Service des Commissions

M. HUBERT VEDRINE EVOQUE DEVANT LES SENATEURS LA PROPOSITION DE LOI RELATIVE AU GENOCIDE ARMENIEN, LA DEMISSION DE LA COMMISSION EUROPEENNE, LE TRAITE RELATIF A LA COUR PENALE INTERNATIONALE ET L’ETAT DES DISCUSSIONS SUR LE KOSOVO

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, présidée par M. Xavier de Villepin, président, a entendu le mercredi 17 mars 1999, M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

Le ministre des affaires étrangères a tout d’abord évoqué, à la demande de M. Xavier de Villepin, président, la question de l’inscription éventuelle à l’ordre du jour du Sénat de la proposition de loi relative au génocide arménien, adoptée par l’Assemblée nationale. Il a exprimé la position du gouvernement et a accepté, à la demande de M. Xavier de Villepin, président, que sa déclaration soit rendue publique (voir le document annexé). Cette déclaration a reçu une très large approbation des membres de la commission.

M. Hubert Védrine a ensuite répondu aux questions de M. Robert Del Picchia et de M. Xavier de Villepin, président, sur la situation créée par la démission collective de la Commission européenne et sur les intentions du gouvernement français au regard de la nomination d’une nouvelle Commission.

Le ministre a précisé que la plupart des capitales européennes ne souhaitaient pas laisser se prolonger une situation dans laquelle la Commission démissionnaire se trouvait très affaiblie. Il a ajouté que la volonté, partagée par plusieurs gouvernements, de remplacer à brève échéance l’actuelle Commission pouvait se concrétiser de différentes manières entre lesquelles il n’avait pas pour l’instant été tranché. Il a estimé que, si l’option d’une réaction rapide était retenue, la question du nouveau président devrait être résolue prioritairement. Le sujet sera évoqué, dans la perspective du Conseil européen de Berlin, vendredi 19 mars lors de la visite que le Chancelier Schroeder effectuera auprès du Président de la République et du Premier ministre puis, lors d’une réunion des ministres des affaires étrangères et des affaires européennes dimanche, et d’un conseil des affaires générales lundi prochain.

M. Xavier de Villepin, président, a rappelé au ministre que, lors du débat sur la ratification du traité d’Amsterdam, de nombreux sénateurs et lui-même avaient insisté sur la réforme, plus que jamais nécessaire, des institutions européennes.

Tout en observant qu’il serait difficile d’engager une réforme des institutions tant que la Commission n’aura pas été remise en ordre de marche, M. Hubert Védrine est convenu que les récents événements confortaient la position exprimée de longue date par la France au sujet de la nécessité de mener à bien la réforme institutionnelle, tout particulièrement en ce qui concerne l’organisation et le fonctionnement de la Commission européenne.

M. André Dulait a ensuite interrogé le ministre sur deux aspects de la Cour pénale internationale. Il a relevé la disposition du statut, souvent critiquée, concernant la possibilité pour un Etat de refuser pendant sept ans la compétence de la Cour pour les crimes de guerre commis sur son territoire ou par ses ressortissants. Il a ensuite demandé au ministre si la création de la Cour pénale internationale pourrait être à l’origine de missions nouvelles pour les forces de maintien de la paix, notamment en vue de l’arrestation des criminels que la Cour souhaiterait juger.

Le ministre a rappelé qu’au cours de la négociation sur la Cour pénale internationale, la France avait eu une position médiane entre, d’une part, des pays qui lui étaient résolument hostiles, tels la Chine et les Etats-Unis, et certains autres Etats, notamment les pays scandinaves, partisans pour leur part d’un certain maximalisme quant aux pouvoirs de la Cour, éventuellement au détriment de ceux du Conseil de sécurité des Nations Unies.

S’agissant des crimes de guerre, M. Hubert Védrine a tout d’abord rappelé que ceux-ci, contrairement aux crimes de génocide ou aux crimes contre l’humanité, pouvaient constituer un acte isolé. Cette définition des crimes de guerre n’apparaissant pas suffisamment clarifiée, la France a estimé que l’insertion d’une clause suspensive pour ce sujet dans le statut serait de nature à favoriser l’adhésion d’un plus grand nombre d’Etats à celui-ci. La période de transition de sept ans permettra à la Cour pénale internationale de préciser les conditions de ses interventions sur cette question des crimes de guerre.

S’agissant des nouvelles missions qui seraient éventuellement confiées aux forces de maintien de la paix, le ministre a rappelé que leur éventuel élargissement était de la compétence du Conseil de sécurité.

A M. Xavier de Villepin, président, qui s’interrogeait sur la possibilité pour la Cour pénale internationale de travailler efficacement alors même que les Etats-Unis n’y participeraient pas, le ministre des affaires étrangères a rappelé qu’en effet, les Etats-Unis entendaient garder dans ce domaine judiciaire leur totale souveraineté. Il a indiqué à M. Xavier de Villepin, président, que la disposition sur les crimes de guerre avait pour objet d’empêcher les éventuelles mises en cause abusives de certains militaires en opérations extérieures. Les Etats-Unis, a précisé M. Hubert Védrine, se sont depuis toujours opposés au jugement de leurs nationaux par des juridictions non américaines. M. Hubert Védrine a également rappelé que la Cour pénale internationale constituerait une juridiction complémentaire aux systèmes judiciaires nationaux.

Les commissaires ont ensuite interrogé le ministre des affaires étrangères sur la situation au Kosovo.

Mme Danielle Bidard-Reydet s’est demandé si les Serbes, opposés à la présence d’une force militaire de l’OTAN, pourraient accepter une force déployée dans d’autres conditions.

M. Christian de La Malène s’est interrogé sur l’efficacité d’éventuels bombardements de l’OTAN sur la République fédérative de Yougoslavie.

M. Robert Del Picchia a souhaité connaître les compensations qui étaient proposées au président Milosevic pour l’inciter à faire preuve d’ouverture dans la négociation.

M. Xavier de Villepin, président, s’est inquiété des risques d’extension de la crise kosovare. Il a notamment évoqué les difficultés récemment rencontrées en Bosnie-Herzégovine concernant par exemple la décision d’arbitrage sur la ville de Brcko.

M. Hubert Védrine a indiqué que la négociation sur le Kosovo était, à l’heure présente, dans une situation de blocage complet. Le seul élément positif nouveau était l’accord accordé par la délégation kosovare, désormais unifiée, à l’ensemble du plan proposé par le groupe de contact. La pression internationale s’exerçait donc désormais sur la partie serbe qui est, par ailleurs, revenue sur certains aspects du volet politique de l’accord qui avaient été acquis à Rambouillet. Il a précisé que les Serbes refusaient toute forme de présence militaire internationale, quelle qu’en soit la configuration.

Le ministre a rappelé que, sur le terrain, des provocations et des accrochages s’étaient récemment produits. Les Serbes avaient notamment renforcé considérablement leur présence militaire en violation des accords conclus à l’automne entre le président Milosevic et M. Holbrooke. Sur la base de la résolution 1199 du Conseil de sécurité, prise dans le cadre du chapitre VII de la Charte des Nations-Unies, des frappes militaires seraient possibles afin d’empêcher que la partie serbe soit tentée de résoudre la question du Kosovo par la force.

Le ministre a rappelé que, depuis le mois de mars 1998, le Conseil de sécurité offrait à la partie serbe des perspectives positives de levée de sanctions, ainsi que diverses incitations pour sa réinsertion dans la communauté internationale. Il n’avait toutefois obtenu en réponse qu’une obstination totale. La communauté internationale était déterminée à enrayer la répression militaire des Serbes au Kosovo.

En dépit de la décision concernant la ville de Brcko, l’équilibre en Bosnie-Herzégovine, a estimé M. Hubert Védrine, n’était pas rompu et la situation restait contrôlée.

Le ministre a précisé que la légitimité d’une éventuelle action militaire en Yougoslavie devait être appréciée au regard du refus obstiné des dirigeants serbes de répondre aux appels de la communauté internationale.

A M. Xavier de Villepin, président, qui prenant l’exemple de l’Irak mettait en doute l’efficacité de frappes militaires, le ministre des affaires étrangères a fait observer que les deux situations n’étaient pas comparables. En Yougoslavie, le processus de décision relevait d’un mécanisme véritablement international. Pour le ministre, l’éventuel recours à la force, aujourd’hui, contre la Yougoslavie, s’apparentait davantage aux frappes réalisées en 1994 en Bosnie-Herzégovine dans la mesure où elles répondraient à de véritables objectifs stratégiques.

En réponse à MM. Christian de La Malène, Guy Penne, Robert Del Picchia, Mme Danielle Bidard Reydet et M. Xavier de Villepin, président, qui mettaient en doute l’opportunité et l’efficacité de frappes militaires, le ministre des affaires étrangères a précisé qu’en tout état de cause aucune action ne serait décidée par surprise. La communauté internationale agissait dans la transparence tant dans ses pressions que dans ses ouvertures. Dans l’esprit du ministre des affaires étrangères, s’il devait y avoir des frappes aériennes, celles-ci s’inscriraient dans une logique politique. Il a précisé que la perpétuation de l’actuelle situation de blocage risquerait de conduire à un affrontement majeur qu’il était de la responsabilité de la communauté internationale d’éviter.