SEANCE DU 12 FEVRIER 2002


COUR PÉNALE INTERNATIONALE
(Ordre du jour réservé)

Adoption des conclusions du rapport
d'une commission

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 205, 2001-2002) de M. Patrice Gélard, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sur la proposition de loi de M. Robert Badinter relative à la coopération avec la Cour pénale internationale (n° 163, 2001-2002).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous débattons aujourd'hui d'une proposition de loi de notre excellent collègue M. Robert Badinter relative à la coopération avec la Cour pénale internationale.
Il est souhaitable que ce texte, qui arrive à temps, soit adopté dans les plus brefs délais, c'est-à-dire avant l'interruption de la session parlementaire, pour des raisons que je vais tenter d'expliquer.
Tout d'abord, il faut rappeler que la France a participé au fonctionnement du tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie et du tribunal international pour le Rwanda. Nous avions, en temps utile, adopté les mesures permettant une transposition dans notre droit interne des règles applicables à ces deux tribunaux internationaux. A l'époque, nous n'avions pas codifié ces règles, compte tenu du caractère provisoire de ces juridictions.
Le 17 juillet 1998, s'est tenue, à Rome, une conférence diplomatique visant à créer, cette fois, une cour pénale internationale permanente, et non plus un tribunal adapté à une situation particulière, comme pour le Rwanda et l'ex-Yougoslavie. Certains mauvais auteurs ont pensé que cette cour pénale internationale ne verrait jamais le jour. Il est vrai que, à plusieurs reprises, au cours de la conférence de Rome, les choses n'ont pas été faciles. Il faut rendre hommage aux plénipotentiaires français d'avoir su, le moment venu, trouver les formules qui ont permis de convaincre chacun de la nécessité de mettre en place une juridiction pénale internationale afin de lutter contre le génocide et les crimes contre l'humanité.
C'est grâce au rôle joué par les Français qu'un article, en particulier, a été inséré dans la convention internationale, je veux parler du fameux article 124, dont je dirai quelques mots tout à l'heure.
Les choses sont allées beaucoup plus vite qu'on ne pouvait le croire. Le 28 juin 1999, nous avons modifié, à Versailles, notre Constitution afin de permettre la ratification du traité instituant une cour pénale internationale et, voilà dix-huit mois, le 9 juin 2000, nous avons ratifié la convention internationale.
Depuis, les choses sont allées très vite : à ce jour, cinquante-deux Etats ont ratifié la convention internationale. Cette convention s'appliquera dès que soixante Etats l'auront ratifiée. On peut donc penser qu'elle entrera en vigueur avant le mois de juin prochain. La France sera alors liée par sa signature. Aussi, nous devons, d'ores et déjà, préparer les mesures juridiques permettant l'application de cette convention sur notre territoire et la coopération de nos autorités judiciaires avec la Cour pénale internationale. C'est l'objet de cette proposition de loi, et son seul objet.
Au cours des auditions qui ont précédé l'élaboration de notre rapport, un certain nombre de responsables d'organisations non gouvernementales ont exprimé deux demandes.
Il s'agit, d'abord, de la nécessité d'introduire, au sein de notre code pénal, la notion de crime de guerre. En effet, actuellement, notre code pénal ne comporte aucune disposition en tant que telle visant à sanctionner le crime de guerre. En revanche, les dispositions de notre code pénal s'appliquent pour tous les crimes qui peuvent intervenir dans ces situations.
Il s'agit, ensuite, de la mise en place de la compétence universelle, c'est-à-dire que les tribunaux français recevraient une compétence étendue pour tous les crimes mentionnés dans le statut de la Cour. On n'aurait donc même pas à envoyer les auteurs de génocide, de crimes contre l'humanité ou de crimes de guerre devant la juridiction internationale. Cela soulève des problèmes considérables, en particulier quand l'inculpation visera quelqu'un qui n'a aucun rapport avec la France et qui se trouvera sur le territoire métropolitain par hasard.
La commission des lois, suivant dans ce domaine l'auteur de la proposition de loi, notre excellent collègue M. Robert Badinter, a considéré qu'en procédant à une refonte du code pénal pour que le crime de guerre soit considéré comme l'un des crimes considérés comme crimes contre l'humanité, on s'engagerait dans une réforme profonde du code pénal pour laquelle nous ne sommes pas prêts et que, de toute façon, on irait à l'encontre de la réserve de l'article 124 que la France a signé et aux termes duquel, pendant une période de sept ans, les crimes de guerre ne relèveront pas, en ce qui concerne la France, de la juridiction pénale internationale.
Cela n'empêchera pas pour autant le Gouvernement français de considérer, à un moment donné, dans la période qui s'ouvrira entre l'application de la convention de Rome et les sept années, que, après tout, les garanties offertes par la Cour sont suffisantes pour pouvoir permettre de lever l'article 124. Mais, en l'état actuel, c'est le droit qui s'applique à nous, c'est le droit que nous avons ratifié et il n'y a pas lieu de le changer de façon prématurée.
J'ajouterai que la réforme profonde du code pénal que cela impliquerait n'est pas mûre et qu'il est préférable de se limiter à ce qui est immédiatement et directement applicable, c'est-à-dire à toutes les règles de procédure permettant d'assurer la coopération de la République française avec la Cour pénale internationale, en ce qui concerne tant l'instruction que l'application des peines.
Je n'entrerai pas dans les détails - il suffit de se rapporter au rapport écrit - des propositions qui sont faites, et qui sont d'ailleurs déjà connues puisqu'il s'agit simplement de reprendre et d'adapter ce que nous avions adopté dans le passé en ce qui concerne l'ex-Yougoslavie et le Rwanda.
Nous avons tout de même été un peu plus loin en pensant qu'il était nécessaire, compte tenu du caractère permanent de la Cour pénale internationale, de codifier la proposition de loi de notre collègue M. Badinter. En effet, ce travail de codification permettra de rendre ces dispositions plus claires et plus accessibles. Aussi, nous avons modifié ou ajouté un certain nombre d'articles dans le code de procédure pénale.
Il est vrai que certaines de ces propositions relèvent plutôt du pouvoir réglementaire. Cependant, la nature des dispositions contenues dans le code de procédure pénale est complexe. En effet on ne sait pas toujours très bien ce qui a un caractère législatif et ce qui a un caractère réglementaire.
Compte tenu de la solennité que constitue la prise en compte des crimes contre l'humanité, l'intervention du Parlement est justifiée et légitime. C'est pourquoi nous allons vous demander, mes chers collègues, d'adopter un ensemble de dispositions visant à faire en sorte que, rapidement, la République française soit en mesure d'honorer ses engagements internationaux et de collaborer pleinement à la mise en place de cette cour pénale internationale.
Je vous proposerai donc, sous le bénéfice de ces observations, d'adopter la proposition de loi, modifiée par la commission des lois. (Applaudissements sur les travées du RPR. - M. Badinter applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi que vous allez examiner a été présentée par M. Badinter. Avant tout, je voudrais lui exprimer ma gratitude. Monsieur Badinter, non seulement vous avez bien voulu porter ce texte ici, mais, surtout, vous avez joué un rôle essentiel tout au long des discussions qui ont présidé à la naissance de la Cour pénale internationale, et dans les débats d'idées qui ont contribué à l'évolution que nous connaissons aujourd'hui dans l'approche des Etats à l'égard de la justice internationale. Soyez-en remercié.
Cette proposition de loi est un texte de toute première importance.
En effet, en mettant en place un système de coopération entre la France et la Cour pénale internationale, ce texte marque la volonté de notre pays de donner à la Cour les moyens concrets de son fonctionnement.
Le traité sur le statut de la Cour pénale internationale adopté à Rome en juillet 1998 a été signé par cent trente-neuf Etats et, à ce jour, il a été ratifié par cinquante-deux d'entre eux ; les choses vont vite ! Il crée la première cour de justice permanente pour juger les crimes les plus graves : crimes de guerre, génocides, crimes contre l'humanité.
Ainsi, contrairement aux deux tribunaux pénaux internationaux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda, la compétence de la Cour n'est pas limitée aux crimes commis au cours d'un conflit, dans une région du monde ou pour une période données.
La Cour pénale internationale a une seconde caractéristique importante : sa compétence repose sur l'engagement à coopérer des Etats parties au statut.
La qualité de cette coopération sera d'autant plus essentielle que, en vertu du principe de subsidiarité posé par le statut, la compétence de la Cour ne s'exercera que pour suppléer la carence des Etats.
Elle constituera ainsi, en quelque sorte, l'ultime recours contre l'impunité des auteurs des crimes prévus au statut, et la dernière voie pour que les victimes puissent être entendues et leur préjudice réparé, si tant est qu'il puisse l'être.
La mise en place de ce système de coopération avec la Cour est devenu urgent. En effet, alors que, voilà encore quelques années, seuls quelques-uns croyaient à l'avènement de cette Cour, il s'est créé un mouvement en sa faveur qui a fait évoluer l'attitude des Etats à son égard. Le rythme des ratifications s'est sensiblement accéléré, en particulier depuis la dernière commission préparatoire, qui s'est tenue au mois d'octobre dernier. Je le disais voilà un instant : nous comptons aujourd'hui cinquante-deux ratifications, sur les soixante qui sont nécessaires pour l'entrée en vigueur du statut, si bien que l'on peut raisonnablement estimer que la Cour ouvrira ses portes dès l'année prochaine.
L'imminence de cette échéance appelle à l'évidence une accélération de nos propres travaux de préparation. En particulier, il nous faut rapidement mettre en place le système de coopération avec la Cour. C'est l'objet de la présente proposition de loi.
Cette même urgence justifie que nous procédions en deux temps : nous discutons aujourd'hui une première étape pour la mise en place des modes de coopération ; une seconde étape consistera à adapter notre droit pénal au fond, j'y reviendrai.
Je le disais, la définition des modes de coopération avec la Cour pénale internationale traduit la mise en oeuvre des engagements que nous avons pris en signant le statut aux premières heures de son existence, le 18 juillet 1998, et en le ratifiant, après modification de notre Constitution, au mois de juin 2000.
Je souhaiterais revenir sur le contenu des obligations de coopération que nous impose le statut de la Cour pénale internationale.
L'article 86 du statut prévoit que « les Etats coopèrent pleinement avec la Cour dans les enquêtes et poursuites qu'elle mène pour les crimes relevant de sa compétence ».
Il convient d'insister sur le mot « pleinement », car il fournit une indication essentielle sur la nature de la coopération qui est attendue.
On pourrait en effet entendre le terme de « coopération » dans le sens d'une négociation d'égal à égal entre la Cour et l'Etat destinataire de la demande de coopération, selon le modèle de référence des coopérations entre Etats. Mais ce modèle n'est pas applicable en l'espèce, dans la mesure où la Cour ne peut être assimilée à une autorité étrangère. De ce fait, la coopération avec la Cour ne souffrira pas des obstacles liés à la souveraineté de l'Etat requis, que l'on rencontre habituellement dans le cadre de l'entraide judiciaire entre deux pays.
En ratifiant le statut, les Etats reconnaissent la validité du système de la Cour. Ils ne peuvent en conséquence refuser de coopérer pour des motifs non prévus au statut.
Un Etat qui rencontrerait une difficulté pour coopérer est tenu de consulter la Cour pour trouver une solution. En cas d'échec de ces consultations, la Cour peut saisir l'assemblée des Etats parties ou le Conseil de sécurité des Nations unies du refus de coopérer.
C'est ce principe du « dernier mot » laissé à la Cour en matière de coopération qui a été repris dans le texte qui vous est fort opportunément soumis.
L'article 88 du statut de Rome dispose, pour sa part, que « les Etats parties veillent à prévoir dans leur législation nationale les procédures qui permettent la réalisation de toutes les formes de coopération ».
Les Etats parties doivent donc prendre des dispositions de droit interne afin de se mettre en conformité avec les obligations résultant du statut en matière de coopération : le statut de Rome n'étant pas un texte d'application directe, il nécessite une adaptation du droit interne.
Ces dispositions nationales doivent envisager toutes les formes de coopération prévues au statut, notamment en ce qui concerne l'arrestation et la remise des personnes recherchées par la Cour et des mesures de réparation accordées aux victimes.
Par ailleurs, elles doivent être conformes au statut en ce qui concerne le respect des droits fondamentaux des personnes.
La proposition de loi que vous allez examiner vise à ce que soient respectées ces obligations, conformément à la lettre, mais aussi à l'esprit du statut, qui a pour objectif de permettre de trouver, dans tous les cas, un juge pour les crimes les plus graves.
C'est précisément en raison de la gravité des infractions visées par le statut et de la menace qu'elles constituent pour la paix et la sécurité qu'il appartient aux Etats de ne pas faire écran entre l'ordre juridique international et l'individu responsable de tels actes.
Concernant le texte de loi lui-même, je voudrais revenir sur ce que j'indiquais tout à l'heure quant à la démarche en deux temps qui a été retenue pour mettre la France en conformité avec ses engagements internationaux.
Le titre de la proposition de loi traduit clairement cette volonté d'avancer en deux étapes, puisqu'il s'agit d'une « proposition de loi relative à la coopération avec la Cour pénale internationale » et non d'une proposition de loi d'adaptation au statut.
C'est le premier volet de la démarche qui vous est présenté aujourd'hui ; c'est un premier pas fondamental dans l'adaptation de notre droit. Il est motivé par l'urgence de mettre la France en mesure de coopérer avec la Cour dès son installation.
Cependant, il ne signifie en rien que le Gouvernement se désintéresserait de l'adaptation de notre droit au fond. Je tiens au contraire à préciser que les services de la Chancellerie, sollicités par M. Badinter, ont déjà largement engagé les travaux de rédaction de ce second texte en vue de réviser et d'adapter les différents codes : le code pénal, bien entendu, mais aussi le code de justice militaire.
Ce travail est cependant long et difficile ; par conséquent, si nous avions attendu qu'il soit achevé pour examiner en bloc les procédures et le fond, nous aurions pris le risque de laisser se créer une situation de vide juridique au moment de l'entrée en fonction de la Cour. Cela n'était pas envisageable.
A l'inverse, en soutenant dès maintenant la proposition de loi présentée par M. Badinter, le Gouvernement opte pour la voie de la sagesse, c'est-à-dire pour la voie de la coopération.
Cette proposition de loi s'inspire en grande partie des lois de 1995 et de 1996 qui adaptent notre législation au statut des tribunaux pénaux internationaux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda, sous réserve, naturellement, des particularités de la Cour, que j'ai déjà évoquées.
Deux points me semblent cependant devoir être soulignés.
D'une part, en ce qui concerne le problème de l'exécution des peines d'emprisonnement, la proposition de loi tend à anticiper sur ce qui devrait être également adopté pour le tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, à la suite de l'accord signé le 25 février 2000 entre la France et celui-ci, pour l'exécution, en France, des peines que cette juridiction prononcera.
D'autre part, je souhaite appeler l'attention du Sénat sur les mesures de réparation en faveur des victimes, qui constituent une nouveauté par rapport aux lois d'adaptation concernant les deux tribunaux pénaux internationaux, puisque ces derniers n'ont pas, contrairement à la Cour pénale internationale, compétence pour les indemniser.
J'insiste sur cette question : le statut de la Cour pénale internationale constitue une avancée majeure sur ce point. La victime va pouvoir non seulement être associée au procès, mais également solliciter une indemnisation auprès de la Cour.
Cette conquête est le résultat d'une bataille constante menée par la France, tout au long des négociations, pour faire reconnaître la victime comme une partie au procès, et une partie disposant de droits. Ainsi, la victime n'est plus seulement victime, voire témoin : elle devient un acteur à part entière du procès.
La proposition de loi relative à la coopération avec la Cour pénale internationale qui vous est présentée permettra d'exécuter les décisions rendues en matière de réparation en faveur de ces personnes.
Après un article 1er, introductif, qui fixe le champ d'application de la loi, le texte de la proposition de loi s'articule en deux grandes parties : un premier titre est consacré à la coopération judiciaire ; un second titre traite de l'exécution des peines et des mesures de réparation prononcées par la Cour pénale internationale.
Ce faisant, l'ensemble des engagements pris par la France à l'égard de la Cour en matière de coopération pourront être tenus.
La ratification du statut a constitué une première étape. Il convient à présent de donner à la Cour les moyens de son action et de son efficacité.
La proposition de loi qui vous est présentée aujourd'hui par M. Robert Badinter, que je tiens à remercier une nouvelle fois d'avoir bien voulu porter ce texte avec toute sa conviction et son savoir-faire, est le premier pas fondateur de notre participation à la mise en oeuvre effective de la Cour pénale internationale, qui pourra compter avec la coopération de la France.
Je tiens à associer à ces remerciements M. le président et M. le rapporteur de la commission des lois qui ont bien voulu examiner ce texte et permettre ainsi son inscription à l'ordre du jour du Sénat. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c'est assurément un jour très important pour tous ceux qui ont foi dans la justice pénale internationale, car nous allons enfin pouvoir lutter avec plus d'efficacité contre l'impunité des auteurs de crimes contre l'humanité. Je dis cela non à propos de la proposition de loi qui nous est soumise mais parce que le hasard du calendrier fait que s'ouvre aujourd'hui à La Haye le procès de Slobodan Milosevic, premier chef d'Etat dans l'histoire à répondre devant une justice pénale internationale de l'accusation de génocide, de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre.
Voilà dix ans - permettez à un militant de cette cause de le rappeler - cette perspective, lorsqu'elle était évoquée, était toujours accueillie avec un scepticisme poli.
Mais l'imprescriptibilité, la volonté que justice soit rendue, le caractère et la fermeté des magistrats du tribunal pénal international de l'ex-Yougoslavie, présidé, je le rappelle, par un magistrat français, M. Claude Jorda, ont fait qu'aujourd'hui l'un de ceux qui symbolisent ainsi la lutte contre l'impunité des auteurs de crimes contre l'humanité aura à répondre, dans le plus absolu respect des exigences d'un procès équitable, des accusations qui pèsent sur lui. Il s'agit d'un pas essentiel dans cette lutte.
S'agissant de la présente proposition de loi, j'exprimerai d'abord, comme vous l'avez fait, madame la ministre, toute ma reconnaissance à l'égard de notre excellent rapporteur, M. Patrice Gélard, qui s'est attaché à l'examen de cette proposition de loi, ainsi qu'au président de la commission, qui a veillé à nous permettre, dans toute la mesure possible, de surmonter la difficulté extraordinaire d'un calendrier parlementaire extrêmement chargé en cette fin de législature. Permettez-moi à mon tour, madame la ministre - mais n'y voyez aucune analogie avec les opéras chinois où les applaudissements émanent successivement de la scène et du public (sourires) - de vous exprimer ma reconnaissance pour la conviction et la fermeté avec lesquelles vous avez soutenu l'évolution de cette proposition de loi, remerciements auxquels j'associe d'ailleurs certains des spécialistes de la Chancellerie.
Depuis le vote, à Rome, du traité portant statut de la Cour pénale internationale, les autorités françaises, qu'il s'agisse du Président de la République, du Premier ministre ou de votre prédécesseur, Mme Guigou, ont toujours oeuvré avec fermeté et conviction pour que la France participe, à son rang, à la mise en oeuvre de la Cour pénale internationale.
Nous sommes aujourd'hui à la veille de cette mise en oeuvre. C'est la raison pour laquelle la proposition de loi qui vous est soumise se présente sous un aspect extrêmement technique. Il est en effet des moments où il faut mesurer les impératifs et, sans renoncer à aucun des objectifs, aller vers ce qui est indispensable sans espérer atteindre la perfection du premier coup.
Or, c'était indispensable, pour nous, après le vote largement majoritaire mais difficile du traité portant statut de la Cour pénale internationale - 120 Etats mais des opposants de poids, tels les Etats-Unis, la Chine, l'Inde, pour ne parler que des principaux ! -, de satisfaire à l'exigence de la ratification par 60 Etats.
Je peux vous assurer, au nom de ceux qui ont milité pour cette cause tout au long de ces années, que cela n'a pas été facile du tout !
Mais peu à peu, notamment grâce à l'Union européenne, le cercle des ratifications s'est élargi ; et depuis l'automne, le mouvement s'est accéléré de façon très révélatrice, au regard des inquiétudes nées des attentats du 11 septembre et du sentiment qu'une juridiction pénale internationale était nécessaire pour juger de tels actes ; or ce pourrait être la Cour pénale internationale, car les attentats de ce type peuvent relever de l'article 7 du traité, signé à Rome, portant statut de la Cour pénale internationale.
C'est ainsi que nous avons vu les ratifications se succéder. Nous en sommes - vous l'avez rappelé, madame la ministre - à 52, les deux dernières ratifications étant intervenues très récemment. Selon les informations dont nous disposons, nous pouvons légitimement espérer atteindre le seuil des 60 ratifications à la fin du printemps.
Dès l'automne, lorsque nous avons eu l'occasion d'en parler, madame la ministre, cette évolution se dessinait déjà. Mais l'évidente accélération commandait, de la part du Gouvernement et du Parlement, la prise en compte d'une nécessité première : la ratification obtenue, il fallait que la France fût prête à jouer son rôle immédiatement. S'agissant de la nécessaire coopération judiciaire, il fallait mesurer ce qui était indispensable. Or, ce qui était indispensable, c'était évidemment l'ajustement des dispositions du code de procédure pénale pour permettre la pleine, entière et efficace coopération avec la Cour pénale internationale afin que le système conçu par le traité signé à Rome puisse fonctionner comme il convenait.
Le calendrier a ses exigences, et nous savions dès l'automne, à regarder le programme, qu'il nous serait impossible de faire adopter avant la fin de la législature un projet prenant en compte les dispositions indispensables pour que puisse fonctionner la justice française dans le cadre du traité, signé à Rome, portant statut de la Cour pénale internationale, et inscrivant également dans notre droit ce qui fait défaut, c'est-à-dire les définitions de droit interne concernant les crimes de guerre.
C'était évident pour quiconque connaît le fonctionnement du Parlement, ainsi que les priorités gouvernementales, tout à fait respectables d'ailleurs. La discussion aurait été renvoyée à une date ultérieure. En effet, l'expérience politique enseigne qu'en début de législature toute majorité a à coeur de faire examiner les textes qui traduisent immédiatement la volonté des vainqueurs des élections présidentielle et législatives. Aussi, ne nous trompons pas, un an au moins se serait écoulé avant que l'on puisse aboutir et, pendant ce temps-là, la Cour serait née, le traité de Rome serait entré en vigueur et nous n'aurions pas été à même d'y tenir notre rôle.
Cela n'eût pas été concevable compte tenu de la situation inquiétante qui prévaut, s'agissant de la justice pénale internationale à l'égard des crimes contre l'humanité.
En effet, à la faveur d'événements particuliers qui ont à juste titre mobilisé les opinions publiques, sur décision du Conseil de sécurité s'appuyant sur le chapitre VII de la charte des Nations unies, ont été créés deux tribunaux pénaux internationaux spéciaux, consacrés l'un aux crimes perpétrés dans le cadre de l'ex-Yougoslavie, l'autre afférente à ce que l'on a appelé le terrible génocide du Rwanda. Or ces tribunaux ad hoc ne valent que dans la limite de leurs compétences définies.
Il est malheureusement plus que probable que la création de nouvelles juridictions pénales internationales par décision du Conseil de sécurité se heurterait à des difficultés insurmontables. Pourquoi ?
Il faut rappeler que siègent au Conseil de sécurité des Nations unies de grandes puissances dont la position à l'égard de la justice pénale internationale n'est pas la même que la nôtre ni que celle des Etats membres de l'Union européenne ou celle d'autres Etats. Autrement dit, les Etats-Unis, la Chine et la Russie, cette dernière pour des raisons qui tiennent à la guerre de Tchétchénie, ne sont évidemment pas, au premier chef, enclins à favoriser la création successive de juridictions pénales internationales.
Or je rappelle que la Cour pénale internationale ne pourra connaître que des crimes commis après son entrée en vigueur, en vertu de la règle de non-rétroactivité.
Dès lors, aussi longtemps que la Cour pénale internationale ne sera pas en vigueur, compte tenu des réticences, pour ne pas dire plus, manifestées par les puissances que j'ai évoquées quant à la création de juridictions concernant tel ou tel crime contre l'humanité, nous serons dans une sorte de vide juridique tel que les criminels contre l'humanité verront à proprement parler un boulevard ouvert devant eux.
Et pourtant, après le terrible génocide du peuple cambodgien par les Khmers ou les événements récents survenus en Indonésie, la conscience internationale ne peut qu'appeler de ses voeux la mise en oeuvre de juridictions pénales !
Je m'arrête un instant sur la question du Cambodge, d'où je reviens.
A quoi venons nous d'assister ? Voilà quarante-huit heures, le secrétaire général des Nations unies et le secrétaire général adjoint pour les questions juridiques, M. Hans Corell, ont fait savoir que, compte tenu des réticences qu'ils rencontraient au Cambodge, l'ONU ne participerait pas à l'élaboration d'un tribunal mixte chargé de juger les Khmers rouges, pour des crimes qui sont pourtant parmi les plus atroces que le xxe siècle ait connu.
Devant de telles défaillances de la justice, quelles que soient les considérations politiques exposées, les exigences de pacification dans le Cambodge aujourd'hui libéré, il est d'une urgence absolue de mettre en oeuvre la Cour pénale internationale, dans laquelle notre pays doit tenir toute sa place.
Nous avons espéré un instant que nous serions le premier Etat européen à y participer. En effet, ni le Parlement ni le Gouvernement n'ont ménagé leurs efforts. Ainsi sont intervenues, d'abord la révision constitutionnelle, sur l'initiative du Président de la République, puis la ratification dans les meilleurs délais. Restait la réforme nécessaire de certaines de nos dispositions de procédures pénales. C'est l'objet du texte que nous examinons aujourd'hui.
J'ai dit pourquoi il était indispensable que ce texte soit voté dans les meilleurs délais. Cela nous a conduit, non pas à renoncer - qui renoncerait dans ce domaine ? - mais à différer, comme vous l'avez fait remarquer, Mme la garde des sceaux, l'élaboration des dispositions de droit pénal interne qui sont nécessaires pour la pleine mise en oeuvre de la Cour pénale internationale.
Il en est une que nous avons considérée, M. Gélard et moi, comme particulièrement nécessaire d'apporter. Il s'agit de l'élargissement de l'incrimination des crimes contre l'humanité aux viols collectifs organisés et poursuivis dans une fin qui rappelle les pires heures de l'histoire européenne.
Pourquoi cela ne figurait-il pas dans notre droit interne ? Pour une raison aisée à comprendre. J'ai présidé, en son temps, la commission, de révision du code pénal et, lorsque nous avons travaillé sur la notion de crime contre l'humanité, nous n'avions pas encore pris toute la mesure de la réalité des viols collectifs systématiquement organisés dans une perspective atroce de purification ethnique. C'est la tragédie qui est advenue dans l'ex-Yougoslavie, au cours des guerres successives survenues en Croatie, en Bosnie, au Kosovo, qui a fait prendre conscience de cette nouvelle forme de crime contre l'humanité.
Restait la question très importante des crimes de guerre. Nous savons que nos dispositions de droit interne en la matière ne sont pas satisfaisantes, qu'elles sont loin de répondre aux exigences du siècle qui s'ouvre.
Vous avez dit justement, madame la ministre, que nous n'avions pas fait autre chose que de considérer les priorités sans renoncer à l'élaboration du texte. Pour ce qui me concerne, je déposerai, à l'automne prochain, après m'en être entretenu comme il convient avec les services de la chancellerie, le garde des sceaux et nos collègues les plus intéressés, une proposition de loi qui, bien entendu, sera élaborée avec les ONG, auxquelles nous devons tant dans cette difficile entreprise.
Pour l'immédiat, qu'il me soit permis de dire que j'attends des autorités françaises qu'elles aillent plus loin.
Vous avez évoqué, cher ami Gélard, la question de l'article 124. Il est vrai que c'est à l'initiative de la France que cette option a été introduite. Il est non moins vrai que, au-delà, fort heureusement, nos plénipotentiaires ont tenu dans les négociations de Rome une place considérable et qu'une part du succès de ces dernières leur revient.
Il n'en demeure pas moins - et cela a été le sentiment de tous les groupes parlementaires lors de la révision de la Constitution et de la ratification du traité - qu'adopter une réserve pendant sept ans, aux termes de laquelle, en France, les crimes de guerre ne relèveront pas de la juridiction pénale internationale ne nous met pas dans une bonne position ; je ne cesserai jamais de le dire. Cette clause met en cause, d'une certaine manière, aux yeux de bien des Etats, notre volonté, qui est pourtant si forte, de faire progresser la justice pénale internationale, y compris en matière de crimes de guerre.
En outre, il me semble qu'elle risque de faire naître une sorte de soupçon sur nos forces armées, qui assurent dans des conditions très difficiles les opérations de maintien de la paix, que ce soit en Afghanistan ou au Kosovo. On pourrait y voir la conséquence d'une sorte de prédisposition à la commission de tels crimes de la part de nos militaires, alors qu'il n'en est rien ?
Je crois donc qu'il est de l'intérêt non seulement de la France en général mais de nos forces armées et de toutes ses composantes en particulier que soient levées dans un très proche avenir les réserves de l'article 124. Cela résoudrait d'ailleurs pour l'essentiel, en termes de technique juridique, le problème de la poursuite des crimes de guerre et des incriminations à cet égard contenues dans le traité de Rome. La question serait, pour une très grande part, sinon en totalité, réglée.
A ce propos, je pense qu'il ne serait pas inutile, qu'il serait même très souhaitable que, au cours de la campagne présidentielle qui va s'ouvrir, on pose publiquement à chacun des candidats à la présidence de la République la question suivante : ne considérez-vous pas qu'il serait de l'intérêt de la France de lever sans délai les réserves de l'article 124 ? Je crois que l'on prendrait ainsi conscience de l'impossibilité de les conserver.
Telles sont les réflexions que je souhaitais formuler devant notre assemblée. Une nouvelle fois, je remercie chacun d'avoir compris l'importance qu'il y avait pour nous d'être présents dans cette grande cause. Pour ma part - je n'hésite pas à le dire - je la considère comme aussi importante que l'abolition universelle de la peine de mort. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, après l'intervention de notre collègue Robert Badinter, je présenterai en quelques mots la position du groupe communiste républicain et citoyen.
Notre groupe votera les conclusions de la commission des lois relatives à la Cour pénale internationale.
Nous soutenons, en effet, l'instauration rapide de cette juridiction internationale après la ratification, par plus de soixante pays, du traité de Rome, signé le 17 juin 1998, qui instituait ladite Cour.
Le droit avance, chers collègues, mais conservons à l'esprit que sept pays qui représentent la moitié de la population mondiale, dont la Chine, les Etats-Unis, la Russie, l'Inde ou Israël, comme vient de le rappeler Robert Badinter, ont refusé de signer le texte.
Considérant les blocages auxquels nous sommes confrontés, je tiens à faire deux remarques principales sur la nature et sur le contexte de la mise en place de cette institution.
Le contexte dans lequel nous nous trouvons est celui d'une mise en cause progressive du droit international, par le terrorisme, bien sûr, mais aussi par l'unilatéralisme des Etats-Unis. Nous pouvons donc nous demander si le droit international existe toujours.
L'opération menée en Afghanistan, si compréhensible soit-elle, ne pose-t-elle pas de graves questions sur ce point ? La capture, le déplacement et les conditions de détention des prisonniers lors de ce conflit ne suscitent-ils pas des interrogations sur le respect minimum des conventions internationales ?
N'est-il pas paradoxal, à l'heure où la Cour pénale internationale s'établit, que les Etats-Unis, puissance mondiale dominante, affiche une fin de non-recevoir à sa compétence ?
Comment ne pas rappeler que le Sénat américain votait, dès le mois de décembre 2001, un projet de loi interdisant aux Etats-Unis de coopérer avec la future Cour pénale internationale ? Peut-on accepter que la première puissance mondiale se déclare ainsi au-dessus du droit ?
Plus généralement se pose la question de la viabilité d'une juridiction internationale en dehors d'une régulation internationale sur le plan institutionnel.
En un mot, la restauration du rôle des Nations unies pour plus de démocratie et pour une plus grande efficacité en vue de rétablir et de consolider la paix, conformément à sa charte, n'est-elle pas indispensable au bon fonctionnement impartial de cette future cour, qui aura, n'en doutons pas, une valeur dissuasive ?
Ma seconde remarque concerne l'inquiétude des organisations non gouvernementales sur le contenu et le champ de la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui.
M. le rapporteur a indiqué que la commission des lois comprenait et approuvait leurs critiques mais que, par souci d'efficacité, la session parlementaire s'interrompant dans une semaine, il fallait aller vite, au risque de l'imperfection, pour que notre pays ne retarde pas l'installation de la Cour. Cinquante-deux pays ayant déjà ratifié le traité de Rome signé en 2000, il est possible, en effet, d'atteindre le nombre de soixante pays d'ici au mois de juillet.
Cette explication fondée sur le calendrier n'est pourtant pas totalement satisfaisante.
En effet, ces ONG constatent, comme nous, que certaines grandes puissances, à des degrés divers, ne souhaitent pas que les crimes de guerre qui peuvent être perpétrés à l'occasion de leurs actions militaires extérieures soient jugés par une juridiction internationale ; ces pays cherchent donc à exclure ces crimes du champ de compétence de la Cour pénale internationale. C'est sur ce problème que les ONG en question attendent une réponse.
Enfin, comme mon collègue Robert Badinter, je regrette, madame la ministre, que la France maintienne sa demande d'une réserve de sept ans quant à l'implication de ses forces militaires à l'étranger.
Nous avions déjà, par le passé, noté cette tentative de la France d'échapper à certaines de ses responsabilités. Nous sommes désolés de devoir la noter à nouveau aujourd'hui. Comme le disait Robert Badinter, il y va de l'intérêt de la France de lever cette réserve.
Sous le bénéfice de ces observations, nous voterons les conclusions de la commission des lois afin de permettre à la justice internationale de progresser de manière significative. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées socialistes. - MM. Lesbros et About applaudissent également.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.

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