- Jeudi 10 juillet 2025
- Étude sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer - volet 2 : bassin océan Atlantique - Audition de M. Arnaud Mentré, ambassadeur chargé de la coopération régionale dans la zone Atlantique
- Étude sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer - volet 2 : bassin océan Atlantique - Audition de S.E. M. Louino Volcy, ambassadeur d'Haïti en France, accompagné de M. Ricardo Lambert, responsable Communication de l'ambassade d'Haïti en France
Jeudi 10 juillet 2025
- Présidence de Mme Micheline Jacques, président -
Étude sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer - volet 2 : bassin océan Atlantique - Audition de M. Arnaud Mentré, ambassadeur chargé de la coopération régionale dans la zone Atlantique
Mme Micheline Jacques, président. - Nous reprenons ce matin les auditions pour le second volet de notre étude sur la coopération régionale consacré au bassin Atlantique. Pour ce rapport, je vous rappelle que nous avons désigné un binôme de rapporteures : Mme Evelyne Corbière Naminzo, sénatrice de La Réunion, et Mme Jacqueline Eustache-Brinio, sénatrice du Val-d'Oise, que je remercie chaleureusement pour leur implication.
Nous accueillons aujourd'hui M. Arnaud Mentré, ambassadeur chargé de la coopération régionale dans la zone Atlantique, récemment nommé - monsieur l'ambassadeur, vous avez pris vos fonctions en mars dernier.
Comme vos collègues pour les autres bassins - M. Jean-Claude Brunet, pour la zone de l'océan Indien, que nous avons entendu l'an dernier, et Mme Véronique Roger-Lacan, pour la zone Pacifique, que nous auditionnerons sur le dernier volet -, vous êtes spécifiquement chargé de renforcer la coopération entre les territoires ultramarins et les États voisins.
Nous vous remercions donc vivement d'avoir répondu à l'invitation de la délégation sénatoriale aux outre-mer et de participer à cet échange.
L'insuffisante intégration des outre-mer dans leur environnement proche, déjà observée l'an dernier pour les collectivités du bassin Indien, a conduit notre délégation à se pencher sur les pistes d'amélioration de la coopération régionale, car les défis sont nombreux et d'envergure !
J'en citerai quelques-uns : la lutte régionale contre le narcotrafic dans les Antilles et en Guyane, les questions transfrontalières, les normes européennes et le développement des échanges commerciaux, ou encore le suivi des conséquences régionales de la crise haïtienne. J'ajouterai également le fléau des sargasses, une invasion qui affecte l'ensemble des territoires de la zone Caraïbe.
Nous attendons de vous, monsieur l'ambassadeur, un panorama des accords de coopération entre la France et les États de la Caraïbe et du bassin nord-amazonien. Dans quels domaines principaux ont-ils été conclus ? Où faut-il porter les efforts ? Quels sont les grands projets structurants de la coopération dans cette région ?
Nous nous interrogeons aussi sur le rôle que jouent ou pourraient jouer les outre-mer français dans la définition et l'animation de la politique étrangère de la France avec les pays voisins. Comment l'enjeu ultramarin est-il intégré à vos réflexions et à votre travail quotidien ?
Je vous précise que notre délégation s'est déplacée en Guyane et au Suriname, et s'est aussi rendue à Bruxelles, car nous défendrons notamment l'idée d'une politique européenne de voisinage ultrapériphérique (PEVu), telle qu'elle figure dans une proposition issue de notre précédent rapport sur le bassin Indien.
Comme à notre habitude, un questionnaire indicatif vous a été transmis afin de guider nos échanges. Je vous propose d'intervenir pour un exposé liminaire, après quoi nos rapporteures, puis les membres de la délégation qui le souhaitent, vous questionneront.
M. Arnaud Mentré, ambassadeur chargé de la coopération régionale dans la zone Atlantique. - C'est moi qui vous remercie pour votre invitation. J'ai lu avec beaucoup d'intérêt le rapport que vous avez rédigé sur le bassin océan Indien, et je serai heureux de contribuer à votre rapport sur le bassin Antilles-Guyane, ou plus largement la Grande Caraïbe, qui constitue un espace tout à fait riche. Nous y comptons un nombre important de collectivités françaises d'Amérique et, au vu de la qualité de votre premier rapport, je serais très heureux de contribuer au second.
Comme vous l'avez rappelé, ma nomination est récente : elle date de la mi-mars 2025. Dès lors, l'agenda a été extrêmement chargé, avec la conférence de Nice qui se profilait début juin. Celle-ci a toujours été considérée comme un rendez-vous très important, notamment en matière de lutte contre les afflux massifs de sargasses. Le projet de plan d'action avait été évoqué, mais tout restait à construire en mars.
Nous avons donc préparé un projet de plan d'action international, d'abord en interministériel, puis avec la région Guadeloupe. C'est, je crois, un très bel exemple de partenariat et de la façon dont nos collectivités françaises d'Amérique peuvent travailler conjointement avec les services de l'État dans le cadre de notre diplomatie. Le travail mené sur les sargasses en est une bonne illustration.
Il s'agissait ensuite de consolider ce plan avec nos partenaires dominicains, costaricains et mexicains pour le présenter à Nice, puis d'envisager ensemble les suites à donner à ce dossier.
Le deuxième dossier très urgent concernait la Banque de développement des Caraïbes (BDC). Le retour de la France dans le capital de cette banque était prévu par le Comité interministériel des outre-mer (Ciom) de 2023. À partir de mars-avril, nous avons pu accélérer la concertation interministérielle, afin qu'une lettre signée par les trois ministres - affaires étrangères, économie, francophonie et partenariats internationaux - soit adressée dans les meilleurs délais au secrétariat de la BDC, marquant ainsi notre souhait de réintégrer le capital et de commencer des négociations en vue d'un accord.
Troisième sujet important : la Communauté des Caraïbes (Caricom). La Martinique a rejoint l'organisation en tant que membre associé lors du sommet de la Barbade en février dernier. Deux chantiers sont engagés : d'abord, un travail interne pour faire approuver, par le Parlement, l'accord sur les privilèges et immunités, nécessaire pour rendre effective l'adhésion de la Martinique comme membre associé ; ensuite, un chantier avec la Guyane, qui veut également rejoindre la Caricom.
C'est d'ailleurs une priorité affirmée par la collectivité territoriale de Guyane, comme elle me l'a confirmé lors de mon déplacement voilà un mois. À ce titre, nous avons obtenu une lettre du ministre des affaires étrangères réaffirmant le souhait de voir la Guyane, comme les autres collectivités françaises d'Amérique (CFA), devenir membre associé de la Caricom. Il nous faut désormais avancer dans la négociation d'un accord en prévision de cette adhésion.
La visite d'État du président brésilien en France s'inscrivait également dans cette séquence, de même que l'ensemble des dossiers transfrontaliers avec la Guyane, qui revêtent une importance particulière. La commission mixte transfrontalière s'est tenue début juin, ce qui nous a permis d'avancer sur ces différents sujets.
Après cette période initiale très intense, j'espère pouvoir désormais disposer d'un peu plus de temps pour faire avancer les grands chantiers. Je conçois véritablement mon rôle comme celui d'un catalyseur interministériel au service des collectivités d'outre-mer. C'est, me semble-t-il, l'ADN même de ce poste, tel qu'il a été pensé lors de sa création, à la suite de l'adoption de la loi du 13 décembre 2000 d'orientation pour l'outre-mer.
Je me suis déjà rendu en Guyane, et je reviens de Martinique où j'étais encore avant-hier. J'y ai rencontré le président Serge Letchimy ainsi que plusieurs acteurs martiniquais, à qui j'ai exprimé ma vision de ce poste : être, au sein de l'État, une porte d'entrée pour soutenir les initiatives internationales qu'ils souhaiteraient mener, mais aussi, et surtout, assurer ici à Paris la coordination interministérielle, qui est cruciale sur des dossiers souvent transversaux et assez complexes. De nombreux intervenants sont impliqués, et sans tête chercheuse à Paris pour animer cette concertation, les choses avancent lentement.
Ces grands chantiers s'inscrivent dans la perspective de la prochaine Conférence de coopération régionale Antilles-Guyane (CCRAG), dont la date reste à fixer. Il s'agit de concilier les agendas de deux ministres : le ministre d'État chargé des outre-mer et le ministre délégué chargé de la francophonie et des partenariats internationaux, Thani Mohamed Soilihi, qui suit de très près ces enjeux de politique régionale et constitue un appui précieux au sein du ministère des affaires étrangères.
La CCRAG devrait se tenir en fin d'année 2025, en Martinique, conformément au cycle agréé lors de la précédente édition confiée à Saint-Martin, qui a été un très grand succès.
Quels sont les grands chantiers ? Ce sont ceux que vous connaissez bien, et qui ont été formulés dans la stratégie de bassin, agréée par l'État et les cinq collectivités françaises d'Amérique lors de la CCRAG de Saint-Martin : sécurité, environnement, économie, ainsi que les échanges humains et culturels.
Sur les questions de sécurité, de nombreuses initiatives ont été engagées, et une réorganisation de notre réseau est en cours. Je serais heureux d'échanger avec vous sur ce sujet, qui rejoint l'un de vos centres d'intérêt, et qui répond à l'évolution du phénomène des trafics illicites, en particulier des narcotrafics.
Pour dresser les grandes lignes, on observe aujourd'hui une réorientation des flux des narcotrafics. Alors que ces flux allaient historiquement d'Amérique du Sud vers les États-Unis, puis vers l'Europe, le marché américain tend désormais à se tourner vers d'autres drogues, notamment les drogues de synthèse comme le fentanyl. Cela conduit à un redéploiement croissant de la cocaïne vers l'Europe. C'est un sujet majeur, qui mobilise de nombreux acteurs ; il importe désormais de créer une véritable synergie.
Depuis plusieurs années, l'idée d'organiser une conférence régionale de sécurité est évoquée. Il faut désormais réfléchir aux modalités concrètes de sa mise en oeuvre : son format, les partenaires à associer, etc.
Parmi les outils existants, figure le programme baptisé Accord de lutte contre la criminalité organisée dans les Caraïbes (ALCORCA), porté depuis 2015 par la direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD) du ministère des affaires étrangères. Il s'apparente aux académies régionales de sécurité développées dans les bassins de l'océan Indien et du Pacifique, mais demeure encore limité dans ses moyens et ses ambitions. Il y a sans doute là un chantier à approfondir.
En matière de sécurité civile - deuxième pilier de ces enjeux sécuritaires -, de nombreuses actions sont déjà engagées. Des exercices sont organisés, et les forces armées françaises présentes aux Antilles et en Guyane travaillent activement avec leurs partenaires. Nous souhaitons désormais négocier un accord avec la CDEMA - Caribbean Disaster Emergency Management Agency -, l'agence de la Caricom chargée de la sécurité civile. Il s'agit d'un véritable casse-tête juridique, mais s'il aboutit, il offrira un cadre structurant pour développer nos actions. Nous aurons sans doute l'occasion d'y revenir plus en détail.
Sur les sujets environnementaux, chacun sait que la Caraïbe est l'une des régions les plus fragiles du monde face aux évolutions environnementales en cours, et les sargasses en sont un exemple. Nous sommes progressivement passés d'une période où l'on s'interrogeait sur l'origine du phénomène et sur la gestion des afflux, qui étaient irréguliers - massifs certaines années, moins d'autres - à une réalité où ces afflux sont désormais à la fois massifs et réguliers.
Cette année 2025 bat tous les records, avec environ 70 % de masse de sargasses supplémentaires en Atlantique par rapport aux années records de 2022-2023. Des territoires comme Saint-Martin, qui étaient épargnés, commencent à être touchés, alors que la Guadeloupe et la Martinique étaient les plus touchées auparavant. Les images qui nous parviennent sont particulièrement choquantes, et celles que j'ai pu voir en Martinique avant-hier en témoignent également.
Il faut donc absolument continuer notre initiative internationale sur les sargasses. Je crois que la perspective ultime est aussi de renforcer nos efforts en termes de valorisation et d'implication du secteur privé, afin de trouver une chaîne de valeur viable qui permette une solution pérenne face à ces afflux massifs qui sont amenés à se répéter.
Les sargasses constituent le dossier environnemental le plus visible, mais il existe bien d'autres enjeux. La mer des Caraïbes est un écosystème extrêmement fragile qui nécessite une action collective, notamment en matière d'assainissement. De très beaux projets sont d'ailleurs menés dans ce domaine par l'Agence de l'eau de la Martinique. Il est également essentiel de se concentrer sur la préservation du littoral et de répondre à des problématiques émergentes, telles que les brumes de sable, qui préoccupent de plus en plus nos compatriotes des Caraïbes. Ces phénomènes ont des répercussions directes sur leur environnement et leur santé.
En ce qui concerne les enjeux économiques, comme l'a très justement souligné Mme le président, il est essentiel de mener une réflexion approfondie sur les raisons de l'isolement de nos collectivités françaises d'Amérique au sein de leur environnement régional. Cette problématique repose sur une approche multifactorielle. La question logistique est cruciale ; nous pourrons y revenir plus en détail.
Actuellement, les liaisons commerciales passent encore par l'Hexagone avant d'être redistribuées vers d'autres destinations. Les liaisons aériennes, elles, représentent un frein important à la promotion des services. Il est essentiel d'améliorer ces connexions pour soutenir les prestations intellectuelles des entreprises basées à la Martinique, à la Guadeloupe et en Guyane.
Un autre enjeu majeur est la question des normes, que nous pourrons aborder plus en profondeur. Enfin, la compétitivité doit nécessairement être prise en compte.
En ce qui concerne les échanges humains et culturels, beaucoup reste à faire pour améliorer l'attractivité des études dans nos territoires, comme j'en discutais récemment avec le vice-président de l'université des Antilles à Fort-de-France. Si elle est bien calibrée, cette attractivité pourrait également favoriser l'immigration qualifiée. En tant qu'ancien chef du service des visas au ministère de l'intérieur, je suis particulièrement attentif à cette question. Pour les territoires concernés, à l'exception de la Guyane, qui font face à un vieillissement démographique, il est crucial de réfléchir à moyen terme aux solutions à apporter pour répondre à leurs besoins, notamment en matière de services de santé.
Voilà les priorités que je considère comme essentielles, et qui, je pense, sont partagées par tous les acteurs de la coopération régionale dans la Caraïbe. Plusieurs évolutions sont en cours dans la zone, offrant un moment stratégique à saisir.
D'abord, on observe une plus grande acceptabilité de la diversité régionale, notamment au sein de la Caricom, qui, historiquement anglophone, montre désormais un intérêt pour la Caraïbe francophone. Mme Mia Mottley, la présidente actuelle de la Caricom, l'a d'ailleurs exprimé au Président de la République lors de leur échange en marge du sommet de Nice. Un véritable intérêt existe aujourd'hui pour développer les liens avec toute la Caraïbe francophone.
Des opportunités s'ouvrent donc, non seulement au sein de la Caricom, mais aussi dans d'autres instances comme l'Organisation des États de la Caraïbe Orientale (OECO), qui développe des programmes intéressants de promotion du français. L'adhésion de Saint-Martin à cette organisation alimente aussi cette impulsion.
Dans le même temps, on observe un relatif retrait américain, ou du moins une relation plus complexe avec les États-Unis, y compris de la part d'acteurs traditionnellement proches comme la République dominicaine. Cela crée un espace que nous pourrions investir, en relançant par exemple l'élan des rencontres France-Caraïbes d'il y a une dizaine d'années, et en proposant une nouvelle initiative commune avec la France et l'Union européenne (UE).
La question est désormais de savoir comment structurer cette ambition. C'est à cela que je travaille, pour porter un message politique fort.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - À la suite de notre déplacement en Guyane et au Suriname, je souhaite évoquer plusieurs sujets, notamment le narcotrafic, une priorité pour le bassin des Caraïbes. Comment améliorer la coopération dans la région pour lutter contre ce fléau ?
Il y a aussi le problème majeur de la pêche illégale, et celui de l'orpaillage, en particulier en Guyane, à propos duquel la Chine joue un rôle qui n'est pas anodin.
La question de la frontière entre la Guyane et le Suriname se pose également. Des discussions ont eu lieu, mais rien n'a été signé pour l'heure, ni par la France ni par le Suriname. Des élections récentes ont eu lieu au Suriname ; le président a été remplacé par une présidente. Un accord pourrait-il enfin aboutir ?
Il me semble important également d'aborder le transport aérien et maritime, la question des déchets et celle des échanges agricoles. Des projets de coopération sont-ils en cours ? Que fait-on pour lever d'éventuels blocages normatifs, budgétaires ou diplomatiques ? Vu de l'extérieur, on a l'impression que la coopération ne fonctionne pas bien, malgré le potentiel et la richesse de ces territoires.
M. Arnaud Mentré. - S'agissant des questions de sécurité, beaucoup a été fait. C'est un sujet largement balisé, notamment en Guyane, et nous avançons au rythme de nos partenaires. Côté français, il n'y a pas eu de déficit de mobilisation. Nous avons créé des centres de coopération policière avec le Brésil et le Suriname. Nous essayons également de faire avancer au mieux les enjeux d'aménagement de la plus longue frontière terrestre de la France au sein des commissions mixtes transfrontalières avec le Brésil et des conseils du fleuve.
L'orpaillage est un véritable fléau. Il cause des préjudices environnementaux par le déversement de mercure dans les fleuves, sans compter qu'il s'agit d'une exploitation illégale de nos réserves minières.
Si nous avons des dialogues bilatéraux de qualité avec le Suriname et le Brésil, nous ne disposons pas encore de structure permettant un dialogue approfondi sur une base régionale. La direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) du ministère des armées a développé une initiative intéressante de dialogue stratégique sur le plateau des Guyanes, qui se tient à peu près chaque année et permet des échanges d'informations. Cependant, il nous manque un dialogue proprement politique sur ces questions, et c'est un sujet auquel nous devons nous atteler.
Je souhaite associer davantage de partenaires étrangers aux conférences de coopération régionale Antilles-Guyane, qui ont été très productives en termes d'échanges d'informations entre collectivités territoriales d'Amérique, mais qui pourraient devenir plus opérationnelles et plus ouvertes sur l'environnement proche. Je vais faire des propositions en ce sens à mes deux ministres de tutelle.
Nous pourrions ainsi utiliser la prochaine conférence, en Martinique, pour avancer sur un dialogue de sécurité proprement antillais, puis la suivante, qui se tiendra à Cayenne en 2026, pour progresser sur un dialogue de sécurité relatif au plateau des Guyanes. L'orpaillage a lieu massivement au Suriname, mais il est surtout le fait de ressortissants brésiliens.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - On nous laisse le mercure et on nous vole notre or, qui part ensuite au Suriname, où il est acheté par les Chinois, sans aucune traçabilité... Nous n'allons pas faire les lois à la place du Suriname, mais il y a peut-être des points à aborder dans le cadre de notre coopération avec ce pays, qui nous prend tout de même beaucoup et ne nous donne pas grand-chose en retour. Nous rencontrons à la frontière avec le Suriname des problèmes assez proches de ceux que nous connaissons à Mayotte, et cela déstabilise une partie de nos territoires.
La pêche illégale a également des conséquences environnementales dramatiques sur nos fonds marins au nord de cette frontière. Nous devons agir dès aujourd'hui.
M. Arnaud Mentré. - S'agissant de la Chine, nos efforts ont pour l'instant assez habilement porté sur des études académiques menées par l'intermédiaire de centres de recherche comme la Fondation pour la recherche stratégique. Celle-ci a élaboré un rapport public qui commence à nommer les choses, notamment les approvisionnements en mercure dans les zones concernées, l'absence de traçabilité sur le suivi du mercure et les exportations d'or. L'ambassade de Chine à Paris lit absolument tout ce qui concerne son pays ; les autorités chinoises savent donc que le sujet commence à être dans le viseur des autorités françaises. C'est une première manière de leur signifier que quelque chose doit être fait ; cela permet également de documenter précisément la situation.
Des efforts importants sont aussi en cours avec le Brésil afin de pouvoir mener des patrouilles conjointes, et non plus seulement coordonnées. Ces questions de sécurité, de même que celle des visas, ont été au coeur de la feuille de route bilatérale adoptée lors de la visite d'État du Président de la République au Brésil en 2024, puis lors de la visite du président brésilien à Paris. Nous voulons mettre l'accent sur ce dialogue de sécurité, et je serais bien entendu très intéressé par les éventuelles préconisations que pourrait formuler la délégation, car tout est à construire.
Le dialogue doit aussi porter sur les sujets environnementaux. Nous cherchons à nous rapprocher de l'Organisation du traité de coopération amazonienne (OTCA). J'ai rencontré son secrétaire général lorsque j'étais à Brasilia il y a quelques mois. Nous voulons nous rapprocher de cette organisation, mais le Brésil, qui a tendance à segmenter les dialogues bilatéraux, se montre plus réticent sur tout ce qui est régional.
La pêche illégale est un autre sujet important, souvent évoqué sur place, qui pose la question du poids de notre Marine et de l'utilisation de nos forces pour faire respecter nos zones économiques exclusives (ZEE). Se pose aussi la question de la reconstitution des flottes de pêche dans les collectivités et territoires d'outre-mer, un sujet qui revêt aussi un aspect européen, sur lequel la direction générale des outre-mer (DGOM) est pleinement mobilisée.
Je ne me suis pas encore rendu au Suriname, ayant préféré me consacrer au flanc brésilien, à Brasilia, Cayenne et Saint-Georges-de-l'Oyapock, où les sujets sont nombreux. De l'autre côté de la frontière, des projets d'exploitation de champs de pétrole pourraient transformer l'État de l'Amapá, actuellement assez pauvre, en une zone beaucoup plus riche, avec d'autres problèmes qui pourraient apparaître et un potentiel de déstabilisation pour la région de Saint-Georges-de-l'Oyapock.
Je préférais attendre aussi de voir les orientations du futur gouvernement surinamais issu des élections du 25 mai. La présidente vient d'être élue et a réussi à obtenir sa majorité des deux tiers au Parlement. Mais elle s'appuie sur certains partis dont on sait qu'ils ne sont pas favorables à la coopération avec les partenaires étrangers en général, et avec l'Union européenne en particulier. Le parti historique de la présidente lui-même est issu d'orientations qui n'étaient pas spontanément favorables à la coopération internationale, même si, une fois au pouvoir, les autorités surinamaises constateront certainement que cette coopération est essentielle pour le développement du pays.
Les grands projets pétroliers sont évoqués dans un calendrier très resserré, puisque l'on parle des premières exploitations dès 2027. Notre ambassadeur sur place, Nicolas de Lacoste, fait un travail remarquable pour baliser le terrain. Il a parlé à toutes les parties de façon à ce que nous ne nous enfermions pas dans une relation bilatérale avec l'ancien président.
Sur l'accord frontalier avec le Suriname, notre position est constante : nous n'aborderons pas le dernier tiers avant que l'accord sur les deux premiers tiers - la partie la moins contestée - ne soit ratifié. La présidente elle-même s'était exprimée contre cet accord, dans un contexte de politique intérieure surinamaise. La situation se présentera peut-être différemment dans les prochains mois ; c'est un dossier que nous suivons avec beaucoup d'attention.
De manière générale, le Suriname est un partenaire important. Le ministère des affaires étrangères le montre en nommant des ambassadeurs très expérimentés comme Nicolas de Lacoste. On peut saluer plus largement, sur l'ensemble de la zone, la nomination d'ambassadrices et d'ambassadeurs de très grande qualité, ce qui reflète aussi l'adaptabilité du ministère.
Concernant le transport aérien, la direction générale de l'aviation civile (DGAC) fait son maximum. Une impulsion nouvelle a été donnée depuis deux ans pour simplifier la conclusion d'arrangements administratifs avec les pays voisins, alors qu'il fallait auparavant attendre la conclusion d'accords aériens en bonne et due forme. La DGAC vient d'en conclure un avec la Barbade et a signé toutes sortes d'accords avec différents États de la zone.
Cependant, une fois les accords signés, les lignes aériennes n'apparaissent pas spontanément, car des logiques privées entrent en jeu. Nous devons donc réfléchir à des incitations qui pourraient faciliter le développement de nouvelles lignes et améliorer la connectivité dans la zone, qui reste défaillante, voire en recul. Beaucoup d'efforts avaient été consacrés au développement de liaisons avec la République dominicaine, notamment, mais l'opérateur privé a ensuite décidé de fermer sa ligne, car elle n'était pas rentable selon ses projections.
Nous avons également eu des difficultés avec le Suriname, puisque les compagnies aériennes surinamaises ont été placées sur la liste noire de l'Union européenne. Cela a entraîné la fermeture de la ligne sur laquelle nous comptions pour développer la connectivité aérienne de la Guyane. Mais nos compatriotes sont aussi satisfaits de savoir que, lorsqu'ils prennent un avion, celui-ci est sûr. Il faut donc essayer de concilier ces différents objectifs et contraintes.
Il y a des aspects importants sur lesquels nous pouvons travailler, mais c'est un sujet auquel je commence seulement à m'atteler. Je serai en mesure de vous en parler plus en détail dans quelques mois. Je songe notamment aux contraintes européennes en matière d'aides d'État, à la possibilité de conclure des contrats sur plusieurs années, avec des pertes dans un premier temps et des anticipations de bénéfices futurs. Bref, je pense à toutes sortes d'instruments sur lesquels nous devons trouver le moyen d'alléger les contraintes du droit européen.
Tous les acteurs locaux citent la convention de Bâle comme un obstacle à la recherche de coopération en matière d'exportation de déchets. Toutefois, le coût du transport maritime est tel que l'on peut se demander si le recyclage de déchets dans d'autres territoires aux normes moins contraignantes constitue réellement une perspective économique crédible. La réponse n'est pas évidente, et la même question se pose pour les sargasses. La valorisation de sargasses collectées au large de la Guadeloupe et de la Martinique dans des États comme la Grenade serait-elle envisageable ? Compte tenu du coût très important du transport, ce n'est pas certain. Cela démontre en tout cas la nécessité d'une coordination interministérielle et interservices approfondie en la matière.
Des initiatives très intéressantes sont menées à l'échelle du bassin sur cette question des déchets. Le programme Interreg a financé des coopérations, principalement des échanges de bonnes pratiques et d'informations sur les technologies, qui nous ont permis de découvrir que la meilleure manière de répondre à ces enjeux environnementaux était de développer de nombreuses petites structures robustes et peu coûteuses. On constate en effet que les équipements nécessitant une maintenance lourde ne résistent pas à l'épreuve des années.
Le programme Caribsan, développé par l'agence de l'eau de Martinique, est un bel exemple de solution concrète qui peut avoir, à terme, un effet important sur la pollution de la mer des Caraïbes, notamment s'il est utilisé par des partenaires qui se trouvent dans des situations difficiles, comme Cuba. Doté d'une enveloppe de 8 millions d'euros, il porte sur le développement de systèmes de filtration par les plantes pour l'assainissement collectif ou semi-collectif.
Il y a aussi beaucoup d'échanges de bonnes pratiques en matière de modernisation agricole, notamment un très beau programme mené entre 2021 et 2024 par l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) de la Guadeloupe, sur financement Interreg, dont le volet scientifique était mené par le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), un acteur dont la qualité des projets est à souligner, et qui s'était notamment illustré dans la coordination de l'aide internationale à Mayotte après le cyclone.
Enfin, il y a la question de nos échanges agricoles, et plus largement de nos échanges économiques, sur laquelle je pourrai revenir si vous le souhaitez.
Mme Evelyne Corbière Naminzo, rapporteure. - Ma première question concerne le rôle de l'Europe, qui paraît bloquant, alors même que d'importants financements proviennent de l'Union européenne. Comment envisagez-vous le soutien de l'Europe ?
Quels programmes éducatifs et pédagogiques pourraient par ailleurs renforcer les échanges de manière pérenne dans le bassin Atlantique ? Dans l'Académie de La Réunion, nous n'avons par exemple qu'un seul professeur de portugais. Dans ces conditions, il est difficile d'établir des échanges fluides avec le Mozambique, comme nous le souhaitons. Comment donc convaincre les États voisins de s'engager dans des programmes de développement et d'échanges au sein des écoles françaises ultramarines ?
M. Arnaud Mentré. - L'Europe est un acteur tout à fait important, d'abord par ses financements économiques.
Mme Evelyne Corbière Naminzo, rapporteure. - Dans mon territoire, cette action se résume à peu près aux financements...
M. Arnaud Mentré. - Les financements européens sont assez cloisonnés : la DG Regio (Directorate-General for Regional and Urban Policy) mène sa politique régionale, la politique agricole commune (PAC) sa politique agricole et la DG Intpa (Directorate-General for International Partnerships) sa politique de coopération.
Les fonds structurels européens sont généreux avec l'outre-mer. Le programme Interreg représente beaucoup d'argent : 60 millions d'euros pour le programme Caraïbes, géré par la région Guadeloupe, et un peu moins de 10 millions d'euros pour le programme Amazonie, géré par la collectivité territoriale de Guyane.
Le Fonds européen de développement régional (Feder), la PAC et le programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (Poséi) sont également généreux.
Dans nos collectivités françaises des Amériques, qui exportent essentiellement des bananes vers l'Europe, la PAC n'a pas été conçue autour de la coopération régionale. Nous n'avons donc que peu de marge de manoeuvre financière pour développer la coopération régionale par ce biais.
Au directeur de la DG Intpa chargé des Amériques et des outre-mer, que j'ai rencontré à Bruxelles, j'ai indiqué que la conférence sur les sargasses qui devait se tenir à Bruxelles le 8 juin dernier entrait en concurrence avec la conférence des Nations unies sur l'océan de Nice... Pour diverses raisons, la conférence sur les sargasses a finalement été reportée au 8 octobre. Nous nous rencontrerons de nouveau le 18 juillet pour discuter notamment des perspectives de valorisation des sargasses.
La DG Intpa finance de nombreuses actions en ce sens, car elle a compris qu'il s'agissait d'une problématique régionale majeure et d'une porte d'entrée pour intéresser les États de la Caraïbe aux relations avec l'Union européenne. Elle finance aussi d'autres actions dans le domaine de l'environnement, ainsi que le programme Europe-Amérique latine d'assistance contre la criminalité transnationale organisée (EL PAcCTO), qui vise à renforcer les capacités de lutte contre les trafics illicites et les narcotrafics.
Nous nous efforçons de faire en sorte que les régions ultrapériphériques (RUP) soient davantage prises en compte par ce programme. EL PAcCTO relève actuellement d'une logique de guichet : si des États tiers se montrent intéressés par une coopération, l'Union européenne les accompagne. Or il faut que les États membres aient davantage leur mot à dire sur la manière dont sont fixées les priorités d'EL PAcCTO, même si cela emporte un renversement de perspective pour la DG Intpa, qui considère plutôt que la demande doit venir de l'État tiers. Il nous faut donc trouver une voie d'équilibre.
Il est fondamental d'intégrer nos collectivités françaises d'Amérique dans un plan stratégique avec l'Europe. J'ai du reste indiqué à la DG Intpa qu'une telle approche était nécessaire sur les sargasses. Mais au-delà de l'aspect financier, il nous faut également « forcer » la Commission à s'assurer régulièrement de la bonne articulation du marché européen et des enjeux d'insertion régionale, en particulier pour les RUP.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - L'Europe s'étant construite sans tenir compte de nos outre-mer, les règles qui s'appliquent à ces territoires sont bien souvent inadaptées. Nous les empêchons par exemple d'acheter de la viande brésilienne au motif qu'elle ne correspond pas à nos normes, alors que cette viande est consommée en Guyane depuis cinq générations.
Sans mettre nos populations en danger, il serait sans doute possible d'alléger ces procédures ou, du moins, de prendre réellement en compte nos territoires ultramarins.
Mme Annick Petrus. - Je me prends à espérer. La nomination d'un ambassadeur chargé de la coopération régionale signifie que l'on a enfin compris que nous avions une carte à jouer.
Cette coopération est indispensable pour la France, qui ne profite pas assez de ses territoires ultramarins, de leur proximité avec les États voisins et la richesse que nous pourrions mettre en commun, pour résoudre de nombreuses situations.
En tant qu'élue de Saint-Martin, je suis particulièrement sensible à l'enjeu de l'intégration régionale des outre-mer, notamment dans des domaines prioritaires comme la santé, la formation professionnelle ou la transition énergétique. En dépit des accords-cadres qui existent, les coopérations concrètes peinent à se structurer. À Saint-Martin, pourtant entourée d'îles anglophones, hispanophones et néerlandophones, la diplomatie de terrain reste trop souvent théorique.
La volonté d'intégration régionale est pourtant réelle et assumée. Notre territoire s'est engagé activement dans cette dynamique, avec son adhésion historique, en mars dernier, à l'Organisation des États de la Caraïbe orientale. La coopération transfrontalière est renforcée avec Sint Maarten, notamment à travers le partage d'un radar météorologique et la mise en oeuvre d'une stratégie commune dans le cadre du programme Interreg Caraïbes. Nous avons aussi organisé sur notre île la 17e conférence de coopération régionale Antilles-Guyane et participé activement à la 29e conférence des présidents des RUP.
Pour Saint-Martin comme pour l'ensemble de la Caraïbe, la coopération régionale n'est pas un concept abstrait : c'est une promesse d'avenir. Notre ambition est claire : renforcer notre ancrage régional, intensifier nos échanges et bâtir une intégration plus harmonieuse dans cet espace stratégique.
Quels leviers la diplomatie française peut-elle mobiliser pour lever les freins juridiques, budgétaires ou institutionnels qui entravent encore l'implication active des collectivités d'outre-mer dans les organisations régionales ? Nous avons besoin d'outils simples, souples et efficaces, de projets transfrontaliers à effet immédiat pour nos populations.
Il existe déjà des coopérations transfrontalières concrètes avec nos voisins du Sud, notamment pour la gestion partagée du radar météo ou pour des actions communes en matière de santé ou de sécurité civile. La diplomatie française envisage-t-elle de consolider ces coopérations au travers de mécanismes bilatéraux ou multilatéraux plus robustes avec les Pays-Bas ? Quel rôle votre ministère peut-il jouer pour soutenir cette diplomatie de proximité, si essentielle sur une île partagée ?
Enfin, comment articulez-vous votre action avec celle des institutions européennes pour défendre les intérêts géopolitiques, économiques ou sociaux des RUP dans leur environnement régional ? La dimension stratégique des RUP, notamment dans la Caraïbe, est-elle aujourd'hui suffisamment prise en compte dans la diplomatie française ?
Mme Micheline Jacques, président. - Haïti est une plaque tournante du narcotrafic. Il en résulte, en Guadeloupe et en Martinique, une hausse inquiétante des meurtres et des actes violents. Quelles actions envisagez-vous de mener pour sécuriser ces territoires ?
La décision des États-Unis de suspendre le partage des données satellitaires pour la surveillance des cyclones crée un climat très anxiogène. Quels en seront les impacts ?
En ce qui concerne les sargasses, j'ai découvert qu'à la Barbade, un véhicule fonctionnant au gaz naturel compressé, créé à partir des eaux usées des distilleries et d'un biométhane à base de sargasses a été expérimenté par la start-up Rum & Sargassum, en partenariat avec The University of the West Indies. En 2019, les entreprises étaient réticentes à investir, car on ne savait pas si les arrivages de sargasses se poursuivraient. Or force est de constater que le phénomène s'amplifie. Au-delà des échanges culturels, que nous avons évoqués, la France ne devrait-elle pas encourager des échanges scientifiques avec ces territoires ?
Vous avez évoqué les normes européennes. Le bois du Brésil doit par exemple passer par Le Havre pour revenir en Guyane...Il est essentiel de les adapter, tout comme il me paraît essentiel de trouver des solutions de recyclage des batteries électriques dans l'environnement proche des territoires ultramarins. Les entreprises maritimes considèrent en effet qu'il est trop dangereux de faire traverser l'Atlantique aux batteries usagées - un cargo a récemment coulé dans le Pacifique après que des véhicules électriques chinois qu'il contenait ont pris feu.
Il convient enfin de préserver les territoires français et l'impact de la France dans la zone Caraïbe. La Barbade a signé un accord pour l'ouverture d'une ligne aérienne avec l'Hexagone. Il serait pourtant plus judicieux de développer des hubs en Guadeloupe et en Martinique, à l'image de l'aéroport Princesse Juliana dans la partie néerlandaise de Saint-Martin.
Nous attendons donc votre contribution écrite et nous restons à votre écoute. Je vous remercie pour cette audition très éclairante.
M. Arnaud Mentré. - Je reste à votre entière disposition pour répondre à toute question qui pourrait survenir dans le cadre de votre travail.
Nous avons peu évoqué Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Barthélemy et Saint-Martin. Ayant été sous-directeur d'Amérique du Nord à la direction des Amériques et des Caraïbes du Quai d'Orsay et consul général à Boston, j'aurai à coeur de faciliter autant que possible les relations de Saint-Pierre-et-Miquelon avec le Canada.
Saint-Barthélemy et Saint-Martin sont parvenus à s'imposer comme de véritables phares du tourisme caribéen. Il convient bien sûr de renforcer les relations avec les Pays-Bas, mais aussi avec les États-Unis, ce que ces collectivités font déjà très bien, en lien avec Atout France. En tout état de cause, je m'emploierai à les épauler, sur ces sujets comme sur d'autres.
Étude sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer - volet 2 : bassin océan Atlantique - Audition de S.E. M. Louino Volcy, ambassadeur d'Haïti en France, accompagné de M. Ricardo Lambert, responsable Communication de l'ambassade d'Haïti en France
Mme Micheline Jacques, président. - Chers collègues, après l'audition de l'ambassadeur chargé de la coopération régionale dans la zone Atlantique, nous recevons à présent Son Excellence M. Louino Volcy, ambassadeur d'Haïti en France, qui est accompagné de M. Ricardo Lambert, responsable de la communication à cette ambassade.
Nous vous remercions, monsieur l'ambassadeur, d'avoir répondu à l'invitation de la délégation sénatoriale aux outre-mer et de participer à cet échange.
Nous avions eu l'occasion d'évoquer l'histoire et la situation complexe de votre pays lors de la projection du film documentaire Haïti : la rançon de la liberté que j'ai organisée au Sénat le 25 mars dernier. Comme vous le savez, la crise haïtienne nous préoccupe particulièrement, car elle est facteur de déstabilisation pour toute la région.
Aujourd'hui, dans le cadre de notre étude sur la coopération régionale dans le bassin de l'océan Atlantique, nos deux rapporteures, Evelyne Corbière Naminzo, sénatrice de La Réunion, et Jacqueline Eustache-Brinio, sénatrice du Val d'Oise, que je remercie pour leur implication, et moi-même souhaitons vous entendre sur les relations franco-haïtiennes, en particulier sur les liens entre Haïti et les outre-mer français de la région - Saint-Martin, la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane.
Face aux problèmes de sécurité, notamment, quel est l'état de la coopération entre Haïti et la France, ainsi que les autres États de la région dans ce domaine ? Comment les territoires ultramarins peuvent-ils y contribuer ?
Nous savons que de nombreux ressortissants haïtiens vivent et travaillent dans les outre-mer français. Quelles en sont les conséquences régionales ?
Je laisserai nos rapporteures vous interroger sur ces différents sujets et bien d'autres, après votre exposé liminaire. Nos autres collègues vous poseront à leur tour les questions qu'ils souhaiteront.
M. Louino Volcy, ambassadeur d'Haïti en France. - Madame le président, c'est un honneur d'être auditionné par votre délégation. Je salue votre engagement en faveur de la cause haïtienne : outre la projection du documentaire en mars dernier que vous avez mentionnée, vous avez rappelé au ministre de l'intérieur Bruno Retailleau, il y a quelques semaines, que la France ne devait pas abandonner Haïti - j'ai d'ailleurs eu l'occasion de m'entretenir avec M. Retailleau à Lyon, lors d'une cérémonie de sortie de promotion dont faisait partie un policier haïtien. Votre déclaration, qui a été vivement appréciée, a été largement diffusée sur les réseaux sociaux en Haïti. Je me félicite, plus largement, de l'attention accordée par votre délégation à Haïti.
Vous m'avez demandé d'apporter mon éclairage sur les relations entre Haïti et la France, les collectivités françaises d'outre-mer et ses voisins.
Haïti entretient des liens d'amitié avec la France. Les visites du président du Conseil présidentiel de transition en France, en janvier 2025, en témoignent. M. Voltaire a eu l'occasion d'échanger avec le président de la République M. Emmanuel Macron, qui l'a reçu à l'Élysée, pendant plus d'une heure. En avril, en outre, le Président de la République a annoncé la création, de concert avec les autorités haïtiennes, d'une commission mixte d'historiens chargée d'étudier notamment la question de la dette de l'indépendance. Une cérémonie s'est également tenue à Port-au-Prince pour marquer le bicentenaire de la dette de l'indépendance. Sous réserve de confirmation et de l'aboutissement des démarches de visa, une délégation officielle composée de cinq ministres du gouvernement haïtien et de trois membres du Conseil présidentiel de transition se rendra en Guadeloupe le 18 juillet pour y rencontrer le préfet, le maire de Pointe-à-Pitre, et les présidents des conseils régional et départemental. La délégation empruntera le premier vol international depuis l'aéroport de les Cayes - la troisième ville du pays - à destination de Pointe-à-Pitre, qui préfigure l'établissement d'une liaison aérienne entre ces deux villes.
La coopération avec la France a une forte dimension sécuritaire, en lien avec l'actualité haïtienne depuis quelques années. Des formateurs du Raid (Recherche, assistance, intervention, dissuasion) interviennent auprès d'une unité spécialisée de la police nationale d'Haïti. La France a aussi récemment fait don d'équipements à la police nationale d'Haïti, ainsi que de blindés, il y a plusieurs années.
Désormais, la coopération s'ouvre aussi au domaine de la défense. Les forces armées aux Antilles (FAA) ont accueilli, à deux reprises, un contingent de vingt-cinq soldats haïtiens en formation en Martinique. Cependant, nous souhaiterions que la France nous aide à former des effectifs plus importants. Alors que la force armée haïtienne est en reconstruction depuis 2017, c'est la première fois qu'un pays occidental accepte d'accueillir nos soldats dans ce cadre.
À Paris, j'ai assisté à une réunion de travail avec la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) du ministère des armées. J'ai également été reçu par la direction de la coopération internationale de sécurité (DCIS) du ministère de l'intérieur, pour échanger sur la nécessité de renforcer les coopérations en matière de défense et de sécurité.
J'en viens à la situation actuelle en Haïti. Nous faisons face à une crise dont l'une des dimensions est humanitaire. À cet égard, la France a apporté son soutien, notamment au travers de financements octroyés à des agences onusiennes, comme le Programme alimentaire mondial (PAM), pour venir au secours de nombreux Haïtiens en situation d'insécurité alimentaire.
La France intervient aussi, à titre bilatéral, pour nous aider à faire avancer le dossier haïtien, qui est sur la table du Conseil de sécurité des Nations unies depuis bien longtemps. Cependant, au cours des cinq dernières années, de nombreuses actions ont été entreprises par le Conseil de sécurité pour aider Haïti à faire face à la crise. La France, en tant que membre permanent, a plaidé en faveur de l'envoi d'une force multinationale pour aider la police à maîtriser la situation en Haïti. En octobre prochain, le renouvellement du mandat de cette force multinationale pilotée par les Kényans - qui a néanmoins suscité une forme d'insatisfaction - devra être décidé par le Conseil.
Par ailleurs, le mandat du Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH) doit être renouvelé au cours du mois de juillet. Nous nous attendons au soutien de la France à ce titre.
Il en est de même pour la contribution française au fonds fiduciaire destiné à soutenir financièrement la force multinationale. La France a été le premier pays à abonder ce fonds : sa contribution s'élève aujourd'hui à plus de 9 millions d'euros. En outre, la France a oeuvré pour que l'Union européenne participe à l'alimentation de ce fonds, à hauteur de 10 millions d'euros.
L'Union européenne a aussi fait don de 20 millions d'euros en 2024 pour apporter une aide humanitaire à Haïti, la France ayant, à titre bilatéral, contribué à hauteur de 16 millions d'euros.
La coopération franco-haïtienne présente plusieurs volets. Sur le plan sécuritaire, on considère que la France, aux côtés des États-Unis et du Canada, fait partie des pays qui ont porté sur les fonts baptismaux le projet de création de la police nationale d'Haïti, en 1995. La France contribue depuis des années à la formation des différentes promotions de cette police.
Au-delà de la sécurité et de la défense, la France est aussi un partenaire d'Haïti en matière d'éducation et de culture.
Concernant l'éducation, plus de 4 700 étudiants haïtiens réalisent leurs études en France, en mobilité libre. Chaque année, la France octroie environ 500 visas étudiants à des Haïtiens, essentiellement dans le cadre de licences, de masters ou de doctorats. Cependant, là où le bât blesse, c'est que seule une quarantaine de bourses sont allouées à des étudiants haïtiens, au travers de deux programmes, l'un géré par l'ambassade de France à Port-au-Prince, l'autre financé par l'État haïtien par l'intermédiaire de la Banque de la République d'Haïti. Nous appelons donc à la création d'un programme ambitieux de bourses pour les jeunes Haïtiens qui pourraient être formés dans des domaines clés pour le relèvement national. La France gagnerait à faire d'Haïti une vitrine de ce qu'elle peut accomplir, notamment en matière de coopération universitaire.
Par ailleurs, il existe un réseau culturel français très important en Haïti, qui s'appuie notamment sur l'Institut français de Port-au-Prince, sur les alliances françaises établies dans cinq villes - Jacmel, Jérémie, Les Cayes, Gonaïves et Cap-Haïtien. Cette présence soutenue témoigne de l'importance des relations franco-haïtiennes dans le domaine culturel. De nombreux écrivains haïtiens ont également bénéficié de bourses pour des résidences littéraires en France. Toutefois, depuis 2020-2021, en raison de la situation dans le pays, ces programmes se sont interrompus.
Je conclus sur la coopération régionale, notamment avec les départements et collectivités d'outre-mer. Ces relations ont connu un certain dynamisme, en particulier après le tremblement de terre du 12 janvier 2010. Beaucoup de coopérations décentralisées ont été établies entre des communes haïtiennes et des collectivités françaises, notamment avec le conseil régional de la Guadeloupe, le conseil régional de Guyane, Pointe-à-Pitre, Cap Excellence ou d'autres villes des Caraïbes.
Ces coopérations ont porté sur des domaines tels que la gouvernance locale, la formation des agents techniques, l'appui budgétaire ou l'environnement. Toutefois, en raison de la crise, un grand nombre de ces programmes ont été interrompus. Aussi, lorsque la situation se sera stabilisée, j'espère que les coopérations avec les collectivités de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Guyane ou même de Saint-Barthélemy pourront reprendre.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - Merci, monsieur l'ambassadeur. Nous connaissons fort bien, hélas, les difficultés auxquelles est confronté Haïti, l'image actuelle du pays nous peinant beaucoup. Des élections sont-elles prévues afin de permettre au pays de retrouver de la stabilité ?
La France apporte son aide en contribuant à la formation des policiers et en fournissant des équipements afin de tenter de préserver un minimum de sécurité, la principale conséquence des événements actuels étant une crise humanitaire. Nous souhaitons vraiment que les liens qui unissent nos deux pays soient maintenus, même si la situation géopolitique ne nous aide pas.
De manière concrète, quels pourraient être les liens entre Haïti et les outre-mer de cette région, c'est-à-dire Saint-Martin, la Guyane, la Martinique et la Guadeloupe ? Un certain nombre de vos compatriotes y résident déjà, et nous pourrions réfléchir collectivement à des actions de coopération, de manière à favoriser le développement de votre pays.
Mme Evelyne Corbière Naminzo, rapporteure. - Pourriez-vous nous en dire plus sur les ressortissants haïtiens qui vivent et travaillent dans les territoires ultramarins ? Apportent-ils une plus-value à leur pays d'origine ?
De la même manière, comment le retour des étudiants haïtiens accueillis dans l'Hexagone se passe-t-il ? Si les bourses sont en nombre insuffisant, le programme a le mérite d'exister. En tant qu'élue ultramarine, je suis attachée à ce que les jeunes puissent revenir chez eux une fois leurs études terminées : comment appréhendez-vous cet aspect pour l'avenir, une fois que la crise sera terminée ?
M. Louino Volcy. - Madame Eustache-Brinio, la crise haïtienne est multidimensionnelle, le drame humanitaire n'en étant que l'une des facettes. De fait, la crise actuelle revêt une triple dimension, à la fois nationale, transnationale et internationale.
Sur le plan national, tout d'abord, nous venons de commémorer - le 7 juillet - l'assassinat du dernier président haïtien élu, assassinat survenu il y a quatre ans. Cet événement a poussé la crise à son paroxysme en accélérant l'effondrement des institutions.
Depuis 2021, les autorités de transition se sont succédé en cascade. Le premier objectif de la transition consiste à rétablir la sécurité et à libérer certaines zones de l'emprise des gangs, afin de créer les conditions de l'organisation d'élections, le dernier scrutin ayant eu lieu en 2016, soit il y a bientôt une décennie.
La résorption de la crise sécuritaire constitue donc un impératif pour les autorités de transition, dans l'optique d'organiser ensuite un référendum qui permettrait au pays de se doter d'une nouvelle Constitution. Le texte actuel comporte en effet des éléments de blocage et nous souhaiterions faire de cette transition un moment de refondation institutionnelle. La troisième composante, enfin, correspond à l'organisation d'élections générales dans le pays.
La prochaine échéance est fixée au 7 février 2026 - date de fin du conseil présidentiel de transition -, ce qui m'amène à faire le point sur les avancées enregistrées jusqu'à présent. Le gouvernement de transition a d'ores et déjà mis en place un comité chargé d'élaborer une nouvelle Constitution, un projet de nouveau texte ayant déjà été publié ; les élections et le référendum devraient se tenir en novembre prochain, de manière à ce que le président élu puisse prendre les rênes du pouvoir dès le 7 février.
Précisons, néanmoins, que le respect de cette échéance a été subordonné au rétablissement de la sécurité : c'est pourquoi le Conseil de sécurité de l'ONU a décidé de faire intervenir une force multinationale, tandis que le gouvernement a massivement investi dans le renforcement des capacités opérationnelles de la police haïtienne.
En dépit du déploiement de soldats de la force multinationale, qui compte près d'un millier de soldats et policiers, les zones contrôlées par les gangs se sont étendues : Mirebalais est récemment tombée dans leur escarcelle, tandis que la pression s'accentue sur Lascahobas. Nous n'avons même pas réussi, depuis le lancement de ce combat contre les gangs armés il y a quatre ans, à tuer un de leurs chefs.
Une autre solution consisterait à organiser des élections partielles là où c'est possible, la crise de sécurité étant concentrée dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince et ses environs. Le blocage des routes constitue l'un des aspects les plus critiques de cette crise, car le pays est désormais divisé en plusieurs parties. De surcroît, et alors que la voie maritime était utilisée pour continuer à transporter les produits agricoles vers Port-au-Prince, les gangs armés y ont développé la piraterie : ils ont récemment attaqué un bateau de fortune dont plusieurs occupants se sont noyés en cherchant à éviter les balles.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - C'est terrifiant !
M. Louino Volcy. - Oui, d'autant plus que certains territoires, qui font office de greniers agricoles du pays, ne peuvent plus approvisionner la capitale.
Les élections doivent se tenir, mais à la condition qu'une sécurité minimale soit garantie. La solution d'un scrutin limité à une partie du territoire risque de mécontenter l'opposition, ainsi que la communauté internationale.
J'en viens aux outre-mer, avec lesquels Haïti entretient une relation étroite de longue date : d'après la maire de Cayenne, plus de 100 000 ressortissants haïtiens sont présents en Guyane, par exemple. De manière générale, il est difficile pour un Haïtien de quitter le territoire à l'heure actuelle, en raison de l'absence de liaison aérienne opérationnelle, puisque les gangs ont également réussi à faire fermer l'aéroport international de Port-au-Prince.
Dans ce contexte, d'autres villes pourraient se développer : tel est le cas de Cap-Haïtien, la deuxième ville du pays, qui s'érige en capitale de fait en accueillant les visiteurs étrangers. De la même manière, une nouvelle liaison aérienne permettra de relier la ville de les Cayes à la Guadeloupe, ce qui favorisera l'essor des relations commerciales.
Plus globalement, nous gagnerions à relancer les coopérations « dormantes », entre les communes par exemple. La délégation sénatoriale peut d'ailleurs inciter les municipalités et collectivités à maintenir un minimum de lien avec les collectivités haïtiennes qui en ont besoin dans le contexte actuel.
Je souhaiterais faire une demande à la délégation. Étant donné le contexte géopolitique actuel, la question haïtienne est occultée. La délégation pourrait-elle faire une demande officielle au Gouvernement pour que Paris organise une conférence internationale sur Haïti ? Paris l'a fait pour la Syrie et pour le Soudan. Un tel événement diplomatico-politique susciterait un intérêt renouvelé pour Haïti.
Mme Annick Petrus. - Excellence, je souhaite, au nom de tous les Saint-Martinois, témoigner notre solidarité au peuple haïtien. Cette crise systémique affecte profondément l'ensemble de la région, y compris les territoires français les plus proches.
La communauté haïtienne fait partie intégrante de l'île de Saint-Martin, de notre vie sociale, de notre économie et de notre quotidien. Elle contribue activement à la richesse et à la diversité de notre territoire. Nous ne parlons pas de population étrangère, mais bien de voisins, de collègues, d'amis et de famille.
Nous devons bâtir ensemble des réponses coordonnées, ancrées dans la réalité du terrain. Quelles sont vos attentes précises en matière de coopération vis-à-vis de la France et de ses territoires d'outre-mer, qu'elles soient humanitaires, sanitaires, éducatives ou sécuritaires ?
Sans institutions fonctionnelles, sans justice ni sécurité, aucune reconstruction durable n'est possible. Que prévoit votre gouvernement pour renforcer l'État et la gouvernance ? Comment pouvons-nous accompagner ce redressement ?
Face aux défis, la réponse ne peut être uniquement bilatérale. Une coordination régionale avec les pays voisins est indispensable. Y a-t-il une volonté politique de relancer ce dialogue régional ? Je pense à la Communauté des Caraïbes (Caricom) ou à d'autres enceintes. Comment la France et ses collectivités d'outre-mer peuvent-elles être associées ?
Haïti, pays frère, ne peut être abandonné. Nos territoires au plus près de sa détresse veulent agir pour construire des ponts, et non des murs.
Mme Micheline Jacques, président. - La diaspora haïtienne est très active. Quel est le rôle des associations ? L'association franco-haïtienne Haïti Futur réalise un travail important en matière de scolarisation des enfants et de lutte contre l'illettrisme.
La diaspora contribue à un développement limité, mais foisonnant. Les initiatives locales sont nombreuses, le potentiel et la volonté sont immenses. Il est dommage que les gangs gangrènent cette dynamique.
La diaspora américaine, très importante, contribue financièrement au développement économique du pays. Or Trump a annoncé l'expulsion de 520 000 Haïtiens en septembre. Quelles sont les réactions au sein de la population ?
M. Louino Volcy. - De nombreux étudiants haïtiens souhaiteraient rentrer au pays. Une première limite, matérielle, est l'impossibilité d'atterrir à Port-au-Prince. S'ils trouvent un emploi, ces jeunes transiteront via la Guadeloupe ou Saint-Martin pour rejoindre Cap-Haïtien.
Tous les Haïtiens sont affectés par la crise. Tous ont des proches qui sont kidnappés, tués ou violés. L'ambassade et le consulat sont à leur disposition et les accompagnent dès qu'ils ont besoin de documents administratifs. Même à distance, nos ressortissants restent très actifs. Ils envoient des fonds, mais travaillent aussi à des projets de développement local. Haïti Futur n'est qu'un exemple parmi d'autres. La communauté haïtienne en France et en outre-mer est très courageuse et dynamique.
En matière de coopération, notre priorité est la sécurité. Nous souhaiterions que la France puisse nous aider à former plus de policiers et de soldats. Le nombre de forces de l'ordre disponibles par rapport à la population est totalement en deçà de la norme internationale. En matière d'armement, le déséquilibre avec les gangs est patent. Les policiers manquent de munitions face à des gangs bien ravitaillés - selon les Nations Unies, 90 % de ces armes viennent d'Amérique du Nord. Haïti et les outre-mer doivent travailler ensemble pour lutter contre la criminalité transnationale.
Envoyer des agents du Raid est certes très efficace, mais il faut avant tout que la France nous aide à former massivement plus de policiers et de soldats. Nous aurions besoin d'une marine professionnelle pour surveiller les côtes, notamment pour éviter le trafic d'armes et de munitions, alors que 600 000 armes circulent de manière illégale dans le pays selon les Nations Unies.
Bref, nous souhaiterions un renforcement de la coopération avec la France dans le domaine sécuritaire et de défense. Il nous faut du concret avant tout, à savoir comment passer, par exemple, de 1 500 à 5 000 soldats opérationnels en trois ou cinq ans. Nous devrions aussi instaurer une police municipale.
Il existe bien une volonté de coopérer avec les organisations internationales. Haïti est membre de la Caricom, qui a repris les échanges avec les acteurs haïtiens pour faciliter le dialogue interhaïtien, rétabli depuis le 1er juillet. La Caricom joue un rôle de médiateur, car la crise, multiple, est aussi politique, et tout part de là.
La crise est sécuritaire, mais aussi humanitaire et économique. La pauvreté grandit. Certains n'arrivent même pas à faire transiter leurs productions agricoles. Une paupérisation silencieuse sévit dans les régions reculées du pays, conséquence de cette crise sécuritaire et de l'action des gangs armés en lien avec les cartels.
Les expulsions décidées par les États-Unis sont un sujet de préoccupation. Nous essayons de poursuivre le dialogue diplomatique, mais l'immigration relève de la souveraineté des pays. Nous demandons que nos ressortissants soient traités humainement, mais nous ne pouvons mener d'action en justice contre les décisions américaines.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Aux Américains de prendre leurs responsabilités.
Mme Micheline Jacques, président. - Cette audition n'est qu'un début. Vous pourrez compter sur la France ; le ministre de l'intérieur Bruno Retailleau a dit que la France était amie d'Haïti. La France a réellement la volonté de vous accompagner. Nous espérons aller plus loin, car la sécurité est la pièce maîtresse du développement d'Haïti.
Quand je vois l'énergie de la diaspora, je ne doute pas que ce pays pourra se développer comme il le mérite.