Discours du Président du Sénat, M. Gérard Larcher,
à l’occasion du colloque sur les retraites
Jeudi 21 mars 2019



Monsieur le Haut-Commissaire, cher Jean-Paul Delevoye,
Monsieur le Président de la commission des Affaires Sociales,
Monsieur le Rapporteur  général,
Madame et Monsieur les députés,
Mesdames et Messieurs les sénateurs, mes chers collègues,
Monsieur le Président du Conseil d’administration de la CNAV [Gérard Rivière],
Mesdames et Messieurs les présidents, secrétaires nationaux, généraux confédéraux des organisations syndicales et patronales,
Monsieur le Directeur de l’OCIRP [Pierre Mayeur],
Monsieur le Directeur de Terra Nova [Thierry Pech],
Mesdames et Messieurs,

Je suis heureux d’ouvrir ce colloque sur la réforme des retraites, le deuxième sur ce sujet, en présence du Haut-Commissaire à la réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye dont la présence est importante. Je remercie le président Milon, ses collègues ainsi que le secrétariat de la commission des affaires sociales pour l’avoir organisé, et en particulier Arnaud Wieber pour son implication exemplaire.

Nous avions pris l’engagement, l’an passé, de donner la parole aux partenaires sociaux. Nous y tenions. Nous sommes ainsi en phase avec la concertation approfondie et exemplaire que vous voulez mener, cher Jean-Paul Delevoye, pour la préparation de la réforme ; concertation dont vous avez eu à cœur de montrer qu’elle n’était pas, pour vous, un leurre.

C’est pourquoi je crois que ce colloque intervient au bon moment. On approche de la fin de la période de concertation. Chacun a envie de s’exprimer, de rappeler ses propositions ; les ministres eux-mêmes participent à ce débat…

L’essentiel n’est-il pas que les choses soient dites, par tous les acteurs concernés, en toute transparence et en toute bonne foi ? Il ne faut pas, non plus, tourner autour du pot et les choix, quels qu’ils soient, notamment sur l’allongement de la durée d’activité, doivent être assumés. On ne peut pas les camoufler en se réfugiant derrière la mise en œuvre d’une réforme de la prise en charge de la perte d’autonomie des personnes âgées.

Je ne reviens pas, Mesdames et Messieurs, sur mes propos de l’an dernier qui restent actuels. J’insistais alors sur la nécessaire sauvegarde de notre régime de retraites par répartition qui est au cœur de notre pacte social et républicain, ainsi que sur les enjeux de la réforme dite systémique. Je mettais en garde sur les conditions de l’équilibre financier. Cet équilibre est le gage pour les générations actives de la pérennité du système.

Je n’opposerai pas, quant à moi, les « bricolages » des réformes précédentes avec les grandioses perspectives du système universel. Il y a, d’ailleurs, des « bricolages » qui marchent et qui durent, n’est-ce pas Monsieur le Haut-Commissaire, et des grandes cathédrales législatives et administratives qui, elles, ne fonctionnent pas.

Mais je veux, cet après-midi, élargir mon propos. En effet, les questions soulevées par la réforme des retraites vont au-delà des modes de calcul ou du taux de remplacement, ou encore des modalités de gouvernance du système. Les choix qui vont engager l’avenir de nos retraites ne sont pas des choix de gestion, mais ce sont des choix politiques, au sens le plus noble du terme ; des choix qui touchent au lien social et au pacte républicain. Ils renvoient au sens même de notre système social, et aux valeurs de participation et de solidarité qui le fondent.

Je veux, par conséquent,  poser quelques questions, explorer quelques pistes sur la démocratie sociale et le dialogue social, et cela à la lumière de la crise que traverse notre pays, crise du pouvoir d’achat et de la pression fiscale  naturellement, mais aussi crise de la confiance et mise en cause de la démocratie représentative et de la représentativité des acteurs. Je n’évoquerai pas la crise de la démocratie politique. Ce serait, aussi,  sans doute le lieu...mais le moment venu, le Sénat fera des propositions !

Je regardais les travaux du Cevipof sur la confiance, et en particulier le baromètre du dialogue social paru en juin 2018, établi en lien avec l’association Dialogues animé par Jean-Dominique Simonpoli dont je profite pour saluer l’action. A la question avez-vous confiance dans les syndicats, seuls 35%  des salariés répondaient oui. Je vous fais grâce des autres questions qui illustrent, parfois encore plus, le fossé qui semble s’être creusé entre syndicats et salariés. Je reprendrai simplement les analyses de Martial Foucault, le directeur du CEVIPOF, et de Guy Groux directeur de recherche associé au CEVIPOF qui, en septembre 2018, soulignaient la dégradation ou la dépréciation de ce qu’il est convenu d’appeler démocratie sociale et donc du lien représentés/représentants. M Thierry Pech de Terra Nova qui a accepté d’intervenir cet après-midi me paraît partager ce diagnostic.

Cette question qui recouvre celle de la confiance est, naturellement, centrale. Comment pouvons-nous y répondre ? Quelles pistes explorer ?

Quand le Général de Gaulle parlait de participation, sa pensée allait bien au-delà des mécanismes, par ailleurs fort utiles, qui ont été mis en œuvre avec les ordonnances sur l’intéressement et la participation. Il visait, en fait, le fonctionnement de la société et la place de chacun dans son fonctionnement.

Distinguons par conséquent les niveaux d’actions possibles pour assurer cette participation effective de chacun aux décisions de tous… et concrètement, comment pouvons-nous revitaliser le lien des salariés avec les organisations représentatives. C’est la condition, je crois, de l’existence du syndicalisme fort dont nous avons besoin.

Inutile de vous dire, Mesdames et Messieurs, qu’en posant ces questions, je sais que le monde politique, dans son ensemble,  est tout autant interpellé sur ce thème de la confiance perdue, et qu’il va lui falloir, lui aussi, adopter de nouvelles règles et une nouvelle articulation entre la démocratie représentative et la démocratie participative ou coopérative pour reprendre le titre d’un rapport sénatorial de 2017! Car il s’agit de faire en sorte que l’une et l’autre se complètent, dans le respect  de la démocratie représentative, gage des libertés publiques.

La pensée du Général de Gaulle, j’y reviens, ne peut se  réduire à l’élection du Président de la république au suffrage universel, à la dénonciation du régime d’assemblée, ou à la souveraineté de la Nation. Je  cite son discours  du 31 août 1948: « Ni le vieux libéralisme, ni le communisme écrasant. Autre chose. Quoi ? Et bien, quelque chose de simple, de digne et de pratique, qui est l’association. C’est une vieille idée française; elle fut bien souvent dans notre histoire économique mise en valeur. Elle le fut en particulier par ces hommes généreux, pas toujours très pratiques, mais de bonne volonté et de valeur qui, vers les années 1835, 40, 48, et après, avaient suscité ce que l’on appelait alors le socialisme français, qui n’a aucun rapport avec la SFIO d’aujourd’hui ». Le Général de Gaulle visait ainsi, Mesdames et Messieurs, ce qui a été appelé par les marxistes le socialisme utopique, celui de Fourier mais aussi celui de Proudhon.

Mais nous sommes en 2019 ! Comment faire, aujourd’hui, pour renforcer le lien entre les salariés et les syndicats ? Je n’ai pas de solution clés en mains. Je veux simplement partager avec vous quelques questions et engager les débats ! Sans tabous, ni a priori !

Au niveau de l’entreprise, il faut se poser la question de l’association directe des salariés aux procédures de négociation. Cela va des plate- formes collaboratives en amont du lancement de la négociation jusqu’à la généralisation éventuelle du referendum avant la signature de l’accord. Il me paraît nécessaire de tisser ou retisser un lien direct avec les salariés qui contestent, parfois et de plus en plus, le seul fait d’être représenté. On leur donnerait, ainsi, un moyen d’expression directe, permettant de dépasser cette crise de la représentation.

Il y a aussi la réflexion sur le rôle même de l’entreprise, sa raison d’être en termes de responsabilité sociale, sociétale, environnementale. C’est le rapport Sénard-Notat. Je sais que le Sénat n’a pas partagé la mise en œuvre qui en est proposée par la loi Pacte. Mais cela n’enlève rien au débat qu’il faut continuer d’avoir sur cette question. N’ayons pas peur de bousculer les conceptions traditionnelles, et dépassées, de l’entreprise qui serait à la seule main des actionnaires !

Les idées évoquées par certains de rendre l’adhésion syndicale obligatoire, ou de réserver le bénéfice des accords aux seuls adhérents sont trop peu conformes à nos principes juridiques et à notre histoire.

Autres sujets sensibles que j’ouvre, en revanche, à la réflexion collective, et je sais bien qu’ils peuvent heurter des sensibilités que je respecte et que je partage :
- La fixation de seuils de représentativité plus élevés afin d’éviter l’émiettement syndical est-elle opportune?
- S’il est, également, légitime de poser la question de la suppression du monopole syndical de présentation au premier tour des élections, en la couplant, éventuellement,  à une obligation de vote et à une reconnaissance des bulletins blancs , j’ajoute qu’à titre personnel,  je la crois prématurée, surtout en cette période de contestation des acteurs représentatifs. Je ne veux ni d’un parti, ni d’un syndicat des gilets jaunes, pas plus que de listes communautaristes.

Toutes ces questions sont difficiles et polémiques ! Nous ne pouvons plus les esquiver.  Vous l’avez compris, Mesdames et Messieurs, je veux me battre, aux côtés des syndicalistes, afin de favoriser  la revitalisation syndicale au niveau de l’entreprise, car de cela dépend tout le reste. Mais le reste, à la différence de certains, je ne veux pas l’étouffer.

-Le niveau de la branche, car je ne suis pas un partisan du tout entreprise : je continue de croire à son rôle de mutualisation. Il faut retrouver du grain à moudre à ce niveau de négociation. Et, cela viendra naturellement si les syndicats s’enracinent dans l’entreprise.

-Le niveau national interprofessionnel : je crois plus que jamais nécessaire de respecter les mécanismes de la loi dite Larcher…A tenir pour secondaire le renvoi à la négociation, à trop vouloir l’enserrer dans des contraintes ou des lettres de cadrage qui dictent déjà les conclusions, on empêche les compromis, on empêche la prise de responsabilités par les partenaires sociaux ; et, in fine, on se retrouve un jour face à la crise du CPE, un autre jour face aux Ronds-points. L’articulation démocratie politique et démocratie sociale reste  un gage d’efficacité et d’apaisement des tensions.

Car je ne crois pas à l’État omnipotent ; c’est un leurre, ce sera l’État  obèse, l’État paralysé ! Je ne crois pas davantage à ceux qui mettent en avant les seules contraintes économiques! Ce sont, en général les mêmes, qui croient que l’on peut se passer de syndicats et que les techniques, soi-disant nouvelles, de management ou d’expression directe des salariés auprès de la hiérarchie seraient  gage de dialogue et de progrès. Je n’y crois pas un seul instant ! Dialogue social et implication des salariés passent par une représentation syndicale forte dans les entreprises. Mais pour cela, il faut innover, rompre avec des schémas anciens, et désormais obsolètes.

Vous voyez, Mesdames et Messieurs, que cet après-midi, je ne fais pas dans le « soft », le « rond », « l’eau tiède ». Je sens que nous avons besoin de cette intermédiation pour fortifier les mécanismes de représentation, qu’elle soit politique ou sociale, ou qu’elle touche les citoyens ou les salariés.

Je vais conclure par une citation :
« Il va y avoir bientôt 20 ans que la preuve est faite chaque jour que nous ne renouerons jamais avec les modèles anciens. Il faut donc en inventer de nouveaux ». C’était Philippe Seguin, il y vingt-cinq ans, dans son fameux discours sur l’emploi où il dénonçait un Munich social. Son message est plus actuel que jamais !

Excellent après-midi de travail. Je dois vous quitter, momentanément, pour présider la séance de questions au gouvernement.

Seul le prononcé fait foi