Réuni le mercredi 19 janvier 2022, sous la présidence de M. Guillaume CHEVROLLIER (Les Républicains – Mayenne), vice-président, le groupe d’amitié France - Afrique de l’Ouest s’est entretenu avec Mme Élisa DOMINGUES DOS SANTOS, et MM. Zhao Alexandre HUANG et Thierry VIRCOULON, trois des auteurs d’une étude de l’Institut français des relations internationales (IFRI) sur « Les influences chinoises en Afrique ».

Ont également participé à la réunion : MM. Bruno BELIN (Les Républicains – Vienne), président délégué pour le Burkina Faso, et Laurent BURGOA (Les Républicains – Gard), président délégué pour la Gambie, Mmes Agnès CANAYER (Les Républicains – Seine-Maritime), présidente déléguée pour la Côte d’Ivoire, et Hélène CONWAY-MOURET (Socialiste, Écologiste et Républicain – Français établis hors de France), présidente déléguée pour le Bénin, MM. Thierry COZIC (Socialiste, Écologiste et Républicain – Sarthe), président délégué pour le Togo, Olivier CADIC (Union centriste – Français établis hors de France), secrétaire, Lucien STANZIONE (Socialiste, Écologiste et Républicain – Vaucluse), secrétaire, et Hussein BOURGI (Socialiste, Écologiste et Républicain – Hérault), Mme Marie-Arlette CARLOTTI (Socialiste, Écologiste et Républicain – Bouches-du-Rhône), M. Stéphane DEMILLY (Union centriste – Somme) et Mmes Corinne IMBERT (Les Républicains – Charente-Maritime) et Dominique VÉRIEN (Union centriste – Yonne).

Mme Élisa DOMINGUES DOS SANTOS a indiqué que la diplomatie chinoise en Afrique était diversifiée. Le 8e Forum sur la coopération sino-africaine, qui s’est tenu à Dakar, en novembre dernier, a été un succès relatif, en tout cas par rapport à celui de Pékin en 2018. Le ministre chinois des affaires étrangères, comme le veut la tradition depuis 1991, a consacré son premier déplacement à l’étranger de 2022 à l’Afrique (Érythrée, Kenya et Comores). De manière générale, la Chine s’efforce de valoriser son statut de pouvoir émergent, et celui de puissance révisionniste, et de mobiliser l’esprit de la conférence de Bandung, dans ses relations avec ses partenaires africains de façon à établir des relations privilégiées. Ce discours trouve un écho en Afrique et sert des objectifs à la fois économiques et diplomatiques – par exemple, l’Eswatini est aujourd’hui le seul pays africain à reconnaître Taïwan. Économiquement, l’Afrique est un réservoir de matières premières dont l’économie chinoise est grandement dépendante.

La Chine entretient des relations avec l’Afrique depuis l’époque des indépendances, alors que plusieurs mouvements indépendantistes étaient d’inspiration marxiste et se sont transformés en partis politiques, par exemple en Namibie (SWAPO) et au Mozambique (FRELIMO). Ces relations ont pris leur essor dans les années 1990 puis se sont institutionnalisées au début des années 2000, avec la création du Forum sur la coopération sino-africaine, qui se tient tous les trois ans, en alternance en Chine et dans un pays africain. Dans ce cadre institutionnel, la Chine développe un discours « gagnant-gagnant ». L’implantation médiatique est plus récente : elle date des années 2010.           La Chine a financé neuf relais FM en Afrique de l’Ouest et un relais à ondes courtes au Mali, et y diffuse sa radio internationale qui répand le narratif chinois. L’agence de presse chinoise Xinhua est également bien implantée sur le continent. Lors de la crise du Covid-19, la Chine a développé un discours sur sa diplomatie sanitaire, en particulier sa promesse de délivrer un milliard de doses de vaccin à l’Afrique, dont 600 millions sous la forme de don, largement relayé sur ces ondes.

La Chine accroît également sa présence en Afrique dans le domaine de la sécurité, en particulier pour sécuriser les infrastructures qu’elle construit et sa main-d’œuvre sur place. Elle a également établi une importante base militaire à Djibouti en 2017.                        Cet accompagnement sécuritaire reste toutefois très lié aux intérêts économiques chinois. La Chine serait par ailleurs le premier vendeur d’armes légères en Afrique. Elle participe également à des opérations de maintien de la paix, assure des formations dans le domaine militaire, organise un forum de la sécurité en marge du Forum sino-africain et mène des actions de lutte contre la piraterie, en particulier dans le golfe d’Aden et celui de Guinée. Aujourd’hui, en Afrique, il y aurait plus d’agents de sécurité privée chinois que de militaires chinois.

M. Zhao Alexandre HUANG a fait observer que les hauts fonctionnaires chinois présentaient fréquemment les investissements en Afrique comme des placements rentables. Les dirigeants africains considèrent la présence chinoise dans leur pays comme une aide au développement. Ce succès chinois sur le continent africain tient au soft power de ce pays.

L’assistance économique et technique chinoise à l’Afrique a commencé dans les années 1950, Mao Zedong étant attaché à obtenir le soutien des pays africains pendant la Guerre froide. L’apprentissage de la langue chinoise a ainsi été introduit en Égypte dès cette époque. Plus tard, la Chine a construit d’importantes infrastructures, par exemple une voie ferrée en Tanzanie, présentée comme le symbole de l’amitié sino-africaine. Le narratif chinois repose sur l’idée d’une histoire commune avec l’Afrique, marquée par la lutte contre le colonialisme et l’impérialisme. Après un désinvestissement dans les années 1980, la Chine a de nouveau développé ses relations avec l’Afrique, surtout après la répression de Tiananmen. Les investissements chinois en Afrique ont alors explosé. L’engagement chinois s’adresse aussi aux élites africaines, responsables politiques et économiques, ainsi que diplomates et journalistes. Par exemples, la Chine reçoit chaque année des journalistes africains qui suivent des sessions de formation dispensées par l’Institut Confucius, qualifié de « machine de formatage des esprits locaux ».

M. Thierry VIRCOULON a qualifié de « succès météoritique » l’accroissement des investissements économiques chinois en Afrique depuis une vingtaine d’années. La Chine est aujourd’hui le premier partenaire commercial de l’Afrique en tant que pays, avec des activités représentant environ 200 milliards de dollars en 2019, et un excédent commercial de près de 20 milliards. 40 pays africains, sur 54, ont un déficit commercial avec la Chine. Celle-ci est aussi le premier prêteur bilatéral des pays africains, 50 d’entre eux ayant contracté des emprunts chinois au cours des vingt dernières années. Enfin, elle est le premier bâtisseur sur le continent, un projet d’infrastructures sur cinq étant financé ou construit par la Chine qui fournit parfois le package complet financement/constructeur/gestionnaire pour des contrats de plusieurs milliards de dollars.

Cette situation a cependant engendré un endettement très élevé de nombreux pays africains à l’égard de la Chine. Selon le Fonds monétaire international (FMI), vingt pays africains se trouvent en risque de défaut de paiement, et la Chine est le premier prêteur dans la plupart d’entre eux, à l’exemple de l’Angola, particulièrement concerné. Il est vrai que les Chinois ont souvent pris le relais des investisseurs occidentaux qui ne voulaient plus prêter à certains pays africains, le Soudan ou le Zimbabwe par exemple. Les échanges commerciaux et les prêts chinois connaissent aujourd’hui en Afrique un net ralentissement, dû en partie à la pandémie de Covid-19, mais aussi à cet endettement croissant. Le montant de la dette africaine envers la Chine n’est pas précisément connu, mais on l’estime à 20 % minimum du total de la dette africaine. L’opacité des prêts chinois, et le manque de coopération des autorités chinoises, bloquent l’initiative de suspension du service de la dette (DSSI), mise en place par le FMI – c’est le cas par exemple en Zambie.

De nombreux gouvernements africains se rendent compte, désormais, qu’il s’agit d’une relation « gagnant-perdant ». Les opinions publiques africaines le comprennent également de plus en plus, et, dans plusieurs pays, en Côte d’Ivoire et au Nigéria, par exemple, le gouvernement a mis en place un comité de surveillance de la dette chinoise. En outre, la situation économique globalement mauvaise de nombreux pays africains suscite des interrogations sur la rentabilité des investissements chinois. Le « piège de la dette » et le déficit commercial structurel expliquent que le « vent tourne » pour la Chine en Afrique.

Un échange s’est ensuite engagé, sur la base des questions de M. Guillaume CHEVROLLIER, vice-président, Mme Hélène CONWAY-MOURET, présidente déléguée pour le Bénin, M. Olivier CADIC, secrétaire, Mmes Marie-Arlette CARLOTTI et Dominique VÉRIEN, M. Stéphane DEMILLY, Mme Agnès CANAYER, présidente déléguée pour la Côte d’Ivoire, et M. Thierry COZIC, président délégué pour le Togo.

Mme Élisa DOMINGUES DOS SANTOS a indiqué que la Chine était traditionnellement frileuse à s’engager dans des situations conflictuelles. Le développement de la sécurité privée chinoise en Afrique est un phénomène récent qui s’explique en partie par la multiplication des incidents touchant la main-d’œuvre chinoise sur place et les projets d’infrastructures. L’influence chinoise n’est pas seulement dirigée par le pouvoir central ; elle est le fait d’une multitude d’acteurs tels que des entreprises, des migrants, des provinces, etc., qui poursuivent leurs objectifs propres.

M. Zhao Alexandre HUANG a fait observer que les ONG et think tanks africains sont mobilisés par les Chinois pour gagner en influence, par exemple pendant la crise sanitaire avec leur diplomatie du vaccin. Les autorités chinoises cherchent à créer une situation de dépendance des hauts fonctionnaires et leaders d’opinion africains à leur endroit. De ce point de vue, l’Institut Confucius n’est pas seulement un institut de formation et d’éducation, c’est aussi une plateforme de mobilisation. Cet Institut vise non seulement à coordonner diverses ressources et acteurs chinois sur terrain dans sa participation aux affaires publiques locales, mais également à localiser certains projets politiques chinois, comme la promotion du cadre chinois de référence pour l’enseignement de la langue et la civilisation chinoises au sein du système éducatif des pays africains.

M. Thierry VIRCOULON a estimé que le « piège de la dette » constituait une parfaite illustration de la dépendance africaine à la Chine. Toutefois, il ne semble pas que la stratégie d’endettement ait été pensée en amont, les études de faisabilité d’un projet étant parfois réalisées après la décision d’octroyer un prêt. La stratégie chinoise est plutôt axée sur l’objectif de construire des infrastructures et d’avoir accès aux matières premières.   De fait, en Afrique, les Chinois occupent aujourd’hui une position dominante dans plusieurs secteurs économiques tels que le BTP, le secteur minier, la foresterie ou la pêche.

La présence économique chinoise en Afrique recouvre aussi des aspects illicites tels que le trafic d’espèces protégées et la contrefaçon, de médicaments en particulier, voire comporte une dimension criminelle, par exemple la présence des triades, la prostitution et des casinos qui permettent de blanchir de l’argent sale. Des Chinois peuvent ouvrir des mines illégales, dont l’activité occasionne de grandes violences, tant pour la population locale que pour la main-d’œuvre chinoise.

Cette présence chinoise est antérieure au projet de Nouvelles routes de la soie, qui n’a donc pas, en tant que tel, d’importantes conséquences en Afrique. Les campagnes antichinoises sont de plus en plus nombreuses dans certains pays africains, y compris sur les réseaux sociaux.

M. Zhao Alexandre HUANG a confirmé que les autorités chinoises poursuivaient des politiques spécifiques en Afrique, qui se distinguent des Nouvelles routes de la soie. Par exemple, la Chine a officiellement publié deux Politiques de la Chine à l’égard de l’Afrique, respectivement en 2006 et 2015. Ces documents comprennent de nombreux éléments et règles spécifiques de l’engagement de Pékin dans les affaires africaines.       La publication de ces documents constitue une manifestation de la légitimation et de l’institutionnalisation du gouvernement chinois en matière d’expansion économique et politique en Afrique. L’Afrique apparaît comme un terrain d’expérimentation du soft power chinois.

En réponse à des  questions de MM. Hussein BOURGI et Stéphane DEMILLY, M. Zhao Alexandre HUANG a indiqué que les expatriés chinois n’avaient généralement pas le droit d’emmener leur famille à l’étranger. La France devrait réfléchir à une évolution de ses outils d’influence en Afrique, et à l’augmentation de leurs moyens. Le budget de l’Institut Confucius n’est pas connu. La corruption peut faire partie des pratiques chinoises, y compris dans le cadre de l’Institut Confucius.

M. Thierry VIRCOULON a répondu que la présence de ressortissants chinois en Afrique était avant tout due à une migration de travail. De plus en plus de femmes chinoises font des affaires en Afrique. Le racisme antichinois est de plus en plus fréquent et visible. Les tentatives de coopération trilatérale, entre les parties chinoise, française et africaine, n’ont jamais abouti, car les Chinois refusent d’entrer dans ce type de relation. Il existe certes quelques partenariats d’affaires franco-chinois en Afrique, en Ouganda ou au Cameroun par exemple, mais ils sont déséquilibrés. Ainsi, des ressortissants français présents sur place ont pu être embauchés par des entreprises chinoises, notamment pour leur francophonie, mais ils sont le plus souvent licenciés après une période d’apprentissage par les Chinois. Les flux financiers entre la Chine et l’Afrique sont très difficiles à évaluer en raison d’une grande opacité.

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