Intervention du Président Gérard LARCHER
« Ensemble, vaincre les nouveaux braconniers de la nature »
Colloque du 18 mai 2015

C’est un grand plaisir pour moi que de venir conclure ce colloque du Saint Hubert Club consacré aux « braconniers de la nature ». Pour le Saint Hubert c’est un peu, en quelque sorte, un retour aux sources.

En effet, je me rappelle parfaitement, que mon père appelait les  « Saint Hubert » les gardes chasse de l’époque. Ils dépendaient alors des fédérations départementales de chasseurs et pour cette raison, on les dénommait aussi les « fédéraux » et j’ai commandé ces Fédéraux. Dans son propos liminaire, le Président Victor Scherrer a rappelé cette belle histoire, je n’y reviendrai pas. Aujourd’hui, cher Hubert Géant, ils sont devenus « agents techniques de l’environnement » et « techniciens de l’environnement ».


L’appellation est plutôt technocratique, mais ils continuent à exercer une mission primordiale que je salue. Les nombreux exposés qui vous ont été présentés aujourd’hui ont d’ailleurs montré, me semble t il, le caractère éminemment stratégique de cette police spécialisée que bien des pays nous envient. Grâce à ses partenariats avec la gendarmerie, la police parfois, la douane et l’ONEMA, l’ONCFS peut être fier de ses résultats et il ne me paraîtrait guère opportun d’en modifier sensiblement les contours et les missions.


Nous savons tous, (cela a été le fil conducteur de la journée), que les différents trafics liés aux ressources naturelles atteignent des proportions inquiétantes qui font peser de lourdes menaces sur la biodiversité mondiale, plus particulièrement sur les trois espèces emblématiques que sont le rhinocéros, l’éléphant et le tigre. Mais ces espèces, en quelque sorte emblématiques, ne sauraient faire oublier la multitude d’autres trafics sur toutes sortes d’espèces.


Après d’autres orateurs, je vous dirai toute la colère que j’ai ressentie en apprenant, la semaine dernière, le vol au zoo de Beauval, de sept tamarins lion dorés, et de dix ouistitis argentés.


Et le bilan qui a été dressé à cette tribune par le représentant de la brigade spécialisée CITES de l’ONCFS nous a appris que l’imagination et les choix des trafiquants en France dépassaient souvent l’entendement. Assurément, le « wild life crime » est un fléau d’échelle mondiale qu’il nous faut combattre avec détermination. La traduction française est aujourd’hui, si je ne me trompe, « braconnage de la nature » ce qui est bien trouvé à certains égards mais qui fait peut être peser une certaine suspicion sur la chasse en général. Ne faudrait il pas plutôt évoquer le « crime contre la nature » et le théoriser ? Je livre cette première observation à votre réflexion parce que j’ai en mémoire la traduction de « welfare » par « bien être » pour les animaux. Une fois cette traduction adoptée, nous sommes devenus inaudibles sur la « bientraitance » des animaux.


Pour conclure ce colloque à bien des égards novateur et riche d’enseignements, je souhaiterais maintenant en livrer une analyse politique que j’articulerai autour de trois problématiques.


La première problématique est celle de notre conception de la protection de la biodiversité. Au plan national, nous avons pu constater à l’occasion de l’examen par l’Assemblée nationale du projet de loi sur la biodiversité, que l’idéologie dominante était finalement celle de la protection patrimoniale, je dirais même « muséale », de l’environnement. Cette idéologie exclut le principe de conservation de la biodiversité par l’utilisation durable des ressources. Ce principe, je le rappelle, met les utilisateurs d’une ressource -chasseurs, pêcheurs, agriculteurs, randonneurs…  en première ligne de l’action, aux côtés des autres parties prenantes, avec un accompagnement de gouvernance fort de la part des pouvoirs publics.

En France, l’exemple de ce mode de gestion qui me vient immédiatement à l’esprit est celui du tétras : ce n’est qu’en maintenant un plan de chasse faible et contrôlé qu’on incite les chasseurs à entretenir un biotope favorable. Si la chasse est interdite, le biotope disparaît et le tétras avec !

J’ai l’impression qu’au plan international, si la situation est plus contrastée selon les pays et les espèces, il n’existe pas vraiment de consensus sur le principe de conservation de la biodiversité par l’utilisation durable des ressources. Le Docteur Rolf Baldus l’a parfaitement illustré en citant les idéologies anti chasse comme une des causes du braconnage et en promouvant l’idée d’une conservation qui implique fortement les populations locales. Voilà donc, brièvement exposée, cette première problématique qui me semble traverser tous les exposés qui ont été présentés aujourd’hui à cette tribune.

La seconde problématique qui m’apparaît également transversale à vos réflexions est celle de l’ouverture des espaces transnationaux et transcontinentaux par la réduction constante des contrôles aux frontières des flux de marchandises. Je connais les convictions du Docteur Bernard Vallat, directeur général de l’Organisation Mondiale de la Santé Animale (O.I.E.) sur les conséquences néfastes de cette réduction des contrôles sur la propagation des maladies animales ou végétales.

Je partage ce constat, dont nous mesurons chaque jour l’importance considérable, je pense notamment à la bactérie xylella fastidiosa qui décime l’oliveraie italienne.

A l’évidence, il appartient aux autorités nationales et internationales de réfléchir plus hardiment aux conséquences des frontières ouvertes, peut être trop ouvertes. Mais il convient également de savoir raison garder et de ne pas retomber dans les errements anciens de l’hyper cloisonnement des Etats et du protectionnisme généralisé. C’est la raison pour laquelle je salue les pistes de réflexion sur les moyens alternatifs de contrôle qui ont été évoquées pendant ce colloque. Il m’apparaît évident qu’il faut progresser rapidement sur la voie par exemple du « puçage » des animaux et la traçabilité généralisée des produits qui circulent sur la planète. Même si tous les problèmes n’ont pas été résolus, notamment pour les espèces exotiques, nous avons quand même enregistré de sérieux progrès en matière forestière grâce aux différentes certifications.

Puçage, traçabilité, certification, voilà donc, à mes yeux, les éléments incontournables de la réflexion à conduire au plan mondial. Les débats d’aujourd’hui auront utilement contribué à accélérer cette réflexion devenue incontournable.

La troisième problématique est celle de la réponse pénale à apporter à ces actes de délinquance environnementale. La première réponse qui vient à l’esprit est celle de la répression. Elle ne saurait être écartée, bien entendu, et ce colloque a permis de mieux connaître les outils mis en œuvre et les résultats obtenus en la matière. Le Directeur de l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (OCLAESP) vous a ainsi rappelé que la France n’échappait pas à ce pillage de la ressource naturelle pour satisfaire - si je puis dire – des « appétits étrangers », qu’il s’agisse de la civelle en métropole ou des lambis dans les espaces ultramarins.

Il vous a également dressé un bilan détaillé des coopérations internationales nouées entre les différents services de police. Hubert Géant, Directeur de la Police de l’ONCFS, a bien mis en évidence le rôle d’Internet pour mettre en relation demandeurs et offreurs d’espèces interdites à la commercialisation ainsi que la stratégie déployée par ses agents en matière de cyber-tracking. Toutes ces initiatives sont excellentes et doivent être poursuivies et amplifiées.

Mais elles se heurtent à de véritables mafias qui opèrent souvent dans des zones où il faut bien le reconnaître, la police spécialisée est soit inexistante, soit insuffisamment dotée en moyens matériels et humains, (soit parfois corrompue). C’est pourquoi la réponse pénale en termes de répression sera toujours insuffisante si elle ne s’accompagne pas d’une réponse en termes de prévention. Plusieurs outils peuvent être mis en place, je n’en développerai qu’un, celui du « soft power », de la pression morale sur les consommateurs.

Je me prends parfois à rêver que les énergies et les sommes considérables dépensées dans le monde occidental pour dénigrer le foie gras ou la viande (de cheval) soient utilisées désormais à défendre de vraies causes environnementales et s’appliquent à stigmatiser le potage aux ailerons de requins ou aux nids d’hirondelles, à railler les médications de charlatan sur la corne pilée de rhinocéros et le vin obtenu à partir d’os de tigre. Je n’ignore pas que nous sommes timorés en la matière, en partie parce que nous, Occidentaux, nous avons parfois un peu honte d’apparaître comme des donneurs de leçons, partie parce que nous craignons les répercussions commerciales de cet appel au boycott sur nos propres exportations.

Cette attitude timorée n’est plus de mise. N’oublions pas que les jeunes Chinois sont aujourd’hui aussi instruits que les jeunes Français et qu’ils peuvent parfaitement comprendre la réalité des choses. N’oublions pas non plus que le « soft power » appartient toujours au monde occidental, qu’il s’agisse du cinéma, des séries télévisées, des modes diverses… Il ne nous reste plus, si je puis dire, qu’à vouloir pour pouvoir.

Voilà brièvement exposées, les trois problématiques de nature politique que je souhaitais livrer à votre réflexion :

* la biodiversité doit être gérée et non mise sous cloche,
* les échanges mondiaux doivent être plus intelligemment maîtrisés sans être freinés,
* la répression ne trouvera sa véritable efficacité que si elle est mise au service d’une politique d’influence.