Réuni le jeudi 17 Juin 2021 sous la présidence de Mme Véronique Guillotin ( Rassemblement Démocratique et Social Européen – Meurthe-et-Moselle), le groupe d’amitié France-Moldavie s’est entretenu en visio-conférence avec M. Pascal Le Deunff, Ambassadeur de France en République de Moldavie, accompagné de M. Marc Ivarra, Premier conseiller.

Étaient également présents : M. Bernard Fialaire (RDSE – Rhône) et M. Jean-Pierre Corbisez (RDSE – Pas-de-Calais).

M. Pascal Le Deunff a d’abord dressé un tableau de la situation politique en Moldavie, plus particulièrement des élections législatives anticipées du 11 juillet 2021 visant à renouveler les 101 sièges du Parlement monocaméral moldave. Après avoir proposé deux Premiers ministres auxquels l’assemblée n’a pas accordé sa confiance, la Présidente moldave Maia Sandu a obtenu, en application de la constitution, l’accord de la Cour constitutionnelle pour une dissolution le 28 Avril 2021. Élue le 15 novembre 2020 avec 58 % des suffrages, Maia Sandu aspire à obtenir une majorité parlementaire qui lui permette d’appliquer son programme de réformes. 37 sièges sont aujourd’hui occupés par le Parti des socialistes de la République de Moldavie (PSRM) de l’ancien président Igor Dodon.

Conformément au système électoral moldave, les députés seront élus pour un mandat de quatre ans au scrutin proportionnel plurinominal à un tour, avec une répartition des sièges à la plus forte moyenne. Pour entrer au Parlement, le seuil électoral est fixé à 5 % pour un parti unique, à 7 % pour les listes présentées conjointement par deux partis et à 11 % pour les listes présentées par des coalitions de trois partis ou plus. Dans le cas de candidats sans étiquettes, ce seuil est abaissé à 2 %.

L’ambassadeur a présenté les forces politiques en présence au cours de la campagne électorale, pour laquelle 24 listes se présentent

- à gauche, le parti socialiste d’Igor Dodon s’est uni avec le parti communiste de Vladimir Voronin pour former le « bloc électoral des communistes et socialistes », Cette liste mène une campagne très « géopolitique », en tenant notamment un discours anti-occidental et anti-roumain ; le Parti de Renato Usatîi, maire de Balti, présente une liste séparée ;

- le centre gauche est représenté par le Parti démocrate de Moldavie dirigé par Pavel Filip, parti europhile et social-démocrate, et le Parti pour le développement et la consolidation de la Moldavie de Ion Chicu ;

- au centre droit et à droite, plusieurs partis ont présenté leur candidature : le Parti action et solidarité (PAS) fondé par Maia Sandu et dirigé par Igor Grosu, la Plateforme vérité et dignité (DA) dirigée par Andrei Năstase, ainsi que plusieurs petits partis pro-européens, y compris unionistes ;

- enfin, le parti nationaliste et russophile d’Ilan Șor bénéficie aujourd’hui de 7 sièges au Parlement.

Très populaire en Moldavie, la Présidente Sandu s’est engagée à lutter contre la corruption et à réformer le système judicaire moldave. Elle bénéficie d’un fort soutien de l’Union européenne : le 2 Juin 2021, elle a obtenu de la Commission européenne un plan de relance économique de 600 millions d'euros afin de promouvoir la reprise économique en Moldavie après la crise sanitaire.

Néanmoins, plusieurs éléments laissent encore planer le doute sur la victoire du parti présidentiel aux prochaines élections :

- un éparpillement des voix des électeurs pro-européens : plusieurs partis pro-européens n’ont pas rejoint la coalition de Maia Sandu, certains souhaitant se présenter de manière indépendante et d’autres ayant même rejoint le bloc communiste et socialiste. Il n’est cependant pas exclu que certains partis se retirent avant l’élection ;

- des possibilités de fraude, de pression ou de désinformation : des recours visant à contester les résultats du vote auront très certainement lieu le soir du 11 juillet.

Selon les sondages, plusieurs scénarii sont envisagés pour l’issue du scrutin :

- quelques enquêtes prédisent une majorité absolue pour le parti présidentiel PAS (qui parviendrait tout juste à atteindre 50 % des voix). D’autres sondages anticipent l’obtention d’une majorité relative : dans ce cas, le PAS devrait s’allier avec d’autres partis, probablement la plateforme DA d’Andrei Năstase, voire avec le parti de Renato Usatîi en cas de score trop faible ;

- dans un deuxième scénario, le bloc de gauche parviendrait à une majorité, en s’alliant possiblement avec le parti d’Ilan Șor ;

- enfin, un dernier scénario prévoit l’impossibilité de parvenir à une majorité pour former un gouvernement. Cette éventualité n’est pas exclue si les résultats sont trop serrés. Il pourrait en découler un blocage institutionnel qui serait amené à durer plusieurs mois. En effet, il faudrait alors attendre 2022 pour pouvoir réorganiser des élections législatives anticipées, le Parlement ne pouvant pas être dissous deux fois dans la même année selon la constitution moldave.

Interrogé par Mme Véronique Guillotin, présidente, quant à l’influence de la diaspora sur le scrutin à venir, l’ambassadeur a indiqué que la commission électorale avait décidé le 5 juin 2021 d’ouvrir un nombre de bureaux de vote plus réduit que ce qu’avait proposé le ministère des affaires étrangères, alors que beaucoup de Moldaves de l’étranger n’avaient pu voter lors de l’élection présidentielle en raison de l’affluence ou du manque de matériel électoral. Cette décision a provoqué une controverse qui, paradoxalement, pourrait susciter une plus forte mobilisation des Moldaves de l’étranger. Le parti PAS, qui est fortement soutenu par la diaspora installée en Europe de l’Ouest, a fait un recours contre la décision de la commission électorale estimant le nombre de bureaux de vote (146) insuffisant. Le parti socialiste, quant à lui, est bien implanté parmi les Moldaves résidant en Russie, ce qui laisse planer une incertitude quant à l’influence de la mobilisation de la diaspora sur le scrutin.

L’ambassadeur a ensuite répondu aux questions des sénateurs.

M. Jean-Pierre Corbisez l’a interrogé sur la place dans le débat électoral de la question de la Transnitrie. L’ambassadeur a répondu qu’il s’agissait d’un sujet récurrent en Moldavie, depuis la proclamation de la sécession de la Transnistrie en 1992, qui a été mal vécue, mais que la question de son statut était peu discutée. La Présidente Sandu est très prudente sur ce sujet et souhaite adopter une approche en deux temps : elle aspire d’abord à éliminer la corruption, endémique dans la région sécessionniste, et ensuite à entreprendre un dialogue avec les formations politiques en place afin de parvenir à un accord final sur le statut de la Transnistrie. Maia Sandu entend parallèlement faire voter une loi de décentralisation.

Interrogé par M. Bernard Fialaire sur le poids de la diaspora moldave, l’ambassadeur a répondu qu’un million de Moldaves vivaient actuellement à l’étranger, sur une population d’environ 3,5 millions de personnes. Néanmoins, il s’agit d’une estimation délicate, puisque de nombreux Moldaves possèdent désormais des passeports roumains ou russes. Plus de 250 000 membres de la diaspora, surtout en provenance d’Europe de l’Ouest, se sont mobilisés au cours de la dernière élection présidentielle, ce qui a favorisé l’élection de Mme Sandu.

À la demande de Mme Véronique Guillotin, M. Pascal Le Deunff a fait un point sur la situation sanitaire, qui s’est nettement améliorée depuis cinq semaines. Le taux d’incidence du virus est désormais inférieur à 45 pour 100 000 et le nombre de patients en réanimation est situé en-dessous de 50. De nombreux Moldaves sont vaccinés et l’économie fonctionne presque normalement. Le pays a reçu plus de 233 000 vaccins AstraZeneca et Pfizer par le biais de la plateforme COVAX. Il a également bénéficié d’un don de 140 000 vaccins russes et de vaccins chinois du laboratoire Sinopharm. De nombreuses personnes sont allées se faire vacciner en Roumanie avec des passeports roumains. Aujourd’hui, 539 000 moldaves ont reçu au moins une dose et 153 000 ont reçu les deux injections. La question des vaccins a finalement été peu politisée, malgré certaines tentatives. Les premiers vaccins ont été livrés dans le cadre du programme COVAX, tandis que les vaccins chinois ont été peu nombreux malgré une forte médiatisation.

Avant de conclure, l’ambassadeur a tenu à présenter certains sujets d’actualité : sur le plan bilatéral, un accord de sécurité sociale et une convention fiscale sont en cours de finalisation ; en matière de développement, une délégation d’Expertise France est venue en soutien sur la réforme de la justice et une mission exploratoire de l’Agence française du développement (AFD) a été conduite en mars 2021 pour étudier la possibilité d’intervenir en Moldavie par le biais de prêts.

Enfin, l’échange s’est terminé en évoquant le prochain déplacement en Moldavie du groupe d’amitié, au sujet duquel l’ambassadeur a affirmé qu’il serait particulièrement opportun à l’automne. En effet, un nouveau gouvernement serait certainement formé d’ici là, et le Parlement devrait également être en place, à moins qu’aucune majorité ne se soit dégagée. L’ambassadeur a fait part de son souhait de refaire un point avec le groupe à l’issue du scrutin au milieu du mois de juillet.

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