En tant que filiale du groupe La Poste, La Banque postale a un attachement historique, légitime aux territoires. Cette banque a vocation à accompagner chaque citoyen dans son « chemin de vie », en finançant et en protégeant ses projets, ainsi que les collectivités locales dans leurs besoins de financement et la gestion de leurs flux financiers. En outre, la mission d'accessibilité bancaire qui lui incombe en fait la seule banque des exclus : elle apporte ainsi sa contribution au maintien du lien social, partout en France.
Mon propos introductif s'articulera autour de deux axes : le premier concerne évidemment la mission d'accessibilité bancaire ; le second portera sur la présence de La Banque postale dans les territoires, pour les personnes physiques, pour les associations, pour les entreprises, pour les collectivités locales, pour les hôpitaux publics ou pour les bailleurs sociaux.
Premier axe, la réflexion autour de la mission d'accessibilité bancaire de La Poste est en fait au coeur de l'actualité : nous sommes en train d'en renouveler les contours en vue de son arrivée à échéance fin 2026.
Cette mission, que notre groupe exerce depuis 2009, peut être décrite comme un dispositif transitoire de « pré-bancarisation », qui permet d'accompagner des publics qui peinent à maîtriser leur budget, qui sont parfois peu à l'aise avec les opérations numériques, dont chacun sait pourtant qu'elles se généralisent. L'idée est d'aider ces personnes à intégrer ou réintégrer le système bancaire classique et à se « bancariser » normalement.
Ce dispositif de pré-bancarisation est complémentaire des autres mécanismes d'inclusion bancaire que nous proposons : il ne faut pas le confondre avec le droit au compte ou un certain nombre de dispositifs dédiés aux clients fragiles, sur lesquels je pourrais revenir si vous le souhaitez. Il est gratuit, universel et non discriminant, la meilleure preuve en est qu'il n'y a pas de sas d'entrée dans les bureaux de poste, contrairement à la quasi-norme en vigueur dans n'importe quelle autre agence bancaire. Il faut bien saisir qu'un sas est particulièrement intimidant pour toute personne éloignée du système financier, qui doit gérer son budget à l'euro près, et qui a souvent besoin de retirer ou de déposer des espèces. Dans nos bureaux de poste, nous accueillons tout le monde ; nos équipes sont formées à la gestion de situations qui peuvent s'avérer difficiles.
Notre dispositif de pré-bancarisation offre à cette population un accès à des services élémentaires via, notamment, le livret A, qui est un produit simple, connu de tous, sans risque de découvert, et, surtout, que l'on ouvre à toute personne qui en fait la demande en vertu du principe d'universalité que lui reconnaît la loi. Le livret A permet à toute personne de réaliser, gratuitement, un nombre illimité de dépôts et de retraits à partir de 1,5 euro. Il permet aussi de domicilier des opérations simples comme l'encaissement de prestations sociales ou le prélèvement de factures de services essentiels comme l'eau, le gaz, l'électricité. J'ajoute que l'on met à la disposition des personnes qui en ont besoin une carte de retrait, qui leur permet d'accéder aux distributeurs automatiques de billets (DAB).
Cette mission d'accessibilité bancaire est le dernier filet d'inclusion pour des clients aux profils très divers : on trouve parmi ces clients beaucoup de migrants, mais aussi des individus qui, à un moment donné, ont pu faire partie intégrante du système bancaire et qui, soudainement, à la suite d'un accident de la vie, en ont été exclus. Le dispositif permet d'embarquer tout le monde, si je puis m'exprimer ainsi, de ne laisser personne de côté.
Nos équipes sont formées pour accompagner ces bénéficiaires dans la réalisation de leurs opérations, et ce, quels que soient leurs difficultés sociales, économiques, linguistiques, leurs problèmes d'illectronisme ou leur manque d'acclimatation aux divers aspects du numérique.
Aujourd'hui, notre dispositif de pré-bancarisation profite à 1,2 million de personnes. Si l'on tient compte de l'entourage de ces bénéficiaires directs, ce sont près de 3 millions d'individus qui, grâce à ce mécanisme, restent inclus dans le système financier.
Il repose sur notre réseau postal, dont vous connaissez tous la densité, l'homogénéité, le maillage territorial ; celui-ci repose sur des valeurs comme la confiance, la proximité ou l'implantation locale. Je précise cependant que la mission d'accessibilité bancaire qui nous échoit n'intègre pas d'obligation réglementaire de présence territoriale. En cela, cette mission se distingue de la mission de service public d'aménagement du territoire, qui, elle, définit des critères de présence - je pense à nos 17 000 points de contact situés partout en France. Ce sont La Banque postale et La Poste qui, dans le cadre d'une convention, déterminent ensemble l'organisation, le maillage des points de contact qui délivrent les différentes prestations d'accessibilité bancaire.
Je citerai plus particulièrement nos 360 bureaux de poste dédiés aux migrants, ainsi que les 1 250 bureaux qui offrent des prestations dites de « banque sociale », que l'on trouve essentiellement dans les zones périurbaines, les quartiers prioritaires de la ville et un certain nombre de territoires d'outre-mer.
Notre écosystème d'accompagnement comporte à la fois des services de traduction, afin de nous permettre d'échanger avec les publics qui ne parlent pas français, de conseil budgétaire, de lutte contre l'illectronisme ainsi qu'une formation aux gestes numériques de base. Aujourd'hui, cette mission d'accessibilité bancaire permet à 99 % de la population d'être incluse dans le dispositif bancaire, un record mondial dont nous devrions être fiers.
Nous sommes également très fiers du nombre de clients qui quittent durablement le dispositif d'accessibilité bancaire pour intégrer le régime bancaire standard : 56 % des clients sortent durablement de ce dispositif chaque année, selon nos dernières statistiques.
Il n'existe pas de véritable alternative à cette mission d'accessibilité bancaire : c'est la raison pour laquelle il s'agit d'une mission de service public indispensable, qu'il convient de préserver. À titre de comparaison, les prestations délivrées chez les buralistes ne sont pas gratuites, puisque le nombre de retraits gratuits y est limité, ce qui pose de réels problèmes à des personnes qui gèrent leur budget - comme je l'ai déjà dit - à l'euro prêt et qui ont besoin d'espèces au quotidien. Je passe aussi sur le fait que le livret A est rémunéré et qu'il protège le peu d'avoirs de ces publics contre l'inflation.
Permettez-moi désormais d'aborder le second axe de mon propos, la question de la présence de La Banque postale dans les territoires. Je sais combien il s'agit d'un enjeu crucial pour vous, et combien vous êtes attachés à la possibilité offerte à la population d'accéder facilement à un conseil bancaire et à des espèces, et à tout le secteur public local de trouver des financements pour un certain nombre de projets de transition, sociaux, environnementaux ou numériques.
Je commencerai par l'accès au conseil et aux opérations bancaires des personnes physiques. Aujourd'hui, La Poste dispose de 17 000 points de contact sur tout le territoire et un peu plus de 6 500 bureaux de poste permettent d'accéder au conseil bancaire. En 2024, 3,8 millions de rendez-vous pour des conseils bancaires ont ainsi été pris au sein de notre réseau. Il faut y ajouter 7 100 agences postales communales dans lesquelles il est possible de consulter ses avoirs, de retirer ou de déposer des espèces, et près de 3 100 La Poste Relais au sein desquels les habitants les plus fragiles peuvent être dépannés en espèces, à hauteur de 150 euros maximum.
Deux autres chiffres me semblent révélateurs : en moyenne, notre taux de couverture s'élève à un conseiller pour 10 500 habitants, et, plus significativement encore, à un conseiller pour 1 500 clients. Ces ratios nous montrent sous un jour favorable par rapport à nos concurrents : nous sommes encore aujourd'hui en mesure de maintenir un maillage satisfaisant de conseillers et de bureaux, alors que dans le secteur bancaire, la réduction du nombre d'agences est une tendance de fond.
Précisons également que 90 % de l'activité de conseil bancaire est concentrée dans 1 400 bureaux. Plus de 3 350 bureaux font régulièrement du conseil, c'est-à-dire qu'ils fixent au moins un rendez-vous par semaine ; quelque 4 500 bureaux organisent au moins un rendez-vous chaque année. Vous le constatez avec ces chiffres, l'activité n'est pas la même partout. Tout l'enjeu pour nous est donc de faire évoluer notre dispositif pour maintenir une présence dans les territoires.
Qu'entreprenons-nous aujourd'hui pour soutenir les territoires ruraux ?
D'abord, nous employons 1 700 facteurs-guichetiers, qui, le matin, vont distribuer le courrier et, l'après-midi, vont tenir un bureau au sein duquel la population qui le souhaite peut procéder à des opérations bancaires. Ce dispositif nous permet d'optimiser nos moyens et de maintenir des services financiers partout sur le territoire.
On s'aperçoit aujourd'hui que, dans certaines zones, qui se caractérisent par une baisse sensible de l'activité courrier, ce sont les activités bancaires qui légitiment le maintien d'un bureau de poste. Or le problème auquel nous sommes confrontés aujourd'hui, c'est que les facteurs-guichetiers, qui sont majoritairement facteurs et minoritairement guichetiers, ne disposent pas de toutes les habilitations nécessaires pour faire des opérations bancaires plus complexes. C'est pourquoi nous expérimentons actuellement le dispositif des guichetiers-facteurs, majoritairement guichetiers, qui disposent de davantage d'habilitations au niveau bancaire. Cette expérimentation a jusqu'ici été couronnée de succès, si bien que nous allons l'étendre à trente nouvelles zones. L'objectif est de projeter nos services financiers encore un peu plus profondément dans les territoires, notamment ruraux. Grâce à ce nouveau dispositif, nous offrirons bientôt de nouveaux services à des populations qui n'en bénéficiaient pas : entrée en relation bancaire, montée en gamme d'une carte bancaire ou d'une formule de compte, vente de produits d'assurance, etc.
Par ailleurs, dans un contexte où la France vieillit, où de plus en plus de personnes rencontrent des difficultés pour se déplacer dans les bureaux de poste, nous expérimentons la possibilité pour nos conseillers bancaires de se rendre au domicile des personnes qui ont des problèmes de mobilité. Cela exige évidemment toute une organisation, mais nous avançons sur le sujet.
Nous développons en parallèle notre offre de rendez-vous par visioconférence : 450 000 rendez-vous de ce type ont été organisés en 2024, avec un taux de satisfaction très élevé des clients. Cela étant, nous le savons, cette offre est réservée aux personnes habituées à utiliser les services numériques. Nous ne négligerons pas cet aspect à l'avenir, car, aujourd'hui, 75 % des Français se disent à l'aise avec le numérique, mais La Poste continuera de s'occuper, comme je l'ai déjà dit, des 25 % restants, qui ont besoin d'être accompagnés.
Je souhaite m'arrêter un petit instant sur la question de l'accès aux espèces, une dimension essentielle de la vie locale, au coeur des marchés par exemple. Même si le recours aux espèces s'inscrit dans une tendance nettement baissière - entre 2022 et 2024, les opérations en espèces ont baissé de 19 % -, assez inéluctable au fur et à mesure que les services bancaires se numérisent, et même si nous ne sommes soumis à aucune obligation en la matière, nous cherchons à stabiliser notre parc de distributeurs automatiques de billets autour de 5 500 appareils dans plus de 2 600 communes.
Nous détenons aujourd'hui 13 % environ des parts de marché des distributeurs automatiques, mais seulement 5 % des parts du marché bancaire : notre maillage de distributeurs automatiques dans les territoires est donc relativement dense, notamment en comparaison de nos concurrents. Malgré tout, nous faisons en sorte de maintenir nos distributeurs, lorsque cela est possible, et notamment lorsqu'il s'agit du dernier distributeur dans une commune ; hélas, nous n'y parvenons pas toujours, un distributeur automatique de billets représentant un coût très important, en termes de logistique ou de cybersécurité.
En complément de ces distributeurs, nous développons les services d'espèces aux guichets, en bureau de poste, dans les bureaux d'agence communale. Je l'ai mentionné, un dépannage en espèces est également assuré dans nos points de contact La Poste Relais. De plus, nous travaillons actuellement avec le Crédit Agricole à fédérer un certain nombre de banques pour que les commerçants donnent un accès le plus large possible à des espèces dans leurs fonds de caisse.
Je souhaite aussi évoquer les associations, un sujet sur lequel je ne vais pas faire de langue de bois : je sais qu'aujourd'hui nous sommes bien meilleurs pour les grandes associations que pour les petites, c'est-à-dire celles dont le budget n'excède pas 200 000 euros et emploient moins de trois salariés. Notre problème est que nous ne pouvons pas agir sur tous les fronts. Ainsi, comme vous le savez, depuis la remontée des taux d'intérêt, l'équation économique de La Banque postale s'est nettement complexifiée, et nous faisons aujourd'hui de gros efforts pour rétablir la rentabilité de nos activités bancaires. Nous savons que nous devons nous améliorer sur les petites associations - cela reste une priorité -, et nous allons y travailler.
Aujourd'hui, pour l'essentiel, l'apport de La Banque postale aux associations se limite à la gestion des flux et de quelques placements. Celles-ci sont avant tout de grandes consommatrices de remises de chèques et d'espèces. Notre objectif est de les accompagner vers des solutions de plus en plus fluides et sécurisées. Début 2026, nous permettrons aux membres agréés d'une association de transformer leur téléphone en terminal de paiement, ce qui permettra d'éviter les règlements en espèces. En ce qui concerne les dépôts et les retraits, nous étudions la possibilité de relever les plafonds applicables pour faciliter la vie des associations de proximité.
Concernant les personnes morales et le secteur public local, notre réseau comprend sept directions régionales, quarante-cinq centres d'affaires, 1 100 collaborateurs, dont 400 en région, ainsi qu'une équipe dédiée aux petites collectivités locales - je précise que j'ai souhaité renforcer ce dispositif à mon arrivée à la présidence du directoire.
Nous proposons un accompagnement spécifique aux communes de moins de 5 000 habitants pour le montage des plans de financement de certains projets. Le parcours peut, si la commune le souhaite, commencer sur internet via des simulations, puis se poursuivre avec un appel téléphonique et une rencontre, qui permettent d'affiner les choses.
Depuis 2015, nous sommes en effet le premier prêteur des collectivités locales et des hôpitaux publics ; nous représentons 25 % des financements dévolus au secteur public local. Depuis la création du dispositif, ce sont 50 milliards d'euros de prêts à moyen et long termes que nous avons consentis, et 30 milliards d'euros de prêts à court terme. Sur ces 50 milliards d'euros, environ 13 milliards d'euros couvrent des projets sociaux et environnementaux, concernant l'accès à l'eau, les mobilités, l'installation de la fibre, l'éducation, ou la santé.
Nous complétons ces financements par une offre de conseil et des expertises. Nous avons récemment lancé un service, baptisé Subzen, qui offre un accompagnement à l'obtention de subventions pour des projets d'investissement en matière de rénovation énergétique, de transition écologique, d'éducation, de sport, de culture, de transport , de numérique, notamment. Nous disposons aussi d'un service d'études et de recherches, qui assure l'analyse de la santé financière des collectivités locales. Enfin, je n'oublie pas notre comité d'orientation des finances publiques, au sein duquel collaborent des experts et des élus locaux, et qui nous permet d'observer le marché et de coller au mieux aux besoins des collectivités.
En 2024, La Banque postale a financé quelque 1 800 projets, pour un montant global de 5,6 milliards d'euros. Il s'agissait, pour 16 % d'entre eux, de projets sociaux, et pour 17 %, de projets environnementaux ; 50 % de ces projets ont bénéficié à des communes de moins de 10 000 habitants. Les 110 projets que nous avons financés dans le secteur hospitalier ont représenté un total d'un milliard d'euros ; 214 opérations destinées aux bailleurs sociaux ont été par ailleurs financées, pour près de 2 milliards d'euros : au total, 7 762 logements ont été protégés contre le réchauffement climatique et 1 141 logements abordables ont été construits.
En guise de conclusion, je citerai quelques-uns des projets que nous avons financés dans de petites villes. À Saint-Jory, en Haute-Garonne, nous avons accordé un prêt social de 350 000 euros pour l'extension de l'école maternelle du lac de Labou et la maison de la culture. À Longny les Villages, dans l'Orne, un prêt social de 600 000 euros contribuera à l'aménagement du cabinet médical. Dans la communauté de communes de Lévézou-Pareloup, dans l'Aveyron, un prêt social de 5 millions d'euros permettra la construction du centre aquatique intercommunal. Dans la région de Montereau-Fault-Yonne, un peu plus de 2 millions d'euros seront consacrés à la rénovation de la déchetterie. À Ambleteuse, dans le Pas-de-Calais, ce sont 3 millions d'euros qui iront au financement des infrastructures sportives. En Guadeloupe, un prêt social de 6 millions d'euros servira à la construction d'un collège. Je terminerai par deux communes du Cantal : la commune d'Arpajon-sur-Cère, où un prêt de 500 000 euros permettra la viabilisation d'une parcelle sur la Cère ; et la commune d'Aurillac, où un emprunt de 3 millions d'euros servira à la rénovation des bâtiments scolaires, à des travaux dans les gymnases, le théâtre, l'église, et à la modernisation de l'éclairage public. J'insiste sur ces réalisations très concrètes, car il est important de montrer que ces projets servent à l'ensemble de nos concitoyens.
M. Bernard Delcros, président. - Je vous remercie de cet exposé très clair et concret concernant les divers domaines d'intervention de La Banque postale. Vous l'avez dit, tous les bureaux de poste ne garantissent pas à nos concitoyens une accessibilité bancaire. Ceux qui assurent une telle offre sont-ils majoritairement situés en milieu urbain ou en milieu rural ? Par ailleurs, comment le nombre de personnes bénéficiaires évolue-t-il ?
Concernant les prêts, vous avez donné des exemples bien choisis et instructifs. Vous avez indiqué vouloir faire des efforts en faveur des petites associations. Quelle est votre politique vis-à-vis des communes ? La Banque postale accompagne-t-elle plutôt les grandes ou les petites collectivités ?
À qui les maires des petites communes doivent-ils s'adresser lorsqu'ils souhaitent contracter un prêt au nom de leur collectivité, sachant que le Crédit Agricole, la Caisse d'Épargne et la Banque Populaire sont souvent implantés dans les centres-bourgs ?
M. Hervé Reynaud. - Je veux avant toute chose saluer le financement par La Banque postale d'un ensemble de projets locaux, notamment dans le secteur du logement social.
L'offre bancaire est assurée par les bureaux de poste dans les territoires en vertu d'un contrat de présence postale territoriale pluriannuel. Le prochain contrat, qui doit s'étendre sur la période 2025-2028, est en cours de finalisation. Dans ce cadre, il conviendrait que la voix des maires soit mieux prise en compte, notamment en rapport avec leurs travaux d'aménagement dans certains quartiers ou territoires, qui évoluent au gré des investissements injectés.
Ces dix dernières années ont été marquées par de nombreuses fermetures de bureaux de poste dans les territoires - 25 % d'entre eux, selon la note qui nous a été fournie. Certes, ces bureaux ont parfois été mutés en relais commerciaux ou en agences postales communales. Toutefois, ces structures ne représentent pas le même coût pour les collectivités, même si La Poste contribue à leur financement. Ces fermetures ont surtout affecté les zones rurales, mais elles n'ont pas épargné le milieu urbain. Ce fut le cas à Saint-Étienne, dans ma circonscription. Aujourd'hui, de nombreux élus municipaux sont fermement opposés aux fermetures de bureaux postes dans les quartiers de la Cotonne, du Soleil et de la Badouillère, d'autant que ceux-ci présentent ont un fort potentiel de développement, compte tenu des projets d'aménagement urbain envisagés.
J'y insiste, il faut regarder avec attention la cartographie des bureaux de poste et veiller à ce que les contrats de présence postale territoriale tiennent davantage compte de la voix des maires.
Du reste, dans certains endroits, il n'est plus nécessaire de disposer de DAB, sauf dans les quartiers à fort potentiel, où la population dispose d'un pouvoir d'achat important. Lorsque j'étais maire, c'est un point que j'avais évoqué avec un certain nombre de banques. On nous a parfois indiqué qu'il était possible de partager les frais, mais, compte tenu du contexte, les collectivités locales savent que ce n'est pas le cas. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous comptons sur La Banque postale.
C'est un appel que je lance aujourd'hui au nom de ma circonscription et de l'ensemble des territoires.
Mme Corinne Féret. - Je vous remercie, monsieur le président, de cet échange franc et direct. Je m'associe pleinement aux propos de mon collègue Hervé Reynaud.
Pour ma part, je relaie depuis plusieurs années les inquiétudes des élus et des habitants du Calvados, qu'ils soient issus des villes, des secteurs périurbains ou des zones rurales. Tous ces territoires sont affectés par les fermetures des bureaux de poste, qui s'amplifient année après année, mois après mois. À chaque réunion de la commission départementale de présence postale territoriale (CDPPT), on nous donne la liste des bureaux de poste qui ferment, parfois remplacés par des agences postales communales ou des relais postaux.
Les élus sont, d'une certaine manière, contraints d'ouvrir ces structures de substitution, dans le cadre d'un partenariat avec La Poste, car ils savent que leurs administrés ont besoin de disposer d'un service postal de proximité. Cela suppose toutefois d'engager des moyens matériels - je pense notamment à la mise à disposition d'un local - et humains : c'est souvent un agent municipal qui assure l'ouverture de l'agence postale.
La présence d'une agence postale dans les communes est chère aux yeux de nos concitoyens. Auparavant, on disait que La poste constituait un pilier de nos communes, aux côtés de l'église et de l'école. Force est de constater que ce n'est plus le cas aujourd'hui.
J'ajoute qu'il est certes possible de remplacer un bureau de poste par un relais commercial, mais à condition qu'il y ait des commerces ! J'ai à l'esprit le combat qui a été mené par le maire d'une petite commune de mon département, pour sensibiliser l'opinion à la fermeture annoncée de son bureau de poste. Celui-ci n'a pas obtenu gain de cause, malgré des années de lutte pour son territoire. Ses craintes ont néanmoins été récemment dissipées, car le centre-bourg de sa commune va être réaménagé. Il disposera ainsi de commerces qui pourront servir de relais postal.
Vous avez parlé du vieillissement de la population. À cet égard, il est très peu probable que, dans les zones rurales, les personnes âgées prennent leur voiture pour se rendre à un bureau de poste situé à cinq ou six kilomètres de leur lieu d'habitation ; elles ne peuvent même pas prendre le bus, faute de desserte assurée... Quelle solution pourrait-on offrir à ces individus qui ont des problèmes de mobilité ?
Au demeurant, j'appelle votre attention sur le fait que, dans les petites communes, la fermeture d'un bureau de poste entraîne très souvent la disparition du distributeur automatique de billets, qui est parfois le seul guichet automatique mis à la disposition des habitants. Ces derniers sont ainsi contraints de se rendre dans d'autres communes, alors que, j'y insiste, les problèmes de mobilité sont prégnants en zone rurale.
Dans mon département, les collectivités ont fourni des efforts significatifs pour ouvrir des maisons France services (MFS), dans lesquels La Poste a certes toute sa place. Quoi qu'il en soit, nous déplorons une absence de proximité bancaire ou, en tout cas, d'accessibilité bancaire.
Enfin, vous avez évoqué les associations, qui, aux côtés des comités des fêtes, organisent souvent des kermesses dans les communes. Il faut bien reconnaître qu'elles ne savent plus quoi faire des gains récoltés lors de ces événements, faute de disposer d'un bureau de poste à proximité.
Encore une fois, il faut garder à l'esprit que l'accessibilité des services postaux reste un vrai sujet d'inquiétude pour beaucoup de nos concitoyens, notamment dans des territoires où le sentiment d'abandon gagne du terrain. Il serait bon, monsieur Dedeyan, que vous puissiez vous faire l'écho de leurs préoccupations.
M. Bernard Delcros, président. - Vous avez, les uns et les autres, abordé la question des financements. Ceux-ci fluctuent selon qu'il s'agit d'un bureau de poste ou d'une agence postale communale. Il semble également que le champ des services offerts diffère entre ces deux types de structures.
Mme Patricia Schillinger. - Monsieur le président du directoire, je tenais moi aussi à vous interpeller sur un certain nombre de problèmes. La Poste propose plusieurs services, tels que la banque, la délivrance de colis et du courrier, ainsi que des services à la personne. Les personnes qui accomplissent ces missions sont souvent mal rémunérées. En outre, elles sont peu nombreuses, en dépit d'un temps de travail souvent significatif.
Je plaide depuis des années pour augmenter la rémunération de ces personnels qui travaillent dans des secteurs très fragiles. Je suis une élue de la zone dite des « trois frontières », au sud de l'Alsace, près de la Suisse et de l'Allemagne. En Suisse, justement, le salaire minimum s'élève à 3 500 euros. Vous comprendrez qu'il est très difficile de trouver des salariés qui acceptent de travailler en France, où les rémunérations sont beaucoup plus faibles. Il faut pourtant que La Poste puisse assurer ses missions dans un territoire, qui compte tout de même 80 000 habitants.
Du reste, j'appelle votre attention sur le fait que les candidats aux élections municipales ont de plus en plus de difficultés à obtenir un prêt pour mener campagne. Êtes-vous sensibilisé à ce problème ?
M. Stéphane Dedeyan. - Vous m'interrogez sur la concentration des sites en milieu urbain ou rural. Notre action en matière d'accessibilité bancaire se concentre sur les endroits les plus peuplés, notamment ceux où vit une forte concentration de personnes étrangères. Nous parlons donc plutôt de la périphérie des grandes villes et des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), ce qui ne nous empêche pas d'exercer cette mission en milieu rural, où il est plus facile de détecter des situations particulières. Dans ces derniers cas, l'intelligence de situation des postiers permet généralement de trouver une solution.
Notre mission d'accessibilité bancaire consiste en partie à répondre au fort recours aux espèces de personnes qui gèrent leurs ressources à l'euro près et constituent des enveloppes d'argent liquide par type de dépense. Les espèces se faisant de plus en plus rares, celles-ci sont obligées de s'adapter à un usage croissant du numérique. Dans l'ensemble, nous observons donc une stabilisation, voire une légère diminution du nombre de personnes éligibles à la mission d'accessibilité bancaire.
Le sujet des prêts aux petites communes est différent de celui des associations. Ainsi, 50 % des prêts sont octroyés à des communes de moins de 10 000 habitants, soit 400 millions d'euros en 2024 pour 1 000 communes financées. La philosophie des équipes de La Banque postale est la suivante : il n'y a pas de petits ou de grands projets, seulement des projets utiles. Nous nous plions en quatre pour aider à les faire aboutir. Grâce à des partenariats avec les associations de maires, aux stands que nous tenons dans les congrès et au bouche-à-oreille, les petites communes savent qu'elles peuvent s'adresser à La Banque postale. Quant au parcours numérique, il facilite la prise de contact. Nous avons d'ailleurs mis en place une équipe consacrée aux petites communes pour renforcer notre action auprès de celles-ci.
Je répondrai de mon mieux aux questions suivantes, qui s'adressent davantage au directeur général adjoint du groupe et aux membres du comité exécutif (Comex) de La Poste qu'au président du directoire de La Banque postale. Sur ces sujets, je ne suis pas directement à la manoeuvre, mais je suis bien sûr au courant des actions du groupe.
Je comprends vos préoccupations concernant la présence bancaire dans les territoires. Notre président, Philippe Wahl, organise des petits déjeuners parlementaires tous les mois, et je suis présent à toutes les rencontres avec les associations d'élus locaux. En tant que groupe, nous sommes chargés d'une mission d'aménagement du territoire. Tout comme vous, nous sommes tristes de voir les flux diminuer dans les bureaux.
Toutefois, comme entreprise, nous devons résoudre une équation économique : en 2023, le coût de la mission de service public d'aménagement du territoire s'élevait à 320 millions d'euros, pour 174 millions d'euros de compensation. Nous faisons tout ce que nous pouvons pour maintenir une présence maximale, y compris en mobilisant les revenus de services annexes, mais une entreprise doit équilibrer son bilan et son compte d'exploitation.
Nous sommes heureux que vous exprimiez le besoin d'un plus grand nombre de bureaux de poste. Néanmoins, la diminution du volume de courrier fait perdre à La Poste la colonne vertébrale de son équilibre économique, tandis que le déficit lié aux missions de service public se creuse. Nous déployons d'autres activités pour compenser, services financiers, assurance ou livraison de colis, mais celles-ci font l'objet d'une concurrence extraordinaire. Ne serait-ce que pour rester performants dans ces secteurs, nous ne pouvons dégager un surprofit de nature à compenser le manque à gagner.
Nous voulons tous la même chose, mais nous sommes soumis à des contraintes parfois difficiles à concilier. C'est pourquoi le dialogue constitue la meilleure solution. Nous l'entretenons en associant les élus à toutes les décisions : les maires ont un droit de veto dans plus de 80 % des cas d'arbitrages relatifs aux points de contact, et même dans 99 % des cas en milieu rural.
Bien sûr, il est parfois difficile d'articuler l'installation d'un relais La Poste avec la volonté des élus de conserver le dernier commerce de leur commune. Chaque situation est particulière. C'est pourquoi nous réfléchissons beaucoup pour maximiser notre capacité de dialogue avec vous en vue de trouver des solutions adaptées à chaque territoire, plutôt que de partir d'en haut.
Nous commençons à utiliser de nouveaux leviers, en combinant une démarche d'« aller-vers » à nos points d'accueil. Par exemple, dans l'Orne - département voisin du vôtre, madame Féret -, nous allons renouveler l'expérimentation d'un bureau de poste itinérant installé dans un camion. Ce dispositif illustre bien la volonté de La Poste de se projeter par de nouveaux moyens et de s'adapter à une situation qui s'impose à nous tous.
Je comprends parfaitement vos préoccupations. Je participe au Comex de La Poste tous les lundis, et je peux vous dire qu'elles sont également les nôtres. Nous faisons tout ce que nous pouvons pour maintenir la plus grande présence possible et pour nous adapter. Nous cherchons à faire preuve d'inventivité. Par exemple, nous proposons aux personnes âgées la visite d'un conseiller bancaire. Malheureusement, il est difficile de concilier toutes les contraintes. C'est dans le dialogue que nous serons le plus à même de trouver les solutions.
J'ajoute que nous créons fréquemment des synergies au sein des MFS. Dans quelque 1 200 cas, nous pourrions davantage mutualiser les flux. Les places des services, qui permettent de regrouper des associations, fonctionnent assez bien. Nous incitons nos facteurs à détecter les personnes fragiles et les situations les plus critiques afin de trouver le moyen d'agir sans obliger la personne à se déplacer. Il nous reste bien sûr des choses à inventer pour l'avenir, toujours dans le dialogue.
En ce qui concerne la question des chèques et des espèces, le système sera largement fluidifié lorsque nous serons parvenus à transformer n'importe quel téléphone mobile en terminal de paiement. Par ailleurs, il reste possible d'envoyer ses chèques par La Poste. Nous essayons de développer le maximum de moyens pour être à votre service.
Comme toutes les entreprises, nous avons du mal à recruter dans les territoires frontaliers, ce qui, pour les facteurs, n'est pas le cas ailleurs. Malheureusement, je n'ai pas de baguette magique pour remédier à ce problème.
Ayant été saisis du sujet des prêts pour les campagnes électorales, nous avons créé un dispositif « coup de poing » et mobilisé une équipe pour ouvrir des comptes de campagne le plus vite possible. Nous essayons de répondre dans les quarante-huit heures. Ces derniers mois, cela a été le cas dans 98,5 % des cas. Je reçois quotidiennement un mail pour vérifier le respect des indicateurs de qualité de service.
Des réflexions sont en cours sur le financement des campagnes. Il s'agit d'un sujet global, parfois présenté sous l'angle de la banque de la démocratie. En tant qu'assureur, je dresse un parallèle avec le bureau central de tarification, qui concerne les personnes ayant du mal à assurer leur automobile. Ce bureau, s'il confirme les difficultés de l'intéressé et constate une carence de marché, établit un tourniquet : lorsque son tour arrive, chaque compagnie d'assurance doit prendre en charge l'une des personnes concernées, sans poser de question. Nous pourrions nous inspirer de ce dispositif, qui a fait ses preuves. Je précise que j'exprime ici un avis personnel.
M. Pierre Jean Rochette. - Ma première question s'adresse au banquier que vous êtes et porte sur les agences de La Banque postale. Quel bilan en tirez-vous aujourd'hui ? Nous savons que tout n'est pas parfait, notamment du point de vue financier. En effet, les communes supportent une partie des coûts de fonctionnement.
Comment imaginez-vous ces agences dans les années à venir ? Comment entendez-vous les développer ? Au demeurant, elles fonctionnent plutôt bien et offrent un véritable service aux communes très rurales.
Pour ma seconde question, plus générale, vous devrez coiffer votre casquette de facteur. Nous allons prochainement débattre de la fast fashion au Sénat. J'ai conscience qu'il vous sera difficile de répondre, au risque de vous tirer une balle dans le pied, mais comment pouvons-nous nous y prendre pour réduire le nombre de colis de petit poids ?
Mme Pascale Gruny. - Monsieur Dedeyan, sauf erreur de ma part, vous n'avez pas abordé la question de l'accessibilité aux personnes en situation de handicap. Peut-être l'assimilez-vous à celle des personnes vieillissantes, mais il s'agit d'un sujet distinct. En 2025, nous ne saurions le mettre de côté.
Par ailleurs, à vous entendre, tout semble aller très bien. Pourtant, dans nos territoires, la réalité est différente. Même lorsque le bureau de poste continue de fonctionner, ses heures d'ouverture se réduisent comme peau de chagrin et lorsque l'on cherche à contacter le bureau principal, celui-ci n'a pas accès au dossier. Ainsi, je suis régulièrement sollicitée par des personnes rencontrant des difficultés administratives.
Vous êtes également concurrencés dans le domaine des colis. Il est plus facile de déposer un colis dans un relais de commerce que dans une zone industrielle située à l'extérieur de la ville. Le problème est encore plus marqué dans la ruralité. Je comprends que vous parliez du compte de résultat, mais peut-être faut-il consentir plus d'efforts en la matière.
Si le volume de courrier diminue, le facteur reste essentiel. Bien souvent, il est le dernier contact des personnes maintenues à domicile. Vous avez mentionné le signalement des fragilités : cette situation en fait partie. Je me souviens du cas, il y a bien longtemps, d'un facteur qui avait été licencié pour avoir passé trop de temps auprès des personnes d'un village. Il lui arrivait parfois de leur ramener leurs courses ! Aujourd'hui, vous semblez avoir la volonté d'assurer ce service essentiel pour continuer d'exister. Des initiatives sont-elles prises en ce sens dans les territoires ?
M. Gérard Lahellec. - Je vous remercie d'avoir rappelé l'attachement historique de votre groupe aux collectivités locales et d'avoir souligné que vous étiez la banque des exclus. Cela dénote une valeur commerciale assez peu commune au sein de notre société et il convient de faire de ce caractère exceptionnel un élément du rayonnement de votre excellence. Cet aspect de votre activité est à la fois un obstacle et un atout.
Je viens de Bretagne et je veux me montrer le digne héritier d'un certain Alexandre-Glais-Bizoin, fils d'un riche négociant en toile, qui fut élu député en 1831. Celui-ci s'est illustré sous la monarchie de Juillet et sous le Second Empire et, s'il ne l'a pas inventé, il a préfiguré le timbre-poste en proposant d'appliquer un tarif unique pour acheminer un pli entre deux points du territoire, quels qu'ils soient.
Je vous invite à vous inspirer de cet illustre prédécesseur. J'ai en ma possession le timbre qui a été édité à son effigie, pour, explique la notice, en « reconnaître l'engagement personnel et la puissance de l'action publique ». Ce qu'il a imaginé en son temps est devenu un principe constitutionnel, celui de l'égalité d'accès au service public.
Comme vous l'avez mentionné, La Banque postale n'a pas d'obligation en matière d'aménagement du territoire. Pour autant, l'aménagement du territoire n'est pas sans effet sur le rayonnement général du groupe La Poste, y compris de sa filiale bancaire. Nous avons donc un problème qu'il nous appartient d'examiner : l'image de La Poste pèse sur le rayonnement de La Banque postale.
En conséquence, je ne vois pas comment l'on peut nourrir une ambition de rayonnement sans tenir compte de ce que demandent les collectivités. Il convient de relever ce défi qui relève de la communication, mais pas seulement. Comme l'a dit Pascale Gruny, l'école, la poste et l'église sont consubstantielles de ce qui fait le bourg et le territoire. Malheureusement, je crains qu'il ne reste plus que l'église...
Mme Pascale Gruny. - Et encore !
M. Gérard Lahellec. - Pour ma part, je partage l'idée selon laquelle il n'y a pas de débouché en dehors du champ de compétences que constituent vos métiers. La solution n'est pas de faire autre chose. Nous le voyons, la tentation est grande de transformer les métiers, mais il ne faut pas que cela conduise à ce que l'on ne sache plus distribuer une lettre. Je vous invite à ne pas déroger à votre raison d'être initiale et vous encourage à relever le défi d'être à la fois la banque des territoires, celle des exclus, et celle, au bout du compte, de chacun.
Mme Anne-Sophie Patru. - Je tiens tout d'abord à vous remercier de l'implication de La Banque postale dans le financement des collectivités. À l'heure où, dans mon département, de grandes enseignes bancaires nationales se désengagent totalement, votre présence est importante. La concurrence qu'elle apporte fait du bien à l'ensemble de nos communes.
Par ailleurs, nous observons un phénomène de mutualisation au travers des MSF. Pensez-vous que ce modèle pourra être dupliqué dans l'ensemble de nos collectivités ?
La Bretagne expérimente la vente de tickets de transports par un agent postal au sein de bureaux de postes et de MSF. Je trouve ce principe intéressant. A-t-il vocation à être dupliqué ?
Enfin, cette question vous paraîtra peut-être décalée, mais avez-vous tiré des leçons de la crise du covid, durant laquelle, à notre grand effarement, toutes vos agences étaient fermées ?
M. Stéphane Dedeyan. - Nous tirons un bilan assez positif des agences postales communales. C'est une modalité bien plus satisfaisante qu'un simple point relais. Ces agences étant coconstruites par les élus et par La Poste, je reconnais que des efforts doivent être concédés de part et d'autre. En tout état de cause, lorsque les conditions ne sont pas réunies pour maintenir un bureau de poste, elles offrent à nos concitoyens un meilleur service que des points relais. Des instances de dialogue existent pour améliorer le dispositif et l'adapter selon les besoins spécifiques de chaque territoire.
Une chose est sûre, si nous nous plaçons du point de vue de l'utilité pour nos concitoyens, nous devons continuer de créer des synergies au sein des MSF. En mutualisant les flux dans des lieux d'implantation proches, en permettant de prendre rendez-vous dans une MSF pour ne pas faire la queue inutilement, nous rendons service à nos concitoyens. Nous devons maximiser ce service ; c'est ma conviction profonde.
Monsieur le sénateur Rochette, je n'ai pas du tout l'intention de « botter en touche » au sujet des petits colis. Notre position vis-à-vis des flux chinois est forcément quelque peu ambiguë. Tout d'abord, ils représentent pour nous des clients importants : en quelques années, les colis en provenance de Chine sont passés de 5 % du total de nos flux à plus de 20 %. Nous ne pouvons pas ignorer ces clients sans remettre en cause l'équation économique du traitement des colis par La Poste. Nous ne sommes pas en capacité de nous extraire de ce marché. Ensuite, nous apportons de la valeur à ces clients chinois, car notre logistique est décarbonée. Nous leur permettons de distribuer leurs colis en faisant moins de mal à la planète que ne le feraient d'autres acteurs. Par ailleurs, le fait d'instaurer une taxe sur les colis me semble plutôt positif sur le long terme. Quand bien même cela risque de ralentir quelque peu notre activité, il convient de faire comprendre à ces opérateurs qu'il y a des règles à respecter, notamment des normes de qualité des produits.
Nous sommes donc dans une position légèrement contradictoire : sur le principe, nous acceptons ce type de mesures, mais nous sommes tenus de maintenir un équilibre entre celles-ci et nos impératifs économiques.
En ce qui concerne les personnes handicapées, je tiens à préciser que nous avons mis un point d'honneur à ce que tous nos distributeurs automatiques soient accessibles aux personnes à mobilité réduite, de même que tous nos bureaux de poste. Nous prêtons également une attention particulière à des cas particuliers.
Je pense notamment à la commune de Rosières-aux-Salines, en Lorraine, à proximité de laquelle vivent 500 majeurs protégés. Nous y avons maintenu le bureau de poste pour nous assurer que ces derniers aient accès à toutes les opérations bancaires par le biais de leur tuteur, alors que le contexte démographique ne nous y obligeait pas.
À chaque fois que nous sommes confrontés à une situation particulière, nous tâchons de faire preuve d'intelligence situationnelle et de nous adapter au maximum.
En ce qui concerne les heures d'ouverture, lorsqu'un bureau de poste ne reçoit que trois visites par jour, le coût fixe d'une ouverture à temps plein n'est pas soutenable. Nous sommes donc forcés d'adapter les horaires. Certains me rétorqueront que la diminution des horaires entraîne la diminution des flux. Il est difficile de trancher entre la poule et l'oeuf en la matière.
Nous étudions les situations au cas par cas et nous nous efforçons de trouver les solutions les plus acceptables pour nos concitoyens. Par exemple, en cas de modulation des horaires, nous faisons en sorte que deux bureaux de poste situés dans un même territoire ne soient pas fermés au même moment.
Mme Pascale Gruny - Je comprends bien cette nécessité d'adapter les horaires, mais ce n'est pas ma question. À l'heure des réseaux numériques, chacun devrait pouvoir obtenir un renseignement, y compris lorsque le bureau de poste le plus proche est fermé. Actuellement, le bureau central n'est pas capable de le faire lorsqu'on l'appelle. Il s'agit peut-être d'une question de formation de vos agents. Il serait souhaitable qu'ils soient les plus polyvalents possible.
M. Stéphane Dedeyan. - Madame la sénatrice, vous pointez une marge de progrès. Historiquement, La Poste est très territorialisée et compartimentée. Nous devons passer à un réseau davantage omnicanal, si vous me pardonnez ce barbarisme entré dans le langage courant. Comme le font les entreprises, nous devons développer des interconnexions pour fluidifier le traitement de la demande d'un client. Il s'agit de l'un de nos axes de progrès les plus importants dans les années à venir. Je ne peux que vous donner raison sur ce sujet.
La livraison hors domicile constitue l'un des nombreux facteurs de disruption du secteur du colis. Le dernier kilomètre représente 50 % des coûts de la chaîne logistique dans son ensemble. Le fait de livrer hors domicile divise quasiment par dix le coût du dernier kilomètre de livraison, et fait donc sensiblement baisser les prix de livraison. Dans un contexte où les gens manquent de pouvoir d'achat, ce type de livraison est en plein essor. Il constitue sans doute la seule zone de croissance importante qu'il reste dans une activité du colis qui commence à stagner du fait du ralentissement du e-commerce.
Nous ne pouvons pas être étrangers à ce secteur de marché. Dans les zones urbaines, il est souvent plus pratique de passer dans un relais en rentrant du travail que d'attendre chez soi qu'un colis soit livré. Nous nous adaptons et nous accélérons notre offre de livraison hors domicile. Dans le même temps, nous nous attachons à renforcer les flux dans les bureaux de poste en installant des casiers à proximité.
Le fait que des flux importants se maintiennent dans nos bureaux de poste constitue l'une de nos plus grandes chances. En effet, 800 000 personnes poussent la porte d'un bureau de poste chaque jour, alors que le trafic dans les agences bancaires est de plus en plus faible. Nous disposons ainsi d'un important moteur de conquête de clients et je me suis attaché à remettre des produits financiers dans l'espace commercial des bureaux de poste.
En 2024, pour la première fois depuis une dizaine d'années, nous avons un solde net positif de clients. C'est bien la preuve que le fait que La Banque postale soit adossée à La Poste est un atout énorme. Je ne crois pas qu'il faille réduire le nombre d'agences bancaires. Au contraire, nous devons nous appuyer sur les atouts de proximité et de confiance de La Poste pour faire de La Banque postale une banque encore plus belle.
Si vous demandez à nos banquiers de quoi ils sont le plus fiers, ils vous répondront bien souvent l'accessibilité bancaire. Nous proposons des ouvertures de comptes à partir de 1,50 euro et des opérations en espèces illimitées. Nous nous adressons à des personnes qui ne parlent pas français ou sont éloignées du numérique. Nous devons mobiliser toutes nos ressources pour accompagner ces personnes et accélérer la bancarisation des Français. Lorsque nous mettons le pied à l'étrier à une personne en lui ouvrant un compte bancaire, celle-ci entre bien souvent pleinement dans le système au bout d'un an. Il s'agit d'une immense fierté et pour moi, et pour tous les collaborateurs de La Banque postale.
Je suis entièrement d'accord avec vous : le mot le plus important dans le nom de notre banque est le mot « postale ».
Madame Gruny, vous avez évoqué le cas d'un facteur qui aurait été licencié, car il passait trop de temps avec les clients. Il existe des cas particuliers, mais c'est la première fois que j'entends une telle histoire, alors que je suis dans le groupe depuis quatre ans et demi.
Mme Pascale Gruny - L'exemple que j'ai cité date d'il y a longtemps. Je voulais illustrer le fait que le facteur est parfois le dernier contact des personnes isolées. Pendant longtemps, le groupe La Poste a refusé que leurs agents endossent ce rôle. L'envisagez-vous à présent ?
M. Stéphane Dedeyan. - J'ai réalisé plus de cinquante visites sur le terrain : j'ai accompagné des facteurs dans leur tournée, j'ai visité des plateformes logistiques, je me suis rendu dans des centres financiers et dans des bureaux de poste... Je suis à chaque fois frappé et fasciné par l'intelligence situationnelle des postières et des postiers et par leur capacité à créer de la confiance et de la proximité humaine dans toutes les situations, y compris lorsqu'ils sont victimes d'incivilités. Le fait de recourir à cette intelligence pour assurer une présence auprès des Français est dans notre ADN.
En outre, cela va dans le sens de l'histoire. Dans un monde de plus en plus numérisé, nos citoyens évaluent la qualité d'un service à la présence humaine. C'est pourquoi nous développons cette forme d'aller-vers dans les fonctions du facteur. Si celui-ci a de moins en moins de courrier à distribuer, il aura toujours un rôle à jouer au travers de ses visites : permettre d'échanger avec un humain, détecter des fragilités, mettre en relation avec une MFS en cas de besoin... Nous devons faire évoluer notre modèle en ce sens dans le cadre de la poursuite de la transformation de La Poste.
Enfin, je n'étais pas au groupe La Poste au moment de la crise du covid, mais un service fondamental a été assuré : chaque 5 du mois, les prestations sociales ont bien été versées. Par ailleurs, quand je vois l'intensité du programme d'investissement pour installer la fibre dans les bureaux et permettre la tenue de réunions en visioconférence, il me semble que nous avons tiré les leçons de la crise sanitaire et fait évoluer nos infrastructures. Il est vrai que lorsque la crise est survenue, nous avions peut-être un peu de retard en la matière, mais nous sommes en train de le rattraper.
M. Bernard Delcros, président. - Je vous remercie de ces échanges très intéressants. Nous avons vite dépassé le cadre de La Banque postale, et nous avons bien compris que le groupe La Poste formait un tout. De par son histoire et sa culture, celui-ci occupe une place particulière dans la vie des territoires, mais aussi dans l'esprit de nos concitoyens et de nos élus. Dans ce monde qui évolue, les uns et les autres doivent réaliser les efforts nécessaires pour conserver l'essence de La Poste. Nous devons continuer d'avancer ensemble pour faire vivre son modèle de mission de service public financé en partie par l'État.
La réunion est close à 9 heures 55.