Le 2 juin 2021, sous la présidence de M. Pierre CUYPERS (Les Républicains – Seine-et-Marne), président, le groupe interparlementaire d’amitié « France-Syrie » a auditionné M. Laurent CLERC, Président de l’association Baroudeurs de l'Espoir, et Mme Diane ANTAKLI, déléguée générale.

Étaient également présents : Mme Jacky DEROMEDI (LR – Français établis hors de France), MM. Philippe MOUILLER (LR – Deux-Sèvres), Pascal ALLIZARD (LR – Calvados) et Rémy FERAUD (SER – Paris).

Dans ses propos introductifs, M. Pierre CUYPERS, président du groupe d’amitié, a d’abord rappelé combien les sénateurs étaient attentifs à l’impact des sanctions européennes sur la situation humanitaire en Syrie et à leur efficacité à l’encontre du régime. À ce titre, il a indiqué que la Commission européenne a publié en 2020 une note précisant les exceptions et dérogations à ces sanctions, qui couvrent l’essentiel des biens et services humanitaires. Il a également précisé que la France et l’Union européenne ne contrôlent ni les sanctions américaines ni la possible surconformité d’opérateurs français, notamment des banques, qui refuseraient d’agir par peur de ces sanctions alors même qu’elles le pourraient. Il a ainsi demandé à M. Laurent CLERC et Mme Diane ANTAKLI, en tant que membres de l’association Baroudeurs de l’Espoir, quel était leur retour d’expérience en Syrie, alors que ce pays entre dans sa dixième année de guerre et que la pandémie de la Covid-19 vient s’ajouter aux difficultés du pays.

Dans un premier temps, M. Laurent CLERC a présenté l’association Baroudeurs de l’Espoir dont il assure la présidence. Créée en 2014, cette association vise à « agir plutôt que de déplorer l’état du monde » dans quatre domaines clés : l’éducation, le sport et la santé, l’urgence humanitaire et l’organisation de la reconstruction sociale. L’association repose sur trois principes forts : la neutralité politique et religieuse, le principe de non-discrimination dans l'aide apportée sur le terrain, et celui d’« 1 euro collecté = 1 euro versé ». Elle est présente dans trois pays – la Syrie (à travers des actions qui ont été menées à Alep, Damas et du camp de Shahba), le Liban (Beyrouth, camps de la Bekaa) et la France (Paris) – et compte un seul salarié pour une centaine de bénévoles. Ses actions devraient profiter à 6 000 bénéficiaires d’ici la fin de l’année 2021. Les opérations majeures qui ont été menées sont les suivantes : aide éducative pour 200 enfants par an à Alep, réinsertion de 11 femmes à travers le programme Heartmade, bibliothèque ambulante pour un camp de 650 personnes par an, un bus éducatif « Amel - Baroudeurs de l’Espoir » (« unité mobile éducative » ou UME), avec un système de classes nomades dans les camps de la Bekaa au Liban pour 650 enfants bénéficiaires (…)

De retour d’un séjour en Syrie (Alep et Damas), Mme Diane ANTAKLI a dressé un constat très alarmant de la précarité économique et sociale dans le pays, faisant état de la pénurie de nombreux biens et denrées, ainsi que du « manque complet de perspectives d’avenir ». Le prix du panier alimentaire moyen a ainsi augmenté de plus de 230%, l'inflation des prix avoisine, quant à elle, les 300%. Elle a ainsi fait part de l’existence de longues files d’attente pour l’essence (2 à 3 jours), entraînant par exemple l’arrêt total des activités éducatives de mars à septembre 2020 (manque d’essence pour les bus scolaires). De même, la déléguée générale a rapporté une grave pénurie de fioul en Syrie, pourtant indispensable pour le chauffage, et remplacé par des tissus à brûler. Les habitants d’Alep ne bénéficient de l’électricité que 2h par jour en moyenne ce qui provoque entre autres de graves difficultés de conservation des aliments ; ils sont souvent contraints à l’achat d’ampères supplémentaires. Il existe également une pénurie de pain (« 2 à 3h de file d’attente parfois »), et une recrudescence du travail des enfants et des violences conjugales et infantiles. Enfin, 75% des professionnels de santé auraient quitté le pays selon elle, et de nombreux troubles psycho-sociaux ne sont donc plus pris en charge. Des témoignages reçus sur le terrain par la déléguée générale, il apparaît qu'une grande majorité des syriens souhaiteraient désormais quitter le pays, n'ayant aucune perspective d'avenir.

Mme Diane ANTAKLI a ensuite détaillé l’ampleur de la crise économique en Syrie. L'aggravation de la crise économique a notamment été accélérée par la dévaluation considérable de la livre syrienne. Tandis qu’un euro s’échangeait pour 50 livres syriennes en 2011, il s’échangeait pour 3 800 livres le 7 février 2021 et  5 200 livres en mars 2021. Cette dévaluation étant même parfois perceptible dans la journée, certains commerces peuvent fermer inopinément en cours de journée ; ils pratiquent d’ailleurs des prix purement déclaratifs. Le litre d’huile d’olive (18 000 livres, soit 4 euros le litre) aurait été remplacé par la vente de contenants plus petits (250ml) et plus abordables. Enfin, le coût mensuel du mazout pour le chauffage est estimé à 160 000 livres syriennes pour une famille, ce qui est inaccessible pour la majorité des Syriens alors que le salaire moyen est de 30 000 à 40 000 livres. Selon les estimations de Mme Diane ANTAKLI, le coût de vie moyen mensuel pour une famille de quatre personnes serait de 500 000 livres syriennes, soit plus de 10 fois le salaire moyen. Alors que certains parlent d’un « début de famine » en Syrie, la déléguée générale de l’ONG Baroudeurs de l’Espoir a estimé pour sa part que la famine était déjà « bien installée » avec une alimentation totalement dégradée (à base de pain et de céréales).

M. Pierre CUYPERS a souhaité savoir si l’association constatait un écart entre la situation qui prévaut dans les villes et celle dans les campagnes.

Mme Diane ANTAKLI a rappelé que si Alep avait été partiellement détruite et non-reconstruite, évoquant un « paysage de ruines », Damas a été dans l’ensemble plus épargnée par les bombardements bien que la population y souffre également d’une extrême précarité. Elle a indiqué ne pas s’être rendue dans la campagne syrienne, « traversée uniquement », à l’exception de la ville de Afrine en zone kurde où elle a pu voir des campements très sommaires. Il est difficile de saisir la situation réelle dans les campagnes, bien qu’il semblerait qu’elles bénéficient de systèmes de subsistance (champs, potagers…) dont ne disposent pas les habitants des villes.

Suite à l’annonce de la réélection de M. Bachar AL-ASSAD avec 95,1 % des voix le jeudi 27 mai 2021, M. Pierre CUYPERS a souhaité savoir si cette réélection avait créé un climat d’insécurité, suscité des craintes et/ou des peurs. Il a souhaité savoir si l’association Baroudeurs de l’Espoir parvenait à s’assurer de la bonne destination des aides, et de l’absence de détournements.

Mme Diane ANTAKLI a confirmé un climat d’insécurité dans ce pays en guerre. La politique et les élections à venir n'ont pas été abordées dans les échanges menés avec des syriens sur le terrain par la déléguée générale. Réagir à ce climat de précarité requiert de l'énergie, une « immense force » inconcevable pour une population à bout de souffle. Répondant à la deuxième partie de la question, Mme Diane ANTAKLI a indiqué combien son association était soucieuse de la bonne utilisation des fonds, conformément au principe « 1 euro collecté = 1 euro versé ». Ainsi, des règles de transparence ont été mises en place avec les partenaires locaux, prenant la forme de contacts « quasiment » journaliers et de multiples rapports (financiers et d’activité) indispensables pour rassurer les donateurs et pour vérifier la bonne destination de l’aide, bien que parfois compliqués à exiger, dans la situation de guerre que vit le pays. Ces comptes rendus d’activité incluent par exemple des photos des actions conduites ou des listes de bénéficiaires (dans le cadre de l'hôpital Saint-Louis d'Alep par exemple). En raison du risque de faillite bancaire au Liban, l’association veille également à ne pas envoyer de fonds aux banques locales et privilégie ponctuellement des alternatives telles que les transferts par l’entreprise Western Union.

Interrogée sur l’obtention d’éventuelles aides publiques par M. Pierre CUYPERS, Mme Diane ANTAKLI a précisé que son association recevait des aides publiques de la France depuis 1 an, ainsi que des aides du Conseil départemental de la Savoie pour le programme d’éducation, d’aide sanitaire et de reconstruction sociale pour les enfants et adolescents de Beyrouth. Elle ne reçoit cependant aucune aide de l’Union européenne.

M. Pierre CUYPERS a souhaité savoir si l’association avait des interlocuteurs sur place en Syrie autre que les Maristes Bleus.

Mme Diane ANTAKLI a confirmé qu’en plus des Maristes Bleus, son association a entamé des démarches avec la Nour Foundation for Relief and Development à Damas. Au Liban, son association travaille avec les deux ONG AMEL Association et Les Enfants de la Méditerranée (LEM). Enfin, en France, l’association travaille en lien avec Utopia 56 et le Secours populaire français pour des actions ponctuelles.

M. Pierre CUYPERS s’est enquis de l’impact éventuel des sanctions européennes sur les activités de l’association.

Selon Mme Diane ANTAKLI, la difficulté principale réside dans les restrictions financières et bancaires. Les associations sont en effet impactées par les pratiques d’atténuation des risques par les banques (« de-risking »), y compris pour leurs campagnes de financement participatif (« crowdfunding »).Toutefois, l’ONG Baroudeurs de l’Espoir est soutenue dans ses actions en Syrie par la BRED, qui ne poserait aucun problème particulier. M. Laurent CLERC a ajouté que les fluctuations incessantes du cours de la livre syrienne avaient des répercussions immédiates sur les actions de l’association.

Répondant à une question du sénateur Pierre CUYPERS sur l’état des structures d’éducation et de santé, Mme Diane ANTAKLI a rappelé que 50% des écoles ont été soit détruites, soit utilisées à des fins militaires. On estime ainsi que la moitié des enfants syriens sont déscolarisés, d’où la recrudescence du travail infantile. De même, 50% des structures de santé ont été détruites et seuls 25% du personnel de santé est encore présent en Syrie, majoritairement à Damas. Selon elle, de par les témoignages reçus sur le terrain, la pandémie de la Covid-19 aurait été « le dernier de leurs soucis », alors que l’on peut actuellement mourir d’un diabète ou d’une insuffisance cardiaque en Syrie. A la question posée par le groupe sénatorial sur l'acquisition de portables malgré leur coût élevé, elle a précisé que si certains Syriens détiennent toujours un portable tout en souffrant de famine, c’est parce qu’il s’agit de leur seule « fenêtre sur le monde » et parce que des familles sont séparées du fait de l'exil ou de multiples déplacements liés aux hostilités.

M. Pierre CUYPERS s’est enquis des relations de l’Association avec les responsables religieux ou les ambassades ; il s’est également interrogé sur la perception de la France en Syrie.

Mme Diane ANTAKLI et M. Laurent CLERC ont affirmé ne pas avoir rencontré de responsables religieux syriens, ni d’ambassades autres que syriennes ou françaises, par souci d’impartialité et de neutralité. Ils n'ont pas encore eu de contact avec le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères français. S’agissant de la perception de la France, celle-ci est majoritairement bonne (par exemple, les migrants syriens envisagent d’aller en occident plutôt que de se rendre au Proche-Orient) même si une partie de la population perçoit la France comme un pays ennemi et lui impute une « totale responsabilité dans le chaos économique syrien ». Mme Diane ANTAKLI a également ajouté qu'à sa connaissance, il existait environ 25 associations franco-syriennes, mais que beaucoup d’ONG officieuses travaillent à travers des ONG officielles.

Interrogé sur sa fonction, M. Laurent CLERC a précisé qu’il n’était président de l’association que depuis 4 mois, qu’il ne s’était jamais rendu en Syrie dans le cadre de son association, et que cette présidence était « non-opérationnelle » mais davantage tournée vers le conseil, la stratégie et la communication.

M. Pierre CUYPERS a ouvert un échange de vues concernant la façon de réorienter ou de faire évoluer les sanctions économiques imposées à la Syrie.

Mme Diane ANTAKLI a rappelé que les sanctions, si elles ne visent pas l’aide alimentaire et médicale en théorie, ont tout de même des effets délétères suscitant des manques dans la pratique. Ainsi, elle a invité les sénateurs à mener une réflexion sur les effets collatéraux de ces sanctions, en lien avec les ONG. Elle a proposé notamment de réexaminer en pratique les effets collatéraux que peuvent avoir les sanctions actuelles de l'Union européenne sur les populations civiles et de travailler en collaboration pour des recherches continues, une coordination et une évaluation collective.

Elle a également rappelé que sur les deux couloirs humanitaires présents en 2019, il n'en existait plus qu'un, à travers le passage de Bab-Al-Hawa à la frontière turque, menacé de fermeture en juillet 2021. Elle a suggéré de réfléchir à l’ouverture de nouveaux corridors, pour faciliter l’acheminement de l’aide aux zones les plus reculées en Syrie, éviter tout détournement et s'assurer de leur bonne distribution.

M. Laurent CLERC a appelé de ses vœux une meilleure collaboration entre les banques et les associations humanitaires.

Interrogée sur l’état d’avancement de la vaccination en Syrie, Mme Diane ANTAKLI a précisé que si la campagne avait débuté, il n’y avait pas de protections suffisantes anti-Covid dans le pays. À titre d’exemple, lors d’une visite chez un dentiste, elle a pu constater qu’il n’y avait pas de lavage des mains entre deux patients. Le pays compterait une centaine de respirateurs, et 400 cas de Covid-19 suffiraient selon elle à saturer le système de soins.


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