Le Ministre des Affaires étrangères rend compte aux sénateurs de ses déplacements au Proche-Orient et à Madagascar

 La commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées, présidée par M. Michel Caldaguès, vice-président, a entendu, le jeudi 4 juillet 2002, M. Dominique de Villepin, ministre des Affaires étrangères, sur la situation au Proche-Orient et à Madagascar.

M. Dominique de Villepin a exprimé sa conviction d'une place importante pour la France et l'Europe face aux défis planétaires de la répartition des richesses ou de la mobilisation contre de nouveaux fléaux. Il a également souligné l'urgence qui s'impose au traitement des crises régionales dont le développement est un facteur de déstabilisation plus globale, tout particulièrement au Proche-Orient.

Le ministre des Affaires étrangères a alors rendu compte de son récent déplacement en Egypte, en Israël, en Palestine et en Arabie Saoudite du 22 au 26 juin. Il a exposé les circonstances qui entouraient sa venue : Israël procédait à la réoccupation d'une partie des territoires, en particulier Ramallah, alors que sévissait une nouvelle vague d'attentats. La situation d'engrenage entre violence et terrorisme a conduit à la modification des modes de vie en Israël, les attentats ayant causé la mort de 180 personnes depuis le début de l'année.

M. Dominique de Villepin a souligné l'ampleur des conséquences du conflit sur la situation économique de la région. A cet égard, il a indiqué que si le produit intérieur brut israélien par habitant, de l'ordre de 17 000 euros, restait satisfaisant, des secteurs entiers de l'économie israélienne, notamment celui des hautes technologies et du tourisme, étaient totalement sinistrés. Israël fait face à un déficit budgétaire très lourd et à une importante hausse du chômage. Du côté palestinien, a indiqué M. Dominique de Villepin, les bouclages répétés des territoires rendent la vie quotidienne presque impossible et le revenu réel palestinien a connu en 2001 une nouvelle baisse, à hauteur de 19 %.

Evoquant la situation politique, M. Dominique de Villepin a décrit le climat de blocage qui caractérise l'espace politique israélien et la marginalisation du « camp de la paix ».

Il a ajouté que l'union politique se réalisait aujourd'hui en Israël sur le rejet de la personne de Yasser Arafat. Cette opinion était présente y compris chez les intellectuels.

La région souffre de l'absence de perspective politique et de réflexion sur l'avenir, a estimé le ministre qui a également fait part du blocage du jeu politique palestinien lié à l'absence de candidat déclaré et crédible à la succession de Yasser Arafat. Décrivant une muqqattah en ruine et une administration palestinienne réduite à néant, M. Dominique de Villepin a fait part du risque de radicalisation. Il a indiqué avoir ressenti également ce sentiment d'impasse chez les partenaires arabes rencontrés. Le ministre a estimé que cette situation conduisait à conforter les acteurs les plus radicaux et que le vide politique ainsi créé risquait d'être occupé par le terrorisme.

Devant cet engrenage, M. Dominique de Villepin a réaffirmé la position de la France d'une condamnation sans appel du terrorisme. Il a souhaité que la communauté internationale retrouve une marge d'action et a considéré que le discours du 25 juin dernier de Georges Bush comprenait des éléments positifs : la création d'un état palestinien, la condamnation du terrorisme, de la colonisation et de l'occupation des territoires. En revanche, M. Dominique de Villepin a relevé des « zones d'ombre », notamment l'absence de mention, dans le discours du président américain, de référence à un processus politique ou à une future conférence internationale. Aucune solution ne saurait être fondée sur la seule politique de sécurité qui doit nécessairement être confortée par un processus de paix.

Le ministre des Affaires étrangères a réaffirmé les options européennes, rappelées lors du sommet de Séville, d'un retour aux frontières de 1967 comme base d'une relance politique. Devant la difficulté de la reprise du dialogue, le quartet (Etats-Unis, Union européenne, Nations unies et Russie) mais aussi le Comité d'Initiative de la Ligue arabe pourraient constituer des enceintes appropriées. Il a souligné la nécessité d'un cadre adéquat pour définir les modalités de la paix, relevant qu'il existait peu d'alternative à une conférence internationale. Il a ajouté qu'il convenait de définir des termes de référence : les résolutions  pertinentes des Nations unies, les conclusions de Taba ou encore le plan de la Ligue arabe. Y compris sur les sujets difficiles, Jérusalem, les réfugiés, il convenait de ne pas laisser le vide s'installer, sous peine de voir se nouer des liens entre les groupes les plus radicaux .

M. Dominique de Villepin a indiqué en conclusion qu'il s'employait à poursuivre ce processus, en se rendant dans les prochains jours au Liban, en Syrie et en Jordanie.

A la suite de l'intervention du ministre, un débat s'est ouvert avec les commissaires.

Mme Monique Cerisier-ben Guigua a souhaité connaître l'opinion de M. Dominique de Villepin sur les visées politiques du gouvernement israélien, considérant que les objectifs du Gouvernement Sharon tendaient à une reprise de la Cisjordanie, à un étranglement de l'économie palestinienne qui contraindrait les Palestiniens à l'exil. A cet égard, elle s'est interrogée sur la réalité de la convergence entre les positions du Président Bush et les options européennes. Elle a souhaité savoir si le ministre avait pu recueillir des éléments sur la situation de Marwan Barghuti, président du Groupe d'amitié Palestine-France et leader laïc palestinien qui a récemment fait l'objet d'une arrestation illégale et de mauvais traitements. Elle a relevé que l'engrenage de la violence conduisait à un renforcement de l'islamisme.

M. Robert del Picchia, évoquant la visite prochaine de M. Dominique de Villepin en Syrie a souhaité connaître son opinion sur la déclaration conjointe des ministres des Affaires étrangères syrien et égyptien considèrant le discours de Georges Bush comme une base acceptable pour l'élaboration d'un plan de paix.

M. Daniel Goulet s'est déclaré en plein accord avec les options françaises pour la reprise du dialogue. Evoquant le débat d'urgence récemment intervenu au sein du Conseil de l'Europe, il a affirmé sa conviction de la nécessité d'un troisième interlocuteur vivement souhaité, d'après lui, par les Parties comme une alternative aux Etats-unis. Il s'est interrogé sur les moyens concrets d'aider les Palestiniens à préparer la reprise des négociations et la transformation de leur environnement institutionnel.

M. Christian de La Malène a interrogé le ministre sur les alternatives possibles au maintien de Yasser Arafat à la tête de l'Autorité palestinienne.

Mme Danielle Bidard-Reydet a souhaité qu'au-delà de la seule annonce d'une conférence internationale, des gestes concrets permettent de redonner l'espoir à la population palestinienne. Elle a notamment évoqué des mesures concernant l'arrêt de l'implantation des colonies et l'assouplissement du couvre-feu imposé dans les territoires.

M. Pierre Mauroy s'est félicité de l'unanimité qui semble se dégager au sein de l'Union européenne sur des positions équilibrées très proches de celles qu'a toujours exprimées la diplomatie française. Il s'est inquiété des projets visant à marginaliser Yasser Arafat, estimant que son élimination de la scène politique aggraverait considérablement la situation. Il a enfin souhaité que soient confortées les personnalités qui, dans la classe politique israélienne, ne partagent pas la ligne incarnée par Ariel Sharon.

M. Michel Caldaguès, vice-président, s'est interrogé sur les garanties de sécurité qui pourraient accompagner un éventuel accord de paix.

En réponse à ces différentes questions, M. Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères, a apporté les précisions suivantes :

- il est illusoire de penser qu'une politique du fait accompli, consistant par exemple à amplifier l'implantation des colonies, aboutirait à résoudre de lui-même le conflit israélo-palestinien ; ce conflit est marqué par l'histoire, et quelle que soit l'évolution du rapport de forces, rien n'effacera le poids de la mémoire dans les esprits ; l'histoire et la mémoire rendent inéluctable la perspective d'un Etat palestinien ;

- il y a aujourd'hui urgence à ne pas laisser se dégrader la situation au Proche-Orient ; le laisser-faire et l'absence de recherche de solution ne serviraient aucun des acteurs en cause ; les réactions d'ouverture de la part de plusieurs pays arabes aux propos du président Bush sont révélatrices de ce sentiment d'urgence, largement partagé dans la région ; il faut aujourd'hui se saisir de toute initiative qui pourrait contribuer à une solution et s'inscrire dans une logique de résultat ;

- une attente forte s'exprime au Proche-Orient à l'égard de la France et de l'Europe, ouvrant un champ très important pour notre diplomatie ;

- Yasser Arafat incarne une légitimité forte et historique pour le peuple palestinien, aucune autre personnalité palestinienne ne peut prétendre à une telle légitimité, que ce soit dans la « vieille garde » ou dans les générations nouvelles, et parmi les diverses hypothèses avancées visant à  renouveler la direction de l'Autorité palestinienne, aucune ne s'impose aujourd'hui de manière évidente ; pour autant, il importe d'éviter le blocage de la situation politique et de rechercher les moyens d'amorcer une évolution ;

- après le récent discours du président Bush, la France a souligné un certain nombre de convergences entre les positions américaines et la ligne qu'elle défend au Proche-Orient ; compte tenu de l'urgence de la situation, il y a lieu d'exploiter toutes les complémentarités potentielles entre les actions que peuvent mener les Etats-Unis et celles que les pays européens pourraient mettre en oeuvre.

M. Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères, a ensuite évoqué son récent déplacement à Madagascar et décrit la situation sur l'île où la position de Marc Ravalomanana s'est renforcée, ce dernier contrôlant les quatre-cinquièmes du territoire. Il a souligné que pour la population malgache, la sortie de la crise actuelle relevait moins d'un processus de réconciliation nationale que d'une réconciliation politique entre les deux camps en présence. Il a rappelé l'implication de la communauté africaine, à travers l'Organisation de l'Unité Africaine, en vue de la recherche d'une solution reposant sur la double exigence du respect des principes démocratiques et de la nécessité de la réconciliation. Evoquant les différentes étapes du processus de Dakar et l'échec des tentatives de réconciliation, il a précisé que la France s'était fixé pour ligne de conduite au cours des derniers mois le respect des principes définis par les Africains eux-mêmes : la recherche d'une solution pacifique et le souci d'éviter tout précédent pouvant servir ultérieurement à contester indûment les processus démocratiques.

Le ministre s'est félicité qu'un accord ait été obtenu pour l'ouverture du gouvernement de M. Ravalomanana à deux personnalités de l'AREMA et pour l'organisation d'élections législatives anticipées. Cet accord a permis à la France de renouer ses relations avec Madagascar, de reprendre sa coopération et ses aides financières. Il a souligné que dans la situation difficile que venait de vivre Madagascar, il était indispensable pour la France de ne pas rompre le lien avec les initiatives de médiation africaine, même au prix d'une restriction de sa marge de manoeuvre.

M. Serge Vinçon a interrogé le ministre sur les interactions entre la politique française et celle des pays anglo-saxons sur le continent africain.

Se réjouissant de l'issue positive qui semble se dessiner à Madagascar, Mme Monique Cerisier- ben Guiga s'est inquiétée des menaces de représailles à l'encontre de certains membres de la communauté française. Elle a souhaité des mesures rapides en vue de garantir la sécurité de nos compatriotes. Enfin, rappelant l'importance de la communauté française à Madagascar, elle a jugé nécessaire de mieux l'impliquer dans la perspective du développement économique du pays.

Mme Hélène Luc s'est interrogée sur la viabilité de l'accord intervenu à Madagascar et sur la politique du nouveau président.

Enfin, M. Philippe de Gaulle a interrogé le ministre sur le poids des rivalités ethniques dans l'actuelle situation intérieure à Madagascar.

M. Dominique de Villepin a alors apporté les réponses suivantes :

- la France n'a pas à s'inquiéter des initiatives que pourraient prendre d'autres pays occidentaux sur le continent africain ; il est au contraire hautement souhaitable qu'aux côtés de la France, un nombre plus important de partenaires s'implique en Afrique ;

- la crise malgache a également montré le poids des acteurs non-étatiques en Afrique, notamment des églises et des organisations non gouvernementales ;

- s'il est aujourd'hui encore prématuré de se prononcer sur la viabilité à moyen terme des évolutions politiques en cours à Madagascar, ces dernières étaient néanmoins indispensables à la reconstruction du pays ;

- l'importance de la communauté française à Madagascar, forte de 25.000 membres, a constitué une préoccupation très forte pour la France tout au long de la crise ; notre représentation sur place se mobilise aujourd'hui pour trouver les moyens, à travers notamment nos ressortissants, de relever rapidement la situation économique ;

- la prochaine réunion de l'Organisation de l'Unité Africaine à Durban pourra être l'occasion de consolider l'accord et de réinsérer rapidement Madagascar dans la communauté africaine ;

- le nouveau président malgache a marqué sa reconnaissance vis-à-vis de la France pour son implication dans la résolution de la crise ;

- les oppositions historiques entre les différentes ethnies malgaches tendent aujourd'hui à s'estomper face aux défis de la reconstruction.

M. Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères, a ensuite répondu à des questions diverses des membres de la commission.

Il a exposé à M. Didier Boulaud les arguments invoqués par les Etats-Unis à l'encontre de la Cour pénale internationale et précisé que le veto qu'ils avaient opposé à la reconduction du mandat de la mission des Nations unies en Bosnie-Herzégovine (MINUBH) n'affectait pas la poursuite de l'action de la SFOR, sous l'égide de l'OTAN, en Bosnie. Il a fait part du souhait de la plupart de nos partenaires européens de demeurer impliqués dans les missions de police actuellement exercées par la MINUBH.

A la suite d'une question de M. André Dulait, le ministre a fait le point des efforts consentis par la communauté internationale pour réduire les risques d'un conflit indo-pakistanais. Il s'est réjoui des progrès obtenus, tout en soulignant la fragilité d'une situation marquée par le poids du terrorisme.

A M. Serge Vinçon qui l'interrogeait sur la diplomatie russe, M. Dominique de Villepin a précisé les conditions dans lesquelles s'était établi un nouveau partenariat entre  la Russie et les Etats-Unis. Il a souligné l'importance que la France et l'Union européenne attachaient également au renforcement du dialogue avec la Russie. Il a évoqué le rôle que cette dernière avait à jouer pour la préservation de la stabilité internationale, s'agissant notamment de la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive.

Enfin, en réponse à l'intervention de M. Emmanuel Hamel, il a rappelé l'importance que la France accordait au maintien de ses relations avec Djibouti.