Le Pr Lionel Honoré (à gauche) et M. Dominique de Legge (à droite)

Le mercredi 10 novembre 2021, le groupe interparlementaire d’amitié France-Saint Siège, présidé par M. Dominique de LEGGE (Les Républicains Ille-et-Vilaine), a reçu le Pr Lionel HONORÉ, Directeur de l’Observatoire du fait religieux en entreprise.

Étaient également présents  MM. Bruno BELIN (LR-Ratt. Vienne), Bernard FOURNIER (LR Loire), Daniel LAURENT (LR Charente-Maritime), et André VALLINI (Socialiste, Écologiste et Républicain – Isère).

- - -

M. Dominique de LEGGE, président, a rappelé que le Pr Lionel HONORÉ, auteur du rapport de l’Institut Montaigne intitulé Religion au travail : croire au dialogue[1] paru en mai 2021, était un excellent connaisseur de ce sujet qu’il suit depuis 2012, année durant laquelle il a créé l’Observatoire du fait religieux en entreprise à Sciences-Po Rennes. Il a indiqué que cette thématique renvoyait à la fois à l’intérêt particulier du groupe d’amitié compte tenu de l’engagement du Pape François pour le dialogue inter-religieux mais aussi, plus concrètement, à la question de l’application de l’article 2 de la loi du 8 août 2016[2] qui donne la possibilité aux entreprises d’intervenir dans ce domaine.

Le Pr Lionel Honoré a expliqué qu’il avait entamé ces recherches à la suite de l’affaire de la crèche Baby Loup à Chanteloup-Les-Vignes, alors qu’il participait au Groupe de recherche anthropologie chrétienne et entreprise[3], ayant notamment pour objet d’examiner l’influence de la doctrine sociale de l’Église dans les entreprises. La première enquête sur le fait religieux au travail, parue en 2013, a été soutenue par Randstad. Depuis 2018, ce travail reçoit le soutien de l’Institut Montaigne.

Si l’étude s’intéresse spécifiquement à l’entreprise privée, l’environnement professionnel vient en résonance avec ce qui se passe dans le reste de la société. Ainsi, après une croissance entre 2014 et 2016, le fait religieux est désormais installé dans le quotidien des entreprises, deux-tiers d’entre elles y étant confrontées régulièrement ou occasionnellement.

Cette évolution recouvre toutefois des réalités extrêmement différentes. Dans la majorité des cas, aucune intervention managériale n’est nécessaire. Seules 10 % des situations suscitent un conflit, taux en augmentation régulière puisqu’il était de 4 % en 2014. En fait, deux types de situations sont à distinguer. Il y a, d’un côté, celles qui relèvent de l’« invisibilisation » du fait religieux par les salariés ou de l’adaptation de leurs pratiques comme des demandes d’aménagements de planning, la présence d’objets religieux ou des cas de prière pendant les pauses qui sont traitées comme une autre demande d’absence ou une autre activité pendant les pauses et qui ne posent pas de difficulté. Et il y a, d’un autre côté, des faits plus rares mais plus manifestes qui qui perturbent la vie au travail comme le rejet de collègues, ou encore des actes empreints de misogynie ou de prosélytisme.

Si le choix de la discrétion parmi les salariés est largement majoritaire, c’est que les discriminations sont réelles et en hausse contre ceux qui affichent leur pratique religieuse. Le regard sur la religion a changé dans les entreprises : au début des années 2010, les pratiques religieuses étaient associées à des comportements éthiques et donc positifs ; or ce n’est plus le cas aujourd’hui, quelles que soient les religions.

Depuis que l’enquête a été réalisée, on constate que les entreprises et les salariés savent de mieux en mieux ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas. Les bonnes pratiques sont de mieux en mieux partagées mais les comportements rigoristes et conflictuels augmentent également : ce sont deux réalités qui se juxtaposent. Dans la majorité des entreprises, le sujet est invisible ou géré de façon satisfaisante, les problèmes se concentrant dans une minorité d’entre elles. La loi de 2016 a joué un rôle important pour encadrer le fait religieux dans les entreprises, permettre la création de dispositifs de gestion et assurer le soutien des managers de proximité. Les grandes entreprises sont aujourd’hui les mieux outillées à cet égard, à la différence des PME. 37 % des entreprises n’ont encore aucun dispositif d’encadrement. Le principe reste la liberté religieuse, sauf dispositions particulières figurant dans le règlement intérieur.

Si tous les secteurs sont concernés. L’industrie ou les transports, qui emploient une main d’œuvre importante et peu qualifiée, sont particulièrement touchés. Le fait religieux concerne aussi bien les hommes que les femmes, mais les cas problématiques impliquent surtout des hommes musulmans de moins de 40 ans.


Source : Institut Montaigne

73 % des cas répertoriés concernent l’islam, 20 % les catholiques, 15 % le judaïsme et 13 % les évangéliques[4]. Si chez les catholiques et les juifs, ce sont les questions d’aménagement du temps de travail et de signes extérieurs qui ressortent majoritairement, le prosélytisme est associé aux évangéliques tandis que l’islam concentre les problématiques les plus conflictuelles.

De gauche à droite : MM. Daniel Laurent, Bernard Fournier, Bruno Belin,
 Lionel Honoré et Dominique de Legge

Répondant à MM. André VALLINI, Dominique de LEGGE, président, et Bruno BELIN, qui l’interrogeaient sur les principes et les pratiques s’appliquant dans les entreprises, les associations et le secteur public, le Pr Lionel HONORÉ a précisé que sans règlement intérieur permettant de cibler le fait religieux, une entreprise ne peut s’opposer qu’à un comportement par nature contraire aux obligations du salarié (refus de réaliser une tâche ou de travailler avec une femme par exemple). Dans le secteur public, la laïcité s’impose mais des accommodements existent et peuvent même faire jurisprudence localement. Les situations les plus difficiles à gérer sont le fait de personnes qui estiment que la pratique religieuse joue un rôle essentiel dans leur vision de la religion et qui prennent conseil auprès de pairs plutôt que de cadres religieux (prêtres, imams…). Dans ces situations, le laisser-faire peut être dangereux car incitant à des comportements mimétiques qui s’imposent alors dans l’espace de travail.

Répondant à la question de M. Daniel LAURENT sur la méthodologie de l’enquête et les éventuelles différences entre les zones rurales et les métropoles, le Pr Lionel Honoré a indiqué que l’étude reposait sur des questionnaires annuels ou bisannuels et sur des enquêtes de terrain recourant à des entretiens. Les faits problématiques se concentrent en effet dans les grandes zones urbaines, presque pour moitié en région parisienne. Si une bonne gestion est observée dans la plupart des cas, une minorité relève de situations toujours plus complexes. La proximité avec un lieu de culte posant des difficultés doit également être prise en considération.

M. Dominique de LEGGE, président, l’ayant interrogé sur la situation chez les cadres et sur l’attitude des centrales syndicales, le Pr Lionel HONORÉ a estimé que les premiers avaient tendance à assumer plus ouvertement et de manière plus décomplexée leur appartenance religieuse, mais qu’ils connaissaient bien leurs obligations. On note même des entreprises créées avec la volonté explicite de faire une place à la religion, a-t-il ajouté. Si certaines centrales syndicales ont une doctrine très claire au niveau national comme local, cela s’avère moins aisé pour d’autres en raison de dérives localisées.

M. André Vallini

Répondant à M. André VALLINI sur la nécessité de renforcer l’encadrement législatif, le Pr Lionel HONORÉ a estimé qu’il était suffisant dans 80 à 90 % des cas. Mais l’État pourrait faire plus pour encourager les entreprises à adopter des dispositifs de régulation, par exemple à travers l’Inspection du travail. Il pourrait aussi préciser les choses dans les cas extrêmes, le professeur ayant cité l’exemple d’un salarié « fiché S » qui avait dû être réintégré après licenciement alors qu’il avait accès à des armes. La loi pourrait aussi sanctionner le « prosélytisme passif » qui a été reconnu par la jurisprudence européenne.

Enfin, à la suite de la remarque de M. Daniel LAURENT, le Pr Lionel HONORÉ a souligné que les métiers « ubérisés » étaient fortement concernés par la problématique des pratiques religieuses. Toutefois, les difficultés restent minoritaires – quoique non anecdotiques – et la gestion du fait religieux majoritairement est plus aisée, y compris à la demande des musulmans.


[1] https://www.institutmontaigne.org/publications/religion-au-travail-croire-au-dialogue-barometre-du-fait-religieux-en-entreprise-2020-2021
[2] Article L. 1321-2-1du code du travail issu de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels - https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/article_jo/JORFARTI000032983501
[3] https://www.grace-recherche.fr/
[4]

Contact(s)