SEANCE DU 19 février 2002


PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN

vice-président

M. le président. La parole est à M. Badinter.

M. Robert Badinter. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je serai d'une brièveté exemplaire : tout a été dit. Si nous étions en d'autres temps et en d'autres lieux, à la mode des conventionnels, je réclamerais l'impression du discours !

MM. Jean Chérioux et Gérard Braun. Très bien !

M. Michel Charasse. Et l'affichage !

M. Robert Badinter. Il y a certes déjà le rapport écrit ; mais cela ne vaut pas le discours, la parole, la flamme, et ce que vous avez dit, monsieur le rapporteur, correspond très exactement, hélas ! à la situation que nous connaissons.

Je vois devant moi des universitaires : au banc des ministres, le professeur Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la recherche, sans lequel, je crois, nous n'aurions pas pu aujourd'hui arriver à discuter de ce texte, cette remarque valant également pour M. le ministre des relations avec le Parlement ; au banc des commissaires, celui sans lequel rien n'aurait été possible, je veux dire le professeur Antoine Lyon-Caen, père de la fondation. Pour ma part, je ne revendiquerai que le rôle modeste de grand-père. (Sourires.) En effet, voilà six ans très exactement, je présentais ce projet à M. Bayrou. M. Lyon-Caen et moi-même l'avons ensuite soumis à tous les gouvernements successifs, recueillant toujours l'approbation et l'encouragement, mais sans jamais déboucher sur un résultat concret.

De la nécessité de cette fondation, tout le monde est convaincu, sauf évidemment - sinon, l'Université ne serait pas ce qu'elle est ! - quelques-uns de nos collègues.

De l'urgence à mener cette réforme, chacun était également persuadé. Mais progresser n'est pas facile. C'est en effet grâce à ceux qui sont ici présents, et à quelques autres, que nous débouchons enfin sur la création de la fondation, qui est une nécessité absolue.

Dans son intervention, le doyen Gélard a eu des accents - je suis forcé de le dire - de requiem. (Sourires.) J'ai eu l'impression d'entendre un discours sur la tombe du grand droit comparé français, qui a connu quelques-uns de nos plus grands maîtres. Il a bien fait d'évoquer ne serait-ce que René David et André Tunc, qui ont tant illustré la matière, et de faire le triste constat de la diminution constante du nombre des enseignants et des enseignés, ainsi que du nombre des publications, indice le plus important qui soit dans ce domaine-là.

La vérité est que, comme vous l'avez dit, monsieur le rapporteur, face à un mouvement international qui, lui, alignait de puissantes institutions, des portes-avions, nous étions, avec nos vedettes rapides, nos avisos, incapables de lutter. Ainsi, nous ne pouvions faire face au Max-Planck-Institute, à ce qui se fait en Grande-Bretagne et à Lausanne, sans parler des Etats-Unis ! L'enjeu est donc considérable, et vous avez très bien fait de le rappeler avec autant de fermeté, monsieur le rapporteur.

On croit que les échanges internationaux aboutissent à négocier, à céder, à vendre des marchandises, des services. Erreur ! Ce sont des droits, toujours des droits, qui font l'objet de conventions. Cela veut dire en clair que celui qui tient le marché du droit tient pour l'avenir la dimension internationale des échanges.

Les Etats-Unis l'ont compris depuis longtemps - leurs investissements dans ce domaine, comme dans d'autres, sont immenses - alors que, pour notre part, nous continuions à travailler avec une dilection de l'art pour l'art juridique, qui a sa noblesse, mais qui a ses limites.

Il fallait donc réagir, c'était plus qu'urgent. Après de nombreuses difficultés, nous parvenons au port dans le cadre de cette fondation dont je ne veux pas rappeler ici l'économie - elle été largement exposée - et nous voyons enfin naître un instrument qui nous permettra de rassembler à la fois les grandes institutions de l'Etat, les forces universitaires et, je le pense, des concours privés qui sont absolument nécessaires.

C'est seulement grâce à un tel instrument que nous pouvons espérer relever un défi dont je ne suis pas sûr que tous nos concitoyens aient mesuré l'ampleur.

Je ne dirai pas que le droit comparé, l'enseignement et la recherche dans ce domaine sont la panacée pour résoudre toutes les difficultés que nous sommes amenés à rencontrer sur le marché international du droit. Mais ce dont je suis convaincu, comme chacun de nous dans cette enceinte, c'est que, en l'absence d'une telle unification au sein de la fondation qui aura vocation à servir chacune des entités qui y participeront, le droit comparé français continuera à coup sûr son déclin. Nous ne serons alors plus que les consultants des sites des grandes universités américaines et du Congrès ! C'est vers eux que l'on devra dorénavant se tourner pour trouver en France des ressources du droit comparé.

Il n'est pas possible d'accepter cela ! C'est la raison pour laquelle il convient maintenant de créer enfin cette fondation. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)

M. le président. La parole est à M. Bret.

M. Robert Bret. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, en toile de fond de cette discussion relative à la création d'une fondation pour les études comparatives, nous assistons à une lutte culturelle entre différentes conceptions du droit, aux conséquences considérables sur le plan économique et social.

Comme l'indique avec raison le rapporteur de la commission des lois, notre collègue Patrice Gélard, c'est bien la question de la place de la France dans le monde qui est sous-jacente à ce débat d'apparence strictement juridique.

Comment ne pas voir, en effet, que le droit est devenu un marché international et qu'il occupe une place incontournable dans l'élaboration et la réussite de la construction commerciale de grande ampleur ?

C'est donc dans ce contexte que la nécessité d'un essor du droit comparé est justement constatée et exigée.

Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen sont, bien entendu, pleinement favorables à tout ce qui peut permettre à notre pays de tenir sa place dans le monde face au droit anglo-saxon qui étend son hégémonie au niveau de la planète. Nous y sommes pleinement favorables afin de permettre, en termes de dimension économique, la création d'emplois, le développement de la coopération et la transmission de valeurs qui font la spécificité de la France.

Comme nous l'avons indiqué à plusieurs reprises - nous ne sommes d'ailleurs pas les seuls - l'établissement d'une pensée unique, la domination d'un pôle unilatéral nous apparaît contraire au progrès de l'humanité, à son épanouissement, qui trouve et trouvera sa force dans la diversité, et ce dans tous les domaines, y compris juridique.

Comme je l'ai indiqué en commission lors de l'examen du rapport sur cette proposition de loi, notre accord pour l'approfondissement de la recherche dans le domaine du droit comparé n'occulte pas un certain nombre d'interrogations sur la place de cette future fondation dans l'architecture universitaire actuelle. A ces interrogations, je souhaite qu'il soit pleinement répondu.

Si cette fondation n'a pas vocation à se substituer aux structures existantes - je vous ai entendu le dire, monsieur le ministre -...

M. Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la recherche. Tout à fait !

M. Robert Bret. ... pourquoi ne pas utiliser et développer celles qui existent déjà dans un cadre public bien établi ?

Comme vous l'avez rappelé, monsieur le rapporteur, un groupement de recherche en droit comparé, créé sur l'initiative du CNRS, existe déjà. A-t-on analysé les possibilités ouvertes par cet organisme ?

Un fonds documentaire en droit comparé existe à la bibliothèque Cujas, à Paris. Ne peut-on envisager son développement dans le cadre universitaire qui est le sien ?

Sur la place de la coopération internationale, qui constitue l'un des principaux objectifs du projet dont nous traitons, a-t-on examiné de manière approfondie les potentialités offertes par l'Agence de coopération juridique internationale, ACOJURIS, créée depuis trois ans, sous l'impulsion du ministère de la justice, à laquelle participent le ministère des affaires étrangères, les universités Paris-I et Paris-II, les professions juridiques, l'Assemblée nationale et le Sénat ? Je rappelle que ACOJURIS est présidée par le premier président de la Cour d'appel de Paris.

Enfin, sur le plan de la formation, l'un des objectifs affichés de la fondation, ACOJURIS assure déjà la formation des juristes étrangers. Et, si je ne m'abuse, contrairement au tableau brossé par M. le rapporteur, la formation des juristes français est correctement assumée par les universités françaises.

Au regard de ces quelques remarques, je souhaite que M. le rapporteur et M. le ministre puissent nous assurer que la concertation a été pleinement menée avec l'ensemble des organismes que je viens d'énumérer.

En tout état de cause, je m'interroge sur la question du financement de cette fondation.

Plusieurs milliers d'euros seront nécessairement engagés. Certes, M. le rapporteur a évoqué la possibilité d'obtenir des crédits européens. Mais quelle sera la part du financement public ? Et, s'il est important, ne sera-t-il pas imputé sur le budget de l'enseignement supérieur ou de la recherche ? Il me faudra donc des précisions sur ce point de la part de M. le ministre ou de M. le rapporteur avant de pouvoir voter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. Charasse.

M. Michel Charasse. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur le fond de la proposition de loi, qui a été excellemment décrit non seulement par M. le rapporteur mais également par mon collègue et ami Robert Badinter, dont je sais que, avec d'autres - mais sans doute, sur certains points, plus que d'autres -, il s'est beaucoup battu pendant des années pour parvenir à ce résultat dont, me semble-t-il, tout le monde se félicite.

Je ne reviendrai pas non plus sur la nécessité de cette fondation.

Je voudrais simplement aborder un problème qui n'est pas du tout traité clairement par le texte, mais qui l'est plus dans les travaux préparatoires : d'abord, au stade de l'Assemblée nationale - c'était plutôt inquiétant ! - et, ensuite, au stade du Sénat, en tout cas, dans l'instant où nous nous trouvons, et je remercie le doyen Patrice Gélard d'avoir bien voulu apporter des précisions utiles à cet égard.

Si j'ai bien compris, il résulte des travaux de l'Assemblée nationale que ce sont les assemblées parlementaires qui devraient supporter une bonne partie de la dotation de départ de la fondation...

M. Yves Fréville. Eh oui ! Et ce n'est pas leur rôle !

M. Michel Charasse. ... et couvrir une bonne part des frais annuels de fonctionnement. Je ne sais plus si c'est dans le rapport de la commission de l'Assemblée nationale ou dans le rapport de M. Gélard qu'est mentionné le fait que l'Assemblée nationale se serait engagée, au motif qu'une fondation doit avoir une dotation en capital, pour une somme de 3 millions de francs, soit un peu plus de 450 000 euros.

Or il me semble nécessaire, en l'occurrence, de lever toute ambiguïté.

Les assemblées parlementaires, et j'en suis navré, n'ont pas le droit de disposer librement et sans limite des fonds de l'Etat...

M. Yves Fréville. Tout à fait !

M. Michel Charasse. ... ni d'exiger l'inscription en loi de finances de crédits destinés à financer d'autres dépenses que celles qui sont directement ou incontestablement liées au fonctionnement de chacune d'elles, c'est-à-dire au financement des charges qui découlent de la Constitution, de l'ordonnance du 17 novembre 1958 sur le fonctionnement des assemblées parlementaires - elle n'est pas de nature organique mais le Conseil constitutionnel a affirmé qu'elle était plus qu'une loi ordinaire puisqu'elle mettait en oeuvre des principes importants relatifs au fonctionnement du Parlement - mais aussi des règlements et des lois particulières qui ont institué des organismes interparlementaires, comme la chaîne de télévision, des offices ou des délégations. Mais tous ces organismes, je le souligne, dépendent entièrement des deux assemblées ou de chacune d'entre elles.

En outre, mes chers collègues, aucune loi ne saurait imposer aux assemblées d'inscrire d'autres crédits que ceux qui sont nécessaires à leur fonctionnement, ne serait-ce que parce que l'autonomie financière des assemblées est une des garanties de la séparation des pouvoirs. Le Conseil constitutionnel l'a confirmé, le 27 décembre dernier, à propos de l'article 115 de la loi de finances de 2002, en indiquant que ces dispositions ne sauraient être interprétées comme faisant obstacle « à la règle selon laquelle les pouvoirs publics constitutionnels déterminent eux-mêmes les crédits nécessaires à leur fonctionnement, car cette règle est en effet inhérente au principe de leur autonomie financière, qui garantit la séparation des pouvoirs ».

De même, mes chers collègues, la loi organique relative aux lois de finances, que nous avons entièrement refondue et qui a été promulguée le 1er août 2001, ne saurait admettre que les dotations des assemblées, inscrites dans la loi de finances sans discussion, sur simple demande des trois questeurs de chacune des deux chambres, sous la présidence d'un président de chambre de la Cour des comptes et qui échappent donc à toute compétence et à toute appréciation du pouvoir exécutif, du Gouvernement, soient utilisées pour servir de refuge à des dépenses n'ayant pas de lien organique direct avec le fonctionnement des assemblées elles-mêmes.

Mes chers collègues, je rappelle que l'appel aux dotations des assemblées pour le financement public des partis politiques a été repoussé lorsque la question s'est posée.

S'agissant du financement des fondations politiques, qui a fait l'objet d'un rapport de notre collègue Oudin, je rappelle que j'avais moi-même créé un précédent, puisque, en 1990, la fondation Charles-de-Gaulle étant dans une situation extrêmement difficile, j'avais reçu ordre du Président de la République François Mitterrand et du Premier ministre Michel Rochard d'inscrire, au budget de l'Etat, une dotation exceptionnelle de 50 millions de francs pour cette fondation politique, somme qui, depuis lors, est toujours inscrite pour toutes les fondations qui sont agréées au budget des services généraux du Premier ministre.

J'ai donc voulu, mes chers collègues, en déposant les amendements n°s 1 et 2 sur les articles 4 et 5, appeler l'attention sur ce point, car il me paraît nécessaire de tenir compte clairement des travaux préparatoires de la proposition de loi, surtout de ceux de l'Assemblée nationale, et d'éviter toute ambiguïté, toute illusion et toute fausse promesse.

La nouvelle fondation n'étant pas à 100 % parlementaire - si elle l'était, la question serait tout à fait différente, mais je ne pense pas que cela soit souhaitable parce qu'il faut qu'elle soit étendue à toutes celles et à tous ceux qui ont vocation à y participer et qui y siégeront -, la nouvelle fondation, disais-je, n'étant pas à 100 % parlementaire et ne pouvant pas l'être, ne pourra être ni dotée ni subventionnée chaque année par les dotations budgétaires des assemblées, sauf à méconnaître la loi organique du 1er août 2001 et l'ordonnance du 17 novembre 1958 sur les assemblées parlementaires et à accepter une sorte de tutelle de fait sur les budgets des assemblées contraire au principe de l'autonomie et de la séparation des pouvoirs.

A cet égard, je remercie M. Gélard d'avoir bien voulu être clair et d'avoir levé toute ambiguïté.

Je terminerai mon propos par quatre observations.

La première me permettra, en quelque sorte, de répondre à notre collègue et ami M. Bret : rien ne sera changé en ce qui concerne les charges budgétaires de l'Etat.

M. Patrice Gélard, rapporteur. Exactement !

M. Michel Charasse. En effet, que le crédit figure dans un budget ministériel ou dans la dotation des assemblées, ce sera toujours une charge pour l'Etat.

M. Patrice Gélard, rapporteur. Eh oui !

M. Michel Charasse. Seule la procédure diffère. Mais inscrire un crédit à un budget ministériel - mes collègues qui ont l'expérience du Gouvernement et qui sont un certain nombre dans cette assemblée, M. Badinter, notamment, le savent bien -, c'est accepter que le Premier ministre en fixe le montant après les arbitrages et les discussions interministérielles habituelles. En revanche, inscrire un crédit à la dotation des assemblées, c'est, sans tambour ni trompette, annoncer la somme et contraindre le Gouvernement à l'inscrire sans la discuter ni l'apprécier.

Deuxième observation : ce n'est pas parce que le Sénat et l'Assemblée nationale siègent de plein droit au conseil de la fondation que les assemblées doivent payer. Si les dotations des assemblées devaient être sollicitées chaque fois que les chambres sont représentées dans des organismes extérieurs, nos finances parlementaires exploseraient. Au demeurant, il s'agit, en l'occurrence, d'un outil très important au titre du contrôle parlementaire, dont le Parlement ne peut donc pas se désintéresser.

Troisième observation : les assemblées, certes, financent des organismes extérieurs, mais qui sont exclusivement parlementaires, y compris lorsqu'ils sont internationaux comme l'Union interparlementaire, les organismes de coopération entre parlements ou encore l'Association des parlementaires de langue française. Il n'y a, en tout cas, pas d'éléments étrangers au système parlementaire dans les organismes que nous finançons.

Enfin, mes chers collègues, quatrième observation : rien n'interdira aux assemblées de faire travailler la fondation en la rémunérant, comme nous le faisons souvent avec des bureaux d'études privés, type Andersen,...

M. Jean-Jacques Hyest. Il ne faut pas trop le citer en ce moment, celui-là !

M. Michel Charasse. ... Ernst Young ou autres !

Grâce au président Poncelet et à notre bureau, les crédits d'études mis à la disposition des commissions permanentes et spéciales du Sénat ont été considérablement augmentés en 2002, et nous ne pouvons plus parler de cette formidable future fondation sans souligner, mes chers collègues - si nous ne voulons pas être injustes - la tout aussi formidable capacité d'expertise que nous avons déjà dans les services du Sénat.

Monsieur le président, mes chers collègues, la nouvelle loi et la future fondation sont évidemment subordonnées, pour le dispositif comme pour le fonctionnement, aux textes de valeur supérieure consacrant le principe de séparation des pouvoirs et le principe de l'autonomie des assemblées, qui en est le corollaire : la Constitution, la loi organique sur les lois de finances, l'ordonnance du 17 novembre 1958 et nos propres règlements.

Dès lors, il n'y a peut-être plus lieu, surtout compte tenu de ce qu'a dit M. Gélard, de rappeler dans le texte une évidence, ce qui était l'objet de mes deux amendements n°s 1 et 2, pour lever toute ambiguïté. L'ambiguïté étant levée et ce que je viens d'indiquer correspondant plutôt, vous vous en doutez, au sentiment de ceux qui, dans cette assemblée, auront, dans quelques mois, la charge d'élaborer le budget du Sénat pour 2003, je ne pense pas qu'il soit utile de maintenir ces amendements. En conséquence, je les retire.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la recherche. Je demande la parole.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la recherche. Je souhaiterais répondre très brièvement aux différents orateurs, que j'ai écoutés avec beaucoup d'intérêt.

Monsieur le rapporteur, le Gouvernement français agit très activement au niveau européen pour bâtir l'espace européen de la recherche. Nous avons obtenu que le sixième PCRD, le programme cadre de recherche et développement, qui a été adopté par le conseil des ministres de la recherche le 10 décembre dernier à Bruxelles, fasse place enfin, pour la première fois, aux sciences humaines et sociales comme disciplines de plein exercice, et qu'elles ne soient pas considérées comme des disciplines d'appoint par rapport à des disciplines dites de « sciences dures ».

S'agissant du rayonnement de la France à l'extérieur, il faut mentionner le nombre très important d'étudiants étrangers parmi ceux qui soutiennent des thèses de doctorat : environ 20 % des thèses sont soutenues par des étudiants étrangers en France.

J'ai écouté également avec le plus grand intérêt l'intervention de Robert Badinter, qui, je le sais, s'est beaucoup intéressé à cette question. Je voudrais lui redire, ainsi qu'à M. Bret, que la fondation ne vise pas à se substituer aux structures existantes ; elle vise plutôt à les renforcer, à leur apporter des moyens complémentaires, à les faire participer à ses organes dirigeants. Comme l'a dit Patrice Gélard, il est tout à fait concevable que la participation des universitaires soit encore renforcée au sein des organes de direction de cette fondation.

Enfin, je dirai à mon tour à Michel Charasse que je partage tout à fait son interprétation de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et de la loi organique du 1er août 2001.

En effet, seul le Bureau du Sénat, sur proposition des questeurs, peut décider d'engager le Sénat dans telle ou telle action.

MM. Michel Charasse et Yves Fréville. Non, il n'a pas le droit !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la recherche. Messieurs, mon discours serait vain si j'essayais d'empiéter de quelque manière que ce soit sur l'autonomie financière de la Haute Assemblée ou sur celle de l'Assemblée nationale.

Il serait contraire à la séparation des pouvoirs que je dise ici ce que, à mon sens, l'autonomie financière et administrative du Sénat signifie.

Je laisse au Sénat, lui-même, le soin de l'interpréter.

M. Michel Charasse. L'Assemblée nationale est dans la même situation !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la recherche. Certes, et en tant que simple membre du Gouvernement, je laisse à l'Assemblée nationale le soin d'interpréter ce qu'elle entend par autonomie administrative et financière.

M. Michel Charasse. Non ! Non ! Elle n'en a pas le droit non plus.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la recherche. Je ferai simplement observer que, au cas où le Sénat considérerait que son autonomie administrative et financière peut l'inciter à soutenir éventuellement telle ou telle action, par exemple en passant des commandes d'étude...

MM. Michel Charasse et Jean-Jacques Hyest. Ah là, c'est autre chose !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la recherche. Je le sais bien ! Et là, je m'aligne sur le raisonnement suivi par M. Charasse...

M. Jean-Jacques Hyest. Raisonnement impeccable !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la recherche. ... auquel j'adhère.

Au cas où le Sénat souhaiterait donc commander telle ou telle étude ou telle ou telle recherche à cet organisme, il aurait sans doute liberté de le faire. Certes, l'expression « les crédits relatifs au fonctionnement des assemblées » appelle une interprétation de ce que l'on entend par « fonctionnement des assemblées ». Est-ce simplement le fonctionnement matériel ? Je ne le pense pas. Le fonctionnement des assemblées comprend, de manière générale, tout ce qui fait partie des activités des assemblées, à commencer par l'exercice des fonctions qui sont les leurs, dont la fonction législative.

La fonction législative peut parfois avoir intérêt à s'exercer en se fondant sur une connaissance plus précise, sur tel ou tel point, du droit comparé. Il ne serait donc pas totalement étranger à la notion de fonctionnement des assemblées que des études puissent être commandées à cette institution.

Je suis donc tout à fait d'accord, comme toujours d'ailleurs, avec Michel Charasse (Sourires.) C'est un simple constat. Mon jugement se fonde sur l'observation statistique des faits : je suis une fois de plus en accord avec Michel Charasse. (Nouveaux sourires.)

Monsieur le président, telles sont les précisions que je souhaitais apporter.

M. Patrice Gélard, rapporteur. Je demande la parole

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Patrice Gélard, rapporteur. Je voudrais dire brièvement à Michel Charasse que je suis en parfaite harmonie avec lui.

J'ajouterai simplement qu'il faudra bien doter cette fondation, et que ce sera au budget de l'Etat de le faire.

J'ai oublié de dire tout à l'heure qu'il serait souhaitable que, parmi les membres du Sénat siégeant au sein du conseil de surveillance, il n'y ait pas seulement des parlementaires, qu'il y ait aussi des représentants de l'administration : compte tenu des recherches qui sont menées au Sénat, il serait utile, me semble-t-il, que, sur une délégation de quatre personnes, il y ait trois sénateurs et un fonctionnaire du Sénat.

Par ailleurs, si le Gouvernement venait à oublier, lors du vote du budget, d'inscrire la dotation de la fondation, il nous serait parfaitement possible de lui rappeler la nécessité de cette inscription.

M. Michel Charasse. Dans la réserve parlementaire, par exemple !

M. Patrice Gélard, rapporteur. Par exemple !

Je voudrais maintenant répondre à M. Bret.

La concertation a déjà eu lieu et elle a été menée, notamment, par M. Antoine Lyon-Caen : pour établir son rapport, il a, bien entendu, visité toutes les institutions qui travaillent sur le droit comparé.

Cela étant, c'est maintenant que le vrai travail de concertation va commencer : le conseil de surveillance et, surtout, le directoire vont devoir prendre leur bâton de pèlerin et aller à la rencontre de ces institutions pour examiner avec elles les modalités d'une collaboration avec la fondation. Toute une série de partenariats devront en effet s'établir, ne serait-ce que pour éviter les dispersions et unir les efforts.

Quant au fonds documentaire de la fondation, il se trouvera effectivement à la bibliothèque Cujas : autrement dit, le principal fonds documentaire existant et le fonds de la fondation ne feront qu'un. Il n'y a donc pas de crainte à avoir sur ce point précis.

J'ai déjà dit que la France ne tenait pas la place qui lui revient en matière d'expertise et d'assistance auprès des institutions étrangères. Trop peu de missions d'expertise et d'assistance sont confiées à des Français. Ce que fait ACOJURIS est bien, mais ce serait encore mieux s'il y avait quatre ou cinq ACOJURIS, car nous pourrions alors au moins concurrencer les grands cabinets internationaux, qu'ils soient anglais, américains ou allemands.

J'ajoute que, ACOJURIS étant une association de type loi de 1901, elle ne peut pas engager - la fondation, elle, le pourra, eu égard à la composition de son conseil de surveillance - la puissance publique française.

Lorsque la fondation sera créée, le dispositif sera double : ACOJURIS conservera tout ce qui concerne la formation des avocats polonais ou hongrois, des notaires russes, etc. ; la fondation, elle, devra viser plus haut, c'est-à-dire la formation de futurs chercheurs et universitaires étrangers de haut niveau. Bien sûr, des centres de formation existent déjà. Mais j'ai rappelé qu'en France seulement une faculté sur six offrait un cours semestriel de droit comparé : c'est bien peu !

M. Jean-Jacques Hyest. Qu'y changera la fondation ?

M. Patrice Gélard, rapporteur. Eh bien, grâce à la fondation, des professeurs associés étrangers pourront venir régulièrement en France et nous pourrons les adresser aux universités qui souhaiteront les accueillir.

J'y vois un autre avantage, en ce qui concerne les doubles thèses, c'est-à-dire des thèses que l'on soutient à la fois en France et dans une université étrangère. Pour l'instant, dans le domaine du droit, le nombre de doubles thèses n'est pas supérieur à une demi-douzaine. Or il faut aller beaucoup plus loin. Cela passe en particulier par la création de réseaux. Et l'on peut constituer un réseau en effectuant un séjour relativement long - au moins quelques mois - dans une université étrangère, en participant à des colloques internationaux.

Cela fait plus de trente ans que, pour ma part, j'ai un réseau de correspondants. Malheureusement, ils vieillissent, comme moi ; certains prennent leur retraite.

Cela me conduit d'ailleurs à souligner que la relève doit être assurée : il faut que la passion que le comparatiste René David a transmise à ses étudiants soit communiquée par la fondation aux jeunes générations, qui permettront ainsi au droit français d'être encore demain un droit de référence. (Applaudissements sur les travées du RPR de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RDSE, ainsi que sur les travées socialistes.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion des articles.

Article 1er

M. le président. « Art. 1er a. - La "Fondation pour les études comparatives" est une personne morale de droit privé à but non lucratif soumise aux règles relatives aux fondations reconnues d'utilité publique dans les conditions fixées par la loi n° 87-571 du 23 juillet 1987 sur le développement du mécénat, sous réserve des dispositions de la présente loi. »

Sur l'article, la parole est à M. Hyest.

M. Jean-Jacques Hyest. Je m'exprime sur l'article 1er parce que je n'ai pas voulu allonger la discussion générale, qui a été marquée par la qualité des interventions de M. le rapporteur et de M. Badinter.

Par ailleurs, je partage tout à fait l'analyse exposée par M. Charasse au sujet des assemblées parlementaires.

Cela étant, autant je suis d'accord sur la nécessité de créer un organisme permettant de développer le droit comparé, autant m'inquiètent certains termes du rapport de M. Gélard, dans la mesure où il nous explique que la future fondation va jouer le rôle d'un institut de droit comparé.

M. Patrice Gélard, rapporteur. Mais non !

M. Jean-Jacques Hyest. Vous écrivez dans votre rapport que la Fondation pour les études comparatives traitera notamment du « domaine de la recherche, de la documentation et de la formation, qui relève en fait d'un institut de droit comparé ».

M. Patrice Gélard, rapporteur. Comme l'Institut Max-Planck !

M. Jean-Jacques Hyest. Je n'avais pas compris que tel était l'objectif de la fondation ! Je considère qu'un certain nombre d'instituts de droit comparé pourraient mieux fonctionner si on leur en donnait les moyens.

M. Patrice Gélard, rapporteur. C'est un lapsus ! Il ne faut pas comprendre cela !

M. Jean-Jacques Hyest. C'est un lapsus calami, car ce que vous avez dit ici était tout différent.

Par ailleurs, la fondation devait, au départ, n'être constituée que de personnes de droit public. Moi, j'appelle cela un groupement d'intêret public. Il s'agit donc d'une fondation tout à fait extraordinaire !

Mais pourquoi créer une fondation, alors que d'autres formules juridiques auraient pu être envisagées, d'autant qu'une cinquantaine d'agents statutaires seront mis à disposition ? Si je comprends bien l'objectif recherché, je n'approuve pas les modalités prévues. D'autres moyens auraient pu permettre de développer les études comparatives en France.

Les assemblées parlementaires peuvent simplement commander des études. Participer au capital de la fondation est totalement différent.

Telles sont les différentes raisons pour lesquelles le groupe de l'Union centriste ne votera pas la création de cette fondation.

M. le président. La parole est à M. Fréville.

M. Yves Fréville. En vérité, le plaidoyer du doyen Gélard a dressé un implacade réquisitoire sur l'organisation de la recherche en sciences humaines en France. Cela m'a singulièrement rappelé ce que l'on disait, voilà une vingtaine d'années, au CNRS, à la DGRST ou au comité des sages de la recherche scientifique.

Faut-il une loi pour résoudre le problème particulier du droit comparé ? Je ne le pense pas. Bien sûr, le problème intéresse tout spécialement le législateur, mais il en va de même de bien d'autres domaines, en matière économique, sociale et juridique.

Par ailleurs, faut-il un financement spécifique faisant intervenir les assemblées parlementaires ? Les propos de M. Charasse sont particulièrement clairs à cet égard. Nous ne pouvons pas financer cette fondation, par exemple en participant à son capital. Nous pouvons conclure un contrat avec une fondation. Mais, alors pourquoi ne pas suivre les procédures normales de financement en matière scientifique ?

Enfin, les propose de M. Hyest me convainquent totalement. Pourquoi prévoir une organisation spécifique pour une fondation qui ne suit même pas les règles normales des fondations alors qu'il existe d'autres procédures pour gérer ce genre de problèmes ? Je suis contre les législations d'exception.

M. Patrice Gélard, rapporteur. Je demande la parole.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Patrice Gélard, rapporteur. Je ne partage pas tout à fait l'analyse de nos collègues MM. Hyest et Fréville.

Si nous ne créons pas cette fondation, nous pourrons alors dresser sans attendre la pierre tombale dont parlait tout à l'heure Robert Badinter.

Cette fondation est devenue une nécessité absolue si nous souhaitons être présents au niveau international. Vous êtes naturellement libres, mes chers collègues, de choisir une autre voie pour développer le droit comparé, mais je crois que, aujourd'hui, la sonnette d'alarme est tirée. Franchement, si nous n'adoptons pas cette proposition de loi, je me demande quelle sera demain la place du droit français dans le monde.

M. le président. Je vais mettre aux voix l'article 1er.

M. Robert Badinter. Je demande la parole pour explication de vote.

M. le président. La parole est à M. Badinter.

M. Robert Badinter. Bien entendu, cette explication vaudra pour l'ensemble du texte.

J'ai bien entendu les objections soulevées par MM. Hyest et Fréville mais je crois que c'est rêver que de tabler sur les associations pour faire face à ce qui existe de l'autre côté du Rhin ou de l'autre côté de l'Atlantique, pour bâtir en France une véritable unité de droit comparé.

Cela fait exactement dix ans que nous avons créé une association, ACOJURIS - elle s'appelait autrefois ARPEJE, association pour le renouveau de la pensée juridique en Europe - en vue de développer la coopération judiciaire et la promotion du droit français à l'étranger, notamment en Europe de l'Est, en Afrique et en Asie. A ce jour, le budget que nous avons réussi à obtenir - budget dans lequel, fort heureusement, le Sénat, l'Assemblée nationale et la Chancellerie interviennent - est de 100 000 euros par an, en tout et pour tout ! Demandez donc à l' American Bar Association à combien s'élève, chaque année, son budget de promotion : vous verrez la différence !

Par conséquent, le choix est simple : soit on crée la fondation que l'on nous propose aujourd'hui, soit on va demander à M. Soros de bien vouloir sauver le droit comparé en France !

M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)