Séance du 23 novembre 1998







M. le président. « Art. 9. _ I. _ Au dernier alinéa de l'article 885 A du code général des impôts, la référence : "885 Q" est remplacée par la référence : "885 R" ».
« II. _ L'article 885 R du code général des impôts est ainsi rédigé :
« Art. 885 R . _ Sont considérés comme des biens professionnels au titre de l'impôt de solidarité sur la fortune les locaux d'habitation loués meublés ou destinés à être loués meublés par des personnes louant directement ou indirectement ces locaux, qui, inscrites au registre du commerce et des sociétés en qualité de loueurs professionnels, réalisent plus de 150 000 F de recettes annuelles et retirent de cette activité plus de 50 % des revenus à raison desquels le foyer fiscal auquel elles appartiennent est soumis à l'impôt sur le revenu dans les catégories des traitements et salaires, bénéfices industriels et commerciaux, bénéfices agricoles, bénéfices non commerciaux, revenus des gérants et associés mentionnés à l'article 62. »
Par amendement n° I-6, M. Marini, au nom de la commission des finances, propose de supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Jusqu'à présent, en application du code général des impôts, sont considérés comme biens professionnels les locaux d'habitation loués meublés ou destinés à être meublés par des personnes qui les louent directement ou indirectement.
Par ailleurs, soit considérés comme biens professionnels de tels biens si, premièrement, les personnes qui les louent sont inscrites au registre du commerce en qualité de loueur professionnel et si, deuxièmement, ces personnes réalisent plus de 150 000 francs de recettes annuelles et en retirent plus de 50 % de leurs revenus.
Le Gouvernement a estimé que ces dispositions conduisaient à des abus et il propose de durcir le régime applicable aux loueurs de meublés. Désormais, selon la disposition qui figure à l'article 9, ne pourront être considérés comme loueurs de meublés que les personnes retirant de cette activité plus de 50 % des revenus de leur foyer fiscal.
En premier lieu, votre commission relève que cette mesure crée une discrimination entre les couples mariés et qu'elle pénalise les loueurs de meublés ne disposant pas d'un patrimoine locatif considérable. Nous présentons dans le rapport écrit un exemple chiffré qui montre que les nouvelles modalités de calcul conduisent à certains effets surprenants : en effet, plus les revenus du conjoint ou de la conjointe sont élevés, plus les revenus tirés de la location meublée doivent être importants pour que les biens puissent être considérés comme biens professionnels.
Mme Marie-Claude Beaudeau. C'est comme pour le RMI, mais dans l'autre sens !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Ce qui veut dire, madame Beaudeau, que la mesure qui nous est proposée - j'espère que vous serez de l'avis de la commission - rend le régime fiscal d'autant plus avantageux que l'on retire des revenus plus importants de la location de meublés.
Je ne pense pas que ce soit l'objectif final du Gouvernement, mais c'est à cela que conduit la mesure qu'il nous propose.
En second lieu, sous prétexte de lutter contre des abus qui existent peut-être, l'article 9 tend à s'immiscer dans la vie des couples, dans la vie des familles et revient à contester le cadre juridique choisi par les contribuables pour exercer leur activité au seul prétexte que ce cadre juridique occasionne, outre un intérêt économique et financier, un intérêt fiscal.
Mes chers collègues, je tenais à présenter cette remarque de caractère quelque peu général, comme le faisait, avant moi, M. Alain Lambert, aujourd'hui président de la commission des finances du Sénat. Toute la discussion budgétaire de l'an dernier a en effet été émaillée de situations de cette nature, c'est-à-dire de situations critiquables que le Gouvernement met en exergue et à propos desquelles il propose de légiférer de façon définitive et générale, alors qu'il s'agit de cas limites et de comportements bien spécifiques à l'encontre desquels il est possible d'invoquer la procédure d'abus de droit prévue à l'article L. 64 du code de procédure fiscale. Il convient en effet d'examiner au cas par cas certains comportements et leur caractère frauduleux ou non.
Il est étrange que le Gouvernement veuille systématiquement, à partir de cas particuliers, après des contrôles fiscaux, par exemple, nous inciter à légiférer et refuse aux contribuables de bonne foi la possibilité d'utiliser, dans la « panoplie fiscale », les textes en vigueur pour gérer leurs intérêts au mieux.
Il est vraiment étrange que le Gouvernement se place toujours dans la même optique et qu'à partir de cas limites et d'hypothèses extrêmes il veuille systématiquement alourdir encore le code général des impôts et la législation en général.
En tout cas, la commission des finances, pas plus cette année que l'année dernière, ne considère cette méthode comme bonne ; c'est la raison pour laquelle nous demandons la suppression de l'article 9, par scrutin public d'ailleurs.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
Ainsi que M. le rapporteur général l'a esquissé, il s'agit de faire clairement la différence entre des loueurs de meublés professionnels et des loueurs de meublés qui exercent cette activité de façon adjacente, dans le seul but d'exonérer de l'impôt de solidarité sur la fortune certains immeubles qu'ils détiennent.
Nous cherchons effectivement à barrer des voies d'évasion fiscale, et c'en est une.
Vous semblez critiquer le fait que l'on prenne en compte l'ensemble du revenu fiscal du foyer. Il s'agit pourtant d'une pratique courante, notamment en matière de déficit agricole, et je ne vois pas pourquoi ce qui est admissible pour les déficits agricoles ne le serait pas en la circonstance.
Enfin, je sais combien le président de la commission des finances, sauf s'il avait changé de conviction en changeant de fonction, ce qui me surprendrait beaucoup, aime évoquer l'abus de droit.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. C'est exact !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. L'abus de droit, en l'espèce, exige que le montage soit à but exclusivement fiscal : il faut donc faire une démonstration qu'il est pratiquement impossible d'apporter en l'espèce, parce que la réalité n'est jamais ni toute blanche, ni toute noire.
C'est pourquoi le Gouvernement propose cette disposition, dont vous me direz qu'elle ajoute un article. A ce propos, je vous rappelle que, antérieurement, nous vous avons proposé de supprimer une soixantaine d'articles du code général des impôts visant à la simplification de la fiscalité sur les petites entreprises et que vous n'avez pas accepté cette suppression.
Pour toutes ces raisons, je suis défavorable à l'amendement n° I-6.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° I-6.
M. Thierry Foucaud. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, cet amendement de la commission des finances est tout à fait dans la logique de la position qu'elle a cru devoir adopter lors de la discussion de ces articles relatifs à l'évolution de l'impôt de solidarité sur la fortune.
Devons-nous voir là une sorte de réaction épidermique de notre commission, qui est toujours attentive aux inquiétudes des plus fortunés de nos compatriotes...
M. Philippe Marini, rapporteur général. Nous sommes toujours dans les dessins animés !
M. Thierry Foucaud. ... et soucieuse de les dissiper ?
Force est de constater que le défaut essentiel de cet article 9 est de remettre en cause l'un des plus subtils montages juridiques que le maquis actuel des dispositions relatives à l'impôt sur la fortune a permis de créer.
Que cela puisse être remis en cause est évidemment insupportable pour la majorité, et vous comprendrez donc aisément que nous ne puissions la suivre sur ce terrain.
Nous ne voterons pas cet amendement.
Qu'il me soit permis de revenir sur la discussion qui a suivi. J'avais demandé la parole, mais on ne m'a pas vu. Je ne pense pas, monsieur le rapporteur général, que cela fasse partie du dessin animé : j'estime qu'il est aujourd'hui fondamental de mesurer les écarts - je crois que le mot n'est pas assez fort - plutôt le fossé qui existe entre, d'un côté, ceux de nos concitoyens qui vivent dans l'aisance et, de l'autre, ceux qui essaient de vivre et qui connaissent les situations les plus intolérables.
Aujourd'hui, à l'aube du XXIe siècle, des gens meurent dans la rue, et cela, monsieur le rapporteur général, ce n'est pas dans les dessins animés !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Cessez, avec ce misérabilisme !
M. Thierry Foucaud. Je ne fais pas de misérabilisme !
Je veux simplement dire que cet impôt de solidarité sur la fortune n'est pas, pour nous, un impôt confiscatoire, ni un impôt visant à punir les détenteurs de capitaux. Il a pour objet d'établir entre les uns et les autres une relation de nature non pas comptable, mais fiscale.
Nous souhaitons que la fiscalité contribue à la dynamique de l'emploi, à la cohésion sociale ou à la réparation sociale. Nous sommes loin des beaux discours sur la fracture sociale, monsieur le rapporteur général !
Alors que certains n'ont rien ou si peu, nous pensons qu'il faut pénaliser ceux qui laissent dormir leurs biens professionnels, par exemple, et ne contribuent donc pas à l'activité économique et à l'emploi. Il faut aller dans le sens du progrès, monsieur le rapporteur général, et non pas aggraver le fossé entre les deux pôles de la société.
Nous sommes loin du débat qui s'est engagé ce matin à propos des footballeurs. Certaines personnes qui emmagasinent des sommes considérables ne paieront pas l'ISF avec des oeuvres d'art, ce qui leur permettra de mettre de côté de l'argent qui ne sera pas rentable pour la société ni productif, notamment pour l'emploi.
Au XXIe siècle, si nous nous laissons faire, il y aura encore beaucoup de morts dans les rues de notre belle France...
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. M. le secrétaire d'Etat s'est préoccupé de savoir si j'avais changé d'avis en changeant de fonction à propos de l'opportunité d'utiliser la procédure d'abus de droit plutôt que de faire de la dentelle fiscale, même au point d'Alençon !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. C'était une question de réthorique.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Monsieur le secrétaire d'Etat, je profite de cette intervention pour vous demander si de nombreuses procédures d'abus de droit sont engagées chaque année.
Vous nous dites qu'une telle procédure n'aurait pas pu aboutir. Mais la procédure d'abus de droit est un droit qui sera à l'évidence jurisprudentiel par sa nature même. Toutefois, il ne le sera jamais si les services de l'Etat, sur instruction du ministre, n'engagent jamais de procédure, ce qui signifie, mes chers collègues, que vous légiférez aujourd'hui pour les loueurs en meublés ; vous le ferez demain pour les bouchers charcutiers et après-demain pour les boulangers. Vous allez écheniller toutes les activités professionnelles que notre pays connaît.
Je crois franchement que cette démarche législative est erronée. Il ne faut pas s'engager dans cette voie qui rend la loi illisible et totalement incompréhensible pour les redevables. Il faut avoir la détermination d'empêcher le Gouvernement de nous mener dans une voie comme celle-là.
Monsieur le secrétaire d'Etat, j'aimerais que, chaque année, à l'occasion de la discussion budgétaire, vous nous disiez combien de procédures en abus de droit vous avez pu engager et dans combien de procédures l'Etat a été débouté. Ce serait une information extrêmement utile pour le Parlement ( M. Jacques Machet applaudit. )
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je répondrai volontiers à M. le président de la commission des finances que très peu de procédures d'abus de droit sont engagées par l'Etat, et cela pour une raison très simple : la charge de la preuve de l'abus de droit est très difficile à apporter.
Vous souhaitez que l'Etat engage des procédures, si je puis dire pour la gloire, c'est-à-dire pour faire des exemples. Vous connaissez les données en la matière : elles figurent dans le treizième rapport du Conseil des impôts ainsi que dans le rapport publié par un organisme bien connu, dont les initiales sont CCRAD. (Sourires.)
M. Philippe Marini, rapporteur général. Il s'agit du Comité consultatif de répression des abus de droit.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Monsieur le rapporteur général, je vous remercie d'expliciter ce point qui était présent à l'esprit de chacun ! (Nouveaux sourires.)
Monsieur le président de la commission, nous sommes face à des esprits ingénieux. Ce ne sont pas des bouchers charcutiers ou autres, professions au demeurant tout à fait honorables ; ce sont des personnes qui organisent leur évasion fiscale en matière d'impôt de solidarité sur la fortune. Au fur et à mesure que de nouvelles voies d'évasions fiscales seront ouvertes par ces personnes, dont l'esprit d'entreprise pourrait être tourné vers la création de richesses et d'emplois, nous colmaterons ces brèches dans le dispositif de la solidarité nationale.
Je préférerais que ces personnes trouvent d'autres moyens d'utiliser leur intelligence. Mais tant que nous nous heurterons à une telle situation, je crains que nous ne devions chaque année, au moins tant que ce gouvernement sera en place, contrecarrer par des dispositions ces tentatives d'échapper à l'article XIII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui a été cité ce matin par l'un d'entre vous et selon lequel : « Une contribution commune est indispensable. Elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. »
Or un certain nombre de personnes utilisent leurs facultés pour échapper volontairement à la contribution publique. Telle est la justification d'un certain nombre d'articles que le Gouvernement soumet à votre appréciation.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° I-6, repoussé par le Gouvernement.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission des finances.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 10:

Nombre de votants 312
Nombre de suffrages exprimés 310156
Pour l'adoption 212
Contre 98

En conséquence, l'article 9 est supprimé.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante-cinq, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de M. Guy Allouche.)