L’actuelle salle de lecture de la bibliothèque résulte des travaux d’agrandissement du Palais du Luxembourg décidés sous la Monarchie de Juillet et réalisés par l’architecte Alphonse de Gisors, qui crée un nouvel hémicycle de 300 places et une bibliothèque en avançant la façade sud de 31 mètres sur le jardin. À partir de 1841, la bibliothèque déménage dans une galerie longue de 65 mètres, large de 7 mètres et haute de 7,50 mètres, voisine de la Salle des séances et donnant sur le jardin.

La décoration de la coupole (7 mètres de diamètre et 3,50 mètres de haut) et du cul-de-four situé au-dessus de la fenêtre centrale est confiée au peintre romantique Eugène Delacroix (1798-1863), qui consacrera six années à ce chantier qui ne sera achevé qu'en 1846.

La coupole - Eugène Delacroix © Photographes du Sénat
1840-1846
Eugène Delacroix
1840-1846
Eugène Delacroix
1840-1846
Eugène Delacroix

Médaille à l'effigie d'Eugène Delacroix ©Archives du Sénat/Cote 2M 1568
Le père d'Eugène Delacroix fut secrétaire de Turgot, député sous la Convention, vota la mort de Louis XVI, puis fut ministre des relations extérieures (avant Talleyrand), ambassadeur et enfin préfet. Mais il décède quand Eugène a 7 ans. Sa mère Victoire Oeben est la fille de l’ébéniste de Louis XV et est apparentée aux Riesener. Elle meurt en 1814 en les laissant dans le dénuement.

Des rumeurs non confirmées attribuent sa paternité à Talleyrand, qui a été un des protecteurs de l’artiste. Il aurait facilité l’achat des Massacres de Chios et son petit-fils adultérin, le duc de Morny, président du corps législatif et demi-frère de Napoléon III, a fait de Delacroix le peintre officiel du Second Empire.

Delacroix bénéficie également de l’appui d’Adolphe Thiers, considéré comme le fils adoptif de Talleyrand. Alors qu’il n’est encore qu’un jeune journaliste, il écrit à propos de la première œuvre importante que Delacroix expose à 24 ans au salon de 1822, la Barque de Dante, et qui reçoit un accueil glacial, que « M. Delacroix a reçu le génie ». Adolphe Thiers va l’aider tout au long de sa longue et fructueuse carrière auprès de Louis-Philippe sous la monarchie de Juillet (1830-1848). Il profite de ses fonctions de ministre de l’intérieur, ministre des travaux publics, président du Conseil, pour lui assurer la commande du salon du Roi puis des bibliothèques de l’Assemblée nationale et du Sénat.

Sa carrière dépend du mécénat officiel et il fréquente tous les cercles politiques. Son génie est reconnu tardivement par les milieux officiels de la peinture : il est refusé au Prix de Rome dans sa jeunesse et n’est élu qu’en 1857 à l’Institut après sept échecs (opposition d’Ingres, de 18 ans son aîné). Paradoxe : parce qu’il a peint La liberté guidant le Peuple, on imagine un révolutionnaire, alors que Delacroix aimait l’ordre (s’est opposé à la révolution de 1848).

LA COUPOLE

La composition de Delacroix est inspirée du IVème chant de l’Enfer de Dante (La divine Comédie XIVème siècle).
Dante, guidé par Virgile, est reçu à son arrivée dans le premier cercle de l’Enfer par Homère.
Il s’agit d’une sorte d’Élysée pour les grands hommes qui n’ont pas connu la grâce du baptême et ne peuvent donc accéder au Paradis. « Leur renommée leur a valu une distinction si précieuse » : cartouche élevé par deux enfants ailés. Légende portée par un aigle : « je vis l’illustre compagnie du poète souverain, qui plane comme l’aigle au-dessus de tous les poètes ».

Elle est répartie en quatre scènes dont la principale s'organise autour d'Homère, accompagné d'Ovide, Stace et Horace.
Deux autres groupes sont composés des Grecs et des Romains illustres. Un dernier groupe côté fenêtre réunit des poètes, dont Orphée et Sapho.

Descriptif des quatre groupes :

  • Homère et les poètes
    Homère, le plus célèbre poète grec (VIIIème siècle av. JC, auteur de l’Iliade et de l’Odyssée), aveugle appuyé sur un bâton, est accompagné des poètes latins Ovide, Stace et Horace (Dante  dans  le  quatrième  chant  parle  de  Lucain et non de Stace, mais il est vrai que ce dernier étant l’auteur  de  l’Achilleïde,  son  nom  pouvait  servir  de  transition  avec  le  groupe  suivant).
    Il  accueille  Dante (en robe rouge),  qui  lui  est  amené  par  Virgile (en robe noire). 
    Une source divine sort de terre sous ses pieds, et l’eau de cet Hippocrène est recueillie par un jeune enfant, qui semble l’offrir dans une coupe  d’or  au  Florentin,  le  dernier  introduit  dans  cette  compagnie  illustre. Sur l’un des côtés et en avant, Achille, assis près de son bouclier et rapproché du groupe que domine l’auteur de l’Iliade ; de l’autre, Pyrrhus, revêtu de ses armes, et Annibal ; ce dernier debout, les regards tournés vers la partie du tableau où l’on voit les Romains

  • Le groupe des Grecs illustres
    À gauche de la porte d’entrée, le groupe des Grecs illustres :
    • Achille et son bouclier (héros légendaire de la guerre de Troie, fils de roi et de Thétis, une nymphe marine. Sa mère le plonge dans le Styx, un fleuve des Enfers, pour le rendre invulnérable. Éduqué par le centaure Chiron (arts de la guerre, médecine). Caché par sa mère, qui veut l'empêcher de participer à la guerre de Troie, il est découvert par Ulysse. 10 ans plus tard, le rapt par Agamemnon d’une de ses captives le pousse à quitter le combat (« colère d'Achille » début de l'Iliade). Revient après la mort de son amant Patrocle pour tuer Hector, le meilleur des Troyens, et meurt atteint au talon, seul endroit non immergé dans le Styx, par une flèche de Pâris guidée par Apollon)
    • Alexandre le Grand (IVème siècle av. JC. Fils du roi Philippe II de Macédoine. Élève d’Aristote. Tranche le nœud gordien (le dénouer permettrait d’acquérir l’empire de l’Asie). La victoire de Gaugamèles près d’Arbèles (actuelle ville d’Erbil au Kurdistan irakien) contre Darius III lui permet de conquérir l’empire perse achéménide. Brule Persépolis mais préserve Babylone. Proclamé pharaon à Memphis- Arrivé à l’Indus, ses troupes le contraignent à rentrer. Meurt à 32 ans à Babylone).
    • appuyé sur son maître Aristote (fils du médecin du grand-père d’Alexandre, disciple de Platon à L’Académie. Fonde le Lycée à Athènes. S’éloigne de son élève Alexandre quand il fait tuer son neveu).
    • se tournant vers le peintre Apelle assis (peintre grec contemporain d’Alexandre le Grand).
    • Aspasie (en blanc, George Sand), maîtresse de Périclès dont elle a un fils - Vème siècle av. JC ; hétaïre, gère une maison close. grande influence sur les politiques et les philosophes, Sophocle, Socrate ; enseigne l’art oratoire et politique – rhétoricienne. métèque
    • Hannibal (debout) (IIIème siècle av. JC. Carthage actuelle Tunisie. Après la première guerre punique, Rome conquiert la Sicile et la Sardaigne. Pour compenser, son père Hamilcar Barca conquiert le sud de l’Hispanie et ses mines d’argent et lui fait promettre de rester à jamais l’ennemi de Rome. Deuxième guerre punique à propos de l’Hispanie. Hannibal franchit les Pyrénées et les Alpes (-218) pour attaquer Rome avec ses éléphants alors que les Romains voulaient combattre en Hispanie. S’adjoint des Gaulois et des Ligures. Embuscade sur les rives du lac Trasimène, anéantissement de l’armée romaine à Cannes ; 15 ans de combats en Italie. Mais tout change au profit des Romains grâce à Scipion l’Africain – Défaite de Carthage (à Zama en 202 av. JC). Hannibal doit renoncer à son armée et s’exile)
    • Pyrrhus (assis) (IIIème siècle av. JC. Fils du roi d’Épire a grandi en exil. intervient en Grande-Grèce, sud de l’Italie, à la demande des villes grecques menacées par Rome puis en Sicile contre les Carthaginois. Victoire sur les Romains à la bataille d’Ausculum au prix de très fortes pertes en hommes (à l’origine de l’expression).
    • Platon (philosophe athénien des Vème et IVème siècles av. JC. Disciple de Socrate, il fonde l’Académie à Athènes (qui subsistera 900 ans) et y enseigne pendant 40 ans (disciples : Aristote, Démosthène…). Il écrit La République, La Politique et Les Lois. Mythe des marionnettes : l’homme n’est pas guidé par la Raison, mais par le plaisir, la douleur, la crainte. La politique doit éduquer l’âme pour réaliser son bien par les lois conçues comme un discours rationnel. La meilleure constitution pour une cité est l’aristocratie et non la démocratie fondée sur l’égalité)
    • Alcibiade coiffé d’un casque (orateur et général athénien du Vème siècle av. JC. Issu d’une grande famille, très beau, disciple de Socrate adopté par Périclès. Durant la Guerre du Péloponnèse de 30 ans qui oppose Athènes et ses alliés de la ligue de Délos à Sparte et sa ligue du Péloponnèse, change de camp). 
    • entourent Socrate à qui un génie ailé présente une palme (philosophe grec du Vème siècle av. JC, considéré comme l’un des inventeurs de la philosophie morale et politique. Il n’a laissé aucun écrit mais ses disciples Platon et Xénophon ont transmis sa mémoire. L’ironie socratique et la réfutation consistent à prétendre ne rien savoir pour faire reconnaître à ses interlocuteurs leur ignorance. Au contraire, la maïeutique doit accoucher les âmes (cf fils d’une sage-femme) pour montrer à celui qui se croit ignorant qu’il est en réalité savant. pas d’école, discute dans la rue, mais des questionnements. Au terme d’un procès pour impiété et corruption de la jeunesse, il est condamné à boire la ciguë).
    • Dans l’ombre Xénophon couronné de fleurs (élève de Socrate, il se prononce contre la démocratie et pour l’oligarchie… Mercenaire auprès du perse Cyrus qui se soulève contre son frère, il dirige la retraite des Dix mille (Anabase) qui montre que des Grecs peuvent traverser l’empire achéménide, ouvrant la voie à Alexandre. Combat ensuite pour Sparte (car banni par Athènes alliée de la Perse). A écrit sur la philosophie politique et l’art du commandement)
    • est tourné vers Démosthène qui tient un rouleau sur ses genoux (Athénien du IVème siècle av. JC, plus grand orateur grec malgré ses problèmes d’élocution -s’entraîne avec des cailloux dans la bouche. Il dénonce dans les Philippiques les visées hégémoniques de Philippe II de Macédoine, ainsi que les tergiversations des Athéniens du fait du système démocratique. Exilé car accusé d’avoir détourné de l’argent, il se suicide)

  • Le groupe des Romains :
    • Caton d’Utique tient à sa main le traité de Platon sur l'immortalité de l'âme (Phédon) qu’il a lu avant de se suicider (opposé à Jules César se prononce pour Pompée pendant la guerre civile et, après sa défaite, ne voulant pas « survivre à la liberté », se perce de son épée à Utique en Tunisie)
    • César (Ier siècle av. JC. Il repousse les frontières romaines jusqu’au Rhin et à l’océan atlantique en conquérant la Gaule, après quoi franchit en 49 av. J.-C le Rubicon (frontière fluviale entre la Gaule et l’Italie) en armes, ce qui provoque la guerre civile avec Pompée (son ex-gendre). Instaure un protectorat sur l’Égypte avec Cléopâtre. Nommé dictateur à vie, il est assassiné par une conspiration de sénateurs (Brutus - Ides de mars le 15 mars 44 av. JC). Son fils adoptif Octave, vainqueur de Marc Antoine, devient le premier empereur –Auguste- et précipite la fin de la République)
    • Porcia montre un vase de charbons ardents instruments de sa mort (fille de Caton d'Utique et femme de Brutus (son cousin). Informée par Brutus du complot prévu contre César en 44 av. JC après qu’elle s’est blessée à la cuisse avec un couteau pour lui prouver qu’elle pouvait endurer la douleur. Se suicide en apprenant sa mort, selon les anciens en avalant des charbons ardents, selon les modernes en s’intoxiquant au monoxyde de carbone en brûlant du charbon)
    • assise auprès de Marc-Aurèle (IIème siècle ap. JC. Stoïcien et empereur romain. Sa mort correspond à la fin de la Pax romana (guerres contre les Parthes, barbares des régions danubiennes). Dans ses « Pensées pour moi-même », s’interroge sur la finalité du pouvoir. Crée 4 chaires d’enseignement pour les grandes écoles philosophiques : l’Académie platonicienne, le Lycée aristotélicien, le Jardin épicurien et le Portique stoïcien. Persécute les Chrétiens)
    • À gauche Trajan (empereur romain du Ier siècle ap. JC. Premier empereur issu d’une colonie (Espagne). «  le meilleur des empereurs romains ». Sous son règne, l’empire romain connait sa plus grande extension avec les conquêtes éphémères de l’Arménie et de la Mésopotamie, du royaume nabatéen de Pétra, et plus pérennes de la riche Dacie. Mais à sa mort économie précaire (grands travaux : marchés de Trajan, colonne Trajane, thermes et forum ; institution des alimenta pour les enfants pauvres). Son fils adoptif et petit-neveu Hadrien lui succède)
    • Cicéron (Ier siècle av. JC, avocat et consul. Dans la République en crise, il déjoue la conjuration de Catilina par ses seuls discours, les Catilinaires. Durant la guerre civile, il rallie Pompée contre César avec hésitation puis est forcé de s’accommoder du pouvoir de César avant de s’allier à Octave contre Marc Antoine. Assassiné)
    • Cincinnatus sur sa bêche (Vème siècle av. JC, homme politique romain, héros du premier siècle de la République, modèle de vertu et d’humilité. Ruiné par la condamnation de son fils qui s’était élevé contre les tribuns de la plèbe qui voulaient limiter les pouvoirs des consuls, il se retire sur ses terres. Rome étant menacée, les sénateurs le supplient d’accepter la dictature alors qu’il était en train de labourer, ce qu’il fait, défaisant les Èques puis abdiquant 16 jours plus tard. 20 ans plus tard il est de nouveau nommé dictateur pour mater une révolte de la plèbe, avant d’abdiquer de nouveau. Sa restitution du pouvoir dès la fin de la crise devient un exemple)

  • Le groupe des poètes
    Un autre ensemble de poètes côté fenêtre réunit :
    • Orphée (Héros grec, fils de roi et d’une muse Calliope. Poète et musicien, il part avec Jason à bord du navire Argo pour retrouver la Toison d'or. va chercher sa femme Eurydice aux Enfers -joue de la lyre pour endormir Cerbère- mais la perd car se retourne) assis avec sa lyre,
    • Hésiode (Poète grec du VIIIème siècle av. JC. Égal d’Homère. Connu pour La Théogonie, qui retrace la généalogie des Dieux grecs Ouranos, Chronos et Zeus, ainsi que pour l’histoire de Prométhée et de Pandore), couché à côté de lui
    • Sappho (Poétesse grecque du VIIème siècle av. JC qui a vécu à Lesbos, connue pour sa poésie amoureuse) qui leur présente des tablettes, une panthère à ses pieds ;

Les historiens de l’art ont reconnu parmi ces personnages certains proches de Delacroix :

  • pour Dante : Frédéric Chopin, un grand ami de Delacroix, lui-même musicien (piano et violon), en raison de sa ressemblance avec un dessin du Louvre le représentant ;
  • pour Aspasie : George Sand, chez qui Delacroix fera de fréquents séjours à Nohant, en se référant à deux portraits peints par Delacroix en 1834 et 1838 ;
  • pour Sappho : la Baronne Joséphine de Forget (portrait d’Ingres), fille d’un comte d’Empire et d’Émilie de Beauharnais, nièce de l’Impératrice. A 13 ans, elle aide son père condamné à mort pour avoir soutenu l’Empereur pendant les Cent-Jours, à s’évader. Veuve à 34 ans, elle introduit le peintre dans les salons parisiens. Amants de 1834 à 1850, ils restent très amis. Delacroix l’appelle sa « consuelo », sa consolatrice ;
  • Virgile ou Caton d’Utique : Delacroix ? 

Coupole
1840-1846
Eugène Delacroix

LES PENDENTIFS

Delacroix a décrit brièvement les quatre pendentifs bleus et or sous la coupole dans un manuscrit recueilli par Philippe Burty :

  • du côté qui fait face au jardin, l’Éloquence : un homme déjà mûr, haranguant une multitude ; 
  • à gauche de la fenêtre, la Poésie : une jeune femme tenant une lyre ; 
  • du côté opposé, la Théologie ou Saint-Jérôme dans le désert ; 
  • à droite de la porte d’entrée, la Philosophie : un homme entouré d’attributs et d’animaux de tous les règnes.
Pendentifs de forme hexagonale ornant la coupole
1840-1846
Camaïeux sur toile marouflée réalisés par Eugène Delacroix
L'éloquence © Photographes du Sénat (JPG - 98 Ko)La théologie © Photographes du Sénat (JPG - 98 Ko)La poésie © Photographes du Sénat (JPG - 106 Ko)La philososophie © Photographes du Sénat (JPG - 93 Ko)
L'Eloquence
sous les traits d'un homme mûr, haranguant la foule
La Théologie
sous les traits de Saint Jérôme dans le désert
La Poésie
personnifiée par une jeune femme tenant une lyre
La Philosophie
incarnée par une femme entourée d'animaux et attributs divers

LE CUL DE FOUR

Delacroix a représenté Alexandre le Grand qui, après la bataille d'Arbelles, ordonne de placer les poèmes d'Homère dans un coffret d'or provenant des dépouilles des Perses.

Voici la description du tableau faite par Delacroix :
«  Après  la  bataille  d’Arbelles (il s’agit en fait de la victoire de Gaugamèles, près de la ville d’Arbelles), les soldats macédoniens trouvèrent parmi les dépouilles des Perses un coffre d’or d’un prix inestimable. 
Alexandre ordonna qu’on le fit servir à renfermer les poèmes d’Homère. Il est représenté assis sur un siège et près d'un vaste trophée élevé sur le champ de bataille. A ses pieds sont des captives menant les enfants, des satrapes dans la posture des suppliants. La Victoire, les ailes déployées, couronne le vainqueur.
Derrière le groupe des figures qui portent le coffre, un char fracassé et le champ de bataille dans le lointain. » .

En 331, la victoire d’Arbelles sur les Perses ouvre à Alexandre les portes de l’Asie. Cette bataille décisive entre les armées d’Alexandre et celles de Darius a lieu sur les bords du Tigre, dans le nord de l’Irak actuel. L’évènement a inspiré d’autres peintres que Delacroix, comme par exemple Bruegel l’Ancien et le peintre français Le Brun, qui représentent cette bataille en 1602 et en 1669.
L’originalité de Delacroix tient au moment choisi : il ne représente pas le désordre et la violence des combats, mais le moment qui suit la bataille.
Ce choix lui permet d’insister sur les vertus d’Alexandre, qu’il représente rendant la justice aux vaincus.
L’œuvre semble ainsi renvoyer, sur un mode symbolique, à un idéal de soumission de l’homme d’État aux œuvres de l’esprit : est-ce le message que l’artiste souhaitait adresser aux Pairs de France ?


Cul de four

1840-1846
Huile sur toile marouflée d'Eugène Delacroix

Cul de four - Delacroix ©Photographes du Sénat (JPG - 113 Ko)

LES PLAFONDS

La décoration des dix allégories rectangulaires décorant les plafonds des deux travées Est et Ouest de la Bibliothèque est due aux peintres Riesener (partie Est) et Roqueplan (côté Ouest)1.
Le choix des thèmes pourrait refléter dans une certaine mesure les rubriques du catalogue d’une bibliothèque parlementaire tel qu’il pouvait se concevoir à l’époque de la Chambre des Pairs.

Côté Est : L’Histoire, la Loi, l’Évangile, la Poésie et la Philosophie (Riesener) ;  
Côté Ouest : les Mathématiques, ou la science (Roqueplan), la Politique (Roqueplan), l’Éloquence (Roqueplan), le Travail, ou l’industrie (Riesener), le Génie militaire (Riesener).

LE DÉROULEMENT DES TRAVAUX

Le chantier de la Bibliothèque dure six années et ne sera achevé que fin 18461.
L’œuvre est d’abord préparée en grisaille sous ses yeux et d’après ses dessins par M. Lassalle-Bordes. Delacroix travaille avec un petit modèle de voûte en bois ou en carton dans son atelier rue Notre-Dame-de-Lorette2, afin que les personnages, en suivant forcément la courbe de la voûte, n’aient pas l’air penché.

Les Pairs se plaignent régulièrement de la lenteur des travaux, tout comme Delacroix. Dans une lettre du 24 février 1841, il indique avoir besoin des dimensions de ses tableaux pour pouvoir réaliser les esquisses. Les esquisses de la coupole sont prêtes en avril 1841 et celles du cul-de-four d’Alexandre en mars 1842. En 1843, Lassalle Bordes colore la grisaille de l’hémicycle d’Alexandre et commence la mise en place de la coupole. En juillet 1846, Delacroix écrit à Lassalle-Bordes : « je pars pour la campagne pour 8 ou 10 jours. Si vous aviez pu pendant ce temps aller faire une visite au Luxembourg, pour terminer les palmiers d’Alexandre, cela m’aurait avancé à mon retour ».

Les difficultés sont dues à :

  • la concomitance des travaux à la bibliothèque de la chambre des députés, commencés auparavant ;
  • des problèmes de santé ; douleurs d’oreille (lettre du 17 février à Gisors), laryngite, qui nécessite de fréquents séjours à la compagne chez les Riesener à Frépillon et à Nohant chez George Sand (six semaines en avril 1842), des cures (en juillet et août 1845 dans les Pyrénées), ou problème oculaires (Lettre du 15 décembre 1844 : je suis plus désappointé que qui que ce soit de n’avoir pu terminer la coupole : mais pour m’être forcé à y travailler trop longtemps dans l’obscurité, j’ai eu les yeux en très mauvais état pendant six semaines et je n’en ai pas encore recouvré l’usage comme auparavant. Il me faut absolument le grand jour) ; va mourir de tuberculose en 1863 ;
  • l’obligation d’enlever les échafaudages pendant les séances… (Plaintes récurrentes dans ses lettres du 30 avril 1841 pour appliquer la toile, de décembre 1841 ou d’avril 1842).
  • le manque de lumière l’oblige à ne travailler que pendant les beaux jours ;
  • la difficulté technique à travailler sur une coupole : lettres du 19 avril 1842 : « je regrette beaucoup qu’il me soit interdit de travailler à l’Hémicycle. Je ne suis pas encore assez remis pour travailler à la coupole et le travail du tracé aurait été beaucoup moins pénible. » et du 27 mai 1846 à Dutilleux, peintre à Arras : « je viens précisément d’achever une coupole au Luxembourg et c’est une des besognes les plus fatigantes du monde. »
  • les demandes de modification des Pairs :
    En 1842, les pairs font retirer La philosophie découvrant la Nature de Riesener. Le grand référendaire le duc Decazes et le Chancelier demandent à Delacroix de remplacer les peintures d’histoire des pendentifs et de l’hémicycle par une décoration architecturale de caissons. Sauve l’hémicycle.

Cependant, lors de l’achèvement des travaux fin 1846, les éloges sont unanimes.

En 1868, les toiles se détachèrent d’un seul bloc et tombèrent au sol sous l’effet d’infiltrations (Delacroix avait demandé qu’on gratte l’enduit de plâtre avec soin et qu’on le passe deux fois à l’huile de lin bouillante, pour protéger le tissu contre l’humidité. Mais au lieu de maroufler à la céruse, on le fixa avec de la colle de seigle (mêmes résultats au Louvre, à l’Hôtel de ville et à Saint Sulpice).
La restauration dura quatorze mois et fut confiée à Pierre Andrieu (1821-1892), élève de Delacroix.