SECTIONNEMENT ÉLECTORAL (suite)
M. Baragnon. Non ! il n’est pas mon œuvre. Si j’étais obligé d’aller calquer partout le plan des sectionnements, cela rendrait mes devoirs de sénateur assez pénibles à remplir, il est l’œuvre d’un homme des plus honorables, en qui j’ai pleine confiance et qui mérite aussi celle du Sénat. Dans tous les cas, je m’associe à son œuvre. Du reste, voyez-vous, y eût-il une contestation de détail, un détail de plus ou de moins, dans la circonstance, n’a pas de portée.
On n’imagine pas, on n’invente pas un pareil sectionnement, quand il n’existe pas ! Savez-vous à quoi il ressemble ?
Si M. Victor Hugo, notre illustre collègue était là, il l’appellerait d’un nom souvent répété dans un de ses livres, le plus intéressant, c’est une pieuvre. (Hilarité sur un grand nombre de bancs.) Seulement, cette pieuvre n’enserre pas dans ses tentacules un homme, elle enserre le suffrage universel, la vraie majorité de la commune, le droit et la liberté municipale des habitants de Barbantane. (Très bien ! très bien ! sur les mêmes bancs.)
Eh bien, cette commune, mon article additionnel la délivre ! Elle ne contient pas d’agglomération distincte et séparée. Je sais bien que mon honorable contradicteur l’a nié ; mais la loi parle et le fait est d’accord avec elle. Sous peine de faire une élection nulle, les inventeurs du sectionnement de Barbantane n’échappent pas au scrutin de liste.
Seulement, ce ne sera pas le conseil général des Bouches-du-Rhône, ce sera le ministre qui convoquera les électeurs, et comme je ne doute pas de sa loyauté, de sa sincérité, de son désir d’appliquer la loi, la pieuvre de Barbantane n’aura même pas l’occasion de fonctionner. (Nouveaux rires.)
(...) Avec le sectionnement que je vous ai montré, le conseil municipal se composerait de vingt et un membres. La partie rouge, que vous connaissez, la pieuvre, nommerait douze conseillers partisans de ceux qui ont fait le sectionnement, les autres sections ensembles n’en nommeraient que neuf.
(...) Et de la sorte on verrait, si nous n’y mettions bon ordre, une majorité de 520 électeurs dans l’ensemble de la commune représentée par 9 conseillers, tandis qu’une minorité de 270 en aurait 12. Et l’opération aurait réussi !
Messieurs, c’est comme cela à Barbantane. C’est comme cela plus ou moins partout, et je pourrais vous montrer des sectionnements fabuleux. Voilà deux communes de l’Hérault, sectionnées en 1881, car enfin il faut que vous connaissiez ce qui se passe dans les départements.
(L’orateur montre deux cartes de sectionnement - Hilarité.)
Ici, on n’a pas cherché le sectionnement territorial des grandes routes, mais on a été de maison en maison.
Je sais un village où se trouvait une fois un électeur logé dans une écurie et un autre dans une chambre de la même maison, eh bien, on prit comme ligne de démarcation le mur qui sépare la chambre de l’écurie.
M. Buffet. C’est scandaleux !
M. Baragnon. Il faut que cela finisse dans l’intérêt de notre dignité et même dans l’intérêt aussi de la République...
M. Baragnon. C’est un véritable trait de génie : je n’ai pas besoin de vous dire que le plan que je produis a été calqué...
M. Barne. Il a été fait et signé par qui ?
M. Baragnon. Ce plan est adopté par le conseil général. Quant à sa copie, j’affirme sa sincérité.
M. Barne. Ce n’est pas vous qui l’avez fait ; je lui dénie toute autorité ; il ne porte pas de signature. (Rumeurs à droite.)
M. Baragnon. Vous comprenez que, quand un sénateur vient produire un document sous sa responsabilité, il sait ce qu’il fait. J’en prends la responsabilité et je le produis devant le Sénat dans les conditions que voici :
Chacun des exemplaires que vous avez entre les mains est la copie d’un plan calqué sur le plan officiel déposé à la préfecture. On a eu beaucoup de peine à l’obtenir. Il a fallu menacer un employé considérable, peut-être même le secrétaire général, de l’huissier pour obtenir la permission de calquer le plan ; c’est sur cette menace qu’on a pu le calquer.
M. Barne. On n’écoute pas ces choses-là.
M. Baragnon. Nous aurions voulu y faire apposer une signature, y faire mettre les mots : " certifié conforme ", mais vous comprendrez qu’on trouve difficilement un huissier pour tenir la main du fonctionnaire et lui faire apposer une signature. (Approbation.)
On n’a donc pu que calquer le plan et quant à la conformité, c’est sur notre parole qu’il faut nous croire. (Très bien ! très bien ! à droite.)
M. Barne. S’il est votre œuvre, je l’accepte.