Séance du 29 avril 1999






COUR PÉNALE INTERNATIONALE

Adoption d'un projet de loi constitutionnelle

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi constitutionnelle (n° 302, 1998-1999), adopté par l'Assemblée nationale, insérant au titre VI de la Constitution un article 53-2 et relatif à la Cour pénale internationale. [Rapport n° 318 (1998-1999)].
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, alors que les signataires du statut de Rome ont écrit, dans le préambule de celui-ci, qu'ils avaient « à l'esprit qu'au cours de ce siècle, des millions d'enfants, de femmes et d'hommes ont été victimes d'atrocités qui défient l'imagination et heurtent profondément la conscience humaine », ce n'est pas seulement à l'esprit, hélas ! que nous avons ces crimes, mais sous nos yeux, aujourd'hui même, au Kosovo.
Vous venez d'entendre le Premier ministre affirmer que le tribunal pénal international devra être en mesure de sanctionner les agissements de tous les criminels de guerre. Nous avons en effet indiqué à Mme Harbour, procureur auprès du tribunal pénal de La Haye, qui doit se rendre à Paris la semaine prochaine, que nous ferions tout ce qui est en notre pouvoir afin de lui permettre de réunir, dans les formes requises, les témoignages des réfugiés accueillis sur notre sol qui lui seront nécessaires pour commencer à bâtir ses dossiers.
Dans le statut de Rome, les signataires ont indiqué qu'ils étaient conscients du fait que tous les peuples sont unis par des liens étroits et que leurs cultures forment un patrimoine commun. Que resterait-il de cette conscience si la communauté internationale ne se donnait pas les moyens pratiques et juridiques de mettre effectivement un terme à tout projet de destruction de la diversité humaine ?
Quand les mêmes signataires du statut de Rome rappelaient qu'ils étaient déterminés, dans l'intérêt des générations présentes et futures, à créer une Cour pénale internationale permanente et indépendante, reliée au système des Nations unies, ayant compétence à l'égard des crimes les plus graves qui touchent l'ensemble de la communauté internationale, n'est-ce pas qu'ils savaient que des actes comme le génocide des Arméniens de 1915 pourraient se reproduire ; que des échanges de populations comme ceux qui eurent lieu entre la Grèce et la Turquie après la guerre de 1923 pourraient se reproduire ; que se reproduiraient également les exodes de la Seconde Guerre mondiale ; que les millions de personnes déplacées des guerres de Bosnie, de Croatie et de Serbie pourraient se trouver de nouveau sur les routes ?
A cet égard, le projet de cour pénale internationale, qui aura compétence pour juger les crimes les plus graves qui se commettront à l'avenir, fait preuve d'un pessimisme probablement lucide. Mais il montre aussi combien nous nous sommes éloignés de l'idéal des Lumières, qui pariaient que, avec le progrès des sciences et des arts, viendrait le progrès éthique, moral et politique.
Pourtant, de façon peut-être parodoxale, les signataires de la convention de Rome ont montré aussi, semble-t-il, un singulier optimisme. En effet, ce qu'ils ont également affirmé, c'est que les crimes les plus graves qui touchent l'ensemble de la communauté internationale ne sauraient rester impunis et que leur répression doit être effectivement assurée par des mesures prises dans le cadre national lorsque c'est possible et par le renforcement de la coopération internationale lorsque cela ne l'est pas.
Vous connaissez tous les prémices de la Cour pénale internationale. C'est la volonté de ne pas laisser impunis les grands criminels nazis et japonais qui allait conduire à la mise en place des tribunaux militaires internationaux de Nuremberg, par l'accord de Londres du 8 août 1945, et de Tokyo, par une proclamation du commandant en chef MacArthur, le 19 janvier 1946.
Le projet de création d'une cour criminelle internationale permanente, envisagé dès 1948, à l'article 10 de la convention sur la prévention et la répression du crime de génocide, n'a pas pu voir le jour pour des raisons historiques et politiques liées à la confrontation des blocs.
Mais c'est à l'instigation de la France, et particulièrement de Robert Badinter, que le comité de juristes français, comprenant notamment Pierre Truche et le professeur Pellet, est parvenu à faire adopter par le Conseil de sécurité la création, en 1993, du tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, qui avait alors pour mission de « juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit humanitaire international commises depuis 1991 ».
Le tribunal pour le Rwanda, quant à lui, sera institué l'année suivante.
Il s'agissait, je le souligne, après des années d'effort, d'un événement considérable parce que, pour la première fois depuis Nuremberg et Tokyo, les auteurs de crimes internationaux allaient être jugés par des juridictions vraiment internationales qui appliqueraient, non le droit de tel ou de tel Etat, mais des règles définies internationalement.
Depuis 1948, année de la Déclaration universelle des droits de l'homme et de la convention sur le génocide, le droit humanitaire international n'avait cessé de se développer, d'abord avec les quatre conventions de la Croix-Rouge de 1949, auxquelles se sont ajoutés les deux protocoles de 1977 et, plus récemment, en 1984, par l'adoption de la convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements inhumains ou dégradants.
Avec la signature, à Rome, de la convention portant statut de la Cour pénale internationale, la communauté internationale franchit un nouveau pas dans l'affirmation d'un droit international sanctionné par une juridiction internationale permanente qui aura une compétence universelle.
En ce sens, elle va bien au-delà de la création de juridictions ad hoc auxquelles certains membres des Nations unies pourraient opposer leur veto si leurs intérêts étaient menacés. Surtout, comme l'écrit avec pertinence M. le rapporteur, « seule une juridiction permanente et dotée de compétences nécessaires peut constituer un facteur de dissuasion à l'encontre de ceux qui seraient enclins à commettre des crimes contre l'humanité ou des crimes de guerre ».
Voilà pour l'importance du texte dont nous allons, par la révision de la Constitution, je l'espère, permettre d'autoriser la ratification.
Quel est le statut de la Cour, sa compétence, et quelle procédure est prévue ?
La définition de la compétence de la Cour pénale internationale est un point essentiel du statut. Elle est d'abord ratione materiae , c'est-à-dire en fonction du genre de crime.
A l'heure actuelle, quatre crimes et quatre seulement, entrent dans la catégorie des crimes les plus graves parmi les plus graves pour lesquels la Cour sera compétente : génocide, crimes contre l'humanité, crimes de guerre et crimes d'agression.
Le génocide est défini à l'article 6 du statut comme un acte commis dans l'intention de détruire un groupe national ethnique, racial ou religieux qu'il s'agisse de meurtre, d'atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale, ou de soumission intentionnelle à des conditions d'existence telles qu'elles entraînent la destruction et, enfin, de mesures visant à entraver les naissances ou à transférer des enfants d'un groupe à un autre.
Le crime contre l'humanité est défini par l'article 7 et mentionne un grand nombre d'actes dans la mesure où ils sont commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique contre une population civile, et en connaissance de cette attaque bien entendu.
Le crime d'agression pour lequel la Cour n'a qu'une compétence virtuelle du fait que les négociateurs n'ont pas pu se mettre d'accord sera défini par un avenant qui sera a adopté lors d'une autre conférence.
Les crimes de guerre entrent également dans la compétence de la Cour, mais ils seront soumis à un régime spécial du fait de l'article 124. En effet, cet article permet à un Etat partie de décliner la compétence de la Cour, pendant sept ans, pour les crimes de guerre qui seraient commis soit sur son territoire, soit par ses ressortissants.
Il est donc possible de ne pas mettre en oeuvre les dispositions de l'article 12 du statut relatif à la compétence obligatoire de la Cour. C'est cette disposition transitoire, adoptée sur l'initiative de la France, qui a permis un accord général sur le statut de la Cour.
La définition des crimes de guerre au sens du statut est distincte de celles des crimes contre l'humanité ou du génocide en ce sens qu'elle peut recouvrir des actes isolés. Des plaintes sans fondement, teintés d'arrière-pensées politiques et dont le seul objet serait d'embarrasser publiquement le pays concerné, pourraient donc plus aisément être dirigées contre les personnels de pays qui, comme le nôtre, sont engagés fréquemment sur des théâtres extérieurs, notamment dans le cadre d'opérations de maintien de la paix.
Enfin, pour terminer sur ce sujet - provisoirement en tout cas, car nous y reviendrons certainement dans la discussion - j'ajoute que le fait que la France ait annoncé qu'elle ferait jouer l'article 124 n'est évidemment pas une manière de permettre à nos militaires de commettre des crimes de guerre, pour la bonne et simple raison que, si des personnels français devaient commettre de tels crimes, ils seraient de toute façon traduits devant les tribunaux français, puisque la Cour pénale internationale a seulement une compétence complémentaire.
S'agissant de la procédure qui sera suivie devant la Cour pénale internationale, je rappelle en premier lieu que la création de cette cour n'a pas pour objectif de décharger les Etats de leurs responsabilités. La convention de Rome a nécessairement une valeur préventive et incitative à laquelle le principe de « complémentarité » donne toute sa force.
La juridiction internationale ne se substituera pas aux systèmes nationaux de justice pénale ; elle viendra les suppléer lorsqu'ils n'auront pas pu, ou pas voulu, connaître eux-mêmes des crimes relevant de la compétence de la Cour, qui apparaît donc comme un système de sauvegarde, une garantie collective, contre l'impunité des auteurs des crimes les plus graves.
Cependant, et parallèlement à cette responsabilité première qui est celle des systèmes nationaux de justice pénale, notre responsabilité est aussi de permettre au droit international d'avoir les moyens de pallier, dans certaines hypothèses, les insuffisances des Etats défaillants ou des Etats malveillants. Pour ce faire, il faut que les procédures applicables devant la Cour pénale internationale soient à la fois efficaces, respectueuses des droits de l'homme et représentatives de la diversité des cultures juridiques dans le monde.
S'agissant de l'efficacité, tout d'abord, je souligne que la saisine de la Cour pourra être faite aisément, soit par un Etat partie, soit par le Conseil de sécurité, soit par le procureur lui-même qui, destinataire d'une plainte formée par une ou plusieurs victimes, pourra ouvrir une enquête après en avoir obtenu l'autorisation auprès de la chambre préliminaire, organe juridictionnel composé de trois juges de la Cour.
Pour remplir sa mission, le procureur pourra compter sur la coopération des Etats parties, qui seront tenus de répondre à ses demandes d'assistance et de lui remettre les personnes contre lesquelles des charges suffisantes auront été réunies.
Pour ce qui est du respect des droits de la défense, toutes les garanties procédurales inhérentes au procès pénal reconnues par les conventions internationales relatives à la protection des droits de l'homme figurent dans le statut de la Cour pénale internationale. Je ne les énumérerai pas, car les signataires du statut n'en ont oublié aucune, comme l'a d'ailleurs confirmé le Conseil constitutionnel dans la décision dont nous reparlerons dans un instant.
S'agissant enfin du respect du nécessaire équilibre entre les différentes cultures juridiques du monde, le trait principal et nouveau de la procédure suivie devant la Cour pénale internationale est, en effet, son caractère mixte.
A dominante accusatoire, inspirée par conséquent, du système anglo-saxon, elle laisse cependant une place non négligeable à l'intervention des juges, en particulier dans la phase préalable au procès. Si le procureur est le personnage principal de la mise en état du procès pénal, la chambre préliminaire occupe elle aussi, à ce stade, une place de premier plan, puisqu'elle est chargée d'assurer une sorte de contrôle juridictionnel de l'activité du procureur. Cette initiative, là encore, est extrêmement importante pour la défense de notre culture juridique.
C'est, à mon sens, tout à l'honneur de la France d'avoir proposé et obtenu la création de cette chambre préliminaire, qui permet de rééquilibrer la phase préalable au procès et d'éviter que des personnes ne soient mises en accusation sans que le caractère sérieux des charges réunies à leur encontre ait pu être vérifié par un organe juridictionnel.
Je soulignerai maintenant la place faite aux victimes devant la Cour, car la plus grande innovation du statut de la Cour pénale internationale est de leur reconnaître certains droits.
Oubliées jusqu'à présent par la justice pénale internationale, elles obtiennent enfin, dans ce statut, la place qui leur revient. Les dispositions relatives à l'accès des victimes à la procédure internationale et à la réparation de leur préjudice sont encore modestes, mais elles permettent de placer l'individu au coeur de la justice internationale.
Ainsi, le droit international, qui est plus traditionnellement le droit des Etats souverains, ouvre ses portes à de nouveaux sujets de droit.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le fait que 120 Etats se soient accordés pour définir avec précision le génocide, les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre, pour dire qu'ils étaient imprescriptibles et affirmer que la Cour avait une compétence obligatoire, est un événement fondamental de la société internationale contemporaine.
Mais je ne voudrais pas, spécialement devant votre assemblée qui a constamment le souci de réfléchir à la portée des décisions qui sont prises, dissimuler que cet événement pose également des questions très complexes.
En effet, il va d'abord falloir que cette justice internationale puisse déterminer un équilibre entre la souveraineté des Etats et les limitations à cette souveraineté.
Dès lors que les Etats sont en cause - et ils le sont au premier chef lorsque nous parlons des crimes contre l'humanité, des crimes de génocide, des crimes de guerre ou d'agression - il y a toujours eu de très forts obstacles de nature politique, mais aussi juridique, qui se sont opposés à toute possibilité de juger au plan international les personnes par l'intermédiaire desquelles cet Etat a agi. C'est d'ailleurs la raison principale pour laquelle il a fallu tant de temps pour aboutir à une justice pénale internationale. L'Etat est toujours venu s'interposer entre le droit international et les personnes privées.
Pour mettre fin à l'impunité des agents de l'Etat, du plus petit au plus grand, sans que la qualité officielle de l'un ou de l'autre puisse s'y opposer, il fallait qu'on puisse atteindre, au-delà de l'Etat, la personne privée auteur d'un crime défini internationalement. Alors que l'Etat constituait un écran opaque entre les victimes et le droit international, « le voile étatique » pourra se déchirer dans les conditions que j'ai décrites et atteindre, au-delà de l'Etat, la personne physique auteur du crime et la sanctionner.
Tout système juridique qui permet cela comporte nécessairement une limitation de la souveraineté des Etats, même s'ils déclarent y consentir en vue de l'organisation et de la défense de la paix, comme le proclame le XVe alinéa du préambule de la Constitution de 1946. Ces limitations sont nécessaires à l'édification d'un ordre juridique international qui peut contribuer à la défense d'un certain nombre de principes fondamentaux de protection des droits de l'homme sur lesquels repose la société internationale. Mais tout le problème est évidemment de trouver un équilibre entre la souveraineté des Etats et l'édification d'un ordre juridique qui transcende ces souverainetés.
Je prendrai deux exemples de ce délicat équilibre.
Je citerai d'abord la décision des lords anglais relative au général Pinochet, qui est à cet égard exemplaire puisqu'en l'espèce le droit international appréhende une personne privée en refusant la protection ratione materiae ou ratione personae que lui assurait le manteau étatique de ses anciennes fonctions.
Un tel événement est de nature à transformer le droit international en mettant fin à l'immunité des personnes agissant ou ayant agi au nom de l'Etat. Dans quelque lieu qu'ils se trouvent et à quelque moment que ce soit, les plus grands criminels n'auront désormais aucun abri sûr.
C'est évidemment une des ambitions que réalise le statut de Rome puisque, sur saisine du Conseil de sécurité, la Cour pourrait être compétente pour juger le ressortissant d'un Etat non-partie d'un crime commis sur le territoire d'un autre Etat également non partie.
Mais je voudrais également attirer l'attention sur la transformation du droit international que l'on observe dans le cas du général Pinochet, parce que les actes juridiques des juges nationaux ou internationaux ont des répercussions en termes diplomatique et politique. Et, pour éviter ces répercussions, qui peut dire qu'un Etat ne préférerait pas parfois expulser un criminel de guerre de son territoire plutôt que de le juger ?
J'en viens au deuxième exemple : la combinaison des articles 17 du statut relatif au principe de complémentarité et 20 relatif au principe non bis in idem rend très improbable que la Cour puisse déclarer recevable une affaire qui aurait déjà été jugée.
En cela, le statut de la Cour est respectueux des ordres juridiques nationaux. Cependant, ce même article 20 autorise la Cour à se saisir d'une affaire déjà jugée si la procédure avait pour objet de soustraire une personne à sa responsabilité pénale.
Cette disposition est entièrement légitime car la gravité, la cruauté et l'inhumanité de certains crimes n'autorisent en aucun cas qu'ils puissent faire l'objet d'un oubli. Elle répond à l'idée qu'il ne peut y avoir de paix sans justice, de réconciliation sans vérité et que, par conséquent, la raison d'Etat ne peut jamais l'emporter sur l'Etat de droit.
Mais qui peut dire que, dans tous les cas, partout et toujours, il conviendrait de sanctionner ? L'Afrique du Sud a exploré une autre voie en mettant en oeuvre, par exemple, la commission « vérité de réconciliation » prévue par la Constitution intérimaire de 1993.
Sur le plan des rapports entre la paix et la justice, le statut de la Cour réalise un délicat compromis entre les exigences de l'une qui pourrait commander l'oubli et celles de l'autre qui pourrait commander la vérité.
A cet égard, l'article 16 du statut, qui octroie au Conseil de sécurité des Nations unies la faculté de demander à la Cour de surseoir aux enquêtes ou aux poursuites engagées, a suscité de nombreuses critiques au motif qu'il est peu souhaitable qu'une instance politique et interétatique ait à intervenir dans le fonctionnement d'une juridiction. Mais je crois cette disposition nécessaire.
Dans la mesure où cette demande du Conseil de sécurité se situe dans le cadre du chapitre VII de la Charte des Nations unies, c'est-à-dire dans le contexte d'une menace contre la paix, on peut comprendre qu'il y ait un intérêt essentiel à ne pas judiciariser entièrement la vie politique internationale et à faire toute sa place à la politique et à la diplomatie.
De la même façon, s'agissant du crime d'agression, la France a défendu une position qui tend à préserver les prérogatives du Conseil de sécurité, premier responsable, en vertu de la Charte, pour déterminer l'existence d'un acte d'agression.
Telles sont les quelques questions qui me paraissent importantes et sur lesquelles, naturellement, la Cour pénale internationale devra, par sa pratique, instaurer un équilibre avec le Conseil de sécurité des Nations unies. Tel qu'il a été négocié, le statut donne effectivement toutes ses chances à la réalisation de ces équilibres. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement est déterminé à ratifier dès que possible la convention de Rome.
Nous avons signé la convention le lendemain de son adoption, et nous aimerions que tous les pays qui ont voté en faveur de ce texte - ils étaient cent vingt - fassent de même très rapidement.
La ratification de ce traité, qui marquera l'attachement de la France aux valeurs fondamentales que la Cour pénale internationale contribuera à défendre, nécessite au préalable que notre Constitution soit modifiée, tant il est vrai que le statut de Rome change certaines données traditionnelles du droit français.
Je reviens donc maintenant aux raisons qui font qu'une révision constitutionnelle s'impose.
Je rappelle que le Conseil constitutionnel a été saisi conjointement par le Président de la République et le Premier ministre de la question de savoir si l'autorisation de ratifier le traité dont je viens d'exposer les grandes lignes devait être précédée d'une révision de la Constitution.
Pour répondre à cette question, le Conseil constitutionnel a confronté le traité à trois séries de normes d'égale valeur constitutionnelle : d'abord, les dispositions mêmes de la Constitution de 1958 ; ensuite, les principes de rang constitutionnel en matière de droit pénal et de procédure pénale ; enfin, le respect des conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.
Par décision du 22 janvier 1999, le Conseil a estimé que le traité qui lui était soumis était conforme, à l'exception de certaines de ses stipulations. Avant de détailler les points qui ont fait l'objet de déclarations d'inconstitutionnalité, je voudrais faire quelques remarques.
Ma première remarque tient au fait que certaines stipulations ne posent pas de problèmes constitutionnels.
Je crois important d'appeler votre attention sur le fait que les déclarations de non-conformité à la Constitution ne traduisent aucune espèce de réserve de la part de la haute juridiction à l'encontre du traité signé à Rome le 18 juillet dernier.
En effet, le Conseil constitutionnel a tenu à réaffirmer que le respect de la souveraineté nationale ne fait pas obstacle au fait que, sur le fondement du préambule de la Constitution de 1946, la France peut conclure des engagements internationaux en vue de favoriser la paix et la sécurité du monde et d'assurer le respect des principes généraux du droit public international.
Aucune disposition de notre loi fondamentale ne s'oppose à ce que la France puisse signer et ratifier un traité qui prévoit en particulier la création d'une juridiction internationale permanente destinée à protéger les droits fondamentaux de la personne humaine, en sanctionnant les atteintes les plus graves qui leur seraient portées.
Une telle prise de position montre bien que notre pays est ouvert au droit international, comme le confirme le fait que le préambule de la Constitution de 1946 énonce que la République, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit international.
Celles-ci ne portent pas atteinte en elles-mêmes à la souveraineté nationale, d'autant moins que le quinzième alinéa du même préambule dit clairement que, « sous réserve de réciprocité, la France consent aux limitations de souveraineté nécessaires à l'organisation et à la défense de la paix ». Or tel est bien le but de l'institution de la Cour pénale internationale.
A cet égard, je considère que la décision du Conseil constitutionnel est extrêmement importante quand elle affirme que, eu égard à l'objet de la convention de Rome, la clause de réciprocité n'a pas lieu de s'appliquer.
En effet, le fait que les autres Etats parties ne respecteraient pas les obligations qui leur incombent ne saurait être un motif pour exonérer la France des siennes, pour ne pas sanctionner les crimes les plus odieux.
Si la haute juridiction marque ainsi l'adhésion de la France au système du droit international, en revanche, elle a souligné - comme elle l'avait déjà fait dans ses décisions sur les traités européens - que, si les engagements internationaux de la France contiennent une clause contraire à la Constitution, il faut en effet procéder à une révision constitutionnelle avant de les ratifier.
Qu'en est-il en l'espèce ? Comme le relève la décision du Conseil constitutionnel, le traité portant statut de la Cour pénale internationale est incompatible avec la Constitution sur trois points.
Ma deuxième remarque porte sur les stipulations incompatibles avec la Constitution.
Il y a une incompatibilité entre le statut de Rome et les dispositions constitutionnelles qui posent des règles spéciales de fond ou de compétence en matière de responsabilité pénale du Président de la République, des membres du Gouvernement ou du Parlement, dans la mesure où, comme je l'ai déjà fait remarquer, le statut de Rome ne prévoit pas de régime spécial ou d'immunité particulière pour ces personnes exerçant des fonctions législatives ou exécutives.
Comme la Cour peut, au titre de l'article 27 du statut, exercer sa compétence auprès de toute personne investie de fonctions officielles, il est incompatible avec les régimes particuliers de responsabilité institués par les articles 26, 68 et 68-1 de la Constitution.
Le Conseil constitutionnel a estimé que, malgré le principe de subsidiarité et de complémentarité, le transfert de compétence résultant de la convention au profit du juge international dans les cas d'intervention d'une loi d'amnistie ou d'application des règles nationales de prescriptions portait atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté.
Dans le cas particulier de la France, une personne de nationalité française ne pourrait être poursuivie devant la Cour pénale internationale à ce titre et ne pourrait être condamnée que dans des circonstances tout à fait extraordinaires. Il faudrait que les faits soient prescrits, qu'ils soient couverts par l'amnistie ou que la justice française ait renoncé à poursuivre des crimes graves.
Toutefois, en premier lieu, certains des crimes pour lesquels la Cour est compétente sont également imprescriptibles en droit français. C'est le cas du génocide et des autres crimes contre l'humanité.
En deuxième lieu, les lois d'amnistie françaises excluent généralement les faits d'une extrême gravité.
Enfin, en troisième lieu, il y a lieu d'écarter évidemment l'hypothèse dans laquelle le système judiciaire français renoncerait à poursuivre ou juger les auteurs de crimes graves, à moins d'imaginer que notre pays cesse d'être un Etat de droit.
Par conséquent, si l'hypothèse dans laquelle s'est placé le Conseil constitutionnel est largement théorique et constitue le corollaire du contrôle abstrait et a priori qu'il exerce, il faut partir de l'idée qu'il n'y a pas d'atteinte réelle et sérieuse à la souveraineté du système judiciaire français. Si, comme je le pense, la justice française exerce normalement ses compétences, elle poursuivra évidemment les auteurs des crimes d'une extrême gravité.
Enfin, bien que les pouvoirs que le procureur de la Cour pénale internationale tient de l'article 99 soient exclusifs de tout recours à la contrainte, le Conseil constitutionnel a jugé qu'il pouvait également être porté atteinte aux conditions essentielles de l'exercice de la souveraineté nationale. Il a jugé que la possibilité donnée au procureur de recueillir directement sur le territoire de l'Etat des dépositions de témoins et d'inspecter des sites ou des lieux publics était trop vague au regard de la règle qui veut que les autorités judiciaires françaises soient seules compétentes pour accomplir les actes demandés par une autorité étrangère au titre de l'entraide judiciaire.
Ma troisième remarque porte sur les conséquences de cette décision.
Le Président de la République et le Gouvernement ont estimé que les obstacles de nature constitutionnelle, au demeurant très limités, devaient être surmontés afin que le Parlement puisse autoriser la ratification du statut de la Cour pénale internationale et que le Président de la République puisse déposer les instruments de ratification.
C'est la raison pour laquelle il vous est proposé de compléter le titre VI de la Constitution relatif aux traités et accords internationaux par un article 53-2 nouveau, disposant que la République peut reconnaître la juridiction de la Cour pénale internationale dans les conditions prévues par le traité signé le 18 juillet 1998. Ainsi, par une formule générale qui permet de répondre à l'ensemble des motifs d'inconstitutionnalité relevés par le Conseil constitutionnel, le Parlement pourra autoriser la ratification du statut de la Cour pénale internationale.
Mesdames, messieurs les sénateurs, par cette révision constitutionnelle, que l'Assemblée nationale a déjà adoptée le 6 avril dernier à l'unanimité moins une abstention, la France démontre qu'elle est déterminée à faire aboutir la mise en place de la Cour pénale internationale permanente et qu'elle fera tout ce qui est en son pouvoir - je tiens à le souligner - pour que soixante Etats au moins ratifient la convention de Rome.
Cela ne sera pas facile. Il nous faudra, pour y parvenir, déployer des talents de persuasion envers des Etats qui nous sont liés.
Parce qu'il remet en cause la nature humaine et les fondements mêmes de la communauté internationale, le crime contre l'humanité doit être poursuivi et sanctionné.
Parce qu'il dépasse les frontières, le crime contre l'humanité mérite une réponse forte et coordonnée des systèmes nationaux et internationaux de justice pénale.
A Rome, l'été dernier, après tant d'années d'attentes et d'espoirs déçus, nous avons franchi le cap du possible et du probable pour entrer dans une phase moins théorique et illusoire, où l'on s'efforcera enfin de concevoir et d'appliquer différemment la place de la justice pénale internationale dans la résolution des conflits les plus graves. Nous sommes ainsi passés de la conception et de l'expérimentation à la construction.
Vous pouvez compter sur moi et sur le ministère dont j'assume aujourd'hui la charge pour participer activement à cette construction. (Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées de l'Union centriste et du RDSE).
(M. Gérard Larcher remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER
vice-président

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Robert Badinter, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la ministre, vous avez rappelé à juste titre que ce projet de loi constitue, dans l'histoire de la justice internationale et de la lutte pour le châtiment des grands criminels contre l'humanité, un moment essentiel, et je sais que, dans cette entreprise, nous pouvons compter sur vous ; vous en avez déjà donné les preuves. C'est donc avec une particulière satisfaction, je ne le dissimule pas, que j'assume ce rapport.
Je me souviens d'ailleurs - c'est une continuité - qu'ici même, voilà trois ans - c'était un autre garde des sceaux, votre prédécesseur - je rapportais déjà, au nom de la commission des lois, sur les modifications nécessaires à apporter à notre législation pour la mettre en conformité avec les exigences nées de la création du tribunal pénal international pour le Rwanda.
A cette occasion, au nom de la commission unanime, j'avais fait savoir à votre prédécesseur que nous souhaitions que la France contribue, autant qu'elle le pourrait, à la naissance de la Cour pénale internationale, seule juridiction permanente susceptible d'assurer la répression des criminels contre l'humanité.
Nous sommes à la fin du siècle, on se plaît à le rappeler très souvent. Hier, à la commission des lois, je ne résistais pas à la mélancolie de dire que le siècle avait commencé, pour les juristes, à La Haye, avec une conférence sur la résolution de tous les conflits par la conciliation et l'arbitrage. Nos lointains prédécesseurs vivaient ainsi dans une vision irénique d'un droit régnant sur les relations internationales.
Ce siècle que nous achevons, aura finalement été souillé par les crimes contre l'humanité les plus sanglants, depuis le génocide arménien, le génocide rwandais, jusqu'aux événements qui se déroulent presque sous nos yeux au Kosovo.
Le crime contre l'humanité sous toutes ses formes a déshonoré ce siècle, et je suis malheureusement convaincu que, pour les générations à venir, Auschwitz en restera le terrible symbole.
Au moins, à la fin du siècle, assistons-nous à ce progrès judiciaire, décisif à mon sens, que représente la naissance d'une Cour pénale internationale.
En quoi cela constitue-t-il un progrès ? D'abord, par rapport aux juridictions antérieures qui ont vu le jour, par rapport à Nuremberg ou à Tokyo, parce que ce n'est pas la justice des vainqueurs qui s'exerce sur les vaincus, même si elle leur reconnaissait toutes les garanties du droit. Ensuite, par rapport au tribunaux ad hoc pour la Yougoslavie et le Rwanda, parce qu'il s'agit d'une institution permanente, qui, à ce titre, détient un pouvoir de dissuasion, qu'une juridiction créée après les crimes, avec un objet limité, dans un cas, pour une durée limitée, ne peut évidemment détenir.
Comme vous l'avez rappelé, madame le garde des sceaux, la Cour pénale internationale a fait l'objet de ce traité qui porte son statut, lequel a été voté l'année dernière à Rome, après bien des difficultés, par cent vingt pays, ce qui est énorme, sept pays seulement, non des moindres malheureusement, votant contre et vingt s'abstenant.
Nous en sommes aujourd'hui au premier stade. Nous savons, en effet, que cette révision constitutionnelle ne prend son sens que par rapport à la ratification de ce traité.
Elle est nécessaire, mais, vous avez eu raison de le rappeler, madame le garde des sceaux, au coeur de la problématique, il y a évidemment l'analyse de la portée des dispositions du traité.
Sur la Cour pénale internationale, vous avez dit l'essentiel ; je me bornerai donc à rappeler certains points qui me paraissent particulièrement importants.
S'agissant de l'organisation, indiscutablement, c'est la chambre préliminaire qui doit retenir notre attention, dans la mesure où elle améliore, par rapport au tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, les procédures d'enquête.
S'agissant de la compétence sous toutes ses formes, et d'abord de la compétence matérielle, vous l'avez rappelé, la Cour est compétente pour les crimes les plus importants. Ainsi, le génocide, le crime contre l'humanité ou le crime de guerre sont définis et précisés. J'ai d'ailleurs relevé que, dans l'article 7 du traité, une disposition s'applique directement à ce qui se passe en ce moment même au Kosovo, puisque sont visés « la déportation ou le transfert forcé de populations ». Ainsi donc, la déportation ou le transfert massif de populations civiles réalisés par la force et dans le cadre d'un plan systématique, constituent, il n'est pas indifférent de le rappeler à cette minute, un crime contre l'humanité.
Pour le crime d'agression, que vous avez heureusement qualifié de « virtuel », je m'interroge : le verrons-nous jamais sortir de sa virtualité ? On nous en parle depuis si longtemps... Je le dis clairement, au nom de la commission, nous ne considérons pas que ce soit le plus important pour l'avenir. Ce qui compte, c'est le châtiment des criminels, et non la prise en compte des responsabilités des Etats dans une sorte de forum international. Mais les trois grands crimes que j'ai évoqués suffisent pour fonder la compétence matérielle.
Je rappelle, car c'est également important, que cette compétence sera mise en oeuvre, que les crimes soient commis dans le cadre d'un conflit international ou dans le cadre d'un Etat au cours d'un conflit interne, comme c'est le cas en ce moment.
Cette compétence ne prendra évidemment corps qu'à dater du moment où la Cour aura été créée, c'est-à-dire lorsque les ratifications nécessaires seront intervenues. Raison de plus, dirais-je, avec l'éminent rapporteur de la commission des affaires étrangères, pour ne pas perdre de temps et pour donner l'exemple !
M. André Dulait. Très bien !
M. Robert Badinter, rapporteur. En ce qui concerne les compétences ratione personae et ratione loci de la Cour, comme aurait dit notre éminent collègue Jean Foyer, c'est-à-dire compétence personnelle et compétence territoriale, elles s'appliquent quand l'auteur présumé du crime est un national d'un des Etats parties ou lorsque les crimes ont été commis sur le territoire d'un des Etats parties.
Cela ne suffit pas, hélas ! à créer une compétence universelle, mais cela marque aussi que c'est à la mesure des ratifications que le champ de compétence territoriale s'étendra. Il est donc d'autant plus important - comme vous l'avez souligné, invoquant à cet égard le concours actif du Gouvernement, ce dont nous nous réjouissons - que nous suscitions le plus grand nombre de ratifications possible dans le délai le plus bref possible.
Au-delà de ces compétences certaines, deux autres, que je qualifierai d'éventuelles, sont prévues dans le traité. L'une est très importante, l'autre s'explique par certaines circonstances de fait.
Je commence par la dernière, qui s'exerce dans le cas où un Etat non partie au traité demande que des crimes qui ont été commis sur son territoire soient jugés par la Cour pénale internationale. On pense à certains malheureux Etats ravagés par des génocides et qui n'ont pas de système judiciaire leur permettant de procéder par eux-mêmes au jugement des crimes contre l'humanité dont ils ont été les victimes.
Quant à la première compétence, d'importance majeure, elle est déclenchée par une résolution du Conseil de sécurité dans le cadre du chapitre VII de la charte des Nations unies. Je pense que nous verrons sa mise en oeuvre dans les circonstances les plus importantes. Je souligne qu'en l'occurrence la compétence est enfin universelle.
Comme vous l'avez rappelé, madame, trois modes de saisine sont prévus : par l'Etat partie ; par le Conseil de sécurité des Nations unies agissant dans le cadre du chapitre VII de la charte ; enfin par le procureur.
Indiscutablement, le procureur sera le moteur le plus important de cette juridiction. Il sera totalement indépendant et sa fonction sera considérable. Il est vrai que ses initiatives seront contrôlées par une chambre préliminaire composée de magistrats du siège. Ainsi, l'exercice de l'action et de l'enquête par le procureur sera entouré de toutes les garanties nécessaires.
Comme l'a d'ailleurs souligné le Conseil constitutionnel, les autres règles de procédure sont conformes à toutes les exigences requises pour le déroulement d'un procès équitable.
Ce qui, à mon sens, dans cette procédure, constitue en effet une innovation - je le rappelle avec plaisir au regard des efforts déployés par la délégation française à Rome - c'est l'instauration de la chambre préliminaire. Vous avez bien fait, madame le garde des sceaux, d'indiquer que l'on assistait là à la naissance d'une sorte de procédure mixte qui emprunte beaucoup au système accusatoire anglo-saxon - après tout, à l'audience, c'est ainsi chez nous depuis lontemps - et qui, par ailleurs, introduit cette chambre et ce contrôle des initiatives de la partie poursuivante, si importants à nos yeux.
Je rappelle que c'est à la suite de ce qui, à cet égard, avait été relevé au sein du tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie et presque à la demande des magistrats de cette institution que l'on a créé cette chambre préliminaire. Cela est très important pour l'avenir, car je crois que naîtra ainsi, notamment au sein de l'Union européenne, un modèle commun de procédure pénale répondant à toutes les exigences du procès équitable.
En ce qui concerne les peines, je ne peux pas passer sous silence le fait que, à Rome, on ait considéré que le châtiment des pires criminels, des criminels contre l'humanité, devait être une peine de réclusion criminelle à perpétuité. Cent vingt Etats ont voté cette disposition ; au regard de l'abolition de la peine de mort, cela méritait d'être souligné.
En ce qui concerne les victimes, c'est en effet grâce à la France que l'on a pu introduire des dispositions qui n'étaient pas indispensables au regard de la conception générale du procès pénal et de la conception anglo-saxonne notamment. Je n'ai pas besoin de rappeler que, s'agissant de crime contre l'humanité, le nombre si élevé de victimes interdit, on le conçoit, le type d'intervention que nous connaissons et qui convient s'agissant de victimes individuelles. Peut-on imaginer ce qu'auraient été les constitutions de parties civiles au procès de Nuremberg ! C'est l'humanité tout entière qui, véritablement, était concernée.
Ces dispositions ne prennent, à mon sens, toute leur portée qu'au regard de deux considérations.
La première a trait aux Etats eux-mêmes. Ce qui est construit dans ce nouvel espace judiciaire, ce n'est pas une institution des Nations unies, c'est une institution liée à l'ONU mais qui est l'expression de la souveraineté des Etats se traduisant dans le cadre d'un traité.
Par conséquent, lorsqu'on regarde de près ce traité, on se rend compte, comme il est indiqué d'ailleurs excellemment dans le rapport de la commission des affaires étrangères, que nous sommes en présence d'un système, sinon de subsidiarité, en tout cas de complémentarité. Autrement dit, il revient aux Etats eux-mêmes de châtier les criminels contre l'humanité qui sont leurs ressortissants. C'est seulement s'ils ne peuvent le faire, s'ils ne veulent pas le faire ou, pis encore, s'ils essaient, par un simulacre de justice, de dérober les responsables à la sanction, que la Cour pénale internationale interviendra.
A cette obligation de châtiment s'ajoute l'obligation de coopération, sans laquelle la lutte pour le châtiment des criminels contre l'humanité ne pourra pas véritablement s'engager.
Il convient donc d'insister sur le rôle premier des Etats dans cette entreprise de lutte contre l'impunité et sur le respect de leur souveraineté essentielle qui en découle.
S'agissant du Conseil de sécurité, vous avez évoqué les réserves qu'avait suscitées la clause du traité aux termes de laquelle le Conseil de sécurité peut, par une résolution, demander pendant douze mois la suspension des poursuites. Il est évident que, dans la pratique, cette hypothèse se réalisera très peu souvent. Je rappelle que la France est membre permanent du Conseil de sécurité. Par conséquent, la résolution en question devra être prise avec notre accord et celui de tous les membres permanents du Conseil. Nous resterons donc maîtres de la continuité des poursuites. Finalement, cette clause qui a suscité une telle émotion ne me paraît pas devoir être, dans la pratique, autre chose qu'une possibilité qui, dans certains cas pourra se révéler d'une certaine utilité.
Voilà pour les rapports avec les Etats. Je ne reviendrai pas sur ce qui a été évoqué à propos de l'article 124 sur ce point. La discussion relative à la faculté laissée aux Etats de ne pas souscrire à la disposition concernant les crimes de guerre s'inscrit davantage dans le cadre du débat de ratification que dans celui de la révision constitutionnelle.
S'agissant de la révision constitutionnelle proprement dite, bien évidement, nous nous en félicitons. Le Président de la République et le Premier ministre ont saisi conjointement le Conseil constitutionnel, qui a rendu une décision, longue, marquant à quel point la procédure suivie répondait à toutes les exigences qui s'imposent à nous en matière de droit pénal et de procédure pénale.
Il a relevé trois chefs de contrariété du traité à la Constitution. Tout le monde s'y attendait s'agissant, en particulier des régimes spéciaux en matière de procédure pénale et même d'immunité pénale aussi bien pour le Président de la République que pour les membres du Gouvernement et pour les parlementaires.
Il était évident que si l'on n'admettait pas la possibilité de poursuivre tel ou tel responsable au plus haut niveau - là encore, nous ne pouvons que penser à ce qui se passe actuellement dans les Balkans - le traité aurait perdu toute portée et la Cour toute efficacité.
Mais il est évident aussi que cela impliquait une révision constitutionnelle. C'est à celle-ci que nous procédons.
En ce qui concerne l'amnistie, vous avez dit, madame la ministre, ce qu'il fallait en dire. Peut-on songer une seconde à amnistier le crime contre l'humanité ? Peut-on songer une seconde à amnistier le génocide ? Je n'insiste pas !
En ce qui concerne la prescription, le génocide et le crime contre l'humanité sont déjà imprescriptibles. Nous en serons quittes pour modifier notre code pénal, en fonction des infractions visées dans le traité.
Une inconstitutionnalité s'est ajoutée, celle qui est relative aux pouvoirs du procureur indépendant, qui ne reçoit aucune instruction d'aucun Etat. Il peut éventuellement, en cas d'urgence - on perçoit très bien l'intérêt de cette faculté - se transporter dans l'un des Etats parties et demander à entendre un témoin. Si ce dernier ne souhaite pas être entendu, il ne l'est pas. Le procureur peut aussi visiter des sites et procéder à certaines constatations matérielles. Là non plus, aucune voie d'exécution forcée n'est prévue.
Le Conseil constitutionnel a considéré qu'il y avait une atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté. Dès lors, il convenait de réviser la Constitution également sur ce point.
La voie choisie par le Président de la République et par le Gouvernement est la bonne. Il est évident que nous n'allions pas reprendre chacun des articles ou éventuellement procéder à des ajouts, notamment en ce qui concerne les pouvoirs du procureur.
La seule façon convenable et rapide de procéder consistait, comme pour les traités d'Amsterdam et de Maastricht, à recourir à un article unique.
La formulation retenue m'a laissé un instant perplexe : le terme « juridiction » a un sens précis en droit international public. Peut-être aurait-on dû se contenter de la compétence. Mais nous n'allons pas faire preuve d'un perfectionnisme de la langue juridique qui risquerait, en l'occurrence, d'être considéré comme excessif.
Il s'agit donc simplement de décider que la République reconnaît la juridiction de la Cour pénale internationale dans son état, et sous réserve, bien entendu, de ratification du traité. Cela implique que, en cas de révision du traité, il appartiendra aux plus hautes instances de l'Etat ou aux parlementaires de saisir à nouveau le Conseil constitutionnel. Nous verrons ce qu'il en adviendra.
Telle est l'économie de cette révision constitutionnelle.
Je l'ai dit, la commission des lois, unanime, approuve entièrement ce projet de révision, dont j'ai souligné l'importance.
Oui, c'est un progrès considérable. Je sais bien que cela ne répond pas à toutes les attentes des organisations. Je sais bien qu'on aurait rêvé d'une cour qui aurait joui de la compétence universelle. Je sais bien que l'article 124 a été beaucoup critiqué, y compris par moi-même. Il demeure que, par rapport à ce que l'on souhaite depuis si longtemps, à savoir qu'il soit mis un terme à l'impunité des criminels contre l'humanité, c'est bien une avancée que nous devons saluer et à laquelle nous devons nous rallier.
Cela étant, cette avancée ne deviendra effective que si elle rallie le concours des Etats. Sur ce point, nous devons tous, en particulier les gouvernements de toutes les puissances, tirer la leçon de ce qui s'est passé à propos du tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie.
Si les puissances intéressées avaient fait preuve de toute la fermeté et peut-être même de toute l'audace requises pour arrêter des criminels contre l'humanité identifiés et localisés - je pense en particulier à Karadzic et à Mladic, lequel est de retour sur le théâtre de ses sinistres exploits et à nouveau « opérationnel » en ce sens qu'il continue de commettre des crimes contre l'humanité - ceux qui sont aujourd'hui à l'oeuvre au Kosovo auraient su que c'était leur sort personnel qui était en jeu, que, tôt ou tard, ils auraient été amenés à devoir rendre des comptes devant la justice internationale, avant de se retrouver là où ils doivent finir, c'est-à-dire dans un établissement pénitentiaire, probablement à La Haye.
Cette dissuasion-là est une dissuasion personnelle d'une force considérable : la crainte pour votre destin même, quand on vous demande de commettre des crimes contre l'humanité, c'est tout autre chose que des frappes sur des objectifs militaires, industriels ou politiques. C'est leur propre avenir même que ces criminels savent en jeu au moment où ils se rendent coupables de leurs exactions.
Je le dis, c'est de cette fermeté dans l'action que dépend l'avenir de la Cour pénale internationale puisque, sans les Etats, elle sera désarmée. Pour le reste, je fais confiance à ceux qui auront à mettre en oeuvre les pouvoirs qui lui sont reconnus.
Nous savons qu'il y a une loi classique qui s'applique à toute juridiction. Elle va jusqu'à la limite de ses pouvoirs. Il en ira de même pour la Cour pénale internationale.
S'agissant de la mission de ceux qui auront à la faire fonctionner, c'est assurément une des plus grandes qui se puisse concevoir parce que, vous l'avez rappelé, madame la ministre, il n'y a pas de paix possible sans justice et, pour les victimes, il n'y a pas d'apaisement possible sans justice.
Pour la conscience collective, mais particulièrement pour les victimes, à la fin de ce siècle, il n'y a rien de plus intolérable que de penser que les auteurs de ces crimes pourraient couler une vieillesse paisible, entourés des leurs, de l'affection de leurs proches, de l'amitié de leurs voisins, alors que les victimes, elles, resteraient seules avec leur malheur. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, je n'avais pas, primitivement, l'intention d'intervenir dans ce débat mais, à ne pas le faire, j'aurais eu l'impression de manquer à un devoir, celui-ci consistant d'abord pour moi à remercier notre rapporteur de l'excellence du travail qu'il a accompli, au nom de notre commission, en présentant de manière extrêmement éclairante un dossier singulièrement difficile. Pour des raisons que nous comprenons, il est d'ailleurs allé au-delà de la stricte sécheresse juridique, en évoquant la signification profonde de ce texte.
Il n'est pas anodin, mes chers collègues, que ce débat s'engage alors que le siècle s'achève, un siècle qui s'est ouvert sur des espoirs de paix et de progrès.
Le hasard a voulu que, feuilletant l'autre jour un vieux journal, je retrouve la trace de cette chanson naïve que l'on avait fait composer pour le banquet de clôture de l'Exposition universelle de 1900 : des paroles au caractère un peu pompier, certes, mais chaleureuses, témoignant d'un profond espoir dans la paix. On sait ce qu'il en a été !
Peut-être l'époque que nous venons de vivre s'inscrira-t-elle parmi les plus noires de l'histoire de l'humanité. Mais, malgré les heures sombres qui ponctuent cette histoire, demeure chez tous les hommes cette volonté de parvenir à un état de paix juste et durable, c'est-à-dire à ce qui doit être pour tous, selon la définition éternelle de saint Augustin, « la sécurité dans l'ordre ».
Si l'on transpose les rapports entre les groupes sociaux et les individus aux relations entre les nations, on constate que l'ordre international, comme l'ordre social, ne peut être respecté qu'à une triple condition : il faut qu'il existe une loi - ou un code - un juge et une force.
La loi, voilà longtemps que l'on s'efforce de l'établir, parce qu'on sait qu'elle est nécessaire et parce qu'elle coïncide avec une aspiration profondément ancrée dans le coeur des hommes. Hélas ! elle a été souvent violée, et ces violations ont été trop souvent accomplies dans la plus totale des impunités.
Des juges ont aussi été mis en place. Car on oublie qu'une première tentative a vu le jour au lendemain de la Première Guerre mondiale. Tentative vite abandonnée parce que cette guerre, dont on découvre maintenant qu'elle a été tragiquement inutile, a été malgré tout une guerre classique : lors d'un conflit qui mettait en présence des forces armées obéissant tout de même à une sorte de code, l'horreur aura été finalement « acceptable ».
Le procès de Nuremberg, sans doute inévitable, sans doute nécessaire, n'a pas été à l'abri de critiques strictement juridiques ; j'en discutais avec notre rapporteur. Certes, les droits des coupables ont été respectés, mais il a fallu poser, à la demande du procureur soviétique, le principe selon lequel l'excuse de la réciprocité ne serait jamais admise.
Que peut-on espérer de cette cour que l'on veut mettre en place, après celle que l'on vient de créer, à compétences matérielles réduites ?
Sa création implique pour nous de modifier, une fois de plus, notre Constitution. Je me permets de dire au passage qu'il faudra bien trouver un moyen qui nous permette d'aborder de manière globale les modifications de notre loi fondamentale rendues nécessaires par les accords internationaux, de plus en plus nombreux, auxquels la France entend légitimement souscrire.
Au-delà de la pertinence de son action, cette cour a pour moi une valeur d'avertissement : faire savoir à l'avance que, dans une guerre ouverte ou dans un conflit armé qui ne reçoit pas cette qualification juridique précise, tout n'est pas possible. Et cet avertissement vaut également pour tous les manquements à un ordre défini qui se produiraient à l'intérieur des frontières d'une nation. C'est peut-être là la signification la plus importante de ce que nous sommes en train d'accomplir.
S'agissant du conflit du Kosovo, permettez-moi de vous faire part d'une remarque, selon moi intelligente, d'un auteur de politique fiction. Supposez, disait-il en substance, que Hitler, démocratiquement élu, ait observé, en 1933 ou en 1935, un respect absolu de l'ordre international et déclaré que, tout en respectant le traité de Versailles, il était souverain chez lui et entendait simplement expulser les Allemands d'origine juive ou, le cas échéant, les massacrer ; nous n'aurions rien pu faire. Or, si nous avons agi, c'est parce que Hitler a eu, permettez-moi de le dire, l'imprudence de se livrer à une aventure internationale au terme de laquelle il a été possible de le sanctionner, lui et les siens.
L'exercice par un Etat de sa souveraineté nationale - et ce point me paraît fondamental - est désormais encadré de deux façons : le droit est rappelé et, compte tenu de l'existence d'un juge, la menace de la sanction plane.
Reste le troisième pilier auquel je faisais allusion, c'est-à-dire celui de la force nécessaire. Pour que le juge soit saisi, pour que, le cas échéant, la loi soit respectée, il faudra bien, sous une forme quelconque, doter la souveraineté internationale de la force nécessaire.
Le xxe siècle n'aura pas été cette époque de paix et de progrès que l'on espérait. Peut-être le xxie siècle le sera-t-il, grâce à ce que nous sommes en train d'accomplir.
Nous avons cru, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, que la paix était acquise. Ce que l'Afrique a vécu, l'existence d'Etats criminels dont on a découvert les crimes après leur effondrement ou leur disparition, et contre lesquels nous n'avons rien pu faire, et les événements qui se déroulent en Europe montrent, s'il en était besoin, au-delà des intentions juridiques, la difficulté de la tâche qui reste à accomplir.
La reconnaissance d'une loi, l'existence d'un juge et peut-être un jour la force nécessaire dont sera dotée la souveraineté internationale permettront, enfin, de voir se réaliser le voeu de saint-Augustin : la paix, c'est-à-dire la sécurité dans l'ordre. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 45 minutes ;
Groupe socialiste, 38 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 29 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 18 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Othily.
M. Georges Othily. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, notre débat de ce jour devrait théoriquement se limiter à l'examen des aspects constitutionnels liés à la vraisemblable ratification du traité de Rome du 17 juillet 1998 portant création d'une Cour pénale internationale.
Nous savons en effet que certains aspects de cet engagement, contracté par les délégués de cent vingt pays, ne sont pas conformes à notre loi fondamentale et imposent donc sa révision.
Cela dit, il m'est difficile de ne pas anticiper sur l'objet même du traité, et ce pour une raison bien simple : ou bien cet accord doit être approuvé, et la révision constitutionnelle s'impose ; ou bien, à l'inverse, cet engagement ne recueille pas notre adhésion, et ce projet de loi constitutionnelle devient inopportun.
Je souhaite, dès à présent, faire savoir à la Haute Assemblée ainsi qu'au Gouvernement que mon propos s'inscrira dans le cadre du premier terme de cette alternative : celui de la nécessaire ratification du traité de Rome et de la révision concomitante de la Constitution.
La justice pénale est, malgré de nombreuses tentatives, quasiment absente de l'ordre international. Les rares percées du droit pénal au sein de l'histoire contemporaine mondiale sont consécutives aux tragédies de la Seconde Guerre mondiale avec les procès de Nuremberg et de Tokyo ou, plus récemment, aux guerres de Bosnie et du Rwanda, avec la constitution de tribunaux ad hoc.
Ce mode opératoire, ponctuel et imposant, dans chaque cas, la réunion des acteurs internationaux, n'est pas réellement satisfaisant, car il s'inscrit dans le cadre d'une justice non pas pérenne, mais seulement occasionnelle.
Les juridictions internationales d'espèce constituent certes une avancée substantielle, mais elles présentent toutefois l'inconvénient d'intervenir a posteriori, c'est-à-dire après la commission des crimes qu'elles sont amenées à juger, ce qui ôte tout caractère dissuasif à l'action pénale.
La création d'une Cour pénale internationale témoigne donc de la volonté, exprimée par plus de cent vingt nations, de ne plus jamais laisser impunis les crimes les plus graves.
Une actualité brûlante nous rappelle d'ailleurs quotidiennement que, sur notre continent, à quelques kilomètres seulement de nos frontières, la barbarie est toujours de ce monde.
Si maigre soit la consolation que pourrait, à l'heure actuelle, nous apporter l'existence d'une telle Cour pénale internationale qui, bien évidemment, n'aurait pas le pouvoir de mettre fin aux massacres orchestrés, je ressens néanmoins une profonde satisfaction.
En effet, la création de cette juridiction hautement supérieure est un message fort que les nations signataires adressent, pour la première fois, aux malheureuses victimes d'agissements inqualifiables.
Désormais, nous pouvons leur dire que leurs souffrances ne resteront plus impunies et qu'aucune exception de nationalité, de territorialité ou de temporalité n'empêchera la justice des hommes de passer.
Paradoxalement, cet aboutissement, qui ne peut que nous réjouir, symbolise aussi une renonciation a priori, dans la mesure où cet engagement consacre avec fatalité l'existence, présente ou à venir, de situations analogues à celle que nous connaissons, par exemple, au Kosovo.
En clair, cela signifie qu'au même instant la saisine de la future Cour pénale internationale entérinera l'échec de la prévention diplomatique et des dispositifs de négociation en faveur d'un retour à la paix.
Mon enthousiasme s'émousse quelque peu à la lecture de la liste des pays signataires de ce traité de Rome ou, plus exactement, à l'énoncé du nom des Etats ayant refusé de souscrire à cet engagement presque unanime, parmi lesquels figurent, notamment, les Etats-Unis, la Chine, l'Inde et Israël.
Que le Président de la République et le Gouvernement n'interprètent pas mes propos comme une critique - il s'agit plutôt de l'expression d'un désarroi - mais je n'arrive pas à admettre, même si je le comprends, que nos échanges avec Pékin se limitent à la vente d'Airbus.
Je sais que les plus hautes autorités de notre pays ont à coeur d'attirer systématiquement l'attention des dirigeants chinois sur la question du respect des droits de l'homme. Pourtant, nous devons, hélas ! constater que ces efforts n'ont toujours pas porté leurs fruits.
Cela étant, et même si je le déplore, le refus chinois s'inscrit, si j'ose dire, dans une tradition à laquelle nous sommes malheureusement habitués. C'est pourquoi le refus américain me semble presque plus gênant.
Après les guerres du Golfe et de Bosnie, la crise du Kosovo nous donne un nouvel exemple de la mainmise américaine sur l'ordre planétaire.
Il s'agit d'un véritable paradoxe que je ne parviens pas à saisir : l'action militaire menée en ex-Yougoslavie ne pouvait être mise en place sans l'aval des Etats-Unis ; parallèlement, l'action diplomatique menée dans le cadre de la Cour pénale internationale n'a pu, quant à elle, être mise en place avec l'aval de ce pays.
Je ne comprends pas l'attitude réservée qu'adoptent les Etats-Unis lorsqu'il est question des droits de l'homme. Pourquoi cet Etat, pourtant imprégné de valeurs qui ne nous sont pas étrangères, ne parvient-il pas à participer aux objectifs que nous cherchons à atteindre ?
Pourquoi, par exemple, ce grand pays, pourtant si attaché à la notion d'humanisme, persiste-t-il à appliquer la peine capitale alors que la plupart des démocraties modernes ont adhéré au protocole additionnel à la Convention internationale des droits de l'homme qui interdit ce châtiment ?
Mes chers collègues, si j'ai choisi d'évoquer le cas de la Chine et des Etats-Unis, c'est pour une raison fort simple qui tient aux modes de saisine de la future Cour pénale internationale.
Le traité prévoit, en effet, que cette juridiction fonctionnera dans le cadre d'une étroite coopération entre les Etats parties et l'Organisation des Nations unies.
C'est ainsi que la Cour pénale internationale pourra être saisie par un signataire du texte ou par le Conseil de sécurité des Nations unies. Or, dans cette dernière hypothèse, chacun songe évidemment au fait que sont membres permanents du Conseil de sécurité, et disposent à ce titre d'un droit de veto, la Chine et les Etats-Unis.
En résumé, cela signifie que ces deux pays, qui ont pourtant choisi de demeurer en dehors du traité de Rome, parviendront néanmoins à encadrer l'application d'un texte auquel ils sont étrangers : ainsi, une seule de leurs voix aura plus d'écho que celles des cent vingt signataires de la convention.
Ayant fait part de mon étonnement à propos de ces situations, je souhaite, à présent, vous faire connaître mes réels motifs de satisfaction quant à la présence à Rome de nombreux Etats dont je ne peux que saluer le courage de la démarche.
Je pense, en effet, et vous le comprendrez très bien, à ces nombreux pays d'Afrique, d'Asie ou d'Amérique latine qui, malgré une faible expérience de la démocratie, ont néanmoins choisi d'adhérer à cet engagement commun.
Je me réjouis de relever que certains d'entre eux, dont l'histoire récente atteste pourtant de profondes hésitations quant au choix de leur régime politique, ont cependant décidé d'agir à nos côtés en faveur d'une reconnaissance internationale des droits de l'homme. En raison des liens particuliers qui nous lient à ces Etats, la France ne peut que se féliciter de la qualité d'une telle démarche.
En l'état des discussions, nous sommes amenés à nous prononcer sur un projet de loi constitutionnelle qui, en réalité, ne pose guère de difficultés, le Conseil constitutionnel ayant fait savoir que l'esprit du traité de Rome n'était pas incompatible avec celui de notre loi fondamentale.
La rédaction qui nous est proposée par le Gouvernement, outre les aspects pratiques qu'elle revêt, dans la mesure où elle permet d'éviter des réponses ponctuelles aux objections du Conseil constitutionnel qui auraient pu être difficiles à exprimer, traduit à mon sens, la volonté d'adhérer sans réserve à la Cour pénale internationale dont l'existence sera désormais consacrée par notre Constitution.
Mes chers collègues, il est de notre devoir de soutenir la création de cette juridiction indispensable et d'apporter ainsi une nouvelle pierre à l'élaboration du droit fondamental international.
Dût sa modestie en souffrir, je souhaite à cette occasion remercier notre excellent rapporteur de la qualité de son travail et de la précision des explications qu'il nous a apportées.
Mes pensées vont aussi vers ceux sans lesquels un tel édifice n'aurait certainement jamais vu le jour et qui, grâce à leur détermination, sont parvenus à faire comprendre aux nations qu'il était essentiel d'abandonner une parcelle de leur souveraineté interne, et ce dans l'intérêt commun. Je veux parler de François Mitterrand et de M. Boutros Boutros-Ghali.
S'inscrivant pleinement dans cette détermination, le groupe du Rassemblement démocratique et social européen, unanime, apportera son soutien à ce projet de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur les travées socialistes, ainsi que de l'Union centriste, du RPR et sur certaines travées des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, nous avons pris l'habitude de ratifier un certain nombre de traités en deux temps : le premier consiste à modifier la Constitution, le second à autoriser, par une loi, la ratification. Il en résulte des débats décousus et incomplets. En l'occurrence, nous avons en effet abordé à la fois la forme, la révision de la Constitution, et le fond, c'est-à-dire le contenu même du traité. Les magistraux exposés de Mme le garde des sceaux et de M. le rapporteur sur le contenu du traité étaient bien sûr nécessaires pour nous éclairer et pour justifier, dans une certaine mesure, l'intérêt de la révision constitutionnelle. C'est sur ce premier point que je voudrais tout d'abord m'arrêter.
En matière de révision constitutionnelle, nous avons pris de très mauvaises habitudes. Qu'il s'agisse du traité de Maastricht, du traité de Schengen, du traité d'Amsterdam et, maintenant, du traité de Rome, nous sommes amenés, à chaque fois, à réviser la Constitution. Comme il s'agit de traités évolutifs, chaque fois que nous les modifierons, que nous y ajouterons quelque chose, nous devrons sans doute, après décision du Conseil constitutionnel, procéder à une nouvelle révision constitutionnelle.
M. Emmanuel Hamel. Et bientôt il n'y aura plus de France !
M. Guy Allouche. Mais non, monsieur Hamel !
M. Patrice Gélard. A ce rythme, notre Constitution risque de contenir plus de références aux traités qu'au reste.
Madame le garde des sceaux, il est peut-être temps d'abandonner notre conception du droit international issue du xixe siècle et d'envisager d'autres formules en matière de ratification des traités. A cet égard, je vous suggère de confier à la commission des lois du Sénat le soin de réfléchir à la possibilité de faire figurer dans un article unique de la Constitution les dispositions permettant de ratifier les traités qui comportent délégation de compétence.
Cette formulation, à laquelle je n'ai pas encore suffisamment réfléchi, pourrait être la suivante : « Les traités qui impliquent délégation de souveraineté ne peuvent être ratifiés que par référendum ou au moyen d'une loi organique. » C'est une possibilité ; il en est certainement d'autres. Nos débats y gagneraient en clarté et les choses seraient plus simples.
En effet, la rédaction à laquelle la commission des lois s'est ralliée, sur proposition de M. le rapporteur, est la suivante : « La République peut reconnaître la juridiction de la Cour pénale internationale dans les conditions prévues par le traité signé le 18 juillet 1998. » Cette formulation n'est pas satisfaisante.
Mettons-nous dans la situation de chacun de nos concitoyens : il a bien entendu sur sa table de nuit la Constitution, qu'il relit régulièrement (sourires), mais il n'aura pas le texte du traité du 18 juillet 1998. Il ne saura pas ce qu'il y a dedans ; il devra faire une gymnastique intellectuelle pour se renseigner et en connaître le contenu.
M. Emmanuel Hamel. Il ne dormira plus !
M. Patrice Gélard. Il y a là un vrai problème de démocratisation de notre droit, et cela me permet d'en venir au deuxième point de mon intervention.
La lecture du traité de Rome est assez rocailleuse, c'est le moins que l'on puisse dire. Le texte français est rédigé dans une langue bizarre ; mais les textes russe ou anglais ne sont pas mieux lotis. Il s'agit en effet d'une sorte de franglais dans lequel les mots n'ont pas l'acception habituelle qui est la leur dans la langue française. Peut-être est-ce le résultat de la fatigue des négociateurs ou de l'insuffisance de la connaissance de l'autre langue par nos rédacteurs ? Je suis assez surpris par la médiocrité actuelle de la rédaction des textes internationaux, qu'il s'agisse du traité de Rome ou des traités européens rédigés dans une même langue. C'est une sorte de volapuk. Nous ne faisons plus attention à la qualité de la rédaction des traités. A cet égard, il faut réaliser un effort capital.
Le droit n'est compréhensible que lorsqu'il est clair, quand il est bien écrit, quand il ne laisse pas la place à des interprétations. Or on ne peut, hélas ! pas dire que le traité de Rome soit une merveille du genre.
De plus, les imperfections du texte ont une conséquence et une cause : notre contamination, à l'échelon des juridictions internationales, par la pratique de la Common law, selon laquelle les juges continuent de se réserver un pouvoir d'appréciation et se satisfont de textes flous. Cette dérive est d'abord apparue au sein des décisions de la Cour européenne des droits de l'homme, puis de la Cour de Luxembourg. Je crains qu'elle ne soit aussi le fait du tribunal pénal international.
A partir du moment où l'on est dans le domaine international, les choses doivent être claires pour être comprises de la même façon par tous. Or la façon dont est rédigé le traité, dont sont définis le génocide, le crime contre l'humanité, les crimes de guerre n'est pas, au regard de notre tradition juridique pénale, très satisfaisante.
Ce traité est une première étape, à partir de laquelle il sera sans doute souhaitable d'adopter un code pénal international et un code de procédure pénale international, à condition que nos diplomates fassent des efforts de rédaction en revenant à une langue juridique, et non en utilisant une langue que je qualifierai de langue mixte, où se mêlent le langage diplomatique, les termes juridiques, et les formulations de convivialité.
Cette deuxième remarque me paraît avoir son importance.
J'en viens au troisième point de mon intervention, empiétant sur le débat qui aura lieu lors de l'examen du projet de loi visant à autoriser la ratification du traité. Compte tenu des excellents exposés liminaires du Gouvernement et de la commission, je me contenterai de formuler quelques remarques.
D'abord, les dictateurs ne pourront plus faire de voyages internationaux dans les années à venir. (Marques d'approbation sur plusieurs travées.) Tel ou tel homme d'Etat non fréquentable ne pourra pas se rendre en visite d'Etat ou à une conférence internationale sans prendre le risque d'être immédiatement arrêté sur réquisition du procureur ou du Conseil de sécurité des Nations unies.
Nos chefs d'Etat y perdront peut-être en termes de tourisme, mais la moralité internationale y gagnera. En revanche, il faudra protéger nos chefs d'Etat de toutes poursuites arbitraires. Je me demande dans quelle mesure il ne faudra pas établir une convention sur le statut des chefs d'Etat, pour leur éviter des poursuites abusives dans les années à venir.
Plusieurs orateurs ont mentionné les crimes de guerre ou les génocides qui sont commis à l'heure actuelle au Kosovo. Dans un conflit, il y a toujours deux versions. Il ne faudrait pas, comme cela a été parfois le cas, qu'il y ait un seul coupable. Mais il ne faudrait pas que, chaque fois qu'interviennent des éléments de guerre, de violence, de génocide ou autre, les deux parties se retrouvent systématiquement devant le tribunal, parce qu'il y aura eu des victimes de part et d'autre.
Je m'interroge ensuite sur la façon dont seront ressenties les opérations de maintien de l'ordre, par exemple, dans un pays où se produiront des troubles dus à une minorité quelconque qui formulera telle ou telle revendication. Il ne s'agit là que de simples interrogations. Je m'en remets naturellement à la sagesse des Etats, du Conseil de sécurité, et, ultérieurement, à la sagesse des juges. Je me demande tout de même si toutes les conséquences du traité ont été examinées par les négociateurs.
Arrivé à ce stade, je ne peux que saluer le travail remarquable accompli par les négociateurs français. Sans eux, il est vraisemblable que cette expérience n'aurait pas pu aboutir. Sans eux, ce grand pas en avant dans quelque chose de tout à fait nouveau n'aurait probablement pas pu être fait.
Ce traité, ce n'est pas une pierre de plus au dispositif de protection des droits de l'homme et du citoyen ; ce n'est pas une meilleure protection apportée aux victimes de tous les crimes abominables que notre siècle et les siècles précédents ont connus ; c'est une véritable révolution ; c'est un bouleversement qui appelle une modification en profondeur du comportement des Etats et de leurs responsables.
Je l'ai dit tout à l'heure : désormais, aucun dictateur ne se sentira nulle part à l'aise. En raison de la non-rétroactivité des dispositions du traité, certains dictateurs ne seront pas concernés par le dispositif. Mais à l'avenir, aucun dictateur ne connaîtra un moment de repos, aucun dictateur ne pourra se sentir tranquille. A cette occasion, nous passerons du droit international des Etats à un autre droit international, dans lequel l'Etat ne sera plus totalement souverain.
Telles sont les quelques remarques que je voulais formuler.
Cela étant dit, je tiens à préciser que, à une très large majorité, les membres du groupe du RPR voteront ce projet de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur plusieurs travées de l'Union centriste.)
M. Emmanuel Hamel. Vos réserves étaient très fortes et elles nous interpellent violemment !
M. le président. La parole est à M. Duffour.
M. Michel Duffour. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, alors que les célébrations du cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme sont encore si proches, les événements terribles de l'ex-Yougoslavie démontrent, une nouvelle fois, que le fossé est large entre les espoirs, les mots et la réalité.
Nous allons entamer l'ultime ligne droite d'un siècle bien sanglant.
L'émotion, l'horreur nous assaillent à la vision des centaines de milliers de personnes déportées du Kosovo. La peur de la guerre, que l'on croyait révolue dans notre Europe, rejaillit.
Cette proximité de l'indicible ne doit d'ailleurs pas nous faire oublier tous ces autres lieux où le crime, la violence dominent, et ils sont, hélas ! nombreux.
C'est dans ce contexte que nous sommes amenés à débattre de l'instauration du tribunal pénal international ou du moins, dans un premier temps, de l'adaptation de notre Constitution pour permettre sa création.
Nous devons avoir une vision globale de l'objectif d'une justice internationale.
Même si c'est dans la douleur, l'aspiration des peuples à la paix, l'émergence de valeurs démocratiques font peu à peu leur chemin. Les violations cyniques des droits fondamentaux de la personne humaine deviennent progressivement plus intolérables à des millions de gens. Ce sentiment est général, et les explosions de cruauté et de haine n'effacent pas cette tendance : rien ne permet de désespérer des peuples, même si leurs dirigeants donnent souvent la nausée.
Mes propos sont-ils un peu trop utopiques ?
Il est clair que le Cambodge, l'Afghanistan, la Sierra Leone, l'Afrique australe, la Bosnie hier, le Kosovo aujourd'hui, nous rappellent que la barbarie n'est pas éradiquée. Mais le monde devient un village, tout s'y entremêle, et les dérives criminelles de dirigeants, factions ou clans seront tôt ou tard jugées par leurs propres peuples.
La Cour pénale internationale apporte une ébauche de réponse à ces préoccupations. Son instauration est donc très positive.
Les impatiences sont grandes, notamment chez les organisations non gouvernementales, et elles se sont largement exprimées à Rome, l'été dernier. La lenteur des procédures mises en mouvement irrite. L'horreur des situations rend ces attitudes compréhensibles.
Il faut cependant rappeler que l'instauration d'une telle juridiction internationale relève d'un long processus. Déjà, au début du siècle, l'idée germait. C'est avec l'écroulement de l'URSS et la multiplication de conflits locaux, théâtres d'atrocités et de violence inouïes, qu'un pas décisif a été franchi pour la création d'une Cour pénale internationale.
Le processus est donc long et l'adhésion d'une grande majorité d'Etats n'est pas, à ce jour, acquise.
Il s'agit d'un point crucial, selon nous. Comment envisager une juridiction internationale si elle n'est reconnue que par une minorité d'Etats ?
Les organisations non gouvernementales jouent un rôle de premier plan. Loin de moi l'idée de vouloir réduire leur place : elles sont sur les terrains d'affrontements ; elles mobilisent des compétences ; elles suscitent les dévouements. Il est donc très utile qu'elles soient considérées comme des intermédiaires actifs entre la Cour et les Etats parties. Leur intervention et leur responsabilité ne se substituent pas pour autant à celle des Etats. Je suis sensible à l'argumentation développée par certains juristes, tel par exemple, à M. Serge Sur.
Où en sommes-nous aujourd'hui ?
Certes, cent vingt Etats ont voté pour la création de la Cour pénale internationale. Mais déjà sept Etats ont voté contre - et pas des moindres comme le disait M. le rapporteur - et vingt et un Etats se sont abstenus.
Pour ce qui est des deux étapes suivantes nécessaires, la route est loin d'être dégagée.
L'attitude des Etats-Unis pèse négativement. Son refus incompréhensible, puisqu'il reviendrait à la justice américaine de juger ses soldats ou ses citoyens, ne peut que pousser des Etats à faire preuve de peu d'empressement de leur côté.
Rappelons que, pour parvenir à la mise en place de la Cour pénale internationale, il faut recueillir soixante ratifications. Nous pensons que beaucoup d'efforts sont à faire - vous l'avez dit, madame la ministre - pour convaincre suffisamment d'Etats de ratifier ce texte dans un délai raisonnable. La déception serait trop grande si, durant des années et des années, la Cour pénale internationale restait à l'état de projet.
M. le rapporteur a dit à juste raison que la Cour aurait un grand rôle préventif. Je ne veux pas reprendre le scénario du pire. Mais songeons, face à un drame surgissant sur notre planète en l'an 2005, que l'on soit encore à regretter que la Cour n'ait pas vu le jour...
C'est dans cet environnement, au-delà des insatisfactions compréhensibles et justifiées ici et là, que l'action du gouvernement de la France doit être appréciée. Notre pays, on le sait, a été longtemps réticent.
Nous savons que la motivation de l'attitude de la France s'est fondée pour une part sur la volonté de protéger nos militaires en action sur des territoires extérieurs de toute contestation éventuelle de leurs actions. Nous reviendrons probablement sur ce point lors de l'examen des articles de la loi au moment de la ratification du traité. Mais cette attitude était bien peu confiante pour l'avenir. Pourquoi faire douter des observateurs de notre volonté profonde de vivre désormais avec les réalités nouvelles, alors que c'est bel et bien notre intention ?
L'exigence d'une Cour pénale internationale s'est renforcée avec l'expérience des tribunaux internationaux, constitués ces dernières années.
Le tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie et le tribunal international pour le Rwanda ont marqué une avancée significative en matière de juridiction internationale.
Je tiens cependant à faire une remarque sur l'un et l'autre.
S'agissant du tribunal relatif au Rwanda, ce sont les manques de moyens criants qui me viennent à l'esprit. Si mes informations sont exactes, trente personnes, dont dix-neuf détachées par les seuls Pays-Bas, sont à la disposition de cette juridiction. Face à l'ampleur et à la complexité des faits à examiner, ces moyens apparaissent tout de même quelque peu dérisoires.
Pour ce qui est du tribunal relatif à l'ex-Yougoslavie, mon interrogation est plus fondamentale. Ce tribunal n'a-t-il pas été un peu le reflet d'un recul de la solution politique ? Le recours ô combien nécessaire à la justice ne pallie-t-il pas l'absence de règlement politique durable d'une situation ?
Autant la justice consolide la paix en créant les conditions de la réconciliation, autant la justice internationale doit compléter les solutions politiques et non s'y substituer. Je crois que c'est en termes clairs que le Premier ministre nous a rappelé cette nécessité, cet après-midi, dans la réponse qu'il a apportée aux orateurs sur le drame du Kosovo.
La définition des crimes relevant de la compétence de la Cour pénale internationale a été l'objet de négociations serrées afin de permettre l'acceptation du statut pour le plus grand nombre.
Quatre séries de crimes seront concernées. Je n'évoquerai à cet égard que les crimes d'agression, qui ne sont actuellement pas définis et qui feront l'objet d'une prochaine négociation.
Cette question est de première importance quant à la répartition des rôles entre Conseil de sécurité et Cour pénale internationale. Qui définira à l'avenir les situations d'agression : le Conseil de sécurité ou la Cour pénale internationale ? Vous avez répondu à cette interrogation, madame la ministre.
Mais cette question est importante, car, à mon sens, elle permettra, une fois résolue, de clarifier vraiment la place de la Cour pénale internationale dans l'ordre institutionnel et, surtout, de créer les conditions d'un ordre international plus juste et, si possible, plus consensuel.
Enfin, la dernière série de critiques ou réserves présentées par les détracteurs de la Cour pénale internationale porte sur la remise en cause de notre souveraineté.
Une lecture superficielle aurait pu le faire penser, mais les garde-fous instaurés sont précis et ne permettent pas de telles interprétations. La compétence de la Cour pénale internationale est subsidiaire à celle des juridictions nationales.
Les questions liées à l'amnistie sont importantes. Elles mettent en lumière la nécessité d'une étroite collaboration entre l'action de l'ONU et la Cour pénale internationale. Quand faudra-t-il décider de poursuivre ou non, au risque de déstabiliser une fragile réconciliation nationale ?
La situation de l'Afrique du Sud a été évoquée. C'est à mon avis un bon cas d'école. Nous considérons, comme M. le rapporteur, que l'émoi suscité par la possibilité accordée au Conseil de sécurité de surseoir à la procédure n'est guère justifié.
J'ai évoqué l'ONU. Je souhaite, avant de conclure, m'arrêter quelque peu sur le sujet.
L'ONU a été beaucoup critiquée. Les Etats-Unis pour leur part, on le sait, supportent difficilement que leur statut d'hyperpuissance soit éventuellement contesté par la société des Etats.
Le rôle de l'ONU depuis 1945 a pourtant été déterminant pour l'élaboration et la généralisation de nouveaux concepts démocratiques. L'organisation a été porteuse, durant des décennies, des droits fondamentaux, des droits des peuples.
Ce fut - qui peut le nier ? - le lieu privilégié du dialogue entre Etats, de l'expression de l'ensemble des nations, quelle que soit leur importance.
Une réforme de l'ONU est sans nul doute nécessaire pour aider à faire respecter le droit international. Cette réforme doit, à notre sens, permettre une réflexion sur le retour au premier plan de l'assemblée générale. La force de l'ONU, c'est sa représentativité de la société internationale dans son ensemble.
Sans détourner notre débat - telle n'est pas mon intention - comment ne pas faire le lien entre l'attitude adoptée à l'égard de la constitution de la Cour pénale internationale et le rejet du cadre légal de règlement des conflits que constitue l'ONU ?
Si l'OTAN devait, demain, jouer le rôle que lui assigne la Maison-Blanche - ce n'est pas, je le sais, le point de vue de notre gouvernement - quel serait le poids de la future Cour pénale, alors que le principal pays du monde ne serait pas un de ses Etats parties constitutifs ?
Nous approuvons, dans ce climat, la volonté des autorités françaises d'engager la création de la juridiction internationale sur une base permettant de rassembler largement.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen voteront donc le projet de révision de la Constitution, avec la ferme conviction que, pour accompagner efficacement ce combat contre les crimes les plus graves et pour assurer la sécurité internationale et sa représentation, l'ONU doit être confortée. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - M. le président de la commission et M. le rapporteur applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « conscient que tous les peuples sont unis par des liens étroits et que leurs cultures forment un patrimoine commun, ayant à l'esprit qu'au cours de ce siècle, des millions d'enfants, de femmes et d'hommes ont été victimes d'atrocités qui défient l'imagination et heurtent profondément la conscience humaine... ».
Ces quelques lignes extraites du préambule du traité de Rome du 18 juillet 1998 instituant la Cour pénale internationale marquent l'ambition d'un progrès collectif fondamental dans la lutte contre l'impunité et la sanction des violations des droits de l'homme.
La conférence diplomatique des plénipotentiaires des Nations unies, réunie du 15 juin au 17 juillet 1998, a parachevé la tâche historique qu'est la création d'une « cour criminelle internationale » efficace, opérationnelle et indépendante. Elle le sera vraiment si elle s'en donne les moyens et si les Etats signataires coopèrent naturellement pour qu'il en soit ainsi. Le degré de coopération sera garant de son efficacité.
Cette décision est l'un des pas les plus importants accompli dans la défense des droits de l'homme depuis l'adoption de la Déclaration universelle des droits de l'homme, il y a un demi-siècle.
Plus de cinquante après le procès de Nuremberg, les génocides, les exécutions massives d'opposants politiques, les purifications et nettoyages ethniques, les crimes contre l'humanité continuent de servir d'instrument politique dans de nombreuses régions du globe. Il y avait absolument nécessité de renforcer le système de la justice pénale internationale.
Cinquante ans après la signature de la Convention internationale contre le génocide, qui voulait éviter que ne se reproduise plus jamais ce que le régime nazi venait de faire subir au monde, la société internationale se dote d'un instrument supposé sanctionner, mais aussi prévenir les crimes qui, par leurs exceptionnelles gravité et monstruosité, heurtent la conscience universelle.
Avec la fin de la « guerre froide », qui avait en quelque sorte « congelé » la création de cette Cour pénale internationale, le temps est enfin venu pour les auteurs de génocides, de crimes contre l'humanité, de crimes de guerres, de tomber sous le coup de sanctions pénales exemplaires, sanctions qui ne seront jamais à la hauteur des crimes commis. M. Kofi Annan ne disait-il pas - et comment ne pas l'approuver ? - le 18 juillet 1998, à Rome, que la création de cette Cour pénale internationale est « un cadeau de l'espérance pour les générations futures » ?
Ce siècle qui s'achève n'a pourtant pas manqué d'atrocités partout dans le monde.
« Plus jamais ça » ! Lequel d'entre nous n'a-t-il cru en ce cri de douleur et d'espoir lancé après l'holocauste ! Pourtant, un demi-siècle après la Shoah, les mots de purification et de nettoyage ethniques font à nouveau partie, depuis l'offensive serbe en Croatie et en Bosnie, de notre vocabulaire quotidien. Des crimes contre l'humanité ont de nouveau été commis au coeur de l'Europe, au nom d'idéologies aussi implacables que meurtrières. La tragédie du Kosovo n'est pas non plus la première dans l'ex-Yougoslavie.
L'actualité donne à notre débat un éclairage cru et tout particulier. Il est rarissime que l'actualité internationale colle de si près à un débat parlementaire ! Qui osera dire encore - comme ce fut le cas il y a soixante ans - « qu'il ne savait pas » ? Seuls ceux qui sont traditionnellement favorables à ne rien faire, ou à laisser faire, qui acceptent de contempler les atrocités de notre monde avec cynisme, peuvent s'en réjouir. Aux sceptiques, aux réfractaires, disons simplement : « Regardez et écoutez ». Le drame du Kosovo nous renvoie aux heures les plus noires de notre histoire contemporaine.
Il a fallu attendre le lendemain de la Première Guerre mondiale pour que naisse l'idée d'une juridiction chargée de sanctionner pénalement les crimes de guerre. L'ampleur des massacres, le génocide arménien, les destructions considérables et, déjà, l'exigence de l'opinion publique, dont la pression sera de plus en plus forte, ont favorisé la prise de conscience des dirigeants des puissances alliées.
A la tragédie de la Première Guerre mondiale, la Seconde Guerre mondiale a ajouté l'horreur absolue de l'holocauste. De nombreux criminels de guerre ont été jugés par les tribunaux internationaux de Nuremberg et de Tokyo. Pour la première fois, ces tribunaux ont défini précisément les crimes contre l'humanité. L'instauration d'une justice pénale internationale s'est orientée délibérément vers la répression, à l'échelle internationale, des crimes les plus graves. Hélas ! cela n'a pas empêché la seconde partie de ce siècle de renouer avec la barbarie. L'institution des tribunaux ad hoc pour juger les crimes dans l'ex-Yougoslavie et au Rwanda a favorisé une nouvelle prise de conscience politique pour aller vers la création d'une Cour pénale internationale.
Mes chers collègues, osons dire que c'est le début d'une « justice sans frontière ».
Cette Cour pénale internationale sera mieux à même de mener comme il couvient la lutte contre l'impunité et pour la répression des grands responsables de crimes contre l'humanité. Elle mettra fin, je l'espère, « à l'exercice criminel de la souveraineté de l'Etat ». On mesurera, alors, que les criminels contre l'humanité sont poursuivis au nom de la communauté internationale tout entière, et que c'est elle qui demande justice. Cela répond à l'exigence première des droits de l'homme, à leur universalité, à leur indivisibilité, car ils sont ceux des êtres humains sur toute la terre. Et les criminels contre l'humanité, parce qu'ils outragent, à travers la personne des victimes, l'humanité tout entière, doivent être poursuivis au premier chef, au nom de la communauté internationale. Ils sauront ainsi qu'ils auront à rendre compte de leurs actes ignobles.
Le temps d'élever un nouveau rempart contre l'immunité et l'impunité est enfin venu. Les temps judiciaires à venir ne seront plus, et ne devront plus être cléments aux bourreaux et aux dictateurs, qui deviendront des justiciables à vie, c'est-à-dire à tout moment, à tout âge, en tout pays, ou presque, puisque le criminel d'un Etat non partie au traité qui se réfugie dans son pays pourra encore échapper à des poursuites tant qu'il ne le quitte pas. Il sera donc prisonnier chez lui. L'époque qui s'ouvre n'oubliera jamais ses propres tourmenteurs.
La Cour pénale internationale ne sera pas un supertribunal mondial qui pourrait se substituer à la justice nationale ou se saisir de ses affaires à sa convenance. La justice nationale continue d'avoir la priorité. la Cour pénale internationale ne sera compétente que lorsque les tribunaux nationaux n'existent pas, ne sont pas capables ou refusent de poursuivre ces crimes.
Projet ambitieux, la création de la Cour pénale internationale concrétise des droits universels. Elle permet de dépasser, sans pour autant l'ignorer, le droit des Etats. Confrontés à la question de l'étendue de leurs pouvoirs, les Etats signataires ont accepté de mettre en jeu ce qui définit une partie de leur souveraineté. C'était une condition indispensable, car le respect absolu de la souveraineté des Etats ne doit plus permettre de préserver l'impunité des auteurs de crimes contre l'humanité. Nous savons que la sécurité internationale et les droits de l'homme sont intrinsèquement liés, parce qu'ils associent la souveraineté, la liberté et la sécurité des Etats à celles des hommes qui les peuplent.
Pourrai-je ajouter que c'est encore une façon d'exercer sa pleine souveraineté que d'accepter de se soumettre à la compétence d'une telle juridiction, l'Etat ne renonçant jamais à sa souveraineté ?
La compétence de la Cour pénale internationale est limitée aux crimes les plus graves qui touchent l'ensemble de la communauté internationale. Pour un pays comme la France, nous pouvons dire qu'il n'y a pas d'atteinte réelle et sérieuse à la souveraineté du système judiciaire français si, comme on le pense, la justice française exerce normalement ses compétences en poursuivant les auteurs de crimes d'une extrême gravité.
« Beaucoup d'Etats auraient aimé une cour investie de pouvoirs encore plus importants, mais cela ne doit pas nous pousser à minimiser l'avancée capitale qui a été réalisée », disait M. Kofi Annan.
La création de la Cour pénale internationale soulève, en effet, de nombreuses interrogations, qui peuvent se résumer dans les propos de Mme Louise Arbour, procureur près le tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, selon laquelle il ne faudrait pas que cette nouvelle institution se trouve moins bien armée que les deux tribunaux ad hoc.
Le point le plus violemment critiqué est la possibilité donnée à chaque Etat signataire de se soustraire pendant sept ans, jusqu'à la révision du texte, aux obligations du traité pour l'une des quatre catégories de crimes concernées : les crimes de guerre.
La France, qui réclamait cette faculté de dérogation, a largement fait les frais des critiques des représentants des organisations non gouvernementales.
Madame la ministre, j'ai bien compris le sens de votre déclaration à l'Assemblée nationale : « Si des personnels français civils ou militaires devaient commettre des crimes de guerre, ils seraient de toute façon traduits devant les tribunaux français. L'article 124 n'y changerait rien, puisque la Cour pénale internationale est complémentaire des tribunaux nationaux. »
Reconnaissons cependant que cette disposition ne fait que repousser l'examen d'un point important : la sanction des violations du droit international humanitaire par les membres des forces de maintien de la paix.
Certes, nous sommes au stade de la modification constitutionnelle, et il est fort probable que nous ayons à revenir sur ce point lors du débat de ratification.
L'autonomie de la Cour pénale internationale fut l'un des grands débats lors des négociations opposant les tenants d'une totale indépendance de la justice à ceux qui défendaient les prérogatives du politique, au premier rang desquels les membres permanents du Conseil de sécurité, dont la France.
L'article 16 du statut de la Cour octroie au Conseil de sécurité, dans les limites d'un équilibre raisonnablement défini entre ses attributions et celles de la Cour pénale internationale, la faculté de demander à la Cour de surseoir pendant douze mois renouvelables aux enquêtes ou aux poursuites qu'elle a engagées.
Cette disposition est pour le moins discutable et cette interférence est même choquante, puisqu'elle revient à accorder au Conseil de sécurité la possibilité d'empêcher quasi indéfiniment toute poursuite contre des personnes soupçonnées de crimes relevant de la compétence de la Cour.
Je reconnais cependant que la portée pratique de l'article 16 du statut doit être relativisée.
En effet, le Conseil de sécurité peut dès à présent agir pour que la Cour pénale internationale n'engage pas de poursuites, compte tenu des prérogatives que lui reconnaît le chapitre VII de la Charte des Nations unies.
En second lieu, ainsi que le précise M. Mario Bettati, professeur à l'université Paris II, qui a été auditionné par la commission des affaires étrangères, l'intervention du Conseil est plutôt favorable à la Cour : « Il suffira qu'une seule voix d'un membre permanent soit hostile à une résolution destinée à suspendre les poursuites, et le procureur pourra continuer à travailler tranquillement. »
Madame la ministre. il est regrettable que cette disposition d'application incertaine figure dans le statut car, en donnant l'impression que l'on pourrait s'orienter vers une « jurisprudence à la carte », c'est l'indépendance de la Cour et, par voie de conséquence, la fonction judiciaire même qui sont en cause.
Les autres limites de l'indépendance du procureur concernent les poursuites abusives fondées sur des arrière-pensées politiques.
Les deux Etats qui interviennent le plus à l'étranger, les Etats-Unis et la France, ont tenu à se protéger, mais pour des raisons différentes. Certes, les Etats-Unis n'ont pas signé le traité de Rome. Mais la France a demandé et obtenu la mise en place d'une chambre préliminaire de juges chargée de trancher en cas de contestation de la légitimité des poursuites. Cet aspect relève davantage de la tradition judiciaire des pays latins que de la tradition anglo-saxonne ; il s'agit d'éviter certaines dérives, tant accusatoires que médiatiques.
M. Emmanuel Hamel. Vous reconnaissez qu'il peut y avoir des dérives !
M. Guy Allouche. Autre question de nature dialectique, bien que le choix du principe de non-rétroactivité s'explique à la fois par des considérations pratiques mais aussi en raison du fait que la création de la Cour pénale internationale n'a pas pour objet la restitution de la mémoire, comment concilier le principe de l'imprescriptibilité des crimes actuels et celui de la non-rétroactivité ?
La création de la Cour pénale internationale résulte d'un accord interétatique très large. Sept pays s'y sont opposés, dont les Etats-Unis, pourtant favorables à la mise en place des tribunaux pénaux internationaux. Ce pays ami donne surtout l'impression de vouloir utiliser ces instances plus pour des raisons politiques que pour la défense d'un idéal de justice.
Nous connaissons la conception très stricte des Etats-Unis en matière de souveraineté. Ils souhaitent éviter, autant qu'il est possible, que des ressortissants américains relèvent de juridictions autres qu'américaines. Nous ne pouvons que regretter que ce grand pays, cette grande démocratie, s'exonère de la justice universelle.
La France a progressivement cherché, par ses propositions, à réunir le plus grand nombre de signataires. Le travail de la représentation française dans la préparation du projet de création de la Cour pénale internationale doit être salué. Notre pays a joué un rôle actif lors des travaux du comité préparatoire des Nations unies chargé d'étudier les questions relatives à l'établissement de cette nouvelle instance, en présentant un projet complet de statut dont les délégations étrangères ont reconnu la qualité.
Réjouissons-nous également que la France ait signé le traité dès le lendemain de l'adoption de la convention.
A ce stade de mon propos, mes chers collègues, je veux m'adresser à M. le président de la commission des lois pour lui dire que je tiens personnellement à le remercier d'avoir une nouvelle fois proposé à notre collègue Robert Badinter de rapporter ce projet de loi. Vous l'aviez déjà fait précédemment, M. Badinter l'a rappelé, avec un texte présenté par M. Toubon sur le Rwanda, et vous avez eu raison d'assurer cette continuité en laissant à notre collègue le soin de présenter au nom de la commission des lois - et, par voie de conséquence, au nom du Sénat tout entier - ce rapport sur la création de la Cour pénale internationale.
Monsieur le rapporteur, cher ami Robert Badinter, vous féliciter pour la qualité de votre rapport serait certes juste, mais, à mes yeux, ce serait un peu court.
Je me fais un devoir, et surtout un plaisir, de rappeler encore, car on ne le dira jamais assez, quelle énergie et quels efforts considérables vous déployez - et avec quelle constance, avec quelle farouche détermination ! - au service du droit, de la justice universelle et du respect de la dignité humaine.
Votre action vous honore, certes. Mais, en cet instant, elle honore aussi le Sénat tout entier et le Parlement français, car nous pouvons nous sentir fiers de vous compter parmi nous.
Nul doute que nombreux sont ceux qui retiennent déjà et que plus nombreux encore seront ceux qui retiendront que toute votre action, depuis de très nombreuses années, s'inscrit dans le droit fil de l'action menée par d'éminentes personnalités françaises, et notamment, pour n'en citer qu'une, par le regretté René Cassin.
Moins de six mois après cette signature, le Président de la République française et le Premier ministre ont saisi conjointement le Conseil constitutionnel de la question de la compatibilité des dispositions du traité avec la Constitution. Dans sa décision du 22 janvier dernier, le juge constitutionnel a considéré que l'autorisation de ratifier le traité exigeait une révision préalable de la Constitution.
Le projet de loi constitutionnelle qui nous est soumis ne répond pas point par point aux décisions du Conseil ; il tend à inscrire dans la Constitution une formule générale dont le choix mérite d'être approuvé.
En effet, afin de couvrir tous les cas d'inconstitutionnalité, il est apparu préférable d'utiliser une formule plus large, et de faire référence à la reconnaissance de la juridiction de la Cour pénale internationale. Le nouvel article inséré dans la Constitution permet la ratification du traité de Rome et l'adhésion de la France aux principes de paix et de justice défendus par la Cour pénale internationale.
Madame la ministre, mes chers collègues, le groupe socialiste du Sénat votera avec honneur et enthousiasme ce projet de loi constitutionnelle. La France peut s'enorgueillir d'être l'un des premiers pays à s'engager dans une procédure qui la conduira à adhérer à un statut qu'elle a largement contribué à élaborer. Seul le Sénégal nous a précédés dans la ratification du traité.
Cette volonté de la France, et de ses plus hautes instances, d'élargir le champ de la justice universelle renforce sa position de leader en termes de défense des droits de l'homme et des libertés sur la scène internationale. En cela, la France demeure fidèle à son idéal et à ses valeurs.
La Cour pénale internationale va dans le sens de l'histoire, et l'idée de créer une forme de menace permanente sur les criminels contre l'humanité est fondamentalement liée à une idée de progrès.
Malgré ses imperfections, ou grâce à elles, le statut de la Cour pénale internationale permettra de mettre en oeuvre le célèbre précepte de Pascal, selon lequel il faut « mettre ensemble la justice et la force, et pour cela, faire que ce qui est juste soit fort et que ce qui est fort soit juste ». (Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Soucieux de laisser la parole à mon excellent collègue André Dulait, auteur d'un remarquable rapport - M. Badinter l'a relevé - sur le statut de la Cour pénale internationale, je serai bref.
La révision constitutionnelle est, à l'évidence, nécessaire. Elle ne pose pas de problème. La décision du Conseil constitutionnel est surtout importante en ce qu'elle indique qu'il n'y a pas réciprocité dans le cas qui nous occupe, les autres considérantes visant les conditions nécessaires pour pouvoir ratifier le statut de la Cour pénale internationale.
Les traités internationaux sont, bien entendu, toujours le fruit de compromis : compromis entre un certain nombre d'Etats, mais aussi compromis linguistiques.
Nous attachons beaucoup d'importance à la langue, une langue que, pour notre part, nous ne savons pas toujours très bien défendre, d'ailleurs. Mais c'est ainsi !
Or, en l'espèce, je constate que, globalement, le droit français - c'est notamment vrai pour la chambre préliminaire - a profondément marqué le statut de la Cour pénale internationale. Il convient de s'en réjouir.
Bien entendu, nombre de points de droit sont évoqués dans ce statut de la Cour.
Tout le monde rêve d'une justice telle que tous les Caïn de la terre - Caïn fut le premier à commettre un crime contre l'humanité ! - ne puissent trouver de repos nulle part. Souhaitons qu'un jour cela puisse devenir une réalité ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Dulait.
M. André Dulait. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, j'ai eu effectivement l'opportunité de présenter récemment, au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, qui sera naturellement saisie le moment venu - cela a été longuement évoqué - du projet de loi autorisant la ratification de la convention de Rome portant création de la Cour pénale internationale, un rapport d'information visant à approfondir certains aspects de son statut.
En effet, la justice pénale internationale n'est pas sans conséquences sur le fonctionnement de la société internationale. Quelle incidence la Cour pénale internationale aura-t-elle sur les rapports entre justice pénale et paix, entre justice pénale et souveraineté ? Quelles incidences auta-t-elle, enfin, sur certaines questions militaires ?
Les crimes qui relèveront de la compétence de la Cour sont le plus souvent commis dans des situations de conflits, internationaux ou non. Ils peuvent également être perpétrés dans le cadre de régimes autoritaires exerçant à l'égard de leurs opposants une répression massive, violente et systématique.
La Cour pénale internationale aura donc un rôle dissuasif ; elle interviendra également pour accompagner des processus de pacification intérieurs ou internationaux La Cour pénale internationale devra donc tenter, tout d'abord, de concilier justice pénale et paix, ce qui ne va pas toujours de soi.
Ainsi les deux tribunaux pénaux ad hoc actuellement en exercice sont-ils étroitement associés à un processus de pacification, qu'il soit international - Dayton pour l'ex-Yougoslavie - ou national - pour le Rwanda. Ils ont cependant été tous deux créés par une résolution du Conseil de sécurité des Nation unies, et donc après une appréciation politique de sa part, même si les droits de la défense ont pu être respectés dans une très large moyenne. C'est d'ailleurs là une de leurs principales limites. On a pu dire qu'ils symbolisaient ainsi une justice sélective, dans la mesure où ce qui a été décidé pour le Rwanda ou l'ex-Yougoslavie ne l'a pas été - ou pas encore - pour le Cambodge, le Congo démocratique et tant d'autres théâtres de conflits où ont été commis des crimes particulièrement odieux.
Tel ne sera pas le risque encouru par la Cour pénale intenationale. Sa compétence aura une vocation universelle, et elle aura surtout un caractère permanent.
La justice pénale internationale peut-elle, par ailleurs, conforter ou, au contraire, fragiliser la paix, en particulier dans des situations de conflit intérieur ? Les démarches de réconciliation nationale conduites par certains pays comme le Salvador ou, surtout, l'Afrique du Sud seront-elles encore possibles dans l'avenir ?
Dans ce débat, certains considèrent légitimement que le retour à la démocratie impose que toute la lumière soit faite sur les agissements d'une dictature, afin d'éviter l'impunité et de respecter les victimes. D'un autre côté, les amnisties pour de tels agissements sont parfois le prix à payer pour un retour à la démocratie. L'exemple de l'Afrique du Sud est, à cet égard, tout à fait significatif.
Pour préserver ces démarches de réconciliation, le statut de la Cour pénale internationale n'oblige pas le procureur à ouvrir automatiquement une enquête dès qu'il est saisi d'une plainte. Une disposition lui donne la possibilité, dans certains cas, de renoncer à enquêter s'il estime qu'une telle action irait à l'encontre des intérêts de la justice et des victimes. Même s'il n'allait pas de soi de confier ainsi à un juge, dont la mission s'inscrit dans une logique strictement judiciaire, la responsabilité de porter une appréciation politique, cette disposition n'en constitue pas moins, à mon sens, une garantie importante.
Dans la même logique, le statut prévoit aussi la possibilité pour le Conseil de sécurité, prioritairement en charge de la paix et de la sécurité internationale, d'exiger de la Cour qu'elle suspende, pour une durée de douze mois renouvelable, une enquête qui risquerait de fragiliser un effort de paix. Cette disposition a été parfois contestée, mais je crois qu'il s'agit d'une mesure réaliste et utile.
On peut rappeler que, en sens inverse, lorsque le Conseil de sécurité saisit la Cour, celle-ci a une compétence plus large que dans les deux autres modes de saisine : elle peut ainsi intervenir même si l'Etat en cause n'est pas partie au statut, quelle que soit la nationalité du suspect, quel que soit l'Etat sur le territoire duquel le crime a été commis, le Conseil agissant alors en vertu du chapitre VII de la Charte.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cet équilibre entre les prérogatives de la Cour, d'une part, et celles du Conseil de sécurité, d'autre part, peut apparaître sastisfaisant. Au cours de la négociation, plusieurs délégations avaient plaidé pour une totale indépendance entre la Cour pénale internationale et le Conseil de sécurité. Je crois que cette indépendance aurait abouti in fine à diminuer la crédibilité de la Cour elle-même.
Le rapport entre la justice pénale internationale et la souveraineté des Etats constitue un autre aspect important du statut. La Cour pénale internationale ne sera pas sans incidence - c'est l'objet même de notre débat - sur la souveraineté des Etats. Ainsi, la règle de compétence de la Cour lui permettrait-elle d'ouvrir une enquête sur une personne ressortissante d'un Etat non partie accusée de crimes relevant de sa compétence, pour peu que l'Etat où a été perpétré le crime soit partie à la convention de Rome. C'est la cause principale, on le sait, du refus des Etats-Unis de souscrire au projet.
La Cour pourrait également se saisir d'une affaire alors même que le crime commis aurait fait l'objet d'une amnistie dans le pays de son auteur, ou que ce pays aurait prescrit le crime commis par cette personne. C'est l'un des points relevés par le Conseil constitutionnel et qui fait l'objet de la réforme que nous examinons aujourd'hui.
Enfin, la saisine de la Cour par le Conseil de sécurité, déjà évoquée, quelle que soit alors la nationalité de l'auteur du crime ou l'Etat sur le territoire duquel il a été commis, a été considérée par certains Etats - c'est le cas de l'Inde - comme une atteinte à leur souveraineté et a entraîné leur refus final.
La Cour requiert donc des Etats parties qu'ils acceptent certaines limitations de souveraineté. Toutefois, en adhérant à la convention de Rome, ils ont exprimé leur libre consentement à des concessions, somme toute limitées, et qui s'inscrivent, il faut le rappeler, dans le cadre de la complémentarité entre la Cour pénale internationale et les juridictions nationales.
Les Etats parties auront par ailleurs l'obligation de coopérer avec la Cour dans l'exercice de sa mission. En effet, pas plus que les tribunaux spéciaux, la Cour pénale internationale ne disposera en propre de l'appareil judiciaire ou policier nécessaire à la conduite d'une enquête, à l'audition de témoins, au ressemblement de preuves ou à l'arrestation de personnes soupçonnées de crimes. Sans le concours des Etats, la Cour pénale internationale serait paralysée et impuissante.
Les possibilités de réaction de la Cour face à la réticence d'un Etat à coopérer avec elle semblent cependant peu contraignantes.
Si la Cour se heurte au refus d'un Etat de coopérer, elle peut ainsi faire « remonter » la question à l'assemblée des Etats parties au statut, qui en prend acte. Il est à craindre que les conséquences concrètes de cette procédure ne soient guère incitatives.
Il en irait différemment si le refus de coopérer intervenait dans le cadre d'une saisine par le Conseil de sécurité. Dans cette hypothèse, le constat de carence remonterait au Conseil de sécurité, qui pourrait alors prendre des mesures coercitives dans le cadre du chapitre VII de la Charte - ce sera, sans doute, la procédure la plus efficace.
Un troisième point important concerne les rapports entre la Cour pénale internationale et certaines questions liées au domaine militaire.
Nous avons tous à l'esprit les critiques portées contre des responsables militaires de l'ONU lors de récents événements tragiques survenus en ex-Yougoslavie. Pendant la négociation, certaines délégations voulaient initialement inscrire dans le statut, pour ce qui concerne les crimes de guerre, la notion de responsabilité pénale pour « omission », « non-assistance à personne en danger », voire « négligence ». Une telle disposition aurait eu, je crois, des conséquences négatives : ces forces sont en effet contraintes, de par leurs règles d'engagement, et on peut le regretter, de ne recourir à la force qu'en cas de légitime défense. Finalement, le statut ne prévoit, opportunément, de responsabilité pénale que si l'intention de commettre le crime est avérée.
Vient, ensuite, la clause de l'article 124, très contestée, de limitation temporaire de la compétence de la Cour en ce qui concerne les crimes de guerre. Cette disposition, dont la France a déjà indiqué qu'elle y aurait recours, prévoit que, par déclaration spéciale, des Etats pourront, pendant une durée de sept ans, ne pas accepter la compétence de la cour pour les crimes de guerre les concernant.
Ce dispositif est en effet très critiqué. Qu'en est-il ? Ses détracteurs considèrent que des garanties suffisantes figurent au statut, garanties qui permettront d'éviter des plaintes abusives. Le Gouvernement reconnaît que ces garanties existent - principe de complémentarité, rôle de la chambre préliminaire, notamment - mais il est légitimement soucieux de bénéficier d'un délai lui permettant d'en apprécier le bon fonctionnement. De fait, les dommages politiques et mêmes militaires qui pourraient résulter, pour une mission de maintien de la paix, de plaintes dénuées de fondement judiciaire réel, fondées sur des arrière-pensées politiques et relayées pendant des semaines par les médias, pourraient être considérables, voire irréparables.
Une dernière préoccupation pouvait concerner, enfin, le rôle des forces multinationales dans l'arrestation de criminels, lorsqu'une telle force est déployée sur un territoire donné, lors d'une opération de maintien de la paix. En excluant le procès « par contumace », le statut ne laisse d'ailleurs de choix qu'entre l'arrestation et l'impunité, cette dernière n'étant pas acceptable. Or l'expérience de la SFOR démontre que les militaires sont parfois réticents, en cas de défaillance de l'Etat, qui devrait y procéder, à effectuer eux-mêmes l'arrestation, souvent délicate, de telles personnes. Ce genre d'opérations peut en effet gravement dégénérer. L'avènement de la Cour pénale internationale aurait pu conduire, dans le cadre de l'obligation de coopérer, à ce que ce type de mission de police soit désormais explicitement et systématiquement prévue pour les forces relevant de l'ONU. Cela n'aurait rendu que plus complexe tant la possibilité de leur déploiement sur le territoire d'un Etat donné que leur mission de pacification.
En réalité, en prévoyant, sur ce point, la possibilité d'accords spécifiques entre la Cour pénale internationale et les organisations intergouvernementales compétentes, le statut s'en remet aux mandats des forces qui seront définis, comme à l'heure actuelle, par le Conseil de sécurité. C'est donc dans ce cadre d'appréciation politique et militaire qu'il reviendra aux Etats de prendre leurs responsabilités sur ces missions délicates.
Au total, je crois que le statut de cette Cour pénale internationale repose sur un équilibre satisfaisant entre la nécessaire efficacité d'une justice pénale internationale et le respect, tout aussi nécessaire, de la souveraineté des Etats qui fonde la société internationale.
La longue négociation de la convention de Rome a été l'occasion de voir se confirmer le rôle de premier plan tenu par les organisations non gouvernementales dans l'élaboration de ce texte important. Elles auront par ailleurs un rôle actif dans le fonctionnement même de la Cour par les informations qu'elles pourront transmettre au procureur.
Il était en effet légitime que ces organisations, dont certaines d'entre elles ont acquis sur le terrain, parfois au prix de grandes difficultés, une expérience et une légitimité reconnues, soient associées à la définition de normes destinées à promouvoir et à protéger le droit international humanitaire. Après la convention d'Ottawa proscrivant l'usage des mines anti-personnel, la convention créant la Cour pénale internationale illustre ce rôle d'« aiguillon de la diplomatie » qu'elles jouent désormais sur la scène internationale.
Certains jugent ce développement avec réserves, considérant qu'étant, par nature, dépourvues de légitimité politique, contrairement aux gouvernements qui engagent des Etats, ces organisations s'efforceraient de promouvoir les dispositions tendant à placer ceux-ci « sous contrôle ».
Il s'agit là d'une donnée nouvelle de la vie internationale à laquelle gouvernements et parlements doivent être attentifs.
La Cour pénale internationale aura un effet dissuasif. Si, malgré tout, ce qui est hélas ! à redouter, des crimes aussi graves que ceux qui relèvent de la compétence de la Cour sont commis, chacun saura, du criminel à la victime, que l'impunité ne sera plus aussi facile qu'auparavant.
Beaucoup reste encore à négocier pour que la Cour fonctionne dans de bonnes conditions, mais notre pays a contribué positivement à ce que l'on aboutisse à un texte qui ne soit pas déséquilibré au détriment des intérêts des Etats et des principes qui régissent la société internationale.
Telles sont, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, les remarques que je souhaitais formuler. La suite dépend de notre volonté. Aujourd'hui, nous allons nous prononcer sur le projet de loi constitutionnelle, ensuite nous pourrons ratifier la convention. Alors il nous faudra entreprendre une démarche de conviction de lobbying afin de convaincre les grands pays qui ne nous ont pas encore suivis d'adhérer à ce texte.
Ainsi, la France, fidèle à son image de 1789, inscrira l'année 1999 dans les grandes dates de son histoire. (Applaudissements.)
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Monsieur le président, je veux tout d'abord remercier les différents orateurs qui sont intervenus, et me féliciter une fois de plus de la qualité du travail accompli par le Sénat, et en premier lieu - cela a été souligné à juste titre - par le rapporteur de la commission des lois, M. Badinter, et du soin avec lequel la commission des lois - son président en a porté témoignage - a examiné ce texte dans tous ses détails et dans toutes ses implications.
Je remercie à nouveau tous les orateurs qui, sur toutes ces travées, ont exprimé une opinion très favorable à ce texte. Mais le chemin à parcourir est encore long avant que cette Cour puisse effectivement voir le jour. (Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.).
M. le président. Personne ne demande la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.