Réuni le mardi 1er mars 2022 sous la présidence de Mme Véronique GUILLOTIN (Rassemblement démocratique et social européen – Meurthe-et-Moselle), le groupe d’amitié France – Moldavie s'est entretenu par visioconférence avec M. Graham PAUL, Ambassadeur de France en Moldavie.
Ont également participé à la réunion : Mme Nadia SOLLOGOUB (Union Centriste – Nièvre), Mme Maryse CARRERE (RDSE – Hautes-Pyrénées), Mme Gisèle JOURDA (Socialiste, Écologiste et Républicain – Aude), M. Jean-Yves ROUX (RDSE – Alpes de Haute-Provence) et M. Mickaël VALLET (SER – Charente-Maritime).
Remerciant l’ambassadeur pour sa présence, Mme Véronique GUILLOTIN, président, a souligné la volonté du groupe d’amitié de mieux comprendre la situation actuelle en Moldavie et d’exprimer tout son soutien aux peuples ukrainien et moldave. Mme Nadia SOLLOGOUB, présidente du groupe d’amitié France‑Ukraine, a également souhaité que les sénateurs puissent être un relais des positions de l’ambassadeur et un soutien aux populations de la région.
L’ambassadeur a rappelé que la Moldavie venait d’instaurer l’état d’urgence et de fermer son espace aérien, et devait faire face à l’arrivée de plusieurs dizaines de milliers de réfugiés ukrainiens. Cet afflux est conséquent pour un pays de la taille de la Belgique, dont la population est passée de 4 millions d’habitants dans les années 1980 à 2,6 millions actuellement, à la suite d’un exode massif vers la Roumanie, l’Europe de l’Ouest et la Russie. Cette pression est d’autant plus forte que la Moldavie est l’un des pays les plus pauvres d’Europe, avec un salaire mensuel moyen inférieur à 500 €.
M. Graham PAUL a souligné le caractère remarquable de l’alignement qui s’est opéré en politique intérieure au cours des derniers mois. Historiquement sous l’influence de la Russie et d’une oligarchie pro-russe, cet ex-pays soviétique a élu depuis juillet 2021 un parlement et une présidente pro-européens et réformistes.
La nouvelle majorité fait toutefois face à des défis multiples. D’une part, elle doit affronter la résistance des bénéficiaires du précédent système et l’enracinement du clientélisme et de la corruption dans l’administration et le système judiciaire. D’autre part, l’exécutif manque de cadres intègres et compétents. Enfin, la majorité pro-européenne a été élue dans un contexte de crise sanitaire grave. Si le système de santé est plutôt en bon état, moins de 40% de la population a aujourd’hui reçu deux doses de vaccins, en raison notamment d’une campagne de désinformation sur la vaccination.
Pour ce qui est de la politique extérieure, la Moldavie est à la jointure entre l’Union européenne et l’espace russe. L’alternance au pouvoir des forces pro-européennes et pro-russes ainsi que l’immixtion de forces externes dans les décisions politiques ont entravé la formation d’une vision partagée et cohérente de l’avenir du pays. Toutefois, l’ambassadeur a noté que la priorisation de la lutte contre la corruption par le gouvernement avait su transcender les divisions politiques traditionnelles.
En dépit du récent tournant européen de la Moldavie, l’influence russe reste perceptible sur plusieurs plans. Intégrée dans l’espace russe depuis 1812, l’ex-Bessarabie a conservé de cette période une forte tradition de bilinguisme, et il est rare de trouver des Moldaves ne maîtrisant pas à la fois le roumain et le russe. En outre, à la suite du conflit de 1992 avec l’entité séparatrice de Transnistrie, la Russie possède toujours un contingent armé sur ce territoire et la Moldavie a intégré la neutralité militaire dans sa constitution afin de maintenir un dialogue avec Moscou. Par ailleurs, la Russie possède un ascendant certain sur la Moldavie via le contrôle direct ou indirect de 80% des médias du pays par des oligarques pro-russes. Enfin, sur le plan énergétique, Moscou a utilisé de manière répétée la diplomatie du gaz afin de sanctionner des choix politiques internes. Ainsi, en réaction au récent virage pro-européen du pays, l’entreprise russe Gazprom a demandé en octobre 2021 une renégociation de son contrat avec la Moldavie dans un contexte d’envolée des prix, tout en cherchant à imposer des conditions politiques, consistant en concessions accordées à la Transnistrie en échange de la continuation de l’approvisionnement du pays en gaz.
Toutefois, la Moldavie a réalisé un pas déterminant en-dehors de la sphère d’influence russe avec la signature d’un accord d’association avec l’Union européenne en 2014. Huit ans plus tard, l’ambassadeur observe que près d’un bâtiment sur quatre dans la capitale arbore le drapeau européen, et la Moldavie bénéficie en retour d’une forte attention de la part des autorités européennes, qui ont lancé en 2020 un programme de relance économique de 600 millions d’euros pouvant être mobilisés sur trois ans. De surcroît, lors de leur visite à Chisinau du 2 mars 2022, le Haut-représentant de l’Union pour la politique étrangère, M. Josep BORRELL, et le Commissaire européen à l’élargissement et à la politique de voisinage, M. Oliver VARHELYI, ont annoncé une aide supplémentaire de 20 millions d’euros pour faire face à la crise des réfugiés.
Revenant sur les relations bilatérales franco-moldaves, l’ambassadeur a rappelé l’ancienneté des liens unissant la France à la Moldavie, qui est d’ailleurs membre de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) depuis 1996. Cette relation bilatérale connaît aujourd’hui une redynamisation due aux bonnes relations personnelles du Président MACRON et de la Présidente SANDU, qui ont publié, à la suite de leur rencontre à Paris, une feuille de route signée par le ministre LE DRIAN lors de sa visite à Chisinau en septembre 2021. Cette déclaration conjointe prévoit notamment l’intervention en Moldavie de l’Agence française de développement (AFD), dont le bureau a été ouvert à Chisinau en février dernier, une assistance en faveur de la lutte contre la corruption par la mise à disposition d’un expert de haut niveau pour le recouvrement des avoirs détournés, la signature prochaine de la convention fiscale de non double imposition, ainsi qu’un soutien accru aux huit sections bilingues du pays qui proposent l’apprentissage de la médecine ou du droit en français.
En outre, l’ambassadeur a également souligné l’important potentiel de la coopération décentralisée, exploré en 2021 lors d’un séminaire sur la gestion de l’eau et des déchets. Cette conférence organisée par l’ambassade de France a mis en lumière le besoin de structurer la coopération entre communes moldaves et les bénéfices qu’aurait un échange de bonnes pratiques avec les intercommunalités françaises. Au plan local également, l’ambassadeur s’est dit frappé par le nombre de communes françaises offrant leur aide à la Moldavie pour accueillir les réfugiés ukrainiens.
Répondant à une question de Mme Véronique GUILLOTIN sur les capacités d’accueil des réfugiés ukrainiens en Moldavie, M. Graham PAUL a loué la générosité et l’efficacité de l’accueil mis en place par les autorités et la population, en dépit de la pauvreté du pays. Il a noté que beaucoup de Moldaves ont accueilli des réfugiés chez eux, et que les autorités ont immédiatement installé des centres d’accueil et d’orientation des réfugiés permettant un accueil digne. Il a rappelé que les Ukrainiens sont majoritairement en transit : 60% des 100 000 réfugiés arrivés en Moldavie au 1er mars sont déjà repartis.
Mme Véronique GUILLOTIN, présidente, s’étant enquise de la réaction au conflit de la diaspora française en Moldavie, l’ambassadeur a souligné qu’une minorité de la soixantaine de Français sur place avait déjà quitté le territoire moldave. Si la possibilité d’une extension de la guerre en Moldavie est dans tous les esprits, il a relevé que le réel signal d’alarme serait la prise d’Odessa. En effet, non seulement cette ville portuaire clé est à deux heures de route de Chisinau, mais cette avancée permettrait aux forces russes de faire la jonction avec les troupes postées en Transnistrie.
À la suite d’une question de Mme Véronique GUILLOTIN, présidente, sur les réactions transnistriennes à la guerre en Ukraine, M. Graham PAUL a jugé que la situation dans la région sécessionniste restait calme mais imprévisible. Rappelant qu’un tiers de la population transnistrienne était d’origine ukrainienne, les autorités transnistriennes ont affirmé qu’elles n’avaient pas de raison de s’impliquer dans le conflit. Les rumeurs de tirs de missile depuis la Transnistrie ont été démenties. Cependant, l’ambassadeur a souligné la menace que représentent les 22 000 tonnes de munitions stockées dans les entrepôts de Cobasna en Transnistrie, à quelques kilomètres à l’ouest du front ukrainien.
Interrogé par M. Mickaël VALLET sur la position de la Transnistrie vis-à-vis d’une possible entrée en guerre aux côtés de la Russie ou d’une marque de solidarité avec les territoires indépendantistes de Lougansk et de Donetsk, l’ambassadeur a rappelé qu’il était difficile de sonder l’opinion publique dans la région au vu de l’absence d’opposition politique et de la censure des médias. Il a toutefois souligné l’embarras des autorités de facto transnistriennes à l’idée d’un conflit ouvert avec la Moldavie et leurs déclarations très mesurées. En effet, Tiraspol tire une grande partie de ses revenus de la vente d’électricité à Chisinau et les activités économiques moldaves et transnistriennes restent interdépendantes dans plusieurs secteurs. De même, si une grande partie des Transnistriens ont un passeport russe, ils sont plus nombreux encore à avoir un passeport moldave. Le scénario catastrophe d’une intervention militaire de la Transnistrie met donc en danger l’équilibre précaire trouvé entre les deux gouvernements, qui ont appris à vivre avec leur hostilité réciproque.
Louant l’efficacité moldave dans la prise en charge des réfugiés à ses frontières, Mme Nadia SOLLOGOUB a interrogé M. Graham PAUL sur les raisons expliquant que la Moldavie soit le seul pays limitrophe de l’Ukraine à avoir réussi à fluidifier le trafic à ses frontières. Pour l’ambassadeur, l’efficacité moldave à cet égard s’explique par le professionnalisme du personnel aux frontières et par le réalisme des autorités. D’une part, les réfugiés sont pris en charge par les gardes-frontières concentrés à l’est du pays, alors que du côté ukrainien des frontières, ils sont gérés par l’armée qui, en sous-effectif, n’est pas habituée à ce type de tâche. D’autre part, les autorités moldaves ont rapidement décidé d’accepter toute pièce d’identité présentée par les réfugiés et de ne pas en demander du tout pour les mineurs ; ces initiatives ont fortement accéléré la prise en charge des réfugiés et ont depuis été imitées par la Roumanie.
Mme Nadia SOLLOGOUB s’étant enquise des moyens pour faire parvenir l’aide aux réfugiés en Moldavie, l’ambassadeur a indiqué que l’aide humanitaire publique était coordonnée au niveau européen par le Haut-commissariat aux réfugiés, tandis que l’aide civile était gérée de manière plus disparate. L’ambassade est en train de mettre en place des partenariats avec des organisations non gouvernementales (ONG) et prévoit de recruter deux personnes pour coordonner l’assistance humanitaire. Le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE) a également ouvert un fonds pour recevoir les dons des collectivités territoriales françaises, tandis que les autorités moldaves ont ouvert un compte pour recevoir les dons. S’agissant des aides en nature, M. PAUL a souligné l’importance d’identifier les besoins et les destinataires avant de les recueillir et de les expédier.
Répondant à une question de Mme Gisèle JOURDA sur la possibilité pour la Moldavie d’intégrer l’Union européenne, l’ambassadeur a mis en exergue les efforts importants déployés par le pays pour appliquer les conditions de l’accord d’association depuis 2014. Il a reconnu que la guerre en Ukraine et ses implications, tant sur le plan émotionnel que politique, créaient une dynamique nouvelle pour reconsidérer le Partenariat oriental. Néanmoins, il a souligné que le processus d’adhésion pour la Moldavie comme pour la Géorgie serait long et compliqué en raison des conflits internes non résolus sur ces deux territoires, qui permettent à Moscou d’entraver l’intégration européenne de ces pays[1].
À la suite d’une question de M. Mickaël VALLET sur le comportement des diplomates russes avant et après l’invasion de l’Ukraine, l’ambassadeur a dit n’avoir observé aucun changement dans le comportement du personnel diplomatique russe qui aurait pu laisser présager de tels évènements. Si la Russie entrave de manière coutumière les activités moldaves par le biais de cyberattaques ou de pressions économiques, le personnel diplomatique occidental n’envisageait pas que Moscou aille jusqu’à une guerre ouverte. Un membre du gouvernement moldave a signalé à l’ambassadeur avoir été surpris par la projection des troupes russes en Ukraine, n’ayant anticipé qu’une entrée dans le Donbass.
Mme Véronique GUILLOTIN, présidente, s’étant enquise des réactions à la guerre en Gagaouzie, M. PAUL a évoqué les déclarations mitigées de la Bashkan [gouverneure] de cette région autonome et russophone de Moldavie, qui a appelé ses compatriotes à ne prendre parti ni pour les Russes ni pour les Ukrainiens. Ce discours était relativement courant au sein du Parti socialiste moldave (PSRM), qui critiquait les « provocations des Ukrainiens à l’égard de la Russie » et leur « manque d’esprit de compromis », mais il s’est raréfié avec l’intervention armée.
Interrogé par Mme Véronique GUILLOTIN, présidente, sur les progrès des réformes contre la corruption, M. PAUL a souligné leur complexité, ces réformes devant respecter un difficile équilibre entre les pouvoirs. L’arrestation du procureur général en octobre dernier avait ainsi créé un véritable scandale sur la scène politique, en dépit des charges objectives retenues contre lui, au point que le gouvernement avait engagé une discussion approfondie avec la Commission de Venise sur le respect de l’État de droit. Après plusieurs mois de réflexion sur la forme que doivent prendre ces réformes, les autorités moldaves se sont finalement orientées vers le modèle albano-ukrainien, qui prévoit l’évaluation des compétences et de l’intégrité des juges et procureurs. Cette réforme implique également un examen du patrimoine du cercle familial des personnes évaluées, au vu de la tendance qu’ont les fonctionnaires corrompus à dissimuler leurs biens mal acquis sous le nom de leurs proches. Une commission indépendante d’évaluation de l’intégrité des juges a déjà été nommée afin de mettre en œuvre cette réforme. Le gouvernement a également initié des hausses importantes de salaires dans la fonction publique afin de réduire l’attrait des pots-de-vin.
À la suite d’une question de Mme Véronique GUILLOTIN, présidente, sur les équivalences entre les institutions judiciaires françaises et moldaves, l’ambassadeur a informé le groupe d’amitié qu’un dialogue était déjà engagé entre la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) française et le Centre national anticorruption (CNA) moldave. La prochaine étape devrait être un partenariat entre l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) française et la Commission de coordination de l’audiovisuel (CCA) moldave, qui devrait être refondée. Cette collaboration s’inscrirait dans le cadre de la lutte contre la désinformation que veut lancer le gouvernement moldave en réaction à la multiplication des fausses informations, d’origine russe notamment, sur les réseaux sociaux au cours des derniers mois.
Enfin, Mme Véronique GUILLOTIN, présidente, a remercié l’ambassadeur pour sa présence et a formulé le souhait d’une visite prochaine du groupe d’amitié en Moldavie.
[1] La Moldavie, comme l'Ukraine et la Géorgie, a finalement déposé une demande d’adhésion à l’Union européenne quelques jours après l’entretien.
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