AFP - 24 septembre 07:24 - Pierre Mauroy, Charles Pasqua, regards croisés de grands sénateurs sortants
PARIS : Opposés sur l'échiquier politique, Pierre Mauroy (PS), 83 ans, et Charles Pasqua (app UMP), 84 ans, mettent chacun un point final à 20 ans de carrière sénatoriale.
Considérations croisées de ces piliers de la vie publique, rencontrés séparément.
Question: Quel est le souvenir le plus fort de votre carrière de sénateur ?
Pierre Mauroy: "C'est lorsque j'ai été élu président de l'Internationale socialiste (en 1992, ndlr), j'étais à la commission des affaires étrangères. Je pouvais donc parler de ce que j'apprenais au niveau des Etats membres de l'Internationale. Ca m'a donné une importance accrue".
Charles Pasqua: "C'est le débat sur l'enseignement libre. Après le refus de nos amendements, j'ai proposé que le Sénat vote une résolution demandant à ce que les Français soient consultés par référendum. J'ai été mandaté pour être le porte-parole de la majorité sénatoriale, donc chargé d'affronter Badinter (autre sénateur sortant qui ne se représente pas, ndlr). Ca a été un débat homérique et qui s'est terminé par une sorte de déroute du gouvernement (...) à l'issue de quoi Pierre Mauroy (Premier ministre de François Mitterrand) a considéré qu'il était désavoué et il a démissionné. C'est la première fois dans l'histoire de la Ve République que le gouvernement est renversé par le Sénat".
Question: Comment décrire le Sénat aux Français qui le connaissent mal ?
Pierre Mauroy: "C'est une chambre qui n'est pas représentative du peuple français mais des collectivités territoriales suite à un mode de scrutin tout à fait particulier et qui n'est pas démocratique. Mais les sénateurs, c'est bien connu, apportent un zèle particulier de travail, de connaissance. L'Assemblée nationale est plus brouillonne, elle est plus politique, les autres sont au contraire assidus et par conséquent améliorent incontestablement les textes. Les sénateurs sont de redoutables spécialistes, le Sénat est une chambre presque savante mais orientée à droite, capable d'être très conservatrice et quelque part réactionnaire".
Charles Pasqua: "Il y a deux assemblées chargées de faire les lois, j'ai appartenu aux deux, je peux les juger. Les murs y sécrètent une ambiance.A l'Assemblée nationale, ce sont les poignards. C'est l'affrontement, les échanges violents, l'Assemblée fait souvent un travail à la va-vite. Le Sénat c'est l'inverse. Ici, c'est plutôt le poison, c'est-à-dire ici on a le temps, c'est à la mort lente. C'est une assemblée dont le rôle principal, capital, est un rôle d'équilibre des institutions: à côté des emballements de l'Assemblée, il y a la réflexion et la réserve du Sénat".
Question: Qu'est-ce qui vous manquera le plus ?
Pierre Mauroy: "Depuis 40 ans je suis un élu du peuple, j'ai fait tous les degrés de la République, sauf président. Ce qui va me manquer, c'est d'être un représentant, d'être toujours entre les citoyens et les assemblées. Tout d'un coup, ne plus avoir ce va-et-vient. Enfin pendant toutes ces années où j'ai vécu dans l'espérance d'un Sénat qui deviendrait majoritaire à gauche, finalement, j'ai pris des années et comme tout le monde, vieilli. J'ai 83 ans passé, donc j'arrête. Avec quelques-uns de mes amis, comme Badinter. Il faut savoir s'arrêter".
Charles Pasqua: "J'ai un tempérament qui ne me porte pas à regretter ce qui se termine. Mais je regrette -- ce n'est pas la faute du Sénat mais celle du gouvernement qui a succédé à celui d'Edouard Balladur dans lequel j'étais (celui d'Alain Juppé sous Chirac en 1995, ndlr) -- que le Sénat n'ait pas pu aller jusqu'au bout de la démarche que nous avions initiée et qui consistait à ressusciter les principes de l'aménagement du territoire, c'est-à-dire ne pas laisser la France se développer n'importe comment".
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