Le Baron Haussmann

Georges-Eugène Haussmann est né le 27 mars 1809 à Paris d'une famille protestante originaire d'Alsace. Son grand père fut député et membre de la Convention et son père commissaire des guerres sous le premier Empire.

Il fait ses études au collège Henri IV avec Alfred de Musset, le duc de Chartres, le duc de Nemours. Après des études de droit, il est reçu comme avocat. Quand éclate la révolution de 1830 il est clerc de notaire.

Sa carrière administrative commence en 1831 quand une ordonnance du 19 mai le nomme secrétaire général de la préfecture de la Vienne. Il est nommé ensuite sous-préfet d'Yssingeaux puis de Nérac où il entreprend déjà des travaux de construction de ponts, de canalisations, de fertilisation et de dessèchement des marais.

En février 1847, il est promu officier de la Légion d'Honneur. Les traditions de sa famille et ses propres convictions le portent à soutenir Louis-Napoléon en 1848. Sa nomination au poste de préfet du Var en janvier 1849 en est la suite logique. C'est là qu'il est pour la première fois confronté à celui qui, en 1870, obtiendra qu'il soit démis de ses fonctions : le républicain Emile Ollivier.

 L'année suivante, préfet de l'Yonne, on lui recommande une action vigoureuse face à la menace socialiste, ce que son tempérament énergique et amoureux de l'ordre n'a pas de mal à mettre en œuvre. Nommé préfet de la Gironde en 1851, il y fait preuve d'une activité remarquable et veut faire de Bordeaux « une seconde capitale ». Faisant preuve d'un zèle sans faille dans l'éviction des adversaires à l'Empire, il reçoit le 7 octobre 1852 la visite du futur empereur qui y prononce son fameux Discours de Bordeaux. En partant Louis-Napoléon lui dit : « Quand le prince est satisfait, le préfet peut être tranquille ».

Le préfet de la Seine

En juin 1853 arrive enfin la consécration avec sa nomination à la préfecture de la Seine. L'empereur veut transformer Paris et Haussmann, énergique, fertile, autoritaire et audacieux est l'homme qui lui faut. Lors de sa prestation de serment au palais de Saint Cloud, il déclare à l'empereur : « La capitale de l'Empire sera la capitale du monde, et la Rome d'Auguste n'aura pas eu plus de splendeur comparable au Paris de Napoléon III. ». A ses subordonnés il déclare : « Rompu depuis longtemps au travail, je vous en donnerai l'exemple. Attendez-vous à me voir exiger qu'il soit suivi ».

Haussmann à l'œuvre

Haussmann va pouvoir se mettre à l'œuvre. Pendant 17 ans la capitale devient un immense chantier au service d'un projet d'urbanisme qui transforme définitivement le visage de Paris.

En 1850, Paris est une ville où les conditions d'hygiène sont quasi-inexistantes ; nombreuses sont les rues qui ont pour égout leur caniveau central. Les rues sont étroites, sinueuses, insalubres ; ni l'air, ni le soleil ne peuvent y pénétrer. La misère, les maladies, la mortalité infantile s'épanouissent. Le percement de nouvelles artères doit servir tout autant à faire pénétrer l'air et la lumière qu'à faciliter la répression des émeutes. 

  

Laissons parler le comte Siméon, rapporteur au Sénat du projet de loi sur les embellissements de Paris : « Paris avait besoin de sécurité contre les perturbateurs du repos public ; de salubrité dans certains quartiers où l'air et le jour n'avaient jamais pénétré ; de facilité de circulation dans les rues encombrées par une population croissante et près des abords des grandes gares de chemins de fer ; de belles promenades qui manquaient à la première Cité de l'Empire ».

L'œuvre d'Haussmann est traditionnellement répartie en trois réseaux. Cette distinction est principalement d'ordre financier. Au début l'Etat contribue aux dépenses pour moitié, voire pour deux tiers. Mais, le Corps législatif rejetant une part de plus en plus considérable des dépenses sur la ville de Paris, le deuxième réseau ne comporte qu'une participation réduite de l'Etat. Finalement le troisième réseau ne sera financé que par le budget municipal.

Le premier réseau concerne essentiellement la grande croisée de Paris, l'axe est-ouest se matérialisant avec la jonction de la rue de Rivoli avec la rue Saint-Antoine, et l'axe nord-sud par l'ouverture d'un boulevard du Centre, qui deviendra le boulevard de Sébastopol, continuant le boulevard de Strasbourg.

Mais l'argent manque pour continuer les travaux. Un nouveau programme, assorti d'un emprunt est présenté au Corps législatif. Il comprend la création de 27 kilomètres de voies nouvelles sur 10 ans. La dépense est évaluée à 180 millions dont 60 devront être payés par l'Etat et 120 par la ville. La loi est votée en 1858 avec 180 voix pour et 45 contre, et la convention qu'elle approuve est connue sous le nom de « Traité des 180 millions ». C'est véritablement l'ère des grands travaux : place du Château d'Eau et quartiers de l'Est, avenue Daumesnil et bois de Vincennes, place de l'Europe et gare de l'Ouest, boulevard Malesherbes et naissance du quartier Monceau, place de l'Etoile, quartier de Chaillot et du Trocadéro, boulevards de la rive gauche, Cité et vieux Paris.

Problèmes d'argent

Haussmann se défend contre les attaques dont il fait l'objet en arguant qu'il y va de l'intérêt du pays tout entier, qu'il s'agit de dépenses productives, que pour un logement démoli, deux ou trois sont construits, que les moyens de communication et la sécurité sont assurés grâce à ces aménagements. Son héritage témoigne pour lui : les chaussées larges, le doublement du nombre des arbres sur les avenues, les espaces verts, le souci de la perspective, la place-carrefour, le macadam substitué au pavé, les trottoirs généralisés, le balayage mécanique, le passage facilité d'une rive à l'autre de la Seine, le nombre de fiacres accru, l'éclairage au gaz, le double circuit d'adduction et d'évacuation des eaux.

  Il a la confiance de l'Empereur et est nommé sénateur en juin 1857. Mais ses ennemis sont nombreux : salons royalistes, députés républicains, libéraux, le prince Napoléon, le grand argentier Fould, l'impératrice. On lui reproche l'enchérissement et la spéculation auxquels donnent lieu les expropriations.

Bien avant la fin prévue du deuxième réseau (1868), le troisième réseau est mis en chantier dès 1860. Plus qu'un parachèvement, celui-ci, par l'annexion de la banlieue située à l'intérieur des fortifications, va doubler l'étendue de la capitale.

Ces travaux pharaoniques, l'éventration continuelle de Paris, les dépenses exponentielles qui en résultent, leur douteux financement, tout cela mécontente de plus en plus de gens. En 1868-1869 Haussmann fait l'objet d'attaques continuelles dans la presse. Tout y passe : sa gestion financière, ses vues politiques, ses travaux, sa vie privée. Jules Ferry publie un retentissant pamphlet intitulé « Les comptes fantastiques d'Haussmann »

A l'ouverture de la session de 1869, il est décidé que désormais le budget extraordinaire de la Ville devra être ratifié par les Chambres. Pour Haussmann, le vent a tourné : Emile Ollivier, chargé de former un nouveau cabinet, exige la démission de Haussmann. Celui-ci préfère une révocation à une soumission et c'est une décret impérial daté du 5 janvier 1870 qui met fin à ses fonctions.

En janvier 1891, atteint d'une congestion pulmonaire, s'éteint celui dont Jules Simon a dit : « Son œuvre était au moins aussi fantastique que ses comptes ».

Le Baron Haussmann au Sénat

Dans ses Mémoires, Haussmann raconte sa nomination à la Haute Assemblée:

...Comme je quittais l'Empereur, mon travail fini, Sa Majesté me rappela pour me dire:
- A propos, Monsieur Haussmann, j'ai résolu de vous nommer Sénateur!
- Sire!
- Oui, oui, interrompit l'Empereur, je ne veux plus que personne puisse dire à mon Préfet de la Seine, dans le Conseil municipal ou ailleurs : Je suis Sénateur et vous ne l'êtes pas!.

Bien qu'Haussmann ait été un préfet d'exception, cette promotion n'avait en soi rien d'exceptionnel : sous le Second Empire tous les préfets de la Seine ont été sénateurs. Le Sénat du Second Empire est en effet voué à être composé des «éléments qui, dans tout le pays, créent les influences légitimes : le nom illustre, la fortune, le talent, les services rendus».
La nomination d'Haussmann intervient le 9 juin 1857 et fait l'objet d'une publication dans le Moniteur du 12 juin, déclenchant des réactions hostiles. Haussmann devient à la fois juge et parti puisque le Sénat est souvent saisi de pétitions concernant l'administration de la Seine.

Absorbé par ses fonctions de préfet, Haussmann ne déploya pas une intense activité à la Chambre Haute et ses interventions ne furent pas fréquentes tout au long des 13 années où il fut sénateur.

En 1859 et en 1860, Haussmann prend la parole pour défendre les boulangers, accusés de concurrence déloyale par les pâtissiers lors de la discussion d'une pétition déposée par ces derniers. Cela donne lieu, dans la séance du 6 juin 1860, à un incident entre M. Tourangin déclarant :

Notre collègue, oubliant peut-être trop qu'il n'est ici que sénateur, a dit : Toute la boulangerie est dans mes mains... Eh bien! je dis qu'un tel langage n'est pas acceptable pour le Sénat. Quand le Sénat prononce le renvoi d'une pétition, il la renvoie au Gouvernement. Il y a autre chose que le Préfet de la Seine. Il y a le ministre, il y a le Conseil d'Etat.

et le baron Haussmann qui lui donne la réplique :

Mais le Préfet de la Seine qui s'est entendu dire l'an dernier, par l'honorable M. Tourangin, qu'il ne connaissait pas complètement la question, est bien fondé à faire remarquer, cette année, que l'ensemble du service de la boulangerie est dans ses attributions, pour justifier cette observation inoffensive...
Je sais bien qu'ici c'est le sénateur qui parle, et non pas le Préfet de la Seine; mais il reste difficile de dédoubler si complètement sa personne qu'on puisse avoir une opinion à l'Hôtel de Ville et une autre opinion au Luxembourg.

Interventions

En 1861 eut lieu un bras de fer entre le préfet et le Sénat à propos du projet d'amputation du jardin du Luxembourg. Haussmann commence ainsi son intervention :

« Ce n'est pas que je me dissimule, messieurs, combien j'ai peu de chances de faire triompher mon opinion auprès de vous ».

Et, plus loin, ce qui irritera les sénateurs :

« Est-il à propos, si le Sénat a quelque objection à faire au Gouvernement dans cette affaire, qu'il la présente autrement que d'une façon directe ?... L'instruction est finie... ; l'exécution est commencée... ; une maison a été bâtie. Quant au service du Sénat, s'il est encore temps de faire entendre des réclamations, c'est au grand référendaire qu'il appartient de les soulever. »

Ce dernier réplique :

« Nous sommes en pleine jouissance du palais du Luxembourg et de ses dépendances, et nous ne pouvons en être dépossédés que par un sénatus-consulte... Et puis maintenant on vient nous dire qu'il y a décret rendu, expropriation commencée, qu'il n'y a plus de remède... Il fallait avoir plus de considération pour les autorités du Sénat.. ».

Peine perdue, les travaux, suspendus pendant un an à la suite du renvoi de la pétition par le Sénat au Gouvernement, auront bien lieu.

Il prit également la parole lors de la discussion de la loi sur les embellissements de Paris à laquelle le Sénat apporta son soutien, le déplacement des cimetières de Paris, la dérivation des eaux de la Dhuys ainsi qu'à diverses reprises en tant que rapporteur de pétitions diverses.

Le projet de traité avec le Crédit Foncier donna lieu à de vifs débats au Corps législatif en 1869. Il s'agissait d'une opération de liquidation portant sur 465 millions remboursables en 60 ans, destinée à régulariser les procédures irrégulières où le baron avait, par le système des bons de délégation, emprunté sans en avoir le droit et où le Crédit de son côté avait prêté ces sommes considérables sans autorisation légale. Le projet de loi étant passé de justesse au Corps législatif, Haussmann eut à affronter le Sénat lors de la séance du 13 avril 1869 :

« ...Appelé à la préfecture de la Seine en 1853 lorsque je figurais déjà en tête du tableau des préfets de première classe, aurais-je donc occupé depuis seize ans ce poste hors ligne, si longtemps réservé à des personnages politiques, pour y perdre les traditions d'ordre et de régularité qui sont l'honneur de l'administration française et pour compromettre, en ma personne, la bonne renommée dont elle jouit dans l'Europe entière ? ».

Il conclut sur ces termes :

« A quelque moment que nous quittions l'Hôtel de ville de Paris, nous en sortirons comme nous y sommes entrés, la tête haute et le cœur ferme, certains de nous y être conduits en gens de bien, en hommes d'honneur, en serviteurs fidèles, avec courage et résolution, mais aussi avec une loyauté persévérante et un dévouement sans reproche (Nombreuses approbations et félicitations) ».

Au total, l'union d'Haussmann avec le Sénat fut harmonieuse et bénéfique aux deux parties : Haussmann put y faire entendre sa voix et le Sénat exerça sur sa gestion un contrôle vigilant et scrupuleux mais bienveillant.