Réuni le jeudi 17 février 2022, sous la présidence de M. Daniel SALMON (Écologiste – Solidarité et territoires – Ille-et-Vilaine), président, le groupe d’amitié France – Népal s’est entretenu par visioconférence avec M. Gilles BOURBAO, Ambassadeur de France au Népal.

M. Gilles BOURBAO a fait observer que le Népal apparaît certes comme « coincé » entre deux grandes puissances, la Chine et l’Inde, mais qu’il est avant tout enclavé au sein de cette dernière – la longue frontière sino-népalaise traverse l’Himalaya et rend par conséquent difficile l’accès à la Chine. En revanche, le Népal et l’Inde ont conclu un traité d’amitié dès 1950, qui a instauré entre eux la libre circulation des personnes et des marchandises ; par ailleurs, 80 % des Népalais sont de confession hindoue, soit une proportion plus importante qu’en Inde. Le Népal est néanmoins le terrain d’une compétition entre ces deux puissances asiatiques et, même si l’influence indienne continue de prévaloir, la Chine cherche à accroître la sienne au Népal.

L’Ambassadeur a indiqué que 2015 avait constitué une année de rupture au Népal, à la fois avec le fort séisme du mois d’avril, et l’entrée en vigueur de la nouvelle Constitution qui a mis fin à la monarchie et instauré une République fédérale, sans pour autant satisfaire les populations frontalières de l’Inde ni ce dernier. Parallèlement, l’avancée chinoise au Népal est plus marquée depuis 2015. Aussi la diplomatie népalaise promeut-elle des valeurs qui lui permettent de se protéger de ses deux grands voisins : multilatéralisme, non-alignement et volonté de relations pacifiques. Ce cadre permet aussi de donner des marges de manœuvre aux relations franco-népalaises.

M. Gilles BOURBAO a ensuite abordé la situation politique intérieure. Le Népal reste marqué par la force des partis politiques d’inspiration communiste, qui représentent deux tiers des parlementaires. Il en existe trois : d’abord, le Parti communiste du Népal, d’inspiration marxiste-léniniste, de l’ancien Premier ministre et chef de l’opposition, K.P. Sharma OLI, qui est aujourd’hui la première force politique au Parlement (35 % des sièges à la Chambre des Représentants et 30 % à l’Assemblée nationale) ; ensuite, le Parti communiste unifié du Népal, d’inspiration maoïste, dirigé par Pushpa Kamal DAHAL, surnommé Prachanda, qui a mené la révolution ayant conduit à la chute de la monarchie, et qui appartient à la majorité (respectivement 18 % et 20 % des sièges dans les deux chambres du Parlement) ; enfin, le Parti socialiste unifié, issu d’une scission du Pari communiste du Népal en 2020 (respectivement 9 % et 16 % des sièges dans les deux chambres du Parlement), dirigé par M. Madav Kumar NEPAL, par ailleurs président du groupe d’amitié Népal-France, commun aux deux chambres. Enfin, le Parti du Congrès népalais est un parti d’inspiration démocratique et socialiste, proche de son homologue indien, et dont le dirigeant est l’actuel Premier ministre, Sher Bahadur DEUBA (respectivement 23 % et 17 % des sièges dans les deux chambres du Parlement). M. DEUBA est en fonction depuis juillet 2021, lorsqu’il succéda à M. OLI qui, à deux reprises, avait tenté de dissoudre la Chambre des Représentants, sans succès toutefois, la Cour suprême ayant à chaque fois annulé cette décision et finalement demandé à M. DEUBA de former un gouvernement de coalition. Les prochaines élections législatives sont prévues pour fin 2022-début 2023, après les élections locales, le 13 mai prochain.

L’Ambassadeur a rappelé que le Népal dispose désormais d’institutions républicaines, constitue un État fédéral, comportant sept provinces, et séculier, l’hindouisme n’étant plus qualifié de religion d’État. Ce modèle fonctionne globalement bien et n’est pas contesté – le parti monarchiste a obtenu moins de 3 % des suffrages aux dernières élections. La vie démocratique népalaise est dynamique, l’intérêt de la population se manifestant notamment par sa participation nombreuse à des conventions au cours desquelles ont lieu de longs débats portant sur des sujets divers. Pour autant, ces institutions connaissent actuellement une période de fragilité : le pouvoir exécutif est confronté à un problème de légitimité, à la fois pour le Premier ministre, à la tête d’une coalition hétéroclite de cinq partis politiques, qui éprouve donc des difficultés à prendre des décisions, et pour la Présidente de la République, Mme Bidya Devi BHANDARI, qui, par ses deux dissolutions ratées de la Chambre des Représentants, n’est pas parvenue à apparaître comme une figure impartiale ; le Parlement ne fonctionne pas bien et une cinquantaine de projets de loi sont en attente d’adoption ; le président de la Cour suprême, d’abord apparu comme le sauveur de la démocratie népalaise, a vu son image brouillée par des affaires de népotisme, qui ont provoqué de vives critiques et même une grève des avocats, à tel point que la perte de sa crédibilité personnelle a rejailli sur la Cour elle-même. Au total, le Népal est une démocratie fragile, dont la population exprime de plus en plus son impatience.

En réponse à une question de M. Daniel SALMON, président, M. Gilles BOURBAO a indiqué que la représentation des femmes, mais aussi des minorités ethniques et religieuses, et des castes inférieures, avait progressé. Le choix d’un mode de scrutin proportionnel et de sièges réservés aux élections a permis aux femmes d’occuper environ un tiers des sièges de parlementaires. Toutefois, la place des femmes, quoique plus enviable que dans d’autres pays voisins tels que l’Inde et le Pakistan, mériterait d’être améliorée dans de nombreux domaines.

À M. Daniel SALMON, président, l’Ambassadeur a indiqué que la chambre haute népalaise, appelée Assemblée nationale, composée de 59 élus issus des sept provinces, assure la représentation territoriale du pays. La Chambre des Représentants, qui compte 275 sièges, dysfonctionne régulièrement, l’opposition parvenant à bloquer le vote des lois. La Constitution népalaise, un document de plus de cent pages, n’a pas encore donné lieu à un fonctionnement mature des institutions.

En réponse à une question de M. Daniel SALMON, président, M. Gilles BOURBAO s’est félicité que la France soit très bien perçue au Népal. La population népalaise est jeune et marque donc un grand intérêt pour l’Occident en général et sa culture (mode de vie et réseaux sociaux en particulier). Les Népalais plus âgés ont une approche de la France plus attentive à son histoire, la Révolution notamment. En matière économique, la France bénéficie d’une bonne image grâce à ses savoir-faire technologiques perçus comme des outils de développement pour le pays.

À M. Daniel SALMON, président, qui l’interrogeait sur le projet français de téléphérique à Katmandou, l’Ambassadeur a rappelé que la société POMA avait, avec l’aide de la Direction générale du Trésor, réalisé une étude de marché en vue de construire un téléphérique visant à désengorger la circulation dans la capitale, ce projet étant soutenu par le précédent gouvernement népalais. Toutefois, cet intérêt ne se retrouve pas au sein du nouveau gouvernement, qui continue de réfléchir à la meilleure solution pour fluidifier la circulation à Katmandou et privilégierait à ce stade la construction d’un métro, même si un tel projet se heurterait à de nombreux obstacles techniques. Des bailleurs de fonds internationaux tels que la Banque mondiale ou la Banque asiatique de développement pourraient toutefois porter des projets de mobilité urbaine qui redonneraient de l’intérêt au téléphérique. Les autorités françaises portent deux autres projets au Népal : d’une part, l’impression de documents sécurisés (passeports, cartes d’identité, permis de conduire, etc.), projet pour lequel le gouvernement népalais n’a pas encore pris sa décision et, d’autre part, un satellite de télécommunications de la société THALÈS, en permettant de désenclaver certains territoires népalais, projet pour lequel le gouvernement hésite encore sur la méthode de mise en œuvre (accord intergouvernemental ou appel d’offres international).

En réponse à une question de M. Daniel SALMON, président, sur le potentiel hydro-électrique du pays, M. Gilles BOURBAO a indiqué que ce potentiel était considérable, mais qu’il restait peu exploité, même si le Népal est proche de l’autosuffisance en matière de production électrique grâce à un dispositif de centrales de petite taille. EDF participe à la préparation d’un projet de barrage au Népal, qui n’est cependant pas encore abouti. VINCI a remporté un marché public pour l’amélioration de la distribution de l’eau à Katmandou et cherche à poursuivre son implantation dans le pays. La difficulté tient aussi à la dimension géopolitique de l’eau : le Népal alimentant fortement l’Inde en eau, il craint une trop grande dépendance vis-à-vis de son puissant voisin, comme cela s’est passé pour le Bhoutan. Le Népal s’est donc tourné vers des projets de développement hydro-électrique chinois, provoquant le mécontentement de l’Inde. Par ailleurs, le Népal est le siège de l’organisation ICIMOD, qui regroupe huit pays riverains de l’Himalaya, et qui est fortement soutenue par des pays européens tels que le Royaume-Uni et la Suisse. L’Ambassade a proposé au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères de s’intéresser à cette organisation et de recruter, via Expertise France, un expert technique international spécialisé en cryosphère.

Contact(s)