B. Un potentiel qui ne doit pas être sous-estimé
La France et l'Europe disposent de cinq catégories d'atouts importants :
• leur potentiel de recherche,
• la maîtrise de technologies clé
• des acteurs importants à la fois industriels, opérateurs ou fournisseurs de contenus,
• des P.M.E. innovantes, notamment en matière de logiciels,
• enfin, un certain nombre de savoir-faire en matière d'utilisation des réseaux et de services télématiques.
1. Les capacités de recherche européennes
Pour ne s'en tenir qu'à la France, des pôles de recherche, spécialisés dans les télécommunications et le multimédia et dont le niveau est excellent, sont à l'œuvre. On citer souvent Rennes ou Sophia Antipolis ou, bien sûr, la région parisienne.
C'est par ailleurs au CERN (Centre européen de recherches nucléaire) qu'a été inventé le fameux langage HTML ( hypertext markup langage ) qui relie tous les documents disponibles sur les serveurs de la toile d'araignée mondiale d'Internet (le Web )
2. La maîtrise de technologies clef
Plus faibles en informatique, la France et l'Europe maîtrisent cependant des technologies clés de l'avenir des télécommunications comme l'ATM. Selon l'ouvrage précité du ministère de l'Industrie, la Communauté européenne et notre pays bénéficient de positions fortes dans des domaines importants tels que :
• la gestion des réseaux intelligents,
• les composants optoélectroniques et hyperfréquence.
Par ailleurs, la France dispose d'une certaine avance en Europe en ce qui concerne les algorithmes de compression de l'image et du son.
3. L'existence d'acteurs importants
a) Les industriels
Même si plusieurs sont dans une situation difficile, l'existence d'acteurs importants dans les domaines de l'informatique (Bull, Olivetti, Escom...), de l'électronique grand public (Philips, Thomson multimédia), des télécommunications (Alcatel, Siemens...) ou des semi-conducteurs (Philips, Siemens, SGS-Thomson) constitue pour l'Europe un élément essentiel. Il n'y a pas de "chasse gardée", ni de position définitive.
La percée de la Corée dans les semi-conducteurs et l'électronique grand public et celle du Japon dans la micro-électronique montre qu'il est possible à de nouveaux venus de prendre place sur des marchés à forte croissance, avec de la détermination, de la ténacité, des investissements et une bonne stratégie.
Le rétablissement d'IBM ou celui de l'électronique grand public japonaise, après trois années de "vaches maigres" (1993/1994 et 1995) signifie par ailleurs qu'aucun déclin n'est jamais irréversible.
Concernant Thomson multimédia, l'Office qui a toujours évité de se mêler à des polémiques, voudrait simplement souligner que la valeur d'une entreprise ne s'apprécie pas en fonction de critères uniquement comptables et instantanés. Il convient de regarder non derrière soi, mais vers l'avenir.
Dès lors, doivent être pris en considération, en même temps que le passif du groupe ou son insuffisante productivité :
• son potentiel technologique qui en fait un des leaders mondiaux de la télévision numérique,
• ses réussites (deux contrats très importants gagnés aux États-Unis en matière de télévision par satellite et par voie hertzienne terrestre),
• ses actifs commerciaux (possession de marques renommées),
• ses perspectives futures (revenus des brevets de General Electric et du nouveau disque optique numérique DVD).
Dans le domaine fondamental des composants électroniques , l'Europe dispose aussi d'atouts importants. Philips, toujours très innovant (on l'a vu dans l'électronique grand public) a présenté, dès la fin de 1995, à l'occasion du Salon Microprocesseur Forum de San José en Californie, un nouveau média-processeur à la pointe du progrès dénommé Trimedia , avec un co-processeur dernier cri VLIW ( Very Long Instruction Word ) qui accélère les traitements.
SGS-Thomson proposait, pour sa part, une puce plus modeste pour jeux vidéo. Grâce à une stratégie intelligente, le groupe franco-italien a réussi à gagner des parts de marché et à afficher, au cours du premier semestre 1996, une croissance de 25 % de son chiffre d'affaires. SGS-Thomson a toujours su se positionner dans les secteurs de production auxquels la demande la plus forte était adressée : d'abord les mémoires flash , puis les puces super-intégrées et sur mesure. Le groupe investit en Asie (à Singapour) où les perspectives de croissance sont les plus élevées et espère se placer parmi les dix premiers mondiaux en 2000. C'est une belle success story européenne.
L'industrie européenne du logiciel a eu droit, d'autre part, aux honneurs de Business Week (numéro du 6 mai 1996) dans un article intitulé Silicon continent . La revue américaine s'est montrée élogieuse, faisant valoir que, sans contester la suprématie globale américaine dans ce domaine, l'Europe pouvait concurrencer très honorablement l'Amérique dans certaines "niches". Et de citer :
• l'allemand SAP (intégrateur de programmes logiciels à l'échelle de grandes compagnies),
• le néerlandais BAAN (même domaine,
• le français "Business Objects" (aide à la décision par l'exploitation de bases de données),
• le britannique M.A.I.D. (moteurs de recherche).
Ces réussites sont le fait, le plus souvent, de petites sociétés émergentes ( start-ups ) qui doublent, chaque année, leur chiffre d'affaires (voir plus loin).
L'Europe peut exploiter dans le domaine du logiciel ses compétences traditionnellement bonnes en mathématiques et gagner des parts de marché (à partir de sa position actuelle qui correspond à 18 % des ventes mondiales...).
Le prochain Netscape a autant de chance, note la revue américaine, de se trouver en Europe, à Boston ou Copertino. Des compagnies américaines renommées font d'ailleurs appel à la collaboration d'entreprises françaises spécialisées dans le logiciel : Sun a choisi par exemple le français ILOG, start-up issue de l'INRIA, pour jeter des ponts entre son langage de programmation Java et celui, dont il est issu, plus couramment utilisé, appelé C++.
Avec l'existence de standards planétaires tels que Windows de Microsoft, Unix ou le World Wide Web , de simples P.M.E. peuvent conquérir d'emblée un marché mondial (voir plus loin).
b) Les opérateurs
Bien entendu, l'expérience et le savoir d'opérateurs tels que France Télécom sont aussi un atout précieux. Présent dans la recherche à un excellent niveau, gérant un des réseaux de télécommunications les plus modernes du monde, l'opérateur national, dans la perspective de l'ouverture du téléphone à la concurrence en 1998, souhaite se renforcer dans les services "en ligne" à plus forte valeur ajoutée. C'est la raison du regroupement au sein de France Télécom Multimédia de l'ensemble de ses filiales concernées.
France Télécom est devenu fournisseur d'accès à Internet. Il est en train de doter son réseau de plates-formes matérielles et logicielles qui permettront à n'importe quel type de terminal (micro-ordinateur, téléphone, téléviseur...) d'accéder aux serveurs vocaux, de données, de textes et d'images.
Le programme DORA , sélectionné dans le cadre des expérimentations sur les autoroutes de l'information, prévoit de tester une plate-forme d'intermédiation large bande de ce type.
Les cablo-opérateurs (comme la Lyonnaise ou la Générale des Eaux ou d'autres) sont également des acteurs très importants du développement d'Internet en France et en Europe, notamment parce que leurs réseaux permettent d'y accéder avec des débits beaucoup plus élevés que ceux du réseau téléphonique.
c) Le domaine du contenu
L'existence de grands acteurs dans le domaine de l'édition et de la communication est aussi un facteur important du développement d'une offre de contenus accessibles "en ligne" à travers les réseaux. On a donné en exemple Matra-Hachette et Havas, le groupe de La Cité, mais il y a aussi, bien sûr, d'autres "poids lourds" européens tels que l'allemand Bertelsman.
4. Des P.M.E. innovantes
Comme SGS-Thomson, évoqué plus haut, des entreprises françaises, de dimensions plus réduites, ont connu notamment dans le logiciel, d'étonnants succès parce qu'elles se sont placées dans des niches où la croissance de la demande était très forte. Les exemples les plus connus sont :
• Business object (déjà cité, spécialisé dans les logiciels d'accès et d'interrogation de bases de données,
• ou Infogrames Entertainment, numéro un français de l'édition de jeux vidéo.
Gemplus, un des leaders mondiaux de la carte à puce qui emploie maintenant 2300 personnes a été, en son temps, une P.M.E.. Cette société vient de s'associer avec un petit fabricant de modem français COM1, porté par la vague Internet.
De nombreux autres cas peuvent être évoqués : Alcatel a choisi ainsi le logiciel temps réel de Chorus, P.M.E. des Yvelines de 70 personnes, pour ses centraux de commutation. Beaucoup ont réussi en développant des solutions permettant de s'affranchir de l'hétérogénéité des matériels et des bases de données (Esker, Leonard's magic, softeam...). Enfin, une P.M.E. lyonnaise, MDS, commercialise un système de transmission hertzienne terrestre hyperfréquences déjà évoqué dans ce rapport : le MMDS.
Tous ces exemples témoignent de la créativité et de la capacité d'innovation de nos petites entreprises ainsi que de leur potentiel de création d'emplois.
5. Une expérience et des savoir-faire précieux
Concernant les atouts que représente pour la France l'expérience du Minitel et celle des SSII (société de service et d'ingénierie informatique), ils ont été ainsi résumés par le rapport précité de l'AFTEL (Association française de la Télématique Multimédia) :
" • La France dispose d'une capacité technologique de pointe dans le domaine des serveurs "plurimédias" (vidéotex, vocal, fax, micro...) et de la gestion des liens entre ces serveurs et le système d'information d'une entreprise. Quelques expériences récentes ont démontré que les outils de création de serveurs Web d'origine américaine souffraient de défauts de jeunesse que les SSII françaises savent gérer depuis longtemps : incapacité à "tenir" les montées en charge, outils statistiques et d'exploitation inexistants, ergonomie déficiente, etc.
• Le savoir-faire des concepteurs et ergonomes français reste manifestement, si l'on en juge par la qualité moyenne des services sur la Toile, très en avance sur celui des États-Unis. Les services Web américains (ainsi, malheureusement, que beaucoup de services français conçus avec l'ardeur de néophytes) reproduisent fidèlement les erreurs des premiers services vidéotex : une accumulation de texte, une organisation strictement hiérarchique et arborescente, un contenu figé, des graphiques excessivement longs qui n'apportent rien, etc.
• Dans plusieurs domaines, les éditeurs et SSII français ont acquis (grâce au vidéotex ou comme éditeurs de logiciels et d'œuvre multimédias) une expérience qui pourrait facilement s'exprimer de manière compétitive à l'échelle mondiale : gestion et interrogation de grands annuaires électroniques, services d'information financière, calculs d'itinéraires, météo, services événementiels, services ludiques, jeux, etc. -sans compter les services associés au commerce électronique, que nous avons cités plus haut. Certains de ces acteurs, parmi les plus importants, commencent à prendre position sur les nouveaux marchés de la télématique et du commerce électronique.
• Enfin, grâce au Minitel, près d'un Français d'âge actif sur trois est aujourd'hui un utilisateur de services télématiques. Aucun pays n'approche aujourd'hui un tel niveau."
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L'Europe et la France ont ainsi un potentiel industriel et technique qui leur permettrait de rattraper en grande partie leur retard, en tant que pourvoyeurs (et pas simplement utilisateurs) de technologies nouvelles d'informations et de communications. Malheureusement, certaines carences risquent d'empêcher qu'il en soit ainsi et de nous priver, par la même occasion, d'une partie des bienfaits que pourrait nous apporter l'entrée dans la société de l'information.