Demande de discussion immédiate de la proposition de loi constitutionnelle visant à accorder le droit de vote et d' éligibilité aux élections municipales aux étrangers non ressortissants de l'Union européenne résidant en France.

En application de l'article 30, alinéas 1 et 4, du Règlement du Sénat et au cours de sa séance du 24 janvier 2006, le Sénat a été saisi par au moins trente sénateurs dont la présence en séance publique a été constatée par appel nominal d'une demande de discussion immédiate d'une proposition de loi constitutionnelle visant à accorder le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales aux étrangers non ressortissants de l'Union européenne résidant en France. Cette proposition de loi émanait de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, de Mme Marie-Christine Blandin, de M. Jean-Pierre Bel et des membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés et du groupe communiste républicain et citoyen et rattachés.

A l'expiration du délai prévu par le Règlement et après épuisement de son ordre du jour réservé, le Sénat a été appelé à statuer sur cette demande.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, auteur de la demande, relevant qu'il fallait « beaucoup d'opiniâtreté pour bousculer le fait majoritaire » au Sénat, a indiqué que la demande de discussion immédiate constituait une réponse « au refus systématique d'inscription à l'ordre du jour des propositions de loi présentées par l'opposition sénatoriale » . Déplorant que la journée d'initiative parlementaire se soit réduite à un simple ordre du jour complémentaire utile au Gouvernement au lieu de constituer un « moment de respiration démocratique » , elle a justifié le recours à la demande de discussion immédiate par la nécessité d'obliger une majorité « assise sur un mode de scrutin injuste » à débattre des propositions de l'opposition.

Mme Borvo Cohen-Seat a fait valoir que la proposition de loi faisant l'objet de la procédure était la reprise d'un texte adopté par l'Assemblée nationale en 2000. Elle a en outre estimé que son adoption ferait disparaître la discrimination opposant les ressortissants communautaires aux autres étrangers et manifesterait, « en ces heures de doute sur la capacité de notre pays à accueillir, à intégrer des populations d'origine étrangère » , la capacité de la société française à se tourner vers l'avenir.

La présidente du groupe CRC, après avoir mentionné les pays de l'Union européenne ayant accordé le droit de vote aux ressortissants non communautaires et cité les nombreuses personnalités du monde politique français ayant pris position en faveur d'une telle réforme, s'est étonnée de ce que la majorité du Sénat s'apprête à « à écarter l'idée même d'une discussion sur le sujet » . Ironisant sur les « largesses » limitées du Règlement du Sénat à l'égard de l'opposition, elle a regretté que le débat ouvert à l'occasion d'une demande de discussion immédiate soit « réduit à sa plus simple expression » .

Mme Borvo Cohen-Seat a enfin jugé qu'un vote contre la discussion immédiate serait, du point de vue de la forme, emblématique du « refus d'accorder tout pouvoir d'initiative digne de ce nom à l'opposition » et bloquerait, sur le fond, toute possibilité d'entamer un débat fondamental sur l'évolution de la citoyenneté.

Contre la demande, M. Patrice Gélard a dénoncé dans l'initiative de l'opposition sénatoriale « un coup médiatique » visant à mettre en difficulté la majorité. Il a relevé que la proposition de loi adoptée en 2000 avait été « dénaturée » par la majorité de l'époque, qui avait réduit sa portée aux seules élections municipales, interdit aux étrangers d'accéder aux fonctions de maire ou d'adjoint et de participer aux élections sénatoriales, et que le Gouvernement n'avait de surcroît jamais déposé le texte au Sénat afin que la navette se poursuive.

Revenant sur la confusion fréquente opérée entre citoyenneté et droit de vote, M. Gélard a précisé que les pays accordant ce droit aux étrangers étaient précisément ceux qui leur refusaient la nationalité, adoptant une posture contraire à la « tradition de l'intégration » française. Il a également rappelé que la France était le pays du monde où l'acquisition de la nationalité était la plus facile et estimé que les étrangers étaient en conséquence placés devant l'alternative simple de devenir Français et d'acquérir le droit de vote ou de ne pas le faire.

M. Gélard s'est néanmoins dit prêt à engager le débat sur la question, pourvu que celui-ci se ne déroule pas « en catimini, à la va-vite » , et a jugé que « la notion de citoyen ne saurait être modifiée en un tour de main ou par une proposition de loi » . Après avoir suggéré de faire du droit de vote des étrangers l'un des thèmes de la prochaine campagne présidentielle, il a refusé, au nom du groupe UMP, la discussion immédiate de la proposition de loi et sollicité son renvoi.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, a estimé particulièrement inopportun l'usage en l'espèce de la procédure de discussion immédiate, revenant à imposer au Sénat un débat sans préparation sur un sujet susceptible d'aboutir à une révision constitutionnelle. Arguant du fait qu'on ne délibérait pas d'une question aussi fondamentale après l'épuisement de l'ordre du jour « et sans doute des parlementaires » , M. Hyest a récusé les comparaisons établies entre étrangers et ressortissants communautaires après avoir rappelé que la France avait reconnu l'existence d'une citoyenneté européenne. Il a conclu en précisant que le débat « méritait mieux qu'une discussion immédiate » .

M. Pascal Clément, garde des Sceaux, sans contester la légitimité de la question posée et les vertus d'une proposition de loi susceptible de « faire réfléchir » , a rappelé que la notion de citoyenneté, auparavant très fermée en droit français, avait eu tendance à s'ouvrir sous l'influence de la construction européenne. Quant à la question de savoir si elle devait d'étendre au-delà de l'Europe, le garde des Sceaux a estimé qu'il devait y être répondu au terme d'une consultation nationale, et non « à deux heures du matin devant la Haute Assemblée » .

Au cours du scrutin public n° 78, demandé par les groupes CRC et UMP , le Sénat a rejeté la demande de discussion immédiate par 193 voix contre 119.