Séance du 23 mars 2000






SOMMAIRE


Présidence de M. Jean-Claude Gaudin

1. Procès-verbal (p. 0 ).

2. Gens du voyage. - Discussion d'un projet de loi en deuxième lecture (p. 1 ).
Discussion générale : MM. Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement ; Jean-Paul Delevoye, rapporteur de la commission des lois ; Alain Gournac, Jean-Claude Peyronnet, Mme Odette Terrade.
Clôture de la discussion générale.
M. le secrétaire d'Etat.

Article 1er (p. 2 )

Amendement n° 1 de la commission. - MM. le rapporteur, le secrétaire d'Etat.- Adoption.
Amendement n° 2 de la commission. - MM. le rapporteur, le secrétaire d'Etat, Gérard Le Cam.- Adoption.
Amendement n° 3 de la commission. - MM. le rapporteur, le secrétaire d'Etat, Jean Chérioux. - Adoption.
Amendement n° 4 de la commission. - MM. le rapporteur, le secrétaire d'Etat.- Adoption.
Amendement n° 5 de la commission. - MM. le rapporteur, le secrétaire d'Etat.- Adoption.
Amendement n° 6 de la commission. - MM. le rapporteur, le secrétaire d'Etat, Mme Odette Terrade.- Adoption.
Amendement n° 7 de la commission. - MM. le rapporteur, le secrétaire d'Etat, Mme Odette Terrade, M. Jean Chérioux.- Adoption.
Amendement n° 8 de la commission et sous-amendement n° 25 de M. Jean-François Humbert. - MM. le rapporteur, Ladislas Poniatowski, le secrétaire d'Etat.- Adoption du sous-amendement et de l'amendement modifié.
Amendements n°s 9 rectifié et 10 rectifié de la commission. - MM. le rapporteur, le secrétaire d'Etat, Jean-Claude Peyronnet. - Adoption des deux amendements.
Adoption de l'article modifié.

Article 1er bis (supprimé) (p. 3 )

Amendement n° 11 de la commission. - MM. le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Adoption de l'amendement rétablissant l'article.

Article 2 (p. 4 )

Amendement n° 12 de la commission. - MM. le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Adoption.
Amendement n° 13 de la commission. - MM. le rapporteur, le secrétaire d'Etat, Jean-Claude Peyronnet. - Adoption.
Adoption de l'article modifié.

Article 3 (p. 5 )

Amendements n°s 14 et 15 de la commission. - MM. le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Adoption des deux amendements.
Adoption de l'article modifié.

Article 4 (p. 6 )

Amendement n° 16 de la commission. - MM. le rapporteur, le secrétaire d'Etat, Patrick Lassourd, Ladislas Poniatowski. - Adoption.
Amendement n° 27 de M. Jean-Claude Carle. - MM. Nicolas About, le rapporteur, le secrétaire d'Etat, Marc Massion, au nom de la commission des finances. - Irrecevabilité.
Adoption de l'article modifié.

Article 5 (p. 7 )

Amendement n° 17 de la commission. - MM. le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Adoption.
Amendement n° 18 de la commission. - MM. le rapporteur, le secrétaire d'Etat, Marc Massion, au nom de la commission des finances. - Irrecevabilité.
Adoption de l'article modifié.

3. Souhaits de bienvenue à M. le ministre de la défense de la République d'Estonie (p. 8 ).

4. Gens du voyage. - Suite de la discussion et adoption d'un projet de loi en deuxième lecture (p. 9 ).

Article 6. - Adoption (p. 10 )

Article 7 (p. 11 )

Amendement n° 19 rectifié de la commission. - MM. le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Adoption.
Adoption de l'article modifié.

Article 8 (p. 12 )

Amendement n° 20 de la commission. - MM. le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Adoption.
Adoption de l'article modifié.

Article 9 (p. 13 )

Amendements n°s 29 du Gouvernement, 21 à 23 de la commission. - MM. le secrétaire d'Etat, le rapporteur, Nicolas About, Patrick Lassourd, Jacques Larché, président de la commission des lois. - Rejet de l'amendement n° 29 ; adoption des amendements n°s 21 à 23.
Adoption de l'article modifié.

Article additionnel après l'article 9 (p. 14 )

Amendement n° 28 de M. Dominique Leclerc. - MM. Dominique Leclerc, le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Retrait.

Article 9 bis A (supprimé)

Article 9 bis (p. 15 )

Amendement n° 24 de la commission. - MM. le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Adoption de l'amendement supprimant l'article.

Article 10 bis (supprimé)

MM. le président, le président de la commission des lois.

Vote sur l'ensemble (p. 16 )

M. Nicolas About, Mme Odette Terrade, MM. Jean-Claude Peyronnet, le secrétaire d'Etat.
Adoption du projet de loi.

5. Consultation de la population de Mayotte. - Discussion d'un projet de loi (p. 17 ).
Discussion générale : MM. Jean-Claude Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer ; José Balarello, rapporteur de la commission des lois.

Suspension et reprise de la séance (p. 18 )

Présidence de M. Gérard Larcher

6. Questions d'actualité au Gouvernement (p. 19 ).
M. le président.

Taxation des carburants (p. 20 )

M. Gérard Le Cam, Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget.

7. Souhaits de bienvenue à une délégation du Sénat italien (p. 21 ).

8. Questions d'actualité au Gouvernement (suite) (p. 22 ).

Avenir des retraites (p. 23 )

M. Denis Badré, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Réformes en cours
dans l'éducation nationale (p. 24 )

MM. Nicolas About, Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

Enfouissement des déchets radioactifs (p. 25 )

MM. Marcel Bony, Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

Avenir des retraites (p. 26 )

M. Jean-Paul Hugot, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Réformes en cours
dans l'éducation nationale (p. 27 )

MM. André Vallet, Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

RISQUES ENCOURUS PAR LES PERSONNES AYANT PARTICIPÉ AU NETTOYAGE DES PLAGES À LA SUITE DU NAUFRAGE DE L' ERIKA (p. 28 )
M. Philippe Richert, Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Avenir de la décentralisation (p. 29 )

M. Jean-Pierre Raffarin, Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget.

Traçabilité des viandes bovines (p. 30 )

M. Michel Moreigne, Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat.

Programme NH 90 (p. 31 )

MM. Christian Demuynck, Alain Richard, ministre de la défense.

Remboursement de la TVA
aux collectivités locales (p. 32 )

M. Philippe Adnot, Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget.

Suspension et reprise de la séance (p. 33 )

9. Modification de l'ordre du jour (p. 34 ).

10. Consultation de la population de Mayotte. - Suite de la discussion et adoption d'un projet de loi (p. 35 ).
Discussion générale ( suite ) : MM. Marcel Henry, Georges Othily, Simon Sutour, Lucien Lanier, Mme Danielle Bidard-Reydet.
MM. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer ; Marcel Henry.
Clôture de la discussion générale.

Article 1er (p. 36 )

Amendement n° 1 de la commission. - MM. José Balarello, rapporteur de la commission des lois ; le secrétaire d'Etat, Marcel Henry. - Adoption.
Adoption de l'article modifié.

Articles 2 et 3. - Adoption (p. 37 )

Article 4 (p. 38 )

Amendement n° 3 de la commission. - MM. le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Adoption.
Adoption de l'article modifié.

Article 5. - Adoption (p. 39 )

Article 6 (p. 40 )

Amendement n° 4 de la commission. - MM. le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Adoption.
Adoption de l'article modifié.

Article 7 (p. 41 )

Amendement n° 5 de la commission. - MM. le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Adoption.
Adoption de l'article modifié.

Articles 8 à 10. - Adoption (p. 42 )

Adoption, par scrutin public, de l'ensemble du projet de loi.

11. Reconnaissance de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité. - Adoption d'une proposition de loi (p. 43 ).
Discussion générale : MM. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer ; Jean-Pierre Schosteck, rapporteur de la commission des lois.

PRÉSIDENCE DE M. PAUL GIROD

MM. Gérard Larcher, Georges Othily.

PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER

MM. Claude Lise, Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. Paul Vergès, Jacques Pelletier.
Clôture de la discussion générale.

Article 1er (p. 44 )

Amendement n° 1 rectifié bis de la commission et sous-amendement n° 8 rectifié de Mme Lucette Michaux-Chevry. - MM. le rapporteur, Jacques Larché, président de la commission des lois ; Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. le secrétaire d'Etat, Georges Othily. - Retrait du sous-amendement ; rejet de l'amendement.
Adoption de l'article.

Article 2 (p. 45 )

Amendement n° 2 de la commission. - MM. le rapporteur, le secrétaire d'Etat, Mme Lucette Michaux-Chevry, M. le président de la commission. - Adoption de l'amendement supprimant l'article.

Article 3 (p. 46 )

Amendement n° 3 de la commission. - MM. le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Rejet.
Adoption de l'article.

Article 3 bis (p. 47 )

Amendement n° 9 de Mme Lucette Michaux-Chevry. - Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Adoption.
Amendement n° 4 de la commission. - MM. le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Adoption.
Adoption de l'article modifié.

Article 4 (p. 48 )

Amendements n°s 5 de la commission et 10 de M. Georges Othily. - MM. le rapporteur, Georges Othily, le secrétaire d'Etat. - Retrait de l'amendement n° 10 ; adoption de l'amendement n° 5 supprimant l'article.

Article 5 (p. 49 )

Amendement n° 6 de la commission. - MM. le rapporteur, le secrétaire d'Etat, le président de la commission, Mme Lucette Michaux-Chevry. - Adoption de l'amendement supprimant l'article.

Article additionnel après l'article 5 (p. 50 )

Amendement n° 11 de M. Georges Othily. - M. Georges Othily. - Retrait.

Intitulé de la proposition de loi (p. 51 )

Amendement n° 7 de la commission. - M. le rapporteur. - Retrait.
Adoption de l'ensemble de la proposition de loi.

12. Textes soumis en application de l'article 88-4 de la Constitution (p. 52 ).

13. Ordre du jour (p. 53 ).



COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

GENS DU VOYAGE

Discussion d'un projet de loi en deuxième lecture

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi (n° 243, 1999-2000), adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, relatif à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage. [Rapport n° 269 (1999-2000).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, vous allez examiner en deuxième lecture un texte qui a déjà été adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 24 juin 1999 et par la Haute Assemblée le 2 février 2000, et, en deuxième lecture, par l'Assemblée nationale le 24 février dernier.
A l'occasion de ces débats, de nombreux arguments ont déjà été présentés : vous me permettez donc de ne pas entrer dans le détail des divers aspects de ce texte, tel qu'il vous est transmis par l'Assemblée nationale. L'examen des amendements permettra bien sûr de revenir sur certains sujets.
Il me semble plus utile de rappeler les lignes de force de ce texte, à l'aune des problèmes auxquels nous avons collectivement à faire face, et les enseignements du dispositif existant.
Ce texte entend apporter des réponses à un aspect décisif concernant les gens du voyage : l'accueil de ceux qui sont itinérants. Plus ambitieux et plus conforme aux résultats que nous devons obtenir, ce terme d'« accueil » est préférable à celui de « stationnement », qui tendrait à ne traiter les problèmes qu'en termes techniques alors qu'il doit clairement s'agir d'accueillir des personnes dans des conditions dignes de notre société.
S'il est centré sur l'accueil des itinérants, ce projet de loi a été une occasion de faire émerger dans le débat public d'autres problèmes, tels ceux qui sont liés, par exemple, à la sédentarisation d'une partie des gens du voyage, à la scolarisation des enfants ou aux conditions nouvelles d'exercice des activités économiques.
Ainsi, depuis que le projet de loi a été présenté par le Gouvernement, plusieurs colloques ont déjà montré ce besoin de larges débats concernant les gens du voyage sur d'autres thèmes ou sur des thèmes plus transversaux que l'accueil des itinérants. Les discussions liées à l'élaboration des nouveaux schémas départementaux seront une occasion importante de donner vie localement à ces questions, de même que la relance de la Commission nationale consultative des gens du voyage permettra, à leur sujet, une concertation et une réflexion au niveau national.
Ce projet de loi ne prétend donc pas tout traiter ; mais, sur l'accueil des gens du voyage itinérants, il entend apporter un ensemble cohérent de réponses précises.
Ces réponses s'imposent, car les difficultés sont grandes. Parce qu'elles sont liées à l'exercice de droits fondamentaux - droit de choisir son mode de vie, droit de libre circulation, droit de propriété, respect de la loi républicaine... - ces difficultés entraînent souvent, localement, des tensions, parfois des conflits, dont les médias et les associations d'élus ne manquent pas de se faire l'écho.
L'objectif du Gouvernement est de parvenir à une cohabitation harmonieuse de toutes les composantes de la société sur le territoire national. Les pouvoirs publics n'ont pas à imposer la sédentarisation à ceux des gens du voyage qui souhaitent continuer un mode de vie fondé sur l'itinérance. Il faut, dans le cadre des règles de droit et en tenant compte des droits et des devoirs de chacun, permettre que ce mode de vie puisse s'exercer dans notre société.
Pour cela, il faut aménager des aires d'accueil en nombre suffisant. Nous savons tous qu'il en faut davantage : un sixième seulement des besoins quantitatifs sont couverts actuellement. Il faudrait trente mille places, alors qu'il n'en existe que cinq mille aux normes.
Ces aires doivent aussi être correctement situées et aménagées et doivent répondre mieux à des besoins qui évoluent depuis une dizaine d'années. Je reviendrai sur ce point à propos des schémas départementaux.
L'article 28 de la loi du 31 mai 1990 a été un premier cadre législatif apportant une réponse à ce grave déficit d'offre de possibilités de stationnement. Mais dix ans d'application de ce dispositif montrent que, s'il a indéniablement été utile en permettant de doter un tiers des départements d'un schéma conjointement approuvé par le préfet et le président du conseil général et d'augmenter le nombre de places, il a eu des résultats qui ne sont pas à la hauteur des besoins. Ces insuffisances permettent toutefois de tirer des leçons pour construire un nouveau cadre législatif.
Les réponses aux besoins doivent reposer sur une réflexion menée en commun par les acteurs locaux. Cette nécessité d'une connaissance partagée et de la concertation de tous les acteurs est à la base du schéma départemental. Ce sera le pivot de l'élaboration de réponses adaptées et cohérentes sur un territoire.
Le département est, à cet égard, le bon niveau, par exemple, pour l'analyse des besoins, pour la localisation des aires, pour leur capacité et leur destination, pour la définition de certaines interventions sociales. La logique d'un schéma national, même pour les seuls grands rassemblements nationaux, ne permettrait pas, de l'avis du Gouvernement, cette qualité de réponse construite à la fois au plus près du terrain et avec un certain recul, nécessaire par rapport aux tensions locales, que permet le niveau départemental.
Elaborer des réponses adaptées, c'est prendre en considération les évolutions que connaissent depuis plusieurs années les aspirations des gens du voyage. Ainsi, surtout parce que leur situation économique se dégrade à cause de l'évolution de leurs activités traditionnelles, certains sont demandeurs de durées de séjour plus longues que voilà une dizaine d'années.
De même, émerge un besoin de terrains sommairement aménagés pour accueillir les groupes de grande taille - jusqu'à deux cents caravanes - qui sont de plus en plus nombreux à circuler, notamment avant ou après les quelques grands rassemblements de plusieurs milliers ou dizaines de milliers de personnes. Les réponses locales, appuyées par les textes d'application de la loi et coordonnées dans le cadre des schémas départementaux, devront mieux tenir compte de ces évolutions, comme l'a déjà fait la circulaire d'octobre 1999 qui a mis en place une subvention de 350 000 francs au maximum pour l'aménagement de grands terrains temporairement mobilisables.
Des réponses adaptées devront aussi passer, le plus possible, par l'intercommunalité. Le texte qui vous est soumis soutient cette logique intercommunale. Si, toutefois, cette dernière ne prend pas forme localement, le maintien d'une obligation spécifique pour les communes de plus de 5 000 habitants, qui figureront toutes au schéma, est une garantie que des aires seront aménagées.
Le bilan mitigé de la loi du 31 mai 1990 montre aussi qu'il est décisif que tous les acteurs concernés agissent, et agissent en même temps. Il faut donc fixer des délais et se doter de moyens pour que ce qui est prévu soit réalisé.
Deux délais successifs sont prévus : dix-huit mois pour l'adoption conjointe du schéma par le préfet et par le président du conseil général, puis vingt-quatre mois pour l'aménagement des aires.
L'Etat aura les moyens d'agir si ces délais ne sont pas respectés. Le préfet pourra, en effet, adopter le schéma et se substituer, pour leur nom et en leur compte, aux communes n'ayant pas agi.
Bien sûr, le souhait du Gouvernement est que ces moyens n'aient pas à être mis en oeuvre. Il existe un précédent qui, à cet égard, ne manque pas d'intérêt : ainsi, ce fut le cas pour la disposition de la loi du 31 mai 1990 qui prévoyait une possibilité d'approbation du plan départemental d'actions pour le logement des personnes défavorisées par l'Etat seul, car, en fait, tous les plans ont été adoptés conjointement par le préfet et le président du conseil général, dans les délais prévus.
L'effort que les communes auront à mener en aménageant des aires sera fortement soutenu par l'Etat sur le plan financier. Les subventions d'investissement, vous le savez, ont vu leur taux doubler : l'Etat y consacrera 1 750 millions de francs en quatre ans. Ce taux de subvention est, depuis octobre dernier, de 70 % dans le cadre réglementaire actuel.
Une aire aménagée doit être gérée. Or cette idée de bon sens ne se traduisait pas, jusqu'à présent, par une aide financière, ce qui a nui à l'entretien de nombreuses aires. C'est pourquoi le projet tend à créer une aide au fonctionnement ouverte à toutes les aires répondant aux normes, gérées et entretenues.
Le montant de 10 000 francs par place et par an est celui qui avait été cité dans un rapport élaboré par M. Delevoye au sein de votre assemblée. Cette aide représentera, à terme, 300 millions de francs par an. Il y a donc un réel effort de l'Etat.
Enfin, le texte que vous transmet l'Assemblée nationale contient, par rapport au texte initial du Gouvernement, une avancée supplémentaire sur la prise en compte des places de caravanes pour le calcul de la dotation globale de fonctionnement. La majoration est portée à deux habitants par place de caravane pour les communes éligibles à la dotation de solidarité urbaine, la DSU, ou à la première fraction de la dotation de solidarité rurale, la DSR.
L'équilibre de ce texte suppose aussi que les maires de communes qui auront rempli les obligations que leur fixe le schéma - et eux seuls - aient des moyens nettement renforcés pour faire face aux stationnements illicites. Cette disposition est nécessaire, même si l'amélioration du nombre d'aires doit se traduire, à terme, par une diminution de ces stationnements illicites.
Le projet prévoit ces moyens nouveaux, mais il nous faut veiller à ce que de tels pouvoirs respectent les principes de base de notre droit : le Gouvernement tient à ce que les décisions d'expulsion soient des décisions de justice ; toute formule qui contournerait ce principe ne serait donc pas acceptable.
Ce texte est nécessaire pour apporter des réponses à des tensions parfois graves et à des problèmes actuellement sans solution. Il est ambitieux, et l'objectif est de parvenir à une cohabitation harmonieuse de toutes les composantes de la société. Il repose sur un équilibre des droits et des devoirs de tous les acteurs concernés : collectivités locales, gens du voyage, Etat.
Il contient pour cela un ensemble cohérent de mesures qui, dans le respect des objectifs et des principes que j'ai énoncés, visent à répondre efficacement et à un horizon rapide aux difficultés que nous rencontrons.
Je ne méconnais ni ne sous-estime les divergences qui sont apparues entre la Haute Assemblée et le Gouvernement lors de l'examen du texte en première lecture, même si, je le crois, le diagnostic et les objectifs sont largement partagés.
Je souhaite donc que cette deuxième lecture permette d'approfondir le débat et d'enrichir le texte sans lui retirer sa cohérence, gage d'efficacité. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.) M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le secrétaire d'Etat, vous l'avez indiqué, un certain nombre d'arguments ont été avancés au cours de la discussion, et permettez-moi de revenir sur votre intervention en posant un premier préambule qui traduit l'état d'esprit du Sénat.
Nous sommes, nous, sénateurs, convaincus que la navette entre les deux chambres a pour vocation d'enrichir un texte et non de nourrir des procès d'intention. Or je suis obligé de reconnaître que j'ai du mal à admettre le procès d'obstruction qui est intenté au Sénat dans le rapport de l'Assemblée nationale (M. Gournac approuve.), alors qu'en réalité nous nous interrogeons pour savoir pourquoi l'Assemblée nationale n'a pas saisi l'opportunité d'inscrire, dans sa fenêtre d'initiative parlementaire, la discussion de la proposition de loi adoptée par le Sénat sur les gens du voyage : cela aurait fait gagner du temps à tout le monde !
Quels sont, tout d'abord, nos points de convergence ? Vous l'avez dit, monsieur le secrétaire d'Etat, sur les objectifs, nous partageons votre analyse, le déséquilibre de l'offre de places crée des tensions, même si ce n'est pas la seule raison de ces tensions.
Mais je souhaite aussi montrer très clairement quelles sont nos divergences.
Nous contestons ainsi l'argument de la recentralisation utilisé pour repousser le schéma national...
M. Alain Gournac. Ah oui !
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. ... car nous estimons qu'au nom du principe même de la subsidiarité les problèmes doivent être traités au niveau le plus efficace.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. Face à des rassemblements nationaux prévisibles, l'Etat doit faire face à ses responsabilités.
Selon vous, ces rassemblements doivent être intégrés dans les schémas départementaux. C'est comme si vous proposiez à l'organisation du Tour de France de déléguer à des organisations départementales la gestion de la course étape par étape, sans tenir compte de la cohérence et de la globalité du parcours du Tour de France ! (M. Gournac rit.)
Mieux vaut, selon vous, une négociation avec un coordinateur national pour prévoir les mesures de sécurité et d'accompagnement.
M. Alain Gournac. C'est le bon sens !
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. En la matière, la pratique doit guider notre réflexion.
Nous refusons aussi la nécessité de la contrainte qui justifie le pouvoir de substitution du préfet.
M. Alain Gournac. Vive la décentralisation !
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. En réalité, la contrainte, c'est l'échec, que ce soit dans une famille ou dans les relations avec les collectivités locales. Est-ce, alors, l'échec de l'Etat ? Est-ce celui des collectivités locales ? Existe-t-il d'autres raisons à cet échec ?
En tout cas, nous refusons de nous laisser enfermer dans ce que nous voyons apparaître dans bien des textes, c'est-à-dire dans un schéma binaire où l'Etat serait paré de toutes les vertus de la défense de l'intérêt général et les collectivités de tous les péchés de la défense des intérêts catégoriels au nom de l'égoïsme communal.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. Il s'agit là d'un vrai débat de société et d'articulation dans les relations entre l'Etat et les collectivités locales.
C'est la raison pour laquelle, monsieur le secrétaire d'Etat, nous ne croyons pas à la contrainte. Je sais d'ailleurs que vous n'y croyez pas vous-même, puisque, dans votre argumentation, vous avez déclaré que, la seule fois où vous l'avez introduite dans un projet de loi, en réalité, les signatures ont été obtenues sans contrainte.
M. Jean-Claude Peyronnet. L'harmonisation, cela existe !
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. Je crois plus à la force de l'incitation qu'à la force de la contrainte : plutôt que de se réfugier dans cette facilité, mieux vaut réfléchir aux freins qui ont nourri l'échec et faire en sorte de les desserrer. La preuve en est que, lorsque vous avez estimé que l'intercommunalité urbaine fonctionnait mal, vous avez mis en place un certain nombre d'incitations, qui ont transformé l'échec en adhésion.
Je crois, moi, à la vertu de l'adhésion, et j'y suis d'autant plus sensible que, si l'Etat veut contraindre, il prend le risque de devoir assumer seul aujourd'hui la responsabilité des gens du voyage. En effet, de nombreux élus m'ont dit : « Que l'Etat se débrouille avec ce problème ! S'il veut vraiment nous contraindre, qu'il assume tout et tout seul ! » Je crois donc à l'incitation.
Vous avez accompli des efforts qu'il nous faut souligner en matière financière, avec une contribution importante sur l'investissement et une dotation que nous estimons insuffisante sur le fonctionnement, mais un premier pas a été fait et le partenariat signifie que l'Etat estime les élus capables de faire respecter l'intérêt général.
Si, aujourd'hui, nous rencontrons des problèmes, c'est parce que les élus doutent de l'Etat dans l'exécution des procédures d'évacuation, que la population ne croit pas en la vertu de l'Etat et qu'il nous faut transformer - c'est le pari de ce texte ! - ce climat de méfiance en climat de confiance. Il nous faut transformer les oppositions en adhésion !
Je crains tous les dérapages si le Gouvernement met de la tension en soupçonnant les élus locaux. Je crois, comme vous, à l'équilibre des droits et des devoirs. Je crois, comme vous, à l'équilibre du nombre de places par rapport aux besoins. Mais le respect de la loi passe non seulement par l'éducation, mais aussi par la garantie de la sanction.
Nous proposons donc de redonner son rôle à l'Etat pour les grands déplacements, car c'est un niveau qui nous paraît tout à fait adéquat. Mais nous refusons de donner la capacité au préfet de se substituer aux élus et nous croyons, en revanche, à l'incitation.
Comme vous, nous considérons que l'échelon départemental est le meilleur pour l'élaboration des schémas. Quant à la commission consultative, elle doit intégrer la totalité des parties.
Le schéma n'étant pas un document d'urbanisme, il n'est pas opportun d'indiquer qu'il est opposable et nous souhaitons donc des moyens de coercition pour le stationnement illicite. Nous partageons d'ailleurs votre analyse selon laquelle il convient de prévoir l'intervention préalable de l'autorité judiciaire et d'éviter la procédure qui a été prévue par l'Assemblée nationale, supprimant l'intervention du juge administratif pour les occupations illicites du domaine public.
Nous proposons un texte équilibré associant toutes les parties, garantissant les intérêts des uns et des autres, mais exigeant le respect du droit de propriété.
Nous proposons un texte qui renforce le nécessaire partenariat entre l'Etat et les collectivités territoriales et non leur mise sous tutelle, susceptible d'animer la révolte et de provoquer la montée des intolérances. L'acceptation de l'autre ne se fait pas par la contrainte, mais par une approche commune dans le respect de l'autre, de sa différence, mais aussi par le respect des règles. Sinon, c'est la loi du plus fort et le règne de la violence.
Ce texte est nourri d'une approche pragmatique tirée des leçons du terrain. Nous n'ignorons pas que certains élus voudraient déplacer le problème chez le voisin, mais nous n'ignorons pas non plus la lassitude des élus qui se sont engagés dans une politique généreuse et qui se voient aujourd'hui condamnés parce qu'ils se sentent isolés devant les dégradations constatées, ne pouvant faire appliquer la loi.
L'Etat veut les collectivités locales à ses côtés, et nous y sommes tout à fait favorables. Mais les collectivités locales veulent que l'Etat soit à leurs côtés, non pas contre les gens du voyage mais avec eux, afin que ceux-ci puissent concilier leur mode de vie avec nos règles républicaines, et non l'inverse.
Il nous faut accepter de vivre en commun sur notre territoire, mais cela ne vaut que si l'Etat, garant des libertés, emploie avec rigueur et détermination les moyens de faire respecter la loi, seule attitude lui permettant d'exiger des collectivités locales de remplir leurs devoirs.
Sur ce texte, ne soyons ni angéliques ni démoniaques ; soyons pragmatiques et confiants dans la volonté des élus d'accomplir leur devoir, si l'Etat les rassure et prend l'engagement de respecter son contrat.
Cette loi doit être une marque de confiance. C'est la raison pour laquelle elle ne peut pas être construite sur la méfiance, et c'est pourquoi nous aurons l'occasion, monsieur le secrétaire d'Etat, de vous indiquer très clairement que, si nous soutenons un certain nombre de vos initiatives, nous n'approuvons pas, en revanche, les moyens que vous nous proposez. Faisons en sorte que ce problème des gens du voyage soit traité dans un esprit d'équilibre, de respect et d'exigence, en garantissant les libertés de chacun ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Gournac.
M. Alain Gournac. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, « association de l'ensemble des représentants des parties concernées », « dialogue », « concertation », « coordination ». D'un rapport à l'autre, ces maîtres mots de l'exercice moderne de la démocratie reviennent sous la plume et dans les propos de notre éminent collègue et rapporteur, M. Jean-Paul Delevoye.
Les vertus démocratiques que ces mots désignent, le Sénat les avaient prônées en première lecture.
Il les avait prônées pour une mise en oeuvre effective d'un dispositif sur le terrain pour répondre au problème délicat de l'accueil et de l'habitat des gens du voyage.
L'Assemblée nationale a cru bon de rétablir le texte tel qu'elle l'avait adopté en première lecture, maintenant ainsi un déséquilibre auquel nous avions voulu remédier par des améliorations de bon sens.
Nous n'avons pas été entendus.
Le rétablissement par l'Assemblée nationale de la faculté pour le représentant de l'Etat d'approuver seul le schéma départemental et de se substituer aux communes pour la réalisation des aires d'accueil apparaît, monsieur le secrétaire d'Etat, comme une suspicion à l'égard des collectivités locales.
Quel manque de confiance dans les vertus du dialogue et de la concertation !
Pourquoi ne plus faire confiance aux élus locaux, à ceux qui connaissent la réalité du terrain et sont confrontés aux difficultés au jour le jour ?
L'Etat aurait tout à gagner, en termes de crédibilité et d'efficacité, à instaurer un véritable partenariat avec les collectivités locales.
Dans un monde toujours plus compliqué, où un rien exacerbe les tensions, le dialogue est la seule méthode.
L'Assemblée nationale a adopté le point de vue du Gouvernement. Elle défend ainsi la mise en place d'un dispositif coercitif qui fait fi de la libre adhésion des collectivités à des solutions concertées et ignore la nécessité de leur donner les moyens de réprimer le stationnement illicite.
Personnellement, je m'étonne que l'Assemblée n'ait pas cru bon de définir, comme nous l'avions proposé, la notion de « résidence mobile ». C'est d'autant plus étonnant que l'absence d'une telle définition légale risque d'être source de contentieux lors de l'application de plusieurs dispositions du texte.
J'ai cependant constaté avec satisfaction que le Gouvernement avait pris en considération nos remarques, ce qui revenait à prendre acte du bon sens et du réalisme de notre Haute Assemblée.
Concernant le reste du texte, les principes de la décentralisation sont quelque peu perdus de vue, qui font des collectivités locales des acteurs pleinement responsables dans le cadre des compétences qui leur sont dévolues par la loi.
L'esprit de la décentralisation n'a jamais été le désengagement d'un Etat distribuant les responsabilités sans donner, en même temps, les moyens de les exercer.
Il n'est pas acceptable, je le répète, que le représentant de l'Etat puisse approuver seul le schéma départemental et se substituer également aux communes pour la réalisation des aires d'accueil.
C'est d'autant moins acceptable que le texte escamote de nouveau la nécessité d'un schéma national pour les grands rassemblements traditionnels, qui ne peuvent relever, tant par leur nature que par leurs conséquences, de la responsabilité des collectivités locales.
Les questions doivent être réglées à l'échelon le plus adéquat. Un schéma national intégrant des objectifs d'aménagement du territoire s'impose. Cela permettrait peut-être à l'Etat - c'est une suggestion ! - de faire des propositions pour que certains terrains militaires désaffectés, aujourd'hui mis en vente, puissent être réservés à l'accueil des gens du voyage. Ce faisant, l'Etat donnerait l'exemple !
Il est également du devoir de l'Etat - nombre de nos collègues, à la suite de notre rapporteur, avaient insisté sur ce point - d'apporter aux communes concernées une compensation effective des charges qui leur sont imposées, une compensation suffisante pour que le dispositif puisse être pérennisé.
Quand on parle du devoir de l'Etat, on ne pense pas seulement à son expression sur le plan financier, on pense également - par « on » il faut entendre l'ensemble des maires et des élus locaux - à son expression sur le plan des sanctions.
Chaque département a sa liste accablante de villes où fleurit un stationnement illicite préjudiciable aux riverains, aux entreprises, aux commerçants, où règnent le non-droit et l'impuissance.
Je ne peux m'empêcher de penser à mes collègues élus des Yvelines, de Coignières, de Maurepas, d'Elancourt, de Bazoches-sur-Guyonne, régulièrement aux prises avec les difficultés d'une surpopulation. Je pense à Carrières-sur-Seine, non loin du Pecq-sur-Seine, dont je suis maire ; je pense, bien sûr, au plateau de Verneuil-Vernouillet, bien connu des services de gendarmerie de notre département et où nous avons perdu un gendarme.
Pensant à ces élus, je ne peux que plaider, à la suite de notre rapporteur, en faveur du renforcement effectif des moyens d'action du maire.
On ne peut pas indéfiniment reconnaître des droits aux uns et imposer des devoirs aux autres, reconnaître des droits aux gens du voyage et imposer des devoirs aux élus. Droits et devoirs doivent être défendus et rappelés avec la même vigueur, exercés et remplis avec la même rigueur.
C'est la raison pour laquelle il est très important de permettre au maire de prendre un arrêté d'interdiction dès la réalisation d'une aire d'accueil.
On ne peut pas attendre l'accomplissement de l'ensemble des obligations prévues par le schéma départemental pour donner à un maire les moyens de mettre en oeuvre une procédure destinée à obtenir l'évacuation par la force.
Les efforts consentis par une commune doivent être immédiatement accompagnés de son indispensable contrepartie. La loi et les moyens de la faire respecter doivent aller de pair et ne peuvent être séparés dans le temps. Ce serait s'empêcher d'appeler par leur nom des pratiques abusives et, ainsi, les encourager.
En fait, c'est là le simple bon sens, et, qui plus est, un bon sens salutaire, c'est-à-dire animé par un souci aigu de l'ordre républicain, d'un ordre vérifiable sur le terrain.
D'où la nécessité, de prévoir une procédure de référé accélérée, dite d'heure à heure, si le cas requiert la célérité, de rétablir la compétence du juge administratif pour les occupations illicites du domaine public, de permettre la mise en oeuvre de la procédure judiciaire pour obtenir l'évacuation forcée des résidences mobiles de nature à porter atteinte à des activités économiques.
Monsieur le secrétaire d'Etat, il est regrettable qu'il ne soit pas davantage fait confiance aux hommes, en l'occurrence aux maires, plus généralement aux élus locaux.
Les gens du voyage posent un problème difficile, dont personne n'a la solution. Mais, au Sénat, nous croyons fermement que celle-ci aurait plus de chances de voir le jour dans la concertation entre l'Etat et les collectivités territoriales.
C'est pourquoi, avec le groupe du Rassemblement pour la République, je souscris pleinement aux propositions de la commission des lois formulées par notre rapporteur. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les sénateurs socialistes ont l'impression de rejouer une pièce, pas forcément mauvaise d'ailleurs, car nous avions, me semble-t-il, bien travaillé, mais tout de même de rejouer une pièce, tant les propositions de la commission des lois pour cette deuxième lecture sont semblables à celles qu'elle avait faites lors de la première lecture, les arguments étant nécessairement les mêmes.
En tout cas, la politique suivie est mauvaise : il n'est bon pour aucune des deux assemblées, même sur des textes qui ne mettent pas en cause l'avenir de la République, de s'enfermer dans des certitudes sans dialogue réel. Ce n'est bon ni pour le fonctionnement de nos institutions, qui est essentiel, ni pour notre image, ni pour le Sénat, qui a montré en d'autres temps, et même très souvent, toute l'importance de son apport au travail législatif.
La « bunkerisation » à laquelle nous assistons - surtout, monsieur le rapporteur, si, comme j'ai cru le comprendre, elle est quelque peu fondée sur une sorte de vanité d'auteur -...
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. Pas du tout !
M. Jean-Claude Peyronnet. ... donne trop souvent le dernier mot non amendé à l'Assemblée nationale, y compris lorsqu'elle prend parfois - ce n'est pas forcément le cas sur ce texte - des positions excessives et offre ainsi des arguments faciles à ceux qui dénoncent l'inutilité de la Haute Assemblée.
Certes, les logiques sont différentes, mais est-il nécessaire de reprendre notre argumentation de février. Pour ma part, je me garderai bien de le faire, me contentant de rappeler quelques grands axes.
Quelle est la logique de cette loi, nécessaire après l'échec des dispositions de 1990 sur ce sujet et la non-concrétisation de la proposition de loi de 1997 ?
Il s'agit de réaliser un nombre de places de caravanes suffisant pour permettre un accueil décent des gens du voyage, de mettre en oeuvre ces places dans des endroits définis par le schéma départemental de façon rapide et quasi concomitante entre les communes afin de ne pas pénaliser, comme c'est le cas actuellement, celles qui se conforment à la loi, de donner aux maires, dès lors qu'ils auront satisfait aux obligations de la loi, des moyens qui, avec l'aide des services de l'Etat - nous avons tous insisté, monsieur le ministre, sur la nécessité, dans le long terme et pas seulement au début du processus, de cet apport de l'Etat - doivent leur permettre d'interdire le stationnement sur l'ensemble du territoire de leur commune.
Pour mettre en oeuvre cette action dynamique, l'Etat fait un effort financier sans précédent, en investissement comme en fonctionnement. Cet effort n'est peut-être pas suffisant pour que la loi s'applique dans de bonnes conditions, car il est vrai qu'il peut exister bien d'autres blocages que financiers. Il était toutefois une condition nécessaire au départ pour que le manque d'argent ne constitue ni un obstacle à l'action ni un prétexte pour ne pas agir.
Instruits par le passé, par les lacunes du passé, on introduit dans ce texte des contraintes. En effet, le préfet peut, si la négociation n'aboutit pas avec le président du conseil général, approuver seul le schéma départemental, et le vieux président de conseil général que je suis - dix-huit ans d'exercice ! - souscrit à cette disposition. Le préfet peut aussi se substituer aux communes pour réaliser les aires d'accueil retenues dans le schéma.
C'est vrai, M. le rapporteur l'a excellemment dit, mieux vaut privilégier la concertation que la contrainte. Mais il est vrai aussi que ce recours éventuel à la contrainte a finalement abouti - M. le secrétaire d'Etat l'a rappelé - à ce que, dans le dispositif de 1990, les schémas départementaux soient approuvés et réalisés dans la concertation. Celle-ci a lieu parce que le fait que le préfet puisse, à un moment donné, se substituer aux communes est dissuasif. La concertation se trouve ainsi facilitée.
La commission des lois, tout en demandant à l'Etat de se charger de l'élaboration et de la mise en oeuvre d'un schéma national d'accueil pour les grands rassemblements, crie à la recentralisation. Il faut savoir ce que l'on veut et ne pas s'enfermer dans les contradictions ! Je l'avais dit dès la première lecture et je le répète, on ne peut pas à la fois se plaindre de la situation actuelle, de l'inefficacité du dispositif de 1990 et refuser, au nom des grands principes, d'accorder les moyens qui créent les conditions de la réussite.
Nous restons donc favorables au texte gouvernemental et, pour l'essentiel, à la version qui nous revient de l'Assemblée nationale. Aussi, nous voterons contre le texte qui sera vraisemblablement adopté par le Sénat si ce dernier suit les propositions de la commission.
Le texte du Gouvernement nous apparaît pondéré, équilibré. Il apportera, si, comme c'est probable, l'Assemblée a le dernier mot - comme toujours, hélas ! - une réelle amélioration dans le domaine si délicat de la cohabitation des gens du voyage avec la population sédentaire. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à Mme Terrade.
Mme Odette Terrade. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ce projet, que nous examinons pour la seconde fois, est ambitieux. Il vise à trouver des solutions efficaces à l'accueil des gens du voyage en réalisant un juste équilibre entre les droits et les devoirs de chacun : d'une part, le droit des voyageurs de bénéficier d'aires d'accueil répondant à leurs besoins, tant en termes d'implantation que d'aménagement, et le devoir des collectivités territoriales de réaliser ces espaces ; d'autre part, les contreparties attachées à ces obligations, avec, en premier lieu, les moyens nouveaux octroyés aux communes - moyens de nature financière ou encore augmentation de leurs pouvoirs de police - et, par conséquent, le devoir des gens du voyage de respecter le stationnement dans des lieux prévus à cet effet.
Cet équilibre nous semble si juste que nous ne comprenons pas l'archarnement de certains de nos collègues à refuser ce projet de loi.
S'il est vrai que la question de l'accueil des gens du voyage s'est cristallisée, que de nombreux maires ont des difficultés quotidiennes à la gérer, que les relations de voisinage sont souvent très tendues, il est certain que cette situtation est, avant tout, due au manque de places d'accueil.
Permettez-moi de rappeler quelques chiffres.
Depuis 1990, seulement 47 schémas départementaux ont été approuvés, dont 15 uniquement par le préfet : seules 450 communes, sur les 1 739 communes de plus de 5 000 habitants, ont une aire d'accueil.
Le nombre de places manquantes ou à réhabiliter est évaluée à 25 000. Ce déficit accentue encore un peu plus la tension, car les villes qui ont joué le jeu sont réputées accueillantes et voient ainsi le nombre d'arrivées de caravanes sensiblement augmenter, ce qui dissuade davantage encore les communes plus hostiles de créer des aires d'accueil.
Il est grand temps de rompre ce cercle vicieux. Le Gouvernement prend donc ici toutes ses responsabilités. Il est dans son rôle de défense de l'intérêt général, de promotion de la solidarité, même si, comme le prétend la majorité sénatoriale, ces dispositions s'imposent aux collectivités et qu'il aurait été plus louable que chacun assume ses responsabilités.
Malheureusement, le Gouvernement n'a pas pu faire autrement, notamment au regard du bilan d'application de l'article 28 de la loi de 1990.
Comme en matière de construction de logements sociaux, le désengagement et l'égoïsme de certains nous contraignent à adopter des mesures coercitives même si, je le reconnais, cela peut sembler dommageable.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous disiez, lors de la première lecture, que les dispositions permettant au préfet de se substituer à la collectivité territoriale avaient vocation à ne pas servir ou plutôt à servir le moins souvent possible.
Vous le voyez, chers collègues, nul n'a envie de jouer à la contrainte ou à la répression comme vous semblez le laisser entendre, mais uniquement de proposer des mesures opérantes et efficaces.
C'est le cas avec les schémas départementaux qui, pour fixer les objectifs de réalisation, devront évaluer les besoins au regard de l'offre. Si cela semble anodin, il suffit de dialoguer avec les gens du voyage et leurs associations pour se rendre compte que s'ajoute au manque de places une réelle inadéquation de leur mode de vie.
En effet, les gens du voyage ne sont pas une population homogène. L'évolution de la société n'a pas été sans répercussion sur le mode de vie itinérant. Une grande partie d'entre eux ont choisi de se sédentariser, notamment par manque d'emplois. Mais la sédentarisation ne signifie pas l'abandon de la caravane.
Il faut donc prévoir des terrains familiaux pour le passage et pour les grands rassemblements, répondant tous à des normes de confort, d'accessibilité et d'implantation respectant le groupe, l'individu, sa dignité.
Après les questions de stationnement, reste à traiter tout ce qui est le corollaire de l'accueil et que le projet de loi ne fait qu'effleurer. Je vise la scolarisation et la formation, l'implication des familles à un certain nombre de réalités, comme la promotion ou l'insertion, qu'elle soit individuelle ou familiale. Au-delà, je pense qu'outre les DDASS et les départements les caisses d'allocations familiales doivent jouer un rôle prépondérant dans le cadre de leur politique familiale. Certaines communes, à l'instar de Nîmes, par exemple, pour l'aire d'accueil de Canterperdrix, ont bénéficié d'aides au financement de la part de la caisse d'allocations familiales pour implanter, au sein du terrain, un centre social, où travaille notamment un conseiller en vie sociale, ce qui permet de mener des actions d'accompagnement en relation avec les familles.
Ces actions revêtent des caractères très différents. Il s'agit, dans la plupart des cas, de démarches relativement simples, mais qui constituent un lourd handicap, pour l'aide sociale, du fait du mode de vie des gens du voyage.
La solution pourrait consister à considérer les résidences mobiles comme de véritables logements, ouvrant ainsi droit à toutes les aides sociales qui y sont liées, y compris celles qui permettent l'accès à la propriété privée.
Se pose cependant un problème : en assimilant les résidences mobiles à des logements sociaux, n'ouvre-t-on pas la voie à des possibilités de proposition de relogement en caravane ? Dans ce cas, ne faudrait-il pas assortir ce classement d'une condition de libre choix des familles occupantes ?
Il me semble que cette solution constituerait une avancée pour les gens du voyage qui pourraient ainsi accéder aux aides au logement. En effet, ceux-ci peuvent, dans la plupart des cas, être considérés comme locataires, puisqu'ils payent leur emplacement et les charges y afférentes.
Pourquoi ne pas envisager, également, que les prêts à taux zéro soient ouverts pour l'achat d'un terrain ou d'une caravane ?
Concernant le RMI, la loi du 1er décembre 1988 a prévu que « les personnes sans domicile stable », y compris les gens du voyage, selon les interprétations du ministère de l'emploi et de la solidarité, doivent, pour bénéficier de l'allocation, élire domicile auprès d'une association agréée. Nous aimerions que cette même règle s'applique à l'ensemble des droits civiques.
S'agissant toujours du RMI, nous trouvons tout particulièrement choquant que soit systématiquement soustraite la part logement, au motif que les gens du voyage ont un type d'habitat différent. Il s'agit, là encore, de discriminations au quotidien.
Enfin, je voudrais m'arrêter quelques instants sur le sentiment, non moins réel, des gens du voyage d'être considérés comme des « sous-citoyens ».
La loi du 3 janvier 1969 est discriminatoire. Le carnet de circulation n'a plus lieu d'être.
La loi du 29 juillet 1998, relative à la lutte contre les exclusions, a permis aux personnes sans domicile fixe de se déclarer domiciliées dans un organisme d'accueil, une association. Les gens du voyage espèrent, légitimement, que ces dispositions puissent leur être applicables.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous rappeliez, lors de la première lecture, que la commission nationale consultative des gens du voyage était chargée d'aborder l'ensemble de ces questions. Le groupe communiste républicain et citoyen ne peut, dès lors, que réaffirmer sa volonté que les voyageurs bénéficient des mêmes droits et devoirs que nos concitoyens sédentaires !
M. Nicolas About. Les mêmes devoirs !
Mme Odette Terrade. Pour l'heure, nous soutenons le projet de loi issu des travaux de l'Assemblée nationale sur l'accueil des gens du voyage, qui n'est qu'un des aspects des différentes situations auxquelles ces concitoyens itinérants sont confrontés. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Monsieur le président, je répondrai brièvement pour alléger d'autant la discussion des articles, en reprenant les arguments avancés par les différents intervenants.
Permettez-moi tout d'abord de remercier de leur soutien au texte Mme Terrade à l'instant et M. Peyronnet auparavant. Certes, le problème est plus large et les perspectives pourraient être plus ouvertes. Mais si nous parvenons à retisser des liens et à en finir avec cette césure, cette coupure qui s'est établie entre les sédentaires et les itinérants, nombre de problèmes pourront être abordés d'un oeil nouveau par la commission nationale consultative des gens du voyage, qui est bien le lieu où doit se poursuivre cette réflexion. Nous aurons, je l'espère, des possibilités d'enregistrer des avancées.
Je voudrais également remercier la commission des lois du Sénat, plus spécialement son rapporteur qui s'est investi dans ce dossier de longue date et dont les travaux, même s'ils n'ont pas abouti dans le cadre de la proposition de loi dont il a été l'auteur, ont nourri la préparation du présent projet de loi. En effet, tout un travail de recherche, de référence et d'évaluation a été repris, ce qui est, me semble-t-il, une façon de valoriser la réflexion menée par la Haute Assemblée, tout spécialement par M. Delevoye, que je tiens à remercier chaleureusement.
Monsieur le rapporteur, vous savez bien évidemment que ce n'est pas la vision du Gouvernement que de penser que l'Etat aurait toutes les qualités et les collectivités locales et leurs élus tous les défauts.
M. Nicolas About. Vous nous rassurez !
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Ce gouvernement compte un certain nombre d'élus locaux, à commencer par votre serviteur. Je ne vois pas par quel masochisme ambiant le Gouvernement en viendrait à penser qu'il lui faut se méfier des élus. Le problème ne se pose pas en ces termes.
Il n'en reste pas moins qu'avec les 36 000 communes qui font sa richesse notre pays est très morcelé. Au lieu d'avoir le réflexe des pays à grand territoire où le problème est incontournable, chez nous, la diversité de nos 36 000 communes incite certains maires à compter sur leurs voisins pour régler les problèmes. C'est une attitude très humaine, qui ne justifierait pas que l'on voue les élus aux gémonies, mais qui ne nous autorise pas pour autant à ignorer par angélisme une réalité que nous vivons au quotidien.
Comme vous, monsieur le rapporteur, le Gouvernement croit bien sûr à la vertu de l'incitation et espère bien qu'elle l'emportera sur la contrainte. C'est la raison pour laquelle, dans le texte qui vous est proposé, l'article 4 dispose explicitement - c'est une disposition incitative - que le taux de 70 % pour les subventions est applicable pendant la période où les problèmes se résolvent dans le cadre du volontariat. Cela signifie, a contrario, que ceux qui feraient montre de mauvaise volonté et amèneraient l'Etat à se substituer à eux se placeraient hors du champ d'application de cette disposition de l'article 4, qui traduit bien cette volonté d'incitation au volontariat à laquelle est attaché le Gouvernement.
Il est vrai que, dépassant les clivages politiques traditionnels, la loi du 31 décembre 1990 - vous vous souvenez sans doute des conditions dans lesquelles elle a été votée - avait institué des plans départementaux d'action pour le logement des personnes défavorisées : il était prévu qu'au terme d'une année, si aucun accord n'était intervenu dans le département entre les préfets et les présidents de conseils généraux, au lieu de s'orienter vers une cosignature, les préfets pourraient signer seuls. Le vote de cette disposition n'avait pas donné lieu à un affrontement entre la gauche et la droite. Force est de constater que cette possibilité de publication unilatérale du plan n'a pas eu à jouer.
En fait, n'est-il pas fondamental - c'est une question que je pose à chacun d'entre vous, notamment à M. Gournac - que, grâce à la volonté nationale, c'est-à-dire au Parlement, qui exprime cette volonté nationale, l'Etat ait le dernier mot en cas de mauvaise volonté manifeste, afin que le volontariat aboutisse ? Cette possibilité de contrainte, dont personne ne souhaite se servir, n'aide-t-elle pas à l'aboutissement du contrat et du volontariat ?
L'expérience des plans départementaux d'action pour le logement des personnes défavorisées en a donné une illustration sur laquelle, je le pense, chacun peut méditer.
M. Nicolas About. Mais les communes s'administrent librement !
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Monsieur le sénateur, vous avez interrogé le Conseil constitutionnel sur ce point : c'est après un recours du Sénat que le Conseil constitutionnel a établi sa jurisprudence.
M. Nicolas About. Eh oui !
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Le Conseil constitutionnel vous a répondu, dans sa décision du 30 mai 1990, que les collectivités territoriales s'administrent librement - article 72 de la Constitution - dans le respect des lois de la République.
M. Nicolas About. Bien sûr !
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Cela signifie que la décentralisation n'autorise pas les élus locaux à choisir à la carte les lois qu'ils entendent appliquer ! Fort heureusement, la décentralisation ce n'est pas cela et le Conseil constitutionnel vous l'a dit d'une manière extrêmement claire.
M. Nicolas About. Oui !
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. La dignité de la fonction du parlementaire, que vous ressentez très profondément chacun d'entre vous, bien sûr, est de faire la loi. Cette dignité serait largement altérée s'il était possible de s'affranchir de son application : nous ne serions plus en République partout sur notre territoire.
Mesdames, messieurs les sénateurs, comprenez-nous : le seul souci du Gouvernement est que figurent dans la loi des dispositions...
M. Hilaire Flandre. Oui !
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. ... qui lui donnent l'assurance que la loi peut être respectée partout. Je crois vraiment que, en fonction du clivage entre républicains et non républicains, nous devons pouvoir nous mettre d'accord sur ce point. Il s'agit d'un clivage, vous en conviendrez, beaucoup plus profond que les clivages partisans traditionnels !
Vous avez évoqué, monsieur le rapporteur, la lassitude des élus qui se sont engagés dans la recherche de solutions. Il est vrai que, depuis l'entrée en vigueur de l'article 28 de la loi du 31 mai 1990, certains ont fait des efforts, et c'est, me semble-t-il, de ceux-ci qu'il faut être prioritairement solidaires. Mais on ne peut pas prendre en compte leur lassitude et vouloir leur manifester de la solidarité en recréant un dispositif dont la mise en oeuvre serait toujours laissée à la bonne volonté des autres. Ceux qui ont fourni des efforts dans le passé seraient alors d'autant plus accablés par la lassitude que vous déplorez.
M. Gournac a plaidé pour que le dialogue soit la seule méthode utilisée. C'est également notre priorité, monsieur le sénateur, mais, dans ce domaine, force est bien de constater que, depuis dix ans, la loi permet de résoudre ces questions par le dialogue et le volontariat et que les résultats ne sont pas du tout à la hauteur des besoins. Le texte dont nous débattons, que je trouve extrêmement prudent, prévoit de donner un caractère obligatoire, à l'échéance de dix-huit mois, à l'élaboration des schémas départementaux, et, au terme de deux années, à la réalisation des aires d'accueil. Cela signifie que nous nous en remettons au volontariat pour une période de trois ans et demi, les obligations qui sont en perspective n'étant prévues qu'au terme de chacune de ces périodes.
M. Gournac a suggéré que, pour les grands rassemblements nationaux, on puisse mobiliser des terrains militaires. Je veux simplement lui indiquer que ce point est tout à fait à l'ordre du jour. A cet égard, le grand rassemblement annuel de Chamblay se déroule sur une ancienne base aérienne, et nous n'écartons pas l'idée que d'autres terrains puissent être utilisés.
M. Gournac a également parlé des Yvelines. Je suppose qu'il pensait aux quelques élus de ce département auxquels nous devons la réalisation de cent trente-huit places : cent trente-huit seulement pour tout le département !
A l'égard de ces élus les plus vertueux, les plus courageux, les plus solidaires, je suis en pensée avec vous. Mais, si la situation est difficile dans tel ou tel département, c'est que l'offre de places est sans rapport avec les besoins, puisqu'elle représente moins de 10 % de ce qu'il faudrait. Là est la grande difficulté.
M. Nicolas About. Nous en avons réalisé cent et elles ont été détruites !
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. C'est la raison pour laquelle, monsieur le sénateur, ne voulant pas retomber dans cette difficulté, l'Etat met en place un système de financement du fonctionnement des aires,...
M. Nicolas About. Ce n'est pas cela, c'est la sécurité des aires qui est en cause ! Il faut les protéger.
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. ... qui seront gardiennées, et donc durables.
M. Nicolas About. Gardiennées par qui ?
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Mais par du personnel rémunéré avec l'aide mise en place !
M. Nicolas About. Par l'Etat ?
M. le président. Je vous en prie, mon cher collègue, veuillez laisser conclure M. le secrétaire d'Etat.
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Il existe des associations spécialisées, des organismes volontaires ; ils se mobiliseront et les moyens de financement seront réunis.
Voilà, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les réponses que je voulais apporter aux questions qui m'ont été posées.
Toutefois, à M. Gournac, qui a souhaité qu'une commune puisse disposer des moyens renforcés prévus dans le projet de loi dès lors qu'elle aura satisfait à ses obligations, sans attendre que toutes les communes du département visées par le schéma départemental aient elles-mêmes satisfait à leurs obligations, je répondrai que c'est précisément l'objet de l'article 9 du projet de loi. Dès qu'une commune a satisfait aux obligations que lui donnent le schéma départemental, elle pourra obtenir des moyens renforcés.
Mesdames, messsieurs les sénateurs, ce projet de loi vise donc bien, vous le constatez, à progresser sur la voie de l'efficacité avec l'objectif de faire prévaloir l'égalité de droit et de devoir à laquelle, comme le Gouvernement, vous êtes attachés.
M. Philippe de Gaulle. Pour les citoyens français !
M. le président. Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle que, aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projets de loi, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du Parlement n'ont pas encore adopté un texte identique.

Article 1er



M. le président.
« Art. 1er. - I. - Les communes participent à l'accueil des personnes dites gens du voyage et dont l'habitat traditionnel est constitué de résidences mobiles. »
« I bis. - Supprimé »
« II. - Dans chaque département, au vu d'une évaluation préalable des besoins et de l'offre existante, notamment de la fréquence et de la durée des séjours des gens du voyage, des possibilités de scolarisation des enfants, d'accès aux soins et d'exercice des activités économiques, un schéma départemental prévoit les secteurs géographiques d'implantation des aires permanentes d'accueil et les communes où celles-ci doivent être réalisées. »
« Les communes de plus de 5 000 habitants figurent obligatoirement au schéma départemental. Il précise la destination des aires permanentes d'accueil et leur capacité. Il définit la nature des actions à caractère social destinées aux gens du voyage qui les fréquentent. »
« En outre, le schéma départemental détermine les emplacements susceptibles d'être occupés temporairement à l'occasion de rassemblements traditionnels ou occasionnels et définit les conditions dans lesquelles l'Etat intervient pour assurer le bon déroulement de ces rassemblements. »
« III. - Le schéma départemental est élaboré par le représentant de l'Etat dans le département et le président du conseil général. Après avis du conseil municipal des communes concernées et de la commission consultative prévue au IV, il est approuvé conjointement par le représentant de l'Etat dans le département et le président du conseil général dans un délai de dix-huit mois à compter de la publication de la présente loi. Passé ce délai, il est approuvé par le représentant de l'Etat dans le département. Il fait l'objet d'une publication et est opposable. »
« Le schéma départemental est révisé selon la même procédure au moins tous les six ans à compter de sa publication. »
« IV. - Dans chaque département, une commission consultative, comprenant notamment des représentants des communes concernées, des représentants des gens du voyage et des associations intervenant auprès des gens du voyage, est associée à l'élaboration et à la mise en oeuvre du schéma. Elle est présidée conjointement par le représentant de l'Etat dans le département et par le président du conseil général, ou par leurs représentants. »
« La commission consultative établit chaque année un bilan d'application du schéma. Elle peut désigner un médiateur chargé d'examiner les difficultés rencontrées dans la mise en oeuvre de ce schéma et de formuler des propositions de règlement de ces difficultés. Le médiateur rend compte à la commission de ses activités. »
« V. - Le représentant de l'Etat dans la région coordonne les travaux d'élaboration des schémas départementaux. Il s'assure de la cohérence de leur contenu et de leurs dates de publication. Il réunit à cet effet une commission constituée des représentants de l'Etat dans les départements, du président du conseil régional et des présidents des conseils généraux, ou de leurs représentants. »
« VI. - Supprimé. »
Par amendement n° 1, M. Delevoye, au nom de la commission, propose de compléter le I de cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« Est considéré comme résidence mobile, au sens de la présente loi, tout véhicule ou élément de véhicule constituant le domicile permanent de ses occupants et conservant des moyens de mobilité lui permettant de se déplacer par lui-même ou d'être déplacé par simple traction. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Paul Delevoye rapporteur. Cet amendement vise à définir la notion de résidence mobile.
Nous avions déjà proposé un amendement en première lecture. Aujourd'hui, nous nous sommes inspirés de la définition qu'a donnée M. le secrétaire d'Etat à l'Assemblée nationale.
Je souligne que la notion de résidence mobile revêt une grande importance juridique.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement est heureux d'enregistrer que M. le rapporteur propose de reprendre la définition que j'avais donnée à l'Assemblée nationale. Je souhaite simplement préciser que cette définition de la notion de résidence mobile viserait les caravanes et les camping-car, mais exclurait les résidences mobiles de loisir, les habitations légères de loisir, les mobile homes posés sur des plots ou sur des fondations.
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. Bien sûr !
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. C'est très précisément la signification des propos que j'ai tenus le 24 février. Sous le bénéfice de cette précision, le Gouvernement est tout à fait favorable à l'adoption de cet amendement.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 1, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Par amendement n° 2, M. Delevoye, au nom de la commission, propose de rétablir le I bis de cet article dans la rédaction suivante :
« I bis. - Un schéma national d'accueil des gens du voyage définit les conditions d'accueil des gens du voyage dans le cadre de rassemblements traditionnels.
« Dans le respect des orientations de la politique nationale d'aménagement et de développement du territoire, le schéma national fixe la liste des terrains susceptibles d'être utilisés à cette fin et prévoit les aménagements nécessaires qui devront être réalisés sur ces terrains.
« Le conseil national de l'aménagement et du développement du territoire, créé par la loi n° 95-115 du 4 février 1995 modifiée d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire et la commission nationale consultative des gens du voyage sont associés à l'élaboration du projet de schéma national d'accueil des gens du voyage. Ils donnent leur avis sur ce projet.
« Les directives territoriales d'aménagement mentionnées à l'article L. 111-1-1 du code de l'urbanisme, lorsqu'elles précisent les objectifs de l'Etat en matière de localisation des terrains d'accueil des gens du voyage dans le cadre des rassemblements traditionnels prennent en compte les orientations du schéma national. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. Il s'agit simplement de restaurer le schéma national que le Sénat avait adopté en première lecture pour assurer la coordination des grands rassemblements à l'échelon national.
Il s'agit par ailleurs d'intégrer un apport de M. Braye en précisant que les directives territoriales d'aménagement doivent prendre en compte les orientations du schéma national.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. J'ai déjà expliqué pourquoi le Gouvernement ne souhaitait pas de schéma national pour les rassemblements traditionnels.
L'Etat est complètement impliqué dans le déroulement des grands rassemblements traditionnels du fait des prérogatives données aux préfets, lesquels sont au plus proche du problème à traiter. Si le Gouvernement est défavorable à cet amendement, c'est donc non pas pour se défausser, mais pour favoriser l'intervention du préfet plutôt que d'une autorité nationale qui n'est pas encore constituée.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 2.
M. Gérard Le Cam. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Cet amendement vise à substituer au schéma départemental un schéma national pour la réalisation d'aires d'accueil susceptibles d'être utilisées pour les grands rassemblements traditionnels ou occasionnels.
Nous ne sommes pas favorables à ce dispositif, même s'il peut, au premier abord, sembler répondre à un objectif d'harmonisation et rassurer les élus locaux.
Premièrement, le projet de loi initial prévoit - et c'est, je pense, le but ultime de l'amendement - que les conditions et les modalités d'organisation des grands rassemblements relèvent de la responsabilité de l'Etat. Car il est certain que ce type d'événement ne peut pas être géré par une commune seule, au regard du nombre de personnes, parfois près de 30 000, qu'il rassemble.
Ces rassemblements sont cependant très organisés, prévisibles, et ne dépassent pas quinze jours. Ce sont généralement des groupes évangélistes, qui disposent de chapiteaux et de groupes électrogènes.
Toutes les associations que nous avons rencontrées lors de la préparation de ce texte nous ont dit combien il était certes primordial pour la réussite du dispositif de tenir compte de l'ensemble des différents besoins, mais également que les grands rassemblements posaient plutôt moins de problèmes et qu'il n'était par conséquent pas nécessaire de prévoir un traitement différencié.
Deuxièmement, les élus communistes, attachés au principe de la décentralisation, préfèrent conserver une proximité entre les lieux de décision et les lieux de réalisation. Ainsi, nous préférons que l'ensemble des besoins soit répertorié par une seule et même entité, à savoir le schéma départemental, qui, je tiens à le préciser, est élaboré démocratiquement par le préfet, le président du conseil général, les élus locaux et les gens du voyage si, bien sûr, tous les acteurs sont prêts à se mettre autour de la table.
La troisième raison qui nous incite à repousser cet amendement est que ces grands événements sont avant tout des moments d'évangélisation et qu'il n'appartient pas à un Etat laïc de prendre en charge ce type d'événement au-delà de la nécessité du maintien de la sécurité, de la tranquillité et de la salubrité publique.
Il n'y a qu'à se souvenir des remous qu'avait suscité dans l'esprit de nos concitoyens la large participation de l'Etat et des collectivités à l'organisation des Journées mondiales de la jeunesse pour comprendre qu'il n'est pas opportun de préconiser une prise en charge spécifique de ces rassemblements évangéliques des gens du voyage.
L'ensemble de ces raisons amène mon groupe à rejeter cet amendement.
M. Nicolas About. Les départements ne sont pas laïcs ?
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 2, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Par amendement n° 3, M. Delevoye, au nom de la commission, propose :
I. - De supprimer la première phrase du deuxième alinéa du paragraphe II de l'article 1er.
II. - En conséquence, de rédiger ainsi le début de la deuxième phrase du même alinéa : « Le schéma départemental précise la destination... »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. Avec cet amendement, il s'agit d'éviter un a priori quant à l'affectation d'un territoire. Le schéma départemental ne doit pas imposer aux communes de 5 000 habitants d'installer des aires d'accueil ; l'équilibre entre l'offre et le besoin doit intégrer la totalité de l'espace départemental. Il peut en effet être plus judicieux d'installer une aire dans une commune de 300 habitants plutôt que dans une commune de 5 000 habitants qui, urbanisée à 100 %, ne peut pas l'accueillir.
Afin de remédier à ces points négatifs, la commission a déposé cet amendement, qui ne correspond pas à un recul de la responsabilité des collectivités locales, mais qui apporte une liberté de réflexion totale dans l'élaboration du schéma départemental.
M. Nicolas About. C'est évident !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement a déjà expliqué à la Haute Assemblée les raisons pour lesquelles il était opposé à l'existence de ce seuil. Il convient en effet de conserver une sorte de garantie pour la réalisation d'aires en cas d'échec de la négociation intercommunale.
Je précise toutefois que l'existence de ce seuil ne fait pas du tout obligation aux auteurs du schéma, dans les secteurs où il n'existe pas de commune de plus de 5 000 habitants mais où doivent être accueillis des gens du voyage, de prévoir une aire dans une commune de moins de 5 000 habitants.
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. Dans ces conditions, il faut supprimer le seuil, d'autant que vous avez vous-même indiqué dans votre argumentation que vous donniez la priorité à l'intercommunalité. Nous respectons donc la logique de votre raisonnement.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 3.
M. Jean Chérioux. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Chérioux.
M. Jean Chérioux. La position du Gouvernement m'étonne, les explications de M. le rapporteur montrant bien qu'il s'agit d'une question de bon sens.
Le bon sens ne devrait être ni à droite ni à gauche, ni du côté socialiste, ni du côté de l'opposition. Je constate, hélas ! que le Gouvernement et ceux qui le soutiennent refusent le bon sens. C'est la raison pour laquelle je voterai cet amendement.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 3, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Par amendement n° 4, M. Delevoye, au nom de la commission, propose, avant la dernière phrase du deuxième alinéa du II de l'article 1er, d'insérer une phrase ainsi rédigée : « Il recense les autorisations délivrées sur le fondement de l'article L. 443-3 du code de l'urbanisme ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. A la demande d'un certain nombre d'associations des gens du voyage, il doit être tenu compte, comme le disait M. le secrétaire d'Etat, des modifications de comportement. Ainsi, certains d'entre eux achètent des terrains et acceptent des gens de leur famille.
Nous souhaitons donc que, dans le schéma départemental, dans l'analyse de l'offre de terrains, soit intégrée la notion de terrain familial, tout en indiquant, vous l'avez fort justement rappelé tout à l'heure, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'il est hors de question d'inscrire dans le schéma, en termes de places disponibles, des terrains familiaux qui ne correspondraient pas aux documents d'urbanisme.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement éprouve quelques scrupules à l'égard de cet amendement dans la mesure où ce texte crée des obligations uniquement en matière d'aires d'accueil et non pas en matière de terrains familiaux. S'il est fait obligation au schéma départemental de recenser ces autorisations, cela peut quelque peu prêter à confusion.
Le Gouvernement n'aurait pas été hostile à la création d'une annexe au schéma départemental qui fasse le point de l'état des autorisations délivrées, mais il ne souhaiterait pas qu'une confusion se crée entre ces deux obligations.
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. Il ne doit y avoir aucune ambiguïté. Certaines associations des gens du voyage nous ont indiqué que, dans certains départements, 50 % des places disponibles étaient situées sur des terrains familiaux. Nous souhaitons une adéquation avec les documents d'urbanisme, tout en refusant l'implantation de terrains familiaux dans des zones non constructibles ou dans des zones protégées.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 4, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Par amendement n° 5, M. Delevoye, au nom de la commission, propose de rédiger comme suit le dernier alinéa du II de l'article Ier :
« Le schéma départemental prend en compte les terrains qui, en application du schéma national et sous la responsabilité de l'Etat, sont susceptibles d'être occupés temporairement à l'occasion de rassemblements traditionnels. Il peut prévoir les adaptations nécessaires. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. Cet amendement de logique articule le schéma national avec le schéma départemental.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Même logique ! Le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 5, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Je suis saisi de trois amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 26, MM. Carle et Humbert et les membres du groupe des Républicains et Indépendants proposent de rédiger comme suit le premier alinéa du III de l'article 1er :
« Le schéma départemental est élaboré par le représentant de l'Etat dans le département et les communes du département. Après avis du président du conseil général et de la commission consultative prévue au IV, il est approuvé conjointement par le représentant de l'Etat dans le département et les communes concernées dans un délai de dix-huit mois à compter de la publication de la présente loi. Il fait l'objet d'une publication. »
Les deux amendements suivants sont présentés par M. Delevoye, au nom de la commission.
L'amendement n° 6 tend à supprimer l'avant-dernière phrase du premier alinéa du III de l'article Ier.
L'amendement n° 7 vise, à la fin de la dernière phrase du premier alinéa du III de l'article Ier, à supprimer les mots : "et est opposable". »
L'amendement n° 26 est-il soutenu ?...
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 6.
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. Cet amendement se situe dans la logique de la discussion que nous avons eue tout à l'heure avec M. le secrétaire d'Etat, qui partage avec nous la volonté de tout faire en faveur de l'incitation.
Toutefois, le Gouvernement y met une contrainte que nous n'estimons pas nécessaire, puisque les incitations financières nous semblent importantes. Cet amendement a donc pour objet de supprimer le pouvoir de substitution du préfet.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement a déjà expliqué pourquoi il tenait à cette disposition. Il est défavorable à sa suppression et donc à cet amendement.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 6.
Mme Odette Terrade. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à Mme Terrade.
Mme Odette Terrade. Le groupe communiste républicain et citoyen ne votera pas cet amendement.
Nous comprenons bien qu'il faille encourager le plus possible la concertation, et qu'un schéma départemental a plus de chance d'être efficace et de correspondre aux attentes des voyageurs et des populations locales s'il est élaboré en commun. Cela est vrai pour le préfet, le président du conseil général, mais également pour la commission consultative.
Le texte que nous propose le Gouvernement concilie la concertation et l'efficacité. Il prévoit en effet que le schéma départemental ne sera signé que par le préfet uniquement quand, au bout de dix-huit mois, aucune entente n'aura pu aboutir. Ce délai nous semble suffisant, notamment au regard de l'ampleur du retard en matière de réalisation d'aires d'accueil pour les nomades.
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. Je veux préciser à Mme Terrade que la commission des lois a gardé le délai de vingt-quatre mois pour la réalisation. Par conséquent, nous estimons que la confiance dans la discussion et la force des incitations seront suffisantes.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 6, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 7.
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. En première lecture, l'Assemblée nationale a jugé que le schéma était opposable. Cette précision ne nous paraît pas opportune. En effet, soit elle renvoie aux règles des actes administratifs et elle est alors superflue, soit elle fait référence au droit de l'urbanisme et elle crée une confusion. C'est la raison pour laquelle nous vous soumettons cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. La mention de l'opposabilité résulte d'un amendement de l'Assemblée nationale auquel le Gouvernement ne s'est pas opposé en n'y voyant qu'un simple souci de précision. A ses yeux, cette mention dans le projet de loi a seulement pour objet de clarifier la situation.
En effet, en droit, le schéma départemental a un caractère administratif puisqu'il a un caractère normatif et qu'il est signé soit conjointement par le préfet et le président du conseil général, soit par le préfet seul. Il est donc bien opposable aux communes et à leurs groupements lorsqu'il a été publié, que cela soit écrit ou non.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 7.
Mme Odette Terrade. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Terrade.
Mme Odette Terrade. Avec l'amendement n° 7, la commission des lois nous demande de ne pas rendre opposable le schéma départemental, ce qui conduit à ne lui conférer qu'un statut sans valeur normative. Il ne devient qu'une vague proposition d'orientation, qu'un objectif de réalisation qui ne s'impose ainsi plus aux communes.
Le groupe communiste républicain et citoyen ne votera pas cet amendement qui, comme la plupart des amendements proposés par la majorité sénatoriale, conduit à affaiblir le présent projet de loi en le maintenant en deçà des objectifs qui avaient été fixés par l'article 28 de la loi du 31 mai 1990, dont nul ne peut dire qu'il a eu une application réussie.
Il est donc grand temps de passer à la vitesse supérieure et d'adopter des mesures plus opérationnelles afin de répondre enfin aux besoins des gens du voyage en matière d'habitat.
S'il est vrai que ces questions ne devraient pas avoir besoin d'être réglées de façon autoritaire, tant le sujet relève de la responsabilité et de la solidarité nationales, le constat est là, il a duré dix ans et nous ne pourrons avancer sur l'accueil des gens du voyage qu'en adoptant des règles strictes.
Il appartient à chacun de prendre ses responsabilités pour régler cette question d'intérêt général, et c'est ce que fait le groupe communiste républicain et citoyen en rejetant cet amendement.
M. Jean Chérioux. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Chérioux.
M. Jean Chérioux. Je m'étonne de l'intervention de Mme Terrade.
M. le secrétaire d'Etat vient de dire que cet amendement n'était pas vraiment utile puisque, étant un acte administratif, le schéma départemental est opposable.
Par conséquent, Mme Terrade, pour qui j'ai beaucoup d'estime et d'amitié,...
M. Nicolas About. Bien sûr !
M. Jean Chérioux. ... n'a pas entendu M. le secrétaire d'Etat, à moins qu'elle ne veuille nous démontrer que le groupe communiste est le seul défenseur des gens du voyage dans cette maison, quitte à créer de faux problèmes pour les résoudre ! Pour ma part, je voterai cet amendement.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 7.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Par amendement n° 8, M. Delevoye, au nom de la commission, propose, dans la première phrase du premier alinéa du IV de l'article 1er, de remplacer les mots : « comprenant notamment des représentants des communes concernées, des représentants des gens du voyage et des associations intervenant auprès des gens du voyage » par les mots : « composée des représentants de la région, des représentants du département, des représentants des communes et de leurs groupements, des représentants des services de l'Etat, des représentants des gens du voyage et des associations intervenant auprès des gens du voyage ainsi que des personnalités qualifiées ».
Cet amendement est assorti d'un sous-amendement n° 25, présenté par M. Humbert et les membres du groupe des Républicains et Indépendants, et tendant, dans le dernier alinéa du texte de l'amendement n° 8, à supprimer les mots : « des représentants de la région, ».
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 8.
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. Cet amendement a pour objet de préciser la composition de la commission consultative.
Lorsque M. Humbert s'est interrogé sur l'obligation de la présence de représentants de la région, la commission s'en est remis à la sagesse, car elle a estimé que la commission consultative ne devrait intégrer que des acteurs « financeurs ». Nous ne serions donc a priori pas opposés à ce que la région puisse y participer si, dans le cadre d'une contractualisation telle qu'un contrat de pays, elle participe au financement des aires d'accueil. En revanche, si ce n'est pas le cas, la région n'a pas vocation à être représentée au sein de la commission consultative.
Nous serions donc favorables au sous-amendement n° 25 si l'on estime que la commission consultative doit intégrer des acteurs de la vie des gens du voyage qui souhaitent y participer, qu'il s'agisse des associations, des « financeurs » ou des personnalités qualifiées.
M. le président. La parole est à M. Poniatowski, pour défendre le sous-amendement n° 25.
M. Ladislas Poniatowski. Fort de ces paroles raisonnables, il est effectivement logique qu'un « financeur » soit associé à une décision, d'où la présentation de ce sous-amendement, monsieur le président.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 8 et le sous-amendement n° 25 ?
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. La rédaction du projet de loi n'interdit pas que la composition de la commission consultative soit comme le prévoit l'amendement n° 8. Sa rédaction est toutefois plus souple, car elle permet d'adapter la composition de la commission aux départements, tous ne comptant pas des associations de soutien aux gens du voyage ou des personnes qualifiées compétentes, pour y associer des représentants susceptibles de jouer un rôle positif dans l'élaboration du schéma.
Le Gouvernement est donc défavorable au sous-amendement n° 25 et à l'amendement n° 8.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 25, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.

(Le sous-amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix, ainsi modifié, l'amendement n° 8, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements présentés par M. Delevoye, au nom de la commission.
L'amendement n° 9 tend à rédiger comme suit le V de l'article 1er :
« V. - En région d'Ile-de-France, une commission régionale composée des représentants de l'Etat dans les départements, du président du conseil régional et des présidents de conseils généraux, ou de leurs représentants, assure, le cas échéant, la coordination des travaux d'élaboration des schémas départementaux ainsi que la cohérence de leur contenu et de leurs dates de publication. Elle se réunit sur l'initiative du représentant de l'Etat dans la région, sur la demande de l'un de ses membres ou d'une commission consultative départementale.
« Les propositions de la commission régionale sont soumises pour avis aux commissions consultatives départementales concernées. »
L'amendement n° 10 vise à rétablir le VI de l'article 1er dans la rédaction suivante :
« VI. - Hors la région d'Ile-de-France, une commission interdépartementale composée des représentants de l'Etat dans les départements et des présidents de conseils généraux concernés, ou de leurs représentants, assure, le cas échéant, la coordination des travaux d'élaboration des schémas départementaux de départements limitrophes ainsi que la cohérence de leur contenu et de leurs dates de publication. Elle se réunit sur la demande de l'un de ses membres ou d'une commission consultative départementale.
« Les propositions de la commission interdépartementale sont soumises pour avis aux commissions consultatives départementales concernées. »
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre ces deux amendements.
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. Nous souhaitons une approche spécifique pour la région d'Ile-de-France. En effet, certains départements de cette région sont tellement urbanisés qu'ils n'ont aucune possibilité d'accueil ; pour d'autres, nous souhaitons pouvoir dépasser les limites régionales pour instituer des commissions interdépartementales, afin d'aboutir à la meilleure articulation possible entre les schémas et à rationaliser les coûts et les politiques d'accompagnement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 9 et 10 ?
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement n'est pas du tout opposé à une coordination régionale si elle est limitée à la région d'Ile-de-France, comme le prévoyait le projet de loi initial. Cette coordination se justifie en particulier par le fait qu'il existe un fort transit des gens du voyage sur le territoire de cette région.
Toutefois, le Gouvernement ne peut accepter, dans la dernière phrase du premier paragraphe de chacun des amendements, le fait que la commission régionale puisse se réunir sur la demande de l'un de ses membres. En outre, cette disposition est d'ordre réglementaire.
Je souhaite donc que M. le rapporteur accepte de rectifier ses deux amendements en ce sens. Sous cette réserve, le Gouvernement est favorable à l'amendement n° 9, mais il est défavorable à l'amendement n° 10, car il ne vise pas la région d'Ile-de-France.
M. le président. Monsieur le rapporteur, acceptez-vous de rectifier vos amendements dans le sens proposé par M. le secrétaire d'Etat ?
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. Il s'agit effectivement d'une disposition d'ordre réglementaire ; je me range donc à l'avis de M. le secrétaire d'Etat et je rectifie ces deux amendements.
M. le président. Je suis donc saisi, par M. Delevoye, au nom de la commission, des amendements n° 9 rectifié et 10 rectifié.
L'amendement n° 9 rectifié tend à rédiger comme suit le V de l'article 1er :
« V. - En région d'Ile-de-France, une commission régionale composée des représentants de l'Etat dans les départements, du président du conseil régional et des présidents de conseils généraux, ou de leurs représentants, assure, le cas échéant, la coordination des travaux d'élaboration des schémas départementaux ainsi que la cohérence de leur contenu et de leurs dates de publication.
« Les propositions de la commission régionale sont soumises pour avis aux commissions consultatives départementales concernées. »
L'amendement n° 10 rectifié a pour objet de rétablir le VI de l'article 1er dans la rédaction suivante :
« VI. - Hors la région d'Ile-de-France, une commission interdépartementale composée des représentants de l'Etat dans les départements et des présidents de conseils généraux concernés, ou de leurs représentants, assure, le cas échéant, la coordination des travaux d'élaboration des schémas départementaux de départements limitrophes ainsi que la cohérence de leur contenu et de leurs dates de publication.
« Les propositions de la commission interdépartementale sont soumises pour avis aux commissions consultatives départementales concernées. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 9 rectifié, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 10 rectifié.
M. Jean-Claude Peyronnet. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet. Même si cela me fait beaucoup de peine, je ne suivrai pas M. le secrétaire d'Etat.
J'ai déjà expliqué combien il était difficile, dans certaines régions, d'instaurer une concertation. Dans de très nombreux cas, il me semble que la concertation interdépartementale est plus importante que la concertation régionale. C'est pourquoi je voterai l'amendement n° 10 rectifié de la commission de la loi.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 10 rectifié, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er, modifié.

(L'article 1er est adopté.)

Article 1er bis



M. le président.
L'article 1er bis a été supprimé par l'Assemblée nationale.
Mais, par amendement n° 11, M. Delevoye, au nom de la commission propose de le rétablir dans la rédaction suivante :
« Il est inséré dans le chapitre V du titre Ier du livre II de la deuxième partie du code général des collectivités territoriales un article L. 2215-1-1 ainsi rédigé :
« Art. - L. 2215-1-1. - Dans le cadre des pouvoirs qui lui sont reconnus par l'article L. 2215-1, le représentant de l'Etat dans le département veille à la mise en oeuvre des orientations fixées par le schéma national prévu par la loi n° du relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. Il s'agit simplement de rétablir le rôle de l'Etat dans le schéma national.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Dans la mesure où le Gouvernement n'était pas favorable au schéma national, il lui est difficile d'être favorable aux conséquences qui en sont tirées.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 11, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 1er bis, est rétabli dans cette rédaction.

Article 2



M. le président.
« Art. 2. - I. - Les communes figurant au schéma départemental en application des dispositions des II et III de l'article 1er sont tenues, dans un délai de deux ans suivant la publication de ce schéma, de participer à sa mise en oeuvre en mettant à la disposition des gens du voyage une ou plusieurs aires d'accueil, aménagées et entretenues. Elles peuvent également transférer cette compétence à un établissement public de coopération intercommunale chargé de mettre en oeuvre les dispositions du schéma départemental ou contribuer financièrement à l'aménagement et à l'entretien de ces aires d'accueil dans le cadre de conventions intercommunales. »
« I bis. - Supprimé. »
« II. - Non modifié. »
Par amendement n° 12, M. Delevoye, au nom de la commission, propose de remplacer la première phrase du I de cet article par deux phrases ainsi rédigées :
« Les communes et leurs groupements concourent à la mise en oeuvre du schéma départemental par la réservation, en fonction des orientations fixées par celui-ci, de terrains aménagés et entretenus en vue du passage et du séjour des gens du voyage. A cet fin, dans un délai de deux ans à compter de la publication du schéma départemental, les communes mettent à la disposition des gens du voyage les aires d'accueil aménagées et entretenues, prévues par ce dernier. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. Il s'agit de rétablir la rédaction adoptée par le Sénat en première lecture, qui précise les obligations des communes, quelle que soit leur taille, en vue de la mise en oeuvre des prescriptions du schéma départemental.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Défavorable, comme précédemment.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 12, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Par amendement n° 13, M. Delevoye, au nom de la commission, propose de rétablir le I bis de l'article 2 dans la rédaction suivante :
« I bis . - Sur la demande de la commune concernée, le délai mentionné au I peut être prolongé par le représentant de l'Etat dans le département, après avis de la commission consultative départementale, lorsque la réalisation de l'aire dans ce délai se heurte à des difficultés techniques ou de procédure dûment constatées. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. La commission a prévu un délai de deux ans pour la réalisation du schéma départemental. Or, certains de nos collègues nous ont indiqué que ce délai pouvait quelquefois, en raison soit de contentieux juridiques, soit de difficultés techniques, ne pas être suffisant.
Nous souhaitons donc introduire un peu de souplesse dans le dispositif en accordant un délai supplémentaire. Il s'agit non pas d'une échappatoire, mais d'une prise en compte des réalités du terrain.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement estime que des difficultés de ce type peuvent être traitées sans que se soit spécifiquement prévu par la loi. Il est donc défavorable à cet amendement.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 13.
M. Jean-Claude Peyronnet. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet. Le cas de force majeure est toujours pris en compte par les préfets (M. le secrétaire d'Etat approuve), qui pourront donc prendre une décision en fonction des circonstances.
En revanche, la disposition proposée peut représenter un procédé dilatoire visant à retarder la mise en oeuvre du schéma départemental. Par conséquent, nous voterons contre cet amendement.
M. le pésident. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 13, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 2, modifié.

(L'article 2 est adopté.)

Article 3



M. le président.
« Art. 3. - I. - Si, à l'expiration d'un délai de deux ans suivant la publication du schéma départemental et après mise en demeure par le préfet restée sans effet dans les trois mois suivants, une commune ou un établissement public de coopération intercommunale n'a pas rempli les obligations mises à sa charge par le schéma départemental, l'Etat peut acquérir les terrains nécessaires, réaliser les travaux d'aménagement et gérer les aires d'accueil au nom et pour le compte de la commune ou de l'établissement public défaillant.
« Les dépenses d'acquisition, d'aménagement et de fonctionnement de ces aires constituent des dépenses obligatoires pour les communes ou les établissements publics qui, selon le schéma départemental, doivent en assumer les charges. Les communes ou les établissements publics deviennent de plein droit propriétaires des aires ainsi aménagées, à dater de l'achèvement de ces aménagements.
« II. - Le 31° de l'article L. 2321-2 du code général des collectivités territoriales est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :
« 31° Les dépenses occasionnées par l'application des dispositions des articles 2 et 3 de la loi n° du relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage ;
« 32° L'acquittement des dettes exigibles. »
Je suis saisi de deux amendements présentés par M. Delevoye, au nom de la commission.
L'amendement n° 14 tend à supprimer le I de l'article 3.
L'amendement n° 15 vise, dans le premier alinéa du texte proposé par le II de cet article pour remplacer le 31° de l'article L. 2321-2 du code général des collectivités territoriales, à remplacer les mots : « des articles 2 et 3 » par les mots : « de l'article 2 ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. Dans la logique de la position de la commission des lois, l'amendement n° 14 prévoit la suppression du pouvoir de substitution reconnu au représentant de l'Etat.
Quant à l'amendement n° 15, c'est un amendement de coordination.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 14 et 15 ?
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Je l'ai déjà dit dans la discussion générale, le Gouvernement n'est pas favorable à ce que puisse exister une possibilité d'application de la loi « à la carte », à la libre appréciation des communes. Il a besoin de cette disposition en tant que recours ultime ; il espère bien ne pas avoir à en faire usage, mais il croit à la nécessité qu'elle figure dans la loi.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 14, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 15, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 3, modifié.

(L'article 3 est adopté.)

Article 4



M. le président.
« Art. 4. - L'Etat prend en charge les investissements nécessaires à l'aménagement et à la réhabilitation des aires prévues au premier alinéa du II de l'article 1er, dans la proportion de 70 % des dépenses engagées dans le délai fixé à l'article 2, dans la limite d'un plafond fixé par décret.
« La région, le département et les caisses d'allocations familiales peuvent accorder des subventions complémentaires pour la réalisation de ces aires d'accueil. »
Par amendement n° 16, M. Delevoye, au nom de la commission, propose, dans le premier alinéa de cet article, après les mots : « de l'article 1er, », d'insérer les mots : « ainsi que la réparation de dommages éventuels, ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. Nous avons salué l'effort du Gouvernement en matière d'incitation financière et de participation à l'investissement. Mais, à la demande de M. Lassourd, qui a souhaité que puisse être intégrée, dans les travaux pris en charge par l'Etat, la réparation des dommages éventuels causés aux aires d'accueil, la commission a déposé le présent amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Le projet de loi prévoit que les aides de l'Etat iront également à la réhabilitation des aires d'accueil, et les dispositifs d'aide à la gestion qui sont mis en place, s'il en est fait bon usage, permettront de rendre moins fréquents les dommages éventuels.
M. Ladislas Poniatowski. C'est une vision optimiste !
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement prend l'engagement de résoudre ce problème par voie réglementaire, de telle sorte que l'aide de l'Etat n'intervienne qu'après appréciation de la situation. Ainsi, les dommages qui ne seront pas liés à un défaut de bonne maintenance et de bonne gestion pourront être pris en compte. Mais gardons-nous de tout systématisme afin de conserver au projet de loi un pouvoir d'incitation à la bonne maintenance et à la bonne gestion.
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. J'apprécie toujours chez M. le secrétaire d'Etat...
M. Ladislas Poniatowski. Son optimisme. (Sourires.)
M. le président. ... son optimisme, en effet. C'est sans doute la raison de sa belle longévité parlementaire et ministérielle, dont nous le félicitons. (Nouveaux sourires.)
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. Absolument ! Et c'est probablement son implantation locale qui l'aide à régler son pas pour cheminer vers les sommets qu'il entend gravir.
Pour notre part, monsieur le secrétaire d'Etat, nous estimons que le partenariat ne peut pas concerner uniquement les investissements. La pérennisation des aires d'accueil mérite un accompagnement de l'Etat, et donc une participation de l'Etat à la réparation des dommages éventuels.
Cela me semble nécessaire pour que la lassitude que vous évoquiez ne se transforme pas en découragement ou en abandon.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 16.
M. Patrick Lassourd. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Lassourd.
M. Patrick Lassourd. Je voterai bien entendu cet amendement que j'avais proposé en première lecture.
Monsieur le secrétaire d'Etat, il y a la réhabilitation et la réparation de dommages éventuels.
La réhabilitation s'entend pour des aires d'accueil atteintes d'obsolescence, qu'il faut bien entendu réaménager. Dans ce cas, il s'agit d'un investissement. Mais le présent amendement traite de la réparation des dommages intervenus sur les aires d'accueil équipées.
Tous les maires savent...
M. Nicolas About. C'est la réalité du terrain !
M. Patrick Lassourd. ... que, régulièrement, des dégradations extrêmement importantes sont effectuées sur les terrains d'accueil, qui sont quelquefois complètement mis à nu et dont aucune installation, sanitaire ou autre, ne demeure.
Il me semble donc que la contractualisation proposée par le Gouvernement pour l'aménagement des aires d'accueil doive s'accompagner d'une aide aux collectivités locales, en cas de dommages extrêmement importants.
M. Nicolas About. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. About.
M. Nicolas About. L'optimisme affiché par M. le secrétaire d'Etat dans ce domaine me surprend. Il sait pourtant bien, comme nous, qu'il est difficile de maintenir en état une aire d'accueil.
Tout à l'heure, monsieur le secrétaire d'Etat, vous disiez que, dans les Yvelines, il y avait cent trente-huit places. C'est parce que vous omettiez de citer les centaines de places qui ont été totalement détruites. Et je ne parle pas du gardien qui a été roué de coups et laissé pour mort sur le site !
En tout cas, je suis heureux de l'optimisme de l'Etat et du Gouvernement car je ne souhaite qu'une chose, monsieur le secrétaire d'Etat, c'est qu'après qu'aura été réalisé le plan d'équipement des aires d'accueil, qu'auront été mises en place des associations qui emploieront des gardiens, lesquels seront épaulés par une police de qualité, vous assuriez les conditions d'une bonne gestion de ces aires d'accueil, vous assuriez les rentrées d'argent nécessaires et le maintien en l'état de ces sites afin que les collectivités incapables, mais suppléées par l'Etat, aient enfin sur leur territoire des aires d'accueil entretenues, remises régulièrement en état et gérées de façon exemplaire. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Jean Chérioux. Très bien !
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Je voudrais dissiper toute ambiguïté car je ne crois pas pécher par optimisme.
Le Gouvernement propose au Parlement d'adopter un dispositif d'aide à la gestion des aires d'accueil qui impliquera les finances publiques d'une manière permanente. Je rappelle qu'à 10 000 francs par place - c'est la somme envisagée - une aire d'accueil de trente places représentera une aide annuelle d'un montant de 300 000 francs. La mobilisation d'une telle somme justifie que soient bien sûr responsabilisés ceux qui auront la charge du gardiennage et de la maintenance de ces aires. Ce que je ne veux pas, c'est que, dès maintenant, on considère qu'il pourra y avoir des négligences et qu'en tout état de cause l'Etat paiera.
Si cette interprétation prévalait, je serais obligé d'invoquer l'article 40 de la Constitution. Sinon, convenez qu'il ne peut s'agir que de dommages ne mettant pas en cause la gestion de l'association qui aura été chargée du gardiennage et de la maintenance. Ce n'est que dans le cas où la responsabilité du gestionnaire ne pourra être prise en défaut que l'Etat pourra être amené à intervenir en réparation. C'est ce que nous affirmerons par la voie réglementaire. Je souhaitais que ce soit clairement précisé devant la Haute Assemblée, monsieur le président.
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. Monsieur le secrétaire d'Etat, je comprends votre réflexion, tout en ne partageant pas votre conclusion.
J'aurais peut-être une proposition à vous faire.
Puisqu'il y aura un schéma départemental, nous souhaitons pouvoir réparer les aires d'accueil qui seront détruites de manière à conserver la même capacité d'accueil. Or, vous vous montrez réservé par rapport à cette volonté.
Pourquoi ne pourrions-nous pas conclure un contrat au terme duquel, après un bilan annuel, l'aide de l'Etat serait mobilisée lorsque les dégradations intervenues ne pourraient être imputées uniquement à la commune ? A ce moment-là, il faut imaginer un financement supra-communal, car si les communes n'ont pas l'assurance de bénéficier d'une mutualisation pour la réparation des aires d'accueil, elles ne s'engageront pas.
Vous savez très bien ce qui se passe en matière de réhabilitation dans les quartiers en difficulté - c'est un peu votre matière de prédilection. Les urbanistes et les architectes disent que plus on répare rapidement les dégradations, plus on arrête vite le processus de dégradation.
Si des aires d'accueil de qualité et bien situées sont dégradées, que faut-il faire ? Faut-il porter plainte à l'encontre de ceux et celles qui ont commis ces dégradations, au risque de créer des tensions entre les communautés tziganes ? Faut-il engager des procédures pour obtenir réparation et ne pas remédier immédiatement aux dégradations ? Mais, en ce cas, les gens du voyage qui viendront ultérieurement seront victimes des membres de leur communauté qui n'auront pas respecté les investissements.
Il serait préférable que la commission consultative puisse, dans des situations d'urgence, constater les dégâts et les réparations nécessaires pour que l'on puisse mobiliser des fonds d'Etat. Il faudrait introduire dans le texte cet esprit, qui est peut-être difficile à traduire. En tout cas, on ne peut pas se contenter d'une politique ponctuelle. Il faut développer un partenariat, que je souhaite efficace.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 16.
M. Ladislas Poniatowski. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Poniatowski.
M. Ladislas Poniatowski. Cet amendement peut sembler modeste, mais il est en fait important.
Monsieur le secrétaire d'Etat, tout au long de la discussion vous avez évoqué les bons élèves, c'est-à-dire les communes qui possédaient déjà sur leur territoire des aires d'accueil. Or, l'amendement dont nous discutons a le mérite d'adresser un message à ces communes. Il faut savoir que les meilleurs avocats pour s'opposer à votre projet sont justement ces bons élèves, ceux qui subissent des dégâts depuis des mois, voire des années. Si vous voulez que de nouvelles communes jouent le jeu et que votre loi soit bien appliquée demain, il faut répondre à ceux qui se plaignent.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous êtes un élu local, certes, mais vous êtes un mauvais exemple, car vous êtes maire d'une grande ville. Or, comme il n'y a plus de terrain disponible dans les grandes villes pour y installer des aires d'accueil, ce sont les villes moyennes et petites qui seront sollicitées.
Si vous voulez que les élus de ces communes appliquent le schéma départemental, vous devez leur adresser un message leur laissant entendre que l'Etat sera à leur côté, y compris lorsque seront commis d'éventuels dommages.
M. Patrick Lassourd. Absolument !
M. Ladislas Poniatowski. C'est la raison pour laquelle je voterai l'amendement n° 16.
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Je voudrais simplement faire écho à l'intervention de M. le rapporteur.
Le Gouvernement n'est absolument pas opposé à ce que la commission consultative départementale traite le problème. Ce qui le gêne, dans l'amendement, c'est le systématisme de l'intervention, qui pourrait couvrir des cas de négligence.
Le Gouvernement souhaite, si des dégâts sont commis, d'abord que les réparations soient effectuées d'urgence, faute de quoi les dégradations ne feraient que s'amplifier, ensuite que les procédures contre d'éventuels responsables soient engagées, car il n'est pas question de laisser l'impunité prévaloir.
Dans la mesure où le texte prévoit la possibilité d'intervention de fonds d'Etat pour des réhabilitations, la commission consultative départementale pourrait utilement clarifier les cas où cette intervention jouerait.
Telle est l'interprétation que le Gouvernement souhaite donner de l'amendement proposé. C'est la raison pour laquelle il n'a pas invoqué l'article 40, bien qu'il l'eût pu.
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. Monsieur le ministre, nous partageons votre analyse selon laquelle cet amendement tend non à exonérer les négligeants, mais, comme le disait M. Poniatowski, à rassurer les volontaires.
M. Patrick Lassourd. Très bien !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 16, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Par amendement n° 27, MM. Carle, Humbert et les membres du groupe des Républicains et Indépendants proposent, à la fin du premier alinéa de l'article 4, de supprimer les mots : « , dans la limite d'un plafond fixé par décret ».
La parole est à M. About.
M. Nicolas About. Les auteurs de cet amendement souhaitent supprimer la référence à un plafond de dépenses déterminé par voie réglementaire, afin que soit pris en compte le fait que les coûts de réalisation d'aires d'accueil ne sont pas nécessairement les mêmes partout, en région parisienne et en province, par exemple.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Sur cet amendement, je suis malheureusement obligé d'invoquer l'article 40.
M. Nicolas About. Bien sûr !
M. le président. Monsieur Massion, l'article 40 de la Constitution est-il applicable ?
M. Marc Massion, au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Il l'est, monsieur le président.
M. Nicolas About. Nous aurions pu gager cet amendement avec une taxe sur les roulottes et les Mercedes ! (Sourires.)
M. le président. L'article 40 étant applicable, l'amendement n° 16 n'est pas recevable.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 4, modifié.

(L'article 4 est adopté.)

Article 5



M. le président.
« Art. 5. - I et II. - Non modifiés.
« III. - L'article L. 851-1 du même code est complété par un II ainsi rédigé :
« II. - Une aide forfaitaire est versée aux communes ou aux établissements publics de coopération intercommunale qui gèrent une ou plusieurs aires d'accueil de gens du voyage. Elle est également versée aux personnes morales qui gèrent une aire en application d'une convention prévue au II de l'article 2 de la loi n° du relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage.
« Une convention passée avec l'Etat fixe, compte tenu de la capacité effective des aires d'accueil, le montant prévisionnel de l'aide versée annuellement à ces gestionnaires. Cette convention détermine les modalités de calcul du droit d'usage perçu par les gestionnaires des aires d'accueil et définit les conditions de leur gardiennage. »
« IV et V. - Non modifiés. »
Par amendement n° 17, M. Delevoye, au nom de la commission, propose, dans la seconde phrase du second alinéa du texte présenté par le III de cet article pour le II de l'article L. 851-1 du code de la sécurité sociale, de remplacer les mots : « du droit d'usage perçu » par les mots : « de la redevance perçue ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. Cet amendement de précision tend à faire en sorte que le service rendu puisse être analysé comme une redevance permettant la délégation de service public.
On nous a opposé que cela était incompatible avec le versement de subventions. Nous ne partageons pas du tout cette analyse, qui ne vaut que pour des services à caractère industriel et commercial, un certain nombre d'autres services publics pouvant recevoir des subventions tout en percevant des redevances.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement s'en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.
M. le président. Personne ne demande la parole ?
Je mets aux voix l'amendement n° 17, sur lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Par amendement n° 18, M. Delevoye, au nom de la commission, propose :
A. - De compléter in fine le texte présenté par le III de l'article 5 pour le II de l'article L. 851-1 du code de la sécurité sociale, par un alinéa ainsi rédigé :
« L'aide mentionnée au premier alinéa ne peut être inférieure à 15 000 F pour place de résidence mobile. »
B. - En conséquence, après le III de cet article, d'insérer un paragraphe additionnel ainsi rédigé :
« ... La perte de recettes pour l'Etat résultant de la fixation du minimum de l'aide forfaitaire par place de résidence mobile à 15 000 F prévue à l'article L. 851-1 du code de la sécurité sociale est compensée, à due concurrence, par une majoration des droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. En première lecture, le Gouvernement avait invoqué l'article 40 contre cet amendement, mais nous souhaitons attirer son attention sur l'esprit qui a animé la commission des lois.
Nous estimons que la solution proposée à l'article 7, qui consiste à majorer la population d'un habitant par résidence secondaire et d'un habitant par place de caravane pour le calcul de la DGF a quelque chose, pardonnez-moi, d'un peu ridicule. Quant à la proposition de l'Assemblée nationale, qui consiste à porter la majoration à deux habitants par place de caravane pour les communes éligibles à la DSU et à la fraction bourg-centre de la DSR, elle complique encore un dispositif déjà extrêmement complexe.
En réalité, si l'on prodigue cette aide dans le cadre de l'enveloppe de la DGF, cela veut simplement dire que certaines collectivités paieront pour d'autres.
Nous souhaitons soutenir M. le secrétaire d'Etat dans ses négociations avec le ministère des finances pour que, dans l'incitation partenariale qu'il évoque et à laquelle nous souscrivons, l'aide forfaitaire soit supérieure à 10 000 francs. Pour notre part, nous proposons 15 000 francs mais, bien entendu, la discussion reste ouverte.
Nous préférerions donc que l'aide forfaitaire soit purement et simplement augmentée de manière à éviter qu'il soit recouru au dispositif très compliqué de la DGF. Cela étant, si M. le secrétaire d'Etat invoquait l'article 40 contre le présent amendement, nous serions amenés, à l'article 7, à reprendre un amendement qui avait été présenté en première lecture par notre collègue M. Peyronnet et qui tendait à porter, pour le calcul de la DGF, la majoration de population à quatre habitants par place de caravane.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement n'a pas pris l'engagement de porter son aide de 10 000 à 15 000 francs par place de résidence mobile.
Il s'agit là d'une aide annuelle et répétitive apportée au fonctionnement. Par conséquent, le Gouvernement ne peut qu'invoquer l'article 40, étant entendu que le gage est irrecevable, puisqu'il s'agit non de compenser une perte de recettes mais de financer des dépenses supplémentaires.
M. le président. Monsieur Massion, l'article 40 de la Constitution est-il applicable ?
M. Marc Massion, au nom de la commission des finances. Il l'est, monsieur le président.
M. le président. L'article 40 étant applicable, l'amendement n° 18 n'est pas recevable.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix, l'article 5, modifié.

(L'article 5 est adopté.)

3

SOUHAITS DE BIENVENUE
À M. LE MINISTRE DE LA DÉFENSE
DE LA RÉPUBLIQUE D'ESTONIE

M. le président. Mes chers collègues, il m'est particulièrement agréable de saluer la présence, dans notre tribune officielle, de M. Juri Luik, ministre de la défense de la République d'Estonie. (M. le secrétaire d'Etat ainsi que Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.)
M. Luik est présent en France afin de mener des discussions sur l'Europe de la défense, les perspectives d'adhésion de l'Estonie à l'OTAN et notre coopération bilatérale.
Il a été invité au Palais du Luxembourg par nos collègues M. le questeur Claude Huriet, président du groupe d'amitié France-Pays baltes, M. André Boyer, président délégué pour l'Estonie, et M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
La présence de M. Luik parmi nous témoigne une fois encore des liens étroits noués entre notre assemblée et les dirigeants des républiques baltes dès les premières heures de leur indépendance retrouvée.
Je forme des voeux pour l'heureux déroulement de son séjour et lui adresse, en votre nom à tous, le salut du Sénat de la République française. (Applaudissements.)

4

GENS DU VOYAGE

Suite de la discussion et adoption d'un projet de loi
en deuxième lecture

M. le président. Nous reprenons la discussion en deuxième lecture du projet de loi relatif à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage.
Dans l'examen des articles, nous en sommes parvenus à l'article 6.

Article 6



M. le président.
« Art. 6. - I. - Non modifié. »
« II. - Des conventions passées entre le gestionnaire d'une aire d'accueil et le département déterminent les conditions dans lesquelles celui-ci participe aux dépenses de frais de fonctionnement des aires d'accueil prévues au schéma départemental, sans que cette participation puisse excéder le quart des dépenses correspondantes. » - ( Adopté. )

Article 7



M. le président.
« Art. 7. - Le deuxième alinéa de l'article L. 2334-2 du code général des collectivités territoriales est ainsi rédigé :
« Cette population est la population totale majorée, sauf disposition particulière, d'un habitant par résidence secondaire et d'un habitant par place de caravane située sur une aire d'accueil des gens du voyage satisfaisant aux conditions de la convention de l'article L. 851-1 du code de la sécurité sociale et aux normes techniques en vigueur, fixées par un décret en Conseil d'Etat. La majoration de population est portée à deux habitants par place de caravane pour les communes éligibles l'année précédente à la dotation de solidarité urbaine prévue à l'article L. 2334-15 ou à la première fraction de la dotation de solidarité rurale prévue à l'article L. 2334-21. »
Par amendement n° 19, M. Delevoye, au nom de la commission, propose de supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. Le Gouvernement ayant opposé l'article 40 sur l'augmentation de la dotation forfaitaire, nous rectifions cet amendement en reprenant celui qu'avait précédemment déposé notre collègue M. Peyronnet.
M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 19 rectifié, présenté par M. Delevoye, au nom de la commission, et tendant :
I. - Après les mots : « d'un habitant par résidence secondaire », à rédiger comme suit la fin du texte proposé par l'article 7 pour le deuxième alinéa de l'article L. 2334-2 du code général des collectivités territoriales : « et de quatre habitants par place de caravane située sur un aire d'accueil des gens du voyage satisfaisant aux conditions de la convention de l'article L. 851-1 du code de la sécurité sociale et aux normes techniques en vigueur, fixées par un décret en Conseil d'Etat. »
II. - De compléter l'article 7 par un paragraphe II ainsi rédigé :
« La perte de recettes résultant pour l'Etat de la majoration de la population prise en compte pour le calcul de la dotation globale de fonctionnement est compensée à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. Je m'en suis déjà expliqué : cet amendement vise à porter la majoration, pour le calcul de la DGF, à quatre habitants par place de caravane.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Défavorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 19 rectifié, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 7, ainsi modifié.

(L'article 7 est adopté.)

Article 8



M. le président.
« Art. 8. - Le code de l'urbanisme est ainsi modifié :
« 1° Au 2° de l'article L. 111-1-2, après les mots : "Les constructions et installations nécessaires à des équipements collectifs, ", sont insérés les mots : "à la réalisation d'aires d'accueil ou de terrains de passage des gens du voyage, " ;
« 2° Au premier alinéa de l'article L. 121-10, après les mots : "la satisfaction des besoins présents et futurs en matière d'habitat", sont ajoutés les mots : ", y compris ceux des gens du voyage" ;
« 3° Le chapitre III du titre IV du livre IV est complété par un article L. 443-3 ainsi rédigé :
« Art. L. 443-3 . - Des terrains bâtis ou non bâtis peuvent être aménagés afin de permettre l'installation de caravanes constituant l'habitat permanent de leurs utilisateurs. L'autorisation d'aménagement est délivrée dans les formes, conditions et délais définis par le décret en Conseil d'Etat mentionné à l'article L. 443-1. »
« 2° Lorsqu'elles disposent d'une autorisation délivrée sur le fondement de l'article L. 443-1 du code de l'urbanisme ;
« 3° Lorsqu'elles stationnent sur un terrain aménagé dans les conditions prévues à l'article L. 443-3 du code de l'urbanisme. »
Par amendement n° 20, M. Delevoye, au nom de la commission, propose de rédiger comme suit le début du texte présenté par le 3° de cet article pour l'article L. 443-3 du code de l'urbanisme :
« Dans les zones constructibles, des terrains peuvent être aménagés... »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. Cet amendement vise à préciser que l'aménagement des terrains familiaux ne peut se concevoir que dans des zones constructibles et doit donc être compatible avec les documents d'urbanisme.
M. le président. Des documents qui sont d'ailleurs de plus en plus compliqués !
Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 20 ?
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Monsieur le président, la Haute Assemblée sera bientôt saisie de dispositions qui, je l'espère, apporteront des simplifications, au moins sur le plan des procédures, aux documents en question.
S'agissant de l'amendement n° 20, le Gouvernement ne croit pas cette précision nécessaire. En effet, l'autorisation d'aménagement prévue à l'article L. 443-3 du code de l'urbanisme devra évidemment tenir compte des règles d'urbanisme, notamment en matière de constructibilité.
Cet amendement paraît donc superfétatoire et j'émets un avis défavorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 20, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 8, ainsi modifié.

(L'article 8 est adopté.)

Article 9



M. le président.
« Art. 9. - I. - Dès lors qu'une commune respecte les obligations qui lui incombent en application du schéma départemental prévu à l'article 1er de la présente loi, son maire ou, à Paris, le préfet de police, peut, par arrêté, interdire en dehors des aires d'accueil aménagées le stationnement sur le territoire de la commune des résidences mobiles mentionnées au même article. Ces dispositions sont également applicables aux communes non inscrites au schéma départemental mais dotées d'une aire d'accueil, ainsi qu'à celles qui décident, sans y être tenues, de contribuer au financement d'une telle aire.
« II. - En cas de stationnement effectué en violation de l'arrêté prévu au I, y compris sur le domaine public, le maire peut, par voie d'assignation délivrée aux occupants et, le cas échéant, au propriétaire du terrain ou au titulaire d'un droit réel d'usage, saisir le président du tribunal de grande instance aux fins de faire ordonner l'évacuation forcée des résidences mobiles.
« Sauf dans le cas où le terrain appartient à la commune, le maire ne peut agir que si le stationnement est de nature à porter atteinte à la salubrité, la sécurité, la tranquillité publiques, ou la continuité des services publics.
« Le juge peut, en outre, prescrire aux occupants, le cas échéant sous astreinte, de rejoindre l'aire de stationnement aménagée en application de la présente loi à défaut de quitter le territoire communal et ordonner l'expulsion de tout terrain qui serait occupé en violation de cette injonction.
« Le juge statue en la forme des référés. Sa décision est exécutoire à titre provisoire. En cas de nécessité, il peut ordonner que l'exécution aura lieu au seul vu de la minute. Si le cas requiert célérité, il fait application des dispositions du second alinéa de l'article 485 du nouveau code de procédure civile.
« III. - Les dispositions du I et du II ci-dessus ne sont pas applicables au stationnement des résidences mobiles appartenant aux personnes mentionnées à l'article 1er de la présente loi :
« 1° Lorsque ces personnes sont propriétaires du terrain sur lequel elles stationnent ;
« 2° Lorsqu'elles disposent d'une autorisation délivrée sur le fondement de l'article L. 443-1 du code de l'urbanisme ;
« 3° Lorsqu'elles stationnent sur un terrain aménagé dans les conditions prévues à l'article L. 443-3 du code de l'urbanisme. »
Sur cet article, je suis saisi de quatre amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 29, le Gouvernement propose de rédiger comme suit cet article :
« I. - Dès lors qu'une commune respecte les obligations qui lui incombent en application du schéma départemental prévu à l'article 1er de la présente loi, son maire ou, à Paris, le préfet de police peut, par arrêté, interdire en dehors des aires d'accueil aménagées le stationnement sur le territoire de la commune des résidences mobiles mentionnées à l'article 1er. Ces dispositions sont également applicables aux communes non inscrites au schéma départemental mais dotées d'une aire d'accueil, ainsi qu'à celles qui décident, sans y être tenues, de contribuer au financement d'une telle aire.
« II. - En cas de stationnement effectué en violation de l'arrêté prévu au I ci-dessus sur un terrain n'appartenant pas au domaine public, le maire peut, par voie d'assignation délivrée aux occupants ainsi qu'au propriétaire du terrain ou au titulaire d'un droit réel d'usage, saisir le président du tribunal de grande instance pour voir ordonner l'évacuation forcée des résidences mobiles.
« Sauf dans le cas où le terrain appartient à la commune, le maire ne peut agir que si le stationnement est de nature à porter atteinte à la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques.
« Le juge peut, en outre, prescrire aux occupants, le cas échéant sous astreinte, de rejoindre l'aire de stationnement aménagée en application de la présente loi, à défaut de quitter le territoire communal et ordonner l'expulsion de tout terrain qui serait occupé en violation de cette injonction. Le juge statue en la forme des référés. Sa décision est exécutoire à titre provisoire. En cas de nécessité, il peut ordonner que l'exécution aura lieu au seul vu de la minute. Si le cas requiert célérité, il fait application des dispositions du second alinéa de l'article 485 du nouveau code de procédure civile.
« III. - En cas de stationnement effectué en violation de l'arrêté prévu au I ci-dessus sur un terrain appartenant au domaine public, le juge administratif peut prescrire aux occupants, le cas échéant sous astreinte, de rejoindre l'aire de stationnement aménagée en application de la présente loi, à défaut de quitter le territoire communal et ordonner l'expulsion de tout terrain qui serait occupé en violation de cette injonction. Le juge statue en la forme des référés.
« IV. - Les dispositions du I et du II ci-dessus ne sont pas applicables au stationnement des résidences mobiles appartenant aux personnes mentionnées à l'article 1er de la présente loi :
« 1° Lorsque ces personnes sont propriétaires du terrain sur lequel elles stationnent ;
« 2° Lorsqu'elles disposent d'une autorisation délivrée sur le fondement de l'article L. 443-1 du code de l'urbanisme ;
« 3° Lorsqu'elles stationnent sur un terrain aménagé dans les conditions prévues à l'article L. 443-3 du code de l'urbanisme. »
Par amendement n° 21, M. Delevoye, au nom de la commission, propose de rédiger comme suit le I de l'article 9.
« I. - La section I du chapitre III du titre Ier du livre II de la deuxième partie du code général des collectivités territoriales est complétée par un article L. 2213-6-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 2213-6-1 - Dès qu'une commune respecte l'obligation qui lui incombe en application du schéma départemental, prévu à l'article 1er de la loi n° du relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage, de réaliser une aire d'accueil, le maire ou, à Paris, le préfet de police, peut, par arrêté, interdire le stationnement sur le territoire de la commune, en dehors des aires d'accueil aménagées, des résidences mobiles mentionnées au même article.
« Les dispositions de l'alinéa précédent sont applicables aux communes non inscrites au schéma départemental mais dotées d'une aire d'accueil, ainsi qu'à celles qui décident, sans y être tenues, de contribuer au financement d'une telle aire.
« Elles ne sont pas applicables au stationnement des résidences mobiles appartenant à des gens du voyage lorsque ceux-ci sont propriétaires du terrain sur lequel elles stationnent, lorsqu'ils disposent d'une autorisation délivrée sur le fondement de l'article L. 443-1 du code de l'urbanisme ou qu'ils stationnent sur un terrain aménagé dans les conditions prévues à l'article L. 443-3 dudit code. »
Par amendement n° 22, M. Delevoye, au nom de la commission, propose de rédiger comme suit le II de l'article 9 :
« II. - La section I du chapitre III du titre 1er du livre II de la deuxième partie du code général des collectivités territoriales est complétée par un article L. 2213-6-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 2213-6-2. - I. - En cas de stationnement effectué en violation de l'arrêté prévu à l'article L. 2213-6-1 sur un terrain n'appartenant pas au domaine public, le maire peut, par voie d'assignation délivrée aux occupants ainsi qu'au propriétaire du terrain ou au titulaire d'un droit réel d'usage, saisir le président du tribunal de grande instance aux fins de faire ordonner l'évacuation forcée des résidences mobiles.
« Sauf dans le cas où le terrain appartient à la commune, le maire ne peut agir que si le stationnement est de nature à porter atteinte à la salubrité, à la sécurité ou à la tranquillité publiques. Toutefois, à la demande du propriétaire ou du titulaire d'un droit réel d'usage sur le terrain, le maire peut saisir le président du tribunal de grande instance aux mêmes fins, lorsque le stationnement de résidences mobiles en violation de l'arrêté prévu à l'article L. 2213-6-1 est de nature à porter atteinte à l'activité économique d'un bien à usage industriel, commercial ou professionnel, ou de la zone économique environnante.
« Le juge peut, en outre, prescrire aux occupants, le cas échéant sous astreinte, de rejoindre l'aire de stationnement aménagée en application de la loi n° du relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage, à défaut de quitter le territoire communal, et ordonner l'expulsion de tout terrain qui serait occupé en violation de cette injonction. Le juge statue en la forme des référés. Sa décision est exécutoire à titre provisoire. En cas de nécessité, il peut ordonner que l'exécution aura lieu au vu de la seule minute. Si le cas requiert célérité, il fait application des dispositions du second alinéa de l'article 485 du nouveau code de procédure civile.
« II. - En cas de stationnement effectué en violation de l'arrêté prévu à l'article L. 2213-6-1 sur un terrain appartenant au domaine public, le juge administratif peut prescrire aux occupants, le cas échéant sous astreinte, de rejoindre l'aire de stationnement aménagée en application de la loi n° du relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage, à défaut de quitter le territoire communal, et ordonner l'expulsion de tout terrain qui serait occupé en violation de cette injonction. Le juge statue en la forme des référés.
« III. - Les dispositions du I ne sont pas applicables au stationnement des résidences mobiles appartenant à des gens du voyage lorsque ceux-ci sont propriétaires du terrain sur lequel elles stationnent, lorsqu'ils disposent d'une autorisation délivrée sur le fondement de l'article L. 443-I du code de l'urbanisme ou qu'ils stationnent sur un terrain aménagé dans les conditions prévues à l'article L. 443-3 dudit code. »
Par amendement n° 23, M. Delevoye, au nom de la commission, propose de supprimer le III de l'article 9.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat, pour défendre l'amendement n° 29.
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Cet amendement tend d'abord à rétablir la compétence du tribunal administratif lorsque le terrain concerné appartient au domaine public.
Il tend ensuite à préciser qu'en cas de stationnement sur un terrain n'appartenant ni au domaine public ni à la commune, le maire ne peut agir que si le stationnement est de nature à porter atteinte à la sécurité, la salubrité ou la tranquillité publiques.
Il tend enfin à maintenir la non-codification de cet article dans le code général des collectivités territoriales.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour donner l'avis de la commission sur cet amendement n° 29, puis pour présenter les amendements n°s 21, 22 et 23 ?
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. La commission est favorable au rétablissement de la compétence du tribunal administratif, mais elle émet un avis défavorable sur l'amendement n° 29.
En effet, d'abord, car elle ne partage pas la volonté du Gouvernement de ne pas faire entrer ces dispositions dans le code général des collectivités territoriales.
Ensuite, sur le fond, elle souhaite que le maire puisse prendre un arrêté d'interdiction de stationnement dès qu'il a réalisé les aires d'accueil et non quand il a respecté l'ensemble des obligations prévues par le schéma. En effet il s'agirait là d'un critère subjectif ouvrant la voie à l'interprétation.
L'amendement n° 21 tend précisément à la mise en oeuvre du critère objectif qu'est la réalisation effective d'une aire d'accueil, à l'exclusion de toute autre obligation, pour que le maire puisse interdire le stationnement en dehors des aires aménagées.
S'agissant de l'amendement n° 22, nous considérons, contrairement à l'Assemblée nationale, mais comme le Gouvernement, qu'il convient de rétablir une procédure spécifique devant le juge administratif en ce qui concerne l'occupation du domaine public. En effet, l'unification du contentieux au profit de l'autorité judiciaire n'éliminerait pas complètement, compte tenu des caractéristiques de cette procédure les problèmes de conflits de compétences entre juridictions, susceptibles d'allonger les délais.
Nous avons par ailleurs repris la préoccupation exprimée par M. About en première lecture, mais en prévoyant l'intervention préalable du juge, afin de tenir compte du cas des zones à caractère économique.
Je rappelle que la crédibilité du texte et la capacité de mobilisation des élus seront directement liées à la confiance dans la mise en oeuvre effective, par l'Etat, des sanctions relatives aux stationnements illicites.
Quant à l'amendement n° 23, il est de conséquence.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 21, 22 et 23 ?
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Dans la mesure où j'ai défendu l'amendement n° 29 et où les propositions de la commission prévoient des dispositions de rechange, le Sénat me permettra de confirmer mon attachement à la rédaction proposée par le Gouvernement et d'affirmer mon désaccord avec les amendements n°s 21, 22 et 23.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 29.
M. Nicolas About. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. About.
M. Nicolas About. Ma remarque portera à la fois sur les amendements n°s 29 et 22.
L'amendement n° 29 prévoit déjà la possibilité pour le maire de demander au juge l'expulsion, lorsque le terrain n'est pas public et si les conditions concernant la sécurité sont réunies. On pourrait donc s'en contenter.
L'amendement n° 22 prévoit des dispositions semblables, sauf que c'est à la demande du propriétaire ou du détenteur d'un titre d'usage que le maire peut intervenir.
Cependant, ni l'un ni l'autre ne me satisfont pleinement.
Le problème n'est pas tant d'obtenir une décision de justice, que de faire procéder à l'exécution forcée de celle-ci, même quand on a la minute du jugement. Les préfets savent bien que le problème rencontré un jour dans la commune A se reproduira le lendemain dans la commune B. S'ils n'accordent pas le concours de la force publique pour l'exécution forcée, c'est tout simplement pour faire en sorte que les personnes restent au moins quinze jours au même endroit et que le problème soit réglé pendant ce temps.
C'est pourquoi mon amendement donnait au préfet le pouvoir de prononcer l'expulsion et de faire exécuter la décision. Je n'ai pas satisfaction, mais je comprends bien les raisons qui m'ont été exposées. Je m'abstiendrai donc sur les deux amendements.
M. Patrick Lassourd. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Lassourd.
M. Patrick Lassourd. J'avais déposé, en première lecture, un amendement qui concernait le domaine public de l'Etat, notamment le domaine maritime. L'Assemblée nationale n'a pas retenu la proposition qui avait été votée par le Sénat au motif, semble-t-il, qu'elle n'était pas respectueuse de la Constitution.
Néanmoins, j'attire votre attention, monsieur le secrétaire d'Etat, sur la situation que nous connaissons en Bretagne et à la lisière de la Normandie, sur les herbues de la baie du Mont-Saint-Michel, c'est-à-dire sur le domaine maritime, où stationnent régulièrement des centaines et des centaines de caravanes.
Bien entendu, le préfet ne s'en occupe pas en considérant que ce problème relève de la compétence des maires des communes riveraines. Il n'en demeure pas moins que nous sommes dans une situation catastrophique, ne serait-ce que sur le plan de l'hygiène.
En effet, il s'est développé dans cette baie du Mont-Saint-Michel une économie considérable reposant sur la mytiliculture, la conchyliculture et l'oestréiculture. Je souhaite donc que l'on demande au préfet de prendre ses responsabilités.
L'amendement n° 29 ne me satisfait qu'à moitié, en raison des délais. Or, l'autorité de l'Etat doit être respectée dans une zone éminente sur les plans touristique et économique. (Applaudissements sur certaines travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Nicolas About. Sans le préfet, le dispositif ne vaut rien !
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. Je crois, monsieur le secrétaire d'Etat, que nos collègues posent un véritable problème.
La commission des lois a souhaité, au nom de la liberté d'aller et venir et du droit à la propriété, respecter l'intervention préalable du juge. Mais une décision de justice, y compris le référé heure à heure, ne donne pas la garantie de l'exécution de ladite décision.
Il faudrait que nous réfléchissions à la capacité d'injonction du représentant de l'Etat pour faire exécuter d'une façon urgente les décisions de justice. Cela doit se traduire par un véritable transfert de responsabilité de la collectivité locale sur l'Etat avec toutes les conséquences qui en découlent.
Au-delà de l'aspect technique, c'est la crédibilité de l'autorité de l'Etat, garant des libertés de chacun, qui est en cause. Laisser celle-ci se dégrader mettrait en péril la stabilité de notre système démocratique.
A partir du moment où une loi est promulguée, où les élus prennent leurs responsabilités et créent un nombre important de places de stationnement, accepter l'occupation d'un terrain par la force au mépris d'une décision de justice, reviendrait à mettre en évidence soit l'impuissance de l'Etat à faire respecter la loi - et à quoi bon alors voter des lois ? - soit la capacité d'un certain nombre de personnes à créer un rapport de force pour résister à l'application d'une décision de justice.
Non seulement ce ne serait bon ni pour la communauté tzigane, ni pour l'Etat, ni pour les élus locaux.
Il faut, monsieur le secrétaire d'Etat, avoir conscience que, si les propositions du Gouvernement et de la commission tendant à faire reconnaître rapidement par décision de justice le caractère illicite du stationnement en cas d'existences d'aires d'accueil aménagées constituent une incontestable avancée, elles ne seront suivies d'effet que si les décisions prises sont exécutées.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 29, repoussé par la commission.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 21.
M. Nicolas About. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. About.
M. Nicolas About. Je voulais revenir sur ce que vient de dire M. le rapporteur. Il est certes important qu'une décision de justice intervienne rapidement. Cependant, le référé d'heure à heure ne constitue pas un gage de rapidité, car rien n'empêche le juge de renvoyer son délibéré à quinzaine.
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. La décision doit être prise dans la journée !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission. Mon intervention rejoindra tout à fait la préoccupation que vient d'exprimer M. About.
Il est évident que la décision de justice doit être exécutée. Il ne faut pas oublier qu'au moment où l'on demande par référé l'expulsion, il est possible de demander également une mesure d'injonction assortie d'astreinte.
M. Nicolas About. Eh oui !
M. Jacques Larché, président de la commission. C'est possible, et il y a des exemples.
Je n'irai pas jusqu'à dire que les tribunaux administratifs, les cours administratives d'appel ou le Conseil d'Etat font preuve d'une audace considérable dans ce domaine. (Sourires.) Je ne dirai pas non plus qu'ils sont d'une absolue timidité. Ils sont en train de cheminer et de découvrir ce pouvoir nouveau qui est le leur.
Mais il appartient au requérant de formuler cette demande, de telle manière que le juge des référés soit obligé de statuer à la fois sur la mesure d'expulsion, sur l'injonction faite à l'autorité administrative et sur l'indemnité réclamée pour non-exécution d'une décision de justice. La non-exécution d'une décision de justice, qui relève en principe du droit commun, ouvre droit à indemnisation pour celui qui souffre précisément de cette non-exécution.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 21, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 22, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 23, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 9, modifié.


(L'article 9 est adopté.)

Article additionnel après l'article 9

M. le président. Par amendement n° 28, M. Leclerc propose, après l'article 9, d'insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article L. 431-8 du code pénal, il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art. L. ... . - Le stationnement illicite de résidences mobiles sur le territoire d'une commune hors des aires d'accueil aménagées à cet effet, est puni de six mois d'emprisonnement et de 50 000 francs d'amende. »
La parole est à M. Leclerc.
M. Dominique Leclerc. Cet amendement s'inscrit dans la continuité de la discussion que nous avons depuis quelques instants. En effet, nous sommes toujours dans le cas des communes qui auront satisfait à toutes les dispositions et obligations consécutives au texte de loi que nous étudions actuellement.
Je voudrais attirer votre attention sur un autre fait. En cas d'occupation illégale d'un terrain, qu'il soit du domaine public ou privé, nous convenons tous que le référé est la méthode la plus rapide, bien qu'elle comporte quelques inconvénients déjà évoqués.
Premier inconvénient, à partir du prononcé du référé, il faut souvent attendre la réquisition des forces de police par l'autorité préfectorale. Mais nous ne saurions ignorer que le constat d'huissier, la saisine d'un avocat qui présente la requête au juge, finissent par coûter assez cher, entre 5 000 et 10 000 francs. Lorsqu'il s'agit de terrains privés, c'est au propriétaire de prendre en charge ces frais.
Deuxième inconvénient, le référé est à usage unique. Nous assistons souvent à une rotation des occupations illégales sur un même terrain. Le propriétaire doit obtenir des référés successifs pour des populations différentes. Il ne comprend pas pourquoi il doit supporter ces frais alors qu'il est la victime.
C'est la raison pour laquelle je vous propose qu'un stationnement illégal cesse d'être une infraction civile et soit une infraction pénale. Dans cette hypothèse, vous le savez, il ne serait plus nécessaire d'obtenir un référé.
Il suffirait d'une simple plainte de la collectivité ou du propriétaire privé auprès de la gendarmerie ou de la police nationale pour permettre aux forces de l'ordre d'intervenir directement.
Mais, pour que ce dispositif soit efficace, il faut prévoir une amende importante. En cas d'accord sur le principe, j'accepterai de minorer la sanction proposée.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. La commission comprend bien la préoccupation de M. Leclerc d'inciter au respect de la règle par la lourdeur de la sanction.
Nous souhaiterions, quant à nous, une aggravation des sanctions contraventionnelles par la voie réglementaire. Nous l'avons d'ailleurs déjà demandé lors de la première lecture.
Mais eu égard au principe de la proportionnalité des peines aux infractions, la proposition de M. Leclerc nous paraît trop lourde. C'est pourquoi nous souhaitons le retrait de cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement souhaite également le retrait de cet amendement, faute de quoi il en demandera le rejet.
Cet amendement tend en effet à faire du stationnement illicite un délit, mais le principe constitutionnel de la proportionnalité des peines aux infractions paraît s'opposer à la création d'un tel délit en la matière.
En revanche, le Gouvernement a bien entendu le souhait de M. Leclerc d'aggraver la sanction à l'encontre du stationnement illicite tout en restant dans le domaine contraventionnel. C'est pourquoi il propose la création d'une contravention de quatrième classe. Cette mesure est d'ordre réglementaire. Je peux d'ores et déjà indiquer à la Haute Assemblée que le décret correspondant est en cours de préparation.
M. le président. Monsieur Leclerc, retirez-vous votre amendement pour satisfaire aux requêtes de M. le rapporteur et de M. le secrétaire d'Etat ?
M. Dominique Leclerc. J'ai bien écouté les propos de M. le secrétaire d'Etat et de M. le rapporteur.
J'avais pris préalablement le soin de vous indiquer que je souhaitais poser le problème du coût du référé supporté par un propriétaire privé qui est déjà une victime.
Bien évidemment, je retire mon amendement.
Cependant, monsieur le secrétaire d'Etat, sur le terrain, le problème demeure. Dans un secteur que je connais bien, nous avons déjà satisfait à l'obligation d'installer une aire de stationnement.
Mais pour moi, prévoir l'installation des aires de stationnement dans le cadre d'un plan départemental n'est qu'un premier pas. En effet, la population des gens du voyage comporte différentes familles, différents clans qui exigent des aires de stationnement différentes. En outre, Mme Terrade a justement dit que le corollaire d'une telle mesure, c'est tout le suivi sanitaire et éducatif de ces personnes.
L'été, plusieurs centaines de caravanes stationnent dans des conditions sanitaires déplorables et dans l'indifférence des responsables sanitaires de nos départements ; je pense à la DASS. C'est insupportable !
Par ailleurs, en ce qui concerne l'éducation, nous manquons sur le terrain de cars mobiles qui assurent une première scolarisation. En effet, il est difficile d'intégrer directement dans une école maternelle ou primaire un nombre important d'enfants qui n'ont pas l'habitude de mener une vie sociale.
Pour nous, le corollaire d'un plan départemental est une politique de l'Etat en matière de suivi sanitaire et médical des populations concernées et une politique en matière d'éducation, faute de quoi nous continuerons à marginaliser ces populations et à en faire des asociaux pour des générations. Compte tenu de l'accroissement de ces populations, il faut mener des politiques d'accompagnement, pour ne pas dire d'« intégration », si ce mot fait peur à certains. (Applaudissements sur plusieurs travées du RPR.)
M. le président. L'amendement n° 28 est retiré.

Article 9 bis A

M. le président. L'article 9 bis A a été supprimé par l'Assemblée nationale.

Article 9 bis



M. le président.
« Art. 9 bis. - L'article 984 du code rural est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Lorsque ces travailleurs et les membres de leur famille sont des personnes mentionnées à l'article 1er de la loi n° du relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage, l'employeur est tenu de mettre à leur disposition, en cas de manque de disponibilités dans l'aire d'accueil ou de passage ou d'absence de ces dernières dans un périmètre compatible avec les obligations liées à l'exécution du contrat de travail, les emplacements nécessaires au stationnement de leur résidence mobile sur le domaine de l'exploitation ou tout autre terrain dont il a la jouissance. »
Par amendement n° 24, M. Delevoye, au nom de la commission, propose de supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. Cet amendement vise à supprimer l'article qui a été ajouté par l'Assemblée nationale et qui concerne les obligations spécifiques des employeurs de travailleurs saisonniers. En effet, ces besoins sont parfaitement prévisibles et ils peuvent donc être intégrés dans le schéma départemental.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement s'en était remis à la sagesse de l'Assemblée nationale. Puisqu'il ne s'était pas opposé à l'adoption de cette disposition, il ne peut s'associer maintenant à la demande de suppression de celle-ci.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 24, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 9 bis est supprimé.

Article 10 bis



M. le président.
L'article 10 bis a été supprimé par l'Assemblée nationale.
Les autres dispositions du projet de loi ne font pas l'objet de la deuxième lecture.
Monsieur le secrétaire d'Etat, permettez-moi de faire un commentaire. Lorsque des grandes villes proposent des terrains aux gens du voyage et que ceux-ci les refusent et menacent de bloquer l'entrée desdites grandes villes, comment fait-on ? J'ai régulièrement ce problème à Marseille.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Je voudrais attirer tout particulièrement et très fermement l'attention du Gouvernement sur un point.
Nous sommes en train de vivre une dérive. Monsieur le secrétaire d'Etat, votre texte en est une illustration ; le projet de M. Gayssot en est une autre.
Nous voyons ressurgir un pouvoir d'imposition du préfet contre la volonté des collectivités territoriales. Dans ce domaine particulier, les présidents de conseil général et les collectivités territoriales se sont toujours efforcés de faire leur devoir. Or, je vous le dis très fermement, monsieur le secrétaire d'Etat, si le pouvoir d'imposition du préfet est maintenu, les collectivités territoriales, en fait ou en droit, se désintéresseront du problème. L'Etat assumera ses compétences. Il devra les assumer seul puisqu'il entend en prendre la responsabilité.
M. Patrick Lassourd. Très bien !

Vote sur l'ensemble



M. le président.
Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. About pour explication de vote.
M. Nicolas About. Il est effectivement nécessaire qu'un texte de ce genre, avec un schéma, règle les situations les plus graves.
Qu'il existe une contrainte sur les maires avec l'arme absolue que constitue le fait pour le préfet de décider à leur place, je peux le concevoir et cela ne me choque pas profondément.
Toutefois, je ne crois pas que ce dispositif permettra de résoudre l'ensemble des problèmes d'accueil.
D'abord, les gens du voyage veulent se retrouver par famille et n'acceptent pas la répartition sur de petites aires. Je pense donc que le dispositif ne fonctionnera pas forcément.
Ensuite, on l'a vu, il existe des difficultés d'entretien et il est malaisé d'éviter les saccages. Quant à la perception des droits de place, personne n'y arrivera, cela sera très compliqué. En tout cas, le préfet ne sera pas là pour nous aider ni à percevoir les droits ni à réglementer le fonctionnement de ces aires d'accueil.
Par ailleurs, je suis scandalisé par le fait que l'obligation normale et la contrainte du préfet sur les communes pour les inciter à réaliser ces aires d'accueil n'aient pas comme contrepartie le soutien du préfet, et pas uniquement sur le plan financier. Les communes ont l'habitude de payer pour l'Etat et on sait le faire. Il s'agit de nous apporter la puissance de la force publique pour obtenir le respect des interdictions de stationner en dehors de ces secteurs.
Tous les policiers savent bien que le bon dispositif consiste à créer un délit, ce que prévoyait l'amendement de notre collègue. Certes, cet amendement n'était pas acceptable en l'état car il portait sur l'ensemble du territoire. Cependant, quand on pénètre dans une propriété privée par effraction, à l'aide de véhicules, d'engins, en coupant des clôtures ou des arbres, cela constitue un véritable délit, qui ne pourra être sanctionné que le jour où il sera reconnu comme tel. Pour autant, on ne peut pas dire, sur l'ensemble du territoire d'une commune, que le fait pour une personne de ne pas stationner sur l'aire d'accueil constitue un délit.
Nous devons donc disposer de ce contrepoids. Il faudra nous donner ce pouvoir qu'est le flagrant délit. A l'heure actuelle, nous nous opposons physiquement à la pénétration sur des lieux privés, à l'aide de nos propres engins, en prenant des risques considérables, sans obtenir l'appui des pouvoirs publics. Les élus locaux et les policiers municipaux font ce qu'ils peuvent pour protéger les citoyens, mais en vain ! Le texte que vous nous proposez aujourd'hui ne permettra pas ce travail de terrain qui est très difficile et au cours duquel des policiers municipaux sont blessés et les élus ainsi que les citoyens prennent de grands risques.
Ce texte, dans son esprit, est nécessaire car il faut réaliser des aires d'accueil, sachant que le nombre de gens de voyage augmentera dans les années à venir avec les personnes venant de l'Europe de l'Est. Toutefois, il ne prévoit aucune des protections que nous demandons en compensation. Aussi, pour ma part, je ne pourrai le voter.
M. le président. La parole est à Mme Terrade.
Mme Odette Terrade. Comme nous l'avons dit dans la discussion générale, les amendements de nos collègues de la majorité sénatoriale ont amoindri ce texte, pourtant attendu s'agissant de la réalisation en plus grand nombre d'aires d'accueil pour les gens du voyage. En conséquence, nous voterons contre.
Nous ne pouvons qu'espérer en l'esprit constructif de la commission mixte paritaire pour rétablir le sens du texte du Gouvernement et permettre la mise en oeuvre de ces dispositions le plus rapidement possible, dans l'intérêt des collectivités et de l'ensemble de nos concitoyens, itinérants ou sédentaires.
M. le président. La parole est à M. Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet. Je ne reprendrai pas les propos que j'ai tenus au cours de la discussion générale.
Nous ne voterons pas le texte qui résulte des travaux de notre assemblée.
Le texte tel qu'il avait été présenté par le Gouvernement est indispensable et urgent. Il visait à mettre en place un système efficace, même si l'on ne peut absolument pas garantir que son succès aurait été total.
En revanche, je suis sûr que, si nous votons le texte dans la rédaction que la majorité du Sénat propose d'adopter, les dispositions qui sont nécessaires après l'échec de 1990 ne seront pas mises en oeuvre. Certes, et c'est une critique que l'on peut faire à ce texte, les contraintes représentent un recul de la décentralisation, mais, en l'occurrence, cela ne me semble pas très grave. Mais si des contraintes ne sont pas prévues, la loi ne sera pas appliquée, et nous retomberons dans les errements de la non-application de dispositions qui étaient pourtant de nature à résoudre ce grave problème dès 1990.
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Je souhaiterais faire écho à quelques propos.
Bien évidemment, le Gouvernement ne se retrouve pas devant un texte équilibré comme il le souhaite. Il espère donc que les points de vue pourront se rapprocher en commission mixte paritaire et que nous parviendrons à conjuguer le respect des droits et des devoirs de tous, par tous et partout.
Les dégâts pouvant survenir à des propriétés privées et que décrivait M. About constituent, bien sûr, déjà un délit. Ce qu'il s'agissait de ne pas qualifier de délit, c'était le stationnement illicite. Mais si celui-ci est précédé par les faits dénoncés par M. About...
M. Nicolas About. C'est impossible à dissocier !
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. ... nous sommes bien sûr en présence d'un délit qui est prévu, et qui peut donc, éventuellement, être réprimé.
Les dispositions de ce projet de loi constituent un grand progrès, et je remercie M. le rapporteur de l'avoir dit. Le juge statuant en la forme des référés, c'est la plus rapide des procédures civiles. Nous avons retenu la contribution de votre commission avec le référé d'heure à heure, qui garantit l'obtention d'une décision dans la journée. L'exécution est possible par provision, c'est-à-dire sans attendre l'expiration des délais d'appel. Elle peut avoir lieu au seul vu de la minute, ce qui évite la procédure de signification du jugement et les frais qui en résultent.
Par ailleurs, je l'ai déjà indiqué et je le confirme, ma collègue garde des sceaux prendra une circulaire à destination des juridictions, afin de faciliter l'application de l'ensemble de ces dispositions.
Quant au préfet, il a comme cadre d'intervention, pour le concours de la force publique, l'article 16 de la loi du 16 juillet 1991 sur les procédures civiles d'exécution. Il conserve bien sûr cette capacité d'appréciation du risque pour l'ordre public, qui ne lui a jamais été retirée dans aucune circonstance. Toutefois, en matière d'occupation illégale de terrain par les gens du voyage, le ministre de l'intérieur m'a donné l'assurance que les préfets seraient particulièrement sensibilisés aux nouvelles dispositions de la loi.
Tel est l'ensemble des éléments et des assurances que je peux donner.
Voilà un instant, M. le président de la commission des lois est intervenu pour émettre des regrets quant aux possibilités d'intervention de l'Etat par substitution. Il n'avait pas entendu ma réponse à M. About ; il n'entendra pas ma réponse maintenant puisqu'il a déjà dû quitter l'hémicycle. Je souhaite que la Haute Assemblée puisse inscrire dans sa réflexion cette question qui nous préoccupe tous : la loi doit-elle pouvoir s'appliquer partout ou doit-on prévoir des accommodements pour que tel ou tel puisse se dispenser d'en appliquer les dispositions, auquel cas il en charge les autres à sa place ?
Le Gouvernement reste attaché à la voie du volontariat et du contrat et il souhaite qu'elle prévale dans toutes les circonstances, mais, pour que cela puisse être le cas, il faut que, dans l'hypothèse où cette assurance ne serait pas donnée, la loi puisse rester la dernière voie.
Tout parlementaire conscient de la dignité de sa fonction, de l'importance de la loi, ne peut, sur ce point, que rejoindre le Gouvernement. C'est le dernier souhait que j'exprimerai devant la Haute Assemblée.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté.)

5

CONSULTATION
DE LA POPULATION DE MAYOTTE

Discussion d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 237, 1999-2000) organisant une consultation de la population de Mayotte. [Rapport n° 270 (1999-2000).]
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, vous êtes appelés à vous prononcer sur le projet de loi organisant une consultation de la population de Mayotte.
Mayotte, île de 373 kilomètres carrés, comptait, au dernier recensement, effectué en 1997, 131 000 habitants, auxquels il faut ajouter environ 15 000 Mahorais vivant soit à la Réunion, soit en métropole. La croissance démographique y est extrêmement rapide, puisque la population a quadruplé en trente ans.
Mayotte est devenue française en 1841, avant les autres îles de l'archipel des Comores. L'esclavage y a été immédiatement aboli. Par la suite rattachée administrativement aux Comores, Mayotte a de tout temps cultivé un réel particularisme au sein de l'archipel. Ce particularisme devait se manifester au moment où les autres îles se sont engagées sur la voie de l'indépendance. Pour en tenir compte, la loi du 3 juillet 1975 a permis aux Mahorais de choisir le maintien dans la République en prévoyant que le référendum d'autodétermination des Comores serait mis en oeuvre île par île.
La question du statut de Mayotte est demeurée en suspens depuis près de vingt-cinq ans. Le 8 février 1976, les Mahorais rejetaient l'indépendance à la quasi-unanimité - plus de 99 % des voix - puis refusaient, le 11 avril 1976, le maintien du statut de territoire d'outre-mer. La loi du 24 décembre 1976 érigeait Mayotte en collectivité territoriale dotée d'un statut propre en vertu de l'article 72 de la Constitution. La loi de 1976 reconnaissait, en outre, le caractère temporaire de ce régime et prévoyait que les Mahorais seraient consultés dans un délai de trois ans sur le futur statut de leur île.
La loi du 29 décembre 1979 a prorogé ce délai pour une nouvelle durée de cinq ans. Mais, depuis lors, cette consultation n'a pas été organisée et le régime statutaire, conçu comme provisoire en 1976, a perduré. Plusieurs tentatives ont été engagées par la suite, notamment le projet de loi présenté par le Gouvernement en 1984, mais aucune n'a abouti.
Il faut y voir, bien sûr, le poids du contexte international, mais aussi l'impossibilité pour les gouvernements successifs de se situer dans le cadre des options prévues en 1976 quant au contenu de la consultation.
Cette situation précaire a entraîné une réelle incertitude sur le droit applicable à Mayotte dans de nombreux domaines. Le Sénat a ainsi eu à connaître de nombreux textes, souvent sous la forme d'ordonnances, étendant, en les adaptant, certains pans entiers de la législation métropolitaine, par exemple en matière de droit du travail, de droit rural, de droit pénal ou de droit des assurances. La dernière loi d'habilitation du 26 octobre 1999 a ainsi habilité le Gouvernement à établir par ordonnances des règles en matière d'état des personnes, de régime de l'état civil, d'entrée et de séjour des étrangers.
Lors du déplacement que j'ai effectué à Mayotte, en novembre 1997, j'ai pris l'engagement, au nom du Gouvernement, d'ouvrir les discussions avec l'ensemble des forces politiques mahoraises pour organiser la consultation attendue et doter l'île d'un statut qui ne soit plus provisoire. Cette démarche s'est appuyée, en particulier, sur les travaux de deux commissions, animées, l'une, à Paris par le préfet Bonnelle, l'autre, à Mayotte par le préfet Boisadam. Ces travaux, publiés à la Documentation française, sont riches et sérieux. Ils ont progressivement permis de rapprocher les points de vue tant des représentants des forces politiques et de la société mahoraises que des différentes administrations concernées de l'Etat.
Les négociations engagées avec les forces mahoraises ont abouti à un accord conclu le 4 août 1999, à Paris. Ce texte a été soumis à la consultation du conseil général et des conseils municipaux de l'île ; il a été approuvé par 14 conseillers généraux sur 19 et par 16 des 17 communes. Cet accord a été signé officiellement le 27 janvier dernier à Paris et publié au Journal officiel de la République française du 8 février 2000. Il constitue le texte sur le lequel les Mahorais auront à se prononcer, si le projet de loi est adopté, avant le 31 juillet 2000.
Cette démarche du Gouvernement correspond au voeu émis par le Président de la République le 3 décembre dernier lors du sommet de la commission de l'océan Indien, prenant acte d'un contexte international qui paraît aujourd'hui apaisé.
Cet accord n'a pas été signé par les parlementaires de Mayotte. Je le regrette, car j'y vois plutôt la consécration de l'action inlassable qu'ils ont menée depuis plus de vingt-cinq ans pour affirmer l'enracinement de Mayotte dans la République. Cette donnée n'est plus contestée aujourd'hui. Et il faut prendre acte des évolutions intervenues pour mieux préparer l'avenir de Mayotte. Cet accord signifie, pour la collectivité de Mayotte, la fin de l'immobilisme.
Si les Mahorais approuvent ce texte, les orientations qu'il contient serviront de base au futur projet de loi organisant le statut de Mayotte, qui devra être déposé au Parlement avant la fin de l'année 2000. Mayotte se verrait alors conférée l'appellation de « collectivité départementale ». L'île continuerait comme auparavant à constituer une collectivité sui generis de l'article 72 de la Constitution.
Ainsi, l'accord - et ce point a été tout à fait clair tout au long des négociations avec les représentants des forces politiques mahoraises - n'entérine pas la transformation immédiate de Mayotte en département d'outre-mer. L'écart des niveaux de vie et des conditions économiques et sociales ainsi que le fait que près de 95 % de la population de l'île restent régis par un statut de droit personnel obéissant au droit coranique, comme les membres de la mission d'information de la commission des lois ont pu le constater sur place, excluent aujourd'hui une telle transformation.
Le point 4 de l'accord tire les conséquences de ce choix en maintenant à Mayotte l'application du principe de la spécialité législative.
Mais le futur statut esquissé par le document d'orientation ouvre clairement une phase de transition au cours de laquelle le régime statutaire de Mayotte sera rapproché du droit commun départemental tout en respectant les spécificités de la société mahoraise. Ainsi, l'identité législative sera progressivement instaurée.
Dans le domaine institutionnel, l'exécutif de la collectivité sera transféré du préfet au président du conseil général. Les compétences de cette assemblée seront progressivement élargies pour se rapprocher de celles qui sont exercées par les départements et les régions de métropole.
Déjà, les élections du conseil général qui étaient fixées en mars 2000 ont été alignées par la loi sur le calendrier national et se tiendront donc en mars 2001.
L'organisation et les compétences des communes seront alignées, elles aussi, sur le régime de droit commun pour que les principes de la décentralisation engagés à partir de 1982 en métropole puissent s'y appliquer pleinement et pour que les communes disposent d'une fiscalité propre, ce qui suppose l'existence d'un cadastre. Le code des communes sera modernisé et un programme de formation des élus et des agents sera défini.
Dans le cadre du contrat de plan qui couvrira la période 2000-2004, l'ensemble des concours de l'Etat sera de l'ordre de 4 milliards de francs. C'est plus qu'un doublement des moyens qui étaient consacrés, au cours de la période précédente, au développement de l'île.
Ce contrat de plan s'orientera, comme je l'ai indiqué lors de ma visite des 15 et 16 février dernier, autour de trois axes stratégiques : tout d'abord, asseoir les bases du développement économique ; ensuite, former les hommes et les femmes de Mayotte, puisque près de 60 % des Mahorais ont moins de 20 ans ; enfin, poursuivre et amplifier les programmes d'équipement et de développement social.
Compte tenu du potentiel financier plus faible de la collectivité territoriale de Mayotte, l'Etat est prêt à prendre en charge de 80 % à 90 % du financement de ce contrat de plan. C'est une disposition unique en France.
Enfin, la rénovation de l'état civil et la clarification du statut personnel devront permettre une application plus complète des principes républicains. Deux ordonnances du 8 mars 2000 sont relatives aux règles de détermination du nom des personnes et à l'état civil. Elles permettront de doter les Mahorais d'un état civil fiable. Une mission conjointe du secrétariat d'Etat à l'outre-mer et de la Chancellerie se rendra dans les prochains jours à Mayotte pour préparer la mise en place de cette importante réforme.
L'accord détermine aussi une « clause de rendez-vous », fixé en 2010. A cette date, le Gouvernement et les principales forces représentatives de Mayotte feront le bilan d'application du statut de collectivité départementale et devront se prononcer pour doter l'île d'un statut définitif. Toutes les options sont laissées ouvertes par l'accord, y compris la transformation en département d'outre-mer, étant entendu qu'à cette date les traits et les caractéristiques des collectivités aujourd'hui régies par l'article 73 de la Constitution - les départements d'outre-mer - pourraient aussi avoir évolué.
Le présent projet de loi, en organisant la consultation des Mahorais sur l'accord dont je viens de rappeler les éléments fondamentaux, répond au souci exprimé par le législateur en 1976, renouvelé en 1979, de sortir d'un statut conçu alors comme provisoire mais également de consulter les populations intéressées sur leur avenir institutionnel.
Avant de conclure, je reviendrai rapidement sur les deux principales questions juridiques que pose le présent projet de loi.
La première question a trait à la constitutionnalité de la consultation ainsi prévue. Cette consultation ne s'inscrit pas dans le cadre de l'article 11 de la Constitution puisque, si elle porte certainement sur l'organisation des pouvoirs publics, l'ensemble de la population de la République ne sera cependant pas appelée à y participer. Il ne s'agit pas d'organiser un référendum visant à l'adoption d'un projet de loi, comme cela avait pu être le cas en 1988 pour la Nouvelle-Calédonie, après la conclusion des accords de Matignon. L'objectif du Gouvernement est ici de consulter les populations intéressées afin de préparer le futur statut de l'île.
Nous ne nous situons pas non plus dans le cadre prévu par le troisième alinéa de l'article 53 de la Constitution, dès lors que la question posée ne porte en aucun cas sur une éventuelle accession à l'indépendance de ce territoire.
L'organisation d'une consultation est tout à fait légitime au regard des principes démocratiques et connaît un précédent à Mayotte même. En effet, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 30 décembre 1975, n'avait rien trouvé à redire au principe d'une consultation de ce type pour celle qui a été organisée le 11 avril 1976, donnant le choix aux Mahorais du maintien ou non du statut de territoire d'outre-mer. Les lois de 1976 et de 1979 prévoyaient elles aussi des consultations, même si ces dernières n'ont pu se tenir dans les délais prévus.
De même, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 2 juin 1987, à propos de la consultation qui devait être organisée en Nouvelle-Calédonie le 13 septembre 1987, a également admis que les Néo-Calédoniens, qui étaient aussi interrogés sur la question de l'indépendance, puissent se prononcer sur le futur statut qui leur serait appliqué.
Le Gouvernement réfléchit actuellement à l'institution d'un mécanisme comparable pour les départements d'outre-mer. Les changements statutaires devraient aussi être préalablement soumis, pour consultation, à l'avis des populations locales quand ils portent sur des modifications substantielles.
La seconde question juridique concerne l'interrogation des populations intéressées. A cet égard, le projet de loi doit nécessairement répondre aux obligations de clarté et de loyauté de la question posée, comme l'a rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 2 juin 1987. Cette double condition est effectivement remplie par le présent projet de loi : il n'y a pas d'ambiguïté à ce titre entre le statut de collectivité départementale, qui relève de l'article 72 de la Constitution, et celui de département d'outre-mer, qui est prévu par l'article 73 de la Constitution, puisque l'accord prend soin de préciser que le principe de la spécialité législative continue de s'y appliquer.
Je signale à cet égard qu'une partie du débat qui a eu lieu à Mayotte au cours des six derniers mois a porté sur le fait que le document d'orientation différait la transformation immédiate de l'île en département d'outre-mer, ce qui aurait été incompatible avec le maintien d'un statut particulier prévu, précisément, par l'article 75 de la Constitution.
Par ailleurs, il faut rappeler que les Mahorais ont refusé le statut de territoire d'outre-mer, qui apparaîtrait, toujours à leurs yeux, comme une régression juridique.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi marque une nouvelle étape de l'histoire de Mayotte dans la République. Depuis un quart de siècle, Mayotte vit dans l'incertitude. L'accord signé le 27 janvier va permettre d'engager Mayotte sur la voie de la modernisation, dans le respect de l'identité locale.
C'est pourquoi je vous invite à approuver ce projet de loi, qui permettra de consulter les populations de Mayotte, comme le législateur s'y était engagé en 1976. Nous ne le ferons, certes, que vingt-cinq ans après cet engagement, mais nous offrirons à Mayotte des perspectives de développement, de solidarité et de maintien dans la République. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. José Balarello, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le Sénat va donc examiner un projet de loi organisant la consultation de la population de Mayotte.
Sur quels points porte cette consultation, où seule - vous l'avez indiqué à l'instant, monsieur le secrétaire d'Etat - la population mahoraise sera consultée ?
Si le présent projet de loi comporte dix articles, en réalité, seuls deux sont importants - l'article 1er et l'article 3 - les autres ne comportant que des modalités électorales ou des adaptations d'ordre électoral.
Aux termes de l'article 1er : « Une consultation sera organisée avant le 31 juillet 2000 afin que la population de Mayotte donne son avis sur l'accord sur l'avenir de Mayotte signé à paris le 27 janvier 2000 et publié au Journal officiel de la République française le 8 février 2000. »
Aux termes de l'article 3 : « Les électeurs auront à répondre par "oui" ou par "non" à la question suivante : "Approuvez-vous l'accord sur l'avenir de Mayotte, signé à Paris le 27 janvier 2000 ?". Le corps électoral se prononcera à la majorité des suffrages exprimés. »
Que contient l'accord du 27 janvier 2000 auquel renvoie le projet de loi ? Intitulé « Accord sur l'avenir de Mayotte », il comporte onze articles et a été signé, d'une part, par vous-même, monsieur le secrétaire d'Etat à l'outre-mer, au nom du Gouvernement, et, d'autre part, par le président du conseil général de Mayotte, M. Bamana, par trois partis politiques, le Rassemblement pour la République, le parti socialiste et le mouvement populaire mahorais, le MPM. En revanche, le sénateur de Mayotte, M. Henry, et le député de Mayotte, M. Jean-Baptiste, ainsi que le MDM, le Mouvement départementaliste mahorais, ont refusé de le signer.
L'accord précise que Mayotte sera dotée d'un nouveau statut, instauré par une loi qui devrait intervenir au plus tard à la fin de l'an 2000, la consultation des Mahorais prévue par le même texte devant avoir lieu avant le 31 juillet 2000.
Cet accord prévoit également que, dès l'adoption de la loi à intervenir, Mayotte ne sera plus régie par le statut de collectivité territoriale dont elle a été dotée par la loi du 24 décembre 1976, mais deviendra une collectivité départementale sui generis - ce qui est possible aux termes de l'article 72 de la Constitution - dotée d'une organisation juridique, économique et sociale qui se rapprochera le plus possible du droit commun des départements d'outre-mer tout en étant adaptée à l'évolution de la société mahoraise.
Par la suite, en 2010, comme le prévoit le chapitre Ier de l'accord du 27 janvier 2000, sur proposition du conseil général statuant à une majorité qualifiée, après son renouvellement, le Gouvernement devra soumettre au Parlement un projet de loi portant sur l'avenir institutionnel de Mayotte.
L'accord sur l'avenir de Mayotte, au travers de onze articles différents, précise ce qu'il faut entendre par collectivité départementale, statut qui régira Mayotte pendant les dix années à venir entre 2000 et 2010 si la population répond par l'affirmative à la question qui lui est posée.
Ainsi, premièrement, la collectivité départementale aura une assemblée unique dénommée conseil général - rappelons qu'il existe déjà - lequel aura des compétences accrues de caractère départemental et régional, notamment dans le domaine de la coopération décentralisée. L'exécutif, actuellement entre les mains du préfet, sera transféré au président du conseil général dans les termes de la loi à intervenir après la consultation. Seront créés également un conseil économique et social, un conseil de la culture, de l'éducation et de l'environnement, une chambre de commerce et d'industrie, une chambre d'agriculture, une chambre des métiers.
Deuxièmement, l'évolution démographique de Mayotte sera prise en compte pour déterminer le nombre de parlementaires et, le cas échéant, modifier les cartes communales et cantonales, à l'instar de ce qui se passe à l'heure actuelle en métropole. Les compétences des communes seront ainsi rapprochées progressivement du droit commun métropolitain.
Troisièmement, le système fiscal et douanier sera rapproché du droit commun et une fiscalité communale sera créée. Elle n'existe pas actuellement, ce qui pose un réel problème, ne serait-ce que pour l'indépendance des communes à l'égard du Gouvernement.
Quatrièmement, Mayotte continuera de bénéficier de la spécialité législative, c'est-à-dire que les lois de la République ne s'y appliqueront qu'après avis du conseil général et sur motion expresse. Le droit applicable à Mayotte devra être adapté dans le sens d'un rapprochement avec le droit commun.
Cinquièmement, le développement économique et social de Mayotte sera poursuivi pour permettre son désenclavement aérien et maritime. Des contrats de rattrapage seront conclus et une agence de développement sera mise en place. L'Etat engagera avec l'Union européenne les négociations nécessaires afin d'utiliser au mieux les fonds européens. Un pacte pluriannuel de développement durable sera mis en place.
Sixièmement, la formation des hommes sera assurée, y compris la formation universitaire. L'Etat contribuera à la constitution des réserves foncières, au développement des infrastructures et du logement pour accompagner la croissance d'une démographie maîtrisée. Nous y reviendrons !
Septièmement, le système de protection sanitaire et sociale sera modernisé. Le code du travail sera adapté.
Huitièmement, seront entreprises la rénovation de l'état civil - opération dont vous nous avez dit à l'instant qu'elle était en cours - et la mise en place du cadastre dans les cinq ans. Par ailleurs, le rôle des cadis sera recentré sur les fonctions de médiation sociale. Les droits des femmes seront confortés et le fonctionnement de la justice sera amélioré.
Neuvièmement, un dispositif de sanctions pénales sera mis en place pour prévenir l'immigration irrégulière - vaste problème pour Mayotte ! - et des actions de coopération seront développées avec les pays voisins.
Dixièmement, Mayotte sera associée aux projets d'accords concernant la coopération régionale.
Enfin, onzièmement, l'Etat, les parlementaires, le président du conseil général et les responsables des partis politiques représentés au conseil général feront partie d'un comité de suivi qui se réunira tous les ans.
Dans notre rapport écrit, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous rappelons qu'une délégation de la commission des lois, composée de MM. Hyest, Duffour, Dejoie, Othily, Sutour et moi-même, s'est rendue à Mayotte dans le courant du mois de janvier. Elle a auditionné tous les responsables de cette île française de l'océan Indien, distante de Madagascar de 300 kilomètres et de la Réunion de 1 500 kilomètres.
Vous trouverez dans notre rapport écrit un chapitre concernant la situation géographique de Mayotte. Peuplée, lors du dernier recensement de 1997, de 131 000 habitants, Mayotte en compte sans doute un peu plus aujourd'hui, avec une densité de plus de 350 habitants au kilomètre carré, comme aux Pays-Bas. Sa population est à plus de 95 % musulmane et près de 75 % de ses habitants ne parlent pas le français, ce que nous ne pouvons que déplorer alors que Mayotte est devenue française en 1841, avant Nice et la Savoie, je me plais à le rappeler.
A l'inverse de celle des autres îles des Comores, la population de Mayotte, le 22 décembre 1974, s'est prononcée à une majorité importante contre l'indépendance ; le 8 février 1976, par 99,4 % des suffrages exprimés, elle décida de rester dans la République française ; enfin, lors de la consultation du 11 avril 1976, elle écarta le statut de territoire d'outre-mer, voulant voir Mayotte dotée du statut de département d'outre-mer, après une longue lutte des parlementaires de Mayotte, notamment de notre collègue M. Marcel Henry - vous y avez d'ailleurs fait allusion, monsieur le secrétaire d'Etat - et grâce à l'action de la Haute Assemblée, qui obtint, en 1974, que le vote des Comores ait lieu île par île et non globalement.
Dans notre rapport écrit, nous avons longuement décrit la situation actuelle de l'île, caractérisée par un statut particulier qui s'inspire de l'organisation départementale antérieure aux lois Defferre de décentralisation, avec un conseil général et un préfet, exécutif du département, et l'application du principe dit de « spécialité législative », mis en place par l'article 10 de la loi du 24 décembre 1976.
Il nous faut préciser encore que Mayotte est divisée en dix-neuf cantons et dix-sept communes et que, au regard de l'Union européenne, l'île fait partie des « pays et territoires d'outre-mer », les PTOM, lesquels font l'objet d'un régime spécial d'association en application de l'article 227-3 du traité de Rome, ce qui rend Mayotte inéligible aux fonds structurels européens, et seulement éligible au fonds européen de développement. En conséquence, la dotation annuelle par personne était de 21 écus de 1991 à 1995 alors que, pour la même période, La Réunion recevait 178 écus par personne.
C'est la raison pour laquelle, dans notre rapport écrit, nous avons souhaité, monsieur le secrétaire d'Etat - et je vous en ai entretenu personnellement - qu'une négociation s'engage pour permettre à Mayotte de bénéficier des fonds structurels européens, ou tout au moins de fonds équivalents.
Nous avons exposé également les particularismes du droit civil et de l'organisation judiciaire, à savoir le statut des personnes et la justice cadiale.
Le statut personnel est un statut de droit civil local inspiré du droit coranique et de la coutume mahoraise qui régit les musulmans, lesquels peuvent cependant opter pour le statut civil de droit commun sur simple requête déposée auprès du tribunal de première instance.
Le statut personnel reconnaît la polygamie, la possibilité de répudiation de la femme, l'absence de reconnaissance des enfants naturels, l'absence de régime matrimonial entre époux, l'inégalité des sexes en matière successorale.
C'est la raison pour laquelle existe à Mayotte un double système d'état civil. Signalons cependant qu'une réforme de l'état civil est actuellement en cours, vous l'avez rappelé, monsieur le secrétaire d'Etat.
Par ailleurs, cette dualité de statut civil se traduit par la coexistence des juridictions civiles de droit commun et de la justice musulmane exercée par les cadis, qui sont au nombre de seize, avec un Grand cadi que nous avons eu l'honneur de rencontrer lors de notre passage à Mayotte.
Ces fonctionnaires territoriaux, dont les compétences sont définies par un décret du 1er juin 1939, exercent la profession de notaire, célèbrent les mariages musulmans - qui concernent parfois des fillettes d'une dizaine d'années -, reçoivent les répudiations et prononcent les divorces ; ils sont également compétents en matière de contentieux civils et commerciaux entre musulmans ; en revanche, ils ne sont pas compétents en matière de droit pénal.
L'appel de leurs décisions est porté devant le Grand cadi, mais les jugements rendus en appel peuvent être déférés en cassation par les parties ou le procureur de la République au tribunal supérieur d'appel, présidé par le président de ce tribunal - que nous avons également rencontré lors de notre passage à Mayotte, de même que le procureur de la République - assisté de deux cadis qui n'ont pas voix délibérative.
Signalons que la justice cadiale ignore la procédure contradictoire, que les avocats n'y sont pas admis, ce qui pose problème au regard de la convention européenne des droits de l'homme. Dans ces conditions, son maintien n'apparaît pas compatible avec la départementalisation.
Dans notre rapport écrit, nous examinons également le climat économique et social que nous avons pu observer sur place et qui est caractérisé par une démographie galopante, le rythme d'accroissement annuel de la population étant de 5,8 % avec une fécondité qui atteint 5,2 enfants par femme, phénomène aggravé par une forte immigration clandestine en provenance surtout de l'île voisine d'Anjouan, mais également de Madagascar. A cet égard, je rappellerai simplement que les femmes de l'île d'Anjouan représentent près de la moitié des accouchements effectués à la maternité et à l'hôpital de Mayotte. Mais les moyens de lutte contre l'immigration clandestine sont à l'évidence insuffisants, nous en somme tous convaincus.
Nous avons également examiné les handicaps liés à l'éloignement et à la faiblesse des infrastructures, avec une desserte aérienne incapable d'accueillir les gros porteurs et un port en eau profonde qui ne peut recevoir les grands paquebots de croisières, ce qui constitue un réel handicap quand on connaît le succès exponentiel des croisières à l'heure actuelle. Par ailleurs, un quart des habitants n'ont ni l'eau ni l'électricité, et on constate un manque d''infrastructures d'accueil et d'hébergement, si bien que le tourisme est encore peu développé - 9 600 touristes seulement en 1997, selon les dernières statistiques connues - tandis que l'agriculture est peu importante et est surtout fondée sur les cultures vivrières que sont la banane et le manioc et sur deux cultures d'exportation, la vanille et l'ylang-ylang.
Quant au BTP, il est largement dépendant, nous le savons tous, des transferts publics de la métropole. Le taux de couverture des échanges extérieurs n'est que de 2 %, et le chômage - vous l'avez dit, monsieur le secrétaire d'Etat - frappe plus de 30 % de la population active, surtout les jeunes. Notons qu'il n'existe à Mayotte ni allocations de chômage ni RMI.
Notre mission parlementaire a constaté d'importants besoins en matière d'éducation, de formation et de logement. Cependant, il faut le reconnaître, des efforts importants ont été faits : en 1999, 48 799 enfants étaient scolarisés - contre seulement 8 000 en 1978 - soit la quasi-totalité des enfants de six à seize ans.
Le ministère de l'éducation nationale doit faire porter son effort sur le niveau des maîtres et des professeurs de collège, qui doit être rapidement relevé, afin que tous les jeunes puissent parler le français sans difficulté et accéder à un niveau comparable à celui des écoles primaires et des collèges de la métropole.
Nous nous devons de rappeler que, du point de vue institutionnel, le principe de la consultation de la population, tel que prévu par le présent projet de loi, a déjà été décidé une première fois par l'article 1er de la loi du 24 décembre 1976 - M. Marcel Henry nous en parlera sans doute - et qu'elle devait avoir lieu au terme d'un délai de trois ans. Par la suite, aucune consultation n'ayant été effectuée, une nouvelle loi, celle du 22 décembre 1979, en son article 2, avait prévu que la consultation devait avoir lieu dans un délai de cinq ans. Or ces deux lois n'ont jamais été suivies d'effet et les consultations n'ont jamais été organisées.
Rappelons, pour mémoire, qu'elles avaient envisagé trois hypothèses d'évolution pour Mayotte : le maintien du statut de 1976, la transformation de Mayotte en département ou l'adoption d'un statut différent.
Or, le statu quo a perduré, et l'île continue à être régie depuis vingt-cinq ans par un statut provisoire, en grande partie, nous le savons bien, pour des considérations de politique internationale, notamment du fait de l'opposition de l'ONU et de l'OUA.
C'est la raison pour laquelle les deux parlementaires de Mayotte, le député Jean-Baptiste et le sénateur Marcel Henry, ont, après 1980, et à trois reprises différentes, sauf erreur de ma part, déposé des propositions de loi, une en 1986 et deux en 1999, le Gouvernement, en ce qui le concerne, ayant mis en place deux groupes de réflexion, les groupes Bonnelle et Boisadam.
Ces deux groupes de travail, vous le savez, monsieur le secrétaire d'Etat, évoquent, dans un rapport de synthèse, cinq voies possibles pour l'avenir institutionnel de Mayotte : un statut nouveau de collectivité territoriale à vocation départementale, un statut de département d'outre-mer avec des compétences régionales, un statut de département d'outre-mer couplé avec une collectivité régionale, un statut de département d'outre-mer avec maintien d'une collectivité territoriale et un statut de territoire d'outre-mer. Tout cela est bien compliqué !
A la suite de ces rapports, le Gouvernement, s'inspirant de la méthode néo-calédonienne, alors que la situation à Mayotte est entièrement différente, la tendance indépendantiste étant pratiquement inexistante, envoya dans l'île une mission interministérielle, qui, début août 1999, après discussion avec les élus, rédigea l'accord sur l'avenir de Mayotte, signé le 27 janvier 2000, qui est visé dans le présent projet de loi.
Il faut savoir également que, le 3 décembre 1999 - vous l'avez évoqué, monsieur le secrétaire d'Etat - le Président de la République, à Saint-Denis-de-la-Réunion, à l'issue du deuxième sommet des chefs d'Etat ou de Gouvernement de la commission de l'océan Indien, déclara que, conformément aux engagements pris depuis longtemps, il y aurait un référendum qui permettrait aux Mahorais de s'exprimer et, le cas échéant, de créer non pas un département mais une collectivité départementale dont il conviendrait de préciser exactement la nature.
Pour être exhaustif, nous préciserons que le principe d'une telle consultation a été admis par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 30 décembre 1975 et dans une autre décision du 2 juin 1987. Cependant, le Conseil constitutionnel impose que la question posée aux populations intéressées satisfasse à la double exigence de clarté et de loyauté de la consultation et qu'elle ne comporte pas d'équivoque.
Nous pensons, quant à nous, qu'il en est bien ainsi avec la question posée. Cependant, un problème s'est posé à votre rapporteur, né du fait que les deux parlementaires de l'île, le député et le sénateur, se sont refusés, de même que l'un des partis politiques mahorais, le MDM, à signer l'accord signé à Paris le 27 janvier 2000.
Fallait-il essayer d'obtenir le consensus de tous les élus locaux et nationaux ?
Une rédaction modifiée de la question posée dans la consultation pouvait-elle emporter l'adhésion de tous ?
Etait-il souhaitable, surtout au regard de l'étranger, et particulièrement des autres pays de l'océan Indien, de l'Afrique du Sud et de l'Afrique de l'Est, d'obtenir un vote quasi unanime des populations consultées ou fallait-il laisser les choses en l'état ?
Nous avions opté pour la première solution, après avoir analysé les positions du conseil général, d'une part, et des deux parlementaires, d'autre part.
Le président du conseil général et les trois représentants des partis politiques signataires de l'accord, que nous avons reçus, nous ont fait connaître leur volonté de ne pas modifier la question telle qu'elle est énoncée à l'article 3 du projet de loi qui nous est soumis.
Des contacts que nous avons eu avec les deux parlementaires, il est ressorti que leur désaccord porte, sauf erreur de ma part - mais M. Marcel Henry nous le dira - sur quatre points.
Premièrement, ils veulent que le texte fasse explicitement référence à la possibilité pour la population mahoraise de se prononcer à terme en faveur du statut du département, considérant que le texte actuel est un recul par rapport à la loi de 1979.
Deuxièmement, ils souhaitent que le texte prévoie une nouvelle consultation en 2010, et non une délibération du conseil général à la majorité qualifiée, comme le prévoit l'accord du 27 janvier 2000.
Troisièmement, ils ne veulent pas de l'importance donnée à l'insertion de Mayotte dans son environnement régional, compte tenu des revendications de la République islamique des Comores sur Mayotte. Je le dis par parenthèse, d'autres départements, notamment dans la région Caraïbe, ont une volonté contraire.
Quatrièmement, ils regrettent l'absence d'engagement précis de l'Etat quant au plan de rattrapage économique.
Compte tenu de ces éléments, nous avions proposé un texte, que notre commission des lois avait adopté, selon lequel la question à poser à l'électorat mahorais aurait été la suivante : « Approuvez-vous l'accord sur l'avenir de Mayotte signé à Paris le 27 janvier 2000 et, en référence à cet accord, la présentation en 2010 d'un projet de loi fixant, dans le cadre de la République et de l'article 72 de la Constitution » - avions-nous ajouté - « le statut de Mayotte ? »
Pourquoi cette référence à l'article 72 de la Constitution ? Parce que, vous le savez, mes chers collègues, c'est l'article qui traite des collectivités territoriales, et qui se lit comme suit : « Les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les territoires d'outre-mer. Toute autre collectivité territoriale est créée par la loi... » Chacun aurait pu y trouver son compte.
La référence, dans l'article 72, aux départements devait rassurer les parlementaires quant à la volonté du Parlement, et du Sénat en particulier, de voir évoluer le statut de Mayotte, actuellement collectivité territoriale, après l'an 2000 collectivité départementale, vers le statut de département d'outre-mer en 2010, si le conseil général en faisait la demande à la majorité qualifiée.
Nous avions des espoirs sérieux d'arriver, avec cette formulation, à un vote conforme du Sénat et de l'Assemblée nationale si les principaux intéressés avaient souscrit à cette rédaction.
Malheureusement, nos efforts, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, se sont révélés vains, et c'est la raison pour laquelle nous avons proposé à la commission des lois, qui nous a donné son accord ce matin, de retirer l'amendement à l'article 3 du projet.
Personnellement, je le regrette, car, vis-à-vis de l'étranger, il m'eût été agréable - sans doute comme à vous, monsieur le secrétaire d'Etat, comme à nous tous - qu'un consensus puisse se dégager et que l'on vote pour à 99 %, comme Mayotte sait le faire et l'a déjà fait dans le passé.
En ce qui concerne les autres amendements, ils apportent au texte quelques précisions qui nous ont paru indispensables concernant, notamment, les modalités du scrutin, les compétences de la commission de contrôle de la consultation et l'application de la loi du 19 juillet 1977 relative à la publication et à la diffusion des sondages d'opinion.
C'est sous réserve de ces quelques modifications que je vous demande, mes chers collègues, d'approuver le projet de loi qui nous est soumis, en souhaitant que Mayotte, devenue française en 1841, sous le roi Louis-Philippe, et qui a confirmé, en 1974, de façon éclatante qu'elle entendait rester dans la République française, évolue vers le statut de département d'outre-mer - ce statut va sans doute être modifié sous peu, et tout le monde, Président de la République, Gouvernement et même Parlement est conscient que ce sera difficile, car il faudra élaborer des statuts « cousus main », pour utiliser mon expression que vous avez bien voulu reprendre et que le Président de la République a repris en termes similaires - et que Mayotte soit aidée tant par la métropole que par l'Europe de façon importante dans les dix années à venir afin que, en 2010, nous ne nous posions pas encore la même question : « Peut-on doter l'île d'un statut départemental ou non ? »
L'aide de la métropole ne suffira qu'à la double condition qu'avec la participation active des Mahorais nous maîtrisions l'immigration et la natalité et que nous ayons le courage, tous ensemble, de modifier le droit des personnes. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quarante, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)

PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER
vice-président

M. le président. La séance est reprise.
Mes chers collègues, je me dois tout d'abord de vous présenter les excuses de M. le président du Sénat qui, en ce moment même, assiste aux obsèques de notre regretté collègue Jean-Jacques Robert.

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QUESTIONS D'ACTUALITÉ
AU GOUVERNEMENT

M. le président. L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.
Conformément à la règle posée par la conférence des présidents, je rappelle que l'auteur et le ministre disposent chacun de deux minutes trente.
Chaque intervenant aura à coeur de respecter le temps imparti de deux minutes trente afin que toutes les questions et toutes les réponses puissent bénéficier de la retransmission télévisée.

TAXATION DES CARBURANTS

M. le président. La parole est à M. Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Madame la secrétaire d'Etat, le développement de l'activité économique et la révision à la hausse des perspectives de croissance pour cette année 2000 ont évidemment ouvert le débat sur l'affectation des recettes fiscales nouvelles.
Nous partageons certaines des orientations qui ont été fixées par le Gouvernement, tout en soulignant qu'il doit être, à notre avis, plus attentif aux argumentations exprimées par nos concitoyens, notamment en matière d'enseignement public ou de lutte contre les exclusions sociales.
Cela dit, se pose également la question de la baisse du niveau de nos impôts et taxes, rendue possible par l'existence de certaines marges de manoeuvre issues de la croissance.
Plusieurs propositions ont été mises en débat, sans qu'elles soient toutes prises en compte dans le cadre des premiers choix opérés.
Lors de la discussion du prochain collectif, il sera bien entendu temps de débattre de la pertinence de ces choix, tout en concevant une politique budgétaire et fiscale qui favorise la poursuite du processus de croissance économique.
A cet égard, si nous apprécions positivement l'annonce de la réduction du taux normal de la TVA, impôt injuste qui frappe plus lourdement les ménages les plus modestes, un effort se doit d'être accompli quant à la taxe intérieure sur les produits pétroliers, autre grand droit indirect de notre système fiscal, qu'une majorité de nos compatriotes souhaite voir réduite compte tenu du prix du litre des divers carburants qui a atteint l'inacceptable.
Ma question est donc la suivante : en gardant à l'esprit l'ensemble des problèmes posés par la consommation des produits pétroliers au titre de l'aménagement du territoire ou de l'environnement, par exemple, quelle initiative le Gouvernement entend-il prendre pour en alléger le poids pour les particuliers, tout en en améliorant l'économie générale ? (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Alain Gournac. Ah, les communistes !
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget. Monsieur le sénateur, en effet, le prix de l'essence subit les effets de la hausse du prix du pétrole, passé en quelques mois de dix à vingt-cinq dollars le baril ; chacun peut d'ailleurs s'en rendre compte en faisant le plein d'essence.
En ce qui concerne la fiscalité qui est applicable aux carburants, les décisions qui ont été prises depuis deux ans par le Gouvernement ont contribué non pas à augmenter cette fiscalité mais à limiter les effets de la hausse des cours du prix du pétrole sur le prix de l'essence à la pompe.
En effet, après vingt ans de hausse ininterrompue, la fiscalité sur le super sans plomb n'a pas été augmentée depuis le 1er janvier 1998. C'est une nouveauté dans la politique qui a été menée en cette matière et cette politique sera reconduite en 2000. (Protestations sur les travées du RPR.)
M. Alain Gournac. Formidable !
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. La France est un des rares pays de l'Union européenne à mener une politique de modération en ce qui concerne la fiscalité des carburants. Il suffit, pour s'en convaincre, de prendre un exemple : sur la même période, c'est-à-dire depuis le 1er janvier 1998, le Royaume-Uni a augmenté cette fiscalité de 75 centimes par litre.
C'est également une nouveauté pour les automobilistes qui n'étaient pas habitués à cette modération, même si, il est vrai, à la pompe, les prix augmentent.
Au bilan du gouvernement dirigé par M. Balladur (Ah ! sur les travées du RPR) de 1993 à 1995, il faut inscrire 60 centimes et au bilan du gouvernement dirigé par M. Juppé (murmures sur les mêmes travées), il faut en inscrire 32, dont, je dois le préciser, 12 qui résultent de la hausse de deux points de TVA, c'est-à-dire qu'au total c'est donc un franc de fiscalité par litre d'essence qui est payé par le consommateur au titre de ces quatre années de gouvernement. (Protestations sur les mêmes travées.)
M. Alain Gournac. Toujours la faute aux autres !
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Ainsi, non seulement, nous avons pris le contre-pied de cette politique d'alourdissement des taxes mais nous avons aussi tenté de mettre en place des mesures ciblées en faveur des secteurs économiques qui sont dépendants de l'évolution du prix du carburant, je pense en particulier aux transports.
Jean-Claude Gayssot a annoncé, au début de l'année, une mesure qui viendra s'ajouter à celle qui existait déjà pour les transporteurs routiers en faveur du transport collectif.
Pour terminer, je dirai que sur les 80 milliards de francs de baisse d'impôts qui vont intervenir en l'an 2000, dont 40 milliards de francs annoncés la semaine dernière par le Premier ministre (Ah ! sur les travées du RPR), la baisse d'un point de la TVA aura un impact direct sur le prix du carburant, puisque cette baisse contribuera à diminuer ce dernier.
M. Alain Gournac. Tout va donc bien !
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Ce gouvernement contribue donc à la modération de la fiscalité sur les carburants grâce à la stabilité de la TIPP et à la baisse de la TVA. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen. - Exclamations sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)

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SOUHAITS DE BIENVENUE
À UNE DÉLÉGATION DU SÉNAT ITALIEN

M. le président. Mes chers collègues, il m'est particulièrement agréable de saluer la présence, dans notre tribune officielle, d'une délégation de membres de la commission des affaires culturelles du Sénat italien, conduite par M. Franco Asciutti.
Nos collègues effectuent une mission d'étude sur les différents systèmes de protection et de gestion des biens culturels en Europe.
Ils ont été invités au Palais du Luxembourg par nos collègues M. Adrien Gouteyron, président de la commission des affaires culturelles et de M. Philippe François, président du groupe sénatorial d'amitié France-Italie.
La présence de cette délégation parmi nous, après la venue, la semaine dernière, du président du Sénat, M. Mancino, au forum des Sénats du monde, témoigne de la vitalité des relations entre nos deux assemblées.
Je forme des voeux pour l'heureux déroulement de leur séjour et leur adresse, en votre nom à tous, le salut fraternel du Sénat de la République française. (Mmes et MM. les ministres, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.)

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QUESTIONS D'ACTUALITÉ
AU GOUVERNEMENT (suite)

M. le président. Nous poursuivons les questions d'actualité au Gouvernement.

AVENIR DES RETRAITES

M. le président. La parole est à M. Badré (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Denis Badré. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.
Après cinq rapports et trois ans de consultations, vous proposez des « orientations » sur le problème des retraites, qui pourraient laisser entendre qu'il est urgent d'attendre...
Pour donner tout de même à votre discours un ton de combat, vous vous portez avec détermination au secours du principe de répartition, qui, pourtant, n'était attaqué par personne. (Oh ! sur les travées socialistes.)
Mais lorsque vous dites vouloir défendre ce principe en dotant de 1 000 milliards de francs le fonds de réserve créé en 1999, vous ne nous rassurez pas ; parce que, pour réunir cette somme, vous faites un pari, celui que la croissance forte et le plein emploi sont garantis pour l'avenir ; parce que ce n'est pas ce fonds de réserve qui traitera le problème dans la durée ; parce que c'est chaque année que le financement des retraites exigera 300 à 400 milliards de francs.
Votre proposition serait bonne, à condition que le beau temps persiste. Mais les Français attendront leurs retraites même si le temps doit se couvrir, et ils ne veulent pas qu'elles dépendent d'un pari.
La croissance étant revenue, c'est bien maintenant qu'il faut attaquer les réformes de structure, même si elles apparaissent moins pressantes. C'est aujourd'hui, en tout cas, qu'elles peuvent être conduites dans les conditions les moins difficiles.
M. Raymond Courrière. Si vous l'aviez fait hier, nous ne serions pas obligés de le faire aujourd'hui !
M. Denis Badré. Vous annoncez des concertations, notamment avec les fonctionnaires. Elles sont indispensables. Mais vous savez désormais, vous aussi, que le fait de les engager ne garantit pas leur succès !
Vous ne proposez rien pour résoudre durablement le déficit croissant des régimes spéciaux. Est-ce un oubli ?
Enfin, vous écartez la possibilité pour tous les Français de se constituer un complément de retraite par capitalisation. Cette formule, aujourd'hui parfaitement connue, a pourtant été adoptée par la plupart des pays développés. Elle correspond à une attente réelle de nos compatriotes. Etes-vous suffisamment riche ou assez sûr de vous pour continuer à vous priver de ce complément de ressources ?
Votre parole ne suffit plus pour rassurer les Français, inquiets pour leurs retraites. Le temps n'est plus aux plans sur la comète ni à ce que certains appellent avec humour les « modifications conservatrices ». Au-delà de vos orientations, la question demeure entière : quelles ressources pour quelles prestations ? (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Claude Estier. Et vous que proposez-vous ?
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Monsieur le sénateur, en effet avant de prendre des décisions, le Gouvernement fait des diagnostics, et je crois que c'est une bonne façon de travailler.
Le Premier ministre a repris avant hier un diagnostic qui n'est pas éloigné de celui du rapport Charpin puisque les déficits tels qu'ils ont été présentés - de l'ordre de 100 milliards de francs par an pour le régime général à partir de 2001, de 120 milliards de francs pour les fonctionnaires de l'Etat et de 40 milliards de francs pour les agents des collectivités locales - correspondent aux hypothèses de l'ensemble des instituts économiques, tant en termes de croissance qu'en termes d'emploi.
A partir de ce diagnostic, nous avons engagé des consultations mais nous avons aussi pris ce temps pour expliquer aux Français - car je crois, et le passé récent, notamment l'année 1995, l'a démontré, que ce n'est pas avec des coups de menton que l'on règle le problème des retraites - où était la difficulté et quels étaient les différents instruments qui nous permettaient d'avancer.
Le Premier ministre a dit clairement que si la croissance, la baisse du chômage et l'augmentation des cotisations pouvaient nous permettre de faire une partie du chemin, ce n'était pas suffisant et qu'il fallait effectivement que nous répondions au problème de nos retraites, c'est-à-dire que nous les garantissions sans faire peser sur les jeunes générations qui nous succéderont soit une augmentation de cotisations très forte, soit une baisse du niveau des retraites, et ce en agissant dans plusieurs domaines.
Il a fixé des principes que je crois bons pour que la négociation puisse s'engager.
Premier principe : la progressivité dans la mise en oeuvre. En effet, si l'on peut penser, par exemple, dans la fonction publique, à augmenter la durée de cotisations, cela ne peut se faire que progressivement, avec équité, c'est-à-dire en n'oubliant pas que certains ont exercé des tâches pénibles et sont donc usés aujourd'hui par le travail, et en discutant des contreparties qui constituent un nouveau pacte social dans la fonction publique, par exemple l'intégration des primes dans le calcul des pensions.
Deuxième principe : le respect de la diversité et de l'identité des régimes.
Je crois que, là aussi, marcher tous au pas cadencé - et parfois vous le rappelez - n'est pas une bonne méthode.
M. Serge Vinçon. Nous n'avons jamais dit cela !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Si ! Vous l'avez dit dans d'autres matières !
Il existe déjà des pactes sociaux dans les entreprises ; il faut aboutir à un nouveau pacte social sur les régimes de retraite par répartition, seul à même de garantir la solidarité entre les générations, voie vers laquelle nous devons nous engager.
Et puis, nous devons faire en sorte qu'il y ait de la souplesse en fonction des choix des individus : retraite progressive, décision de partir plus tôt ou plus tard en fonction de ses souhaits personnels et conséquences à en tirer en termes de niveau de retraite.
Le Premier ministre a dit clairement que nous devions avancer. Nous allons le faire par la négociation. Il a dit qu'il faisait confiance aux organisations syndicales. Je le fais aussi pour une raison simple : les Français sont conscients des problèmes et ils ont envie d'apporter une réponse au problème des retraites.
Monsieur le sénateur, ce n'est pas en défendant la retraite par capitalisation, c'est-à-dire une épargne individuelle réservée aux plus aisés (Protestations sur les travées du groupe du RPR), comme c'était le cas avec la loi Thomas, vidant la sécurité sociale de cotisations en transférant les salaires vers le capital, gérant ces fonds de manière non pas collective mais individuelle,...
M. Serge Vinçon. C'est une caricature !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. ... que nous progresserons.
C'est la raison pour laquelle le fonds de réserve, sur lequel le Premier ministre a donné des détails, est bien une façon de faire en sorte que la solidarité nationale aide au règlement des problèmes de retraite.
M. Alain Gournac. M. Jospin a dit qu'il n'y avait pas de problème !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Mille milliards de francs en 2020 pour le régime général, et sans doute plus pour les autres régimes ! Voilà une bonne façon d'avancer dans la solidarité et sans traiter différemment les plus riches et les plus pauvres. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Serge Vinçon. Caricature !

RÉFORMES EN COURS DANS L'ÉDUCATION NATIONALE

M. le président. La parole est à M. About.
M. Nicolas About. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'éducation nationale. (Exclamations sur les travées du groupe du RPR.)
Monsieur le ministre, des centaines d'établissements scolaires sont en grève ; les enseignants manifestent ; les parents d'élèves sont en colère ; les élèves sont mécontents.
Votre réforme de l'enseignement professionnel est contestée par manque de concertation, en tout cas si l'on en croit ceux qui le disent. Vous vous obstinez, semble-t-il, à détruire tout ce qui fonctionne encore au sein de l'éducation nationale. Le fond de votre projet ne serait-il pas de désengager l'Etat de la formation professionnelle ? Où est la voie professionnelle d'excellence ?
M. Raymond Courrière. C'est le fossoyeur de l'école publique qui nous donne des leçons !
M. Nicolas About. Pour l'instant, nous ne voyons qu'un nivellement par le bas. Ce n'est pas en réduisant les heures d'enseignement au détriment des cours de culture générale que les jeunes orientés dans la voie professionnelle pourront poursuivre leurs études vers un BTS.
Les projets de réforme du baccalauréat tendent à instaurer des baccalauréats « maisons » par le biais de contrôles continus. Ces projets ne feront qu'aggraver l'inégalité avec l'enseignement supérieur. Que vaudra le bac d'un établissement du Val-de-Marne face au bac d'un lycée parisien réputé ?
Monsieur le ministre, êtes-vous déterminé à poursuivre dans l'impasse que vous avez choisie ou êtes-vous disposé à revoir votre copie et à ouvrir enfin de véritables négociations pour mettre en place une politique de l'éducation qui vise à développer et à rénover l'enseignement professionnel et technologique et à lui attribuer une vraie place dans le système éducatif ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Monsieur le sénateur, je suis extrêmement surpris que, dans une question devant la représentation nationale, vous me posiez des questions qui sont de l'ordre du ragot et de la rumeur. (Protestations sur les travées du RPR.)
Il n'est pas question d'instaurer une formation continue pour le baccalauréat professionnel, parce qu'elle existe déjà ; il n'est pas question non plus de modifier quoi que ce soit dans ce domaine.
Monsieur le sénateur, il faut être cohérent avec ce que dit le groupe politique auquel vous appartenez ! Il est en effet question de faire en sorte que l'enseignement professionnel se fasse par le biais d'un partenariat entre l'entreprise et le lycée professionnel, ce que vous avez réclamé depuis des années, ce qui est malheureusement pratiqué clandestinement et en dehors de toute réglementation. Nous voulons faire en sorte que tout le monde respecte tout le monde, que l'éducation respecte l'entreprise et que l'entreprise respecte l'éducation. C'est cela, le pacte de l'enseignement professionnel intégré. Il ne s'agit pas d'autre chose !
Vous avez, en outre, énoncé une seconde contre-vérité : en fait, nous voulons renforcer l'éducation générale pour les candidats aux bacs professionnels, et introduire dans les programmes des enseignements de musique, de philosophie, de français. Vous ne pouvez pas prétendre le contraire !
Mme Nelly Olin. Avec des heures en moins !
M. Raymond Courrière. Laissez parler l'orateur !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Je vous demande, mesdames, messieurs les sénateurs, de bien comprendre une chose : nous vivons dans une civilisation dans laquelle la propagation de rumeurs prend de plus en plus de place.
M. Alain Gournac. Dites-le aux syndicats !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. J'espère que la représentation nationale ne se laissera pas entraîner dans cette voie.
Monsieur le sénateur, ne me posez pas vos questions de manière polémique : je suis prêt à vous répondre et à vous expliquer ce dont il s'agit, à savoir un partenariat négocié sous forme de contrats entre l'entreprise et les lycées professionnels, qui concerne toutes les entreprises et tous les lycées professionnels, afin que nos enfants puissent trouver du travail, qu'ils soient formés et qu'ils puissent s'insérer dans l'économie. Telle est la réforme que je veux mettre en oeuvre pour promouvoir l'égalité des chances.
Il s'agit d'installer des plates-formes technologiques dans les villes moyennes, afin de permettre aux lycées professionnels de s'intégrer à l'économie du pays. C'est de cela qu'il s'agit !
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le ministre.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Si des problèmes existent, cela est dû à des divergences de vues entre les organisations syndicales sur tel ou tel point.
Le ministre n'est pas au coeur du problème ; cela relève du décret !
Je demande à la représentation nationale de défendre la rénovation du service public et de faire en sorte que, dans ce pays, les enfants, les élèves puissent être éduqués dans l'école de la République et trouver un emploi. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste, du RDSE, du RPR et des Républicains et Indépendants.)

ENFOUISSEMENT DES DÉCHETS RADIOACTIFS

M. le président. La parole est à M. Bony.
M. Marcel Bony. Ma question s'adresse à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.
Monsieur le secrétaire d'Etat, une mission collégiale de concertation « granite » a été chargée de rendre un rapport au Gouvernement afin de permettre à celui-ci de faire le choix du massif granitique pouvant accueillir un laboratoire de recherche souterrain qui déterminerait s'il est possible d'entreposer en grande profondeur des déchets nucléaires hautement actifs.
Le rapport de cette mission collégiale doit notamment mentionner les questions, avis et propositions des élus, des associations et des populations impliqués. Pour ce faire, des consultations doivent être menées dans les départements concernés.
Or un document du 27 janvier 2000 émanant de la mission collégiale indique que celle-ci doit remettre son rapport au Gouvernement le 30 juin 2000.
Les responsables de cette mission n'auront manifestement pas le temps de mener une véritable concertation en trois mois, alors que quinze sites ont été présélectionnés.
En effet, à ce jour, aucune consultation n'a eu lieu dans le Puy-de-Dôme et la Creuse, qui sont pourtant directement concernés. Vous comprendrez que les sénateurs de ces départements s'inquiètent beaucoup de cette situation.
Monsieur le secrétaire d'Etat, que comptez-vous faire pour que les élus, les associations et les populations soient réellement informés et consultés afin de leur permettre de se déterminer en toute connaissance de cause ?
Par ailleurs, les recherches concernant les solutions alternatives à l'enfouissement, prévues par l'article 4 de la loi du 30 décembre 1991, sont-elles toujours d'actualité ? Je veux parler du stockage en surface et du retraitement.
Il s'agit, vous le savez, d'un sujet extrêmement important qui engage l'avenir des territoires et des populations pour des milliers d'années. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie. Je veux d'abord vous rassurer, monsieur le sénateur : aucune décision n'est prise quant à l'implantation éventuelle d'un laboratoire de recherche dans les départements que vous avez évoqués. La démarche du Gouvernement s'inscrit en effet pleinement dans la logique de la loi du 30 décembre 1991, qui a été votée à l'unanimité par le Parlement.
Cette loi définit trois axes de recherche : séparation et transmutation, entreposage en surface ou subsurface et stockage en profondeur.
Il s'agit pour l'instant de rechercher un site granitique susceptible d'accueillir un laboratoire de recherche scientifique. Je tiens à préciser que la loi interdit le stockage de déchets radioactifs dans les couches géologiques profondes, il s'agit donc d'étudier l'installation éventuelle d'un laboratoire.
La nomination de la mission que vous évoquez a été faite conformément aux dispositions de la loi du 30 décembre 1991 par le Gouvernement, non pas pour prendre des décisions mais pour ouvrir le dialogue.
Par ailleurs - cet élément devrait également, vous rassurer, monsieur le sénateur - sur la question importante du futur des déchets nucléaires, la décision ne pourra être prise qu'après 2006 par une loi, une loi étant nécessaire pour décider de suivre telle ou telle piste.
Dans l'immédiat, la démarche des médiateurs est fondée sur deux concepts essentiels, la transparence et le dialogue, après une analyse géologique par le bureau de recherches géologiques et minières, l'avis préalable de la commission nationale d'évaluation, la cartographie des sites, des réunions de travail avec les populations, les élus, les associations et les milieux scientifiques, conformément au décret du 3 août 1999.
Toutes les voies préalables de la concertation, directe et indirecte, sont nécessaires pour traiter de cette question. Une lettre d'information ouverte à tous sera prochainement envoyée, un site Internet sera créé.
En tout état de cause, monsieur le sénateur, le Gouvernement donnera le temps. Dans trois mois, il y aura le bilan d'état provisoire que vous avez évoqué. Ensuite, les recherches scientifiques pourront être poursuivies.
Nous ne sommes pas pressés. Nous avons du temps à donner au temps !...
M. Alain Gournac. Ce n'est pas sûr !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Nous avons du temps pour écouter, pour expliquer et pour créer un véritable consensus auquel les élus seront naturellement associés en première ligne. (Exclammations sur les travées du RPR.)
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. En tout état de cause, les collectivités locales pourront se porter candidates in fine.
Rien ne sera forcé, rien ne sera obligatoire, tout sera mélé intimement grâce à une concertation très approfondie et au dialogue démocratique. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)

AVENIR DES RETRAITES

M. le président. La parole est à M. Hugot.
M. Jean-Paul Hugot. Mon propos concernant les retraites s'adresse à M. le Premier ministre et à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.
M. Lionel Jospin a reconnu qu'il existait un problème quant aux retraites. Pourtant, là où l'on attendait des engagements pour aujourd'hui et pour demain, nous avons eu non pas des décisions, mais des spéculations aléatoires fondées sur un modèle de développement extrêmement optimiste, la croissance en 2000, au point que l'on peut se demander quelles propositions auraient été faites lorsqu'on les attendait voilà deux ou trois ans, au moment où la situation internationale était moins favorable ! (M. Courrière s'exclame.)
Nous avons eu des prophéties là où nous attendions des décisions ! Nous espérions des réponses précises, et l'on nous renvoie à l'an 2020. Or, je le rappelle, François Mitterrand, évoquant l'urgence de prendre des décisions sur les retraites, prévoyait comme limite l'année 2010 ! (MM. Lassourd et Gournac s'exclament.) Nous avons gagné dix ans !
Tout nous invite donc aujourd'hui à nous déresponsabiliser, et l'Etat montre le chemin en nous renvoyant à une vision optimiste de la mécanique du développement.
Par ailleurs, on prétend retenir, pour des raisons idéologiques, le principe de la répartition contre celui de la capitalisation.
Je rappelle à ce sujet que l'opposition actuelle a été la première à montrer son attachement au pacte entre les générations et à la sauvegarde du système de retraite par répartition. C'est elle en effet qui a renforcé le régime général des retraites de façon progressive et qui s'est employée à créer le fonds de solidarité vieillesse. (M. Mahéas proteste.)
On nous dit : vous êtes contre la capitalisation ! C'est exact, madame la ministre, nous sommes contre la capitalisation que je qualifierai de naturelle, celle des particuliers se garantissant eux-mêmes contre les baisses de revenus.
Plutôt que cette solution, nous préférons le maintien du système actuel. Aux démarches spontanées et anarchiques, un peu marginalisées et inégalitaires...
M. Bernard Piras. La question !
M. Jean-Paul Hugot. ... nous préférons un système d'épargne retraite démocratique.
M. le président. Votre question, monsieur Hugot.
M. Jean-Paul Hugot. Face à l'inégalité des retraites contre laquelle on ne veut rien faire, madame la ministre,...
Plusieurs sénateurs socialistes. La question !
M. Jean-Paul Hugot. ... avez-vous une solution alternative à celle qui se fonde sur vos prévisions optimistes, prévisions insuffisamment fondées ?
La volonté politique du Gouvernement n'apparaît nullement, si ce n'est au travers de prophéties parfaitement aléatoires ! (Protestations sur les travées socialistes. - Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Monsieur le sénateur, je m'étonne que les représentants de l'opposition qui ont applaudi au rapport Charpin et à ses conclusions en viennent aujourd'hui à considérer que les hypothèses sur lesquelles il se fonde sont purement aléatoires.
Nous avons travaillé sur un rapport établi par des experts. Vous avez applaudi à ce moment-là et, aujourd'hui vous récusez ces hypothèses.
M. Jacques Mahéas. Ils récusent tout !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Ces hypothèses peuvent effectivement être revues. Nous pouvons nous tromper. Nous pouvons tous nous tromper.
Qui aurait d'ailleurs pu penser, voilà trois ans, quand vous étiez au pouvoir et que nous avions le taux de croissance le plus bas d'Europe, que, trois ans après, nous aurions le taux de croissance le plus élevé d'Europe ? Il est vrai que, sans la dissolution, personne n'aurait pu y penser ! (Applaudissements sur les travées socialistes. - Protestations sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
Le conseil d'orientation des retraites, que le Premier ministre a annoncé, travaillera et étudiera au fur et à mesure les hypothèses macroéconomiques. Dès lors, s'il s'avère nécessaire de prendre de nouvelles décisions, nous les prendrons. J'espère d'ailleurs que nous les prendrons dans le consensus le plus large.
M. le Premier ministre a déclaré - je répète ce que j'ai dit tout à l'heure - que la croissance, le chômage et l'augmentation des cotisations pouvaient régler une partie des problèmes et non la totalité. C'est la raison pour laquelle il a appelé l'ensemble des organisations patronales et syndicales à négocier, sur la base d'un certain nombre de principes dont j'ai parlé tout à l'heure, pour établir un nouveau pacte de solidarité qui garantisse la retraite par répartition et la solidarité entre les générations.
Par ailleurs - je le relève avec intérêt - le Premier ministre a décidé de mettre en place un fonds de réserve qui est une réponse de la solidarité nationale aux difficultés soulevées par les retraites. Il s'agit d'un fonds de réserve de 1 000 milliards de francs pour le régime général en 2020.
Si vous le voulez bien, je vous en ferai parvenir le détail, ce dispositif étant très étroitement lié à l'excédent de la CNAV, de la C3S, du Fonds de solidarité vieillesse, des prélèvements sur les revenus du patrimoine que nous avons mis en place et, bien évidemment, des intérêts financiers tirés des participations de l'Etat dans les entreprises publiques. Ce fonds de retraite permettra de traiter la moitié du problème entre 2020 et 2040.
En résumé, voici notre réponse : croissance, baisse du chômage, effort réalisé par la concertation et par la négociation, fonds de réserve qui apporte l'élément de solidarité.
Monsieur le sénateur, j'ajoute que la retraite par capitalisation que certains membres de l'opposition - pas tous ! - prônent comme devant remplacer la retraite par répartition ne réglerait rien. (Vives protestations sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
J'ai là un document émanant de l'un d'entre eux, mais je veux bien entendre que vous êtes divisés ! Quoi qu'il en soit, ceux qui prônent la capitalisation savent bien que celle-ci ne règle aucun problème. Du fait des données démographiques et des modalités de prélèvement, si l'on met en place la capitalisation aujourd'hui, la génération qui aura payé pour la répartition devra à nouveau payer pour la capitalisation et aucun des problèmes ne sera réglé.
Je conclurai en disant tout simplement, monsieur le sénateur, que si vous et vos amis souhaitez - comme vous nous le dites, et je ne demande qu'à vous croire - consolider le régime par répartition, vous devez soutenir la démarche du Gouvernement.
Si vous avez d'autres propositions, les Français les attendent !
Faut-il augmenter de 42 à 45 ans la durée de cotisation ? Dites-le, si c'est cela que vous voulez !
M. le président. Il vous faut conclure, madame le ministre.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Faut-il prendre des décisions par des coups de menton, comme en 1995 ? Dites-le, si c'est cela que vous pensez ! (Protestations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Telle n'est pas notre méthode, car ce n'est pas ainsi que nous réglerons le problème des retraites. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen. - Protestations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Alain Gournac. Il faut remanier !

RÉFORMES EN COURS
DANS L'ÉDUCATION NATIONALE

M. le président. La parole est à M. Vallet.
M. André Vallet. Monsieur le ministre de l'éducation nationale, le 26 mars 1999, lors de votre audition par la commission d'enquête du Sénat sur la situation et la gestion des personnels de l'éducation nationale, vous souhaitiez que « les enseignants, au lieu de s'opposer à des réformes, comme le font certains par habitude depuis un certain nombre d'années, en défilant, en se plaignant que la société ne les reconnaît pas assez, redeviennent ce qu'ils ont été entre 1945 et 1970, c'est-à-dire les moteurs de la réforme ». « Il faut qu'ils occupent cette place », disiez-vous et vous ajoutiez : « On n'ira pas les prendre par la main pour les y mettre. »
Le moins que l'on puisse dire, c'est que vous n'avez pas été très écouté. Je le regrette, et nous sommes nombreux, au sein du groupe du Rassemblement démocratique et social européen, à le déplorer.
En dix ans, le budget de votre ministère a progressé de 100 milliards de francs. Pendant le même temps, le nombre des élèves a baissé de 30 000, et 43 000 emplois supplémentaires ont été créés. Il est vrai que le nombre d'enseignants qui ne sont pas devant une classe est passé de 30 000 à 70 000, absorbant pratiquement ces créations.
Pendant le même temps, le budget de l'éducation nationale a atteint 18,4 % du budget de l'Etat, contre 15,8 % en 1989.
Etait-il nécessaire, monsieur le ministre, parce que les défilés que vous déploriez ont repris - défilés dans lesquels j'ai aperçu des enfants qui, pour le moins, n'avaient pas à y être - d'abonder l'enveloppe de l'éducation nationale d'un milliard de francs supplémentaires ?
M. le président. Votre question, mon cher collègue !
M. André Vallet. Etait-il nécessaire, monsieur le ministre, d'abandonner votre excellente idée d'annualisation du temps de travail des professeurs des lycées professionnels ?
Etait-il nécessaire, monsieur le ministre, même si des arrière-pensées électorales vous contraignent à opérer des choix qui, d'évidence, ne sont pas les vôtres, de continuer à engraisser le mammouth ? (Applaudissements sur les travées du RDSE, du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Monsieur le sénateur, si, par votre question, vous demandez si l'on peut ou si l'on doit réformer l'éducation nationale, ma réponse est claire : oui, il faut la réformer, l'adapter au monde nouveau, il faut donner à tous nos enfants l'égalité des chances !
M. Alain Lambert. C'est vrai !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Je veux simplement vous donner un indice : alors que l'accès à l'enseignement supérieur s'est démocratisé, puisque près de 60 % d'une classe d'âge y parvient, le nombre de fils de familles modestes - dans lesquelles j'inclus les instituteurs - qui entrent à l'Ecole polytechnique, à l'Ecole nationale d'administration, à l'Ecole normale supérieure, a décru. Notre enseignement est devenu plus injuste pour les pauvres, pour les plus démunis.
Plusieurs sénateurs du RPR. C'est vrai !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Mon idée a toujours été de rétablir l'égalité des chances partout, entre les enfants mais aussi entre les provinces - c'est pourquoi nous avons élaboré des plans pour les départements et les territoires d'outre-mer et pour la Seine-Saint-Denis - en mettant l'accent sur le mérite - c'est pourquoi, nous avons rétabli les bourses au mérite - qui avaient été abandonnées - pour les élèves d'excellence venant de familles modestes qui préparent les concours des plus grandes écoles.
Vous le savez, monsieur le sénateur, beaucoup de réformes ont été enterrées et, toujours par le biais des mêmes méthodes. Je n'aurais pas la cruauté d'énumérer les réformes de l'éducation nationale auxquelles les noms prestigieux de serviteurs de la République sont associés, mais la mécanique est toujours la même.
Nous avons décidé la réforme et le Gouvernement la poursuit.
Les associations de parents d'élèves, qui représentent plus de votants que d'autres, nous écrivent et nous demandent l'application des réformes. Nous les entendons.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le ministre.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Certains syndicats d'enseignants demandent, certes pas très fortement, le maintien des réformes. Après les parents d'élèves, le pays qui bouge, celui qui appartient aussi bien à la gauche qu'à la droite la plus dynamique, nous écrit pour demander aussi le maintien des réformes. Par-delà les personnes et la personnalité du ministre, ils sentent bien que c'est la modernisation de notre pays qui est en jeu.
Qu'on ne se trompe pas d'enjeu. Sur quelque banc que vous siégiez, vous devez agir pour que ce pays se modernise et pour aider les réformes de l'éducation nationale. (Bravo ! et applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)

RISQUES ENCOURUS PAR LES PERSONNES
AYANT PARTICIPÉ AU NETTOYAGE DES PLAGES
À LA SUITE DU NAUFRAGE DE L' ERIKA

M. le président. La parole est à M. Richert.
M. Philippe Richert. L'actualité est aujourd'hui monopolisée par les réformes qui patinent et l'évocation, par le Gouvernement, des pistes pour se désengluer de l'apparente crise de tétanie. Toute cette fébrilité ambiante relègue au second plan une catastrophe dont la gestion a été, et reste, plus que hasardeuse : je veux parler du naufrage de l' Erika .
Au-delà de l'indignation justifiée de tous ceux qui accusent les gouvernements de laisser de véritables épaves sillonner nos mers et croiser près des côtes, il faut bien reconnaître que peu de leçons ont été tirées des catastrophes passées. Une nouvelle fois, ce sont des côtes, des plages, des rochers souillés, des centaines de milliers d'oiseaux mazoutés, les économies et l'image des régions atteintes. Ce qui a frappé l'opinion, c'est le sentiment d'impuissance, voire d'inertie, face à la catastrophe. De jour en jour, la nappe s'est rapprochée des côtes, les barrages flottants n'ont pas été opérants, il n'a pas même été possible, des mois après, de pomper les hydrocarbures qui continuent à s'échapper de l'épave.
Avec nos collègues du littoral, notamment avec Philippe Nogrix, je voudrais que ce dossier ne soit pas occulté et qu'il y ait des communications régulières sur l'état des interventions sur les côtes.
Le dévouement et la générosité des bénévoles sont admirables. Ces derniers sont venus de partout, non seulement des communes touchées, mais aussi de toute la France, pour prêter main-forte, avec des moyens souvent rustiques, pour nettoyer les côtes et soigner les oiseaux. Ces bénévoles ont été exposés à des hydrocarbures fortement toxiques et hautement dangereux.
Rappelez-vous ces classes, ces familles venues dans un élan civique, ces militants engagés. Aujourd'hui ils découvrent le cynisme de ceux qui les ont soigneusement tenus dans l'ignorance la plus totale des risques encourus. Certes, Mme le ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement expliquait, lorsque l'affaire a été éventée, que la durée d'exposition au risque était trop brève pour que des cancers se déclarent. Est-ce pour autant une raison de ne pas informer, de ne pas avertir, de ne pas alerter ? Cet épisode me rappelle curieusement celui de la catastrophe de Tchernobyl !
M. le président. Votre question, monsieur Richert.
M. Philippe Richert. Pour justifier leur attitude de négation des risques et leur volonté de cacher à l'opinion publique le passage du nuage radioactif, les responsables ont alors expliqué qu'il faudrait, pour que le danger soit réel, consommer des kilogrammes de salade radioactive. Aujourd'hui, on nous ressert le même plat !
A l'époque, Mme Voynet - avec d'autres, et j'en étais - avait dénoncé cette attitude inexcusable et irresponsable. A-t-on le droit de piétiner le principe de précaution, de laisser sciemment des populations dans l'ignorance de la haute toxicité des produits sans les protéger ?
Si nos entreprises agissaient de même, qu'en serait-il ? Je demande au Gouvernement ce qu'il compte faire. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale. Monsieur le sénateur, je voudrais tout d'abord vous prier d'excuser Mme Voynet, qui avait justement rendez-vous aujourd'hui pour discuter de l'indemnisation des sinistrés avec M. Jacobsson, administrateur du fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, le FIPOL. Voilà pourquoi c'est moi-même qui réponds à votre question.
Tout d'abord, je vous rassure, monsieur le sénateur : l'expérience des marées noires précédentes, notamment celle de l' Amoco-Cadiz , a été prise en compte pour l'organisation des pouvoirs publics dans le cadre du plan de lutte contre les pollutions maritimes, le plan Polmar, et nous continuerons, après cette séquence de catastrophes, d'en tirer les conséquences et le meilleur enseignement.
Ce plan est en vigueur depuis le début de la catastrophe et c'est dans ce cadre qu'ont été mises en place les actions de prévention de la pollution et de nettoyage des sites souillés. Il sera maintenu tant que cela sera nécessaire et nous ferons des communications régulières tant sur les conditions de sa mise en oeuvre que sur les résultats obtenus.
Lors du comité interministériel de l'aménagement et du développement du territoire, le 28 février dernier, le Gouvernement a décidé de porter le montant total des crédits affectés au plan Polmar à 560 millions de francs afin de permettre précisément la prise en charge de 900 contrats à durée déterminée qui viendront s'ajouter aux équipes déjà mises en place et mobilisées par l'Etat.
De plus, pour réagir très vite à toute pollution d'origine marine, il a été décidé de doter en permanence ce fonds de 10 millions de francs dès l'année prochaine, et cela de façon pérenne.
Je voudrais revenir sur les actions engagées par les pouvoirs publics qui ont constamment visé à garantir la protection des personnes, afin d'éviter qu'elles ne soient exposées à des risques pour leur santé.
A cet égard, je vous dirai, monsieur le sénateur, que le fait d'exploiter l'inquiétude des bénévoles et des professionnels qui travaillent sur les plages et dans les centres de soin ne me semble pas une attitude raisonnable ! (Protestations sur les travées du groupe du RPR.) Avant même l'arrivée des premières nappes d'hydrocarbures sur le littoral, des dispositions ont été prises par les pouvoirs publics afin d'évaluer les risques sanitaires éventuels.
M. Alain Gournac. C'est faux !
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Le caractère cancérigène du fioul déversé a été rapidement évoqué par les premières expertises.
M. le président. Veuillez conclure, madame le secrétaire d'Etat.
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Pour le risque dans les chantiers de dépollution, le centre antipoison de Rennes avait, dès le 21 décembre 1999, estimé le niveau et la durée probable d'exposition suffisamment limités pour négliger les problématiques carcinogènes.
M. Alain Gournac. C'est un privé qui a procédé à l'expertise !
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Dès que nous avons eu connaissance d'éléments controversés portant sur la composition réelle du fioul déversé, Dominique Voynet et moi-même...
M. Alain Gournac. Elle était en vacances !
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Pas au mois de janvier !
M. le président. Je vous prie de conclure, madame le secrétaire d'Etat.
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Je termine, monsieur le président.
Dominique Voynet et moi-même, disais-je, avons souhaité commander des contre-expertises complémentaires, qui ont été confiées à l'Institut national de l'environnement industriel et des risques, l'INERIS, et au RIVM, un institut indépendant néerlandais.
Leurs résultats ont aussi confirmé que le risque lié à une exposition par inhalation ou par pénétration du produit à travers la peau est négligeable.
M. le président. Il vous faut conclure, madame le secrétaire d'Etat.
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Ces mesures de protection ont été édictées d'emblée, dès l'arrivée de la pollution.
Les services de l'Etat, en étroite coordination, ont rapidement, systématiquement, de façon itérative, actualisé ces dispositions pour réduire le plus possible le risque éventuel lié à l'exposition. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)

AVENIR DE LA DÉCENTRALISATION

M. le président. La parole est à M. Raffarin. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. Jean-Pierre Raffarin. Ma question aurait pu s'adresser à M. le Premier ministre, à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, à M. le ministre de l'intérieur, finalement à tout le Gouvernement !
Auparavant, je voudrais dire que j'ai trouvé dans les propos tenus par M. Allègre tout à l'heure un message de courage. Je ne sais pas si ce sont les dernières consignes, mais je tenais à souligner la hauteur de sa réponse.
Voilà quelques mois, M. Jospin a reçu dans son bureau le président de l'Association des maires de France, le président de l'Assemblée des départements de France et le président des régions de France. Il leur a dit que ce n'était pas parce que les socialistes avaient fait voter les lois Defferre qu'ils étaient exonérés de toute avancée en matière de décentralisation (Approbation sur les travées du RPR), et il leur a proposé de créer une commission.
Nous y avons participé de bon coeur.
Elle était présidée par un sénateur, M. Mauroy, et nous y étions représentés. Nous avons donc travaillé. Mais, depuis que cette commission existe, nombreux sont les mauvais coups qui ont été portés à la décentralisation. Je pense au projet sur les aides économiques, qui va favoriser la confusion des compétences, plutôt que de les clarifier, et renforcer la bureaucratie ! Je pense aussi au projet de régionalisation ferroviaire, mal financé, pour lequel l'urgence a été déclarée, alors que la question est fort complexe et qu'on a pas eu le temps de l'examiner à fond. Je pense encore à un texte beaucoup plus vaste sur l'urbanisme.
M. Alain Gournac. Un texte brouillon !
M. Jean-Pierre Raffarin. Et maintenant, sans aucune concertation, on apprend la révision de la taxe d'habitation. La politique de la France ne se fait plus à la corbeille, mais sur TF1, au journal de 20 h. On nous prive de ressources fiscales et on nous annonce que, désormais, on recentralise la fiscalité et que les finances locales sont placées sous tutelle budgétaire.
Les finances d'une région moyenne et sympathique comme Poitou-Charentes dépendront maintenant, pour plus de 50 %, de dotations de l'Etat. On va faire des régions des pôles d'émergence de nouveaux préfets. Ce n'est pas l'ambition de la décentralisation !
M. Claude Estier. Vous étiez contre, à l'époque !
M. Jean-Pierre Raffarin. Ma question est toute simple : quelles sont les prochaines avancées que le Gouvernement veut soutenir pour développer la décentralisation ? A quoi sert la commission Mauroy ? (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, de l'Union centriste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget. Monsieur le sénateur, en effet, M. le Premier ministre a annoncé jeudi dernier une diminution de grande ampleur de la taxe d'habitation, puisqu'elle atteindra, dès 2000, 11 milliards de francs.
Cette décision répondait à un engagement, qui avait été pris dès 1995 par le candidat Lionel Jospin et réitéré en 1997, de rendre les impôts locaux plus justes - et je crois qu'ici chacun souscrit à cet objectif.
Cette décision répondait aussi à une attente des familles, car comment expliquer qu'aujourd'hui un RMIste soit totalement exonéré de taxe d'habitation tandis qu'un titulaire de l'allocation de solidarité spécifique, qui perçoit à peu près la même somme chaque mois, doit, lui, payer parfois jusqu'à 1 500 francs par an de taxe d'habitation ?
M. Alain Gournac. Ce n'est pas une réponse !
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Elle répondait aussi à une demande des parlementaires de toute opinion, puisque, dans l'article 28 de la loi de finances pour 2000, qui a été voté dans les mêmes termes par l'Assemblée nationale et par le Sénat, il était demandé au Gouvernement de soumettre au Parlement des propositions présentant diverses modalités de réforme de la taxe d'habitation...
M. Alain Gournac. On ne les a pas vus !
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. ... en vue d'alléger significativement la charge supportée par les contribuables dès 2000.
Le Gouvernement a donc tenu ses engagements (Non ! sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Bien sûr, la taxe d'habitation est une ressource importante des collectivités locales - cela n'avait point échappé au Gouvernement - et il est difficile de la diminuer de façon significative sans diminuer, d'une façon ou d'une autre, les ressources des collectivités locales, ce dont les sénateurs, qui ont adopté l'article 28 de la loi de finances pour l'année 2000, avaient évidemment conscience.
Pour autant, peut-on soutenir, comme vous le faites, que l'on porte atteinte à la décentralisation (Oh oui ! sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste) en se bornant à supprimer la part régionale de la taxe d'habitation ?
M. Alain Gournac. C'est évident !
M. Patrick Lassourd. Bien sûr !
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Honnêtement, je ne le crois pas. La part régionale de la taxe d'habitation représente 5,8 milliards de francs, c'est-à-dire moins de 10 % du produit de cette taxe et moins de 2 % de l'ensemble des recettes fiscales des collectivités locales.
Par conséquent, nous sommes loin de remettre en cause, me semble-t-il, les principes auxquels vous êtes légitimement attachés, mesdames, messieurs les sénateurs. D'ailleurs, nous avons eu l'occasion de nous en expliquer hier, Jean-Pierre Chevènement et moi, devant la commission présidée par Pierre Mauroy, et je crois que les raisons pour lesquelles M. le Premier ministre a annoncé cette décision dès jeudi ont été fort bien comprises par les membres de cette commission. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)

TRAÇABILITÉ DES VIANDES BOVINES

M. le président. La parole est à M. Moreigne.
M. Michel Moreigne. Ma question s'adresse à Mme le secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat, chargée de la consommation. Elle porte sur l'étiquetage et la traçabilité des viandes bovines.
Un accord conclu à ce sujet le 17 février 1998 par les associations professionnelles membres de l'association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes a été étendu par un arrêté interministériel du 20 octobre 1998. Il s'applique aux viandes bovines françaises et permet d'informer les consommateurs sur l'origine de celles-ci, leur catégorie et le type racial des animaux dont elles sont issues.
En effet, le règlement européen du 21 avril 1997 prévoyait la possibilité, pour chaque Etat membre, de mettre en place, dès avant le 1er janvier 2000, un étiquetage obligatoire de la viande bovine provenant d'animaux nés, engraissés et abattus sur leur territoire.
En France, un arrêté en date du 7 février dernier, signé par vous-même, madame la secrétaire d'Etat, et par M. Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche, prolonge le système d'étiquetage jusqu'au 31 août 2000, c'est-à-dire jusqu'à l'entrée en vigueur de nouvelles dispositions européennes. Or, la Commission européenne prévoirait la généralisation d'un étiquetage obligatoire mais, semble-t-il, peu précis. Les éleveurs français et les associations de consommateurs expriment leurs inquiétudes à ce sujet.
Je vous demande si la qualité des informations dont les consommateurs bénéficient jusqu'à présent sera bien conservée dans le cadre de la mise en oeuvre des procédures de traçabilité et communes à l'ensemble des pays membres de l'Union européenne et si, dès l'automne prochain, les futurs codes-barres contiendront bien toutes les informations concernant l'origine, la race et le lieu d'abattage des bovins.
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat. Monsieur le sénateur, la question que vous posez est effectivement une question très importante.
D'abord, elle touche à la santé publique, Dominique Gillot et Martine Aubry, en ont déjà largement développé les tenants et les aboutissants : nous sommes effectivement inquiets d'un certain nombre de dispositions qui pourraient être prises.
C'est ensuite une question importante pour nos agriculteurs, qui craignent avec juste raison que des consommateurs inquiets par un recul sur l'étiquetage de la viande bovine ne réagissent en ne mangeant plus ou en mangeant moins de viande bovine, mettant en danger un secteur qui, économiquement, avait réussi à se sortir correctement d'une crise très grave.
Face à un problème de cette ampleur, nous avons défendu, auprès de l'Union européenne, l'idée de retenir un étiquetage « CE », c'est-à-dire précisant simplement que les viandes sont d'origine européenne.
Ce mot de « traçabilité » est épouvantable, je vous l'accorde, mais il s'agit simplement d'indiquer aux consommateurs d'où provient la viande qu'ils mangent et dans quelles conditions elle a été élevée. En cas d'accident ou d'incident, elle permet de retrouver l'ensemble des viandes ayant été distribuées.
Or l'étiquetage « CE » ne nous protégera pas de la circulation de viandes qui ne seraient malheureusement pas tout à fait conformes à notre législation. A ce propos, je regrette que la recherche du profit à n'importe quel prix puisse, d'une part, aboutir à mettre en danger les consommateurs, ce qui est extrêmement grave, et, d'autre part, entraîner des difficultés économiques pour un secteur agricole qui a fait énormément de progrès en France et qui a largement pris conscience de sa responsabilité vis-à-vis de la population.
Cette question mobilisera la présidence française de l'Union européenne, car nous voulons que les procédures communautaires soient le reflet d'une traçabilité rigoureuse. Nous n'accepterons pas d'approximation dans ce domaine : nous voulons que toutes les viandes européennes soient étiquetées. Nous voulons que l'origine et les lieux d'élevage et d'abattage des viandes soient clairement précisés. Nous voulons que le système français d'étiquetage obligatoire soit accepté.
Je terminerai sur une note d'optimisme en indiquant que le ministre suédois m'a affirmé tout à l'heure qu'il nous soutiendra dans cette démarche. C'est un appui supplémentaire, et j'espère en juillet avoir une bonne nouvelle à vous annoncer, à vous monsieur le sénateur, ainsi qu'à l'ensemble des éleveurs et des consommateurs français. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)

PROGRAMME NH 90

M. le président. La parole est à M. Demuynck.
M. Christian Demuynck. Ma question s'adresse à M. le ministre de la défense.
La France, l'Allemagne, les Pays-Bas et l'Italie doivent approuver les termes d'un accord permettant de développer le projet d'hélicoptère de transport de combat NH 90 élaboré par la société Eurocopter, située notamment en Seine-Saint-Denis, et plus précisément à La Courneuve. Son industrialisation devrait débuter en juin, une fois le contrat d'engagement signé par les quatre pays lors du salon aéronautique de Berlin.
Cet hélicoptère constituera donc l'ossature d'une flotte européenne. Actuellement, les besoins de ces pays sont assurés par 730 appareils âgés de vingt à quarante ans, et aux deux tiers américains.
En signant cet accord, ces quatre Etats, qui exercent chacun un domaine de compétence au sein de cette société, favoriseront les chances de remporter un appel d'offres pour répondre à une forte commande des pays nordiques.
Or, monsieur le ministre, pour l'heure, le gouvernement français n'a toujours pas confirmé sa volonté de soutenir ce programme, ce qui fragilise la force de vente d'Eurocopter.
Comment, en effet, paraître crédible si l'Etat lui-même n'accorde pas sa confiance à cet industriel ?
Par ailleurs, si l'Etat français ne passe pas commande, nos partenaires obtiendront la délocalisation des sites de production actuellement détenus par notre pays. Economiquement, 5 400 emplois sont en jeu, soit 1 800 agents pour Eurocopter et 3 600 personnes en sous-traitance.
Si cet accord n'est pas signé, l'appel d'offres correspondant à une future commande des pays nordiques, qui doit être bouclé le 4 avril - c'est très proche, monsieur le ministre - écartera notre pays de la course à ce contrat.
Ce nouvel enjeu économique est capital pour l'avenir de cette entreprise, de ses employés et de la France. J'aimerais donc savoir, monsieur le ministre, quelle est la position claire et définitive du Gouvernement sur ce sujet. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants. - M. Charasse applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard, ministre de la défense. Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre question. Cette formule fait habituellement sourire lorsqu'elle s'adresse à un parlementaire de la majorité. En l'occurrence, mes remerciements sont très objectifs dans la mesure où votre question me permet de répondre de manière tout à fait positive à une demande de précision, qui vient en temps et en heure.
Le programme NH 90 est en effet le résultat d'une coopération entre l'Allemagne, l'Italie, les Pays-Bas et notre pays. Son développement, lancé en 1992, se poursuit de manière satisfaisante, avec les essais en vol de quatre prototypes.
Les Etats partenaires préparent maintenant l'industrialisation et la production du premier lot d'appareils. Chaque Etat a engagé des discussions nationales pour rassembler les ressources financières nécessaires à la réalisation d'un programme qui va s'inscrire dans la durée.
Je profite de l'occasion pour confirmer à nouveau que le Gouvernement a, pour la première fois, mis en place un programme de commandes pluriannuelles groupées qui, certes, nous oblige à réserver d'importantes autorisations de programme au début mais qui, ensuite, permet aux industriels de développer leur production sans à-coups.
La France va, dans les tout prochains jours, confirmer son engagement dans l'industrialisation du NH 90 et sa commande de vingt-sept appareils - ce seront les premiers - destinés à succéder, au sein de la marine nationale, aux Super Frelon et aux Lynx. L'industrie française sera donc chargée d'une part très significative de la réalisation de cette commande.
Les quatre pays partenaires vont notifier le contrat - au total, il portera sur près de deux cents appareils - au consortium industriel, dans lequel Eurocopter joue un rôle majeur. Cette notification interviendra dans le courant du mois de juin 2000, pour le salon de Berlin. Votre information était tout à fait exacte à cet égard.
Nous serons en bonne position pour que le NH 90 ait de bonnes chances dans l'appel d'offres des pays nordiques, que nous suivons de très près.
J'en profite pour vous dire qu'Eurocopter, qui sera un des fleurons du nouveau groupe européen EADS - European Aeonautic Defense and Space Company - accomplit sa quatrième année comme premier hélicoptériste mondial. Ainsi, le partenariat entre le ministère de la défense, les ministères civils et Eurocopter produit à nouveau de bons résultats ! (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RPR.)

REMBOURSEMENT DE LA TVA
AUX COLLECTIVITÉS LOCALES

M. le président. La parole est à M. Adnot.
M. Philippe Adnot. Ma question s'adresse à Mme Parly, secrétaire d'Etat au budget, et concerne le remboursement de la TVA aux collectivités locales.
Le Gouvernement a décidé de baisser le taux de la TVA de 20,6 % à 19,6 % et d'en faire profiter l'ensemble des secteurs de la nation.
Je n'entrerai pas dans la discussion de fond sur la « cagnotte » et son utilisation. Nous étions en accord pour estimer que le surcroît de recettes de 1999 ne pouvait être assimilé à un excédent, alors même que le budget présente un déficit - qu'il faut considérer comme le contingent annuel d'emprunt - et, plus grave encore, que ce déficit est supérieur au montant annuel des investissements de l'Etat.
Le fait que ce qui était vrai pour le budget de 1999 ne le soit plus pour le budget de 2000, lui aussi en déficit, pourrait relever du mystère. En fait, ce n'en est pas un, et chacun a compris le but de l'opération.
Pour engager le débat sur ce point, nous attendrons d'avoir une meilleure information quant à la réalité budgétaire, notamment en ce qui concerne le taux de consommation des crédits des différents ministères. Les manipulations concernant, par exemple, la caisse d'amortissement de la dette sociale mériteront bien, le moment venu, quelques explications.
Aujourd'hui, ma question est simple : avez-vous l'intention de faire bénéficier les collectivités locales de la baisse d'un point de TVA en laissant le taux de remboursement à son niveau actuel de 19,6 % ?
En effet, depuis 1995, année où le taux de la TVA est passé de 18,6 % à 20,6 %,...
M. Jacques Mahéas. Grâce à qui ?
M. Michel Charasse. Merci Juppé !
M. Philippe Adnot. ... avec une réfaction de 0,905 %, les réactions furent nombreuses.
M. Raymond Courrière. Et nous continuons de penser que ce n'était pas une bonne idée !
M. Philippe Adnot. Je tiens à la disposition de chacun le texte des déclarations faites sur ce sujet.
En bonne logique, si le Gouvernement veut vraiment faire profiter les collectivités locales, comme l'ensemble des acteurs de la société française, de la baisse d'un point de TVA qu'il a promise, il doit fixer le taux de remboursement à 19,6 % avec l'incidence suivante : 19,6 : 119,6 = 0,163.
Dans l'hypothèse où il n'appliquerait pas cette méthode, il apparaîtrait au grand jour que le Gouvernement reprend d'une main ce qu'il a promis de donner de l'autre.
Surtout, madame la secrétaire d'Etat, j'attire votre attention sur le fait que la Communauté européenne, devant ce qu'elle considérerait comme un abaissement automatique lié au taux de TVA, pourrait prendre des dispositions gênantes pour tout le monde.
Les collectivités locales attendent votre réponse avec intérêt, en souhaitant être traitées avec équité.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Philippe Adnot. Ce sont elles qui, aujourd'hui, sont à l'origine de la majorité des investissements dans notre pays. Au moment où, dans le cadre des contrats de plan, l'Etat leur demande de se substituer à lui dans des domaines qui sont de sa responsabilité, il serait grave que les collectivités locales soient écartées du bénéfice de cette mesure. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget. Monsieur le sénateur, vous avez raison : la France connaît encore un déficit public. Ce déficit était supérieur à 3,5 % du PIB en 1997.
M. Serge Vinçon. Et en 1992 ?
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Il se trouve que, fort heureusement, ce déficit a été ramené dès 1999 à moins de 1,8 % du PIB, ce qui représente, à cet égard, la réduction la plus rapide en Europe. (Très bien ! sur les travées socialistes.) Certes, il reste du chemin à parcourir, mais nous avons pris de l'avance.
C'est la raison pour laquelle il a paru possible au Premier ministre de considérer qu'un effort particulier devait être consenti cette année en matière de baisse des impôts.
En ce qui concerne l'exécution du budget de 1999, je regrette que vous n'ayez pu assister à l'audition de M. Christian Sautter et de moi-même par votre commission des finances. Nous avons en effet expliqué de la manière la plus précise possible le sens des opérations de sage gestion auxquelles vous venez de faire allusion.
Il est d'usage que le taux de compensation forfaitaire du FCTVA corresponde au taux normal de la TVA, diminué de la réfaction correspondant à la fraction de la TVA attribuée au budget des communautés européennes, et cela depuis 1981.
M. Philippe Adnot. Depuis 1995, madame la secrétaire d'Etat !
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Non, depuis 1981 !
Cette réfaction reste justifiée par le reversement au budget communautaire d'une quote-part des recettes de TVA.
Le Gouvernement a annoncé une diminution d'un point du taux normal de TVA, qui s'appliquera dès le 1er avril 2000 aux dépenses des collectivités locales, qu'il s'agisse d'investissement ou de fonctionnement.
La charge de TVA supportée par les collectivités locales sur leurs investissements baissera du fait de la diminution de ce taux de TVA. Il est donc normal que le remboursement forfaitaire de cette charge par l'Etat aux collectivités locales diminue à due concurrence.
L'ajustement du taux de compensation forfaitaire du FCTVA en fonction des modifications du taux normal de la TVA se justifie donc d'un point de vue financier tant pour l'Etat - celui-ci n'a pas vocation à rembourser une charge supérieure à celle qui est supportée par les collectivités locales - que pour les collectivités locales elles-mêmes, la baisse du taux de compensation étant neutre pour elles.
M. Michel Charasse. Exactement !
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Je rappelle que, lors de l'augmentation de deux points du taux normal de la TVA intervenue le 1er août 1995, le gouvernement de l'époque avait ajusté le taux de compensation forfaitaire du FCTVA par symétrie avec la hausse de ces deux mêmes points. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d'actualité au Gouvernement.
Avant d'aborder la suite de l'ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pendant quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures quinze.)

M. le président. La séance est reprise.

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MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR

M. le président. J'informe le Sénat que la question orale n° 734 de M. Gérard César est retirée, à la demande de son auteur, de l'ordre du jour de la séance du mardi 28 mars 2000.

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CONSULTATION
DE LA POPULATION DE MAYOTTE

Suite de la discussion
et adoption d'un projet de loi

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi organisant une consultation de la population de Mayotte.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Henry.
M. Marcel Henry. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, depuis longtemps, vous m'avez entendu demander régulièrement à cette tribune et à l'adresse des gouvernements successifs que soit organisée la consultation de la population sur son avenir statutaire telle qu'elle est prévue par les lois du 24 décembre 1976 et du 22 décembre 1979.
Aujourd'hui, avec le projet de loi qui nous est soumis, le Gouvernement propose d'organiser une consultation de la population mahoraise et vous me voyez tout à fait défavorable à cette proposition. Je vous dois donc quelques explications.
Avant d'en venir à mes motivations relatives au projet de loi, je veux rappeler quelques réalités historiques que, dans sa majorité, le Sénat n'ignore pas.
Mayotte est française depuis 1841. Depuis cette date et grâce à l'abolition de l'esclavage en 1846, à la mise en place progressive d'une administration compétente et honnête, à la mise en valeur agricole de son territoire, notre île a été soustraite aux convoitises politiques de ses voisins, protégée des razzias malgaches qui la dévastaient régulièrement, abritée des revendications territoriales venues de ces Comores que les historiens ont appelées « l'archipel des sultans batailleurs ».
C'est dire que, pour les Mahorais et depuis près de cent soixante années, la souveraineté française est la garantie absolue des libertés publiques et de l'épanouissement des libertés individuelles.
Peu de temps après l'établissement du protectorat français sur les trois sultanats des Comores, Mayotte, qui était le chef-lieu du nouvel ensemble, a été rattachée à Madagascar. Mayotte et les Comores ont obtenu en 1946 une relative autonomie administrative renforcée en 1956-1957 par la loi-cadre dite « Defferre » et par ses textes d'application.
En 1958, avec l'adoption de la Constitution de la Ve République, il est apparu clairement que les DOM avaient vocation à l'intégration dans l'ensemble français, tandis que les TOM étaient promis à l'indépendance, au moins à une très large autonomie.
Dès ce moment - et plus précisément dès le 2 novembre 1958 - les Mahorais n'ont cessé de réclamer la départementalisation de l'île, alors que les Comoriens ne cessaient d'avancer vers l'indépendance et de tenter, avec le soutien des gouvernements français, d'y entraîner Mayotte contre la volonté de ses habitants.
En 1974-1975, Mayotte n'a dû qu'au Parlement, et spécialement au Sénat, de n'être pas précipitée malgré elle dans une indépendance dont chacun peut aujourd'hui apprécier les résultats après vingt-cinq années de coups d'Etat, de dictature, de corruption et de sous-développement causés par ceux-là même qui ont la responsabilité du développement.
C'est dire que les Mahorais ont pris l'habitude de faire confiance au Parlement français, au Sénat en particulier, et de croire à la force de la loi plus qu'aux discours politiques des gouvernements successifs.
Dans son remarquable rapport, notre collègue José Balarello a bien rappelé qu'après la confirmation en février 1976, à une écrasante majorité de la volonté des Mahorais de rester Français, ils avaient été à nouveau consultés en avril 1976 sur leur statut.
M. Stirn, alors ministre, avait promis que Mayotte pourrait choisir le statut de département.
Il n'en fut rien et les Mahorais durent imprimer un bulletin sauvage pour pouvoir revendiquer, là encore avec une immense majorité, l'adoption du statut de DOM et l'abandon du statut de TOM.
Finalement, impressionné par cette détermination, le Gouvernement avait déposé un projet de loi sur la départementalisation de Mayotte.
Un mois plus tard, devant l'Assemblée nationale consternée, le Gouvernement retirait son projet de loi de l'ordre du jour, tout en indiquant que la départementalisation demeurait son objectif.
En décembre 1976, un nouveau projet de loi était adopté, faisant de Mayotte une collectivité territoriale spécifique mais promettant à la population qu'elle pourrait choisir d'adopter le statut départemental après un délai de trois ans.
Trois ans plus tard, le Gouvernement proposait de proroger de cinq ans le délai d'organisation de la consultation, mais maintenait la possibilité d'opter pour le statut départemental.
Cinq ans plus tard, le Gouvernement de M. Fabius tentait, par un nouveau projet de loi, d'abroger les lois de 1976 et 1979 en ce qu'elles prévoyaient la consultation de la population et une possible départementalisation ; mais il renonçait finalement à faire discuter son projet.
Depuis cette date, les Mahorais et leurs élus n'ont pas cessé de réclamer l'application des lois de 1976 et 1979. En 1995, les deux candidats au deuxième tour de l'élection présidentielle se sont engagés à appliquer ces lois et M. le Président de la République a souligné que Mayotte avait vocation à devenir un département d'outre-mer.
Aujourd'hui, on vous propose de renier ces engagements et d'abroger implicitement les lois qui permettaient aux Mahorais de choisir leur statut. Pour ma part, je ne peux y consentir.
C'est en effet au respect de la loi et de la parole donnée que je veux appeler ici.
Depuis plus de quarante ans, une population isolée, sans grands moyens de pression sur les gouvernements, sans autre arme que son attachement à la France et son respect des lois de la République, sans autre force que ses convictions sincères, sans autre argument que la démonstration quotidienne par les troubles politiques affectant sa région, du bien-fondé de ses choix, cette population mahoraise, donc, demande le statut qui lui paraît garantir ses libertés.
Depuis quarante ans, on lui promet de lui donner satisfaction et, depuis quarante ans, on la trompe en reportant sans cesse la départementalisation et en trouvant toujours de nouvelles raisons pour le faire.
Depuis vingt-quatre ans, le législateur a promis, avec la force qui s'attache à la loi, que Mayotte pouvait, si elle le choisit librement, adopter le statut de département. Et, depuis vingt-quatre ans, les gouvernements successifs reportent la consultation de la population ou négligent de l'organiser, malgré tous les engagements pris devant les Mahorais.
Aujourd'hui, tirant argument de cette négligence elle-même, le Gouvernement vient nous dire qu'il n'est plus possible d'appliquer la loi. Si, d'aventure, on ne l'applique pas, que peut valoir, aux yeux de tous, toute prochaine loi statutaire sur Mayotte ? Je vous le demande publiquement, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'est-ce qui vous empêche d'appliquer la loi et de donner aux Mahorais le choix statutaire que le Parlement leur a promis ?
A vous, mes chers collègues, je veux dire que les motivations gouvernementales sont idéologiques et diplomatiques.
Mayotte, voyez-vous, ne va pas dans le bon sens ! Lorsqu'un territoire français - ou une minorité active de sa population - veut aller vers l'indépendance, on est prêt à le consulter, à définir des statuts successifs facilitant cette démarche, à modifier la Constitution comme on nous l'a proposé récemment, à bousculer toutes les règles de notre droit public sur le suffrage universel, sur l'accès aux emplois publics, sur les compétences de l'Etat, que sais-je encore ?
Mais lorsqu'on veut simplement rester Français avec un statut garantissant cet avenir français et les libertés, on ne va pas dans le sens de l'histoire et on n'est pas respectable. Voilà pour l'idéologie !
Quant à la diplomatie, elle est omniprésente dans ce dossier, mais en coulisses. Depuis vingt-cinq ans, les Comores, l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations Unies, l'Organisation de l'unité africaine et la Conférence islamique exigent que Mayotte soit rattachée à la République islamique comorienne contre la volonté de ses habitants.
Depuis un quart de siècle, la diplomatie française s'emploie à démontrer que la France laisse cette possibilité ouverte, que rien n'est irréversible et que, surtout, on n'accordera pas aux Mahorais une départementalisation qui ruinerait les chances de l'intégration forcée dans l'ensemble comorien.
Telles sont, mes chers collègues, les véritables motivations du Gouvernement et je veux vous en donner une preuve très parlante. Chaque fois qu'il a été question devant le Parlement français de Mayotte et de son avenir, vous avez toujours entendu, comme un concert, les récriminations des organisations internationales que je viens de citer. Cette fois, rien ! Tout se passe comme si la diplomatie française avait signifié à ses interlocuteurs : « Laissez-nous faire ! Soyez patients, nous allons régler le problème, car nous avons trouvé le moyen de diviser les Mahorais ».
Je reviendrai sur cette désunion artificiellement provoquée, mais je veux insister sur cette obsession de notre diplomatie : se débarrasser de Mayotte. Voilà pourquoi le document élaboré par le Gouvernement insiste sur le caractère prioritaire de l'insertion de Mayotte dans son environnement régional. L'objectif visé est bien, à terme, l'intégration forcée de Mayotte dans l'ensemble comorien.
Vos arguments n'y changeront rien, monsieur le secrétaire d'Etat. Chaque fois qu'on a présenté aux Mahorais un autre statut que celui de département comme garantie de leur avenir français et de leur développement, on l'a présenté en même temps aux adversaires de Mayotte comme une promesse de règlement diplomatique de l'affaire mahoraise. Et c'est ce que vous avez fait, cette fois encore.
Pour « faire passer la pilule », si j'ose dire, vous avez tenté de convaincre la représentation nationale, les élus de Mayotte et les Mahorais eux-mêmes, de l'impossibilité d'appliquer à Mayotte le statut départemental. Je veux examiner vos principaux arguments.
Une bonne partie de votre argumentation - qui a eu des échos jusque chez certains membres de la commission des lois - est concentrée sur l'existence à Mayotte d'un statut civil particulier, largement inspiré du droit musulman, et de juridictions spécifiques chargées de l'appliquer.
Je veux vous rappeler que ce statut civil personnel est prévu par l'article 75 de la Constitution et qu'il est sans rapport avec le statut administratif du territoire dans lequel il s'exerce. Ainsi un Mahorais vivant dans un département métropolitain conserve-t-il son statut personnel, même s'il est musulman et polygame. C'est l'avis exprimé devant le groupe de réflexion sur l'avenir de l'île par les plus grands juristes, parmi lesquels le président de la section de l'intérieur du Conseil d'Etat, ou l'actuel directeur de cabinet de M. le Premier ministre, ou encore le professeur Luchaire, auxquels on ne peut pas reprocher d'être éloignés du Gouvernement...
C'est d'ailleurs aussi votre avis, puisque vous avez déclaré que votre projet n'excluait pas la départementalisation dans dix ans. Or, vous n'espérez sûrement pas que, dans dix ans, les Mahorais auront changé de religion et de statut personnel ! Vous reconnaissez donc vous-même qu'il n'y a aucune relation entre ces questions et celle de la départementalisation.
Qu'il faille moderniser ce statut et réformer les tribunaux qui l'appliquent, cela est évidemment bien nécessaire. La loi vous le permet, et vos prédécesseurs ont eu vingt-cinq ans pour le faire. Faites-le donc, et nous vous en saurons gré. Mais si le fond de votre pensée, c'est qu'on ne peut être Mahorais, musulman, pauvre, éloigné, et être citoyen français à part entière, dites-le nous franchement !
J'insiste sur ce point, car votre autre série d'arguments nous amène à douter sérieusement de la sincérité de vos motivations. Vous dites - et vous faites dire - que le sous-développement actuel de Mayotte, les déséquilibres de son économie, la faiblesse de son système social, le particularisme de sa démographie, les spécificités de sa culture seraient autant d'obstacles à la départementalisation.
Notez tout d'abord que l'article 73 de la Constitution vous permet tout à fait, dans le cadre du statut départemental, d'adapter la loi aux particularismes mahorais.
Constatez ensuite avec nous que ce sont ces mêmes retards et handicaps de développement qui motivent aujourd'hui le projet de création d'un deuxième département à l'île de la Réunion.
Demandez-vous surtout s'il est bien digne de la part d'un gouvernement français de reprocher à une population française le sous-développement dans lequel on l'a abandonnée.
Vous dites, par exemple - et vous en avez persuadé les différentes missions parlementaires - que 75 % des Mahorais ne parlent pas le français.
Ces chiffres sont faux, puisque depuis 1980 l'enseignement est généralisé et obligatoire, et que 65 % des Mahorais ont moins de vingt ans.
Mais s'ils étaient exacts, seraient-ils à l'honneur de la France et seraient-ils opposables aux Mahorais ? Ceux-ci sont attachés à leur langue, il est vrai, mais à l'heure où, dans les départements français, les particularismes linguistiques sont exaltés jusque contre les lois de la République, peut-on reprocher aux Mahorais de parler mahorais ? Peut-on leur reprocher d'avoir des dépenses de santé publique par habitant dix fois inférieures à celles que l'on constate en métropole ? Peut-on leur reprocher une immigration clandestine - venue des Comores -, que le Gouvernement devrait contrôler ? Peut-on leur reprocher de connaître une croissance démographique que seul le développement et l'instruction peuvent freiner ? Peut-on leur reprocher de n'avoir aucune des garanties sociales que la solidarité offre à tous les autres Français ? Peut-on leur reprocher d'être privés, dans tous les domaines économiques et sociaux, des outils de développement que la collectivité nationale leur doit et que la départementalisation leur apporterait ?
Non, monsieur le secrétaire d'Etat, ces arguments ne sont pas bons et vous devriez, au contraire, être touché par la constance et la sincérité de l'attachement à la France que manifeste une population pour laquelle on a si peu fait. A vous, mes chers collègues, je demanderai si, au lieu d'inventorier les retards de développement de Mayotte, le moment ne serait pas venu d'y mettre fin comme on a voulu le faire pour les départements d'outre-mer par la loi de 1946 et par les vigoureuses politiques de développement, d'investissement public et d'égalité sociale qui y ont été conduites.
Au lieu de cela, le Gouvernement nous propose, sur la base d'un vague document d'intention dépourvu de tout chiffrage et de tout calendrier, de créer une nouvelle catégorie juridique pour l'outre-mer : la collectivité départementale.
Dans le premier document qu'il avait élaboré à la fin de 1998, le Gouvernement présentait explicitement cette solution comme une étape, une sorte de sas vers la départementalisation. Il avait également accepté le principe d'une nouvelle consultation de la population incluant, après dix ans, la possibilité de choisir le statut de département.
Sur cette base nous étions d'accord pour regarder la collectivité départementale comme une transition et j'avais proposé, avec le député de Mayotte et un certain nombre d'élus mahorais, une série de mesures propres à donner un véritable contenu économique et social à cette transition.
Le Gouvernement a observé un silence total pendant six mois et il a soudain produit, probablement en raison des pressions diplomatiques que j'évoquais tout à l'heure, un nouveau document revenant sur les engagements qu'il avait pris : il n'est plus question de département ni de nouvelle consultation dans dix ans. Voilà pourquoi nous refusons le projet gouvernemental.
Nous pensons d'abord que, ainsi proposée comme un statut définitif, la collectivité départementale est d'une grande faiblesse juridique, ce qu'il appartiendra au Conseil constitutionnel de juger.
Mais notre refus est surtout politique, monsieur le secrétaire d'Etat.
A l'origine, vous nous avez dit être à la recherche du plus large consensus local à l'appui de votre solution. Je viens de vous rappeler les deux principales conditions que nous avions mises à notre accord. Il ne tenait qu'à vous d'intégrer ces deux points dans votre projet et de trouver ainsi, à Mayotte, un large assentiment populaire pour une transition vers la départementalisation. Et vous pouvez encore les intégrer. Ce serait la seule amélioration possible de ce texte qui est mauvais. Certes, je salue les efforts de la commission des lois du Sénat pour amender votre projet de loi, mais pas plus que je n'ai présenté d'amendements sur l'essentiel, je ne voterai ses propositions. Pour moi, il faut une solution claire : à vous de renoncer à votre manoeuvre ou de persister.
En réalité, vous ne voulez pas de consensus. Vous avez recherché l'épreuve de force politique. Et vous vous êtes laissé persuader par des votes téléguidés des conseils municipaux et du conseil général que votre projet recueillerait une très forte majorité et vous permettrait de marginaliser des parlementaires qui n'ont pas l'heur de vous plaire.
Je n'insisterai pas sur les pressions individuelles que l'administration a exercées sur un certain nombre d'élus locaux. Je n'insisterai pas davantage sur le renforcement des pouvoirs personnels promis à ces élus locaux par votre document, qui prévoit un schéma de décentralisation proche de l'autonomie interne, lequel, vous le savez vous-même, est totalement inadapté à Mayotte. Je n'insisterai guère plus sur l'incroyable partialité de l'administration d'Etat à Mayotte et de la radiotélévision publique qui mènent depuis des mois une campagne vigoureuse contre la départementalisation et pour votre document, comme si la consultation que vous annoncez ne concernait pas d'abord les Mahorais. Je ne reviendrai pas sur votre récente tournée électorale mahoraise, au cours de laquelle vous avez présenté les financements qui nous étaient dus comme les premiers effets de votre futur statut et vous avez fait la promotion systématique de vos amis politiques. Tout cela n'a guère d'importance.
Pour aujourd'hui, je veux seulement vous inviter à ne pas vendre la peau de l'ours que vous n'avez pas tué. Vous dites que deux tiers des élus municipaux ont voté pour votre document. Lorsqu'il s'agit des Antilles-Guyane, vous soulignez que les élus réclamant une réforme institutionnelle s'arrogent des pouvoirs que les électeurs ne leur ont pas donnés.
M. Georges Othily. Ah bon ? Vous avez dit ça, monsieur le secrétaire d'Etat ?
M. Marcel Henry. C'est exactement ce que vous encouragez à Mayotte : les conseils municipaux et le conseil général ont à gérer leurs affaires locales, et c'est à la population de décider de son futur statut dans les limites que la loi lui a fixées. C'est d'ailleurs pourquoi je n'ai pas voulu recourir aux multiples procédures - motion de renvoi à la commission, motion tendant à opposer la question préalable ou autre - qui auraient permis de faire obstacle à votre projet. En effet, les parlementaires mahorais et leurs amis départementalistes ne redoutent pas la manifestation de l'opinion de la population. Au contraire, ils la souhaitent.
Demain, si le Parlement vous autorise à organiser la consultation sur les bases faussées que vous avez choisies, la population vous dira clairement son refus. Que ferez-vous donc alors, monsieur le secrétaire d'Etat ? Si les Mahorais vous répondent « non », déciderez-vous enfin d'appliquer la loi ?
J'ai le souvenir d'une époque, en 1966, où, déjà encouragés par le Gouvernement français, les dirigeants comoriens avaient réussi à détourner les élus mahorais des engagements qu'ils avaient pris devant la population. Alors les femmes mahoraises s'étaient levées ; elles s'étaient réveillées : elles s'étaient opposées au largage qu'on leur promettait ; elles avaient fait entendre leur détermination, leur volonté inébranlable de rester françaises. Comme aujourd'hui, j'étais bien isolé parmi les responsables politiques mahorais à les accompagner et, pourtant, elle avaient finalement gagné.
Aujourd'hui, la population mahoraise pense que cette première victoire doit être parachevée par l'accession au statut de département. Pour ma part, c'est la mission que j'ai reçue de ceux qui me font confiance depuis très longtemps et je ne m'en laisserai pas détourner par des promesses, par des manoeuvres ou par des mirages.
Je sais, monsieur le secrétaire d'Etat, que cette obstination vous agace et qu'elle vous paraît même incompréhensible. Laissez-moi donc, pour conclure, vous dire quelques mots personnels. Voilà plus de quarante ans que je me bats pour cette idée simple : les Mahorais doivent pouvoir choisir librement leur avenir et le statut dans lequel ils le vivront. S'il ne s'agissait, comme le suggèrent vos amis, que de mon confort personnel ou de mes intérêts matériels, j'aurais eu par le passé, et j'aurais encore aujourd'hui, le plus grand avantage à consentir à des arrangements avec mes principes, à des compromis de circonstance, à des accords qui se font « sur le dos » de la population. Je ne l'ai jamais fait et je ne le ferai pas, car je crois qu'en politique l'honneur consiste à se tenir strictement à ce que l'on croit juste et vrai.
Je crois que votre projet n'est pas juste pour Mayotte. Je sais que l'avenir le démontrera. C'est pourquoi je m'y opposerai avec mon parti, que vous feignez d'ignorer, le Mouvement départementaliste mahorais. Et je demanderai à la population mahoraise de le refuser. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Othily.
M. Georges Othily. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, quand la grande aventure tellurique faisait surgir toutes ces îles autour de Mayotte, dans le désordre et la confusion des temps géologiques anciens, on peut imaginer que des dieux ou des fées insensibles à la brutalité volcanique, soucieux de paix et d'harmonie, se sont penchés sur Mayotte pour lui dessiner une immense barrière de corail afin de la protéger des aventures du large et de la distinguer, commme on donne une châsse à une pierre précieuse.
Cependant, lorsqu'on arrive à Mamoudzou, on est convaincu que le peuple mahorais, pendant plus d'un siècle et demi, s'est obstiné à se réclamer d'une France lointaine, quelquefois oublieuse, indifférente à son affection candide.
Voilà, je crois, un démenti pour tous les pronostics politiques de ceux qui ne croient pas à la liberté des hommes et à leur attachement à la République.
C'est pourquoi l'accord signé à Paris le 27 janvier 2000 est, selon moi, d'une clarté implacable et ne soulève aucune ambiguïté quant à la décision d'une consultation, que je souhaite pour la dernière fois, du peuple mahorais sur sa volonté de répondre massivement « oui » à la question suivante : « Approuvez-vous l'accord sur l'avenir de Mayotte, signé à Paris le 27 janvier 2000 ? »
Cet accord, approuvé par la très grande majorité des élus locaux et signé par tous, à l'exception des parlementaires de l'île, prévoit de substituer un statut de collectivité départementale à l'actuel statut régi par la loi du 24 décembre 1976. Ainsi, les grandes orientations du futur statut tendraient à rapprocher progressivement du droit commun l'organisation et les compétences des communes, à mettre en place des services déconcentrés d'Etat, à maintenir le principe de spécialité législative tout en se rapprochant de celui des départements d'outre-mer, voire en s'y identifiant, et à agir en faveur du développement économique et social.
Mes propos porteront, d'une part, sur l'urgence d'un changement et, d'autre part, sur certaines réserves concernant l'avenir institutionnel de l'île.
Mes chers collègues, Mayotte est une collectivité territoriale dotée d'un statut original, conforme à l'article 72 de la Constitution, qui la fait bénéficier de nombreux particularismes.
En matière fiscale, je rappellerai que la fiscalité relève de la compétence territoriale et que l'ensemble des impôts est perçu au profit de la collectivité. Néanmoins, les communes ne disposent d'aucune recette fiscale propre.
Dans le domaine du droit civil et de l'organisation judiciaire, il existe un statut civil local pour la grande majorité de la population mahoraise, directement inspiré du droit coranique. Ce statut, certes multiséculaire, pose de nombreux problèmes dans le domaine de la citoyenneté française. Par exemple, un métropolitain peut difficilement concevoir que l'on puisse appliquer des décisions civiles et judiciaires qui reconnaissent la polygamie, admettent la répudiation de la femme, approuvent l'inégalité des sexes en matière successorale ou ignorent la procédure contradictoire et la présence d'avocats, comme l'a souligné ce matin notre excellent rapporteur. Aussi n'est-ce pas faire preuve de réalisme que de constater que le statut actuel de Mayotte, son organisation sociale et ses réalités culturelles constituent également, c'est vrai, un frein au développement de l'île ?
En outre, Mayotte connaît de très nombreuses difficultés économiques et sociales. Sa démographie est galopante. Ses infrastructures sont particulièrement faibles. Son isolement empêche tout développement économique. Son taux de chômage touche plus de 30 % de la population active.
Dans un tel contexte, mes chers collègues, parallèlement à la mise en place d'un projet de loi d'orientation pour l'outre-mer, le Gouvernement s'est engagé sur la voie de la modification institutionnelle, plus exactement sur la voie de la départementalisation à terme de l'île. Pour ce faire, il propose l'organisation, dans les prochains mois, d'une consultation populaire locale qui permettra aux électeurs de Mayotte d'approuver ou non l'avenir de leur île tel qu'il est prévu par l'accord du 27 janvier 2000.
C'est sur les conséquences générées par ce référendum local que j'aborderai la seconde partie de mon propos.
Ce matin, notre débat en commission des lois vous a permis, monsieur le rapporteur - et j'apprécie hautement votre compréhension - de modifier l'amendement que vous vouliez présenter et visant à compléter la question qui serait posée à la population mahoraise. Cette rédaction me paraissait difficilement acceptable dans la mesure où elle rendait trop complexe une question posée à une population qui, à plus de 60 %, ne maîtrise pas la langue française, alors même que le Conseil constitutionnel, dans une décision du 2 juin 1987, impose une double exigence de loyauté et de clarté, et l'absence d'équivoque.
En second lieu, il est question de doter l'île de Mayotte d'un statut de collectivité départementale dont l'ossature générale la rapprocherait du département d'outre-mer, tout en lui laissant, compte tenu de son histoire et de sa culture, une certaine marge d'adaptation. Autrement dit, l'intérêt serait d'octroyer à l'île un statut sur mesure. Celui qui vous parle sait d'expérience que si, dans son pays, la départementalisation a eu des effets bénéfiques sur le plan sanitaire, elle a en revanche asphyxié l'économie. C'est pourquoi, aujourd'hui, nous remettons en cause le système départemental.
Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, croyez-vous sérieusement que l'on puisse adapter à Mayotte l'ensemble des dispositions législatives et réglementaires appliquées dans les départements d'outre-mer ? Le 11 mars dernier, M. le Président de la République déclarait à la Martinique que l'institution départementale, fondée sur l'assimilation et qui a longtemps été synonyme de progrès et de dignité, a probablement atteint ses limites, que les statuts uniformes ont vécu et que chaque collectivité d'outre-mer doit pouvoir, désormais, évoluer vers un statut différencié.
Si le Gouvernement admet que le système départemental ne résiste plus à une évolution, il importe de retenir qu'il faut rompre avec une vision traditionnelle consistant à percevoir et à traiter de façon uniforme les départements d'outre-mer.
L'objectif gouvernemental d'adapter à Mayotte une départementalisation qui irait à l'encontre de l'histoire et des revendications autonomistes de l'outre-mer risquerait d'aggraver les nombreux problèmes posés par les réalités locales. Sans la mise en place de véritables outils de développement, la départementalisation de Mayotte nous conduira indubitablement au constat selon lequel on ne peut pas continuer à vivre en permanence sous perfusion avec l'argent de l'Etat. A tel point d'ailleurs que la position géographique, le retard économique et l'importance du chômage dans les départements d'outre-mer nourrissent trop souvent une revendication de plus en plus centrifuge par rapport à la métropole.
Enfin, je pense sincèrement que des statuts ne sauraient à eux seuls résoudre les problèmes de Mayotte et de sa population sans le support indispensable d'un projet économique et social certes ambitieux et respectueux des différences et des spécificités, mais aussi compatible avec les valeurs intangibles de notre république.
Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, c'est pour toutes ces raisons, et après une analyse des avantages et des inconvénients pour Mayotte, que le groupe du Rassemblement démocratique et social européen votera en faveur du principe de la consultation populaire à Mayotte. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Sutour.
M. Simon Sutour. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, une délégation de la commission des lois s'est rendue sur l'île de Mayotte au mois de janvier dernier, sous la présidence de M. le rapporteur José Balarello. L'ensemble des contacts et des discussions que nous avons pu avoir avec les acteurs de la vie locale mahoraise me permettent de dire aujourd'hui que l'initiative prise par le Gouvernement après des années d'incertitudes va enfin permettre à la population de Mayotte de s'affirmer pleinement dans son choix de demeurer française.
L'île de Mayotte, qui est devenue française en 1841 et dont les habitants n'ont, dès lors, jamais cessé de montrer leur attachement à la France, va pouvoir pleinement s'intégrer à notre république avec un nouveau statut de collectivité départementale.
Il convient tout d'abord de se rémémorer les étapes successives qui nous amènent à clarifier le statut de Mayotte.
Lorsqu'en 1976 Mayotte a été érigée en collectivité territoriale sui generis sur le fondement de l'article 72 de la Constitution, il était prévu que la population serait à nouveau consultée sur un statut nouveau au terme d'un délai d'au moins trois ans. Or la loi du 22 décembre 1979 a prorogé ce délai de cinq ans. Force est de constater que cette consultation, si elle était effectivement prévue, n'a jamais été organisée.
Cependant, cette situation liée à un statut provisoire depuis maintenant vingt-cinq ans n'a jamais entamé l'attachement d'une population tout entière à la République française. Aujourd'hui, mes chers collègues, nous devons à mon avis rendre hommage aux Mahoraises et aux Mahorais, qui ont fait preuve d'une patience et d'une fidélité sans égales à la France.
C'est pourquoi je pense que nous désirons tous ici, dans cette assemblée, que le nouveau statut issu des discussions que vous avez impulsées sur le terrain dès 1997, monsieur le secrétaire d'Etat, et relayé par les travaux des deux commissions présidées par les anciens préfets de Mayotte, MM. Bonnelle et Boisadam, permette de répondre aux attentes de la population locale en matière de développement social et économique, car il ne fait aucun doute que les incertitudes liées au statut provisoire de l'île ont considérablement ralenti son développement.
C'est, en tout état de cause, l'esprit du document-cadre sur l'avenir de Mayotte, successivement approuvé par les représentants mahorais les 3 et 4 août 1999, par les dirigeants de trois partis politiques mahorais, par 14 des 19 conseillers généraux de l'île le 28 décembre dernier, par 16 des 17 communes et 77 % des conseillers municipaux, et, enfin, signé par vous-même, monsieur le secrétaire d'Etat, le 27 janvier dernier et qui va, d'ici au 31 juillet prochain, être soumis aux principaux intéressés que sont les 131 000 habitants de l'île ; c'est d'ailleurs là l'objet même de notre discussion.
L'accord signé le 27 janvier dernier dont il convient d'apprécier le contenu, puisqu'il a été négocié et approuvé localement, prévoit un certain nombre de dispositions tendant à organiser un nouveau statut qui sera instauré par la loi au plus tard avant la fin de l'an 2000, si tel est, bien entendu, le choix des Mahorais.
Dans ce cas, la future loi modifiera profondément l'actuel statut provisoire de « collectivité territoriale » défini par la loi de 1976 et fera de Mayotte une « collectivité départementale ».
Cette nouvelle collectivité, bien que restant une collectivité territoriale au sens de l'article 72 de la Constitution, marque néanmoins une réelle évolution. C'est pourquoi la dénomination « départementale » prend tout son sens, même si Mayotte ne deviendra pas dans l'immédiat un département d'outre-mer.
Le qualificatif « départemental » n'est pas là uniquement pour le symbole ; au contraire, le nouveau statut de Mayotte tend à faire se rapprocher le plus possible, en tenant compte des spécificités locales, les départements au sens classique et le département de Mayotte, avec, comme expression directe, la concordance entre les élections au conseil général de Mayotte et les élections cantonales de métropole, ou encore le transfert de l'exécutif du préfet de Mayotte au président du conseil général.
Cependant, cette concordance des élections cantonales ou encore ce transfert de l'exécutif sont simplement les dispositifs les plus forts du nouveau statut et sûrement pas les dispositions qui permettront à Mayotte de véritablement décoller. Au-delà de ces clarifications institutionnelles nécessaires, l'exercice de nouvelles compétences, la répartition de moyens supplémentaires, la dotation de rattrapage, la contractualisation, l'éligibilité aux fonds structurels européens sont les véritables leviers de l'amélioration de la vie quotidienne des Mahorais et des Mahoraises.
En effet, le nouveau statut tiendra compte de l'évolution démographique pour déterminer le nombre de parlementaires, les cartes communale et cantonale seront réexaminées, les compétences des communes seront progressivement rapprochées du droit commun, le code des communes sera modernisé, les élus et les agents bénéficieront de formation ; une chambre de commerce et d'industrie, une chambre d'agriculture et une chambre des métiers seront également créées.
A ces mesures, il convient d'ajouter la modernisation du système fiscal et douanier, la création d'une fiscalité communale ou encore la mise en place du cadastre.
Une fois les structures adaptées, l'Etat prendra les mesures nécessaires pour favoriser, d'une part, le développement économique de Mayotte - en matière de transport pour désenclaver l'île, de protection de l'environnement, de formation, de nouvelles technologies, d'enseignement primaire et secondaire, et, plus généralement, d'amélioration des services publics - et, d'autre part, le développement social, avec une modernisation du système sanitaire et social, une meilleure prise en charge des problèmes sociaux, de l'enfance, de la famille et des personnes isolées, l'amélioration de la permanence des soins sur les secteurs sanitaires ainsi qu'au centre hospitalier de Mayotte.
Complétant cette action sociale, la rénovation de l'état civil est aussi nécessaire à moyen terme, même si le régime actuel obéit au droit coranique ; dans ce domaine, on peut citer une amélioration du statut personnel et des droits de la femme, ainsi qu'un recentrage du rôle des cadis sur les fonctions de médiations sociales.
Il n'est pas possible de détailler de manière complète l'ensemble du document-cadre publié au Journal officiel le 8 février 2000, mais ces quelques éléments démontrent l'importance et l'impact positif de ce nouveau statut tant attendu.
A ce propos, les discussions que nous avons pu avoir en commission des lois confortent les orientations définies dans le nouveau statut ; mais l'amendement n° 2 tendant à modifier l'article 3 du projet de loi, article relatif à la question posée à la population de Mayotte, était, me semble-t-il, contraire à l'esprit même de l'accord sur l'avenir de Mayotte signé à Paris le 27 janvier 2000. C'est pourquoi je suis satisfait que M. le rapporteur ait retiré cet amendement ce matin en commission, ce qu'il nous a d'ailleurs confirmé.
S'agissant des autres amendements de la commission des lois, qui ont davantage un caractère technique quant à l'organisation même de la consultation, le groupe socialiste les approuvera.
Pour conclure, mes chers collègues, je voudrais simplement saluer ici le nouveau départ de Mayotte, qui va, dans peu de temps, conforter son appartenance à la République française, s'intégrer plus largement dans son espace physique et géographique, mais aussi et surtout connaître une amélioration de la vie quotidienne des hommes et des femmes qui font toute la richesse de cette île française. (Applaudissements sur les travées socialistes, sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi qu'au banc de la commission.)
M. le président. La parole est à M. Lanier.
M. Lucien Lanier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, « spécificité », tel est bien le mot le plus approprié qui puisse définir Mayotte : spécificité géographique, spécificité politique, spécificité économique, spécificité sociale.
Géographiquement, à 8 000 kilomètres de la métropole, Mayotte, dans l'océan Indien, se situe au sud de l'archipel des Comores, à 300 kilomètres de Madagascar, à 1 500 kilomètres de La Réunion, le département d'outre-mer le plus proche.
Avec seulement 374 kilomètres carrés pour 131 000 habitants, l'île connaît une densité de population de plus de 350 habitants au kilomètre carré, densité qu'aggrave encore une forte immigration, difficilement contrôlée, en provenance des archipels voisins.
Spécificité politique, ensuite, parce que, partie de l'archipel des Comores, Mayotte refusa d'être associée en 1975 à la proclamation d'indépendance des îles de Grande Comore, d'Anjouan et de Mohéli, et vit, depuis la loi du 24 décembre 1976, comme une collectivité territoriale à statut particulier, sur le fondement de l'article 72 de la Constitution.
Ce statut aujourd'hui en vigueur est inadapté. Et depuis vingt-quatre ans, Mayotte attend d'être consultée sur l'évolution de son statut, consultation pourtant prévue par la loi de 1976.
L'un des inconvénients d'une telle situation est de rendre actuellement Mayotte inéligible aux fonds structurels européens, parce que cela exige une mise en conformité avec le droit communautaire, et nous en sommes loin. Mais je sais, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous recherchez activement une solution loyale à cet important problème et je vous demanderai de bien vouloir nous en dire quelques mots tout à l'heure.
Tout cela se situe dans un contexte démographique, économique, social et surtout juridique qui marque Mayotte par un important retard de développement en comparaison d'autres départements d'outre-mer.
Cette situation est ainsi magistralement exposée par le remarquable rapport de notre excellent collègue José Balarello.
C'est pourquoi le projet de loi qui nous est soumis prévoit que la population mahoraise sera consultée avant le 1er juillet prochain sur les grandes orientations d'une réforme statutaire inspirée d'un document intitulé « Accord sur l'avenir de Mayotte ».
Cet accord, publié le 8 février dernier au Journal officiel , a été conclu par le Gouvernement, le président du conseil général de Mayotte et les représentants des trois principales formations politiques, à l'exception - cela doit être noté - des deux parlementaires, sénateur et député, et de la formation qu'ils ont récemment créée, le mouvement départemental mahorais.
Le processus proposé peut être rapproché - mais à certains égards seulement - de celui qui fut récemment instauré en Nouvelle-Calédonie puisque, s'il est approuvé, l'accord sur l'avenir de Mayotte soumis à consultation générera, par ses grandes orientations, un projet de loi destiné à définir un nouveau statut pour Mayotte, qui deviendrait de manière spécifique « collectivité départementale » pour une période transitoire de dix ans.
C'est ensuite, en 2010, qu'il est prévu que, sur proposition du conseil général statuant à la majorité qualifiée, un projet de loi sera soumis au Parlement concernant l'avenir institutionnel de Mayotte, en fonction de l'évolution de la situation et de la spécificité mahoraise, sur laquelle nous n'insisterons jamais assez.
Ainsi, pendant les dix années à venir, Mayotte restera collectivité départementale à statut particulier, dans le cadre de l'article 72 de la Constitution, et continuera à être régie par le principe de la spécificité législative.
Une telle situation ne sera bien entendu définie que si, au terme de la consultation prévue, est approuvé l'accord sur l'avenir de Mayotte. Notons d'ailleurs qu'il a déjà été approuvé par la majorité du conseil général de Mayotte, par 14 voix sur 19, et par 16 conseils municipaux sur 17.
Regrettons cependant - et je le déplore sincèrement - que les deux parlementaires aient refusé de signer ce document incitatif et complet.
Notre excellent rapporteur n'a pourtant ménagé ni ses efforts ni ses arguments, persuasifs parce que pertinents, afin d'obtenir un consensus général. Il a démontré que l'accord proposait un processus de sagesse, évitant de précipiter les événements et se gardant des orientations hâtives, qui ne pourraient qu'être sources de différends, voire de conflits locaux fort éloignés de l'intérêt général intelligemment compris.
La spécificité de Mayotte implique en effet une évolution exigeante mais prudente, tenant compte de différents éléments.
Je citerai ainsi les particularités du droit civil et de l'organisation judiciaire, avec un dualisme délicat à traiter, et le constat d'une démographie encore accélérée par l'immigration venue en grande part, et clandestinement, de l'environnement. Notons en effet que la population recensée est passée de 32 600 habitants en 1966 à 131 000 en 1997, et qu'à ce rythme une prévision de 250 000 habitants dans dix ans, c'est-à-dire en 2010, est plus que probable.
Dans le droit-fil de ce contrat, je citerai encore l'aggravation du taux de chômage élevé qui résulte de cette situation démographique, ainsi que les énormes besoins concernant l'éducation, la formation des jeunes, le logement.
Je citerai aussi la grande faiblesse de la francophonie, qui, pardonnez-moi d'avoir à le dire, est une réalité. Ainsi, je ne sais, monsieur Henry, si 75 % de la population ne parlent pas français, mais, bien que 75 % de cette même population aient moins de vingt ans, et quels que soient les progrès de la scolarisation que vous avez évoqués, on constate quand même qu'une très grande majorité de Mahorais n'est pas francophone.
Bref, il faut tenir compte des handicaps liés à l'éloignement, à l'insularité et au sous-développement, sans oublier - et j'insiste sur ce point - les revendications territoriales de la République fédérale islamique des Comores, qui, dès l'origine de la proclamation unilatérale de son indépendance, exigea que Mayotte, qui s'y oppose formellement, lui soit intégralement rattachée.
La France, bien entendu, protège et continuera de protéger la liberté de choix de Mayotte, bien qu'ayant été condamnée à plusieurs reprises par certaines organisations internationales peu averties du problème, telles que l'ONU ou l'OUA, en vertu de la règle de l'intangibilité des frontières des Etats issus de la décolonisation, sans tenir compte de l'évolution de la situation.
Il importe, à l'évidence, de ne pas figer de manière définitive les perspectives d'évolution institutionnelle de Mayotte dans le cadre de la République française, mais en ayant à l'esprit l'expression du Président de la République selon laquelle « les statuts uniformes ont vécu et chacune des collectivités d'outre-mer doit pouvoir désormais, si elle le souhaite, évoluer vers un statut différencié et, en quelque sorte, un statut sur mesure ».
Telle est bien la conclusion à laquelle aboutissent notre excellent collègue José Balarello, rapporteur de la commission des lois, ainsi que ceux qui l'ont accompagné dans son déplacement à Mayotte.
Il serait absurde de traiter le statut de Mayotte sans tenir, avec sagesse, le plus grand compte de tous les éléments qui concourent à sa spécificité, et d'arrêter, voire de fixer dès maintenant de manière législative la qualité de son statut en 2010, alors que tout l'objet de cette période transitoire de dix ans qui nous est proposée est de laisser le temps à la réflexion et à une sage évolution.
Il apparaît en effet utile de tenir compte de l'évolution du monde, et également de garantir la confiance que nous gardent ces populations d'outre-mer, auxquelles nous lient des devoirs qui sont tout simplement ceux de l'honneur de la paix française, n'ayant pour objet que le seul intérêt général.
C'est pourquoi, au bénéfice des observations de la commission des lois, le groupe du Rassemblement pour la République adoptera le présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Bidard-Reydet.
Mme Danielle Bidard-Reydet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'examen de ce projet de loi relatif à la consultation de la population de l'île de Mayotte s'inscrit pleinement dans le processus en cours depuis 1997 concernant le devenir institutionnel des départements, territoires et collectivités d'outre-mer.
La situation de l'île de Mayotte est d'ailleurs, de ce point de vue, particulièrement significative quant aux défis et aux enjeux qui se présentent devant nous.
Un rappel de quelques éléments historiques s'avère indispensable.
Lors de l'indépendance de l'archipel des Comores, consécutive à la loi du 31 décembre 1975 sur l'autodétermination de l'archipel, on sait que l'île de Mayotte avait opté, par référendum, pour son maintien dans la République française.
Il serait, aujourd'hui, quelque peu fastidieux de revenir sur les circonstances qui ont présidé à cette situation, mais toujours est-il que nous nous devons de constater que, depuis février 1976, date du référendum, la situation de l'île, en tout cas au plan institutionnel, est demeurée stationnaire, aucune solution n'ayant été mise en oeuvre malgré la promesse de l'organisation d'une consultation.
Le temps passant, la situation mahoraise s'est cependant particulièrement complexifiée.
L'île, à l'égal d'autres territoires, départements et collectivités d'outre-mer, est confrontée à de multiples problèmes et doit relever notamment les défis de l'expansion démographique, de l'éducation et de la formation, de la santé et, de manière plus générale, du développement économique et social, compte tenu, notamment, de la question de l'emploi.
L'île est également confrontée aux problèmes liés à l'archipel comorien, notamment aux tensions animées par les îles regroupées dans la République fédérale islamique.
Un grand nombre d'habitants de l'île d'Anjouan résident en effet aujourd'hui à Mayotte, ce qui, à terme, ne sera pas sans poser un certain nombre de nouveaux problèmes.
Nous observons que le projet de loi a, dans sa rédaction, connu, en fait, une sorte de validation par les élus mahorais, puisqu'une large majorité des élus municipaux comme des élus du conseil général s'est prononcée en faveur du texte.
Nous pouvons même penser que toute proposition visant à modifier aujourd'hui le processus engagé sur la base de l'accord du 27 janvier dernier n'est pas utile.
Nous nous félicitons, à cet égard, que M. le rapporteur ait retiré, à l'article 3, l'amendement qui avait pour objet de modifier le texte de la question soumise à référendum, d'autant que la rédaction assez confuse qu'il nous proposait risquait de ne pas être comprise par les électeurs.
Nous devons permettre, au contraire, que cette étape institutionnelle se déroule dans les conditions les plus nettes et les plus claires, facilitant ainsi les choix de la société mahoraise.
Il est, en effet, crucial que soit mise en oeuvre une politique de développement sanitaire et social, de renforcement des potentiels éducatifs et de formation et de développement de toutes les activités.
L'île doit, dans les années à venir, être partie prenante de la politique de coopération régionale que la France peut et doit mener dans la zone de l'océan Indien.
Nous souhaitons donc que le texte qui nous est soumis soit considéré, dans sa philosophie essentielle, comme une étape à franchir pour l'avenir de l'île de Mayotte.
Le groupe communiste républicain et citoyen votera donc ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées socialistes.)
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat. A ce stade de la discussion, je souhaite répondre rapidement aux différents orateurs, en les remerciant, tout d'abord, des observations qu'ils ont formulées et de l'analyse qu'ils ont faite de la situation de Mayotte.
M. Marcel Henry, sénateur de Mayotte, a dit en conclusion que les Mahorais devaient choisir librement leur avenir. Mais c'est l'objet même de ce projet de loi et de la consultation qui sera organisée ! Les Mahorais choisiront librement leur avenir sur la base d'un texte qui a été discuté et élaboré avec les formations politiques, avec les représentants parlementaires, et qui, finalement, représente, pour Mayotte, une réelle avancée.
Le projet de loi qui vous est présenté vise à organiser le scrutin de façon transparente, démocratique, conformément aux règles qui sont celles de notre République. J'indique d'ailleurs dès à présent que le Gouvernement est favorable aux amendements que présentera la commission des lois et qui visent à conforter le texte sur ce point.
Les Mahorais choisiront donc bien librement leur avenir, et ils le feront vingt-cinq ans après que la promesse leur en a été faite.
Et si, pendant vingt-cinq ans, il n'y a pas eu de consultation, c'est peut-être - j'y reviendrai - pour des raisons diplomatiques, mais c'est aussi et surtout, à mon avis, parce que les modalités de la consultation, telle qu'elles étaient prévues par le législateur en 1976 et 1979, ne pouvaient pas être mises en oeuvre.
Faire ce constat, c'est faire le constat lucide de la réalité. Vouloir dire aux Mahorais qu'ils doivent se prononcer cette année, en 2000, dans dix ans, ou plus tard, comme cela avait été prévu en 1976, c'est les leurrer sur la réalité de Mayotte et sur les évolutions possibles, c'est enfermer leur choix.
Je comprends, monsieur le sénateur, qu'en 1976 l'option départementaliste était pour vous l'assurance de l'enracinement dans la France et la certitude que Mayotte ne retournerait pas dans l'archipel des Comores. Vingt-cinq ans après, en sommes-nous toujours là ? Certes non. Les conditions ont changé.
Vous avez évoqué, tout à l'heure, les motivations diplomatiques de ce texte.
Monsieur le sénateur, quand M. le Président de la République, à Saint-Denis de la Réunion, en présence - j'étais également dans l'assistance - du Président de la République malgache, du Premier ministre de l'île Maurice, du représentant des Seychelles et du représentant administratif des Comores, déclare qu'il y aura une consultation à Mayotte en l'an 2000 sur la collectivité départementale, n'est-ce pas une formidable avancée pour Mayotte, qui était jusqu'à présent boycottée par tous ses voisins ?
Quand le ministre français de l'outre-mer que je suis, juste après sa visite de Mayotte, se rend à Madagascar pour évoquer le statut de Mayotte, qu'il y rencontre le Président de la République, M. Ratsiraka, et le Premier ministre, et qu'il les informe des intentions du Gouvernement français, puisque M. Ratsiraka est président de la commission de l'océan Indien, n'est-ce pas déjà un grand pas qui est accompli pour Mayotte ?
Le sport précède souvent la diplomatie. Quand une équipe nationale de Madagascar vient jouer à Mayotte pour la première fois et qu'un match retour est prévu à Madagascar, n'est-ce pas, pour Mayotte, une avancée incontestable sur le plan diplomatique ?
Il a fallu vaincre un certain nombre de résistances, c'est vrai. Ces résistances, dans l'administration, notamment au Quai d'Orsay, ont été levées. C'est, me semble-t-il, un élément important que vous ne pouvez pas négliger.
Comme l'a dit Mme Bidard-Reydet en fin de discussion générale, on ne peut pas envisager que Mayotte continue à rester, dans ce contexte, fermée à son environnement régional. Il est bien évident que Mayotte a toute sa place à prendre dans l'océan Indien et que cette place n'est pas simplement politique, qu'elle est aussi économique et culturelle.
Je réponds ainsi à l'un des arguments avancés par M. le rapporteur pour expliquer son opposition au texte de l'accord qui est proposé. L'insertion dans l'environnement régional, c'est ce que souhaitent, aujourd'hui, tous les départements, tous les territoires, toutes les collectivités d'outre-mer !
Dans un monde ouvert à la mondialisation, aux échanges culturels, commerciaux, politiques, humains, on ne peut pas dire que Mayotte doit rester enfermée. Mayotte n'existera et ne sera forte que dans la mesure où elle sera capable, avec la France, bien sûr, d'exister dans son environnement régional.
Je ne retiens donc pas du tout, monsieur Henry, votre thèse d'une diplomatie en coulisse qui serait organisée pour aller à l'encontre des intérêts des Mahorais. Bien au contraire, il y a eu ces derniers mois, sur ce plan, des avancées positives, ce qui permet d'organiser la consultation.
En ce qui concerne les motivations idéologiques, toutes les déclarations du Gouvernement et le large consensus qui se dessine dans cette assemblée, qui va du groupe communiste, républicain et citoyen à celui du Rassemblement pour la République, montrent bien que tout le monde reconnaît le fait que Mayotte est une collectivité de la République. Personne, aujourd'hui, ne le remet en cause.
Par conséquent, dire que, pour des motivations idéologiques, le Gouvernement voudrait vous éloigner de la République est totalement faux. Encore une fois, le fait qu'aujourd'hui un tel consensus se dégage dans cette assemblée me paraît tout de même être pour vous le gage que l'ensemble de la communauté nationale reconnaît que Mayotte est dans la République.
Je regrette très sincèrement que, malgré mes efforts, malgré ceux qu'a déployés M. le rapporteur, vous restiez monsieur Henry, à l'écart de ce qui est en train de se passer au sein de la représentation nationale, au Sénat et à l'Assemblée nationale, et qui, pour Mayotte, représente une formidable avancée.
Monsieur Henry, on ne peut pas dire, en mettant la République en cause, que Mayotte a été abandonnée en état de sous-développement. Même si l'on peut estimer qu'il faut faire plus - c'est vrai, et on le verra à travers le contrat de développement - j'ai tout de même le sentiment que la politique sanitaire, la politique économique, la politique de formation qui ont été mises en place traduisent un formidable engagement pris par les gouvernements successifs pour faire avancer Mayotte.
Si le SMIC à Mayotte est quinze fois supérieur à celui de Madagascar, c'est tout de même bien grâce à la République, qui garantit les droits sociaux !
S'agissant de l'effort de formation vous avez pu voir, monsieur le rapporteur, qu'il se construisait deux collèges par an à Mayotte, et ce parce qu'il fallait faire face très rapidement à la scolarisation de 50 000 élèves.
Quand, inaugurant l'hôpital, je constate que cet élément d'un dispositif de santé publique est identique à un autre hôpital qu'on trouve dans la région parisienne, je me dis que la République, même si c'est de façon insuffisante, a néanmoins rempli une partie de ses obligations vis-à-vis de Mayotte.
Le statut personnel a souvent été évoqué. Ce statut personnel, les Mahorais, dans leur immense majorité, souhaitent le conserver. Des évolutions se feront certainement jour parce que la modernisation de Mayotte est en cours, mais le respect des traditions demeure.
Cela étant, monsieur le sénateur, le statut personnel, c'est-à-dire un statut de droit civil qui règle le droit de la famille, le droit des successions, les problèmes de contentieux civils, et qui est régi par l'article 75, ne permet pas d'appliquer à Mayotte le principe de l'identité législative, qui est celui des départements d'outre-mer, en vertu de l'article 73, et qui signifie que les lois que vote le Parlement s'appliquent automatiquement sauf clause contraire.
Nous avons donc là un bloc de compétences locales, relevant du statut personnel, qui est un système de droit civil dont personne ici n'entend priver les Mahorais, mais qui ne permet pas d'aller vers un système de départementalisation dès l'an 2000.
Aller à l'encontre, ce serait nier ce que M. Lanier a justement évoqué au début de son intervention, à savoir la spécificité de Mayotte. Cette spécificité peut avoir sa place dans la République, et c'est précisément ce que nous proposons avec un statut qui permettra d'aller vers une identification progressive au département.
M. Balarello m'a demandé ce qui se passera en 2010. En 2010, le gouvernement de l'époque aura à mesurer l'évolution, à voir l'état du droit national concernant l'outre-mer et, probablement, alors, à faire franchir une nouvelle étape à Mayotte. Qu'elle devienne un département n'est pas exclu, mais moi, en tant que ministre de la République, je ne veux imposer au Gouvernement de 2010, quel qu'il soit, ni les termes d'un scrutin ni l'obligation même d'un scrutin. Ce sera à ce gouvernement de prendre ses responsabilités.
J'ai essayé, depuis 1997, de sortir de la situation créée par les lois de 1976 et de 1979, dont aucun gouvernement n'avait pu sortir, quelle que soit sa volonté. Ne reposons pas les questions dans les mêmes termes en 2010, au risque de nous voir de nouveau acculés dans une impasse !
Voilà les raisons qui me conduisent, évidemment, à souhaiter que le Sénat adopte largement le texte qui lui est proposé.
Une question m'a été posée sur les fonds structurels européens. Ces fonds sont réservés aux régions ultra-périphériques définies par l'article 299-2 du traité d'Amsterdam, c'est-à-dire les quatre départements d'outre-mer français, les deux régions portugaises des Açores et de Madère, et la région espagnole des Canaries. Quant à ce qu'on appelle les pays et territoires d'outre-mer, les PTOM, qui sont au nombre de vingt, ils relèvent de l'article 299-3, c'est-à-dire du fonds européen de développement. C'est vrai, ces vingt pays et territoires d'outre-mer européens reçoivent beaucoup moins de fonds - au moins dix fois moins par habitant - que les régions ultra-périphériques. Il y a donc là un déséquilibre.
Mais, même si nous votions aujourd'hui la départementalisation de Mayotte, il faudrait renégocier avec tous nos partenaires, c'est-à-dire avec les quatorze autres pays européens, l'inclusion de Mayotte dans la liste de l'article 299-2.
En revanche, je m'engage, messieurs Lanier et Balarello, à obtenir, dans les discussions à l'échelon européen, que, dans la répartition de l'enveloppe des pays et territoires d'outre-mer, qui comprend pour nous Wallis-et-Futuna, la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française et Saint-Pierre-et-Miquelon, un sort particulier soit réservé à Mayotte compte tenu des retards de développement.
De fait, nous ne pouvons pas faire passer Mayotte d'une catégorie à une autre sans l'accord de nos quatorze partenaires européens parce que nous sommes tenus par un traité. Mais je suis d'accord pour essayer de défendre Mayotte à l'échelon européen et la faire bénéficier au maximum des fonds européens de développement.
Voilà ce que je souhaitais dire au travers de cette intervention. Nous ne pouvons pas figer aujourd'hui le statut de Mayotte, ni les questions qui seront soumises et examinées en leur temps, en 2010. Aujourd'hui, ce qu'il faut pour Mayotte, c'est ne plus vivre dans le passé. Il faut regarder l'avenir et construire celui-ci avec les Mahorais. Ce texte et la consultation, puisqu'ils s'exprimeront, le leur permettra. C'est à la République, maintenant, de leur donner la capacité de s'exprimer. Le scrutin qui sera organisé d'ici au 31 juillet permettra aux Mahorais d'exprimer de nouveau leur attachement à la République et leur volonté d'aller de l'avant, de moderniser et de faire évoluer Mayotte tout en respectant les traditions et l'originalité de cette île. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Marcel Henry. Je demande la parole pour répondre au Gouvernement.
M. le président. La parole est M. Henry.
M. Marcel Henry. Monsieur le secrétaire d'Etat, je veux vous redire que vous ne réussirez pas à me convaincre que les Mahorais ne risquent rien, qu'il n'y a plus de danger d'un retour aux Comores sous prétexte que les propos de M. le Président de la République, à La Réunion, selon lesquels on allait organiser une consultation à Mayotte et que l'on en ferait une collectivité départementale n'ont pas provoqué de réaction de la part des dirigeants des pays voisins.
On a bien vu, en écoutant les explications de nos collègues qui sont favorables à l'adoption du projet, que ce dossier avait une dimension diplomatique. C'est pour ne pas faire de peine aux instances internationales, qui critiquent le maintien de la présence française à Mayotte, que l'on n'ose pas faire la départementalisation.
Les Mahorais sont parfaitement conscients que tant que cette décision ne sera pas prise, la volonté de la France de maintenir sa présence à Mayotte ne sera pas affirmée.
Apparemment, tout le monde ici semble d'accord pour voter ce projet de loi. Je voterai cependant contre, ainsi que mon groupe, car il est évident que l'adoption de ce projet de loi suscitera de la part des pays environnant Mayotte, notamment les Comores, une revendication plus forte de ce territoire, qui pèsera sur les négociations internationales.
Je suis conscient que ce n'est pas au niveau parlementaire, aujourd'hui, qu'il est possible de redresser la situation puisqu'un consensus semble se dégager. D'ailleurs, à Mayotte même, nous retrouvons le même accord entre les élus locaux du parti socialiste et du RPR. Le ministre s'est fondé sur cet accord prétendument unanime pour vanter aux parlementaires les mérites de son texte.
Ce n'est donc pas par la voie parlementaire que je compte renverser la situation mais en faisant appel aux Mahorais pour qu'ils sachent que leur destin est entre leurs mains, et que c'est en refusant de voter pour ce document qu'ils préserveront leur avenir dans l'ensemble français.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.

Article 1er



M. le président.
« Art. 1er. _ Une consultation sera organisée avant le 31 juillet 2000 afin que la population de Mayotte donne son avis sur l'accord sur l'avenir de Mayotte signé à Paris le 27 janvier 2000 et publié au Journal officiel de la République française le 8 février 2000. »
Par amendement n° 1, M. Balarello, au nom de la commission, propose de compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« Un projet de loi prenant en compte les résultats de cette consultation sera déposé au Parlement avant le 31 décembre 2000. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. José Balarello, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Cet amendement a pour objet de préciser que, conformément aux termes de l'accord sur l'avenir de Mayotte, un projet de loi prenant en compte les résultats de la consultation de la population mahoraise sera déposé au Parlement avant le 31 décembre 2000.
Il importe, en effet, de rappeler, que la définition du nouveau statut de Mayotte prévu par le document soumis à la consultation relève de la compétence du législateur et que l'adoption d'un projet de loi sera donc nécessaire pour tirer les conséquences de la consultation.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat. Favorable.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 1 rectifié.
M. Marcel Henry. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Henry.
M. Marcel Henry. Monsieur le rapporteur, pour éviter toute ambiguïté dans l'interprétation de ce texte, je souhaite que vous m'apportiez une précision : le projet de loi en question sera-t-il déposé quel que soit le résultat de la consultation, notamment si le « non » l'emporte ? En effet, dans ce cas, il appartiendra au Gouvernement de tirer la leçon de la volonté populaire et donc d'organiser enfin, après le vote d'une nouvelle loi, la consultation des Mahorais sur la base des options prévues par les lois de 1976 et de 1979.
M. José Balarello, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. José Balarello, rapporteur. Je réponds par l'affirmative. Il est écrit dans l'amendement : « Un projet de loi prenant en compte, les résultat de cette consultation... » Nous ne préjugeons pas les résultats de la consultation.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 1, accepté par le Gouvernement.
M. Marcel Henry. Je m'abstiens !

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er, ainsi modifié.

(L'article 1er est adopté.)

Articles 2 et 3



M. le président.
« Art. 2. _ Sont admis à participer à la consultation les électeurs inscrits sur les listes électorales de Mayotte. » - (Adopté.)
« Art. 3. _ Les électeurs auront à répondre par "oui" ou par "non" à la question suivante : "Approuvez-vous l'accord sur l'avenir de Mayotte, signé à Paris le 27 janvier 2000 ?" ».
« Le corps électoral se prononcera à la majorité des suffrages exprimés. » - (Adopté.)

Article 4



M. le président.
« Art. 4. _ Les dispositions suivantes du code électoral (partie législative) sont applicables à la consultation :
« _ livre 1er, titre 1er : chapitres Ier, II, V, VI et VII, à l'exception des articles L. 15-1, L. 52-1 (deuxième alinéa), L. 58, L. 66, L. 85-1, L. 113-1-I (1° à 5° ), L. 113-1-II et L. 113-1-III ;
« _ livre III, titre II, chapitre Ier : article L. 334-4.
« Pour l'application de ces dispositions, il y a lieu de lire : "parti ou groupement habilité à participer à la campagne" au lieu de : "candidat" et de : "liste de candidats". »
Par amendement n° 3, M. Balarello, au nom de la commission, propose de compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« Les bulletins portant la réponse "oui" et ceux portant la réponse "non" sont imprimés sur des papiers de couleurs différentes. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. José Balarello, rapporteur. Cet amendement a pour objet de préciser que, comme le prévoit l'article L. 334-5 du code électoral pour les élections à Mayotte, les différents bulletins utilisés lors de la consultation sont imprimés sur des papiers de couleur différente, afin de faciliter leur identification par les électeurs ; c'est le cas pour les autres scrutins à Mayotte.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat. Favorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 3, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 4, ainsi modifié.

(L'article 4 est adopté.)

Article 5



M. le président.
« Art. 5. _ Il est institué une commission de contrôle de la consultation, présidée par un conseiller d'Etat désigné par le vice-président du Conseil d'Etat. Cette commission comprend en outre deux membres du Conseil d'Etat ou des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel désignés par le vice-président du Conseil d'Etat et deux magistrats de l'ordre judiciaire désignés par le Premier président de la Cour de cassation. » - (Adopté.)

Article 6



M. le président.
« Art. 6. _ La commission de contrôle a pour mission de veiller à la régularité et à la sincérité de la consultation.
« A cet effet, elle est chargée :
« 1° De dresser la liste des partis et groupements politiques habilités à participer à la campagne en raison de leur représentation parmi les parlementaires et les conseillers généraux élus à Mayotte ;
« 2° De contrôler la régularité du scrutin ;
« 3° De trancher les questions que peut poser, en dehors de toute réclamation, le décompte des bulletins et de procéder aux rectifications nécessaires ;
« 4° De procéder au recensement général des votes et à la proclamation des résultats. »
Par amendement n° 4, M. Balarello, au nom de la commission, propose de compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« Pour l'exercice de cette mission, le président et les membres de la commission de contrôle procèdent à tous les contrôles et vérifications utiles. Ils ont accès à tout moment aux bureaux de vote et peuvent exiger l'inscription de toutes observations au procès-verbal soit avant, soit après la proclamation des résultats du scrutin. Les autorités qualifiées pour établir les procurations de vote, les maires et les présidents des bureaux de vote sont tenus de leur fournir tous les renseignements qu'ils demandent et de leur communiquer tous les documents qu'ils estiment nécessaires à l'exercice de leur mission. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. José Balarello, rapporteur. Cet amendement a pour objet de préciser que les membres de la commission de contrôle de la consultation disposeront de tout pouvoir d'investigation de contrôle et de vérification sur pièces et sur place et auront notamment accès à tout moment au bureau de vote.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat. Favorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 4, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 6, ainsi modifié.

(L'article 6 est adopté.)

Article 7



M. le président.
« Art. 7. _ Une durée totale de deux heures d'émission radiodiffusée et deux heures d'émission télévisée est mise à la disposition des partis et groupements mentionnés au 1° de l'article 6 par la société nationale chargée du service public de la communication audiovisuelle à Mayotte. Cette durée est répartie entre eux par la commission de contrôle en fonction de leur représentativité. Toutefois, chacun de ces partis ou groupements dispose d'une durée minimale de dix minutes d'émission radiodiffusée et dix minutes d'émission télévisée.
« Les dispositions de l'article 16 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication sont applicables à la consultation. »
Par amendement n° 5, M. Balarello, au nom de la commission, propose de compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« La loi n° 77-708 du 19 juillet 1977 relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d'opinion est applicable à la consultation. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. José Balarello, rapporteur. Cet amendement a pour objet de préciser que seront applicables à la consultation de la population de Mayotte les dispositions de la loi du 19 juillet 1977 relative aux sondages d'opinion, qui prévoient notamment les conditions de publication et de diffusion des sondages électoraux, ainsi que l'interdiction de la publication des sondages au cours de la semaine précédant le scrutin.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat. Favorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 5, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 7, ainsi modifié.

(L'article 7 est adopté.)

Articles 8 à 10



M. le président.
« Art. 8. _ Le résultat de la consultation peut être contesté devant le Conseil d'Etat statuant au contentieux par tout électeur admis à participer au scrutin et par le représentant du Gouvernement à Mayotte. La contestation doit être formée dans les dix jours suivant la proclamation des résultats. » - (Adopté.)
« Art. 9. _ Les dépenses de la consultation seront imputées au budget de l'Etat. » - (Adopté.)
« Art. 10. _ Un décret en Conseil d'Etat détermine les modalités d'application de la présente loi. - (Adopté.)
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 46:

Nombre de votants 318
Nombre de suffrages exprimés 316
Majorité absolue des suffrages 159
Pour l'adoption 266
Contre 50

11

RECONNAISSANCE DE L'ESCLAVAGE
EN TANT QUE CRIME CONTRE L'HUMANITÉ

Adoption d'un proposition de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi n° 234 (1998-1999), adoptée par l'Assemblée nationale, tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité. [Rapport n° 262 (1999-2000).]
Le rapport de la commission des lois porte également sur la proposition de loi de notre collègue M. Michel Duffour et de plusieurs de ses collègues ayant le même objet.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la Haute Assemblée est appelée maintenant à examiner la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale et visant à reconnaître la traite et l'esclavage comme crime contre l'humanité.
Cette proposition de loi a été déposée par Mme Christiane Taubira-Delannon, et le Gouvernement a chaleureusement appuyé cette initiative. Elle résulte clairement de la volonté de poser un acte chargé de sens et de rendre un hommage aux victimes de cet « attentat contre la dignité humaine » que fut l'esclavage - comme le qualifia d'ailleurs le décret d'abolition du 27 avril 1848 - mais c'est aussi une interpellation adressée aux générations futures.
C'est avec une grande érudition et une singulière force de conviction que cette proposition de loi a été rapportée à l'Assemblée nationale, où il fut rappelé comment l'oubli de ce crime contre l'humanité que fut l'esclavage a été méthodiquement organisé politiquement, administrativement, économiquement et juridiquement.
Cet oubli organisé a été relayé par les victimes elles-mêmes, comme si elles avaient voulu oublier la nuit des souffrances.
Aujourd'hui, le temps est venu d'effectuer le travail inverse, celui de la mémoire. Il correspond à une exigence éthique de la conscience, mais également à une nécessité collective. Je suis profondément persuadé qu'il n'y a pas de possibilité de construire un avenir avec les peuples qui ont été opprimés, détruits dans leur chair et dans leur culture si l'on ne se résout pas à assumer l'Histoire. Il n'y a pas de justice ni de paix sans vérité. Là est le prix d'un monde fidèle aux valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité qui fondent notre société.
La proposition de loi de vos collègues députés a cet objet : faire mémoire aujourd'hui de l'ignominie d'un système qui a nié pendant plus de deux siècles la dignité humaine des noirs, afin de prévenir des atteintes, insidieuses ou spectaculaires, toujours susceptibles de resurgir, comme, hélas ! le bilan du xxe siècle l'a démontré, jusqu'à l'horreur.
Exercer le devoir de mémoire et s'acquitter d'une dette envers des frères humains, c'est à tout cela que nous engage ce texte.
Il faut oser regarder la réalité cruelle des faits en face, ce que furent la traite des noirs et la condition d'esclaves que subirent des générations ravalées au rang de bêtes. Ma collègue, Mme Elisabeth Guigou, ministre de la justice, a évoqué la réalité de ce que fut l'esclavage, « ces victimes razziées dans la brousse, hordes d'esclaves nus et apeurés, des êtres de chair et de sang, hommes, femmes et enfants, vendus comme une marchandise, leur terrible traversée, entassés, enchaînés, vision d'horreur, prémonitoire de l'univers concentrationnaire qui marquera le xxe siècle d'une tache indélébile ».
Comme l'a très bien dit le philosophe Luis Sala Molins, « la réduction en esclavage, c'est la précipitation de l'homme hors de l'humanité, l'expulsion de chez les êtres humains et la réclusion dans le monde des animaux, des outils, des choses ». Qui n'a éprouvé un tel sentiment, notamment au Sénégal, à Gorée, dans l'île des esclaves où, justement, cette mémoire douloureuse est toujours présente ?
Mais ce philosophe a aussi montré que cet asservissement a été érigé en système, entouré de toutes sortes de justifications philosophiques et théologiques. L'esclavage a même fait l'objet d'une codification juridique, puisque le fameux code noir promulgué en 1685 a « fondé en droit le non-droit à l'Etat de droit des esclaves noirs dont l'inexistence juridique constitue la seule et unique définition légale ».
Et le système a pu perdurer, car les maîtres des esclaves disposaient pour faire appliquer ce droit d'un appareil de répression redoutable, constitué par la milice, la maréchaussée et les chasseurs de « nègres marrons ».
Il faut ensuite prendre toute la mesure du long et laborieux combat mené pour éveiller les consciences et parvenir à l'abolition d'une législation inique.
Certes, quelques hommes d'Eglise et certains philosophes se sont indignés de la condition faite à ces êtres humains par d'autres êtres humains.
On peut mentionner l'engagement de Voltaire et de l'abbé Reynal, et rappeler les noms des membres de la Société des amis des Noirs, fondée par le journaliste Brissot, dont Mirabeau, La Fayette, Condorcet ou l'abbé Grégoire.
Mais, même la Révolution française, porteuse des idéaux des Lumières, ne parvint pas à faire disparaître définitivement l'ordre esclavagiste. Alors que l'article Ier de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 venait de proclamer que les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits, l'Assemblée constituante, dès 1791, a privé cette déclaration de sa portée universelle en refusant par décret aux hommes de couleur tous les droits des citoyens. Et si la Convention supprima l'esclavage en 1794, celui-ci fut rétabli dans les colonies par Bonaparte, le 10 mai 1802.
Aussi faut-il souligner que le peuple noir s'est d'abord libéré lui-même par la force de justes révoltes et séditions. Dans cette chaîne des insurrections, on rappellera l'action de Toussaint Louverture, ou celle de Delgrès en Guadeloupe, cet officier français qui s'opposa au rétablissement de l'esclavage en prenant la tête d'une armée insurrectionnelle.
Le combat abolitionniste aboutit avec la Révolution de 1848 et sous l'impulsion d'un homme, le sénateur Victor Schoelcher, auquel la République a voulu rendre un hommage solennel, voilà deux ans, lors de la commémoration du cent cinquantenaire de l'abolition de l'esclavage.
Monsieur Gérard Larcher, vous qui présidiez le comité de parrainage pour la commémoration de l'abolition de l'esclavage, vous lui avez rendu un vibrant hommage lors de la séance du 28 avril au Sénat. Je souscris tout particulièrement aux propos que vous avez tenus, lorsque vous rappeliez que Victor Schoelcher n'avait pas pensé que sa tâche était terminée avec le décret du 27 avril 1848 qui abolissait l'esclavage. « L'abolition serait sans portée si des mesures complémentaires n'étaient pas prises, telles que donner des terres aux affranchis, créer des emplois, organiser la continuité de la production agricole. Malgré ces plaidoyers lucides - écriviez-vous - cette part capitale de son programme restera lettre morte. »
Ce programme, nous devons tous en être les continuateurs et, personnellement, je m'efforce d'être fidèle à la leçon de Victor Schoelcher. Comme vous tous, mesdames, messieurs les sénateurs, je n'en doute pas.
Poser un acte symbolique et fondateur pour l'avenir, c'est l'autre volet de la proposition de loi.
Le combat pour un bannissement effectif de l'esclavage s'est poursuivi au xxe siècle et, à la sortie de la Première Guerre mondiale, les parties signataires de la convention de Saint-Germain-en-Laye du 10 septembre 1919 durent réitérer leur volonté d'assurer la suppression complète de l'esclavage.
Les horreurs commises par le régime nazi ont suscité la consécration par le droit international de déclarations et de pactes affirmant solennellement les droits inaliénables attachés à la personne humaine.
En 1946, la France, pour sa part, a voulu faire prédéder sa Constitution d'un préambule qui proclame que tout être humain, sans distinction de race, de religion ou de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés.
Elle a, par ailleurs, signé et ratifié diverses conventions internationales qui prohibent l'esclavage et les autres formes d'asservissement. Il faut citer, outre la Déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948, la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, le Pacte des Nations unies relatif aux droits civils et politiques de 1966 et la Convention des Nations unies relative aux droits de l'enfant.
L'esclavage fait ainsi l'objet d'une condamnation dans tous les grands textes internationaux. En droit interne, il ne reçoit une qualification juridique que dans le nouveau code pénal qui, en son article 212-1, le classe parmi les autres crimes contre l'humanité, après l'article consacré au génocide.
D'un strict point de vue juridique, le concept de « crime contre l'humanité » découle du droit naturel et a été consacré en droit pour la première fois dans le statut du tribunal militaire de Nuremberg.
Mais, comme a pu le dire M. Pierre Truche, alors procureur général de la Cour de cassation : « La réduction en esclavage de populations africaines pour travailler dans les colonies d'Amérique, réglementée par le pouvoir dans le code noir, était un crime contre l'humanité. »
Et Pierre Truche en donnait la définition suivante : « Le crime contre l'humanité est la négation de l'humanité chez des membres d'un groupe d'hommes en application d'une doctrine. Ce n'est pas un crime commis d'homme à homme, mais la mise à exécution d'un plan concerté pour écarter des hommes de la communauté des hommes. »
La proposition de loi qui vous est soumise ne comporte pas d'innovation juridique, mais elle apporte une dimension symbolique forte de la condamnation de l'esclavage.
En adoptant l'article 1er, notre pays reconnaîtrait officiellement que la traite négrière transatlantique, ainsi que la traite dans l'océan Indien, d'une part, et l'esclavage, d'autre part, perpétrés à partir du xve siècle aux Amériques et aux Caraïbes, dans l'océan Indien et en Europe, contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l'humanité.
En l'adoptant, notre pays reconnaîtrait officiellement que l'esclavage, pratiqué notamment dans nos colonies, est un crime contre l'humanité.
Inscrire la condamnation de la traite des Noirs et de l'esclavage qui ont eu lieu à tel moment de l'histoire, conduisant à la destruction de telles et telles populations qui vivaient à tel endroit, en tant que crime contre l'humanité, c'est reconnaître que ces formes de négation de la dignité humaine sont non pas simplement des infractions à la loi, mais un attentat contre tous les hommes. Et de plus cet attentat n'a pas perdu toute actualité.
Votre rapporteur ainsi que votre commission proposent de réécrire l'article 1er, qui est l'élément essentiel de la proposition de loi, pour rappeler que l'esclavage, défini par l'article 212-1, constitue un crime contre l'humanité quels que soient le lieu et l'époque où il a été commis.
Vous justifiez cette réécriture au motif que vous hésitez à qualifier un événement historique de crime contre l'humanité. Mais si l'on reconnaît que la traite a bien eu lieu, comme vous le faites, et si l'on admet que la traite est bien un crime contre l'humanité, la qualification de cet événement historique à laquelle on se livre est parfaitement légitime. C'est la raison pour laquelle je m'opposerai, au nom du Gouvernement, à la réécriture de l'article 1er tel que votre commission des lois le suggère.
S'agissant des autres dispositions que votre commission propose, je dirai, lors de la discussion des articles, quelle est la position du Gouvernement.
Il me paraît important aujourd'hui que cette proposition de loi, qui vise à une réhabilitation historique essentielle, recueille l'adhésion de tous.
J'évoquais tout à l'heure Victor-Schoelcher, dont le souvenir reste, dans cette assemblée, celui d'un grand républicain. Dans cette ligne, le Sénat s'honorerait à voter cette proposition de loi telle qu'elle lui est soumise après sa discussion par l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Nous vous remercions, monsieur le secrétaire d'Etat, d'avoir rappelé la place que le Sénat a donné à la commémoration du décret de 1848.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le Sénat est appelé à examiner la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité. Cette proposition de loi, déposée à l'Assemblée nationale par Mme Taubira-Delannon et plusieurs de ses collègues, est inspirée par la volonté que l'un des plus grands crimes de l'histoire de l'humanité ne disparaisse pas de la mémoire collective. Comme l'indique fort bien l'exposé des motifs de la proposition de loi : « Les humanistes disent, avec Elie Wiesel, que le bourreau tue toujours deux fois, la deuxième fois par le silence. »
En 1998, vous l'avez rappelé, monsieur le secrétaire d'Etat, la France a célébré le cent cinquantième anniversaire du décret d'abolition de l'esclavage, signé par Victor Schoelcher, qui siégea ultérieurement sur les bancs du Sénat. De nombreuses manifestations ont été organisées à cette occasion, tant en métropole que dans les collectivités territoriales d'outre-mer. Le Sénat a pris toute sa part dans cette commémoration, notamment par l'organisation d'une exposition retraçant le combat en faveur de l'abolition de l'esclavage et par une séance solennelle au sein de cet hémicycle.
La présente proposition de loi doit permettre de perpétuer la réprobation de crimes injustifiables et mérite, à ce titre, toute notre attention.
Quel est l'objet précis de cette proposition de loi ?
Elle tend à la reconnaissance, en tant que crime contre l'humanité, de la traite négrière transatlantique ainsi que de la traite dans l'océan Indien, d'une part, de l'esclavage, d'autre part, perpétrés, à partir du xve siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l'océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes.
Rappelons que l'esclavage n'est pas apparu au xve siècle ; il est apparu bien plus tôt. Il s'agissait d'une pratique courante dans l'Antiquité. Il semble que la traite dite arabo-musulmane contre l'Afrique subsaharienne ait commencé longtemps avant l'ère chrétienne, puis qu'elle se soit développée à compter du viie siècle de notre ère.
L'une des singularités de la traite négrière transatlantique, de la traite dans l'océan Indien et de l'esclavage perpétrés par les pays européens à partir du xve siècle est son ampleur en ce qui concerne le nombre de personnes impliquées. Au xve siècle, en effet, la découverte de l'Amérique et les grandes expéditions vers le Nouveau Monde conduisirent à l'apparition de la traite négrière et du commerce dit triangulaire. Le développement des cultures de plantation dans les colonies impliquait une main-d'oeuvre nombreuse qu'il était impossible de trouver sur place, du moins le disait-on. L'Afrique allait, dans ce contexte, fournir la main-d'oeuvre que recherchaient les puissances européennes pour le développement de leurs colonies. A la suite de l'Espagne, toutes les puissances coloniales européennes se lancèrent dans ce commerce effroyable.
Il est difficile de connaître le nombre exact de personnes qui firent l'objet de la traite négrière et qui furent réduites en esclavage. Les historiens estiment que furent arrachées à l'Afrique entre 15 millions et 30 millions de personnes. Par ailleurs, environ 11 millions d'Indiens vivaient sur le continent américain au début du xvie siècle ; ils n'étaient plus que deux millions et demi à la fin du même siècle.
Le chemin qui conduisit à la disparition de ces pratiques fut long et heurté. Au xviiie siècle, un mouvement se développa en faveur de l'abolition grâce, notamment, aux écrits de certains philosophes.
Je ne peux m'empêcher de citer Montesquieu, qui choisit, dans son ouvrage De l'esprit des lois, l'ironie pour dénoncer l'esclavage : « Si j'avais à soutenir le droit que nous avons eu de rendre les nègres esclaves, voici ce que je dirais : Les peuples d'Europe ayant exterminé ceux de l'Amérique, ils ont dû mettre en esclavage ceux de l'Afrique, pour s'en servir à défricher tant de terres.
« De petits esprits exagèrent trop l'injustice que l'on fait aux Africains. Car, si elle était telle qu'ils le disent, ne serait-il pas venu dans la tête des princes d'Europe, qui font entre eux tant de conventions inutiles, d'en faire une générale en faveur de la miséricorde et de la pitié ? »
La fin du xviiie siècle fut marquée par des révoltes d'esclaves, en particulier dans les colonies françaises. Ainsi, en août 1791, une révolte d'esclaves, notamment conduite par Toussaint Louverture, déclencha une terrible insurrection à Saint-Domingue, où l'abolition de l'esclavage fut proclamée le 29 août 1793. Le 4 février 1794, la Convention étendit cette décision à l'ensemble des colonies françaises. Néanmoins, Napoléon rétablit l'esclavage en 1802.
En 1848, la révolution porta au pouvoir un gouvernement au sein duquel Victor Schoelcher fut chargé du secrétariat d'Etat aux colonies. Un décret d'abolition de l'esclavage fut signé le 4 mars 1848 par le Gouvernement provisoire, dont les conditions d'application furent précisées par un décret du 27 avril 1848.
En 1948, la Déclaration universelle des droits de l'homme précisa : « Nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude ; l'esclavage et la traite des esclaves sont interdits dans toutes leurs formes. » La convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales précise également que « nul ne peut être tenu en esclavage ou servitude ».
L'esclavage est donc désormais condamné au niveau international et pénalement punissable en tant que crime contre l'humanité. La notion de crime contre l'humanité fit son apparition en 1946 dans le statut du tribunal international de Nuremberg. Déjà, la réduction en esclavage figurait dans la définition du crime contre l'humanité, même si cette définition ne concernait alors que les faits survenus avant ou pendant la Seconde Guerre mondiale.
L'article 212-1 du code pénal français fait aujourd'hui clairement figurer la réduction en esclavage parmi les crimes contre l'humanité.
Enfin, le statut de la Cour pénale internationale mentionne clairement l'esclavage en tant que crime contre l'humanité dans son article 7. Le statut de la Cour pourrait permettre, après son entrée en vigueur, la poursuite de tous les actes d'esclavage quel que soit le lieu de leur commission. La Cour aura en effet compétence dans l'ensemble des pays du monde, dès lors qu'elle sera saisie par le Conseil de sécurité des Nations unies.
Après ces quelques rappels, j'en viens au contenu de la proposition de loi.
L'objet essentiel de ce texte est l'affirmation par la République française que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l'océan Indien d'une part, et l'esclavage, d'autre part, perpétrés, à partir du xve siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l'océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l'humanité.
Toutefois, la proposition de loi comporte d'autres dispositions, destinées à perpétuer la réprobation des crimes commis et à commémorer l'abolition de l'esclavage.
Ainsi, la proposition de loi prévoit que les manuels scolaires et les programmes de recherche en histoire et en sciences humaines devront accorder à la traite négrière et à l'esclavage la place importante qu'ils méritent.
Elle prévoit qu'une requête en reconnaissance de la traite négrière transatlantique ainsi que de la traite dans l'océan Indien et de l'esclavage comme crime contre l'humanité sera introduite auprès du Conseil de l'Europe, des organisations internationales et de l'Organisation des Nations unies.
Le texte dispose encore que le Gouvernement fixera, après une large concertation, une date pour la commémoration annuelle de l'abolition de l'esclavage en France métropolitaine.
Par ailleurs, un comité de personnalités qualifiées serait chargé de proposer des lieux et des actions de mémoire qui garantissent la pérennité de la mémoire du crime de traite et d'esclavage.
Enfin, les associations ayant pour objet de défendre la mémoire des esclaves et l'honneur de leurs descendants pourraient exercer les droits reconnus à la partie civile dans les affaires d'injures ou de diffamation à raison de l'origine ethnique.
Quelle est la position de la commision des lois sur ce texte ?
L'esclavage est aujourd'hui clairement reconnu en tant que crime contre l'humanité. A l'évidence, l'esclavage et la traite négrière pratiqués pendant près de quatre siècles étaient constitutifs du crime contre l'humanité tel que nous l'entendons aujourd'hui. Rappelons que, selon la définition d'André Frossard : « Il y a crime contre l'humanité quand l'humanité de la victime est niée. »
Pour autant, de très nombreux événements de l'histoire, ancienne ou récente, étaient eux aussi constitutifs de crimes contre l'humanité.
Dès lors, peut-on opérer une hiérarchisation entre les crimes et entre les victimes ? Chacun pourrait naturellement trouver des exemples, hélas ! très nombreux, dans l'histoire. Votre commission ne s'y est pas cru autorisée.
Il convient d'ajouter que des crimes contre l'humanité sont encore commis de nos jours, qu'il existe des formes modernes d'esclavage et que ces phénomènes doivent mobiliser de manière prioritaire les pouvoirs publics et les juridictions internationales et nationales.
A cet égard, votre commission souhaite que le statut de la Cour pénale internationale puisse entrer en vigueur le plus rapidement possible, afin que les crimes contre l'humanité, notamment la réduction en esclavage, puissent être mieux prévenus et réprimés.
Votre commisison propose de modifier l'article 1er de la proposition de loi, afin de rappeler, de manière générale, que l'esclavage défini par l'article 212-1 du code pénal ainsi que la traite constituent un crime contre l'humanité, quels que soient l'époque et le lieu où ils sont commis.
Votre commission approuve la modification de la loi de 1983 relative à la commémoration de l'abolition de l'esclavage. Elle accepte le principe de la fixation d'une date de commémoration sur le territoire métropolitain et a souhaité intégrer dans la loi de 1983 l'article de la proposition de loi qui prévoit la création d'un comité de personnalités chargé de proposer des lieux et des actions de mémoire.
Elle a en outre prévu que ce comité pourrait formuler des propositions relatives au contenu des programmes scolaires.
Telles sont, mes chers collègues, les propositions de la commission des lois, qui souhaite également que l'on réfléchisse, pour l'avenir, à de nouveaux moyens permettant au Parlement de s'exprimer solennellement sans avoir besoin de recourir à la loi, laquelle, chacun le sait, selon la belle formule de Sieyès, « ordonne, permet ou interdit ». Elle nous oblige en réalité, dans des débats de cette nature, qui interpellent la conscience, à nous situer en dehors du schéma traditionnel.
Le texte que vous propose votre commission permettra de perpétrer la réprobation d'un crime qui doit demeurer dans la mémoire collective, sans pour autant que la loi vienne procéder à une hiérarchisation entre les crimes contre l'humanité qui ont été malheureusement commis au cours de l'histoire.
(M. Paul Girod remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. PAUL GIROD,
vice-président

M. le président. La parole est à M. Gérard Larcher.
M. Gérard Larcher. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le 27 avril 1848, quelques lignes qui avaient la force de la loi bouleversaient le destin de milliers d'hommes et de femmes et brisaient des fers. D'hommes sans droit, esclaves, ils étaient devenus juridiquement égaux à leurs maîtres. Le droit entre les mains du législateur est bien une arme qui affranchit, garantit et protège.
Oui, 1848 symbolise une des victoires majeures dans un combat sans fin, celui pour la dignité dans l'égalité.
De Brissot à l'abbé Grégoire, de Toussaint Louverture à la mulâtresse Solitude, mais aussi à Félix Eboué et au président Monnerville ici même, il est des femmes et des hommes qui ont été et sont les acteurs combattants de ces valeurs au coeur desquelles l'homme est toujours.
Victor Schoelcher nous l'a rappelé : notre nation n'est pas construite sur une conception raciale illusoire ; elle ne se réduit pas à une vision métropolitaine du territoire.
Voilà quelques jours en Martinique, le président de la République, Jacques Chirac, vient de rappeler cette richesse de la diversité et de l'identité qui fait la France de l'outre-mer : « Les Martiniquais, les Guadeloupéens, les Guyanais s'interrogent sur ce qu'ils sont dans ce monde qui change, sur ce qu'ils seront demain. Rares sont ceux qui voient, je crois, dans une rupture avec la France, la réponse à cette recherche identitaire. Mais le message qu'ils nous délivrent de manière pratiquement unanime est une formidable demande de reconnaissance de leur personnalité, de leur dignité, de leur identité, mais aussi de leur capacité à assumer eux-mêmes une partie beaucoup plus importante de leur destin. Nous ne devons pas, nous ne pouvons pas ignorer ce message. » Beaucoup de nos collègues d'outre-mer, tout particulièrement Mme Michaux-Chevry, ne cessent de nous rappeler à la nécessité de cette reconnaissance de dignité.
N'oublions jamais qu'avant le sinistre code noir l'esclave n'était même pas considéré comme une personne humaine.
Dans la France Républicaine, l'idée nationale est d'abord partage de valeurs sur lesquelles on ne transige pas et les droits et les devoirs de l'Homme occupent une place centrale. Mais ces valeurs, si elles sont ouvertes à la diversité, excluent tout à la fois le communautarisme et le tribalisme.
Le devoir de mémoire, celui que nous évoquons aujourd'hui par la qualification de la traite et de l'esclavage - et il faut insister sur la traite négrière - en tant que crime contre l'humanité, ne peut, ne doit pas être simple oeuvre d'historien humaniste.
L'esclavage subsiste encore dans nombre de pays, sous des formes renouvelées, insidieuses, hideuses : ici c'est un contrat qui lie pour trente ans un travailleur à l'employeur ou l'enchaînement de générations à la dette ; dans d'autres régions, ce sont des enfants qui sont jetés à la rue et qui, pour survivre, passent de la mendicité à la prostitution quand ils ne sont pas directement vendus à un proxénète ; ailleurs, ce sont des femmes ; sans compter les pays où l'esclavage « classique » est une tradition qui continue à être pratiquée à l'abri des regards.
Les droits de l'homme sont encore bafoués chaque jour dans le monde.
Condorcet qualifiait la traite et l'esclavage de « crimes de lèse-humanité ». Crime : oui.
La réalité fut affreuse. Et pourtant, nous avons tendance, par nature, à nous cacher ces réalités-là. Qui plus est, certains doctrinaires se chargent d'excuser les exactions et de fournir en bonnes raisons les profiteurs qui préfèrent se boucher les yeux. Souvenons-nous de la philosophie du code noir, de la théorie qui prétend que les humains sont génétiquement inégaux ! C'était, c'est si commode de se persuader que l'esclave enchaîné n'est pas tout à fait un être humain !
Oui, mes chers collègues, il faut qualifier ces crimes ! Oui, il faut faire porter par notre mémoire collective cette histoire, qui est aussi notre histoire collective. Oui, il faut rester vigilant vis-à-vis de toute forme d'esclavage, d'exploitation, de racisme. Oui, c'est essentiel, et sur ces questions-là on ne peut transiger.
Voilà pourquoi le groupe du Rassemblement pour la République, qui plonge ses racines dans l'esprit de résistance, ne peut que partager les fondements de ce texte et faire sienne aujourd'hui la déclaration que vous évoquiez tout à l'heure, monsieur le secrétaire d'Etat, celle que fit Louis Delgrès à Fort-Saint-Charles quelques instants avant de mourir : « La résistance à l'oppression est un droit naturel. La divinité même ne peut être offensée que nous défendions notre cause. Elle est de celles de la justice et de l'humanité. Nous ne les souillerons pas par l'ombre du crime. » (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Othily.
M. Georges Othily. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, laissez-moi en cet instant m'incliner respectueusement pour honorer la mémoire de ceux de ma race qui ont tant souffert par la faute de l'autre.
Lorsque, avec d'autres, Pauline, esclave née en Afrique vers 1825, arrive en Guyane pour être livrée à son maître, le colon Paquet, la savane de Counamama est déjà peuplée de quelques esclaves. Elle choisira pour s'identifier le nom d'Othily.
Lorsque la mère Javouhey arrive à Mana, en Guyane, les hommes et les femmes de race noire qu'elle amène connaîtront une situation déjà améliorée. Mais comment ici, dans ce Sénat, haut lieu des droits de l'homme, le petit fils d'esclave peut-il ne pas être envahi d'une profonde émotion ?
Oui, la France de 1848 a décidé l'oubli. Les anciens esclaves sont devenus français en obtenant, entre autres, le droit de vote.
Le temps semble venu pour la République française de reconnaître officiellement l'esclavage et la traite négrière comme un crime contre l'humanité. Alors que les droits de l'homme sont quotidiennement violés dans de nombreux pays, la France doit réaffirmer sa volonté de sauvegarder les droits fondamentaux de l'individu : droit à la vie, à la liberté, à la santé, à l'éducation, à la paix. Le refus de l'esclavage fait partie intégrante de ces libertés et, précisément, du respect de l'intégrité physique et de l'identité des personnes.
Comme vous, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'il me soit permis de rendre hommage à Mme la députée de la Guyane pour le travail titanesque qu'elle a accompli et pour la force de persuasion qu'elle a dû déployer pour que le Gouvernement et, surtout, le Parlement acceptent d'inscrire à l'ordre du jour la proposition de loi « tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crimes contre l'humanité ». Aussi, qu'elle me permette de faire retentir ici, sous cette coupole, les mots les plus forts qu'elle a su faire pénétrer dans l'esprit et le coeur des députés de la France : « Les générations actuelles ont pu sortir du silence thérapeutique parce qu'elles se sentent en mesure de faire la part du légitime ressentiment, de la douloureuse amertume, de la vanité des haines enfouies. Elles peuvent s'affranchir de la dépendance à cette histoire gommée parce que le temps est venu de formuler, de décrire, de guérir ».
Toutefois, peut-on donner un sens à l'acte de repentance publique pour des fautes commises dans le passé en évacuant la notion fondamentale de réparation due au titre de ce crime, alors qu'à l'abolition les propriétaires d'esclaves avaient été indemnisés pour perte de main-d'oeuvre ?
Oui, l'esclavage perpétré dès le xve siècle aux Amériques, aux Caraïbes, dans l'océan Indien et en Europe contre les Africains, les Amérindiens, les Malgaches, les Indiens constitue un crime contre l'humanité.
Cet acte politique majeur que le Sénat prendra aujourd'hui en adoptant ce texte sera un acte de courage qui fait suite aux initiatives prises durant l'année 1998 par M. le président de la République et vous-même, monsieur le secrétaire d'Etat à l'outre-mer, à l'occasion du cent cinquantième anniversaire de l'abolition de l'esclavage par la France.
Etant particulièrement concerné par ce texte, je salue également l'excellent travail fourni par notre éminent collègue Jean-Pierre Schosteck, rapporteur de la commission des lois.
Je me dois aussi de m'interroger sur l'aménagement qu'il introduit en insérant dans la loi que l'esclavage, conformément à l'article 212-1 du code pénal, quels que soient le lieu et l'époque où il est pratiqué, constitue un crime contre l'humanité.
S'il est légitime de ne pas encadrer la reconnaissance de crime contre l'humanité, le seul esclavage concerné par la loi initiale, il convient néanmoins de ne pas extraire de la rédaction de cet article la « traite négrière ».
Aussi, si je souscris à la proposition pleine de sagesse de la commission des lois, qui propose de rappeler que l'esclavage considéré au sens le plus large constitue quels que soient le lieu et l'époque où il est pratiqué un crime contre l'humanité, le fait que ne figure pas de manière explicite dans la loi la traite négrière me peine quelque peu, car c'est notre histoire, c'est mon histoire.
Mais, osons le dire, les crimes contre l'humanité, c'est aussi aujourd'hui le martyre de Grosny et des civils tchétchènes. Nous ne pouvons pas oublier non plus les massacres des Arméniens en Turquie, des koulaks en URSS, des juifs et des tziganes dans l'Allemagne hitlérienne, des victimes des Khmers rouges au Cambodge, des Tutsis au Rwanda, sans parler du Tibet, du Soudan, de l'Ethiopie de Mengistu et des victimes amérindiennes.
Le législateur français a posé le devoir de mémoire. Il appartient à notre génération d'organiser le devoir de vigilance pour qu'aujourd'hui et demain nous disions : plus jamais ça.
Le siècle qui s'achève aura vu tomber nombre de barrières que la civilisation avait tenté de mettre aux pulsions criminelles des hommes. Aucune prohibition n'a tenu devant les massacres passés ou ceux de notre temps.
Aujourd'hui, l'esclavage est un souvenir douloureux pour la République française. Il demeure pourtant un problème présent.
L'abolition de l'esclavage n'a en effet pas été gérée. Les abolitionnistes étaient mus par des considérations philosophiques ou morales. Les hommes devenus libres sont alors tombés dans le prolétariat, prolétariat qui pose encore de nos jours un problème social aigu dans de nombreuses régions du tiers monde où la densité démographique est très élevée et où le sous-emploi engendre un chômage permanent. La France ne fait pas exception, ses terres d'outre-mer connaissant de graves difficultés.
Parallèlement, l'esclavage existe encore dans certains Etats, malgré les textes qui l'ont depuis longtemps supprimé. Condamnée officiellement, la pratique de la servitude n'est pourtant pas rare dans le monde.
Sans aller percer le mystère des sondages sur ce que pensent les Français de la race noire ou de l'étranger, interrogeons-nous avec inquiétude sur ces 69 % de Français qui acceptent difficilement peut-être l'homme noir que je suis.
Comment, en cet instant, ne pas évoquer le souvenir de Victor Schoelcher ? Il aurait été certainement aujourd'hui un militant des grandes causes humanitaires internationales. Sans doute aurait-il combattu pour que l'esclavage soit reconnu juridiquement comme crime contre l'humanité, lui qui, en son temps déjà, l'avait qualifié d' « attentat contre la dignité humaine ».
Enfin, mes chers collègues, apposons ce soir notre empreinte de reconnaissance sur ce texte pour redonner à la France sa grandeur et son prestige aux yeux de tous. Comme ce grand homme que fut Martin-Luther-King, j'ai fait un rêve :
« C'est un rêve profondément ancré. Je rêve que, un jour, sur les rouges collines de Georgie, les fils des anciens esclaves et les fils des anciens propriétaires d'esclaves pourront s'asseoir ensemble à la table de la fraternité. Je rêve que mes quatre petits-enfants vivront un jour dans un pays où on ne les jugera pas à la couleur de leur peau, mais à la nature de leur caractère. Je fais aujourd'hui un rêve ! Telle est mon espérance. » (Applaudissements.)
(M. Gérard Larcher remplace M. Paul Girod au fauteuil de la présidence).

PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER,
vice-président

M. le président. La parole est à M. Lise.
M. Claude Lise. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, chers collègues, c'est, vous le savez, dans le contexte de la commémoration des 150 ans de l'abolition de l'esclavage qu'a pris naissance l'initiative de Mme Christiane Taubira Delannon, députée de la Guyane, d'une proposition de loi « tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité ».
Je tiens à saluer cette initiative, car elle est venue manifestement combler une attente, qui, pour avoir été longtemps contenue, n'en était pas moins forte chez tous ceux qui, outre-mer, vivent avec, « fiché en eux-mêmes, comme le dit Aimé Césaire, le sentiment lancinant d'une intolérable voie de fait du destin à leur égard ».
Cette initiative, je tiens également à la saluer parce qu'elle ne peut que contribuer à rappeler qu'il existe un devoir de mémoire qui s'impose à chacune et à chacun comme un antidote à l'assoupissement des consciences devant toutes les formes de barbarie, présentes et à venir.
C'est dire la satisfaction que j'ai éprouvée, comme beaucoup de mes compatriotes, devant la position prise le 18 février 1999 par l'Assemblée nationale.
Cette satisfaction est d'ailleurs partagée, bien au-delà des peuples directement concernés, par ceux qui cherchent à saisir toutes les occasions de mobiliser les consciences contre tout ce qui peut constituer une atteinte aux droits et à la dignité de l'homme.
C'est dire aussi, je ne vous le cache pas, mon inquiétude devant la position adoptée par la commission des lois en introduction au débat d'aujourd'hui.
Je m'empresse de vous rassurer, mes chers collègues.
Je partage, sans la moindre réticence, la préoccupation de nos collègues, qui se montrent soucieux de n'exclure, de l'universelle réprobation, aucune des formes qu'a pu prendre l'esclavage depuis les temps les plus reculés et sur les points les plus divers de la planète.
Je partage aussi très nettement leur opposition à toute velléité de faire admettre qu'il pourrait exister des systèmes esclavagistes plus condamnables que d'autres.
Mais, à vrai dire, mes chers collègues, y a-t-il, dans le texte qui nous est soumis, des propositions qui puissent, à cet égard, nous alarmer ?
Je n'en vois pas !
Bien sûr, toutes les variétés d'esclavage - et de traite - ne sont pas mises en avant dans le texte. Mais ce n'est pas parce qu'elles sont écartées ou sous-estimées.
C'est tout simplement parce que l'auteur de la proposition de loi et ceux qui ont déjà adopté le texte ont tenu compte du fait que l'esclavage en général était déjà l'objet d'une condamnation très claire dans le code pénal français, à l'article 212-1 ; vous avez vous-même insisté sur ce point, monsieur le rapporteur.
Ce qui nous est proposé, en réalité, c'est de sortir d'une qualification générale, c'est d'abandonner une vision par trop abstraite qui ne peut qu'émousser la capacité d'indignation que l'on voudrait, au contraire, voir s'exacerber dans chaque conscience.
Et, en l'occurrence, c'est de ne retenir que ce qui concerne la France, que ce dans quoi la France s'est trouvée directement impliquée pendant plusieurs siècles : d'une part, la traite négrière transatlantique et la traite dans l'océan Indien, d'autre part, l'esclavage perpétré, à partir du xve siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l'océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes.
Il s'agit là d'une période historique extrêmement importante, au cours de laquelle la France a, si l'on peut s'exprimer ainsi, « gagné » le rang de troisième puissance importatrice d'esclaves.
Une période historique qui s'est achevée, ne l'oublions pas, il y a à peine cent cinquante ans et dont certaines conséquences sont encore parfaitement visibles, sont encore d'une grande actualité, comme notre collègue M. Othily le disait très bien tout à l'heure.
C'est notamment le cas dans les anciennes colonies dont la France a fait des départements d'outre-mer. Leurs sociétés sont, en effet, encore profondément marquées par les conditions dans lesquelles elles ont pris naissance, et le passé y joue un rôle d'autant plus prégnant qu'on a longtemps tout fait pour le refouler.
C'est vrai dans le domaine économique, où il explique pour une part le mal-développement.
C'est vrai dans le domaine social, où il est à la base de la fragilité de la cohésion sociale.
C'est vrai dans le domaine psychologique, où il alimente l'essentiel d'un mal-être qu'évoquait en ces termes Aimé Césaire, c'était en 1956, mais ses propos restent empreints de vérité : « Quand on considère la psychologie de l'Antillais, telle qu'elle résulte d'un déracinement brutal, suivi d'un processus de dépersonnalisation qui a duré trois siècles, quand on recense les éléments qui la composent, cette hargne à l'égard du passé, cette sourde et inavouée rancune contre la terre des pères - cette Afrique à qui l'on fait grief de n'avoir pas su protéger ou d'avoir livré ses enfants, mais qui en même temps garde son goût secret de paradis perdu - bref, ce ballottement entre un passé dont on ne veut pas et un présent qu'on ne peut accepter parce qu'il vous accepte mal, on se hasarde à penser que dans la conscience antillaise retentit encore et durablement un choc premier, celui de la traite. »
Mais les séquelles de la politique esclavagiste de la France se retrouvent également dans d'autres anciennes colonies françaises, au premier rang desquelles se trouve, bien sûr, Haïti, ainsi que dans toute une partie du continent africain qui a subi une terrible saignée, puisque - vous l'avez dit, monsieur le rapporteur - c'est entre 15 millions et 30 millions d'hommes et de femmes en âge de procréer qui y ont été arrachés pour être déportés !
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, tout ce que je viens d'évoquer devrait déjà suffire, me semble-t-il, à mettre un terme aux interrogations qui se sont fait jour sur le bien-fondé de la démarche initiée par Mme Taubira-Delannon.
Comment imaginer, en effet, que l'on puisse, pour dispenser la France de reconnaître l'ampleur de ses responsabilités - car dites-vous bien que c'est comme cela que ce sera interprété -, comment donc imaginer que l'on puisse continuer à mettre en avant le fait que l'esclavage a également été pratiqué par d'autres, ailleurs, ou à des époques plus ou moins lointaines ?
L'argument serait d'autant moins convaincant qu'en réalité, l'esclavage dit moderne - c'est comme cela qu'on le qualifiait à l'époque ! - pratiqué par la France du xve au xixe siècle se distingue de la majorité des autres pratiques esclavagistes par différents caractères qui lui confèrent une véritable singularité, et je tiens, pour ma part, à y insister.
Il y a d'abord ce que nous avons déjà évoqué, son caractère durable et massif. Dans sa seule dimension transatlantique, la traite négrière a certainement constitué le déplacement le plus considérable de populations que l'on ait jamais connu.
Un autre caractère distinctif est l'extrême inhumanité des conditions de vie réservées aux esclaves.
Il s'agit d'un système où l'on peut dire que la violence sous toutes ses formes fait partie du quotidien, que le recours aux méthodes les plus cruelles est généralisé, qu'il s'agisse du marquage au fer rouge subi par les captifs des razzias opérées sur les côtes africaines, de leur entassement dans les cales des bateaux négriers qualifiés par certains historiens de véritables « bières mouvantes », de la séparation imposée à l'arrivée sans qu'aucun compte ne soit tenu des liens familiaux ou ethniques, du travail douze heures par jour et sept jours sur sept, de la sous-alimentation ou encore des châtiments les plus variés et les plus impitoyables allant jusqu'aux mutilations appliquées aux fugitifs.
Un tel régime n'a que peu de rapports, avouons-le, avec celui auquel étaient soumis les esclaves de la Grèce ou de la Rome antique, ou encore les victimes de la traite arabo-musulmane.
Ce qui caractérise encore cette forme d'esclavage, c'est la légalisation de l'horreur, l'inscription dans le droit, monsieur le secrétaire d'Etat, vous l'avez dit, de la déshumanisation de l'homme. C'est l'existence de ce fameux code noir, élaboré par Colbert en 1685, et qui va régir l'esclavage jusqu'à son abolition.
Il consacre le statut de « bien meuble » de l'esclave, qui se voit appliquer, en toute logique, le droit relatif aux biens mobiliers.
Les sanctions applicables aux fugitifs sont également prévues par le code noir et y sont décrites avec une effroyable précision.
Là aussi, on est en présence de quelque chose d'unique, sans précédent.
Mais ce qui donne à cet esclavage son caractère véritablement singulier, c'est, il faut le souligner, sa dimension raciale, c'est le fait que cette entreprise de déshumanisation, officielle et légale, ait visé, pour l'essentiel, une « race » particulière, pour employer un concept largement remis en question depuis.
C'est le fait, surtout, qu'elle ait donné lieu, pour sa propre légitimation, au déploiement à travers les siècles d'une idéologie raciste destinée à consacrer une essence inférieure de « l'Homme noir ».
Parmi les promoteurs d'une telle idéologie, il n'est pas rare de trouver des penseurs et des philosophes occidentaux qui comptent parfois - et c'est bien le comble ! - parmi les plus brillants de leur temps.
On pense ici immanquablement à ce jugement sans appel formulé par Emmanuel Kant : « Les Nègres d'Afrique, écrit-il dans ses Observations sur le sentiment du beau et du sublime, n'ont reçu aucun sentiment qui s'élève au-dessus de la niaiserie. M. Hume, poursuit-il, invite tout le monde à citer un seul exemple par lequel un Nègre aurait prouvé ses talents (...).
« Parmi les Blancs, au contraire, il est constant que certains s'élèvent et acquièrent une certaine considération dans le monde, grâce à l'excellence de leurs dons supérieurs. Si essentielle est la différence entre ces deux races humaines ! Et elle semble aussi grande quant aux facultés de l'esprit que selon la couleur de la peau. »
On pense aussi aux élucubrations de l'humaniste Ernest Renan évoquant dans La Réforme intellectuelle et morale une prétendue répartition des tâches selon les groupes humains, par décret de la nature. Après avoir fait du Nègre un être uniquement voué au travail de la terre, il conclut : « Que chacun fasse ce pour quoi il est fait, et tout ira bien. »
Des hommes d'Eglise ont également pris part à cette entreprise de dévalorisation et de négation de l'humanité des Noirs. Tel ce révérend père Muller déclarant : « L'humanité ne peut pas, ne doit pas souffrir que l'incapacité, l'incurie, la paresse des peuples laissent indéfiniment sans emploi les richesses que Dieu leur a confiées avec mission de les faire servir au bien de tous. »
Il s'est même trouvé des théologiens pour poser la question de savoir si Dieu avait créé le Nègre en même temps que les oiseaux ou les reptiles ou s'il l'avait conçu le sixième jour avec l'Homme, tous regrettant, à ce sujet, une déplorable imprécision de la Genèse !
Le principe à l'oeuvre dans cette idéologie raciste est, on le voit, finalement très classique. Il s'agit, pour reprendre la définition de Michel Wieviorka, de « caractériser un ensemble humain par des attributs naturels, eux-mêmes associés à des caractéristiques intellectuelles et morales qui valent pour chaque individu relevant de cet ensemble ».
Un tel principe ne prévaut absolument pas dans l'esclavage antique où la condition servile est indépendante de tout facteur racial ou biologique, notamment de la couleur de la peau. L'esclavage, c'est alors, généralement, le prisonnier de guerre, celui qui ne peut s'acquitter de ses dettes ou celui que, sur le plan culturel, on considère comme un « barbare ».
Ce principe ne prévaut pas non plus dans le cas de l'esclavage arabo-musulman où le facteur déterminant est, là, le facteur religieux. C'est l'infidèle qui est réduit en esclavage et la conversion à l'islam fait d'ailleurs partie des moyens permettant de recouvrer la liberté.
Mes chers collègues, je crois donc sincèrement qu'en mettant l'accent sur les pratiques esclavagistes ainsi perpétrées du xve au xixe siècle, le texte qui nous est soumis nous invite aussi, et ce n'est pas là son moindre mérite, à mieux prendre conscience de ce qui constitue l'une des sources importantes où le racisme, en particulier le racisme anti-Noir, puise son venin malfaisant.
Les mesures qu'il propose - et qui sont de nature à mieux informer l'élève et le citoyen sur ces problèmes - peuvent puissamment contribuer à lutter contre ce qui est une dangereuse maladie de l'esprit, malheureusement trop répandue et qui, n'ayons pas peur de regarder la vérité en face, loin de régresser, a plutôt tendance à se développer dans la France d'aujourd'hui.
En conclusion, je ne peux, vous le comprenez, que vous exhorter à ne pas vous enfermer, mes chers collègues, dans un débat académique, et encore moins dans un pointillisme juridique qui ne serait pas à la hauteur des enjeux et qui, croyez-le, risquerait de ternir l'image de la Haute Assemblée.
Adoptons ce texte, sans le dénaturer, en laissant résolument de côté toute frilosité et toute fausse bonne conscience !
Donnons ainsi la preuve que notre assemblée est attentive aux problèmes de son temps !
Montrons qu'elle est capable, sur un sujet comportant une telle charge symbolique, de comprendre le sens de la demande et l'acuité de l'attente de l'ensemble de nos compatriotes d'outre-mer !
Nous ne ferons ainsi que nous maintenir dans le sillage tracé par deux de nos illustres prédécesseurs, l'abbé Grégoire et Victor Schoelcher.
Deux grands humanistes, deux grandes consciences, qui, constamment hantés par l'universel, n'oublièrent jamais la nécessité de tenir compte du particulier, profondément convaincus que chaque bataille menée pour la défense des droits et de la dignité d'une catégorie particulière d'êtres humains est, en réalité, toujours une bataille pour l'homme. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Bidard-Reydet.
Mme Danielle Bidard-Reydet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est aujourd'hui soumise tend à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage comme crimes contre l'humanité.
La simple lecture de cet intitulé nous renvoie à l'importance de la mission qui est la nôtre, en tant que législateurs, certes, mais surtout en tant que représentants du peuple : acte de repentance, autant que message pour l'avenir, la reconnaissance de l'esclavage comme crime contre l'humanité est un symbole fort, alors que nous quittons un siècle particulièrement sanglant pour entrer dans un nouveau millénaire sur lequel nous fondons les plus vifs espoirs.
Cet examen de conscience collectif nous oblige à aborder notre passé tel qu'il est et non pas tel que nous aurions voulu qu'il fût, avec ses moments glorieux, mais aussi ses pages noires.
Il constitue un acte symbolique fort, tant en direction des descendants d'esclaves que des générations futures. Pour les premiers, cet acte symbolique ne devrait-il pas trouver un prolongement dans la reconnaissance d'un devoir de réparation ? Pour les seconds, cet acte ne participe-t-il pas à la construction de l'affirmation d'une égale dignité pout tous les êtres humains ?
Je ne reviendrai pas sur l'importance que la proposition de loi revêt pour les populations d'outre-mer : mon ami Paul Vergès confirmera, avec le talent que nous lui connaissons, combien les stigmates de l'esclavage sont encore présents à la Réunion.
Nous avons tous, je le pense, également en mémoire les manifestations d'Antillais à Paris qui nous ont montré leur sensibilité particulière à la question. Des associations comme le CERFOM qui regroupe majoritairement, mais pas exclusivement, des descendants d'esclaves - ou le cercle FANON, fondé par Marcel Manville, nous ont à nouveau fait part de l'attente des descendants de ces 15 millions à 30 millions d'hommes et de femmes réduits en esclavage pour satisfaire les besoins économiques d'une France qui était alors la troisième puissance négrière européenne, rang qui n'est guère glorieux.
Ma contribution se limitera à un certain nombre d'interrogations nées notamment des débats qui se sont déroulés en commission.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, le sujet semble continuer de poser problème. Alors que le Sénat avait célébré unanimement, voilà trois ans, le 150e anniversaire de l'abolition de l'esclavage avec un hommage appuyé à Victor Schoelcher, les membres du groupe communiste républicain et citoyen ne manquent pas de s'étonner des réticences qui se sont exprimées sur la proposition de loi, lors de l'examen en commission.
Certains sénateurs ont d'abord opposé au texte le fait qu'il n'aurait « aucun caractère normatif » ou - c'est une variante - « rien de législatif ».
Je reste pour le moins perplexe face à cet argument. Certes, on peut déplorer que le Parlement n'ait pas à sa disposition d'autre mode d'expression que les instruments classiques du contrôle parlementaire ou de l'initiative législative. Les motions et résolutions, telles qu'elles existaient sous la IVe République, constituaient certainement des outils précieux et empreints d'une certaine solennité pour permettre aux parlementaires de prendre position sur des sujets à forte résonnance politique.
Néanmoins, il me semble que la proposition de loi qui nous est présentée entre tout à fait dans le cadre du pouvoir législatif du Parlement. Il est d'ailleurs pour le moins contradictoire que la commission des lois nous propose de supprimer les principales dispositions à caractère positif de la proposition de loi : je pense en particulier à l'article 5, qui permet aux associations de défense de la mémoire des esclaves et de l'honneur de leurs descendants de se constituer partie civile.
Oui, la proposition de loi a une forte valeur politique et symbolique. C'est également l'un de ses mérites. Comme le rappelait Mme Elisabeth Guigou à l'Assemblée nationale, l'un des aspects les plus abominables de la traite des noirs et de leur réduction en esclavage, telle qu'elle a été pratiquée par la France, c'est qu'elle a trouvé un fondement juridique : le code noir de 1683. Ainsi, disait Mme la ministre, « le droit a consacré l'horreur ».
N'est-il pas juste que ce soit le droit qui condamne cette horreur aujourd'hui officiellement ? La loi ne représente-t-elle pas à ce titre la parole de la France ? M. Gérard Larcher, lors de la commémoration de l'abolition de l'esclavage au Sénat, insistait à juste titre sur le fait que « de tels actes politiques gravés dans les tables de la loi » marquaient « la vertu de la norme et la vocation du Parlement ». Il nous revient de nous atteler maintenant à la même tâche, pour le même objectif.
En citant explicitement la « traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l'océan Indien, d'une part, et l'esclavage, d'autre part, perpétrés à partir du XVe siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l'océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes », bref, en nommant et en datant cette période de l'histoire, la proposition de loi complète et ne fait aucunement double usage avec les dispositions de l'article 212-1 du code pénal français et la Déclaration internationale des droits de l'homme qui érigent la « réduction en esclavage » en crime contre l'humanité.
En votant ce texte, le Parlement permettra le devoir de mémoire. Nul ne songerait à lui dénier ce rôle, alors que l'abolition de l'esclavage est l'un des acquis majeurs de notre république.
Certains ont pu dire que le Parlement était ainsi amené à porter un jugement sur l'histoire, ce qu'il ne lui appartenait pas de faire. Cet argument m'a quelque peu attristée.
Le constituant ne devait-il donc pas, dans le préambule de la constitution du 27 octobre 1946, se référer à « la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d'asservir et de dégrader la personne humaine » sous prétexte de ne pas porter de jugement sur l'histoire ? Plus directement, n'aurait-il pas dû faire mention, au titre de l'Union française, à la volonté de la France d'écarter « tout système de colonisation fondé sur l'arbitraire » parce que c'était ainsi déjà condamner son passé esclavagiste ?
L'Assemblée constituante était alors parfaitement dans son rôle. Le Parlement l'est pareillement aujourd'hui lorsqu'il décide de reconnaître la traite et l'esclavage comme crime contre l'humanité ; il le sera également demain lorsque lui sera soumise la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, « instaurant une journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l'Etat français et d'hommage aux Justes de France ».
A l'heure où le souverain pontife a souhaité requérir le pardon pour les actes de l'Eglise et, en particulier, la violation des « droits d'ethnies et de peuples », le mépris de « leurs cultures et de leurs traditions religieuses », il serait navrant que le Sénat se retranche derrière un juridisme rigide pour refuser d'adopter une attitude semblable.
Je voudrais pour conclure insister sur la valeur pédagogique de l'adoption d'une telle proposition de loi.
Un sondage récent effectué par l'institut Louis-Harris, à la demande de la commission consultative des droits de l'homme, revèle une forte poussée raciste et antisémite chez les Français. Comment ne pas être inquiets devant ce sondage qui nous montre une fois de plus qu'il nous faut exercer une vigilance constante pour contrecarrer cette idéologie dangereuse qui prône l'existence d'une race supérieure, appelée à dominer légitimement les autres.
C'est dans cette idéologie que l'esclavage a puisé ses sources. C'est cette idéologie que certains continuent de véhiculer.
La reconnaissance de la traite et de l'esclavage comme crime contre l'humanité est pour nous un devoir de mémoire, de connaissance et de vérité. Ce devoir, nous le devons d'abord à tous ceux qui connurent les chaînes de l'esclavage et parfois même en périrent. Mais nous le devons aussi à notre jeunesse, pour qu'elle construise sa citoyenneté à partir de repères clairs, s'agissant notamment de cette période historique.
De ce point de vue, l'article 2 que la commission souhaite supprimer nous apparaît au contraire tout à fait fondamental : c'est dans la référence à l'histoire que l'on forge les consciences ; l'éducation nationale a donc un rôle particulier à jouer. Pour notre part, nous aurions également souhaité que le service public de la télévision joue pleinement son rôle.
« Quiconque oublie son passé est condamné à le revivre », nous disait Primo Levi. Alors que nous venons de ratifier le traité de Rome portant création d'une Cour pénale internationale dans l'espoir que celle-ci joue un rôle préventif contre les dictatures et les génocides, sachons aujourd'hui mettre en place les instruments qui nous permettront d'assurer pleinement et sereinement notre passé et de mieux préparer ainsi notre avenir. ( Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE. )
M. le président. La parole est à M. Vergès. M. Paul Vergès. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'histoire de l'humanité nous enseigne que le monde oscille, depuis les premiers jours de l'aventure humaine, entre la barbarie et les progrès de la conscience universelle.
En un mot, nous savons désormais que les civilisations sont fragiles et mortelles.
Le siècle qui vient de s'achever nous rappelle que la bête immonde est toujours prête à bondir. Elle est toujours prête à bondir lorsque la communauté des hommes, comme aujourd'hui, semble hésiter entre l'inertie devant la barbarie et l'enracinement dans la civilisation.
C'est le choix de civilisation qui a conduit le pape Jean-Paul II à faire, au nom de l'Eglise catholique, acte de repentance, notamment pour la période de l'esclavage. La reconnaissance a posteriori par l'Eglise de sa responsabilité dans les ethnocides et la condamnation de ces derniers participent à l'exaltation des valeurs de progrès qui fondent la foi de milliards d'individus. Ce devoir de mémoire ouvre sur un message d'avenir et d'espoir pour la construction d'un monde nouveau débarrassé de la barbarie originelle.
Le regard lucide que jette aujourd'hui l'Eglise sur son histoire est une invitation faite à chaque homme comme à chaque Etat de se retourner sur son passé. Notre regard, aujourd'hui, doit être historique.
Ce passé, la France doit être à même de l'assumer et de le regarder en face dans toutes ses composantes et tous ses paradoxes. Rappeler ce qui fut, rappeler le tortueux et lent cheminement vers l'affirmation des droits de l'être humain, c'est aussi souligner le caractère précieux des valeurs de la République.
La France a une histoire où s'entrelacent comme le jour et la nuit la barbarie et les actes réels de civilisation ; une histoire éclairée par le siècle des Lumières, mais assombrie par l'esclavage ; une histoire où Louis XIV, l'année même où il abrogeait l'édit de Nantes, édictait une réglementation inique de la pratique de l'esclavage dans les possessions françaises, connue sous le nom de « code noir » ; une histoire où ont pu se côtoyer dans notre droit la proclamation des libertés individuelles et la négation de la qualité d'homme à des millions d'hommes et de femmes déportés, asservis, « chosifiés ».
Ces paradoxes de l'histoire ouvrent sur une série de questionnements qui restent encore sans réponse. En effet, malgré plus de trois siècles d'esclavage et des dizaines de millions de victimes, cette tragédie inouïe dans l'histoire de l'humanité reste la période la moins étudiée des historiens occidentaux. Comment expliquer que les puissances occidentales renouent au xve siècle, au xvie siècle et, surtout, au xviie siècle avec cette abomination disparue chez elles depuis des siècles ? C'est une question qui devrait être exaltante pour tout historien, car la résurgence de l'esclavage semble anachronique dans des sociétés qui avaient disqualifié l'esclavage sur un plan philosophique et comme moyen de mise en valeur économique.
Depuis l'antiquité gréco-romaine, l'esclavage domestique des captifs de guerre, des endettés occasionnels ou des prises de piraterie s'était éteint progressivement du fait de l'apparition de nouvelles forces productives. Sur le plan philosophique, l'exclavage, condamné par les Pères de l'Eglise, avait été remplacé par le servage dans l'Europe chrétienne du Moyen Age. La France avait montré la voie en mettant fin dès le xiiie siècle au servage.
Comment dès lors justifier que des pays chrétiens dont les valeurs sacrées et fondamentales affirment l'égalité et la dignité de la personne humaine aient pu considérer les esclaves comme des biens meubles dépourvus d'âmes ? On pense à la célèbre controverse, surréaliste, de Valladolid. On se demande pourquoi et comment les valeurs de cette religion ont pu être utilisées comme arme idéologique de la colonisation.
Qu'il s'agisse du débarquement des Espagnols en Amérique, que ce soit la colonisation des autres pays d'Occident, la religion a servi de support idéologique, voire mystique, à cette barbarie des civilisés. C'est là qu'il faut rechercher les fondements du racisme massif et persistant d'aujourd'hui.
Mais surtout, c'est par la traite que l'Europe donne à l'esclavage une ampleur nouvelle, inégalée dans l'histoire de l'humanité. Certes, l'Egypte des pharaons, l'Empire romain ou la Grèce antique ont développé, en temps de guerre, des pratiques esclavagistes.
Mais c'est en temps de paix qu'est commis le plus long et le plus meurtrier des crimes contre l'humanité. Durant cinq cents ans, traite et esclavage ont déporté et anéanti des millions d'Amérindiens, d'Africains, d'Indiens et de Malgaches massivement enlevés, arrachés à leurs terres, séparés de leurs familles, privés de leur identité et de leur culture, convoyés à fond de cales dans des conditions atroces, vendus comme des animaux : la traite fut un long voyage de l'humanité au bout de la nuit.
Durant cinq siècles d'esclavage mais aussi d'ethnocide, des cultures lentement mûries au cours des millénaires ont cessé de faire sens. Certaines cultures africaines ou amérindiennes ont à jamais disparu de la surface de la terre. Et c'est toute l'humanité qui s'en est trouvée appauvrie.
C'est pourquoi notre mémoire douloureuse interroge les choix de l'Europe à l'époque : comment l'esclavage a-t-il pu renaître de ses cendres dans un Occident qui se voulait civilisé ?
Au xvie siècle, pour la première fois, une base juridique est conférée à l'expression même du non-droit. Le code noir, signé par Colbert, organise méthodiquement la négation de la qualité humaine des esclaves, réduits à l'état de biens meubles. Voilà un « grand homme », qui a laissé son nom dans les livres d'histoire, celle que l'on enseigne à nos enfants, associé à ce crime contre l'humanité. Celui dont on vante la perspicacité économique a aussi légiféré en termes de mutilations, d'amputations, d'exécutions auxquelles s'exposaient les esclaves rebelles, les marrons !
C'est ce système qui a été étendu à la plus grande partie de la planète : aux Amériques du Nord et du Sud, en Afrique bien sûr, en Asie aussi. Ce fut, pour des siècles, le système économique et social mondial dominant.
Une autre forme d'organisation des pays conquis n'était-elle donc pas possible ? Même si la canne et le café avaient soif de main-d'oeuvre, l'esclavage était-il la seule réponse pour les dominateurs ? Il est vrai que l'expansion économique de l'Occident est indissociablement liée à la résurgence de la traite et de l'esclavage.
C'est à la fin du xvie siècle et au début du xviie siècle, quand les Etats européens - l'Angleterre, la Hollande, l'Espagne, le Portugal, la France - cherchent à étendre leur domination sur des continents entiers, que réapparaît l'esclavage comme mode d'organisation économique. Lancée à la conquête du monde, la recherche du profit suffit-elle à justifier l'injustifiable ? Comment ces pays en sont-ils venus à se détourner des valeurs qui faisaient d'eux des pays en marche vers la civilisation ?
Cette contradiction entre les valeurs proclamées et les pratiques appliquées montre que toute culture sécrète sa barbarie et que « l'humanisme » peut organiser sans vergogne l'exclusion et la ségrégation.
On ne peut occulter le fait que la traite et le profit qu'en ont tiré les puissances esclavagistes ont jeté pour des siècles les bases de la domination de l'Occident. Notre monde, aujourd'hui, porte encore trace de ce rapport de domination. Les lignes de fracture entre métropoles et colonies sont les mêmes lignes qui partagent aujourd'hui le monde entre pays dits développés et pays dits du tiers monde. Comment, dès lors, sur un plan historique et moral, séparer la notion de repentance de celle de réparation nécessaire ?
En cent cinquante ans, nous sommes passés de la mondialisation de l'esclavage à la mondialisation sauvage des échanges, qui sont l'une et l'autre des formes exacerbées de l'horreur économique.
Cette histoire pèse encore lourdement sur toute notre société moderne. Si les conséquences directes de la traite, cent cinquante ans après, sont encore présentes, l'esclavage ressurgit aussi sous des formes renouvelées, avec la même base de discrimination. Que dire du sort des femmes soumises à la prostitution ? Que dire du sort des millions d'enfants qui n'ont pour seul horizon que les poubelles de Manille ou de Mexico ? Que dire des dangers contenus dans la science dépourvue de conscience ?
Que dire de la société réunionnaise, qui a subi pendant près de cent cinquante ans la violence de l'esclavage, alors qu'elle ne compte que trois siècles d'histoire ?
C'est, d'une certaine manière, notre « guerre de Cent Ans » ! Notre histoire en a été profondément blessée. Les aspects passés d'une telle condition et ses effets sont encore actuels et ne sont pas seulement d'ordre économique et social, ils sont aussi psychologiques et culturels.
Si l'histoire de cette période fut longtemps masquée, elle se manifeste au quotidien dans les maux de notre société : inégalités extrêmes, racisme latent ou manifeste, rapports sociaux marqués par la violence, étouffement des personnalités, conflits intérieurs qui font qu'en chaque Réunionnais se livre une guerre civile. Si l'on se plaît et se complaît à chanter la merveille du métissage, si, après l'abandon de l'esclavage, la composition de la population s'est diversifiée, l'idéologie de la période esclavagiste a perduré dans les comportements.
Instauré très tôt dans notre société, le péché originel de l'esclavage a continué à différencier les Réunionnais entre eux. La relation de domination maître-esclave s'est diffusée jusqu'à nos jours dans l'ensemble de la société réunionnaise.
Dire cela, ce n'est pas laisser parler des sentiments médiocres, c'est prendre en compte le poids d'un siècle et demi d'histoire dans une société qui n'en compte, je le répète, que trois.
Notre peuple est issu d'un crime contre l'humanité : il est issu de l'escalavage. Cela signifie que toute notre société est imprégnée dans son mode de pensée, dans sa façon de vivre, dans ses comportements par ce que l'on pourrait appeler les séquelles de l'esclavage, de « l'engagisme » ou de la colonisation. Cela explique la persistance d'un racisme qu'on se refuse parfois à reconnaître et souligne en même temps l'importance à La Réunion de la lutte contre toutes les manifestations de racisme.
Cette histoire, fondée sur la violence, la domination et les inégalités, a donc profondément marqué la société réunionnaise ; elle esquisse le chemin à parcourir pour construire une société plus juste et solidaire. Pour laver les consciences, il est urgent de clarifier ce qui fut.
Dans ces conditions, le Réunionnais, comme tout groupe humain ou tout individu, a besoin de représentation de son passé pour exister, comprendre et s'inscrire dans le mouvement du monde. On ne fait pas une société avec des amnésiques ! D'où l'importance du devoir de mémoire et de l'approfondissement des connaissances sur cette période de l'histoire !
Les conditions de naissance du peuple et de l'identité réunionnais, la persistance des séquelles de l'esclavage, appellent la réappropriation lucide et responsable par les Réunionnais de cette histoire.
Le dépassement, au-delà des tabous, de cette période fondatrice est la condition du maintien de l'équilibre encore fragile de la société réunionnaise. La création d'une Maison des civilisations et de l'Unité réunionnaise, projet de la région Réunion, a cet objectif.
Les Réunionnais doivent savoir qu'ils ne surgissent pas du néant. Les moyens doivent leur être offerts pour dépasser les sentiments soit de vengeance, soit de culpabilité. La recherche historique doit aussi permettre de rattacher les contemporains à leurs ascendants esclaves marrons, dont l'évocation peut ouvrir sur des vies égales à des épopées, glorieuses et tragiques à la fois. L'étouffement de l'épopée de l'histoire des esclaves rebelles a participé à l'oppression esclavagiste.
En privant les esclaves en marronage d'identité et de sépulture, ils s'agissait de les jeter dans les fosses communes de l'histoire et de l'oubli et de priver leurs descendants de ce vital rattachement.
Mais c'était sous-estimer la force du « non » tragique qui a rendu à ces esclaves rebelles leur humanité et a permis que leurs noms arrivent jusqu'à nous. Présents dans la mémoire collective réunionnaise, ces ancêtres sont inscrits dans notre culture orale, dans l'expression musicale et artistique, dans les noms de toutes nos montagnes, où ils trouvaient refuge pour échapper aux détachements des chasseurs de marrons.
Ils sont l'illustration d'une vérité universelle : ce qui distingue l'homme de la bête, c'est sa capacité de dire non. En ce sens, l'histoire n'est pas seulement faite de grands noms, elle est aussi faite de « non » catégoriques !
C'est bien cette lutte des marrons, relayée par le mouvement des idées abolitionnistes des Quakers anglais, des philosophes des Lumières, des intellectuels français, des poètes réunionnais comme Leconte de Lisle, qui a secoué cette société archaïque.
Nous voyons dans cette conjonction des forces démocratiques des pays dominants et de celles des pays dominés une constance de l'histoire. Dans toute la littérature de progrès, il n'y a pas d'affirmation plus élevée que celle de Robespierre répondant au lobby colonial. A ceux qui disaient : « Si vous abolissez l'esclavage, c'est la ruine des colonies », Robespierre proclamait : « Périssent les colonies plutôt qu'un principe », celui de la liberté, de la dignité et de l'égalité des hommes.
C'est en pleine effervescence révolutionnaire, en 1794, que la France, parmi les premières nations après la Pennsylvanie, proclame l'abolition de l'esclavage. Il fallut cependant attendre une seconde abolition, en 1848, pour éliminer l'esclavage des colonies françaises, quelques années après le Mexique et l'Angleterre.
En 1862, Abraham Lincoln déclarait devant le Congrès : « En donnant la liberté aux esclaves, nous assurons celle des hommes libres. Ce que nous offrons est aussi honorable pour nous que ce que nous préservons. »
La liberté rendue aux affranchis correspond aussi à la libération de la barbarie du maître et à l'enracinement des nations abolitionnistes dans la civilisation. La IIe République renoue avec la devise républicaine et donne ainsi vie au message universel de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit. »
A l'heure où le respect des droits humains, qu'ils soient spirituels, culturels, économiques ou sociaux, sont partout fragiles, la reconnaissance par le Parlement que la traite et l'esclavage constituent bien un crime contre l'humanité confortera les fondements de la démocratie et de la République. Il s'inscrira dans la lignée des grands textes fondateurs qui ponctuent la marche de la République vers les droits humains. Il honorera aussi le devoir de mémoire dû aux victimes et à leurs descendants.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, cette reconnaissance est attendue dans tout l'outre-mer français, et au-delà. Elle constituera une date symbolique pour toutes les luttes pour les droits humains dans le monde et l'émancipation de l'humanité. La France, celle de la philosophie des Lumières, dont notre République est l'héritière, s'honorerait d'ouvrir la voie. Vous êtes aujourd'hui, mes chers collègues, en capacité d'agir. Nous vous supplions : élevez-vous au niveau de l'histoire ! Proclamez au monde, sans réserve ni réticence, que l'esclavage et la traite sont des crimes contre l'humanité ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur celles du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Pelletier.
M. Jacques Pelletier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je tiens avant tout à féliciter les auteurs de cette proposition de loi ainsi que notre excellent collègue M. Schosteck, rapporteur de ce texte, pour le travail qu'il a accompli au sein de la commission.
Voilà un peu plus de deux siècles, la Convention, sur la proposition de l'abbé Grégoire, avait déjà décrété l'abolition de l'esclavage dans les colonies. Ce décret ne fut cependant jamais appliqué. Il faut dire que l'empire avait d'autres préoccupations !
Cinquante-quatre ans plus tard, le 4 mars 1848, un décret du gouvernement provisoire créa une commission pour préparer l'acte d'émancipation immédiate dans toutes les colonies de la République.
Le 5 mars, un arrêté signé par Arago fixe la composition de ladite commission, présidée par Victor Schoelcher, sous-secrétaire d'Etat aux colonies. Le décret d'abolition a été pris le 17 avril, et Victor Schoelcher en fut le grand artisan. C'est pourquoi nous avons une pensée émue et reconnaissante pour notre éminent ancien collègue, qui siégeait à la place qui se situe juste derrière celle qu'occupe en ce moment M. le secrétaire d'Etat et qui est celle, aujourd'hui, du président du groupe du RDSE, anciennement Gauche démocratique.
L'abolition de l'esclavage fut ensuite inscrite dans l'article 6 de la constitution : on accordait deux mois pour son application dans les colonies, mais, dans l'intervalle, toute vente d'homme ou toute punition corporelle étaient proscrites.
Les esclaves condamnés à des peines pour des faits qui, imputés à des hommes libres, n'auraient pas été sanctionnés, étaient amnistiés. Les individus déportés par mesure administrative étaient rappelés.
Un article du décret proclamait de nouveau le vieux principe que le sol de la France affranchit et que, par miracle, le seul contact avec la terre française enfante la liberté. Etait interdit à tout Français, sous peine d'être déchu de cette qualité, l'achat ou la possession d'esclaves, même en pays étranger.
Les gouverneurs ou commissaires généraux de la République furent chargés d'appliquer ces mesures dans les colonies françaises, y compris en Algérie. L'abolition fut décrétée le 23 mai en Martinique, le 27 mai en Guadeloupe, le 10 août en Guyane et, un peu plus tard, le 20 décembre, à La Réunion.
Davantage qu'un acte symbolique, historique ou humaniste, la proposition de loi tendant à reconnaître en tant que crime contre l'humanité la traite et l'esclavage atteint une dimension morale de premier ordre.
Reconnaître l'esclavage comme crime contre l'humanité revient à assumer notre histoire, si lourde et immorale soit-elle, pour se prémunir contre les errements possibles du futur.
Plus qu'un devoir de mémoire, la proposition dont nous avons aujourd'hui à discuter englobe la notion fondamentale d'impératif de vigilance. L'asservissement tel qu'il a été pratiqué du xve au xixe siècle ne pourrait, heureusement, pas se reproduire, tout au moins avec la même ampleur.
En revanche, d'autres formes, plus subtiles et plus sournoises, perdurent dans nos sociétés contemporaines. Ces formes, loin d'être clandestines, vont du travail forcé à l'exploitation sexuelle des enfants, en passant par le génocide et la purification ethnique.
Le devoir de mémoire n'a de sens que s'il appelle à une vigilance sans relâche.
L'esclavage contemporain est à rapprocher de l'asservissement de masse qui a eu lieu dans le passé. Trois points communs en sont les traits distinctifs, tous trois portant gravement atteinte aux droits de l'homme : l'aliénation, l'oppression et la confiscation de la liberté.
Les causes de la servitude sont identiques à celles du passé et nous font penser qu'elles sont constitutives de la nature humaine. Par instinct de domination, volonté de s'enrichir ou perversion - cruauté, barbarie, sadisme - nos sociétés actuelles continuent d'exploiter l'homme.
Il nous appartient de déployer un effort d'imagination et de traitement juridique afin d'incriminer les formes actuelles d'asservissement.
La proposition de loi concrétise cette volonté politique et cet effort d'imagination.
Pour éradiquer ces maux inhumains, l'enseignement d'une conscience collective humaniste universelle ainsi que les instruments concrets de lutte contre ce fléau seront des prémices.
La place accordée au phénomène passé dans l'enseignement ainsi qu'une commémoration annuelle de l'abolition de l'esclavage en France favoriseront ce devoir de mémoire auquel il ne faut en aucun cas déroger, parce que, je le rappelle, il est constitutif d'une vigilance future.
La requête en reconnaissance auprès des instances supranationales de crime contre l'humanité, de traite et d'esclavage nous apporte les instruments pour une vigilance accrue contre ces maux. Néanmoins, par-delà un devoir de mémoire et de vigilance, il nous faut intégrer les difficultés liées au droit d'ingérence et au sens de nos responsabilités.
Pouvons-nous nous armer des instruments de contrôle à l'intérieur de chaque Etat, de chaque groupe, je dirai même de chaque homme ? Il nous faut réfléchir à cela, car, sans ingérence, l'asservissement continuera à se déployer dans les moindres recoins de nos sociétés. L'ingérence doit être rendue possible quand existent des soupçons d'atteinte grave aux droits de l'homme.
Il nous faut, enfin, incriminer, même moralement, ceux qui pourraient, d'une manière ou d'une autre, déclencher la croissance du fléau ou ceux qui, en fermant les yeux, le cautionnent.
Pourrions-nous responsabiliser un système qui, par égoïsme et à des fins de progrès économique, exploite ceux qui ne sont pas armés pour rivaliser avec les mêmes atouts. Je pense, évidemment, au problème de la dette des pays les plus pauvres et de la responsabilité de nos pays qui imposent son remboursement.
Comment pourrions-nous incriminer autrement que par des sanctions économiques, qui portent du reste préjudice aux masses et non aux responsables, ceux qui portent atteinte aux droits humains fondamentaux ?
Le texte présenté au Sénat retient toute notre attention. Il pose les bases d'un travail plus complexe. Il a le mérite d'amorcer distinctement les fondements d'un combat qu'il nous appartient encore et toujours de poursuivre, le combat des droits de l'homme. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur les travées socialistes. - M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.

Article 1er



M. le président.
« Art. 1er. _ La République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l'océan Indien d'une part, et l'esclavage d'autre part, perpétrés à partir du xve siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l'océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l'humanité. »
Par amendement n° 1 rectifié, M. Schosteck, au nom de la commission, propose de rédiger comme suit cet article :
« L'esclavage, conformément à l'article 212-1 du code pénal, et la traite, quels que soient le lieu et l'époque où ils sont pratiqués, constituent un crime contre l'humanité. »
Cet amendement est assorti d'un sous-amendement n° 8 rectifié, présenté par Mme Michaux-Chevry et M. Othily, et tendant, dans le texte de l'amendement n° 1 rectifié, après les mots : «, et la traite », à insérer les mots : « négrière transatlantique ainsi que la traite dans l'océan Indien ».
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 1 rectifié.
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. La commission propose une réécriture de l'article 1er pour répondre à l'objection de trop grande segmentarisation qui a été avancée.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission. Je suis au regret de dire que nous travaillons dans des conditions déplorables, qui illustrent une fois de plus le caractère totalement périmé des exigences du débat parlementaire.
Dans ces conditions, sur les positions de la commission, qui ont été arrêtées après débat, je dis très clairement que je ne m'estime pas en droit de demander, comme je pourrais le faire, un scrutin public pour modifier l'article 1er.
Pourquoi ? Parce que c'est un texte qui peut toucher aux sentiments les plus profonds d'un certain nombre d'entre nous. Je considère que, d'un point de vue juridique, c'était le travail de la commission de tenter d'aboutir à une rédaction plus satisfaisante. Mais je dis, en cet instant, que je ne m'opposerai pas à un débat totalement libre. Le vote sera, lui aussi, totalement libre, car, je le répète, je ne demanderai pas un scrutin public.
En revanche, il ne faut pas trop demander à une commission des lois, qui a tout de même un métier à faire. Le reste du texte est, pour l'essentiel, de caractère réglementaire. Le contenu des manuels relève d'une circulaire du ministère de l'éducation nationale. Une démarche auprès d'un organisme international, c'est une injonction faite à un gouvernement qui est libre ou non de l'accomplir. Il en va ainsi pour tout le texte.
Nous avons adopté une disposition qui prévoit un comité très simple dont la composition sera précisée par décret et qui aura pour tâche d'accomplir, dans des conditions aussi satisfaisantes que possible, la mission qu'un certain nombre d'entre vous souhaitaient prévoir par d'autres dispositions dont nous demandons la suppression.
Je le dis très clairement, pour que les choses soient nettes : autant, sur le principe de ce texte, je ne demanderai pas de scrutin public, autant, sur tout ce qui est réglementaire, monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez la possibilité de vous y opposer. Je ne sais pas si vous le ferez, mais, une fois que cela sera fait ou non, à ce moment-là, il faudra peut-être revenir, à mon regret, aux procédures contraignantes.
M. le président. La parole est à Mme Michaux-Chevry, pour défendre le sous-amendement n° 8 rectifié.
Mme Lucette Michaux-Chevry. Il peut paraître surprenant que, sur un texte de cette importance, je ne sois pas intervenue. En fait, j'ai voulu me comporter en esclave et me taire, puisque nous n'avions pas droit à la parole !
J'avais déposé un sous-amendement et je voterai le texte de l'Assemblée nationale parce que prétendre que les dispositions de l'article 212-1 du code pénal, qui vise les personnes, s'appliquent aux esclaves est faux. On l'a dit tout à l'heure, c'est surprenant, c'est triste à dire, mais, avant le code Colbert, on était moins que des objets.
Récemment, on a découvert en Guadeloupe, dans un cimetière d'esclaves, les restes d'un être humain enchaîné avec le bout du pied qui manquait : c'était un nègre marron.
La commission des lois a bien travaillé. Mais, ce soir, nous allons faire un coup de nègre marron en votant le projet, car il y a un intérêt supérieur à rappeler à quel point, outre-mer, nous gardons le souvenir de ces humiliations. Nous revendiquons maintenant plus de dignité et plus de fierté ! (Applaudissements.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur le sous-amendement n° 8 rectifié ?
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. J'avais livré tout à l'heure l'avis de la commission. Le rapporteur, lui, est beaucoup plus perplexe. Il est partagé entre son rôle de défenseur des propositions de la commission et sa perception du débat général qui a porté ses fruits, comme il est normal et nécessaire.
Il me semble que, pour répondre au souci exprimé par les auteurs du sous-amendement n° 8 rectifié, l'article 1er pourrait être rédigé comme suit : « L'esclavage, conformément à l'article 212-1 du code pénal, quels que soient le lieu et l'époque où il est pratiqué, et la traite négrière en particulier, constituent un crime contre l'humanité. »
Voilà le texte que, juridiquement, je dois présenter moralement sur lequel, on voudra bien me le pardonner, je m'en remets à la sagesse de la Haute Assemblée.
M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 1 rectifié bis, présenté par M. Schosteck, au nom de la commission, et tendant à rédiger comme suit l'article 1er :
« L'esclavage, conformément à l'article 212-1 du code pénal, quels que soient le lieu et l'époque où il est pratiqué, et en particulier la traite négrière, constituent un crime contre l'humanité. »
Mme Lucette Michaux-Chevry. Dans ces conditions, je retire le sous-amendement.
M. le président. Le sous-amendement n° 8 rectifié est retiré.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement, ainsi que je l'ai déjà exprimé, est contre l'amendement qui vient d'être présenté et pour le maintien du texte adopté par l'Assemblée nationale.
En effet, cet amendement appauvrit, tant sur le plan juridique que sur le plan solennel, cette déclaration inscrite dans la loi qui honorera le Parlement français plus de cent cinquante ans après l'abolition de l'esclavage.
Votre amendement, monsieur le rapporteur, ne fait que reprendre les dispositions du code pénal tel qu'il est actuellement rédigé, c'est-à-dire l'article 212-1. Nous dirions, en grammairiens, que c'est une tautologie, mais nous sommes très loin de la signification qui a voulu être donnée par Mme Taubira-Delannon et par ceux qui ont voté à l'unanimité à l'Assemblée nationale cette disposition.
Le Sénat témoigne de cette reconnaissance solennelle à travers le souvenir de Victor Schoelcher, en l'honneur duquel vous avez inauguré, monsieur le président, voilà deux ans, une plaque commémorative.
Aujourd'hui, si le Sénat adoptait le texte de l'Assemblée nationale, ce serait pour lui la reconnaissance du combat universel qu'il a mené voilà plus de cent cinquante ans. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 1 rectifié bis.
M. Georges Othily. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Othily.
M. Georges Othily. J'ai dit dans la discussion générale que je me sentais très frustré, tout en comprenant le souci de perfection juridique de la commission. Mais je me sentirais encore plus frustré si l'amendement de la commission était adopté. J'ai la chance de pouvoir dire, comme le grand poète guyanais Léon Gontran-Damas, que trois fleuves coulent dans mes veines : le fleuve blanc, le fleuve noir et le fleuve rouge des Amérindiens.
C'est l'une des raisons pour lesquelles la traite négrière a été transatlantique et je demande à notre assemblée de bien vouloir reprendre texto l'article 1er qui a été adopté par l'Assemblée nationale : « La République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l'océan Indien d'une part, et l'esclavage d'autre part, perpétrés à partir du xve siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l'océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l'humanité. »
Ce serait rendre justice non seulement à ceux qui ont souffert, mais aussi à ceux de ma génération qui confortent aujourd'hui peut-être les positions libératrices des esclavagistes.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 1 rectifié bis, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)

Article 2



M. le président.
« Art. 2. _ Les manuels scolaires et les programmes de recherche en histoire et en sciences humaines accorderont à la traite négrière et à l'esclavage la place conséquente qu'ils méritent. La coopération qui permettra de mettre en articulation les archives écrites disponibles en Europe avec les sources orales et les connaissances archéologiques accumulées en Afrique, dans les Amériques, aux Caraïbes et dans tous les autres territoires ayant connu l'esclavage sera encouragée et favorisée. »
Par amendement n° 2, M. Schosteck, au nom de la commission, propose de supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Nous proposons la suppression de l'article 2 car cette disposition relève du domaine réglementaire.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement, par la voix de Mme Guigou, avait effectivement observé que ces dispositions relevaient plutôt du domaine réglementaire, c'est-à-dire du devoir de mémoire et de l'obligation de consacrer une place importante dans nos manuels scolaires à l'esclavage et à la traite négrière car, il faut bien en convenir, ils sont restés pendant très longtemps muets sur ces questions.
Quand j'étais élève - et vous êtes nombreux à être de ma génération - nous parlions de l'esclavage certes, mais cela visait à l'époque les Etats-Unis et Abraham Lincoln ; nous n'entendions jamais évoquer l'esclavage dans les colonies françaises.
En ce domaine, le Sénat souhaite que cette question soit de la compétence du comité des personnalités qui est institué à l'article 4 pour réfléchir à l'amélioration des programmes scolaires. Le Gouvernement s'en remet à la sagesse de la Haute Assemblée sur cette question.
Toutefois, je rappellerai que, devant l'Assemblée nationale, M. Donnedieu de Vabres, parlementaire de l'opposition, avait déclaré : « Bien sûr, il y a le partage prévu par la Constitution, mais il y a le fait que, depuis des années, nous souhaitons tous le rétablissement de l'instruction civique à l'école et l'introduction dans les manuels scolaires de références civiques et historiques. Il n'est pas possible de priver le Parlement de la possibilité d'exprimer ce souhait fort, quel que soit le contenu de l'article 34 et de l'article 37 ».
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 2.
Mme Lucette Michaux-Chevry. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Michaux-Chevry.
Mme Lucette Michaux-Chevry. Certes, sur le fond, la commission des lois a raison. Mais ce qui nous sépare c'est la méconnaissance totale que vous avez de notre histoire. A nous-mêmes, Domiens, pendant des années, notre propre histoire a été occultée.
Je crois que ce serait un signe fort de maintenir l'article 2. Cela permettrait à chacun de comprendre les différences qui existent et d'aboutir à la réconciliation à travers la connaissance de notre histoire.
M. Jacques Larché, président de la commission. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission. Il me semble qu'après le vote à l'unanimité de l'article 1er, nul n'est en droit de dire que le Parlement de la République voudrait passer sous silence, de quelque manière que ce soit, les événements tragiques de l'esclavage.
Il n'en reste pas moins que le texte doit être relativement ordonné et la commission propose à l'article 3 bis que le comité pourra dire aux autorités de l'éducation nationale d'inscrire dans les manuels tel ou tel fait. Ainsi nos jeunes concitoyens des départements d'outre-mer mais aussi de métropole étudieront-ils des faits qui jusqu'à présent étaient passés sous silence.
Je demande donc au Sénat d'accepter le retrait d'une disposition dont nous pensons que, dans la tâche que nous avons à accomplir, elle ne doit pas figurer dans la loi.
Cela est d'autant plus vrai, si l'on tient compte du débat. Vous connaissez la formule : « Un débat peut changer mon opinion, jamais mon vote. » Ce soir nous avons donné d'une manière assez significative une illustration complètement différente de cette formule : le débat a changé le vote de la commission et je vous demande d'en prendre note.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 2, pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 2 est supprimé.

Article 3



M. le président.
« Art. 3. _ Une requête en reconnaissance de la traite négrière transatlantique ainsi que de la traite dans l'océan Indien et de l'esclavage comme crime contre l'humanité sera introduite auprès du Conseil de l'Europe, des organisations internationales et de l'Organisation des Nations unies. Cette requête visera également la recherche d'une date commune au plan international pour commémorer l'abolition de la traite négrière et de l'esclavage, sans préjudice des dates commémoratives propres à chacun des départements d'outre-mer. »
Par amendement n° 3, M. Schosteck, au nom de la commission, propose de supprimer cet article.
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. La commission propose de supprimer également cet article puisqu'une résolution reconnaissant l'esclavage comme crime contre l'humanité a déjà été adoptée par une commission de l'ONU. Elle satisfait le présent article sans qu'il soit besoin d'adopter une disposition qui pourrait apparaître comme une injonction au Gouvernement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement est opposé à l'amendement de la commission visant à supprimer l'article 3.
En effet, la résolution à laquelle M. le rapporteur a fait référence n'a jamais été adoptée. Il existe effectivement un projet qui n'a cependant pas été adopté. De plus, le Conseil de l'Europe n'a pas eu l'occasion de se prononcer. Il me paraît donc nécessaire que soit rappelée cette démarche auprès des organismes internationaux.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 3, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 3.

(L'article 3 est adopté.)

Article 3 bis



M. le président.
« Art. 3 bis. _ Le dernier alinéa de l'article unique de la loi n° 83-550 du 30 juin 1983 relative à la commémoration de l'abolition de l'esclavage est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :
« Un décret fixe la date de la commémoration pour chacune des collectivités territoriales visées ci-dessus.
« En France métropolitaine, la date de la commémoration annuelle de l'abolition de l'esclavage est fixée par le Gouvernement après la consultation la plus large. »
Par amendement n° 9, Mme Michaux-Chevry et M. Othily proposent, à la fin du dernier alinéa de cet article, de remplacer les mots : « par le Gouvernement après la consultation la plus large » par les mots : « au 23 août ».
La parole est à Mme Michaux-Chevry.
Mme Lucette Michaux-Chevry. Il est temps de retenir une date de commémoration. Si l'on s'en remet pour cela à une commission qui reste à créer, les choses traîneront encore. Nous pensons que la date du 23 août pourrait être retenue par la Haute Assemblée comme date de souvenir et de mémoire.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. La commission est défavorable à cet amendement.
Elle reconnaît évidemment le bien-fondé et la nécessité d'une date de commémoration. Toutefois, elle considère que la fixation d'une telle date relève du pouvoir réglementaire. En conséquence, elle souhaite que le Gouvernement procède à une consultation sur ce sujet.
Elle reconnaît que la date que vous proposez, madame le sénateur, est en effet de celles qui pourraient parfaitement convenir ; mais c'est une prérogative du Gouvernement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat. La date que propose Mme Michaux-Chevry dans son amendement correspond à l'anniversaire de l'insurrection de Saint-Domingue. Elle a en effet été retenue par l'UNESCO.
Le Gouvernement, par un décret de 1983, a retenu diverses dates qui correspondent aux dates d'abolition dans chaque département d'outre-mer, c'est-à-dire le 22 mai en Martinique, le 27 mai en Guadeloupe, le 10 juin en Guyane et le 20 décembre à la Réunion.
Sur ce point, un comité de personnalités a été désigné. Faut-il unifier la date et retenir celle du 27 avril ? Faut-il retenir celle du 23 août ? Le décret en décidera, étant entendu qu'à l'Assemblée nationale comme au Sénat tout le monde s'accorde pour dire qu'il faut une date effective ou, à défaut, qu'il faut conserver les dates en vigueur dans les différents départements d'outre-mer.
M. le président. Madame Michaux-Chevry, l'amendement n° 9 est-il maintenu ?
Mme Lucette Michaux-Chevry. L'amendement est maintenu parce que M. le secrétaire d'Etat sait très bien qu'il ne pourra retenir ni la date de la Martinique - la Guadeloupe ne serait pas contente - ni la date de la Guadeloupe - la Martinique ne serait pas contente.
Il y a donc déjà une reconnaissance officielle de ces dates ; rendons maintenant hommage à Toussaint Louverture, qui est mort ici dans l'oubli et l'abandon.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 9, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Par amendement n° 4, M. Schosteck, au nom de la commission, propose :
« I. - De compléter in fine le texte proposé par l'article 3 bis pour remplacer le dernier alinéa de l'article unique de la loi n° 83-550 du 30 juin 1983 par un alinéa ainsi rédigé :
« Il est instauré un comité de personnalités qualifiées, parmi lesquelles des représentants d'associations défendant la mémoire des esclaves, chargé de proposer, sur l'ensemble du territoire national, des lieux et des actions qui garantissent la pérennité de la mémoire de ce crime à travers les générations, notamment dans les programmes scolaires. La composition et les missions de ce comité sont définies par décret en Conseil d'Etat. »
« II. - En conséquence, dans le premier alinéa de cet article, de remplacer le mot : "deux" par le mot : "trois". »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Cet amendement s'explique par son texte même.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat. Cet amendement tend à reprendre l'article 4 et à l'intégrer dans l'article 3 bis en y ajoutant, ce qui me paraît indispensable compte tenu du vote négatif du Sénat sur l'article 2, la référence aux programmes scolaires.
Le Gouvernement est donc favorable à l'adoption de cet amendement, qui entraînerait, par voie de conséquence, la suppression de l'article 4.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 4, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 3 bis, ainsi modifié.

(L'article 3 bis est adopté.)

Article 4



M. le président.
« Art. 4. _ Il est instauré un comité de personnalités qualifiées, parmi lesquelles des représentants d'associations défendant la mémoire des esclaves, chargées de proposer, sur l'ensemble du territoire national, des lieux et des actions de mémoire qui garantiront la pérennité de la mémoire de ce crime à travers les générations. Les compétences et les missions de ce comité seront fixées par décret en Conseil d'Etat. »
Sur cet article, je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 5, M. Schosteck, au nom de la commission, propose de supprimer cet article.
Par amendement n° 10, M. Othily propose, dans la première phrase de l'article 4, après le mot : « chargées », d'insérer les mots : « de déterminer les conditions et les modalités de réparation du préjudice causé par les actes d'esclavage exécutés dans le passé et ».
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 5.
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Comme l'a très bien dit M. le secrétaire d'Etat avant moi, l'article 4 doit être supprimé en raison de l'adoption de l'amendement n° 4 à l'article 3 bis .
M. le président. La parole est à M. Othily, pour défendre l'amendement n° 10.
M. Georges Othily. Comment reconnaître un crime sans prévoir la sanction qui pourrait peut-être permettre la réparation ?
Il est vrai qu'à l'Assemblée nationale cette disposition a fait l'objet d'un long débat et que cela n'a pas abouti. Pour le principe, j'ai demandé que cette réparation soit inscrite dans la loi. Si elle ne peut l'être et pour ne pas froisser les membres de la commission des lois, je retire cet amendement.
M. le président. L'amendement n° 10 est retiré.
Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 5 ?
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat. Etant donné le vote qui vient d'intervenir, le Gouvernement ne peut qu'être favorable à la suppression de l'article 4.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 5, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 4 est supprimé.

Article 5



M. le président.
« Art. 5. _ A l'article 48-1 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, après les mots : "par ses statuts, de", sont insérés les mots : "défendre la mémoire des esclaves et l'honneur de leurs descendants". »
Par amendement n° 6, M. Schosteck, au nom de la commission, propose de supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Nous proposons de supprimer cet article, car il est déjà satisfait par de nombreuses dispositions qui permettent aux associations d'exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les injures et diffamations, notamment lorsqu'elles ont un caractère raciste.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement et souhaite donc le maintien du texte initial. Certes, il existe la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, mais seules les associations luttant contre le racisme peuvent se constituer partie civile en fonction de cette loi. Il faut donc étendre son champ d'application aux associations qui défendent la mémoire des esclaves.
L'article 5 voté par l'Assemblée nationale complète très utilement le dispositif juridique existant, puisqu'il permet de renforcer la vigilance dans le combat contre le racisme et contre toutes ses conséquences.
M. Jacques Larché, président de la commission. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission. J'ai cru comprendre, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous apparteniez à un gouvernement qui voulait améliorer le fonctionnement de la justice. Or je m'aperçois que vous faites tout ce qui est en votre pouvoir pour augmenter le nombre des instances et aboutir à un encombrement des tribunaux que vous êtes pourtant le premier à déplorer dans un certain nombre de cas.
Je comprendrais cette sorte d'acharnement thérapeutique si, comme notre rapporteur l'a déjà indiqué, il n'existait pas déjà des dispositions qui permettent très largement de vous donner satisfaction.
Je vous demande donc de mieux peser votre avis, sinon je demanderai un scrutin public. A tout le moins, vous pourriez vous en remettre à la sagesse du Sénat.
M. le président. Monsieur le secrétaire d'Etat, le Gouvernement maintient-il sa position ?
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat. Il la maintient d'autant plus que c'est celle qui a été défendue à l'Assemblée nationale.
M. Jacques Larché, président de la commission. Ce n'est pas une raison !
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 6.
Mme Lucette Michaux-Chevry. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Michaux-Chevry.
Mme Lucette Michaux-Chevry. Les textes en vigueur permettent déjà d'introduire des procédures devant les juridictions pénales. Ce n'est pas la peine d'ajouter un dispositif, qui serait surabondant puisque toute attaque en matière d'esclavage est une attaque raciste et que les associations de lutte contre le racisme sont fortes et interviennent régulièrement devant les juridictions.
J'ai l'impression qu'on veut tellement en faire avec ce texte qu'on l'affaiblit.
Le texte est bien bordé maintenant, et ce n'est pas la peine de le compliquer en prévoyant la possibilité d'intervention au profit d'autres associations : tout le monde pourra intervenir. Je voterai donc l'amendement de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission. Merci !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 6, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence l'article 5 est supprimé.

Article additionnel après l'article 5



M. le président.
Par amendement n° 11, M. Othily propose, après l'article 5, d'ajouter un article additionnel ainsi rédigé :
« La France demande pardon aux familles dont les membres ont souffert des actes d'esclavage. »
La parole est à M. Othily.
M. Georges Othily. Le pape demande pardon. Le président de l'Allemagne demande pardon. Je pense que la France pourrait aussi demander pardon aux familles dont les membres ont souffert des actes d'esclavage.
Ce serait peut-être gênant ; aussi vais-je retirer mon amendement.
Je tenais toutefois à ce que mes remarques figurent au Journal officiel.
M. Jacques Larché, président de la commission. Nous sommes d'accord avec vous sur le fond.
M. le président. L'amendement n° 11 est retiré.

Intitulé de la proposition de loi



M. le président.
Par amendement n° 7, M. Schosteck au nom de la commission, propose de rédiger comme suit l'intitulé de la proposition de loi :
« Proposition de loi tendant à perpétuer le souvenir du drame de l'esclavage. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Cet amendement n'a plus lieu d'être, en raison du vote intervenu à l'article 1er. En conséquence, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 7 est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.

(La proposition de loi est adoptée.)
M. le président. Si la réserve qui sied au président de séance ne lui permet pas de voter, sachez qu'il l'aurait voté des deux mains. (Mme Michaux-Chevry applaudit.)
Mes chers collègues, je crois que, ce soir, nous avons fait oeuvre de mémoire et ce dans une unanimité qui est un moment important de notre histoire.

12

TEXTES SOUMIS EN APPLICATION
DE L'ARTICLE 88-4 DE LA CONSTITUTION

M. le président. J'ai reçu de M. le premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 2505/96 portant ouverture et mode de gestion de contingents tarifaires communautaires autonomes pour certains produits agricoles et industriels.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-1427 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Lettre de la Commission européenne du 3 mars 2000 relative à une demande de dérogation présentée par l'Allemagne en application de l'article 8 du paragraphe 4 de la directive 92/81/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant l'harmonisation des structures des droits d'accises sur les huiles minérales.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-1428 et distribué.

13

ORDRE DU JOUR

M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 28 mars 2000.
A neuf heures trente :
1. Questions orales sans débat suivantes :
I. - M. Gérard Delfau appelle l'attention de Mme le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale sur l'impact d'un colloque organisé par le syndicat de la médecine générale et destiné à dénoncer les méfaits de la loi du marché dans les pratiques sanitaires et l'exercice de la médecine.
Parmi plusieurs exemples choquants cités, deux méritent d'être relevés. Est-il exact qu'un médicament contre la grippe ne sera pas remboursé par la sécurité sociale, mais qu'en revanche il sera fourni gratuitement à ses adhérents par une compagnie privée d'assurance ? Si oui, c'est la crédibilité de notre système collectif de santé qui est atteinte. De même, comment expliquer que les pilules contraceptives de la troisième génération ne sont pas remboursées, en dépit de la loi sur la contraception ?
Les participants se sont émus, en outre, du délabrement de certains hôpitaux publics, mal armés pour faire concurrence au réseau de cliniques privées de plus en plus concentré.
Enfin, ils se sont penchés sur la mise en place de la couverture médicale universelle. A un mois de l'échéance, les mutuelles demeurent en retrait. La CMU sera-t-elle confiée au seul secteur privé ?
Il lui demande quelles réponses concrètes elle peut faire à ceux qui s'inquiètent ainsi de la dérive de la sécurité sociale. (N° 650.)
II. - M. Michel Duffour appelle l'attention de Mme le garde des sceaux, ministre de la justice, sur les dysfonctionnements des deux conseils de prud'hommes des Hauts-de-Seine qui conduisent à de véritables dénis de justice en raison des délais anormalement longs des procédures dus au manque criant de fonctionnaires.
A leur création en 1978, l'effectif budgété était de 17 fonctionnaires pour Boulogne et de 25 pour Nanterre. Or, si le nombre d'affaires traitées a quadruplé depuis, les effectifs sont demeurés inchangés. Cette situation est aggravée par les vacances de postes non pourvus au 1er octobre 1999 : 10 sur 17 à Boulogne, 7 sur 25 à Nanterre. Dans le même temps, le nombre d'audiences n'a fait que croître : 697 en 1994, 762 en 1997, 794 en 1998.
Il ne tient qu'à la conscience professionnelle des personnels de greffe pour que les procédures soient respectées. On ne peut leur reprocher les délais beaucoup trop longs afférents. Ainsi, il faut en moyenne quatre mois pour passer en conciliation, puis de quinze à dix-sept mois supplémentaires pour que l'affaire soit jugée.
Au conseil de Boulogne, l'absence de traitement informatisé des dossiers ajoute à l'engorgement : la notification des jugements de 1998 ne s'effectue par exemple qu'en ce moment.
Il aimerait connaître les dispositions qu'elle compte prendre pour remédier à cette situation qui décrédibilise cette institution. (N° 684.)
III. - M. Jean-Patrick Courtois appelle l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur les modalités d'application de la taxe sur la valeur ajoutée sur les travaux réalisés dans les logements. Lors de la première lecture du projet de loi de finances pour 2000, une disposition visant à abaisser, au 15 septembre 1999, le taux de TVA à 5,5 % sur les travaux réalisés dans les logements a été votée ; une instruction fiscale en date du 14 septembre 1999 étant venue en préciser la portée.
Malheureusement, il s'avère que celle-ci, incomplète ou imprécise, est donc soumise à interprétation tant de la part des services fiscaux départementaux que des industriels ou consommateurs concernés. La rédaction de l'instruction laisse notamment peser certaines hésitations quant au taux de TVA applicable à la prestation de pose des meubles de cuisine ou de salle de bains.
De même, il semblerait que la pose et la fourniture des plans de travail de cuisine et des plans de toilette de salles de bains réalisés en carrelage, marbre ou granit bénéficient du taux de TVA de 5,5 % mais pas la fourniture et la pose des plans réalisés en panneaux de particules de bois. Comment expliquer cette différence de traitement aux consommateurs ?
Il lui demande de bien vouloir apporter des précisions à l'ensemble de ces questions et donner ainsi une réelle portée à cette instruction fiscale mal comprise par nos industriels et incomprise par le consommateur. (N° 703.)
IV. - M. Bernard Piras attire l'attention de M. le ministre de l'agriculture et de la pêche sur les conséquences de la sharka sur l'avenir du secteur fruitier français.
La sharka est une maladie virale des arbres fruitiers à noyau, tels les pêchers, abricotiers, pruniers. Elle est originaire des pays de l'Est, signalée pour la première fois en Bulgarie en 1916. Au cours du xxe siècle, elle a envahi la plupart des régions européennes et eurasiennes et a été détectée en France en 1970.
Les progrès dans la connaissance de ce virus sont très lents, celui-ci n'ayant été découvert qu'en 1975.
Cette maladie constitue une menace grave pour la production de fruits à noyau ; étant inguérissable et induisant des épidémies rapides en vergers, elle rend les fruits touchés non commercialisables. Les régions plus particulièrement affectées en France sont le Languedoc-Roussillon, Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte d'Azur.
Le seul moyen de lutte connu à ce jour est l'arrachage et la destruction par le feu des arbres contaminés. A cet égard, des campagnes sont menées dans les régions touchées afin de recenser les plantations concernées. Dans une circulaire du 13 décembre dernier émanant du ministère de l'agriculture, figurent les mesures d'indemnisation relatives à ce virus, que ce soit pour des arbres isolés ou des parcelles entières. Cette indemnisation varie selon l'âge des plantations contaminées.
Néanmoins, il s'avère que les sommes annoncées sont considérées comme notablement insuffisantes pour les producteurs et les organisations les représentant. Pour être incitative, l'indemnité pourrait, par exemple, être dégressive sur trois ans. Pour le département de la Drôme, les surfaces à contrôler représentant 4 500 hectares, la prospection plus l'indemnisation nécessitent un budget évalué entre 160 et 200 millions de francs sur trois ans.
Un autre problème semble s'ajouter dans la mesure où les surfaces arrachées bénéficient jusqu'à présent des aides compensatoires aux surfaces cultivées. Mais des informations récentes laissent entendre que ces aides seraient remises en cause à compter de l'année 2000. Une faible indemnisation conjuguée à la disparition des aides compensatoires pour les surfaces touchées risquent soit de ne pas inciter les producteurs à collaborer à la campagne d'arrachage, soit de mettre dans une situation financière non viable ceux qui auront arraché.
La profession arboricole subit depuis plusieurs années de nombreuses crises qui mettent son avenir en péril, celle de 1999 ayant à ce titre été particulièrement dramatique. Les conséquences du virus de la sharka viennent s'ajouter aux inquiétudes de ces agriculteurs, qui, pour beaucoup, sont dans la plus totale expectative quant à leur avenir.
Le département de la Drôme possède une grande tradition en matière d'arboriculture. Il est l'un des principaux producteurs français, notamment pour ce qui est de la pêche, ce secteur étant le plus concerné par la maladie de la sharka. Il est donc indispensable que les indemnisations pour l'arrachage soient fortement réévaluées et que l'aide compensatoire aux surfaces cultivées soit maintenue.
Il lui demande s'il est en mesure de lui apporter des précisions qui permettront de rassurer la profession. (N° 712.)
V. - Mme Marie-Claude Beaudeau attire l'attention de M. le secrétaire d'Etat à l'industrie sur les difficultés créées par la diminution de la qualité du service de maintenance dans les centrales thermiques nucléaires, à flamme et centrales hydrauliques. Elle lui fait remarquer que cette remise en cause est la conséquence de la réduction en nombre des personnels de l'EDF chargés jusqu'alors de cette mission, du transfert à des personnels d'entreprises privées de cette maintenance qui ne disposent pas des formations suffisantes, du regroupement des ORI, les organisations régionales d'intervention chargées d'organiser et de surveiller une maintenance accrue, entraînant une diminution des actions de surveillance et de prévention.
Elle lui fait part de son inquiétude pour la sécurité des installations, du matériel, des personnels et des populations riveraines des centrales. Elle lui demande de lui faire connaître les mesures qu'il envisage pour maintenir les structures actuelles des ORI et continuer à confier les responsabilité de maintenance aux seuls agents d'Electricité de France possédant la formation initiale et continue nécessaire.
Par ailleurs, elle souhaite l'accroissement et l'accentuation qualitative des actes de prévention afin de garantir une sûreté absolue des installations et une sécurité garantie des personnels. (N° 724.)
VI. - M. Jacques Pelletier attire l'attention de M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie sur la situation très difficile que connaissent les étudiants. Cette situation compromet l'égalité des chances, qui est un des fondements de notre République.
Il convient, aujourd'hui, de favoriser un plus juste équilibre en engageant une réflexion transcendant les appartenances partisanes.
Le rapport Dauriac propose de créer une allocation d'étude de 20 000 F par an pour les étudiants de 3e cycle sur critères sociaux.
Ne serait-il pas possible de prévoir l'embauche systématique des étudiants de 3e cycle pour l'encadrement de nos écoles ? Cette mesure présenterait des avantages, tant pour l'éducation nationale que pour les étudiants.
Pour l'éducation nationale, ce recours permettrait de disposer d'une manne ponctuelle d'emplois de qualité et de pallier les déficits d'encadrement scolaire dans les zones sensibles.
Pour les étudiants, l'emploi en collège ou en lycée à mi-temps ou à tiers temps ne serait en aucun cas préjudiciable à la poursuite de leurs recherches et leur accorderait un revenu « décent ». Outre la valeur que peut incarner le travail, les étudiants disposeraient d'une première expérience de travail : pédagogie, gestion des conflits, médiation, écoute, encadrement...
Cette solution rétablirait enfin l'équité entre les boursiers et ceux qui sont contraints de travailler, souvent dans des conditions inadaptées pour leurs études.
Ainsi, pour les écoles, cette mesure comblerait un certain déficit d'encadrement dénoncé par de nombreux rapports, favoriserait la médiation entre le jeune et le personnel éducatif et montrerait aux plus jeunes certains modèles de réussite.
Une réflexion sur ce sujet est-elle envisagée par les services du ministère de l'éducation nationale ? (N° 729.)
VII. - M. Bernard Fournier appelle l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur les difficultés rencontrées par les petites communes rurales disposant d'un patrimoine important de chemins ruraux et qui sont confrontées à la nécessité de les entretenir, notamment pour le déneigement dans les zones de montagne.
Ces voies sont parfois utilisées pour des activités de service public, mais il faut rappeler qu'au regard du code rural il n'existe à la charge des communes aucune obligation de déneigement de celles-ci, dont l'entretien incombe normalement aux riverains.
Cependant, de par ses pouvoirs de police, le maire peut voir sa responsabilité engagée dans l'hypothèse d'un accident ou de tout événement consécutif à une lacune en matière d'entretien ou de secours.
Le contrôle juridique de cette responsabilité ne saurait intervenir qu' a posteriori avec l'intervention du juge administratif.
Considérant, d'une part, que les administrés concernés par ces obligations arguent d'une rupture du principe d'égalité devant les charges publiques pour ne pas procéder aux opérations d'enlèvement de la neige ou d'entretien de la voirie et, d'autre part, que le maire est contraint d'assurer la continuité des services publics tels que la diffusion du courrier ou le ramassage scolaire, il y a lieu de soulever, compte tenu de cette dualité de législation, la question de l'étendue de la responsabilité des élus locaux et des collectivités locales.
Au-delà de la problématique juridique, au plan financier, les communes concernées par cette question ont la possibilité de mettre à la charge de leur budget les dépenses afférentes au déneigement de tous les chemins ruraux ; elles n'utilisent pas cette faculté faute de ressources correspondantes, notamment pour les plus petites d'entre elles.
Aussi, il lui demande de bien vouloir lui indiquer quelle est l'attitude que ces maires doivent suivre pour l'entretien de cette catégorie spécifique de chemins. Il souhaiterait également savoir si une réforme de la législation par le Gouvernement est envisageable et, enfin, s'il est possible de procéder à une augmentation de la dotation globale de fonctionnement des petites communes qui accepteraient de prendre à leur charge ces frais d'entretien ou de déneigement. (N° 732.)
VIII. - M. Xavier Darcos appelle l'attention de Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité sur la situation très préoccupante à laquelle se trouvent confrontés les personnels du centre hospitalier de Périgueux.
Un service des urgences débordé par l'afflux de malades, une insuffisance de personnels hospitaliers en pneumo-dermatologie, en pédiatrie, dans le service opératoire de nuit, constituent quelques exemples parmi d'autres qui ne permettent plus d'assurer un fonctionnement satisfaisant du service public dans cet établissement hospitalier.
En conséquence, il lui demande de bien vouloir lui indiquer les mesures susceptibles d'être prises rapidement afin de remédier à cette situation. (N° 735.)
IX. - M. Francis Grignon attire l'attention de Mme le secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat sur le crédit-bail immobilier, et plus particulièrement sur le régime dérogatoire destiné spécifiquement aux petites et moyennes entreprises investissant dans certaines zones du territoire national.
La loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire n° 95-115 du 4 février 1995 a modifié la réglementation du crédit-bail immobilier en vigueur depuis 1967.
Pour toutes ces opérations, signées depuis le 1er janvier 1996, le nouveau système comprend un régime dérogatoire destiné spécifiquement aux PME investissant dans certaines zones du territoire national.
Sous certaines conditions, les entreprises sont ainsi dispensées de toute réintégration au moment de la levée de l'option, au terme du contrat crédit-bail. Cette mesure permet en particulier des interventions en faveur d'entreprises locales investissant en région et contribuant ainsi efficacement au maintien et à la création des emplois salariés de proximité. Cette mesure est en vigueur jusqu'au 31 décembre 2000.
Il lui demande donc quel sera, selon le Gouvernement, le devenir de ce régime dérogatoire destiné aux PME, au-delà de l'échéance actuelle. (N° 736.)
X. - M. Paul Blanc interroge Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité sur le maintien de la clinique de Prades, menacée par le manque de crédits - faible prix de journée - nécessaires à son bon fonctionnement. (N° 737.)
XI. - M. Jacques Legendre attire l'attention de M. le Premier ministre sur le fait que le Parlement européen s'est inquiété une nouvelle fois, et à juste titre, des activités du système d'espionnage dénommé Echelon, qui regroupe les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, le Canada, l'Australie et la Nouvelle-Zélande.
Il s'étonne que ces puissances anglo-saxonnes, qui se veulent des Etats de droit, des démocraties exemplaires, dont l'une, la Grande-Bretagne, est membre de l'Union européenne, et qui sont toutes des Etats alliés de la France, recourent ainsi à un système conçu pour l'espionnage en période de guerre froide, afin d'écouter les communications de leurs partenaires et alliés et d'en tirer éventuellement un avantage économique.
Il lui demande s'il a entrepris des démarches auprès de nos alliés anglo-saxons pour mettre un terme à d'aussi inacceptables pratiques.
Il s'interroge aussi sur les recours qui pourraient être envisagés par les sociétés ou les particuliers ainsi espionnés auprès de la justice de ces Etats de droit, pour obtenir réparation de cette grave violation de la correspondance privée.
Il souhaite enfin savoir quelles décisions concrètes le Gouvernement français envisage de prendre pour que les communications publiques et privées puissent être, le cas échéant, protégées par des systèmes fiables de cryptage. (N° 738.)
XII. - M. Roger Besse souhaite interroger Mme le ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. En effet, préoccupé par ce qui apparaît être une nouvelle vague de suppression de services publics dans son département, le Cantal, il souhaiterait avoir des précisions concernant l'application du décret n° 99-895 du 20 octobre 1999.
Ce décret généralise le procédé de l'étude d'impact et permet au préfet du département de saisir le ministère concerné en vue du réexamen d'un projet de fermeture de l'un de ses services administratifs dans le département, dès lors que plusieurs projets de suppression de services publics émanent de divers organismes et sont envisagés dans ce même département. Cette saisine a alors un effet suspensif, le ministre concerné statuant après avis du comité interministériel pour la réforme de l'Etat.
Il lui demande si ce décret est d'application immédiate ou est soumis à la rédaction préalable d'une circulaire d'application.
Il s'interroge également sur l'application de ces textes à la carte scolaire ainsi qu'aux services de France Télécom. (N° 740.)
XIII. - M. Ivan Renar rappelle à Mme le ministre de la culture et de la communication que la législation actuelle interdit la publicité télévisée pour des secteurs d'activité comme l'édition, la presse, le cinéma ou la grande distribution.
Cette réglementation est détournée par une décision du Conseil supérieur de l'audiovisuel qui vient d'autoriser, pour dix-huit mois et à titre expérimental, la publicité télévisée des sites Internet de ces secteurs.
Cette décision, fort surprenante, est contestable à plus d'un titre.
D'abord parce que le CSA s'arroge ainsi des prérogatives que seul possède le législateur. Cette mesure prise, avec un minimum de concertation, entraînera de nouvelles dérégulations, de nouveaux déséquilibres dans les secteurs concernés.
Ensuite, parce qu'elle consacre également cette dérive marchande et financière d'Internet qui éloigne ce réseau de manière inquiétante de l'esprit de liberté, de citoyenneté et d'indépendance qui le caractérise.
En conséquence, il lui demande de bien vouloir lui indiquer les mesures qu'elle entend prendre pour faire respecter la législation actuelle en matière de publicité et favoriser le développement d'un Internet citoyen ? (N° 741.)
XIV. - M. Jean Bizet interpelle Mme le ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement sur les conséquences de la taxe générale sur les activités polluantes appliquée aux produits phytosanitaires à partir du 1er janvier 2000.
D'une part, il souligne que la taxation porte sur les substances actives classées selon des critères toxicologiques et écotoxicologiques, mais que le produit formulé contenant la substance active peut avoir un classement différent de ladite substance.
D'autre part, la liste communautaire des matières actives fait actuellement l'objet d'un réexamen depuis le 11 décembre 1992. Ces procédures étant particulièrement longues, il s'avère qu'une molécule ancienne non encore révisée pourra être exemptée de classement écotoxicologique, tandis qu'une nouvelle substance, alors même qu'elle répond aux exigences actuelles, pourra être fortement taxée.
Enfin, cette taxation appliquée sur certaines productions spécialisées, comme celle des cultures légumières, est particulièrement pénalisante pour les agriculteurs. L'exemple de la production de carottes dans le département de la Manche est sur ce point significative ; cette production ne dégage plus de revenus pour les producteurs depuis le 1er janvier au regard de l'intégration de cette nouvelle taxe.
Pour toutes ces raisons, il lui demande si elle envisage une modification de la TGA appliquée aux produits phytosanitaires. (N° 742.)
XV. - M. Michel Teston appelle l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur le projet de réforme engagé par le Gouvernement sur la question des marchés publics et du code les régissant.
En effet, il devient urgent de simplifier et d'adapter à de nouvelles exigences les règles de passation des commandes publiques, notamment pour les collectivités locales.
Tout d'abord, il faut rappeler que ces dernières sont amenées à passer leurs marchés dans le cadre de réglementations nationales et européennes qui deviennent de plus en plus complexes, ce qui pose d'énormes difficultés aux élus locaux, notamment dans les collectivités de petite taille. Les craintes exprimées par les élus, notamment les maires, au cours des derniers mois sont étroitement liées à cette complexification extrême des procédures juridiques à laquelle ils sont confrontés.
Ensuite, tout en renforçant les garanties intangibles de transparence et d'équité sur lesquelles doit s'appuyer la commande publique, cette simplification doit permettre l'introduction de nouveaux critères de sélection des candidatures, comme par exemple la possibilité d'introduire un critère de « mieux-disant social », pour mettre fin aux dérives qui ont vu le jour au cours des dernières années.
Il convient de porter remède aux pratiques d'attribution systématique des marchés au moins-disant, en introduisant une réelle sélection des entreprises, éventuellement au niveau des candidatures et des procédures d'appel d'offres. Celle-ci pourrait s'opérer sur la base de leur comportement socio-économique, en définissant une norme « éthique » ou « de responsabilité sociale », par exemple selon les procédures d'une norme ISO.
Aussi, il lui demande, d'une part, quel est l'état d'avancement du dossier de la réforme du code des marchés publics et, d'autre part, si le Gouvernement entend intégrer cette préoccupation de responsabilité sociale des entreprises par la commande publique. (N° 744.)
XVI. - M. Pierre-Yvon Trémel attire l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur les mesures récemment mises en oeuvre par les services fiscaux, concernant le relèvement des tarifs d'occupation du domaine public maritime.
Dans le département des Côtes-d'Armor, les communes côtières titulaires d'une autorisation d'occupation du domaine maritime constatent une augmentation de la redevance pouvant aller, selon les cas, jusqu'à 600 %. Alors qu'ils sont déjà touchés par l'augmentation du gazole, les marins-pêcheurs subissent de plein fouet des augmentations de plus de 65 %.
Ce relèvement concerne également tous les plaisanciers qui jusqu'alors acquittaient une somme forfaitaire de 161 francs, et qui devront dorénavant payer une redevance de 120 francs par mètre linéaire, avec un minimum de 500 francs.
Depuis quelques semaines, nombreux sont les usagers et les élus du littoral qui expriment leur mécontentement sur cette forte augmentation de la redevance d'occupation du domaine maritime.
En conséquence, il lui demande de bien vouloir lui faire connaître les raisons d'une mesure brutale de l'augmentation du relèvement des tarifs d'occupation du domaine maritime, de lui indiquer sa position sur cette question et les mesures qu'il entend prendre pour remédier aux effets d'une décision qui mérite d'être reconsidérée. (N° 745.)
A 16 heures et, éventuellement, le soir :
2. Discussion du projet de loi (n° 239, 1999-2000), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'archéologie préventive.
Rapport (n° 276, 1999-2000) de M. Jacques Legendre, fait au nom de la commission des affaires culturelles.
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 27 mars 2000, à dix-sept heures.

Délai limite pour les inscriptions de parole
et pour le dépôt des amendements

Projet de loi, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes (n° 222, 1999-2000).
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 28 mars 2000, à dix-sept heures.
Délai limite pour le dépôt des amendements : mardi 28 mars 2000, à dix-sept heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures cinquante-cinq.)

Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON





Erratum
Au compte rendu intégral de la séance du 9 mars 2000

Page 1328, 2e colonne, dernier alinéa, 5e ligne, lire : « ...l'Organisation maritime internationale, l'OMI,... »

NOMINATIONS DE RAPPORTEURS
COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES

M. Louis Althapé a été nommé rapporteur du projet de loi n° 279 (1999-2000), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à la solidarité et au renouvellement urbains.

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

M. Jacques Bimbenet a été nommé rapporteur pour avis du projet de loi n° 279 (1999-2000), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à la solidarité et au renouvellement urbains, dont la commission des affaires économiques est saisie au fond.
M. Michel Esneu a été nommé rapporteur de la proposition de loi n° 255 (1999-2000) de M. Gérard Cornu relative à l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives dans les élections professionnelles.

COMMISSION DES FINANCES

M. Philippe Marini a été nommé rapporteur de la proposition de loi n° 257 (1999-2000) de M. Gérard Larcher et plusieurs de ses collègues visant à instituer un service universel bancaire.

COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LÉGISLATION, DU SUFFRAGE UNIVERSEL, DU RÈGLEMENT ET D'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
M. Pierre Jarlier a été nommé rapporteur pour avis du projet de loi n° 279 (1999-2000), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à la solidarité et au renouvellement urbains, dont la commission des affaires économiques et du Plan est saisie au fond.



Le Directeur du service du compte rendu intégral, DOMINIQUE PLANCHON QUESTIONS ORALES REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT (Application des articles 76 à 78 du réglement)


Application des 35 heures aux personnels
de la DDE de la Nièvre

766. - 23 mars 2000. - M. René-Pierre Signé appelle l'attention de M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement sur l'application des 35 heures dans les fonctions publiques. A l'heure où cette réforme-phare du Gouvernement semble remporter un franc succès dans le secteur privé, apportant une contribution significative à la lutte contre le chômage, force est de constater que la réduction du temps de travail ne s'appliquera pas avec autant de facilité dans le secteur public. Il voudrait évoquer les problèmes que connaissent les services de la direction départementale de l'équipement (DDE) de la Nièvre, concernant en particulier les conditions de travail de ses agents. L'inquiétude est renforcée par la mise en application des 35 heures combinée à l'application des nouvelles règles européennes, et aux suppressions d'effectifs antérieures qui ne sont pas là pour encourager. Elles peuvent même contraindre à rechercher, faute d'embauches, de nouveaux modes d'intervention tels que des appels aux entreprises privées. Dans le département de la Nièvre où l'incorporation de la voirie dans les compétences des communautés de communes est courante, ces communautés lancent de plus en plus des appels d'offres, il est donc à craindre que tous les travaux sur les voiries communales échappent à la DDE, entraînant des sureffectifs dans chaque centre d'exploitation et donc des mesures de suppression de postes. Les conséquences en sont multiples et néfastes, la DDE est ainsi conduite à supprimer l'accompagnateur dans les équipes qui interviennent dans l'organisation de viabilité hivernale. Au-delà des grands principes règlementaires, les conditions d'application des 35 heures seront déterminées par les discussions entre les représentants de la DDE et le ministère. Il lui demande donc dans quel délai et suivant quels principes cette négociation va s'effectuer ? Qu'en est-il de ce fameux dogme du « gel » de l'emploi public ? Peut-on trouver, en d'autres termes, faute d'accord-cadre, les garde-fous indispensables à l'application des 35 heures dans les fonctions publiques en général, et dans la DDE de la Nièvre en particulier ?

Insécurité des biens et des personnes à Périgueux

767. - 23 mars 2000. - M. Xavier Darcos souhaite attirer l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur les problèmes de la délinquance et de l'insécurité constante qui sévissent à Périgueux, ville dont il est le maire. Il rappelle que la sécurité des biens et des personnes constitue une garantie constitutionnelle fondamentale visée aux articles 12, 13 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme reprise dans le préambule de la Constitution. La ville de Périgueux a signé avec l'Etat un contrat local de sécurité dont les effets ne présentent aucun résultat significatif. Le sentiment d'insécurité est donc profond dans la population et les interventions qu'il a pu faire, en sa qualité de maire, auprès du préfet, du procuteur de la République ou du commissaire principal de police de Périgueux ne se sont traduites par aucune amélioration de la sécurité. Il est donc urgent d'augmenter les effectifs de police à Périgueux et il lui demande de lui faire connaître les mesures qu'il envisage de prendre afin de garantir la protection des administrés de cette ville.

Contrat de plan Etat-région dans le Limousin

768. - 23 mars 2000. - M. Georges Mouly attire l'attention de M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement sur la préparation des contrats de plan Etat-région. Alors que ce processus est en voie d'achèvement, le programme d'investissement routier prioritaire élaboré par le conseil général, les principales villes et les partenaires socio-économiques de la Corrèze est à ce jour fort insuffisamment pris en compte. Compte tenu d'une part de l'insuffisance des crédits de paiement accordés pour l'achèvement des travaux inscrits au troisième contrat de plan Etat-région limousin et, d'autre part, de l'effort financier sans précédent que devront réaliser les collectivités corréziennes pour que le département ne passe pas « à coté » du désenclavement et s'inscrive dans une perspective réelle d'aménagement du territoire, il lui demande s'il pourrait envisager un effort supplémentaire de l'Etat, ne serait-ce qu'en déléguant par exemple la maîtrise d'ouvrage de ces opérations au département de la Corrèze comme c'est le cas dans d'autres départements.

Aides aux hôteliers suite aux tempêtes de décembre 1999

769. - 23 mars 2000. - M. Jean-Louis Lorrain appelle l'attention de Mme le secrétaire d'Etat au tourisme sur les conséquences indirectes des deux tempêtes de fin d'année dernière dans le secteur de l'hostellerie alsacienne. Les aides nouvelles les plus conséquentes, annoncées dans la lettre du Gouvernement du 9 mars concernent principalement le littoral atlantique, ce qui est une bonne chose. Mais les hôtels de la région Alsace ont eu, eux aussi, maille à partie avec les coupures de courant, l'absence de trains, une circulation perturbée, ce qui a généré de nombreux désistements, une baisse de fréquentation pour les vacances de février, voire celle de Pâques. Si les dégâts matériels des hôteliers sont majoritairement couverts par les assurances, désistements et baisses de fréquentation ne sont pas indemnisés. Serait-il possible de prévoir une aide aux hôteliers pour leurs pertes d'exploitation ?



ANNEXE AU PROCÈS-VERBAL
de la séance
du jeudi 23 mars 2000


SCRUTIN (n° 46)



sur l'ensemble du projet de loi organisant une consultation de la population de Mayotte.

Nombre de votants : 319
Nombre de suffrages exprimés : 317
Pour : 267
Contre : 50

Le Sénat a adopté.

ANALYSE DU SCRUTIN


GROUPE COMMUNISTE RÉPUBLICAIN ET CITOYEN (17) :
Pour : 17.

GROUPE DU RASSEMBLEMENT DÉMOCRATIQUE ET SOCIAL EUROPÉEN (23) :

Pour : 23.

GROUPE DU RASSEMBLEMENT POUR LA RÉPUBLIQUE (98) :

Pour : 96.
N'ont pas pris part au vote : 2. _ M. Christian Poncelet, président du Sénat, et M. Gérard Larcher, qui présidait la séance.

GROUPE SOCIALISTE (77) :

Pour : 77.

GROUPE DE L'UNION CENTRISTE (52) :

Contre : 50.
Abstentions : 2. _ MM. Daniel Hoeffel et Jean-Jacques Hyest.

GROUPE DES RÉPUBLICAINS ET INDÉPENDANTS (46) :

Pour : 46.

Sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe (8) :

Pour : 8.

Ont voté pour


François Abadie
Nicolas About
Philippe Adnot
Guy Allouche
Louis Althapé
Pierre André
Bernard Angels
Henri d'Attilio
Bertrand Auban
François Autain
Jean-Yves Autexier
Robert Badinter
José Balarello
Janine Bardou
Jean-Michel Baylet
Marie-Claude Beaudeau
Jean-Luc Bécart
Jean-Pierre Bel
Jacques Bellanger
Georges Berchet
Maryse Bergé-Lavigne
Jean Bernard
Roger Besse
Jean Besson
Pierre Biarnès
Danielle Bidard-Reydet
Jacques Bimbenet
Jean Bizet
Paul Blanc
Christian Bonnet
Marcel Bony
James Bordas
Nicole Borvo
Joël Bourdin
André Boyer
Jean Boyer
Louis Boyer
Yolande Boyer
Gérard Braun
Dominique Braye
Robert Bret
Paulette Brisepierre
Louis de Broissia
Guy-Pierre Cabanel
Michel Caldaguès
Robert Calmejane
Jean-Claude Carle
Jean-Louis Carrère
Auguste Cazalet
Bernard Cazeau
Charles Ceccaldi-Raynaud
Monique Cerisier-ben Guiga
Gérard César
Gilbert Chabroux
Michel Charasse
Marcel Charmant
Jacques Chaumont
Jean Chérioux
Marcel-Pierre Cleach
Jean Clouet
Yvon Collin
Gérard Collomb
Gérard Cornu
Charles-Henri de Cossé-Brissac
Raymond Courrière
Roland Courteau
Jean-Patrick Courtois
Charles de Cuttoli
Xavier Darcos
Philippe Darniche
Marcel Debarge
Désiré Debavelaere
Luc Dejoie
Robert Del Picchia
Jean Delaneau
Bertrand Delanoë
Jean-Paul Delevoye
Gérard Delfau
Jacques Delong
Jean-Pierre Demerliat
Fernand Demilly
Christian Demuynck
Dinah Derycke
Charles Descours
Rodolphe Désiré
Marie-Madeleine Dieulangard
Claude Domeizel
Jacques Dominati
Jacques Donnay
Michel Doublet
Michel Dreyfus-Schmidt
Paul Dubrule
Alain Dufaut
Michel Duffour
Xavier Dugoin
Ambroise Dupont
Jean-Léonce Dupont
Hubert Durand-Chastel
Josette Durrieu
Bernard Dussaut
Daniel Eckenspieller
Jean-Paul Emin
Jean-Paul Emorine
Michel Esneu
Claude Estier
Hubert Falco
Léon Fatous
André Ferrand
Guy Fischer
Hilaire Flandre
Gaston Flosse
Thierry Foucaud
Jean-Pierre Fourcade
Bernard Fournier
Alfred Foy
Philippe François
Jean François-Poncet
Yann Gaillard
René Garrec
Jean-Claude Gaudin
Philippe de Gaulle
Patrice Gélard
Alain Gérard
François Gerbaud
Charles Ginésy
Francis Giraud
Paul Girod
Serge Godard
Daniel Goulet
Alain Gournac
Adrien Gouteyron
Louis Grillot
Georges Gruillot
Jean-Noël Guérini
Hubert Haenel
Emmanuel Hamel
Claude Haut
Anne Heinis
Roger Hesling
Jean-Paul Hugot
Roland Huguet
Jean-François Humbert
Roger Husson
Pierre Jeambrun
Charles Jolibois
Bernard Joly
André Jourdain
Alain Journet
Alain Joyandet
Roger Karoutchi
Christian de La Malène
Philippe Labeyrie
Jean-Philippe Lachenaud
Pierre Laffitte
Serge Lagauche
Roger Lagorsse
Lucien Lanier
Jacques Larché
Dominique Larifla
Patrick Lassourd
Robert Laufoaulu
Edmond Lauret
René-Georges Laurin
Gérard Le Cam
Jean-François Le Grand
Louis Le Pensec
Dominique Leclerc
Pierre Lefebvre
Jacques Legendre
André Lejeune
Guy Lemaire
Serge Lepeltier
Claude Lise
Paul Loridant
Simon Loueckhote
Roland du Luart
Hélène Luc
Philippe Madrelle
Jacques Mahéas
François Marc
Max Marest
Philippe Marini
Pierre Martin
Marc Massion
Paul Masson
Serge Mathieu
Pierre Mauroy
Jean-Luc Mélenchon
Lucette Michaux-Chevry
Gérard Miquel
Jean-Luc Miraux
Aymeri de Montesquiou
Michel Moreigne
Georges Mouly
Bernard Murat
Philippe Nachbar
Paul Natali
Lucien Neuwirth
Nelly Olin
Paul d'Ornano
Joseph Ostermann
Georges Othily
Jacques Oudin
Jean-Marc Pastor
Lylian Payet
Michel Pelchat
Jacques Pelletier
Guy Penne
Jean Pépin
Daniel Percheron
Jacques Peyrat
Jean-Claude Peyronnet
Jean-François Picheral
Xavier Pintat
Bernard Piras
Jean-Pierre Plancade
Bernard Plasait
Guy Poirieux
Ladislas Poniatowski
André Pourny
Danièle Pourtaud
Gisèle Printz
Jean Puech
Jean-Pierre Raffarin
Henri de Raincourt
Jack Ralite
Paul Raoult
Jean-Marie Rausch
Ivan Renar
Victor Reux
Charles Revet
Henri Revol
Henri de Richemont
Roger Rinchet
Yves Rispat
Louis-Ferdinand de Rocca Serra
Josselin de Rohan
Gérard Roujas
André Rouvière
Michel Rufin
Claude Saunier
Jean-Pierre Schosteck
Bernard Seillier
Michel Sergent
René-Pierre Signé
Raymond Soucaret
Louis Souvet
Simon Sutour
Martial Taugourdeau
Odette Terrade
Michel Teston
Henri Torre
René Trégouët
Pierre-Yvon Tremel
François Trucy
Alex Türk
Maurice Ulrich
Jacques Valade
André Vallet
Alain Vasselle
Paul Vergès
André Vezinhet
Jean-Pierre Vial
Marcel Vidal
Serge Vinçon
Guy Vissac
Henri Weber

Ont voté contre


Jean-Paul Amoudry
Philippe Arnaud
Jean Arthuis
Denis Badré
René Ballayer
Bernard Barraux
Jacques Baudot
Michel Bécot
Claude Belot
Jean Bernadaux
Daniel Bernardet
Maurice Blin
Annick Bocandé
André Bohl
Didier Borotra
Jean-Guy Branger
Jean-Pierre Cantegrit
Marcel Deneux
Gérard Deriot
André Diligent
André Dulait
Pierre Fauchon
Jean Faure
Serge Franchis
Yves Fréville
Francis Grignon
Marcel Henry
Pierre Hérisson
Rémi Herment
Jean Huchon
Claude Huriet
Pierre Jarlier
Alain Lambert
Henri Le Breton
Marcel Lesbros
Jean-Louis Lorrain
Jacques Machet
Kléber Malécot
André Maman
René Marquès
Louis Mercier
Michel Mercier
Louis Moinard
René Monory
Philippe Nogrix
Jean-Marie Poirier
Philippe Richert
Michel Souplet
Albert Vecten
Xavier de Villepin

Abstentions


MM. Daniel Hoeffel et Jean-Jacques Hyest.

N'ont pas pris part au vote


MM. Christian Poncelet, président du Sénat, et Gérard Larcher, qui présidait la séance.


Les nombres annoncés en séance avaient été de :
Nombre de votants : 318
Nombre de suffrages exprimés : 316
Majorité absolue des suffrages exprimés : 159
Pour l'adoption : 266
Contre : 50

Mais, après vérification, ces nombres ont été rectifiés conformément à la liste ci-dessus.