Proposition de loi relative à la législation funéraire .

Le Sénat a examiné le 22 juin 2006, dans le cadre de la séance mensuelle réservée en application de l'article 48, alinéa 3, de la Constitution, les conclusions de sa commission des lois sur les deux propositions de loi n° 464 (2004-2005) et n° 375 (2005-2006), présentées par M. Jean-Pierre Sueur et plusieurs de ses collègues, relatives à la législation funéraire.

Le texte adopté par la commission des lois reprend largement les dispositions de la seconde de ces propositions de loi qui traduisent en termes législatifs les recommandations, approuvées par cette même commission le 31 mai 2006, de la mission d'information sur le bilan et les perspectives de la législation funéraire.

Première lecture.

Au cours de la discussion générale , M. Jean-René Lecerf, rapporteur de la commission des lois, a rappelé que la loi du 8 janvier 1993, dont M. Jean-Pierre Sueur avait été le promoteur en sa qualité de membre du Gouvernement de l'époque chargé des collectivités territoriales, avait mis fin au monopole communal en matière d'organisation des obsèques et permis la modernisation du service extérieur des pompes funèbres.

Après avoir observé que les pratiques funéraires avaient connu de profondes mutations au cours des dernières années avec un développement important de la crémation - celle-ci concernait 1 % des défunts en 1980 et 23,5 % en 2004 - et un accroissement du nombre des contrats en prévision d'obsèques et que les réformes récentes introduites par la loi du 9 décembre 2004 de simplification du droit et l'ordonnance du 28 juillet 2005 relative aux opérations funéraires prise sur son fondement s'étaient efforcées de prendre en compte ces évolutions, le rapporteur a précisé que ces textes avaient, d'une part, encadré les contrats en prévision d'obsèques en exigeant des devis détaillés et en permettant au souscripteur de changer aussi bien d'obsèques que d'opérateur funéraire et, d'autre part, prévu des mesures de simplification administrative et précisé la destination des cendres des personnes décédées dont le corps a donné lieu à crémation.

Il a souligné qu'en dépit de ces avancées des aménagements demeuraient nécessaires afin de garantir la qualité des opérateurs funéraires, de renforcer la protection des familles, d'apporter une réponse adaptée au développement très rapide de la pratique de la crémation et de revoir la conception et la gestion des cimetières.

En vue d'une meilleure garantie de qualité des opérateurs et d'un plus grand professionnalisme, il a estimé nécessaire de développer la formation et de créer des diplômes pour chacun des métiers. Il a par ailleurs jugé la transparence des prix insuffisante.

Il a observé que le développement de la crémation conduisait à s'interroger sur le statut des cendres et à remettre en question le caractère simplement facultatif de la création d'équipements cinéraires par les communes et leurs groupements. Il a considéré que la réaffirmation de la conception du cimetière communal laïc et public semblait s'imposer.

Après avoir rappelé qu'à l'automne lui avait été confiée, conjointement avec M. Jean-Pierre Sueur, une mission d'information au sein de la commission des lois sur le bilan et les perspectives de la législation funéraire, laquelle avait donné lieu à une quarantaine d'auditions et débouché sur vingt-sept recommandations destinées à assurer la sérénité des vivants et le respect des défunts, dont vingt-deux relevaient en tout ou partie de la compétence du législateur et avaient été adoptées au printemps par la commission, M. Lecerf a indiqué que certaines réformes préconisées bouleversaient le droit positif, notamment sur le statut des cendres. Il a précisé que l'objectif était que les cendres soient traitées avec respect, dignité et décence en interdisant tant leur appropriation privative que leur partage.

Le rapporteur a conclu en indiquant que la proposition de loi laissait de côté deux questions importantes : celle des carrés confessionnels, une commission ayant été chargée par le ministre de l'intérieur de mener une réflexion juridique sur les relations des cultes avec les pouvoirs publics, et celle de l'humanisation de la prise en charge des morts périnatales, afin d'éviter l'octroi d'un statut juridique au foetus rejaillissant sur d'autres législations.

Puis M. Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales, a déclaré que légiférer en matière funéraire nécessitait, pour chaque mesure envisagée, de respecter un équilibre entre l'encadrement des pratiques, des opérations entourant le décès et la liberté de chacun. Il a rappelé que le droit funéraire relevait de la compétence du ministère de l'intérieur et que, sur le terrain, le maire était en charge de la police des funérailles et des lieux de sépulture et jouait un rôle essentiel en matière d'opérations funéraires.

Rendant hommage aux travaux de la commission des lois, le ministre a observé que la proposition de loi tentait de répondre aux préoccupations réelles des familles et des professionnels du funéraire, prenant en compte la profonde mutation constatée dans le choix des funérailles. Rappelant que le dispositif s'articulait autour de quatre sujets principaux, à savoir le renforcement des conditions d'exercice de la profession d'opérateur funéraire, la simplification et la sécurisation des démarches des familles, le statut et la destination des cendres et la conception et la gestion des cimetières, M. Hortefeux a souligné que la réforme du droit funéraire avait d'ores et déjà été engagée en 2005, dépassant la seule question de la destination des cendres même si celle-ci en constituait le coeur. Il a précisé que l'ordonnance du 28 juillet avait instauré une responsabilisation renforcée des opérateurs, accru les pouvoirs d'intervention du préfet en matière de contrôle des professionnels et appliqué à la création et à l'agrandissement des crématoriums le régime général de la procédure d'enquête publique. Il a indiqué que, par ailleurs, le projet de décret de simplification des procédures administratives liées aux opérations funéraires substituait au régime des autorisations délivrées aux opérateurs par le maire un régime de déclarations préalables et réduisait le montant des vacations.

Après avoir rappelé qu'actuellement le principe du libre choix de son mode de sépulture prévalait ainsi que la libre disposition des cendres du défunt, la seule exception étant l'interdiction de leur dispersion sur la voie publique, le ministre a observé que dans la plupart des pays où la proportion de crémations était élevée le régime juridique applicable était plus contraignant qu'en France. Il a annoncé que le projet de décret relatif à la destination des cendres, répondant à une position consensuelle des associations et des familles, prévoyait qu'à défaut de volonté contraire du défunt le régime applicable aux cendres était celui de « l'inhumation, le dépôt ou la dispersion dans un lieu placé sous la responsabilité effective de la collectivité publique » et qu'à l'inverse, la volonté attestée du défunt permettait de conserver les cendres au sein de la famille. M. Hortefeux a estimé que les restrictions envisagées par la proposition de loi en la matière risquaient de remettre en cause ce consensus en rendant impossible le dépôt d'une urne dans une propriété familiale.

Tout en saluant les avancées résultant de la proposition de loi, en particulier le renforcement des conditions d'exercice de la profession d'opérateur funéraire, l'élaboration d'un schéma régional des crématoriums ou encore l'introduction de la notion de mise en valeur architecturale et paysagère du cimetière, le ministre a indiqué que le Gouvernement s'interrogeait sur la pertinence de l'installation de commissions des opérations funéraires auprès des préfets, sur l'opportunité de mobiliser en zone rurale des effectifs de gendarmerie pour la surveillance des opérations funéraires alors qu'elle était correctement mise en oeuvre sous l'autorité des maires par les gardes champêtres et les policiers municipaux et sur la réduction du taux de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) applicable aux prestations relevant du service extérieur des pompes funèbres.

Dans la suite de la discussion générale, sont intervenus successivement Mmes Marie-France Beaufils et Jacqueline Gourault, M. Jean-Pierre Sueur ainsi que Mme Catherine Procaccia. Se référant à la réforme intervenue en 1993 qui prévoyait initialement des dispositions relatives aux devis types, jugées d'ordre réglementaire lors de l'examen du texte, M. Jean-Pierre Sueur a dit son étonnement, alors qu'il siégeait au Conseil national des opérations funéraires, de constater qu'une circulaire du ministère de l'économie et des finances interdisait ces devis alors qu'ils constituaient une garantie de transparence pour les familles à un moment de deuil et de plus grande vulnérabilité. Concernant la réduction du taux de TVA, il a indiqué que nombre de pays d'Europe appliquaient déjà le taux réduit. Il a par ailleurs souligné la nécessité de réformer les conditions d'habilitation des opérateurs funéraires et d'instaurer des diplômes nationaux. Enfin, concernant la crémation et le statut des cendres, il a estimé que « les restes des êtres humains, qu'ils donnent lieu à crémation ou à inhumation, méritaient respect, dignité et décence », qu'il convenait de mettre fin à certaines dérives constatées et de proposer une destination conforme à « la philosophie du cimetière public, laïc et républicain » présidant à l'inhumation, en prohibant la privatisation des urnes, source de conflits familiaux. Souscrivant à la position exprimée par l'Association des maires de France par la voix de Mme Gourault, il s'est déclaré opposé à la création de sites funéraires privés, prévue par l'ordonnance du 28 juillet 2005.

Puis le Sénat a abordé l' examen des articles de la proposition de loi.

Après avoir institué par l' article 1 er , contre l'avis du Gouvernement, une commission départementale des opérations funéraires auprès du préfet du département (art. L. 2223-23-1 inséré dans le CGCT 1 ( * ) ), le Sénat a également adopté sans modification l' article 2 relatif à la formation des dirigeants des opérateurs funéraires habilités (art. L. 2223-23) et l' article 3 créant un diplôme national pour tous les agents des opérateurs funéraires habilités (art. L. 2223-25-1 nouveau).

En tête du chapitre II relatif à la simplification et à la sécurisation des démarches des familles, le Sénat, à l'initiative de M. Christian Cointat et de l'ensemble de ses collègues représentant les Français établis hors de France, a inséré 2 ( * ) dans le projet de loi un article 4 A garantissant aux familles expatriées disposant d'une inscription sur la liste électorale d'une commune la possibilité de faire inhumer leurs défunts dans le cimetière communal (art. L. 2223-3).

A l' article 4 instaurant un sursis à la délivrance des autorisations administratives par le maire, le Sénat a adopté trois amendements du Gouvernement : le premier pour limiter les opérations donnant lieu à vacations lors de la fermeture du cercueil lorsque le corps est transporté hors de la commune de décès ou de dépôt et dans tous les cas lorsqu'il y a crémation ; le deuxième, pour supprimer la faculté introduite par la proposition de loi d'une mission de surveillance des opérations funéraires donnant lieu à vacations assurée par les gendarmes à défaut de policiers municipaux ou de gardes champêtres (avis défavorable de la commission) ; le dernier pour instaurer la possibilité de contrôles inopinés de toute opération funéraire consécutive au décès (art. L. 2213-14).

Puis le Sénat a adopté sans modification l' article 5 relatif à la surveillance des opérations funéraires (art. L. 2213-15), l' article 6 sur l'encadrement du taux des vacations funéraires et l'instauration de devis types par les communes (art. L. 2223-21-1 nouveau), l' article 7 relatif à l'interdiction du démarchage commercial (art. L. 2223-33), l' article 8 confirmant que les établissements de santé ne peuvent exercer aucune mission relevant du service extérieur des pompes funèbres autre que le transport du corps avant mise en bière ou son transfert dans une chambre funéraire (art. L. 2223-43), l' article 9 affirmant que les restes des personnes décédées, y compris les cendres issues d'une crémation, doivent être traités avec respect, dignité et décence (art. 16-1-1 nouveau du code civil), l' article 10 étendant aux restes des personnes décédées la protection judiciaire permettant de prévenir ou faire cesser toute atteinte illicite au corps humain (avis de sagesse du Gouvernement - art. 16-2 du code civil), l' article 11 instaurant une protection pénale de l'urne cinéraire (art. 225-17 du code pénal), l' article 12 instaurant l'obligation, pour les communes de 10 000 habitants et plus et les établissements publics de coopération intercommunale de 10 000 habitants et plus compétents en matière de cimetières, de créer un site cinéraire dans leurs cimetières (art. L. 2223-1), l' article 13 fixant les caractéristiques de dimension et d'aménagement des sites cinéraires (art. L. 2223-2), l' article 14 insérant dans le CGCT une division traitant de la destination des cendres (art. L. 2223-18-1 à L. 2223-18-4 nouveaux) et l' article 15 sur la création et l'extension des crématoriums ainsi que la gestion des sites cinéraires contigus des crématoriums (art. L. 2223-40).

A l' article 16 relatif au schéma régional des crématoriums (art. L. 2223-40-1 nouveau), le Sénat a adopté deux amendements du Gouvernement, l'un étant assorti d'un sous-amendement de la commission, ayant pour objet de confier l'élaboration de ce schéma au seul représentant de l'Etat dans la région, après avis du président du conseil régional, des présidents des conseils généraux, des maires, des présidents des établissements publics de coopération intercommunale compétents en matière de création de crématoriums et des commissions départementales des opérations funéraires. Un autre amendement présenté par le Gouvernement a supprimé l'extension à Mayotte de l'obligation d'élaborer un schéma régional des crématoriums.

A l' article 17 relatif à l'esthétique des cimetières et des sites cinéraires (art. L. 2223-12-1 nouveau), le Sénat a adopté un amendement du Gouvernement renforçant le rôle du conseil municipal par l'exigence d'une délibération préalable à toute décision du maire relative à la mise en valeur architecturale et paysagère du cimetière, un sous-amendement de la commission portant de deux à quatre mois le délai accordé au conseil d'architecture, d'urbanisme et d'environnement pour rendre son avis sur le projet.

Puis le Sénat a adopté sans modification l' article 18 instaurant le droit, pour toute personne qui le souhaite, à ce que ses restes ne donnent jamais lieu à crémation (art. L. 2223-4) et l' article 19 ouvrant la possibilité au maire de faire procéder à la crémation des corps des personnes décédées dont les obsèques sont prises en charge par la commune lorsque le défunt en a exprimé la volonté (art. L. 2223-27) avant de supprimer, à l'initiative du Gouvernement, l' article 20 appliquant à l'ensemble des prestations funéraires relevant du service extérieur des pompes funèbres le taux réduit de TVA, déclaré irrecevable au titre de l'article 40 de la Constitution (art. 279 du code général des impôts).

A l' article 21 relatif au délai accordé aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale de 10 000 habitants et plus pour réaliser des sites cinéraires, le Sénat, à l'initiative du Gouvernement, a étendu ce délai à l'élaboration du schéma régional des crématoriums.

Puis, après avoir adopté conforme l' article 22 ratifiant l'ordonnance n° 2005-855 du 28 juillet 2005 relative aux opérations funéraires, le Sénat a supprimé, à l'initiative du Gouvernement, l' article 23 portant compensation financière des charges résultant, pour l'Etat et les collectivités territoriales, des réformes proposées (avis de sagesse de la commission).

Après les explications de vote de Mme Marie-France Beaufils, de MM. Richard Yung et Jean-Pierre Sueur puis de Mme Jacqueline Gourault et de M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission, le Sénat a adopté la proposition de loi . Celle-ci a été transmise à l' Assemblée nationale où elle demeurait en instance d'examen à la fin du mois de juin 2006.