SEANCE DU 21 FEVRIER 2002


PROTOCOLE ADDITIONNEL
CONTRE LE TRAFIC ILLICITE DE MIGRANTS

Adoption d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 119, 2001-2002) autorisant la ratification du protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée. [Rapport n° 201 (2001-2002).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jacques Floch, secrétaire d'Etat à la défense chargé des anciens combattants. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le second protocole additionnel à la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée porte sur le trafic illicite de migrants par terre, air et mer.
Le trafic de migrants est devenu une activité extrêmement lucrative pour les groupes criminels organisés, d'autant que les risques encourus sont sans commune mesure avec les profits retirés.
Le Parlement européen estime à 400 000 ou 500 000 le nombre de clandestins entrant chaque année dans l'Union européenne et ces flux ne cessent d'augmenter.
Le protocole additionnel à la convention de Palerme contre le trafic de migrants vise à renforcer la capacité des Etats à lutter contre l'immigration clandestine orchestrée par les réseaux criminels.
Comme la convention de Palerme et son protocole contre la traite des personnes, il s'agit d'un instrument répressif.
Le protocole contre le trafic de migrants par terre, air et mer oblige les Etats à poursuivre les trafiquants qui procurent l'entrée clandestine aux immigrants, mais aussi ceux qui rendent possible leur séjour illégal sur le territoire d'accueil. Il requiert également l'introduction dans la législation pénale des Etats des délits consistant à faciliter le trafic de migrants, tels que la fabrication, la fourniture ou la possession de documents frauduleux.
En outre, il prévoit des dispositions spécifiques sur le trafic de migrants par mer.
Enfin, le protocole prévoit l'obligation de reprise par les Etats de leurs nationaux et résidents permanents.
A l'instar du protocole contre la traite, il contient une clause de rattachement à la convention de Palerme, qui rend toutes les dispositions pertinentes de celle-ci applicables au protocole, notamment en matière de coopération judiciaire internationale.
La France a activement participé à la négociation de cet accord, qu'elle a signé dès son ouverture à signature, le 12 décembre 2000 à Palerme.
Actuellement, le protocole compte quatre-vingt-dix-sept Etats signataires, dont quatre Etats parties. Quarante ratifications sont requises pour son entrée en vigueur.
La transposition de cet accord nécessitera une légère adaptation de notre droit interne, essentiellement en ce qui concerne les éléments constitutifs de l'infraction commise et la mise en oeuvre des circonstances aggravantes.
Telles sont, monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, les principales observations qu'appelle le protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale, qui fait l'objet du projet de loi aujourd'hui proposé à votre approbation.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. André Rouvière, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ce protocole a été négocié parallèlement à la convention de Palerme que nous venons d'adopter voilà quelques instants.
Je n'insisterai pas sur le développement inquiétant des migrations irrégulières, souvent dues à des réseaux criminels bien organisés et, hélas ! prêts à tout.
Ce protocole vise le trafic illicite de migrants par terre, air et mer. Il a été signé par quatre-vingt-dix-sept Etats, quatre l'ont ratifié et quarante ratifications sont nécessaires à son entrée en application. Mais seuls les Etats qui ont adhéré à la convention de Parlerme peuvent le signer.
Ce protocole est essentiellement consacré à la lutte contre les filières organisées. Il prévoit des circonstances aggravantes lorsque la vie ou la sécurité des migrants sont en danger. En revanche, il ne prévoit aucune sanction contre les migrants eux-mêmes. Mais - fait nouveau et important - les pays d'émigration signataires du protocole acceptent le principe du retour sur leur sol de leurs ressortissants.
Pour l'application de ce protocole, notre législation devra être complétée, notamment en ce qui concerne la notion de circonstances aggravantes.
Mes chers collègues, la commission des affaires étrangères a, à l'unanimité, émis un avis favorable sur la ratification de ce protocole. Je vous invite à l'imiter.
M. le président. La parole est à Mme Luc.
Mme Hélène Luc. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, cette intervention vaudra également pour le projet de loi autorisant la ratification du protocole additionnel à la convention contre la criminalité transnationale organisée concernant plus particulièrement les femmes et les enfants, que nous allons examiner tout à l'heure.
Le protocole additionnel sur le trafic illicite de migrants par terre, air et mer préfigure une grande avancée dans le domaine du droit international. L'introduction d'un tel texte dans les législations nationales permettra la mise en oeuvre de véritables coopérations en matière de lutte contre la criminalité transnationale organisée, et je me félicite que la France ait activement participé à son élaboration.
Cependant, le protocole pèche par la frilosité de certains pays quant au sort réservé aux migrants. Comme l'a souligné M. Rouvière dans son rapport, il est un point du protocole qui a divisé les pays parties à la convention, celui qui touche particulièrement à la personne du migrant. C'est ce point que j'aimerais approfondir.
Si tout le monde s'entend sur la nécessité de condamner sans ambiguïté les organisations criminelles transnationales, force est de déplorer qu'un consensus général ne soit pas dégagé concernant le sort réservé aux migrants eux-mêmes.
Je ne reviendrai pas sur les motifs de divergence avancés par les pays d'origine ou les pays d'accueil. Je souhaite simplement insister sur la solution retenue dans le protocole, qui me paraît dangereuse à plus d'un titre.
Ainsi, je regrette vivement que la notion de victime n'ait pas été retenue pour qualifier les migrants. Car victimes, ils le sont indéniablement : victimes de n'être pas nés au bon endroit, victimes de vivre dans un monde régi par les inégalités sociales.
Sans doute pourrions-nous nous contenter des mesures de protection insérées dans le protocole. Cependant, en vérité, elles ne sont pas suffisantes. En éludant le fait que ces migrants sont des victimes, on se voile la face sur les réalités économiques et sociales mondiales.
Nous avons tous en mémoire la découverte des cadavres de cinquante-huit immigrés clandestins asiatiques dans un camion frigorifique à Douvres, des deux jeunes Africains venus en France pour étudier et retrouvés morts dans le train d'atterrissage d'un avion, ou encore le naufrage d'un navire sur les côtes varoises qui avait à son bord neuf cent dix hommes, femmes et enfants d'origine kurde.
Ces quelques exemples qui ont fait la une des médias ne sont que l'infime reflet de la souffrance grandissante d'une majeure partie de la population mondiale.
Dans ces conditions, quelles solutions pouvons-nous apporter ?
Aujourd'hui, s'affirme de plus en plus une logique isolationniste et sécuritaire dont l'objectif est de s'approcher le plus possible du taux d'immigration zéro. La mise en place d'un arsenal policier et administratif tant à l'échelon national qu'à l'échelon européen montre ses limites, l'une de ses conséquences étant l'accroissement du trafic clandestin.
En l'absence de moyens légaux, les migrants n'hésitent plus à faire appel à des réseaux criminels organisés, et ce quels que soient le prix et la méthode utilisée. Seul le but final compte : arriver à destination.
A plusieurs reprises, le Haut Commissariat aux réfugiés a mis en garde les pays contre les dérives entraînées par le réflexe protectionniste. Il estime à un million de dollars le chiffre d'affaires annuel du trafic de migrants sur le continent européen.
Ces réseaux se multiplient et prospèrent grâce au désespoir et à la misère. Ils sont animés par la seule logique du profit, n'envisagent les migrants que comme une simple marchandise : pour eux, l'aspect humain n'a aucune place.
Malheureusement, il est bien d'autres circonstances où le facteur humain n'est pas pris en compte !
Arrivés clandestinement, ces migrants n'ont aucun droit. Dépourvu de papiers et de reconnaissance juridique, un clandestin est persona non grata dans le pays d'accueil. Peut-on, d'ailleurs, réellement parler de pays d'accueil, monsieur le secrétaire d'Etat ? Une seule issue est proposée à ces hommes, ces femmes, ces enfants : la reconduite dans leur pays d'origine.
Nous aurions pu espérer que le protocole prendrait en compte ce paramètre. Hélas ! il n'en est rien.
Avant d'envisager des reconduites à la frontière, sans doute faudrait-il repenser les politiques de coopération et de développement.
Au cours des dix dernières années, la plupart des pays de l'OCDE, y compris la France, ont réduit de près de moitié leur aide au développement.
Il convient de souligner que les Etats-Unis sont, parmi les nations développées, celle dont l'effort d'aide et de coopération est le plus faible par rapport à sa richesse. Depuis peu, les dépenses militaires américaines ont, en outre, considérablement augmenté, au détriment des programmes de coopération, qui enregistrent un très fort recul.
Bien sûr, il était nécessaire, après les attentats du 11 septembre 2001, de déployer tous les moyens possibles pour s'efforcer d'éradiquer le terrorisme. Néanmoins, il est tout autant nécessaire de repenser le système international pour éviter, grâce à une aide calculée, intelligente et réfléchie, que de tels événements se reproduisent.
C'est l'une des raisons pour lesquelles nous demandons, à titre de premières avancées, l'annulation de la dette des pays en voie de développement et l'instauration de la taxe Tobin.
Nous nous devons de témoigner notre solidarité envers ces pays et de contribuer à ce qu'un monde plus équitable émerge enfin grâce à l'instauration de politiques de co-développement durable.
Notre engagement à agir pour un monde différent permettra à la fois de combattre les trafics illicites de migrants mais également toutes les formes de criminalités transnationales évoquées dans la convention de Palerme, ainsi que la traite de personnes, visée dans le protocole additionnel relatif, en particulier, femmes et enfants.
Je rappelle que, lors du colloque sur la prostitution organisé par Dinah Derycke, regrettée présidente de la délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, nous avons entendu de nombreux témoignages sur le trafic des femmes de l'Est.
Certes, le protocole additionnel relatif à la traite des personnes constitue une avancée non négligeable dans la lutte contre le trafic de migrants. Mais c'est à la source qu'il faut agir avec le plus de détermination. Or la France dispose de tous les moyens pour mener à bien cette action, qui est d'ailleurs parfaitement conforme au rôle international que nous souhaitons lui voir jouer.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
« Article unique. - Est autorisée la ratification du protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée, adopté à New York le 15 novembre 2000 et signé par la France le 12 décembre 2000, et dont le texte est annexé à la présente loi. »
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté.)
M. le président. Je constate que ce projet de loi est adopté à l'unanimité.

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