Jeudi 19 juin 2025
- Présidence de Mme Dominique Vérien, présidente -
La réunion est ouverte à 8 h 30.
Audition de Bérangère Couillard, présidente du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes
Mme Dominique Vérien, présidente. - Chères collègues, Madame la Présidente du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE), chère Bérangère Couillard, je suis ravie de vous accueillir au sein de notre délégation, dans cette belle salle de réunion qui a récemment été baptisée Olympe de Gouges à l'occasion de notre vingt-cinquième anniversaire.
Votre dernière audition devant notre délégation remonte au 30 novembre 2023. Vous étiez alors ministre chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, responsabilité que vous avez assumée jusqu'en janvier 2024. À la suite de la dissolution de l'Assemblée nationale, intervenue le 9 juin 2024, vous avez été nommée, le 16 juillet, présidente du HCE.
C'est à ce titre que nous vous recevons aujourd'hui.
Permettez-moi de souligner que notre délégation porte une attention constante aux travaux du HCE. Le rapport annuel sur l'état du sexisme en France, publié en janvier 2025, a mis en lumière deux constats préoccupants : d'une part, une polarisation croissante autour des enjeux d'égalité de genre, en particulier dans les médias et les discours politiques ; et d'autre part, la persistance d'inégalités sociales et économiques profondes.
Le rapport soulignait notamment le maintien inquiétant de discours sexistes, particulièrement dans les sphères médiatiques et politiques, ainsi que l'augmentation alarmante des violences sexistes et sexuelles.
L'une des données les plus significatives révélait que 94 % des femmes âgées de 15 à 24 ans estiment qu'il est plus difficile d'être une femme aujourd'hui, soit une augmentation de 14 points par rapport à 2023. En comparaison, seulement 67 % des hommes de cette même tranche d'âge partagent ce sentiment.
À l'occasion de la publication de ce rapport, vous déclariez : « Les femmes sont plus féministes, et les hommes plus masculinistes, particulièrement les jeunes. Les Français attendent que les responsables politiques agissent contre le sexisme, notamment en instaurant enfin les cours à l'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle, qu'ils plébiscitent largement ». Je puis vous assurer que notre délégation partage pleinement cet engagement en faveur de la mise en oeuvre de ces enseignements.
Nous sommes toutes et tous particulièrement attentifs aux menaces qui pèsent sur les droits des femmes et sur l'égalité de genre. À cet égard, plusieurs phénomènes retiennent notre attention : la progression inquiétante des mouvements masculinistes, l'influence considérable des réseaux sociaux dans ce domaine, l'exposition précoce à la pornographie, la nécessité d'une mise en place effective de l'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle, ainsi que l'exacerbation des stéréotypes de genre, qui s'installent dès le plus jeune âge.
Comme vous en êtes certainement informée, notre délégation conduit depuis plusieurs mois une réflexion approfondie sur la place des femmes dans les filières scientifiques, alors qu'elles ne représentent aujourd'hui qu'un tiers des chercheurs et un quart des ingénieurs en France. Nos travaux nous ont permis de prendre pleinement conscience de la puissance des biais de genre, qui se manifestent dès l'enfance, notamment dans l'enseignement des mathématiques.
Les défis à relever s'avèrent multiples et présents à tous les échelons : celui de la sphère familiale, de l'environnement social, au sein du système éducatif, dans les choix d'orientation scolaire et universitaire, puis tout au long des trajectoires professionnelles.
Lors de son audition le 5 juin dernier, la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, Mme Elisabeth Borne, a présenté un ensemble de mesures dans le cadre du plan « Filles et maths ». Parmi celles-ci figurent la sensibilisation et la formation de l'ensemble du corps enseignant aux biais et stéréotypes de genre en sciences, ainsi que l'instauration de quotas de jeunes filles dans les spécialités mathématiques au lycée et dans les classes préparatoires. Sur ce point précis, nous serions intéressées par votre analyse et vos recommandations.
Le HCE d'ailleurs produit déjà des travaux de référence sur ces enjeux, notamment à travers le rapport publié en novembre 2023 intitulé « La femme invisible dans le numérique : le cercle vicieux du sexisme », qui mettait en lumière la sous-représentation des femmes, tant dans les professions exercées que dans les contenus diffusés.
Il pourrait d'ailleurs être opportun, dans la continuité de nos travaux, d'entendre Mme Catherine Ladousse, qui a piloté ce rapport, afin qu'elle puisse en exposer les principales conclusions.
Chère Bérangère Couillard, je vous laisse sans plus tarder la parole et proposerai ensuite à mes collègues présentes de vous interroger.
Mme Bérangère Couillard, présidente du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE). - Merci, Madame la Présidente.
Mesdames les Sénatrices, je me présente devant votre délégation avec un plaisir renouvelé, afin d'échanger avec vous sur des enjeux aussi déterminants que la lutte contre le sexisme et l'accès des femmes aux études et carrières scientifiques. Ces thématiques ont profondément mobilisé mon attention tout au long de mon parcours, et le HCE, que j'ai l'honneur de représenter aujourd'hui, mène depuis plusieurs années un travail soutenu à cet égard.
En effet, le rapport de référence du HCE, consacré à l'état du sexisme en France et publié le 20 janvier dernier, consacre une large part de ses analyses à ces sujets. L'édition 2025 de ce baromètre d'opinion -- fondé sur les réponses de plus de 3 000 personnes -- marque une étape importante, mettant en lumière une polarisation croissante de la société française sur les questions d'égalité entre les femmes et les hommes.
Les jeunes femmes expriment une conscience accrue des difficultés qu'elles rencontrent au quotidien, ce qui les rend plus réceptives aux valeurs du féminisme et davantage engagées dans le combat pour l'égalité. À l'inverse, les jeunes hommes manifestent un sentiment d'incompréhension, voire de rejet des évolutions sociétales. Ils se montrent ainsi de plus en plus sensibles aux discours sexistes et aux idéologies masculinistes.
Ce constat nous a conduits à interroger les causes profondes de cette fracture. Nous pensons que l'éducation constitue l'un des vecteurs fondamentaux du sexisme. Aussi, il devient urgent d'intervenir de manière structurée.
Depuis plusieurs années, le HCE plaide pour la généralisation d'un programme d'éducation à l'égalité, adapté à tous les âges. Les cours d'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle -- dits EVARS -- visent à sensibiliser les élèves à la connaissance de leur corps et au respect de celui d'autrui. Ils permettent, avant tout, de déconstruire les normes sociales et les stéréotypes qui favorisent les inégalités sexistes.
Or, aujourd'hui, moins de 15 % des élèves bénéficient effectivement de ces enseignements, alors qu'ils sont obligatoires depuis 2001, à raison de trois séances par an tout au long de la scolarité. Dès lors, nous saluons l'annonce récente, par Elisabeth Borne, ministre d'État et ministre de l'éducation nationale, de la finalisation du programme et de son déploiement dès la prochaine rentrée. Nous sommes convaincus que cette avancée constitue un levier fondamental en faveur de l'émancipation des jeunes générations et de la construction d'une société plus égalitaire.
De surcroît, cette mesure répond à une attente largement partagée, neuf Français sur dix se déclarant favorables à la mise en place d'un tel programme. Il s'agit de l'action la plus plébiscitée de notre baromètre, celle-ci étant considérée par 70 % des répondants comme la plus efficace pour faire évoluer les mentalités. Ce soutien massif illustre que les oppositions à ces enseignements, bien que tapageuses, demeurent largement minoritaires.
Agir contre le sexisme, c'est aussi permettre à chaque petite fille, à chaque jeune femme, d'envisager son avenir et sa trajectoire professionnelle sous un prisme différent. En effet, les biais sexistes affectent durablement l'orientation scolaire et professionnelle -- dès le collège, et plus encore au lycée --, contribuant ainsi au faible taux de féminisation dans les filières scientifiques, technologiques, et notamment numériques. Ces biais prennent racine dans les contenus pédagogiques eux-mêmes, mettant en avant des figures scientifiques presque exclusivement masculines. Or, cette invisibilisation des femmes dans les manuels scolaires constitue un facteur majeur d'autocensure. Le HCE alerte régulièrement sur cette représentation inégalitaire, dont les effets se trouvent aggravés par une littérature jeunesse et des messages publicitaires véhiculant des modèles stéréotypés. Dès le plus jeune âge, les filles sont ainsi renvoyées à des rôles passifs ou domestiques, cantonnées à la sphère privée.
Ces représentations, profondément ancrées dans la culture enfantine et adolescente, s'ajoutent à une éducation parentale encore marquée par des inégalités. Si nombre de parents affirment n'appliquer aucune distinction entre leurs enfants, les jeunes filles interrogées témoignent d'un vécu contraire, signalant qu'elles ont perçu ces différences tout au long de leur enfance.
Ces facteurs cumulés contribuent, à terme, à des choix d'orientation biaisés, appelant ainsi à des actions correctives à tous les niveaux : dans l'éducation, les pratiques culturelles, la sphère familiale, mais également à l'âge adulte. Il importe d'intervenir directement dans les filières scientifiques, depuis l'enseignement supérieur jusqu'aux processus de recrutement.
Le Gouvernement a ainsi lancé en juin 2023 le programme Tech pour toutes, visant à promouvoir l'égalité entre les femmes et les hommes dans le secteur technologique. Celui-ci prévoit l'accompagnement de 10 000 jeunes femmes d'ici 2026, à travers des dispositifs de mentorat individuel, des accompagnements collectifs, ainsi que des soutiens matériels et financiers.
Le HCE a salué cette initiative, qui constitue un signal encourageant. Il conviendra toutefois d'évaluer rigoureusement les moyens alloués, les résultats obtenus et la pérennité de cette politique publique. Un rapport d'évaluation pourrait être publié en 2026, si les membres du HCE en décident ainsi. Nous avons d'ores et déjà formulé plusieurs propositions en ce sens dans notre dernier rapport.
Par ailleurs, dans le cadre de sa formation Égalité professionnelle, le HCE a émis plusieurs recommandations pour améliorer l'index dit « Pénicaud », qui n'a pas encore produit tous les effets escomptés. Des concertations ont été engagées à l'automne 2023 pour optimiser ce dispositif et adapter la réforme du congé parental. La directive européenne du 10 mai 2023 relative à la transparence des rémunérations impose en outre aux États membres de mettre en oeuvre, d'ici le 7 juin 2026, de nouveaux dispositifs de transparence salariale, de revalorisation des métiers à prédominance féminine et de communication des écarts de rémunération, tant pour la phase de recrutement que durant le contrat de travail.
Ces évolutions devraient permettre d'harmoniser et de renforcer les dispositifs existants en faveur de l'égalité professionnelle. Elles doivent également inciter les entreprises des secteurs technologiques, scientifiques et numériques - qui concentrent les métiers d'avenir - à progresser sur l'égalité femmes-hommes, notamment pour attirer davantage de talents féminins. Il s'agit d'un enjeu social, mais également économique, car les profils féminins apportent une réelle valeur ajoutée aux entreprises qui savent les reconnaître et les promouvoir. C'est pourquoi nous considérons indispensable d'agir à la fois sur les racines culturelles du sexisme et sur les conditions concrètes d'accès des femmes aux professions scientifiques.
Ce combat de longue haleine requiert des moyens à la hauteur des enjeux, soutenus par une volonté politique sans faille, tant les écarts à résorber demeurent significatifs. Dans cette perspective, le HCE poursuivra son action en contribuant activement à la réflexion des décideurs publics comme des acteurs de la société civile, à travers des recommandations étayées et des analyses rigoureuses.
Telle est la mission que j'ai l'honneur de porter, avec la volonté ferme que le HCE continue à occuper une place centrale dans le débat public, et y affirme pleinement son expertise.
Je vous remercie pour votre attention et me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Je vous remercie, Madame la Présidente. Je me réjouis de constater que nous partageons très largement les constats que vous avez exposés.
La directive européenne à transposer d'ici juin 2026 retient toute notre attention. Vous le savez, notre délégation avait déjà consacré un rapport au bilan de la loi Copé-Zimmermann, dix ans après son adoption, ce qui avait notamment contribué à l'élaboration de la proposition de loi portée par notre collègue Marie-Pierre Rixain. Par ailleurs, aux côtés d'Annick Billon et de Martine Filleul, nous avions travaillé à la loi visant à instaurer la parité dans la haute fonction publique. Ces sujets demeurent au coeur de nos préoccupations, et je suis convaincue que nous suivrons avec la même vigilance la transposition de cette directive, dans la perspective d'une amélioration substantielle de l'index Pénicaud, dont les limites sont aujourd'hui mieux identifiées à la lumière du recul dont nous disposons.
Vous avez également évoqué la réforme du congé parental, qui constitue en effet un enjeu majeur pour les femmes dans le monde professionnel. Cette question revêt une acuité particulière dans un contexte de réflexion sur l'avenir de notre système de retraite par répartition, dont la pérennité repose, à long terme, sur notre capacité à maintenir une natalité suffisante. Si la société entend préserver ce modèle de solidarité intergénérationnelle, elle doit reconnaître pleinement l'apport des femmes, tant à l'échelle démographique que dans le tissu économique.
Les études le démontrent clairement : dès lors que les femmes représentent au moins 30 % des instances dirigeantes ou des comités exécutifs, les entreprises enregistrent de meilleures performances. Ainsi, ces dernières ont un intérêt objectif à favoriser une plus grande mixité.
S'agissant du congé maternité, souvent présenté comme un frein à l'embauche des femmes, je tiens à souligner le caractère biaisé de cette perception. À celles et ceux qui invoquent ce motif, j'oppose souvent l'autre exemple des arrêts de longue durée consécutifs à des accidents de la route, majoritairement causés par des hommes. Personne ne remet en cause leur accès à la conduite automobile pour autant. Le congé maternité, quant à lui, se prépare, s'anticipe, et les entreprises y font face avec professionnalisme. Il serait donc particulièrement contre-productif de continuer à le brandir comme un obstacle à l'égalité, alors que les besoins de compétences, notamment en ingénierie, s'avèrent criants.
Intégrer davantage de femmes dans ces secteurs constitue une nécessité. D'autant que les filières scientifiques, historiquement masculines, sont aussi celles où les rémunérations sont les plus élevées : il apparaît donc juste et pertinent que les femmes puissent y accéder pleinement.
Nous partageons également votre constat sur la nécessité d'intervenir précocement. Les données disponibles sont particulièrement éloquentes : entre l'entrée et la sortie du cours préparatoire, les écarts de niveau entre filles et garçons en mathématiques se creusent de manière significative, alors que leur niveau initial est comparable. Ce phénomène, largement documenté, trouve en partie son origine dans l'école elle-même. L'expérience menée pendant l'année du Covid a révélé, en effet, une réduction sensible de cet écart lorsque l'enseignement se faisait à distance, ce qui tend à montrer que le milieu scolaire joue un rôle déterminant dans la construction des stéréotypes.
Par ailleurs, les écarts entre filles et garçons s'avèrent encore plus marqués dans les catégories socioprofessionnelles les plus favorisées. Ce constat, qui peut surprendre, se trouve désormais étayé par plusieurs études. Ainsi, même au sein d'un couple d'ingénieurs, les différences d'orientation et de trajectoire apparaissent très tôt entre les filles et les garçons, avec un décrochage encore plus net dans les CSP+.
Ce phénomène mérite d'être analysé avec attention. Il confirme que les inégalités ne s'expliquent ni par les capacités ni par les goûts supposés des filles. À cet égard, il convient de réaffirmer avec vigueur qu'aucun élève n'est, par nature, « nul en mathématiques », et qu'aucune société ne devrait entretenir, encore moins valoriser, une telle représentation.
Je cède à présent la parole à mes collègues.
Mme Marie-Pierre Monier, rapporteure. - Lors de notre déplacement à New York pour la Commission de la condition de la femme des Nations unies (CSW), nous avons constaté, à travers les témoignages d'associations, une régression alarmante des droits des femmes dans de nombreux pays, ainsi qu'une recrudescence des violences. Le terme de backlash a été largement employé pour qualifier cette dynamique.
En France également, des signaux préoccupants apparaissent. Dans mon département, certains conseils départementaux ont supprimé des centres de santé sexuelle, et le contexte budgétaire à venir s'annonce tendu.
Il me semble que vous êtes nommée par le Premier ministre, et j'aimerais savoir si vous-même avez des inquiétudes quant aux moyens qui vous sont alloués, à l'approche de l'examen du projet de loi de finances.
Mme Bérangère Couillard. - Naturellement, le HCE exprime une réelle inquiétude, à la fois concernant les moyens budgétaires alloués et, plus largement, les perspectives d'action. La décentralisation confère aux collectivités territoriales une autonomie importante dans la définition et la mise en oeuvre de leurs politiques publiques, ainsi que dans l'attribution des financements. Dans ce contexte, j'invite les citoyens à s'informer attentivement sur les décisions prises localement, en particulier par les conseils départementaux, nombre d'entre eux ayant fait le choix de réduire significativement les crédits alloués à certaines politiques, en raison de tensions budgétaires que je ne méconnais pas.
Malheureusement, les politiques à destination des femmes en sont les premières cibles. Je pense notamment au Planning familial, dont certaines antennes locales rencontrent de grandes difficultés du fait de baisses budgétaires. Au-delà des éventuels désaccords politiques ou idéologiques que certains peuvent entretenir à l'égard de cette structure, il convient de rappeler que le Planning familial assure des missions essentielles, auprès des jeunes femmes comme des moins jeunes -- et au-delà du seul public féminin. Il semble inenvisageable de se résoudre à sa disparition dans certains territoires.
D'autres associations ont également fait part de leurs préoccupations. Je pense notamment aux CIDFF, même si la situation semble en voie de stabilisation grâce à un dialogue engagé avec le Gouvernement, qui a permis, à ma connaissance, d'apporter des garanties. Ces structures jouent un rôle absolument essentiel sur le terrain, en particulier auprès des plus jeunes, et doivent être soutenues avec constance.
Mme Dominique Vérien, présidente. - S'agissant des CIDFF, je confirme que la situation semble désormais stabilisée. Nous avions prévu de publier une tribune en début de semaine, mais l'annonce d'Aurore Bergé, qui intervenait concomitamment pour indiquer que le sujet était en voie de résolution, nous a, en quelque sorte, devancées.
Mme Marie-Pierre Monier, rapporteure. - J'ai évoqué la fermeture des centres de santé sexuelle dans la Drôme, mais il convient également de souligner la baisse significative des moyens alloués aux Plannings familiaux. J'ai soutenu avec force l'opposition à ces restrictions budgétaires, notamment par des prises de position publiques et l'envoi de courriers.
La situation paraît d'autant plus préoccupante en zone rurale, où ces structures représentent bien souvent le seul point d'accès à la santé sexuelle et à l'accompagnement des femmes. Leur disparition laisserait un vide que personne, en l'état, ne serait en mesure de combler. Il apparaît ainsi essentiel de préserver leurs locaux, leurs équipes et leurs missions.
Mme Annick Billon. - Nous avons connu, au cours du dernier quinquennat, la proclamation de l'égalité entre les femmes et les hommes comme grande cause nationale. Plusieurs textes importants ont été adoptés depuis, y compris tout récemment : je pense notamment au vote intervenu hier soir, très tardivement, sur l'intégration explicite du consentement dans la définition du viol et des agressions sexuelles. Ces avancées législatives sont réelles, et le Parlement ne ménage pas ses efforts.
Pourtant, sur le terrain, les résultats restent décevants. Nous observons une progression des violences intrafamiliales, sexuelles et conjugales, tout comme celle de la prostitution des mineurs. Un travail remarquable avait pourtant été conduit sur ce sujet par Mme la procureure Champrenault, avec des propositions concrètes visant à adapter la réponse publique. Il ne s'agissait pas seulement d'énoncer des principes, mais de penser des dispositifs efficaces et adaptés.
Aujourd'hui, force est de constater que la mise en oeuvre des politiques publiques semble en décalage avec l'ambition des textes votés. Dès lors, une question s'impose : au-delà des lois, s'est-on réellement donné les moyens d'agir ?
À cet égard, la question des difficultés croissantes rencontrées par les CIDFF et d'autres associations sur certains territoires prend tout son sens. Car, dans la structuration même des politiques en faveur des droits des femmes, l'État s'est historiquement appuyé sur le tissu associatif, avec un modèle reposant sur la complémentarité entre financements associatifs, apports des collectivités territoriales et appels à projets.
Ce modèle, cependant, présente une fragilité structurelle. Les associations doivent renégocier chaque année leurs subventions, sans garantie de continuité, alors même qu'elles portent des missions d'intérêt général et que leurs actions relèvent de véritables politiques publiques, qui devraient être soutenues dans la durée.
Dans un contexte de tensions financières aiguës, certaines collectivités territoriales, confrontées à une perte de maîtrise budgétaire, se désengagent. Or, il semble que la solution de facilité consiste à opérer des réductions ciblées des subventions à l'égard des associations féministes, des structures d'accompagnement vers l'hébergement, ou encore des CIDFF, pourtant au coeur du maillage territorial en matière de droits des femmes. L'État, de son côté, estime que si les collectivités ne maintiennent pas leur soutien, il ne pourra pas, lui non plus, poursuivre ses propres engagements. Ce phénomène de retrait croisé, fondé sur des logiques de désengagement réciproque, fragilise l'ensemble de l'écosystème.
Cette situation paraît extrêmement préoccupante. Elle remet également en cause les politiques visant à l'émancipation des femmes, à leur autonomie financière et à leur accès aux responsabilités. En effet, ces objectifs ne pourront être atteints que si l'on consolide parallèlement les politiques familiales, les dispositifs de garde d'enfants et l'accompagnement des parcours professionnels.
Le sentiment qui prévaut aujourd'hui est celui d'un certain immobilisme, voire d'une régression. Nous avançons dans un contexte budgétaire très contraint, tout en observant, à l'international, des signaux alarmants. De l'autre côté de l'Atlantique, par exemple, les reculs imposés aux droits des femmes par Donald Trump s'avèrent déjà tangibles. Et si les raisons diffèrent, le risque de remise en cause de nos acquis existe également chez nous, insidieusement, par le biais de ces réductions de moyens.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Le contexte budgétaire constitue, à l'évidence, un facteur structurant. Nous le constatons également au Sénat, où un travail est actuellement mené, sous l'égide des rapporteurs financiers, afin d'identifier de nouvelles marges de manoeuvre. Or, il convient de reconnaître que la commission des finances ne figure pas parmi les instances les plus paritaires de notre institution.
Cette réalité se reflète dans les arbitrages budgétaires eux-mêmes. Lorsque j'ai soulevé, au sein de mon groupe, la question des financements des CIDFF, il est apparu que ces enjeux restaient perçus comme des « affaires de femmes ». Or, tant que les hommes ne s'empareront pas de ces sujets et ne défendront pas activement les budgets correspondants, nous peinerons à obtenir des moyens pérennes. Ce constat, aussi épouvantable soit-il, est pleinement corroboré par votre rapport : les revendications portées par des femmes souffrent encore d'un déficit de crédibilité. Tant qu'elles seront perçues comme secondaires, nous resterons en difficulté pour faire avancer ces politiques, notamment sur le plan financier.
Mme Bérangère Couillard. - Vous avez raison, Madame la Présidente : lorsqu'un groupe respecte la parité, il devient plus aisé de se faire entendre, de convaincre et de prendre des décisions en faveur des femmes. Toutefois, je souhaite attirer l'attention sur un point : toutes les femmes ne sont pas nécessairement convaincues de la nécessité de faire évoluer la société. Certaines, encore trop nombreuses, perçoivent les combats pour l'égalité comme excessifs, voire superflus, et se complaisent dans un statu quo pourtant défavorable à leurs droits.
Depuis ma nomination à la présidence du HCE, j'ai souhaité aller au contact des territoires. Or, je constate que certaines femmes, notamment les plus âgées, expriment une forme de scepticisme, voire de rejet, à l'égard des politiques d'égalité. Il serait ainsi inadéquat de présumer d'un consensus généralisé, même entre femmes.
Vous avez raison également de souligner la nécessité d'associer les hommes à ce combat. Le dernier rapport du HCE sur l'état du sexisme en France le montre clairement : 94 % des femmes estiment que la lutte contre le sexisme ne peut être menée sans y associer les hommes. Cependant, la plupart des événements sur ces thématiques rassemblent majoritairement des femmes - souvent déjà convaincues - tandis que la participation masculine reste marginale.
Ce constat révèle une difficulté plus profonde : les discours sur l'égalité, s'ils ne sont pas accompagnés d'arguments adaptés à leurs destinataires, peinent à mobiliser. Face à un chef d'entreprise, par exemple, il s'avère plus efficace d'évoquer de tels sujets au prisme de la performance économique.
Par ailleurs, Madame la Sénatrice Billon, vous avez raison d'insister sur la nécessité de moyens pérennes. Nos associations, en particulier celles qui oeuvrent pour l'égalité femmes-hommes, ont besoin de visibilité financière sur au moins trois ans. Leur énergie est trop souvent absorbée par la complexité administrative et les appels à projets annuels. Une programmation pluriannuelle stabilisée permettrait non seulement de sécuriser leurs actions, mais aussi de simplifier et d'alléger des démarches devenues épuisantes. Il s'agit là d'une exigence de bon sens autant que d'efficacité.
Sur le fond, le HCE porte la conviction que le sexisme constitue l'antichambre des violences faites aux femmes. Tant que des propos sexistes continueront d'être banalisés et tolérés, il sera difficile de prévenir efficacement les violences. Lorsqu'une femme est publiquement humiliée ou rabaissée sur la base de son sexe, par exemple sur un plateau télévision, l'infraction retenue relève souvent de l'atteinte à la personne, sans reconnaissance de toute dimension sexiste. À l'inverse, des propos ou comportements similaires à caractère raciste relèvent d'un délit spécifique, ce qui est parfaitement légitime. Lutter contre le sexisme, c'est agir à la racine des violences.
Vous avez également évoqué les écarts d'orientation constatés chez les enfants de cadres, et notamment chez les filles issues de milieux favorisés. À cet égard, je souhaite alerter sur un biais fréquent dans la construction de la norme législative. Nombre de textes, notamment ceux relatifs à l'égalité professionnelle, visent en priorité les entreprises de plus de 500 ou 1 000 salariés. Or, ces grandes structures ne reflètent qu'une part minoritaire du tissu économique national. Malgré certaines réticences, l'élargissement de cette obligation apparaît indispensable : si les écarts touchent aussi les enfants de CSP+, les inégalités restent particulièrement marquées dans les foyers les plus modestes. Aussi, il convient impérativement d'élargir le champ d'application de ces dispositifs pour garantir une égalité effective, quel que soit le cadre professionnel.
S'agissant de la parentalité, nous sommes collectivement appelés à ouvrir un chantier ambitieux. Le congé parental, dans sa forme actuelle, ne fonctionne pas. Il s'agit d'envisager une réforme de fond : une durée réduite, une indemnisation plus généreuse, et surtout une répartition obligatoire entre les deux parents. Un père n'« aide » pas la mère ; il exerce pleinement sa responsabilité parentale. Cette prise de rôle s'acquiert notamment dès les premières semaines de vie de l'enfant, car le temps initial partagé contribue à un meilleur équilibre des charges éducatives à long terme.
Le congé paternité a connu, ces dernières années, une évolution notable, passant de 3 à 28 jours. Il n'est évidemment pas question d'y renoncer. Toutefois, il serait utile d'en évaluer les effets concrets : dans quelle mesure a-t-il permis de renforcer le lien entre le père et l'enfant ? De manière empirique, j'observe encore des cas où ce congé semble détourné de sa finalité -- pour réaliser des travaux domestiques, par exemple -- ce qui interroge la compréhension et l'appropriation de ce dispositif.
C'est pourquoi je plaide pour une mesure forte : rendre le congé paternité obligatoire pour tous les salariés et agents publics, d'une durée uniforme. Cette obligation enverrait un signal clair : la parentalité ne se négocie pas, elle se partage.
Enfin, s'agissant de la question, souvent posée, de l'alignement du congé paternité sur la durée du congé maternité, le HCE ne s'est pas prononcé de manière définitive. Des pays comme l'Espagne ont franchi ce cap sans difficulté majeure. Néanmoins, cette réflexion doit tenir compte du caractère spécifique du congé maternité, qui inclut un temps de repos physiologique et de récupération post-accouchement. Tous les accouchements ne se ressemblent pas, et les effets hormonaux et psychiques doivent être pris en compte. Il ne s'agit pas seulement d'un enjeu d'égalité formelle, mais également de santé des femmes.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Néanmoins, même si ces jours supplémentaires pour les pères ne relevaient pas du repos médical, ils auraient le mérite d'unifier les durées d'absence, supprimant ainsi un facteur de discrimination entre femmes et hommes dans le monde du travail.
Mme Laure Darcos, rapporteure. - Permettez-moi de prolonger la réflexion sur la parentalité, en évoquant le sujet de la garde alternée. Une proposition de loi portée par notre collègue Elisabeth Doineau avait été adoptée au Sénat, avec un large soutien. Elle visait à encourager cette modalité, notamment dans les situations où les séparations se déroulent sans heurts. Pourtant, ce texte n'a jamais été inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Ce type de blocage entre les deux chambres reste frustrant, d'autant que la garde alternée demeure rarement proposée par les avocats. Pourtant, elle constitue un levier important pour préserver la place des pères auprès de leurs enfants après une séparation, à condition, bien sûr, que les conditions géographiques le permettent.
Je souhaiterais également revenir sur un regret partagé par plusieurs membres de cette délégation : l'absence, en France, de juridictions spécialisées pour les violences faites aux femmes et les affaires familiales.
Lors de votre passage au Gouvernement, nous vous avions interpellée sur la justice patrimoniale. Si des avancées ont été obtenues - je pense à l'attention accrue de l'administration fiscale sur les dettes pesant injustement sur les victimes, notamment grâce à l'action de certaines associations -, des situations critiques demeurent. Lorsque des conjoints violents organisent leur insolvabilité ou contraignent au changement de régime matrimonial sous emprise, les victimes se retrouvent responsables de dettes colossales. Ces cas sont intolérables.
De même, les délais de divorce dans les situations de violence restent aberrants. Il m'arrive de traiter des cas où, malgré des faits graves, voire de la détention préventive du conjoint, la procédure n'aboutit toujours pas après trois ans. Des juridictions dédiées auraient, à mes yeux, permis d'apporter une réponse plus rapide et plus adaptée.
Par ailleurs, on constate une recrudescence de placements d'enfants par l'Aide sociale à l'enfance dans des contextes de séparation conflictuelle ou de violence conjugale. Dans mon département, les placements explosent. Il arrive que la parole de la mère soit mise en doute, et que le juge, au nom d'une neutralité supposée, place l'enfant plutôt que de trancher. Cette situation s'avère non seulement traumatisante pour les enfants, mais aussi extrêmement coûteuse pour la collectivité. Il convient de s'assurer que la protection de l'enfance ne devienne pas le substitut d'une justice défaillante dans le règlement des conflits parentaux.
Vous évoquiez, à juste titre, l'importance d'impliquer les hommes dans la lutte pour l'égalité. Dans mon département, un homme a été nommé à la tête de la délégation à l'égalité femmes-hommes. Cette désignation a permis de mobiliser un plus grand nombre d'hommes lors des réunions, ce qui plaide selon moi pour une généralisation de ce type d'initiative. Le fait qu'un homme porte ces sujets, en étant pleinement sensibilisé, facilite souvent les échanges, y compris avec les forces de l'ordre.
Concernant l'enseignement supérieur, il importe de rester vigilant face aux comportements sexistes ou aux situations d'emprise. Certaines pratiques ont été signalées, notamment des pressions exercées par des directeurs d'unité sur des étudiantes ou des collègues, incluant parfois l'appropriation de travaux de recherche et publications. Nous en avons été témoins, notamment lors d'un déplacement sur le plateau de Saclay. Le sujet reste souvent évoqué à demi-mot, mais il conviendra de s'en saisir avec fermeté.
Enfin, dans un contexte marqué par des suppressions ou des fragilisations d'agences publiques, le HCE a-t-il été directement concerné ? Avez-vous ressenti des pressions, voire des remises en cause de votre légitimité ? Cette information nous permettrait de définir les modalités appropriées pour vous apporter notre soutien.
Mme Bérangère Couillard. - Le HCE adopte une position défavorable à l'instauration automatique de la garde alternée. Il convient de souligner que plus de 85 % des demandes de garde alternée sont actuellement acceptées par les tribunaux, ce qui démontre leur faisabilité dès lors qu'elles répondent à une volonté explicite. Il ne s'agit nullement de contester l'implication des pères dans l'éducation des enfants -- que nous souhaitons encourager --, mais de souligner que l'automaticité place les femmes victimes de violence dans des situations particulièrement vulnérables. Aussi, nous ne pouvons pas envisager que la garde alternée puisse constituer une norme par défaut.
Mme Laure Darcos. - Mon propos visait principalement à souligner que les avocats proposent rarement cette solution, y compris lorsque les relations entre les parties se déroulent dans des conditions satisfaisantes.
Mme Bérangère Couillard. - Je rappelle toutefois que certaines propositions de loi prévoyaient une automatisation de la garde alternée. En encourager davantage la mise en oeuvre semble envisageable, à la lumière de l'implication croissante des pères. Il convient toutefois de noter que de profondes disparités persistent, les pères appartenant aux catégories socioprofessionnelles supérieures assumant davantage leurs responsabilités parentales. La notion de parentalité doit, de toute évidence, faire l'objet d'un travail de fond.
Par ailleurs, il paraît essentiel de ne proposer la garde alternée qu'en l'absence de toute contre-indication. À cet égard, les professionnels peinent à s'accorder sur les effets psychologiques d'une garde alternée sur l'enfant. La question centrale demeure celle de l'intérêt de l'enfant, qui ne coïncide pas nécessairement avec celui des parents. La diversité des situations familiales impose d'adapter les modalités de garde, sans privilégier un modèle unique. Cette question mérite d'autant plus d'attention que, d'ici 2030, près de 40 % des couples connaîtront une séparation, entraînant la recomposition de nombreux foyers.
Le recours à la garde alternée soulève également des enjeux financiers. Le premier argument avancé par certains pères pour en faire la demande reste souvent l'évitement du versement d'une pension, en oubliant que celle-ci vise les besoins de l'enfant, non ceux de la mère.
Dès lors, permettez-moi de réaffirmer que la garde alternée ne saurait s'imposer comme une norme par défaut. Proposer cette solution plus régulièrement suppose une implication accrue des pères dans la vie et l'éducation de leurs enfants -- ce qui, fort heureusement, tend à progresser. Toutefois, le nombre significatif de familles monoparentales traduit l'éclatement des foyers, souvent marqué par un désengagement paternel. Si nombre d'entre eux s'investissent pleinement dans l'éducation de leurs enfants, la part significative de pères démissionnaires ne saurait être ignorée.
À la suite des émeutes, le débat public a largement mis en cause les mères élevant seules leurs enfants, sans interroger la responsabilité des pères absents. Or, l'analyse des situations montre clairement que nombre d'enfants concernés ne grandissent pas aux côtés de leur père. Notre société continue de faire preuve d'indulgence à l'égard des pères absents, tout en exigeant des mères une implication constante et irréprochable. Cette asymétrie demeure profondément ancrée.
La question des juridictions spécialisées, quant à elle, a fait l'objet de nombreuses discussions. Il conviendra d'évaluer avec attention l'impact des pôles spécialisés ainsi que des pôles VIF, résultant notamment des travaux conduits sous l'impulsion de Madame la Présidente.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Le pôle VIF a-t-il été effectivement instauré dans l'Essonne ? La question mérite d'être posée. Avant d'envisager la construction de nouveaux bâtiments, il importe de garantir que les magistrats coopèrent efficacement. Si le dossier de violences intrafamiliales évoqué par la Sénatrice Laure Darcos avait été traité par un pôle VIF opérationnel, le juge aux affaires familiales aurait sans doute accéléré la procédure de divorce. L'action doit se concentrer sur ce levier prioritaire. Il convient d'interpeller le président du tribunal sur l'état de mise en oeuvre concrète du pôle VIF, qui devrait être effectif depuis le 1er janvier 2024.
Dans les juridictions où ces pôles fonctionnent adéquatement, des audiences ou journées dédiées sont souvent organisées, ce qui constitue une avancée notable, bien que non obligatoire - c'est précisément pour cette raison qu'il s'agit de « pôles » et non de « chambres », à la différence d'un véritable tribunal spécialisé. Encore faut-il que le tribunal local prenne les mesures nécessaires pour rendre ce dispositif pleinement opérationnel.
Mme Bérangère Couillard. - Une évaluation approfondie de la politique publique relative aux pôles VIF s'impose. Bien que dix-huit mois se soient écoulés, un premier bilan pertinent pourrait être envisagé à compter de l'année prochaine. Il importe de ne pas conclure hâtivement à l'inefficacité du dispositif, comme certains membres du HCE -- notamment issus de la mouvance féministe -- pourraient être tentés de le faire. Une analyse fondée sur des éléments objectifs doit précéder toute recommandation.
Il convient ainsi d'identifier les dysfonctionnements, de relever les juridictions n'ayant pas respecté leur obligation, et de formuler les ajustements nécessaires. La France ayant opté pour un modèle différent de celui des juridictions spécialisées espagnoles, il s'agit d'évaluer si les pôles actuels permettent de rapprocher efficacement les contentieux civils et pénaux, en empêchant notamment qu'un homme condamné pour violences conjugales obtienne ultérieurement la garde de ses enfants.
Il faut aussi être vigilants face aux stratégies d'insolvabilité utilisée par certains pères. Cette pratique, fréquemment constatée dans les professions non salariées (entrepreneurs, artisans), permet à certains de se soustraire à leurs obligations financières : fermeture d'entreprise, perception d'aides publiques, puis reprise d'activité sous le nom d'une nouvelle conjointe. Ce contournement engendre des pertes significatives pour les finances publiques, tout en aggravant la précarité des anciennes conjointes qui doivent s'acquitter des dettes, même lorsqu'elles ont été victimes de violences conjugales. À ce titre, il conviendrait d'alerter Bercy sur les conséquences budgétaires de ces pratiques, afin de susciter un engagement renforcé contre ces dérives, notamment de la part des hommes.
Par ailleurs, certaines décisions de justice demeurent influencées par des stéréotypes sexistes, notamment la suspicion d'aliénation parentale, selon laquelle des mères manipuleraient leurs enfants pour porter des accusations infondées contre le père. Cette hypothèse, sans fondement scientifique, alimente encore trop souvent le doute à l'égard des victimes. Pourtant, les enfants ne mentent pas. Les femmes ne mentent pas. Les fausses déclarations restent extrêmement marginales, notamment en matière de violences sexuelles. En outre, au regard du faible nombre de condamnations prononcées par les juridictions, il paraît absurde d'imaginer que des victimes s'engagent volontairement dans une procédure éprouvante, souvent marquée par la défiance sociale. Aussi, par principe, leur parole doit être crue. Il importe donc d'accompagner les mères et les enfants afin de garantir des décisions de justice plus équitables.
De surcroît, la légitimité des femmes à porter ces sujets continue d'être remise en cause. Force est de constater que les hommes mobilisés pour l'égalité bénéficient parfois d'une écoute plus favorable. Faut-il pour autant leur déléguer cette mission ? Certainement pas. Il nous appartient de résister à cette logique, car rien ne justifie que notre parole soit moins convaincante sur des sujets qui nous concernent directement. Cela étant dit, associer les hommes à ce combat demeure essentiel.
Concernant le HCE, aucune fermeture n'est envisagée. Sa pérennité repose sur une base légale instaurée depuis sept ans. Malgré les critiques émanant des courants conservateurs les plus radicaux, notamment lors de ma nomination, ses travaux restent largement reconnus et utilisés, en particulier le rapport annuel sur l'état du sexisme, devenu une référence dans le débat public.
Lors de ma prise de fonction, j'ai rappelé aux membres du HCE -- dont certains avaient perçu ma nomination comme motivée davantage par des considérations politiques que par mes compétences - qu'en cas d'arrivée au pouvoir du Rassemblement national, la pérennité de cette institution aurait été sensiblement menacée. Au-delà d'un changement de présidence, c'est le maintien même de ses moyens, voire son existence, qui pourrait être remis en cause sous prétexte de rationalisation des agences publiques. Or, cette instance accomplit un travail colossal, indispensable à la défense de l'égalité.
Le contexte budgétaire s'annonce particulièrement contraint pour l'année à venir. La suppression d'un équivalent temps plein (ETP) sous le gouvernement Barnier n'a pas été compensée, entraînant une surcharge de travail pour les équipes. Le HCE, dont les ressources demeurent modestes, ne saurait devenir une variable d'ajustement. En effet, toute réduction supplémentaire de crédits ou d'effectifs compromettrait notre capacité à remplir nos missions.
Les équipes actuelles sont déjà mobilisées au-delà de leurs capacités. Chaque chargée de mission couvre deux commissions, faute de moyens : l'une cumule par exemple les volets parité, santé et droits sexuels et reproductifs ; une autre assure la coordination du rapport annuel sur l'état du sexisme, particulièrement chronophage ; et la troisième pilote les travaux sur les violences faites aux femmes. Outre la secrétaire générale et le chargé de communication, deux agents nous sont mis à disposition par Matignon et le ministère de l'Europe et des affaires étrangères.
Ce noyau restreint ne permet pas de répondre pleinement aux attentes, malgré l'engagement des membres du HCE. Dès lors, j'en appelle a à votre vigilance : sans moyens adaptés, l'institution ne pourra continuer à éclairer efficacement les politiques publiques et les travaux parlementaires.
Mme Colombe Brossel. - Je souhaiterais revenir sur la question des familles monoparentales. Avec ma collègue Béatrice Gosselin, nous avons mené un travail au sein de la délégation aux droits des femmes sur ce sujet encore trop peu visible dans les politiques publiques. Vous y faisiez d'ailleurs allusion.
Je constate que certaines collectivités territoriales commencent à s'en emparer, en mettant en place des dispositifs de reconnaissance et d'accompagnement. J'étais récemment à Dijon, et nous avons été invitées à Brest pour présenter nos travaux. Par ailleurs, un travail transpartisan est engagé avec l'Assemblée nationale pour faire émerger une proposition de loi, afin de commencer à répondre à cette réalité. Nous faisons face à un cumul d'inégalités - sociales, professionnelles et de genre - qui accroît la précarité. Une famille sur quatre est concernée, le plus souvent des mères isolées.
Comment le HCE peut-il nous accompagner dans ce combat, afin que ces familles soient enfin pleinement reconnues et soutenues par les politiques publiques ?
Au-delà de l'action publique, cette prise en compte doit également s'étendre au monde du travail. Les employeurs doivent mieux intégrer la réalité des parents isolés parmi leurs salariés ou agents.
Mme Bérangère Couillard. - Le HCE élabore des rapports, rend des avis et formule des recommandations sur décision de ses membres. En tant que présidente, je propose des orientations qui font ensuite l'objet d'un débat collégial. À ce titre, nous attendons la publication imminente du décret de nomination des membres pour le mandat 2025-2028. Celle-ci permettra de relancer pleinement les travaux et de fixer collectivement les priorités des prochains mois. À ce jour, le Conseil ne s'est pas encore saisi de la question des familles monoparentales, bien qu'elle me semble tout à fait légitime. Il conviendra de déterminer quelle commission pourrait s'en charger -- sans doute celle en charge des stéréotypes, déjà fortement mobilisée par la production du rapport annuel sur l'état du sexisme, dont la remise est encadrée par la loi. La répartition des sujets relève de ma responsabilité, dans le respect des périmètres et des capacités de travail des équipes.
Vous avez raison de souligner l'invisibilisation de ces familles. Le HCE observe une évolution sociétale marquée par des séparations de plus en plus précoces, y compris avec de très jeunes enfants, et une progression constante du nombre de familles monoparentales, qui pourraient concerner près d'un foyer sur deux dans les années à venir. Cette mutation produit des conséquences directes, notamment sur les mères qui assument seules la garde des enfants et la charge du quotidien.
La reprise d'activité professionnelle s'avère d'autant plus difficile lorsque les enfants sont en bas âge. En outre, le secteur de la garde d'enfants traverse une crise majeure : 40 % des assistantes maternelles partiront à la retraite d'ici 2030, dans un contexte de désintérêt croissant pour ces métiers peu valorisés et mal rémunérés. Les structures d'accueil existantes peinent déjà à recruter. Cette situation affectera directement les femmes, et engendrera également des tensions au sein des couples, les arbitrages s'opérant généralement au détriment de l'activité professionnelle de la mère, souvent moins rémunérée.
Lorsqu'il résulte d'un choix librement consenti, le souhait pour une femme de garder ses enfants auprès d'elle ne saurait faire l'objet d'aucune réserve. Il s'agit d'une décision pleinement légitime, qui doit être respectée. Toutefois, le HCE rappelle que ce choix ne doit pas être subi. Or, aujourd'hui encore, de nombreuses femmes sont contraintes à des temps partiels faute de solutions de garde, ce qui les pénalise durablement.
Dans ce contexte, nous saluons l'implication croissante de certaines municipalités, qui s'emparent de la compétence en matière de modes de garde, notamment à travers la création de nouvelles structures. L'échelon communal apparaît, à ce titre, comme le plus pertinent pour mener des politiques concrètes et adaptées aux besoins réels. Trop de municipalités ignorent encore l'ampleur de ces enjeux.
Dès lors, il apparaît fondamental que la question des modes de garde figure dans les programmes des prochaines élections municipales de 2026.
Mme Laure Darcos. - Je travaille étroitement avec Sarah El Haïry sur les questions liées à l'accueil du jeune enfant, qu'il s'agisse des crèches publiques, privées ou des micro-crèches. Dans plusieurs collectivités et départements, nous avons assisté à une vague de fermetures préoccupantes. Je forme le voeu, compte tenu de la qualité de vos échanges avec Mme El Haïry, que vous puissiez également collaborer sur ce dossier, car elle a clairement exprimé sa volonté de s'emparer pleinement de ce sujet essentiel.
Mme Bérangère Couillard. - Je ne manquerai pas d'évoquer cette question avec Sarah El Haïry, avec qui je dois m'entretenir prochainement. Il semble indispensable de mesurer dès à présent l'ampleur des conséquences à venir, car les tensions sur les modes de garde sont déjà bien réelles. Pour nombre de jeunes parents, l'accueil des enfants constitue une source majeure d'inquiétude, allant jusqu'à envisager une demande de place en crèche avant même la conception de l'enfant. Certaines familles se voient même reprocher en mairie de ne pas avoir accouché à une période plus favorable pour obtenir une place.
Par ailleurs, nombre de parents essuient d'emblée des refus de dossiers, notamment lorsqu'il s'agit de demandes en cours d'année, ce qui rend l'accès à une solution de garde en janvier particulièrement complexe. Cette situation crée un véritable climat d'angoisse.
Il nous faut donc y répondre de manière efficace, bien qu'il n'existe pas de solution unique. Le HCE ne réclame pas la création systématique de crèches, notamment en milieu rural, où les assistantes maternelles jouent un rôle central. Il importe avant tout de garantir la diversité des modes de garde et, surtout, leur accessibilité. Les responsables publics, à tous les niveaux, ne se saisissent pas suffisamment de cette question. Il me semble essentiel d'insister sur ce point.
S'agissant de l'évolution des structures familiales et de l'augmentation des séparations, la problématique du logement doit être placée au coeur de nos préoccupations. On évoque souvent la crise du logement social ou le manque global de logements, sans toujours faire le lien avec les mutations familiales. Or, lorsqu'un couple avec enfants se sépare, il importe que chaque parent puisse disposer d'un logement adapté, notamment en cas de garde alternée. Le manque d'offre, conjugué à la hausse des prix, fragilise tout particulièrement les familles monoparentales.
Il semble étonnant de constater que, dans les enquêtes d'opinion, le logement n'émerge pas comme une priorité exprimée, contrairement à la santé, l'écologie, la sécurité ou encore le pouvoir d'achat. Pourtant, sur le terrain, il s'agit d'un sujet central, qui affecte de manière concrète la vie quotidienne. Nombre de femmes, y compris en dehors des situations de violence, ne peuvent quitter le domicile conjugal faute de solution de relogement, contraignant ainsi des couples séparés à cohabiter dans des conditions souvent difficiles.
Une politique du logement ambitieuse doit impérativement intégrer cette réalité.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Concernant le logement, au-delà du rapport sur les familles monoparentales, la délégation aux droits des femmes a conduit un travail sur les femmes à la rue. Ce rapport met en évidence une chaîne de blocages : les femmes sans-abri n'accèdent pas à l'hébergement d'urgence, faute de places disponible ; celles-ci ne se libèrent pas, car le logement social est saturé, lui-même freiné par l'absence d'accès à la location et à la propriété dans le parc privé. Ce manque structurel de logements constitue l'un des principaux constats du rapport. C'est pourquoi la première interlocutrice sollicitée, afin de lui présenter notre rapport et nos recommandations, fut la ministre du logement, Valérie Létard. Le déficit de logements apparaît comme un enjeu central, et ce blocage freine l'ensemble des politiques d'accompagnement.
Je vous remercie pour la qualité de cet échange, particulièrement riche. Votre position actuelle vous confère une vision d'ensemble précieuse. Une meilleure compréhension des contraintes de chaque acteur constitue un levier essentiel pour progresser collectivement.
À cet égard, le HCE joue un rôle déterminant. Nous attendons toujours avec un intérêt soutenu son rapport annuel sur l'état du sexisme en France. S'il suscite chaque année une forme de sidération croissante, il demeure un outil fondamental pour éclairer les politiques publiques.
Il nous faut poursuivre sans relâche le travail visant à faire reconnaître pleinement la parole des femmes. Le programme « Femmes et sciences » en apporte une illustration frappante : encore aujourd'hui, une même idée n'est pas reçue de la même manière selon qu'elle est portée par une femme ou un homme. Ce combat, essentiel, doit être engagé dès l'école.
Mme Bérangère Couillard. - Permettez-moi d'ajouter un point essentiel que je n'ai pas encore évoqué, mais qui revêt une importance majeure pour le HCE : la mise en place de budgets sensibles au genre. Ce sujet, parfois caricaturé à tort, constitue pourtant un levier fondamental de l'action publique.
Le budget sensible au genre vise à objectiver les écarts de moyens accordés respectivement aux filles et aux garçons, aux femmes et aux hommes. Cet exercice mérite d'être mené à tous les niveaux : État, régions, départements, communes.
Il apparaît particulièrement éclairant, par exemple, d'examiner dans une municipalité la répartition des financements publics selon le genre. On serait souvent surpris de constater combien les investissements favorisent davantage les garçons que les filles, les hommes que les femmes, alors même que les impôts sont acquittés de manière identique par tous.
À titre d'illustration, le financement d'un changement de pelouse pour un terrain de football ou de rugby se fonde généralement sur le nombre d'adhérents, ces derniers restant majoritairement masculins. De ce fait, le sport féminin demeure structurellement moins soutenu. Cet exemple simple illustre une réalité plus large -- parfois complexe -- qu'il apparaît indispensable de documenter. Les budgets alloués ne produisent-ils pas, en réalité, des effets contraires à l'égalité, en contribuant à minimiser ou à ignorer la place des femmes ?
J'avais initié, lorsque j'étais ministre, un travail en ce sens avec le ministère du budget, en lien avec Thomas Cazenave. Aujourd'hui, les annonces récentes des ministres Amélie de Montchalin, Elisabeth Borne et Aurore Bergé vont dans ce sens, avec la mise en place de budgets sensibles au genre dans ces trois ministères pilotes. Il convient d'en suivre attentivement la mise en oeuvre.
Je forme le voeu que vous, représentantes des territoires, puissiez-vous emparer de cette approche. Il ne s'agit pas d'un marqueur d'une idéologie dite « de gauche », mais d'une méthode rigoureuse pour construire des politiques plus justes.
Mme Dominique Vérien, présidente. - J'aimerais conclure par une brève communication. La semaine prochaine, notre délégation tiendra une réunion consacrée à une table ronde sur le thème « Femmes et sciences », plus précisément sur les enjeux de recrutement et de déroulement de carrière des femmes scientifiques. Cette séance plénière se déroulera, comme à l'accoutumée, de 8h30 à 10h30.
À l'issue de cette table ronde, nous aurons l'honneur de recevoir une délégation de femmes brésiliennes, qui souhaitent échanger sur nos travaux et nos perspectives d'action. Je vous invite vivement à rester pour cette rencontre, afin que nous puissions leur réserver un accueil collectif et fédérateur.
Je vous remercie chaleureusement, Madame la Présidente, pour votre présence et pour la richesse de ses propos. Vos travaux rejoignent nos préoccupations. Ensemble, nous pourrons faire progresser l'égalité.