De gauche à droite : Mme Lilia Ticu, M. Eric Gold, S.E Mme Corina Călugăru,
Mme Gisèle Jourda, Mme Véronique Guillotin, Mme Maryse Carrère et M. Mickaël Vallet


Réuni le mardi 1er mars 2022 sous la présidence de Mme Véronique GUILLOTIN (Rassemblement Démocratique et Social Européen – Meurthe-et-Moselle), le groupe d’amitié France-Moldavie s’est entretenu avec S.E. Mme Corina CĂLUGĂRU, Ambassadrice de Moldavie en France, qui était accompagnée de Mme Lilia TICU, conseillère Affaires politiques.

Ont également participé à la réunion : Mme Nadia SOLLOGOUB (Union Centriste – Nièvre), présidente du groupe d’amitié France-Ukraine, Mme Maryse CARRERE (RDSE – Hautes-Pyrénées), M. Éric GOLD (RDSE – Puy-de-Dôme), Mme Gisèle JOURDA (Socialiste, Écologiste et Républicain – Aude) et M. Mickaël VALLET (SER – Charente-Maritime).

Mme Véronique GUILLOTIN, présidente, a souligné le choc et l’émotion des membres du groupe d’amitié face à la situation de l’Ukraine et de la Moldavie.

S.E. Mme Corina CĂLUGĂRU a déploré les circonstances qui l’amenaient à échanger pour la première fois avec les sénateurs et la grande incertitude qui entoure désormais le futur de la Moldavie. Regrettant que son pays soit surtout connu pour les scandales de corruption ou, aujourd’hui, la guerre menée par la Russie à ses portes, elle a souhaité qu’à l’avenir, il soit plutôt associé à ses nombreuses richesses et à son action en faveur de la stabilité régionale.

L’ambassadrice a rappelé que la Moldavie vivait depuis 1992 avec la présence de l’armée russe sur son territoire. Au millier de soldats russes stationnés dans la région sécessionniste de Transnistrie, il faut également ajouter la « bombe à retardement » que représentent les 22 000 tonnes de munitions stockées de manière précaire dans des entrepôts transnistriens à Cobasna, dont l’explosion aurait un impact équivalent à celle du port de Beyrouth.

En outre, elle a alerté sur l’aspect critique de la situation en Moldavie. 100 000 réfugiés sont déjà arrivés, dont 55 000 à 60 000 ont depuis repris la route vers la Roumanie ou d’autres pays de l’Union européenne. Les Moldaves entendent chaque nuit le bruit des bombardements russes, et la population se prépare au pire en accumulant des produits de première nécessité et en prenant connaissance des consignes de sécurité et de l’emplacement des abris anti-aériens.

S.E. Mme Corina CĂLUGĂRU a souligné l’extraordinaire mobilisation que le peuple moldave avait su montrer à toute l’Europe pour aider dans l’urgence les réfugiés ukrainiens. Elle a rappelé que la minorité ukrainienne était la plus nombreuse dans son pays, avant la minorité russe, mais que le russe était la langue de communication interethnique en Moldavie.

Elle a énoncé quels étaient les risques immédiats : assurer financièrement et en termes d’organisation un accueil plus long des réfugiés dans de bonnes conditions (logement, scolarisation des enfants en langue russe ou ukrainienne, assistance psychologique ...) ; mobiliser les hôpitaux situés à côté de la frontière ukrainienne et assurer leur approvisionnement en matériel médical, sang et insuline en particulier ; faire face aux conséquences économiques de la guerre, en particulier la hausse du prix du gaz russe, qui s’élève déjà à des prix 40 % plus élevés qu’en octobre et pour lequel le gouvernement assure une compensation auprès de la population ; et le paiement des salaires des fonctionnaires qui sont mobilisés au-delà de leurs heures habituelles pour assurer leur mission auprès des réfugiés. La situation bancaire est également préoccupante car la population, inquiète, a retiré beaucoup de liquidités.

Enfin, la situation de blocage des échanges économiques avec la Russie, la Biélorussie et l’Ukraine met en jeu la sécurité alimentaire de la Moldavie et la santé économique des entreprises moldaves. Les exportations comme les importations vers la Russie sont fortement entravées car elles transitent habituellement par l’Ukraine : 5 millions d’euros de marchandises russes ou biélorusses en attente de livraison sont ainsi retenus aux frontières par l’armée ukrainienne. De même, des produits issus de l’agriculture moldave (céréales, fruits, légumes) sont bloqués à l’exportation et risquent de se périmer.

À la suite d’une question de Mme Véronique GUILLOTIN, présidente, sur les capacités d’accueil des réfugiés ukrainiens, l’ambassadrice a souligné que la Moldavie possédait déjà des infrastructures d’accueil, afin de prendre en charge les immigrés en provenance d’Asie et du Moyen-Orient. Cependant, ces structures sont actuellement submergées et manquent sévèrement de place et de biens de première nécessité.

Répondant à Mme Nadia SOLLOGOUB qui lui demandait si certains réfugiés ukrainiens souhaitaient quitter la Moldavie sans pouvoir y parvenir, l’ambassadrice a relevé les problèmes de mobilité des Ukrainiens venus sans papiers et la nécessité de mobiliser des avocats spécialisés dans le droit des réfugiés, questions sur lesquelles il n’existe que peu de spécialistes en Moldavie. Elle a souligné que la Moldavie avait accepté des réfugiés sans papier pour ne pas créer d’encombrement à la frontière, mais que le gouvernement restait vigilant et procédait à des vérifications ultérieures car il existe un risque de provocation. L’ambassadrice a relayé des appels auprès du gouvernement français pour aider la Moldavie à améliorer sa résilience, notamment sur le plan informationnel. La question de la lutte contre les fausses informations et le piratage informatique est en effet cruciale.

À la suite d’une question de Mme Véronique GUILLOTIN, présidente, sur le degré de dépendance de Chisinau au gaz russe, l’ambassadrice a déploré qu’il n’existe actuellement pas de fournisseur d’énergie susceptible de remplacer la Russie. C’est la raison pour laquelle la Moldavie ne peut s’associer aux sanctions européennes prises contre la Russie depuis 2014. Le gouvernement a commencé à réfléchir à des alternatives et sera appuyé par l’Agence française de développement (AFD) pour assurer une diversification du secteur de l’énergie.

Mme Véronique GUILLOTIN, présidente, s’étant enquise de la probabilité d’une propagation du conflit en Moldavie, l’ambassadrice a rappelé la neutralité de la Moldavie et expliqué que le gouvernement cherchait actuellement à maintenir le dialogue avec toutes les parties. Si la majorité de la population refuse de croire que Moscou attaquerait délibérément la Moldavie, elle a souligné le risque que la Moldavie ne soit la victime accidentelle d’un bombardement et rappelé la présence militaire russe en Transnistrie.

Interrogée par Mme Gisèle JOURDA sur la valeur de la neutralité moldave alors que Chisinau a affiché son appartenance européenne et que Moscou semble engagé dans une guerre contre l’Occident, l’ambassadrice a souligné qu’il s’agissait d’une neutralité militaire inscrite dans la constitution moldave pour conserver la cohésion du pays après l’occupation de la Transnistrie par les troupes russes en 1992. Un rapprochement avec l’OTAN entraînerait immédiatement une nouvelle demande d’indépendance de la Transnistrie, tandis que la région autonome de Gagaouzie a clairement fait comprendre qu’elle valorisait plus les relations moldaves avec la Russie qu’avec l’Union européenne. En parallèle, la Moldavie est engagée depuis 2007 dans un partenariat pour la paix avec l’OTAN, alors que l’accord d’association avec l’Union européenne agit comme la force motrice des efforts de réformes institutionnelles du pays. La demande d’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne va conduire la Moldavie à considérer son avenir au sein de l’Union. L’intégration européenne est le sujet prioritaire du gouvernement : le futur de la Moldavie est dans l’Europe et les circonstances tragiques actuelles imposent de faire un choix (1).

En sa qualité de rapporteure pour la commission des Affaires européennes sur l’application des accords d’association en Moldavie, en Géorgie et en Ukraine, Mme Gisèle JOURDA a interrogé l’ambassadrice sur les progrès dans l’application de leurs conditions. S.E. Mme CĂLUGĂRU a répondu que la Moldavie travaillait activement à l’adoption des normes européennes dans tous les secteurs, non pas tant pour entrer dans l’Union, mais pour améliorer les conditions de vie en Moldavie, afin d’endiguer la fuite de la jeunesse et du personnel qualifié qui affecte le pays depuis les années 80.

À la suite d’une question de M. Éric GOLD sur la posture de la Transnistrie face à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, l’ambassadrice a souligné que la région sécessionniste était prise en étau entre les deux pays, étant donné que beaucoup de Transnistriens possèdent la nationalité russe ou ukrainienne en plus de la nationalité moldave. En outre, le président transnistrien de facto a déclaré qu’attaquer l’Ukraine n’avait aucun intérêt pour la Transnistrie. L’ambassadrice a précisé que la frontière moldo-ukrainienne était fermée.

Mme Véronique GUILLOTIN, présidente, a remercié l’ambassadrice pour sa présence et a exprimé la solidarité de tout le groupe d’amitié avec la Moldavie, avant de rappeler qu’une visite du groupe devrait prochainement avoir lieu quand les circonstances le permettraient.

(1) La Moldavie, comme l'Ukraine et la Géorgie, a finalement déposé une demande d'adhésion à l'Union européenne quelques jours après l'entretien.

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