Poète et homme politique français, Paul Déroulède (1846-1914) a fondé la Ligue des patriotes en 1882 et soutenu le général Boulanger. Lors des obsèques de Félix Faure, le 23 février 1899, il attend, place de la Bastille, les troupes qui reviennent de la cérémonie funèbre. Lorsque les militaires passent, Déroulède attrape la bride du cheval du général Roget et tente de l'entraîner dans un coup d'Etat contre le régime parlementaire. Mais sa tentative demeure vaine. Déroulède est arrêté et conduit à la caserne. Puis il est traduit devant les juridictions ordinaires qui l'acquittent cependant le 29 mai.

Malgré ce coup de semonce, Déroulède poursuit ses turbulentes activités et prononce trois discours en juillet 1899 pour annoncer un prochain coup de force. La police le prend désormais au sérieux et surveille ses faits et gestes, tout comme elle contrôle discrètement les membres des autres mouvements contestataires, qui se montrent de plus en plus virulents.

Fort Chabrol (JPG - 45 Ko) Au steeple-chase d'Auteuil, en plein contexte de l'affaire Dreyfus, le président de la République, Emile Loubet, est bousculé et son chapeau haut de forme aplati.

Dans ce climat politique houleux, Waldeck-Rousseau constitue un cabinet « de défense républicaine » le 22 juin 1899. Moins de deux mois plus tard, il procède à l'arrestation de 67 personnes, membres de divers mouvements nationalistes et monarchistes. Paul Déroulède fait partie des inculpés, mais aussi André Buffet, connu pour ses opinions royalistes, et Jules Guérin, le président de la Ligue antisémite. Avant d'être arrêté par la police, ce dernier se barricade au siège du journal L'Antijuif situé rue de Chabrol, à Paris. Réfugié dans ce qui sera appelé Fort Chabrol, il résiste pendant plusieurs semaines aux assauts des forces de l'ordre.


La salle des Séances du Sénat, aménagée pour le Haute Cour, en 1899

Le 4 septembre 1899, un décret du président de la République constitue le Sénat en Haute Cour de justice pour juger ces hommes. La première réunion de cette juridiction spéciale se tient au Palais du Luxembourg le 18 septembre. Une commission composée de 9 sénateurs est désignée pour procéder à l'instruction de l'affaire.

Rapidement, cette commission constate le néant des charges retenues et décide de relâcher 45 personnes. Après les interrogatoires des prévenus, 5 autres inculpés sont mis hors de cause. En fin de compte, seules 17 personnes, sur les 67 arrêtées au départ, sont renvoyées devant la Haute Cour : on y trouve 9 royalistes (dont Buffet et Lur-Saluces, jugé par contumace), 4 membres de la Ligue des patriotes (dont Déroulède et Habert, jugé par contumace) et 4 antisémites (dont Guérin).

Le procès des 17 accusés débute le 9 novembre 1899. Les débats, présidés par Armand Fallières, président du Sénat, sont publics. Au cours des 46 audiences consacrées à l'examen de l'affaire, l'ambiance est houleuse et ponctuée d'incidents. A l'issue des débats, le 4 janvier 1900, l'arrêt définitif est rendu : Déroulède et Buffet sont condamnés à 10 ans de bannissement, Guérin à 10 ans de détention, alors que tous les autres accusés sont acquittés. Quant à Marcel Habert et au comte de Lur-Saluces, constitués prisonniers par la suite, ils sont frappés chacun d'une peine de 5 ans de bannissement.