M. le président. L'article 13 a été supprimé par l'Assemblée nationale, mais je suis saisi d'un certain nombre d'amendements tendant à son rétablissement.
Sur l'article, la parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'article 13 du projet de loi de finances porte - « portait », devrais-je plutôt dire ! - sur l'impôt de solidarité sur la fortune.
Il prévoyait à l'origine une évolution du barème de l'impôt en question, évolution qui a été finalement supprimée par l'Assemblée nationale et qui se traduira dans les faits par une majoration des recettes de cet impôt de 90 millions de francs.
Cette charge fiscale demeure à répartir entre les 170 000 contribuables de l'impôt considéré, ce qui signifie que leur quote-part augmentera en moyenne d'environ 500 francs l'an prochain, si rien ne change dans l'équilibre actuel de l'impôt sur la fortune.
Bien évidemment, la majorité sénatoriale nous propose de rétablir l'article 13 en faisant connaître aux tranches de son barème une progression plus importante que celle que la même majorité nous a proposée pour l'impôt sur le revenu et ses différents seuils.
Ce n'est là qu'un épiphénomène, mais il convenait à notre sens de le relever.
Pour ce qui nous concerne, nous avons depuis de longues années une position de fond sur cet impôt de solidarité sur la fortune afin d'améliorer tant l'efficacité que le rendement de ce dernier.
L'amélioration de l'efficacité de l'impôt passe, à notre sens, par un barème plus lisible et plus simple, permettant de majorer sensiblement le produit de l'impôt, même si d'aucuns disent qu'il ne faut pas confondre revenu et capital.
Soyons sérieux toutefois : la plupart du temps, les contribuables de l'impôt de solidarité sur la fortune sont bien loin de crier misère, alors même que certains de leurs actes - je pense ici aux détenteurs de parts sociales, par exemple - peuvent avoir des conséquences fâcheuses sur la situation de nombreuses personnes.
L'amélioration de l'efficacité de l'impôt passe aussi par une modification sensible de l'assiette de l'impôt de solidarité, qui ne doit pas exclure, à notre sens - mais c'est là l'une des pistes à explorer - l'imposition du capital des entreprises et qui doit donc cesser de se cantonner aux biens immobiliers ou aux parts détenues par les actionnaires dits « minoritaires » pour intégrer les biens professionnels ou les primes d'assurance vie capitalisées.
Nous avons donc le souci d'oeuvrer à une plus grande efficacité de l'impôt de solidarité sur la fortune, en vue d'en faire l'impôt moderne sur le capital dont notre pays a besoin.
Monsieur le secrétaire d'Etat, ne cachons pas que nous aurions souhaité que le projet de loi de finances comporte en la matière des mesures plus fortes que la disposition retenue par l'Assemblée nationale.
Nous avons des propositions à formuler ; elles méritent d'être exposées et débattues, même si nous sommes malheureusement convaincus que la majorité de la Haute Assemblée n'y souscrit pas tout à fait.
Telles sont les remarques que je souhaitais formuler au début de la discussion de cet article.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune
Par amendement n° I-15, M. Lambert, au nom de la commission des finances, propose de rétablir l'article 13 dans la rédaction suivante :
« I. - Le tarif prévu à l'article 885 U du code général des impôts est ainsi modifié :

N'excédant pas 4 750 000 F 0
Comprise entre 4 750 000 F et 7 720 000 F 0,5
Comprise entre 7 720 000 F et 15 330 000 F 0,7
Comprise entre 15 330 000 F et 23 800 000 F 0,9
Comprise entre 23 800 000 F et 46 080 000 F 1,2
Supérieure à 46 080 000 F 1,5


« II. - La perte de recettes résultant du I ci-dessus est compensée par une majoration, à due concurrence, des droits prévus aux articles 575 A et suivants du code général des impôts. »
Par amendement n° I-86, Mme Beaudeau et M. Loridant, les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent de rétablir l'article 13 dans la rédaction suivante :
« Le tarif prévu à l'article 885 U du code général des impôts est ainsi modifié :

N'excédant pas 4 000 000 F 0
Entre 4 000 000 F et 8 000 000 F 1
Entre 8 000 000 F et 16 000 000 F 2
Supérieure à 16 000 000 F 3


La parole est à M. le rapporteur général, pour défendre l'amendement n° I-15.
M. Alain Lambert, rapporteur général. L'année dernière, j'ai beaucoup fait, avec d'autres, pour essayer de rétablir le plafonnement de l'ISF. J'avais en effet pu mesurer les dégâts économiques que produisait la suppression de ce plafonnement, en particulier pour les titulaires de droits sociaux, c'est-à-dire d'actions d'entreprises. De ce fait, ces derniers pouvaient décider de céder leurs titres, ce qui nous faisait courir le risque de voir les entreprises française de taille moyenne devenir la propriété de détenteurs de capitaux étrangers.
Le Sénat avait donc fait clairement le choix du rétablissement du plafonnement de l'ISF. Mais il n'avait pas été soutenu par le gouvernement de l'époque.
Le présent Gouvernement n'annonce rien en la matière, mais évoque une réforme de la fiscalité du patrimoine pour l'année prochaine. Nous verrons ce qu'il en sera.
Ayant exprimé l'année dernière tout ce que j'avais à dire sur ce sujet, je ne voulais pas que l'on me prenne pour un obsédé de l'ISF, et je n'avais donc fait, cette année, aucune proposition à cet égard.
Cependant, mes collègues de la commission des finances m'ont rappelé à juste titre - cela montre toute la valeur de la collégialité - que le fait de ne pas procéder à la réactualisation du barème revenait à alourdir de façon finalement...
M. Philippe Marini. Insidieuse !
M. Alain Lambert, rapporteur général. ... insidieuse, effectivement, voire « hypocrite », cette imposition.
Alors, soyons responsables : soit nous souhaitons l'augmentation de cet impôt, et, alors, soyons-en fiers et votons-le ; soit nous souhaitons que cet impôt ne soit pas augmenté, et procédons alors à la réactualisation du barème, comme nous y procédons pour tous les autres impôts.
L'amendement n° I-15 ne vise donc qu'à soumettre l'ISF aux mêmes règles que les autres impôts. (Très bien ! sur les travées du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Loridant, pour défendre l'amendement n° I-86.
M. Paul Loridant. L'amendement n° I-86 tend à accroître sensiblement le produit de l'impôt de solidarité sur la fortune, en aménageant un nouveau barème plus productif de recettes fiscales que le barème actuel.
La démarche qui nous anime est particulièrement simple : il s'agit de donner à l'Etat les moyens d'une intervention plus efficace en de nombreux domaines grâce à une augmentation sensible du rendement de l'impôt sur la fortune.
Nous estimons en particulier, eu égard au patrimoine détenu par les contribuables assujettis à cet impôt, qu'il y a lieu aujourd'hui de faire progresser le rendement de l'impôt sur la fortune pour répondre à des besoins sociaux particulièrement importants.
La lutte contre l'exclusion sociale, l'action publique résolue contre les effets du chômage ou de la précarité nécessitent de disposer de nouveaux moyens d'action tels que ceux qui sont fournis par le produit de l'impôt de solidarité sur la fortune.
Chacun, ici, aura remarqué que le barème proposé dans l'amendement n° I-86 serait plus efficace : ainsi, pour un patrimoine de 20 millions de francs, le produit de l'impôt serait, selon la commission des finances, de 110 150 francs, hors correctifs éventuels, alors qu'il serait de 320 000 francs avec notre barème.
Sans aller plus loin dans la démonstration, nous disposerions, en adoptant cet amendement n° I-86, de réelles possibilités d'action pour l'intervention publique.
Sous le bénéfice de ces observations, je vous invite donc, mes chers collègues, à adopter cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° I-86 ?
M. Alain Lambert, rapporteur général. A amendement rituel, réponse rituelle : défavorable !
M. Paul Loridant. Quel dommage !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s I-15 et I-86 ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. J'indiquerai tout d'abord à Mme Beaudeau que les préoccupations qu'elle a exprimées pourront être intégrées à la réflexion qui va s'ouvrir sur la fiscalité du patrimoine. Ces contributions seront examinées à côté du reste, et je remercie donc Mme Beaudeau d'avoir exposé son point de vue sur le sujet.
J'émets un avis défavorable sur l'amendement n° I-15. En effet, l'Assemblée nationale, avec l'accord du Gouvernement, a jugé qu'il ne fallait pas actualiser le barème. J'ajoute que, avec une inflation extrêmement faible, la pénalisation est, elle aussi, très faible.
Si, d'aventure, l'amendement présenté par M. le rapporteur général était adopté, il faudrait trouver 90 millions de francs qui viendraient s'ajouter aux 350 millions de francs d'hier soir et à un certain nombre d'autres millions !
M. Michel Charasse. Et les tabacs ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je voudrais dire à M. Loridant, qui propose une progressivité accrue du barème de l'impôt de solidarité sur la fortune, que sa proposition me semble peu opportune aujourd'hui car, je le répète, une réflexion sera ouverte sur la fiscalité du patrimoine.
Ayant manifesté la préoccupation de son groupe sur ce sujet, je lui suggère donc de retirer son amendement.
Mme Hélène Luc. Donc, on ne perd pas espoir ?...
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Jamais !
M. Alain Lambert, rapporteur général. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Je veux indiquer au Sénat que l'avis que le Gouvernement vient de donner prend toute sa saveur lorsque l'on sait que l'amendement de la commission vise simplement à rétablir le texte initial du Gouvernement ! (Rires sur les travées du RPR.)
M. Josselin de Rohan. Excellent !
M. Charles Pasqua. A la fin de l'envoi, je touche !
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° I-15.
M. Philippe Marini. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini. M. le secrétaire d'Etat nous promet beaucoup de réflexions sur la fiscalité...
Mme Hélène Luc. Il y en a besoin !
M. Alain Lambert, rapporteur général. En effet !
M. Philippe Marini. Nous avons entendu des propos de ce genre tout au long du débat, sur la baisse des taux de TVA, sur la fiscalité pétrolière, sur l'ISF à présent. Des réflexions, toujours des réflexions...
Pour ma part, je suis quelque peu inquiet...
M. Alain Lambert, rapporteur général. Surtout après les promesses faites à Mme Beaudeau !
M. Philippe Marini. ... quant aux résultats à attendre d'une telle réflexion.
Je crains, en particulier, s'agissant de l'imposition du patrimoine, que l'on n'attache pas une importance suffisante à la situation de bien des entreprises dont le contrôle peut se trouver mis en cause par le fait du seul poids de l'impôt de solidarité sur la fortune.
Nous avions, l'année dernière, fait clairement cette démonstration et nous avions interpellé le gouvernement d'alors. Nous avions, notamment, évoqué le cas de contribuables dont le revenu peut être tel qu'ils ne peuvent raisonnablement résister à des offres d'achat de titres de sociétés familiales qu'ils détiennent. La vente de ces titres, venant perturber le contrôle des entreprises, peut se traduire par des opérations financières défavorables à l'emploi. Nous avions présenté, sur quelques entreprises que nous avions examinées, des exemples tout à fait probants de ce type de situation.
Monsieur le secrétaire d'Etat, dans le tissu économique de notre pays, les entreprises moyennes représentent des gisements d'emplois non négligeables. Or celles-ci se trouvent chaque année un peu plus agrégées au sein de groupes beaucoup plus importants, français, européens ou autres, sans préoccupation excessive de l'identité de l'entreprise et du maintien de l'emploi, et cela du seul fait du poids que représente, sur certains détenteurs de participations, l'impôt de solidarité sur la fortune.
C'était l'une des approches que défendait la majorité sénatoriale. Les choses n'ayant pas changé à cet égard, nous ne pouvons que rappeler cette préoccupation qui avait été très largement partagée sur nos travées.
Bien entendu, s'agissant de l'ISF, nous ne pouvons moins faire que de revaloriser le barème au prorata de la hausse des prix et de reprendre, monsieur le secrétaire d'Etat, le texte qui avait été initialement présenté à l'Assemblée nationale par le gouvernement auquel vous appartenez.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je voudrais répondre très brièvement à M. Marini.
Effectivement, dans notre pays, se pose un problème de transmission des petites et moyennes entreprises à capitaux familiaux. Dans la réflexion qui va être menée, il faudra trouver une solution de juste équilibre entre la justice fiscale, d'un côté, et le maintien des emplois et des centres de décision en France, de l'autre. C'est cette volonté qui devra sous-tendre les réflexions auxquelles fait allusion M. Marini.
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. La dernière fois que le Sénat a voulu, excusez-moi l'expression, « bricoler » l'impôt de solidarité sur la fortune, les résultats n'ont pas été très flatteurs ni pour notre assemblée ni pour la majorité du moment dont on se rappelle combien elle s'était déchirée à l'Assemblée nationale...
M. Philippe Marini. Quelle sollicitude !
M. Michel Charasse. Il me paraît donc préférable d'être prudent dans cette affaire. Alléger l'ISF, même si peu que ce soit - M. le secrétaire d'Etat a rappelé la modicité de l'inflation en cette période - peut avoir le même effet que notre initiative précédente - retour au plafonnement - dans l'opinion publique qui ne comprend pas très bien la mansuétude dont nous souhaitons faire preuve à l'égard de la catégorie des contribuables concernés.
Pour ces raisons de prudence, et d'autres sans doute que je ne développerai pas, je ne voterai pas l'amendement de la commission des finances.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Prudence électorale, cela va de soi !
M. Michel Charasse. Je n'en suis pas sûr !
M. Josselin de Rohan. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. de Rohan.
M. Josselin de Rohan. Je voudrais simplement répondre à notre excellent collègue Michel Charasse, qui a fait allusion aux tentatives que nous avions faites l'année dernière pour replafonner l'ISF. Ce que nous demandions alors, et qui n'a pas été accordé, c'était simplement de revenir aux dispositions que M. Charasse et ses amis à l'époque avaient instituées. C'est tout.
M. Michel Charasse. Absolument !
M. Josselin de Rohan. Je lui en donne acte : pour une fois, il avait fait preuve de sagesse. Mais ce n'est pas du tout ce que demande M. Loridant, n'est-ce pas ?...
Je préfère le socialisme première manière sur ce point au socialisme seconde manière que nous vivons aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et du RDSE.)
M. Michel Charasse. Cela veut dire que quand c'est moi qui m'en occupe, cela marche. Alors, quand je vous donne un conseil, suivez-le ! (Sourires.)
M. Charles Pasqua. Il ne faut pas prendre aux gens plus qu'ils ne reçoivent !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° I-15, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. René Régnault. Il y a du monde cet après-midi !
M. le président. En conséquence, l'article 13 est rétabli dans cette rédaction et l'amendement n° I-86 n'a plus d'objet.

Articles additionnels après l'article 13