Jeudi 3 juillet 2025

- Présidence de Mme Micheline Jacques -

Examen du rapport d'information sur la politique du handicap outre-mer

Mme Micheline Jacques, président. - Mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui les conclusions du rapport sur la politique du handicap dans les outre-mer, sujet que nous avons retenu lors de la programmation de nos activités pour la session 2024-2025.

Vingt ans après la loi fondatrice du 11 février 2005, il nous a paru absolument nécessaire de compléter les travaux du groupe d'études Handicap du Sénat présidé par Marie-Pierre Richer (Cher - LR) et du rapport bilan de la commission des affaires sociales du Sénat avec un éclairage spécifiquement ultramarin.

La rareté des études sur sa mise en oeuvre dans les outre-mer a d'emblée paru révélatrice d'une prise de conscience récente et de retards malgré les grands principes réaffirmés.

Avant de leur céder la parole, je tiens à saluer la qualité du travail et l'implication de nos trois excellents rapporteurs : Audrey Bélim, Akli Mellouli et Annick Petrus.

Lancée le 21 novembre à l'occasion du DuoDay2024 organisé au Sénat par le président Larcher, l'étude de la délégation s'est interrogée à la fois sur le regard porté sur le handicap dans les outre-mer et sur les modalités de prise en charge des personnes en situation de handicap dans différents domaines : éducation, formation, offre médico-sociale, accès au sport...

Pendant six mois, les rapporteurs ont auditionné près de 150 personnes qui nous ont permis de prendre la mesure des difficultés, des lacunes mais aussi des avancées. La mission a donné lieu à 38 auditions et plus de 46 heures de réunion.

La mission s'est aussi rendue dans trois territoires : Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy. J'ai tenu à accompagner ces déplacements qui sont toujours très riches d'enseignements et je conserve un souvenir très présent de toutes les personnes admirables que nous avons rencontrées.

Je tiens à remercier nos collègues qui nous ont accueillis et accompagnés à la Guadeloupe et tout particulièrement Solanges Nadille. Pour les autres territoires où nous n'avons pas nous rendre, des questionnaires ont été envoyés et de nombreuses visioconférences ont été organisées qui peuvent être consultées sur le site internet du Sénat.

Pour suivre commodément la présentation qui va suivre, comme d'habitude, vous avez à votre disposition plusieurs supports : la note de synthèse du rapport sous forme d'un « Essentiel », la liste des recommandations et une version provisoire du rapport, la version définitive avec les travaux y compris de ce jour, ainsi que les comptes rendus de toutes les auditions plénières seront en ligne dès lundi prochain.

Je vous rappelle enfin qu'une conférence de presse à laquelle vous êtes tous conviés est prévue, à 11 heures 30, dans la salle des conférences de presse au 1er étage du Palais.

Je vais présenter la contribution de notre collègue Audrey Bélim qui est retenue à La Réunion et à qui nous adressons nos sincères condoléances. Je vais m'efforcer d'être fidèle à son travail sur ce rapport qui lui tient particulièrement à coeur.

Nos travaux s'inscrivent en complément de ceux conduits par la commission des affaires sociales et du groupe d'études. Notre objectif n'a pas été de décrire l'ensemble de la politique du handicap dans les outre-mer. Les constats et conclusions sur l'application de la loi du 11 février 2005 sont dans leur immense majorité identique ou convergent dans l'Hexagone et dans les outre-mer. Nous nous sommes attachés à pointer et traiter les différences ou écarts appelant des réponses plus fortes ou adaptées.

Premier constat : les données, comme souvent dans les outre-mer sur d'autres sujets, souffrent d'imprécisions et leur fiabilité est questionnée.

Cette absence de données complique sérieusement l'élaboration d'une cartographie fidèle de la situation dans l'ensemble des outre-mer, et participe à une forme d'invisibilisation des besoins spécifiques de ces populations.

Plusieurs raisons l'expliquent : non déclaration aux services administratifs, système informatique inadapté, insuffisant, voire inadapté des MDPH, ou encore un reporting irrégulier.

Ce manque de données rend difficile le pilotage de l'offre médico-sociale dans ces territoires. Comment bien planifier quand on ne sait pas exactement d'où l'on part et qu'on ne dispose pas de prévisions raisonnablement fiables ?

Malgré ces lacunes statistiques, une donnée est incontestable : la proportion de personnes en situation de handicap est plus élevée dans les DROM qu'en France hexagonale. Dans les DROM, 8 % des jeunes âgés de 15 à 24 ans et 12 % des adultes de 25 à 64 ans sont concernés. En comparaison, en Hexagone, ces chiffres sont plus faibles : 5 % chez les jeunes et 10 % chez les adultes.

Au sein des DROM, des différences existent. À Mayotte on estime que 11 % des jeunes de 15 à 24 ans sont en situation de handicap, contre moins de 7 % à La Réunion et 8 % dans les autres DROM. Par ailleurs, les structures par âge et par sexe des départements Ultramarins sont différentes, ce qui peut jouer sur la mesure de la prévalence du handicap.

Dans les collectivités du Pacifique, qui ne relèvent pas de la législation nationale, la prévalence du handicap est très mal mesurée, mais semble s'approcher des moyennes constatées dans les outre-mer.

Un point important à souligner est la situation des enfants. Les enfants en situation de handicap sont proportionnellement plus nombreux dans les départements et régions d'outre-mer. En 2021, seulement 4 % des enfants âgés de 5 à 14 ans vivant chez eux dans l'Hexagone étaient concernés par un handicap, mais ce chiffre peut varier largement selon le département. Dans les territoires Ultramarins, à l'exception de la Guyane où ce taux est de 5 %, la part d'enfants handicapés est systématiquement plus élevée, atteignant 6 % à La Réunion, en Martinique et en Guadeloupe, et jusqu'à 21 % à Mayotte.

Autre point inquiétant : concernant les types de handicap dans les DROM, les limitations sévères, qu'elles soient physiques ou cognitives, sont plus fréquentes que dans l'Hexagone.

L'écart reste toutefois plus contenu pour les limitations physiques et sensorielles, contrairement aux limitations cognitives.

Mayotte se distingue par des taux particulièrement élevés : 6 % des 15-64 ans vivent avec une limitation physique sévère et 5 % avec une limitation sensorielle sévère. Pire, 18% des enfants à Mayotte souffriraient de limitations cognitives sévères contre 3% en Hexagone. Ce chiffre doit interpeler qu'il soit exact ou erroné et mérite à lui seul d'engager un travail précis et urgent par les inspections compétentes des ministères.

Comment expliquer ces taux globalement plus élevés ?

Les syndromes d'alcoolisation foetale sont un premier facteur.

À La Réunion, le taux de SAF atteint 0,36 pour 1 000 naissances, plus de cinq fois la moyenne nationale (0,07). En incluant l'ensemble des troubles liés à la consommation d'alcool pendant la grossesse, le taux grimpe à 1,22 pour 1 000 naissances (contre 0,48 dans l'Hexagone). Ces chiffres élevés à La Réunion s'expliquent en partie par une meilleure détection des cas, rendue possible grâce à la présence sur l'île du seul centre français spécialisé dans le diagnostic des troubles causés par l'alcoolisation foetale (TCAF).

L'exposition à des pollutions est un second facteur, en particulier en Guyane avec l'exposition au mercure ou à d'autres métaux lourds. Ces effets rejoignent ceux observés dans d'autres formes d'intoxication environnementale, comme le saturnisme infantile, dont la prévalence en Guyane est 13 fois plus élevée que dans l'Hexagone. Près de 20 % des enfants seraient concernés, avec des taux de plombémie préoccupants, y compris chez les femmes enceintes.

D'autres éléments aggravants les situations de handicap sont plus fréquents ou intenses dans les outre-mer. La pauvreté, le mal logement, mais aussi la part importante de familles monoparentales. Pour une mère seule, gérer un enfant handicapé est un défi encore plus immense. Enfin, dans certains territoires, l'immigration irrégulière importante fait que de nombreuses personnes ne sont pas ou mal prises en charge, notamment les jeunes enfants, sauf dans le cadre scolaire jusqu'à leurs 18 ans.

Enfin, dernier point majeur qui aggrave la prévalence de handicaps sévères ou de polyhandicaps, c'est la faiblesse de la détection précoce.

Si les situations de handicap sont plus fréquentes en outre-mer, encore faut-il pouvoir les identifier à temps. Avant même d'envisager un accompagnement, c'est bien le diagnostic qui constitue la première difficulté.

Or cette détection précoce, pourtant déterminante pour éviter les ruptures de parcours, se heurte à des contraintes majeures.

Le manque criant de structures médico-sociales, la pénurie de professionnels formés (orthophonistes, pédopsychiatres, psychomotriciens, etc.), ainsi que l'éloignement géographique de certaines communes rendent le repérage difficile, voire inexistant.

Résultat : les diagnostics arrivent souvent tard, ce qui retarde l'accès aux soins, à la scolarisation adaptée et à l'insertion sociale.

Il faut évoquer enfin le tabou culturel, religieux ou traditionnel que représente encore le handicap chez de nombreuses populations ultramarines, même si les choses progressent petit à petit comme dans les Antilles, à La Réunion ou dans le Pacifique. À Mayotte notamment, en 2021, 22 000 personnes de plus de 15 ans sont en situation de handicap selon l'Insee. Mais seulement 5 600 personnes déclareraient « se sentir handicapées ».

Face à ce tableau inquiétant, voire alarmant, nous formulons plusieurs recommandations.

La première est de désigner des représentants des outre-mer au sein du Conseil national consultatif des personnes handicapées. Les enjeux propres aux outre-mer ne sont pas assez visibles au niveau national

La deuxième est d'achever d'ici fin 2026 le déploiement du système d'information commun dans les MDPH ultramarines, grâce à une mission d'accompagnement renforcé de la CNSA. Il est urgent de moderniser les logiciels utilisés et de mettre en réseau tous les acteurs. Ce problème existe aussi dans l'Hexagone, mais le retard est encore plus fort dans les outre-mer. À propos de Mayotte, il est urgent d'expertiser ce taux effrayant de 18% d'enfants qui souffriraient de troubles cognitifs sévères. C'est une bombe qu'on ne peut laisser de côté.

Troisième recommandation : prioriser le « aller vers » et le déploiement d'équipes mobiles, en particulier à Mayotte et en Guyane, ainsi que dans les territoires archipélagiques. Je pense bien sûr à Terre-de-Bas où nous nous sommes rendus, mais aussi à la Polynésie grande comme l'Europe. Des choses se mettent déjà en place, mais il faut aller encore plus loin. Ces démarches participent aussi à briser les tabous.

Quatrième recommandation : pour les populations allophones, penser l'ensemble de la politique du handicap au regard de cette réalité, en particulier dans les phases de détection et d'évaluation. En effet, comme la mission l'a observé à Saint-Martin, une part importante des populations ultramarines est allophone. Le français n'est pas la langue parlée à la maison. C'est un aspect majeur pour la définition des réponses à apporter pour accompagner les personnes en situation de handicap, en particulier les enfants.

Enfin, notre cinquième recommandation est de prioriser les outre-mer pour la mise en oeuvre du nouveau service de repérage, de diagnostic et d'intervention précoce. Ce service se met en place au niveau national. Il faut aller plus vite tout de suite dans les outre-mer.

Je laisse à présent la parole à Akli Mellouli pour la suite de ce rapport.

M. Akli Mellouli, rapporteur. - Mes chers collègues, après cette présentation de la situation du handicap, je vais m'attacher à vous présenter l'état d'avancement des outre-mer dans la mise en oeuvre de la loi de 2005, non sans adresser un message amical à notre collègue Audrey Bélim dans ce moment douloureux. Dans quelle mesure les objectifs et principes posés par cette loi fondatrice ont-ils été atteints ?

Je ne ferai pas durer le suspense en affirmant tout de suite que nous sommes encore très loin des objectifs. Après un faux départ, un rattrapage est amorcé, mais il faut accélérer et tenir l'effort au-delà des effets d'annonce. C'est ce que nous appelons « une course de fond ».

Premier échec : l'accessibilité. Les principes d'inclusion et d'accessibilité, qui sont au coeur de l'esprit de la loi du 11 février 2005 - la compensation ne devant intervenir qu'en seconde intention - sont les grands oubliés de la politique du handicap dans les outre-mer.

De manière unanime, l'absence, ou au mieux l'insuffisance de l'offre de transport en commun dans les outre-mer, tous territoires confondus, a été pointée comme le principal obstacle à une véritable inclusion des personnes en situation de handicap dans les outre-mer.

Cette carence est aggravée par des aménagements urbains eux aussi rarement adaptés : absence de trottoirs très souvent comme à Saint-Martin, stationnement anarchique, incohérence des parcours...

Tous les professionnels rencontrés évoquent le quotidien impossible de parents ou de personnes handicapées : des parents qui partent à 5 heures du matin pour conduire leur enfant à l'Unité d'enseignement maternelle autisme (UEMA), des travailleurs handicapés qui doivent faire deux heures de bus avec trois changements pour se rendre à l'ESAT...

Autre échec, le logement. Trop peu de logements adaptés, mais aussi et surtout beaucoup de logements informels et indignes.

Enfin, la double ou triple insularité, ou l'isolement de nombreuses régions comme les communes de l'intérieur en Guyane se surajoutent aux contraintes précitées.

Elle rend les déplacements compliqués, onéreux (jusqu'à plusieurs centaines d'euros pour un aller-retour en avion), aléatoires (selon l'état de la mer, les conditions aéronautiques), fatiguant (une traversée du canal des Saintes peut être éprouvante) et longs (pour se rendre à un rendez-vous médical en Grande-Terre en Guadeloupe, il faut bien souvent prendre sa journée entière).

Deuxième échec : l'offre médico-sociale est insuffisante et très en retard dans les outre-mer par rapport à l'Hexagone, en particulier pour les jeunes adultes, les adultes et l'insertion professionnelle.

Si l'offre pour les enfants est encore perfectible, elle a connu des progrès importants ces dernières années.

En revanche, les progrès restent très en deçà des besoins pour les jeunes adultes et les adultes, avec un effet de goulot d'étranglement à la sortie des dispositifs pour enfants. Beaucoup de jeunes adultes se retrouvent sans solutions stables, lorsqu'ils ont épuisé toutes les souplesses offertes par l'amendement Creton.

Les déséquilibres majeurs de l'offre médico-sociale sur les territoires et à l'échelle des bassins de vie deviennent alors synonymes de rupture de parcours qui laissent démunis les personnes handicapées, les parents et les proches. On observe une rupture de parcours pour les jeunes majeurs entre 18 et 25 ans, qui ne peuvent ni rester dans les structures pour enfants ni accéder aux établissements pour adultes, faute de places disponibles.

En Guyane, le déficit est particulièrement marqué. Le taux d'équipement pour les adultes handicapés n'est que de 3,7 places pour 1 000 habitants, contre 9,3 dans l'Hexagone. Le territoire figure parmi les moins dotés en établissements spécialisés. De manière générale, l'offre d'hébergement pour les adultes est près de quatre fois inférieure à la moyenne nationale. À Mayotte, l'offre médico-sociale pour les adultes est presque nulle. Le territoire ne dispose que de 12 places en MAS.

S'agissant de l'école, une vraie mobilisation des rectorats a été saluée, même si des manques sont encore relevés. À La Réunion, 2 000 enfants à la dernière rentrée n'avaient pas de solution. Par ailleurs, le coût financier pèse de plus en plus sur les communes avec le recrutement d'ATSEM et la prise en charge sur la pause méridienne. Comme en Hexagone, le choix du tout AESH est questionné. L'embauche d'AESH ne peut être la seule réponse. L'évolution vers l'école inclusive doit encore progresser. La mise en place des pôles d'appui à la scolarité (PAS) à la rentrée sera une étape importante. Les outre-mer sont bien positionnés à ce stade pour bénéficier de cette réforme.

Je souhaite aussi évoquer la situation des étudiants Ultramarins handicapés qui veulent poursuivre leurs études dans l'Hexagone. Là encore, c'est le parcours d'obstacle, en particulier pour les étudiants du Pacifique. Le transfert des dossiers aux MDPH n'est pas possible. Il faut bien souvent faire une nouvelle demande. De manière générale, les CROUS se plaignent du manque de référent dans les MDPH et les administrations pour faire avancer ces dossiers. Combien d'étudiants Ultramarins renoncent aux études de leur choix face à ces obstacles ? C'est difficile à quantifier, mais c'est une réalité qui existe.

S'agissant de l'insertion professionnelle, là encore les résultats sont en deçà de la moyenne nationale. Aussi bien pour le respect de l'obligation d'emploi par les entreprises que pour l'offre de dispositifs d'insertion professionnelle en ESAT ou des entreprises adaptées.

Enfin, quelques mots sur le handisport et le sport adapté. Nous avons rencontré beaucoup d'acteurs de terrain, des sportifs, des responsables de club lors de notre déplacement. L'accessibilité est le point noir, comme je l'ai dit au début de mon propos. Accéder aux installations est un défi. Par ailleurs, le manque d'éducateurs sportifs formés est un vrai problème, avec des formations qui ne sont pas toujours dispensées sur les territoires.

Voici pour le bilan. Pour se rapprocher des objectifs de la loi de 2005, nous avançons plusieurs recommandations.

S'agissant de l'accessibilité, la faiblesse ou l'absence de transports en commun performants dans les outre-mer dépasse très largement le cadre du présent rapport et illustre que la politique du handicap est au carrefour de nombreuses autres politiques. Même chose pour le logement.

À défaut ou dans l'attente de nouvelles solutions de mobilité, certains territoires ont mis en place des solutions palliatives ciblées sur les personnes en situation de handicap ou dépendantes, comme à La Réunion.

Compte tenu de l'ampleur du chantier de la mobilité, la délégation recommande le déploiement, dans chaque territoire, d'un service public de transport à la demande au profit des personnes en situation de handicap. Cette compensation doit permettre de pallier l'absence d'accessibilité des transports en commun dans l'attente de leur réalisation.

En matière de logement, il faut prioriser dans les actions de relogement les familles touchées par le handicap, afin notamment de les sortir des habitats informels. Pour aller plus loin, et dans la continuité des précédents travaux de la délégation sur le logement, il faut étudier la faisabilité d'une gestion décentralisée de la LBU par les départements pour accélérer l'adaptation du parc de logements.

Pour combler le retard de l'offre médico-sociale, le plan 50000 solutions, annoncé à la suite de la conférence nationale du handicap en 2023, a entamé un rattrapage à horizon 2030. Il faut saluer l'effort particulier consacré aux outre-mer évoqué par la ministre Mme Parmentier-Lecocq. Mais cela ne suffira pas.

Il faut d'ores et déjà travailler à un second plan dédié aux outre-mer à un horizon de 10 ans qui viendrait en complément du plan 50000 solutions. Mayotte, la Guyane et les îles du Nord doivent être prioritaires. C'est là que les retards sont les plus forts.

Autre écueil à combler et qui doit aller de pair : la planification. Le manque de données fiables pèse sur la capacité à se projeter. Il faut aussi inventer une meilleure gouvernance. Les conventions tripartites signées par la ministre ces derniers mois sont un premier outil intéressant pour mobiliser les acteurs autour de projets précis avec des objectifs à l'horizon de quelques années. Il faut poursuivre dans cette direction. C'est notre recommandation n° 10.

S'agissant de l'école pour tous, les problématiques sont assez proches de celles rencontrées dans l'Hexagone. Un point clef nous semble être la formation de tous les professionnels intervenant dans les écoles. L'inclusion ne peut fonctionner que si tous les acteurs de terrain -enseignant, AESH, ATSEM, professionnels médico-sociaux- sont sensibilisés et formés à travailler ensemble sur ces questions, au moins pour un premier niveau de réponse. C'est d'autant plus essentiel dans des territoires qui manquent de certains professionnels spécialisés. Le déploiement des PAS à la rentrée est une première réponse. Il faut surtout généraliser les formations croisées enseignants-AESH-professionnels médico-sociaux. De l'avis de tous, ces formations font bouger les lignes.

Pour les étudiants Ultramarins handicapés, nous proposons de confier à LADOM une mission d'accompagnement global à la mobilité, à tous les niveaux. L'implantation territoriale unique de LADOM en outre-mer et dans l'Hexagone, ainsi que son rôle de premier contact pour la mobilité, en font l'acteur tout désigné pour assumer cette fonction. Elle aura la charge d'identifier des référents dans chaque administration et dans les CROUS et de faire remonter les dossiers pour un traitement rapide. On ne peut plus tolérer ces pertes de chance. LADOM avait ce projet il y a quelques années. Il faut le concrétiser rapidement.

Enfin, pour le handisport, il faut mobiliser les CREPS pour la formation sur les territoires, l'UNSS pour développer le parasport à l'école et nommer un référent du Comité paralympique français dans chaque territoire.

Je laisse à présent la parole à ma collègue Annick Petrus que je remercie pour m'avoir fait découvrir son territoire Saint-Martin.

Mme Annick Petrus, rapporteure. - Il me revient de clore la présentation faite par mes collègues en évoquant les acteurs de la politique du handicap dans nos territoires Ultramarins, et en adressant un mot d'encouragement à ma collègue Audrey Bélim.

Comme dans l'Hexagone, les MDPH sont en première ligne et sont clairement identifiées comme le guichet unique.

Toutefois, dans leur fonctionnement quotidien, elles demeurent encore en phase de structuration face à l'évolution des dispositifs (réforme de la PCH...) et à la hausse des demandes.

La durée maximale de traitement d'un dossier ne devrait pas excéder quatre mois. Dans l'Hexagone, le délai moyen atteint 4,8 mois, avec d'importantes disparités régionales. Dans les territoires Ultramarins, la situation est comparable, voire plus préoccupante pour certains d'entre eux, où les délais dépassent largement les seuils réglementaires.

Certaines collectivités connaissent une nette dégradation de leurs délais, souvent liée à des événements exceptionnels ou à des difficultés structurelles. D'autres, en revanche, montrent des signes encourageants avec une réduction considérable de leurs délais.

Le cas le plus extrême est sans doute la Martinique où il faut atteindre aujourd'hui en moyenne plus de 9 mois. En Guyane, les délais de traitement se sont nettement améliorés ces dernières années. Alors qu'en 2019 il fallait compter en moyenne huit mois d'attente, ce délai est passé à seulement 2,5 mois en 2024. La Guyane affiche ainsi un temps de traitement deux fois plus rapide que la moyenne nationale.

Elles sont aussi affectées par un manque de moyens humains. En Guyane par exemple, les déplacements essentiels sur l'ensemble du territoire, y compris dans les régions les moins accessibles, consomment beaucoup de temps et alourdissent la charge de travail. Ces contraintes ne sont pas toujours bien appréhendées dans le calcul des plafonds d'emploi.

Autre point noir : la disponibilité de certains professionnels médico-sociaux, notamment les orthophonistes, psychologues, psychomotriciens... Cela retarde les évaluations et les diagnostics, notamment avant la saisine de la CDAPH. Trop peu nombreux, ces professions connaissent aussi un turn over fort dans certains territoires, comme Saint-Martin, Saint-Barthélemy, Saint-Pierre-et-Miquelon ou la Guyane.

Il est difficile de construire des équipes stables. Des logements trop chers, le coût de la vie en général ou la difficulté à se projeter durablement sur un territoire expliquent cette instabilité. À Saint-Barthélemy, le niveau stratosphérique des loyers est rédhibitoire.

Autre faiblesse déjà évoquée des MDPH : leurs systèmes d'information. À l'exception de La Réunion, une remise à niveau est indispensable. Et même à La Réunion, le SI demeure perfectible. L'absence de flux entrants de données prive la MDPH de visibilité sur le suivi des notifications. En effet, si l'interopérabilité a permis de créer des connexions sortantes avec des institutions comme la CAF, Pôle emploi ou encore le système national de gestion des identifiants, aucun retour en temps réel ne permet de mesurer l'effectivité des droits ouverts par la MDPH.

Un autre acteur prééminent est le département. Comme dans l'Hexagone, le coût de la PCH augmente vite et le reste à charge des départements ne cesse de croître.

En Martinique, sur les cinq dernières années (de 2020 à 2024), la collectivité a dépensé 151 millions d'euros, soit une augmentation de 40 %, tandis que le nombre de bénéficiaires de la PCH a cru de 34 %.

Dans l'ensemble, le reste à charge pour les départements Ultramarins est plus élevé que la moyenne nationale. Le taux de bénéficiaire de la PCH pour 1 000 habitants y est aussi plus élevé.

Enfin, les opérateurs locaux en capacité de répondre aux appels à projet ou à manifestation d'intérêts sont peu nombreux et parfois fragiles. C'est souvent la contrainte des petits territoires.

Ces constats nous ont amené à vous proposer plusieurs recommandations.

Tout d'abord, la consolidation des MDPH est impérative. Cela passe notamment par le maintien et le renforcement des missions d'appui opérationnel de la CNSA.

Par ailleurs, les MDPH ultramarines sont aussi des laboratoires inspirants, notamment pour rapprocher les politiques du handicap et de l'autonomie. Ces expériences peuvent être fructueuses et précurseurs au moment où se met en place la réforme nationale du Service public départemental de l'autonomie.

À Saint-Pierre-et-Miquelon, il n'existe pas de Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) à proprement parler, mais une structure équivalente : la Maison territoriale de l'autonomie (MTA). Fonctionnant sur le même principe que la MDPH, la MTA accompagne les personnes en situation de handicap. Toutefois, elle s'en distingue en élargissant son champ d'action à l'accompagnement des personnes âgées, réunies au sein d'une même structure.

Une autre particularité importante de la MTA est qu'elle maîtrise non seulement l'évaluation des dossiers, mais aussi le paiement des prestations, ce qui simplifie les démarches pour les usagers et accélère le versement de l'aide.

Cette structure a suscité l'intérêt d'autres collectivités : Saint-Martin et la Nouvelle-Calédonie ont ainsi engagé des échanges avec la MTA de Saint Pierre-et-Miquelon afin de bénéficier de son retour d'expérience et d'évaluer les avantages d'une telle organisation. Les MDPH de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin évoluent vers ce modèle.

Ces expériences prometteuses, qui vont plus loin que le SPDA, devraient faire l'objet d'un soutien renforcé et d'une évaluation précise pour en tirer les enseignements. Elles peuvent être source d'inspiration pour d'autres territoires Ultramarins, en particulier ceux à collectivité unique, voire pour des départements hexagonaux. C'est notre recommandation n° 14.

De manière plus générale, il faut apprendre à valoriser les dispositifs innovants de nos territoires. Les contraintes font que les acteurs innovent et développent de nouveaux services, notamment en matière de téléconsultation comme à La Réunion.

Autre enjeu fort pour les outre-mer : adapter certains dispositifs ou règles aux singularités ultramarines.

La première réponse concerne les petits territoires insulaires ou isolés. Les distances, le public restreint (parfois une ou deux personnes seulement selon l'âge et les handicaps) et la disponibilité limitée des professionnels spécialisés se prêtent mal à la multiplication d'ESMS. Par ailleurs, les systèmes d'autorisation de places rigidifient et ne permettent pas d'adapter l'offre au besoin. Les petits effectifs font que d'une année sur l'autre, les besoins peuvent varier de deux ou trois places. Cela paraît peu, mais sur un effectif de 10, cela représente plus ou moins 30 %.

Le fonctionnement en silo, très segmenté et compartimenté de l'offre médico-sociale traditionnelle n'est pas adapté à ces territoires où la polyvalence et l'agilité sont essentielles.

Sur le terrain, des solutions innovantes se mettent déjà en place, les ARS ayant pris la mesure des enjeux. À Saint-Martin, une MAS hors les murs est expérimentée. Les CAMPS et SAMSAH sont polyhandicap, quand traditionnellement ils sont plus spécialisés.

En Guyane, des projets se déploient selon un nouveau modèle d'ESMS éclatés. Il ne s'agit pas de structures centralisées, mais de dispositifs répartis sur plusieurs communes, afin d'offrir une réponse locale et souple, au plus près des usagers.

Ces expériences montrent le chemin vers une nouvelle organisation, moins institutionnelle - en dur -, s'appuyant sur des plateformes de services et pouvant se moduler rapidement en fonction des besoins. L'offre s'adapte aux besoins pour éviter que des demandeurs restent à la porte parce qu'ils ne rentrent pas dans la bonne case.

Il faut définir un cadre pour un nouveau modèle d'établissement médico-social qui facilite le développement de plateformes de services polyvalentes avec un nombre de places rapidement modulable en fonction de l'évolution des besoins.

Une telle réforme serait là encore précurseur et en ligne avec la nouvelle stratégie nationale.

Enfin, j'évoquerai rapidement la question du financement, même si l'époque se prête plutôt aux économies.

Le rattrapage indispensable de la politique du handicap outre-mer ne peut faire l'impasse sur la question budgétaire.

Outre le plan de rattrapage engagé, il faut aussi revoir le financement au long cours de la politique du handicap en tenant compte de la vie chère outre-mer.

Aujourd'hui, la CNSA applique une majoration « vie chère » sur le montant des crédits délégués au titre des mesures nouvelles liées à des installations de places ou de dispositifs en ESMS. Après avoir réalisé une première répartition théorique des crédits sur l'ensemble du territoire, la CNSA applique une majoration de 20 % aux enveloppes des ARS ultramarines, afin de tenir compte des coûts supplémentaires de ces territoires. La majoration « vie chère » de 20 % est identique pour chaque territoire ultramarin. Forfaitaire, elle ne prend pas en compte la réalité des différentiels de coût, qui peuvent varier d'un territoire à l'autre. Il convient d'affiner cette majoration aux réalités des territoires.

Par ailleurs, les méthodes de calcul du concours de la CNSA au financement de la PCH ne sont pas assez adaptées aux outre-mer. Les surcoûts transport sont notamment sous évalués et n'ont pas été revus depuis 2005.

Le président du conseil exécutif de la collectivité territoriale de Martinique (CTM) et la ministre en charge de l'autonomie ont signé le 7 avril 2025 une lettre d'intention marquant l'engagement de l'État et de la CTM à oeuvrer à une révision du mode de calcul de la compensation par la CNSA de l'Allocation Personnalisée d'Autonomie (APA) et de la Prestation de Compensation du Handicap (PCH).

Ces éléments, mais aussi la réalité de la vie chère outre-mer qui s'impose dans les secteurs de la vie quotidienne, invitent à poser la question d'une révision du mode de calcul du concours de la CNSA au financement de la PCH dans les départements Ultramarins, et pas seulement en Martinique.

Voici mes chers collègues, nos principales recommandations et orientations. Nous sommes à l'écoute de vos observations et questions.

Mme Micheline Jacques, président. - Merci mes chers collègues. Je vous réitère mes félicitations pour l'excellent travail réalisé. Y a-t-il des observations ?

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Je voulais remercier mes trois collègues et la présidente pour ce travail car il est vrai que le regard sur ce sujet important dans des territoires éloignés de l'Hexagone est important et a permis de constater que le retard est réel. Merci donc pour vos recommandations.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth. - Je souhaite vous féliciter, chers collègues rapporteurs et chère présidente, d'avoir retenu ce thème d'étude. En tant qu'orthophoniste à la retraite, je tiens à vous dire que ce que vous avez présenté correspond parfaitement à la réalité de nos territoires. Les difficultés pointées sont réelles : communes enclavées, enfants et adultes en situation de handicap laissés pour compte, coût élevé des transports - 125 euros pour un aller-retour entre Cayenne et Maripasoula -, avec de surcroît des liaisons peu sûres... J'espère que ce rapport va entraîner une vraie prise de conscience du Gouvernement. Nous souffrons, en Guyane, à Mayotte, dans tous nos territoires...

Un grand merci d'avoir alerté sur ces sujets. Je souhaite souligner que je suis restée longtemps la seule orthophoniste de Guyane, ce qui engendrait un très grand problème de suivi pour les enfants et les adultes.

Je saurai faire bonne usage de ce rapport et de ses recommandations dans mon territoire.

Mme Solanges Nadille. - J'étais très satisfaite que ce sujet ait été retenu pour un rapport de la délégation et je suis aujourd'hui très satisfaite de ce rapport. De plus, le déplacement sur mon territoire a été très bénéfique : il était en effet important que les rapporteurs et la présidente viennent constater les difficultés sur le terrain, ainsi que la situation de double - voire de triple - insularité. Certes, on constate une amélioration concernant le traitement des dossiers. Néanmoins, les problématiques de l'accessibilité et du transport restent des enjeux primordiaux. Je suis très satisfaite que vous ayez souligné ces problèmes dans le rapport. J'espère également qu'il permettra de faire évoluer les choses.

Mme Micheline Jacques, président. - Je réitère mes remerciements à notre collègue Solanges Nadille pour la qualité de son accueil aux Saintes. On a pu mesurer l'engagement de Mme le Maire, ainsi que de tous les services pour accompagner au mieux les familles touchées par le handicap. J'ai déjà annoncé à Mme la Ministre que nous lui remettrons ce rapport. Comptez sur nous pour ne pas le laisser dans un tiroir : comme toujours, nous effectuerons un suivi exigeant des travaux de la délégation.

M. Akli Mellouli, rapporteur. - Je tiens à remercier vivement tous les Ultramarins qui nous ont accueilli lors de nos déplacements dans leurs territoires pour leur écoute et leur volonté de dialogue. Je n'avais pas mesuré à quel point notre méconnaissance était importante. Je souhaite également pointer la résilience des Ultramarins. L'enjeu est également de veiller à ce que les jeunes qui ressentent un sentiment de rejet à l'égard de l'Hexagone ne soient pas davantage attirés par les territoires anglophones à proximité. Il est primordial de faire du sur-mesure dans les outre-mer. Il ne faut pas confondre unité et uniformité : ce n'est pas parce qu'il y a du sur-mesure qu'il n'y a pas d'unité.

Mme Annick Petrus, rapporteure. - Tout a été dit. Je souhaiterais ajouter qu'au travers de ce rapport et des recommandations, nous avons voulu insister sur le fait que les personnes en situation de handicap sont des personnes à part entière. Nous avons choisi, en nous rendant dans les territoires, d'écouter les souffrances des personnes en situation de handicap et d'étudier les pistes d'amélioration.

Le rapport est adopté à l'unanimité.

Mme Micheline Jacques, président. - Avant de clore cette réunion, je suis heureuse de vous annoncer que notre collègue Paul Vidal (Les Républicains - Rhône), rejoint la délégation, en remplacement de Philippe Bas qui nous a quittés pour d'autres fonctions.