SEANCE DU 22 OCTOBRE 2002


SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN

1. Procès-verbal (p. 0 ).

2. Dépôt d'un rapport du Gouvernement (p. 1 ).

3. Questions orales (p. 2 ).

fonctionnement du système scolaire

dans le département de la gironde (p. 3 )

Question de M. Philippe Madrelle. - MM. Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire ; Philippe Madrelle.

postes de surveillants et d'aides-éducateurs (p. 4 )

Question de Mme Hélène Luc. - M. Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire ; Mme Hélène Luc.

distillation à domicile (p. 5 )

Question de M. Joseph Ostermann. - MM. François Loos, ministre délégué au commerce extérieur ; Joseph Ostermann.

devenir de vivendi environnement (p. 6 )

Question de Mme Marie-Claude Beaudeau. - M. François Loos, ministre délégué au commerce extérieur ; Mme Marie-Claude Beaudeau.

conséquences des affaissements miniers
en lorraine (p. 7 )

Question de M. Jean-Louis Masson. - MM. François Loos, ministre délégué au commerce extérieur ; Jean-Louis Masson.

Suspension et reprise de la séance (p. 8 )

aménagement de la loire
et prévention des inondations (p. 9 )

Question de M. Dominique Leclerc. - Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable ; M. Dominique Leclerc.

réglementation du prix de l'eau (p. 10 )

Question de M. Jean-Claude Carle. - Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable ; M. Jean-Claude Carle.

règles de sécurité
applicables aux pêcheurs à la ligne (p. 11 )

Question de M. Jean-Patrick Courtois. - Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable ; M. Jean-Patrick Courtois.

renforcement de l'attractivité sociale
du secteur de l'artisanat (p. 12 )

Question de Mme Brigitte Luypaert. - Mmes Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable ; Brigitte Luypaert.

procédure d'extension du périmètre
des communautés d'agglomération (p. 13 )

Question de M. Jean-Paul Alduy. - MM. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales ; Jean-Paul Alduy.

effets de la loi du 11 mai 1998
par rapport à l'asile territorial (p. 14 )

Question de M. Louis Souvet. - MM. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales ; Louis Souvet.

aides financières de l'état
en faveur des départements (p. 15 )

Question de M. Claude Biwer. - MM. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales ; Claude Biwer.

conditions d'exercice du droit de vote (p. 16 )

Question de M. André Trillard. - MM. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales ; André Trillard.

avenir du commissariat de police de lure (p. 17 )

Question de M. Bernard Joly. - MM. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales ; Bernard Joly.

développement de soins palliatifs à domicile (p. 18 )

Question de M. Georges Mouly. - Mme Marie-Thérèse Boisseau, secrétaire d'Etat aux personnes handicapées ; M. Georges Mouly.

attribution du titre de reconnaissance de la nation
aux réfractaires au sto (p. 19 )

Question de M. René-Pierre Signé. - MM. Hamlaoui Mékachéra, secrétaire d'Etat aux anciens combattants ; René-Pierre Signé.

avenir du détachement de fourchambault (p. 20 )

Question de M. Didier Boulaud. - MM. Hamlaoui Mékachéra, secrétaire d'Etat aux anciens combattants ; Didier Boulaud.

retrait des insecticides gaucho et régent (p. 21 )

Question de M. Jacques Oudin. - MM. Hamlaoui Mékachéra, secrétaire d'Etat aux anciens combattants ; Jacques Oudin.

Suspension et reprise de la séance (p. 22 )

PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET

4. Souhaits de bienvenue à une délégation du Sénat roumain (p. 23 ).

5. Salaires, temps de travail et développement de l'emploi. - Discussion d'un projet de loi (p. 24 ).
Discussion générale : MM. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité ; Louis Souvet, rapporteur de la commission des affaires sociales.

PRÉSIDENCE DE M. ADRIEN GOUTEYRON

MM. Georges Mouly, Bernard Seillier, Gilbert Chabroux, le ministre, Mme Annick Bocandé, MM. Roland Muzeau, Alain Gournac, Jean-Pierre Fourcade, Mme Sylvie Desmarescaux, MM. Jean-Pierre Godefroy, René Trégouët, Bernard Joly, Henri Weber.
Clôture de la discussion générale.
M. le ministre.

Motion d'ordre (p. 25 )

M. le président.

Suspension et reprise de la séance (p. 26 )

PRÉSIDENCE DE M. DANIEL HOEFFEL

Article 1er (p. 27 )

M. Roland Muzeau.
Amendement n° 76 de M. Roland Muzeau. - MM. Roland Muzeau, le rapporteur, le ministre. - Rejet.
Amendement n° 35 de M. Gilbert Chabroux. - MM. Jean-Pierre Godefroy, le rapporteur, le ministre. - Rejet.
Amendement n° 77 de M. Roland Muzeau. - MM. le rapporteur, le ministre. - Rejet.
Amendements identiques n°s 36 de M. Gilbert Chabroux et 78 de M. Roland Muzeau ; amendement n° 79 de M. Roland Muzeau. - MM. le rapporteur, le ministre. - Rejet des trois amendements.
Adoption de l'article modifié.

Article additionnel après l'article 1er (p. 28 )

Amendement n° 80 de M. Roland Muzeau. - MM. Guy Fischer, le rapporteur, le ministre. - Rejet.

Article additionnel avant l'article 2 (p. 29 )

Amendement n° 37 de M. Gilbert Chabroux. - MM. Jean-Pierre Godefroy, le rapporteur, le ministre, Roland Muzeau. - Rejet.

Article 2 (p. 30 )

M. Roland Courteau.
Amendement n° 38 de M. Gilbert Chabroux. - MM. Claude Domeizel, le rapporteur, le ministre, Eric Doligé, Henri Weber. - Rejet.
Amendements n°s 39 de M. Gilbert Chabroux, 81 de M. Roland Muzeau, 1, 2 de la commission et 125 de M. Philippe Marini. - MM. Claude Domeizel, Guy Fischer, le rapporteur, Philippe Marini, le ministre, Roland Muzeau. - Rejet des amendements n°s 39 et 81 ; adoption des amendements n°s 1 et 2, l'amendement n° 125 devenant sans objet.
MM. le président de la commission des affaires sociales ; le ministre.
Renvoi de la suite de la discussion.

6. Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution (p. 31 ).

7. Ordre du jour (p. 32 ).



COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

DÉPÔT D'UN RAPPORT DU GOUVERNEMENT

M. le président. M. le président a reçu de M. le Premier ministre le rapport sur les névroses traumatiques de guerre, établi en application de l'article 130 de la loi de finances pour 2002.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.

3

QUESTIONS ORALES

M. le président. L'ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.

FONCTIONNEMENT DU SYSTÈME SCOLAIRE
DANS LE DÉPARTEMENT DE LA GIRONDE

M. le président. La parole est à M. Philippe Madrelle, auteur de la question n° 12, adressée à M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche.
M. Philippe Madrelle. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à la veille de la discussion budgétaire et au moment où l'éducation nationale a cessé d'être une priorité gouvernementale, il apparaît légitime de poser une nouvelle fois le fameux problème de l'inadaptation du mode de calcul utilisé pour la répartition des postes budgétaires d'instituteurs entre les départements.
L'inadaptation de ce mode de calcul a des conséquences très négatives pour le département de la Gironde ; je m'en faisais déjà l'écho à cette même tribune voilà deux ans presque jour pour jour. Mais la situation s'est aggravée dangereusement cette année.
C'est ainsi que, malgré l'octroi de 218 postes supplémentaires depuis cinq ans, le rapport entre le nombre d'enseignants et le nombre d'élèves reste en Gironde parmi les plus faibles de France. Alors que ce rapport est en moyenne pour la France métropolitaine de 5,34 %, celui de la Gironde atteignait à peine 4,98 % à la rentrée 2001.
Pourtant, à la dernière rentrée scolaire, le département de la Gironde a accueilli près de 120 000 élèves, soit environ 400 élèves supplémentaires par rapport à la rentrée 2001.
Pour faire face à cette augmentation d'effectifs, 47 postes seulement ont été attribués à la Gironde, alors que 350 postes seraient indispensables pour rattraper le retard. La Gironde occupe le 97e rang des départements pour le nombre d'élèves par classe.
Comme vous le savez, monsieur le ministre, c'est sous votre haute autorité que sont attribués les postes à l'académie et c'est ensuite au recteur qu'il appartient de doter les départements. Or la répartition académique des postes s'avère très pénalisante pour la Gironde ; en effet, bien que prenant en compte les effectifs corrigés des critères sociaux et territoriaux, la dotation qui est affectée à ce département fait apparaître un défaut de 350 postes. Les disparités entre les cinq départements de l'académie sont très fortes. Ainsi, en Gironde, 16,3 % des écoles sont en ZEP, zones d'éducation prioritaires, alors que le pourcentage est de 3 % et de 4 % dans les autres départements de l'académie. Les critères sociaux utilisés ne prennent pas en compte la réalité de cette situation.
En effet, le poids social calculé en fonction du taux de population défavorisée, de chômeurs et de RMIstes qui est de 20,8 % en Gironde contre 18,3 % à 20 % dans les autres départements, ne correspond pas à la réalité de la situation scolaire.
Le taux de scolarisation des enfants âgés de deux ans n'y est que de 21 % alors que, dans les autres départements, il est de 34 %, de 35 %, voire de 37 %. Rappelons que la moyenne nationnale est de 29,2 %. Autant de chiffres et d'exemples qui illustrent l'inadaptation de la répartition des postes budgétaires !
Monsieur le ministre, permettez-moi de vous rappeler que la Gironde détient le triste record des classes surchargées, des remplacements non effectués ; 7,38 % des postes sont destinés au remplacement pour une moyenne nationale de 7,85 % ; les formations continues sont amputées et de nombreux directeurs d'écoles ne sont pas déchargés d'enseignement.
En Gironde, 110 écoles sur les 931 que compte le département n'ont pas de directeur.
Cette situation de précarité entrave gravement les conditions d'exercice du métier d'enseignant et bafoue un principe fondateur du service public : l'égalité d'accès à la connaissance et à un enseignement de qualité.
Au moment où chacun s'accorde à reconnaître que l'éducation nationale porte en elle l'avenir de la nation - c'est elle qui transmet les connaissances, les apprentissages, les valeurs de la citoyenneté ; c'est elle qui constitue le socle de la démocratie et de notre République - il apparaît pour le moins paradoxal qu'elle ne bénéficie pas de tous les moyens lui permettant d'assumer ses missions. L'Etat ne peut pas se résigner à ce que la fameuse égalité des chances soit réduite à néant ! M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire. Monsieur le sénateur, avant d'aborder le problème spécifique de la Gironde, je veux souligner que l'éducation nationale reste une priorité, notamment dans le premier degré, qui fait l'objet de votre question, puisque nous avons augmenté le nombre de postes par rapport à ce qu'avait prévu le plan pluriannuel pour l'emploi de mon prédécesseur.
Je voudrais cependant vous rappeler aussi, monsieur le sénateur, que, dans le premier degré, la répartition des moyens repose à l'échelon national et académique sur une méthode rénovée qui a été approuvée par tous nos partenaires. Elle a d'ailleurs été définie par un groupe de travail national comprenant des représentants des élus, de l'administration et de tous les membres de la communauté scolaire. Cette méthode de répartition a été examinée à plusieurs reprises par la commission « Ecole » du Conseil supérieur de l'éducation nationale, qui en a garanti la validité et la fiabilité, ce qui nous a confirmés dans le bien-fondé du système d'indicateurs que nous utilisons.
Les critères de répartition renouvelés et transparents sont finalement peu nombreux, parce qu'ils doivent rester compatibles avec la volonté de donner toute sa place au pilotage académique et départemental.
L'objectif - vous avez raison, monsieur le sénateur - est d'assurer le respect du principe d'équité dans la répartition des moyens en pondérant la démographie scolaire par des critères sociaux, territoriaux, structurels. Ces critères sont mesurés par des indicateurs objectifs et reconnus, établis à partir des données de l'INSEE. Les dotations ainsi définies, notifiées globalement au recteur d'académie, permettent la mise en oeuvre de la politique nationale dans chaque académie.
Sur la base de ces critères et dans un souci d'équité entre les départements de l'académie de Bordeaux, le département de la Gironde a bénéficié, pour le premier degré, de l'attribution de 47 emplois lors de la rentrée scolaire de 2002 : ainsi, le taux d'encadrement global est passé, à la rentrée de 2002, à 5 postes pour 100 élèves.
Il est important, par ailleurs, de rappeler que la gestion est rendue difficile en Gironde - vous le savez mieux que personne, monsieur le sénateur - par l'hétérogénéité démographique du département, qui, à côté de l'importante agglomération bordelaise, comprend une zone rurale assez étendue ; une école sur trois ne compte que quatre classes, voire moins ; une école sur quatre seulement a plus de sept classes.
Cela dit, depuis 1998, un effort important a été mis en oeuvre pour faire face à l'augmentation des effectifs : 218 postes ont été attribués dans le premier degré, 53 classes ont été créées à la rentrée de 2002, 175 postes ont été implantés en collège, 39 en sections d'enseignement général et professionnel adapté, les SEGPA, 85 en lycée. Sans nul doute, cet effort important n'est pas étranger aux résultats satisfaisants que l'on a pu constater, résultats qui furent même, pour le CAP ou le baccalauréat général, supérieurs aux moyennes de l'académie.
Enfin, nous avons décidé d'attribuer, au 1er janvier de l'année prochaine, une prime de 925 euros, quelle que soit la dimension de l'école, à tous les directeurs de façon à susciter des vocations pour l'accomplissement de cette mission.
Je tiens à vous assurer que l'effort accompli se poursuivra lors des prochaines rentrées scolaires. Ainsi, le département de la Gironde disposera des moyens nécessaires, tant pour faire face à l'augmentation des effectifs que pour améliorer, de manière significative, les conditions d'enseignement.
M. le président. La parole est à M. Philippe Madrelle.
M. Philippe Madrelle. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre, mais je ne peux que continuer à dénoncer la pénurie d'enseignants du premier degré qui empêche l'ensemble des écoliers de Gironde de bénéficier des conditions les plus favorables à la réussite scolaire, et ne permet pas aux enseignants d'exercer leur métier comme ils le souhaiteraient. Je vous demande donc, monsieur le ministre, de porter une grande attention à la situation : selon le recteur lui-même, il manque, en réalité, 350 postes.

POSTES DE SURVEILLANTS ET D'AIDES-ÉDUCATEURS

M. le président. La parole est à Mme Hélène Luc, auteur de la question n° 37, adressée à M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche.
Mme Hélène Luc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le travail de proximité assuré par les surveillants et les aides-éducateurs au service des enfants et des équipes éducatives est reconnu par tous comme indispensable au bon fonctionnement de nos établissements scolaires.
La forte mobilisation des surveillants et aides-éducateurs du 24 septembre, puis l'action de jeudi dernier, 17 octobre, qui a regroupé tous les personnels de l'éducation nationale, traduisent l'inquiétude forte de ces personnels de voir fragiliser des situations souvent difficiles et précaires. Aujourd'hui, ces postes sont remis en cause par l'annonce de l'abandon du plan emplois-jeunes qui concerne 20 000 aides-éducateurs, et la suppression de 5 600 postes de surveillants.
Pour justifier sa décision, M. Ferry invoque la nécessaire adaptation de ces emplois aux réalités et aux évolutions de l'éducation nationale.
Il est certain qu'il faut adapter et faire évoluer le système suivant les besoins mais, monsieur le ministre, il faut surtout engager une réflexion sur la pérennisation du statut des aides-éducateurs et sur la création d'un corps avec des missions définies.
Les raisons avancées et les nouvelles mesures envisagées pour remplacer le système actuel sont tout à fait insatisfaisantes et inadaptées.
Grâce à ces emplois, nombreux sont ceux qui ont trouvé l'espoir. Ils se sont découvert une vocation pour l'enseignement, ont par la suite passé le concours d'entrée à l'IUFM, le CAPES ou l'agrégation, ou encore ont postulé pour entrer à EDF, aux impôts ou à La Poste. Etant membre du conseil d'administration d'un IUFM, je connais de nombreux exemples de ce genre.
Les apports des aides-éducateurs sont considérables : présence constante dans les établissements, encadrement et écoute des élèves, soutien scolaire, aide et accompagnement, etc. Quelles qu'en soient les modalités, les fonctions qu'ils exercent sont désormais incontournables.
Quant aux surveillants, dont l'origine sociale est souvent modeste, ils ont à coeur de réussir leurs études tout en travaillant, et la tâche n'est pas aisée.
Ne faudrait-il pas d'ailleurs, dans ce contexte, repenser à une aide supplémentaire qui serait apportée aux étudiants, comme je l'ai suggéré l'an dernier lors du vote du budget ? Ne pourrait-on pas réintroduire un système du genre des Instituts de préparation aux enseignements de second degré, les IPES ? Ce serait une mesure utile et juste.
En effet, les surveillants effectuent un travail essentiel en matière de sécurité et de prévention de la violence en contrôlant les entrées et les sorties des établissements. Le fait qu'ils soient souvent à peine plus âgés que les élèves leur permet d'établir avec ceux-ci un lien privilégié de confiance et de respect mutuel.
J'ose à peine imaginer, compte tenu de l'importance reconnue de la présence de ces aides-éducateurs, ce qui se passerait s'ils venaient à disparaître, comme vous le prévoyez en en remplaçant seulement 11 000 sur les 25 600 qui sont en fin de contrat !
Selon une information qui vient de me parvenir, il semble qu'un avenant à leur contrat doive être signé avant les vacances de la Toussaint, c'est-à-dire avant le 31 octobre, pour qu'ils puissent exercer leurs fonctions jusqu'en 2003. Voilà qui serait très grave. J'aimerais donc, monsieur le ministre délégué, que vous me disiez si cette information est exacte.
Les 14 millions d'euros prévus au budget permettront le recrutement de 3000 assistants d'éducation, au plus. Dans ces conditions, qui assumera le coût initial, et selon quelles modalités ?
Avant de supprimer des postes, monsieur le ministre, engagez le plus tôt possible - avant même le 4 novembre - une réelle concertation avec tous les intéressés, afin d'identifier et d'évaluer les besoins, et aussi pour leur permettre de faire mieux profiter de leurs qualités les établissements qui les emploient, à la fois en les formant et en leur proposant un statut de droit public, comme Guy Fischer et moi-même l'avions demandé dès le début de la discussion du projet de loi sur les emplois-jeunes, et non pas de droit privé.
M. le Président de la République a déclaré vouloir faire de l'éducation nationale une priorité, mais cela ne s'accompagne d'aucune hausse significative du budget.
De plus, en transférant ces personnels aux collectivités locales, comme vous en avez exprimé l'intention, vous remettriez en cause le caractère national du service public de l'éducation nationale, que vous déclarez pourtant vouloir préserver, puisque le nombre de surveillants et d'aides-éducateurs dépendrait alors de la volonté et des moyens, fort variables d'un cas à l'autre, des régions, des départements et des communes. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire. Madame la sénatrice, je vous indique d'abord que les avenants aux contrats des aides-éducateurs que nous faisons signer actuellement ont pour objet de permettre auxdits aides-éducateurs de rester dans leurs fonctions jusqu'en juin 2003 et donc de finir l'année scolaire. En effet, nos précédesseurs avaient simplement oublié que l'année civile et l'année scolaire ne correspondaient pas ! Si nous n'avions rien fait, ces postes auraient effectivement disparu au 31 décembre 2002. Madame la sénatrice, je crois donc pouvoir considérer que vous vous félicitez que nous ayons pris cette initiative...
Il n'en demeure pas moins qu'une analyse critique de l'implantation des postes d'aides-éducateurs et des fonctions remplies par ceux-ci doit être sérieusement conduite. Il faut savoir que le dispositif précédent a été dicté moins par une véritable analyse des besoins des établissements que par la volonté de créer des dizaines de milliers d'emplois financés sur fonds publics. Les fonctions assurées par les aides-éducateurs ont été très diverses, certaines intéressantes, d'autres un peu moins. C'est l'analyse de ces fonctions qui guidera l'implantation des emplois d'aides-éducateurs qui seront recrutés à la rentrée 2003.
Par ailleurs, il est clair que le statut des MI-SE, les maîtres d'internat et surveillants d'externats, qui date, je le rappelle, des années trente, ne répond plus du tout aux besoins de surveillance qui se manifestent aujourd'hui dans les établissements scolaires.
Il est donc cohérent de mettre en place un nouveau dispositif plus efficace, pour succéder à la fois à celui des aides-éducateurs et à celui des MI-SE, et pour faire en sorte que continuent d'être assurées les fonctions de surveillance et d'encadrement de proximité, dont vous avez souligné à juste titre l'importance, madame la sénatrice.
Concernant les MI-SE, la multiplication des implantations de collèges et de lycées qui a suivi l'« explosion scolaire » du dernier demi-siècle - dans les années soixante-dix, on créait, en France, un collège par jour ! - et l'alourdissement des études universitaires rendent aujourd'hui très difficiles l'exercice simultané d'un emploi de surveillant à plein temps et la poursuite d'études universitaires.
Les emplois du temps des surveillants sont davantage conçus, d'ailleurs, en fonction des contraintes de leurs études que des besoins des établissements. Dans les établissements éloignés des centres universitaires, il n'y a plus de candidats pour les postes de surveillants. En outre, les surveillants sont souvent absents des établissements scolaires lors des sessions d'examens universitaires, c'est-à-dire au moment où les établissements eux-mêmes organisent les examens du second degré.
Le projet de loi de finances pour 2003 prévoit donc les moyens d'amorcer la mise en place d'un nouveau dispositif, celui des « assistants d'éducation ».
Dès la rentrée prochaine, ces assistants d'éducation assureront mieux encore qu'auparavant les fonctions de surveillance et d'accompagnement de nos politiques.
Mme Hélène Luc. Assureraient !
M. Xavier Darcos, ministre délégué. Je dis bien : « assureront ».
Mme Hélène Luc. Ce n'est pas décidé !
M. Xavier Darcos, ministre délégué. Nous allons le décider, madame.
Il faut en effet concevoir un nouveau statut, permettant de mieux répondre aux besoins réels d'encadrement des élèves par des personnes adultes, en milieu scolaire comme en milieu périscolaire, ce statut ayant en outre une vocation d'aide sociale pour les étudiants qui seront recrutés.
C'est dans cette voie que le ministère de l'éducation nationale va s'engager - voilà pourquoi j'utilisais le futur, madame la sénatrice -, en concertation avec les représentants des personnels, ainsi que vous le souhaitez, et avec les collectivités locales.
Une table ronde, qui s'ouvrira sur ce sujet, non pas aux calendes grecques mais dès le mois de novembre prochain, permettra de réfléchir aux besoins des établissements, aux missions prioritaires des assistants d'éducation et au cadre juridique, qui devra être précisé. Rien n'est exclu, pas même ce que vous avez évoqué en parlant des IPES, c'est-à-dire un système de pré-recrutement. De fait, nous avons aussi besoin de recréer, à cette occasion, des viviers pour les concours nationaux des professeurs du second degré.
Sans doute faut-il tempêter contre l'encadrement immédiat de nos élèves mais, je le dis devant le Sénat, il faut plus encore s'inquiéter de notre capacité à former des viviers pour les concours de recrutement qui interviendront dans les dix ans qui viennent. Là, les pétitions de principe ne suffiront plus : il faudra créer des vocations et, surtout, former les universitaires dont nous aurons besoin.
M. le président. La parole est à Mme Hélène Luc.
Mme Hélène Luc. Monsieur le ministre, je transmettrai votre réponse aux personnels intéressés, qui l'attendent avec impatience. Pour ma part, je la trouve tout à fait insuffisante.
Je m'attendais quand même à ce que vous employiez un peu plus le conditionnel. En effet, vous avez annoncé des décisions avant que la concertation n'ait lieu. Pour un Gouvernement qui prétend faire de la concertation la base de son action, c'est un très grave manquement !
Le ratio entre les départs et les recrutements se traduira, qu'on le veuille ou non, par la perte de 14 600 postes, alors que ces postes sont absolument indispensables.
L'appel massif à des personnes de bonne volonté, par exemple, relève en fait des économies de bouts de chandelle, même si des expériences peuvent se développer. Cela aboutirait à priver des jeunes de perspectives de formation et d'emploi au moment de l'ouverture d'une troisième voie de concours fondée sur l'expérience.
J'aimerais également élargir la réflexion aux aides-éducateurs présents dans les associations pour la jeunesse, les associations sportives, les associations à vocation sociale ou encore les associations de femmes, dont ils constituent des piliers indispensables. Eux aussi méritent qu'on s'intéresse à leur statut et à leur avenir.
Enfin, monsieur le ministre, tous les enfants de France ont droit à une égalité de traitement, égalité qui ne pourra être assurée si la présence de personnels de l'éducation nationale en vient à dépendre du bon vouloir et des moyens financiers des collectivités locales. Nous aurons l'occasion d'en discuter très largement lorsque, à partir de mardi prochain, nous traiterons de la décentralisation. Cela étant, M. le ministre de l'éducation nationale a déjà opéré des transferts financiers, avant même que la loi ne soit votée.
Sachez-le, monsieur le ministre, le groupe communiste républicain et citoyen est bien décidé à défendre, aux côtés des jeunes, les fondements de la République une et indivisible, avec les services publics dont nous sommes fiers. (Mme Marie-Claude Beaudeau applaudit).

DISTILLATION À DOMICILE

M. le président. La parole est à M. Joseph Ostermann, auteur de la question n° 41, adressée à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
M. Joseph Ostermann. J'ai souhaité attirer l'attention du Gouvernement sur la fermeture récente de la recette locale des douanes et droits indirects de Villé, dans le Bas-Rhin, ainsi que sur le resserrement des critères relatifs à l'utilisation des alambics personnels pour les personnes qui ne bénéficient pas du privilège des bouilleurs de crus dans le canton.
Les élus du canton de Villé s'inquiètent en effet, tout d'abord, de la fermeture croissante des services de proximité en milieu rural.
En outre, ils estiment que la distillation à domicile de sa propre récolte avec son alambic et pour son compte personnel fait partie d'une tradition locale qui permet de valoriser et d'entretenir les vergers du canton.
Ils craignent ainsi que le scellement des alambics privés ne démotive les quelques personnes concernées par cette activité et n'entrave très fortement la dynamique d'entretien du paysage que la communauté de communes encourage vivement.
La distillation à domicile constitue, en Alsace en général et dans le canton de Villé en particulier, un dossier extrêmement sensible. Monsieur le ministre délégué au commerce extérieur, vous vous souvenez certainement des batailles homériques que livra à ce sujet celui qui fut votre prédécesseur à l'Assemblée nationale, François Grussenmeyer.
S'agissant du canton de Villé, ne conviendrait-il pas de procéder à un réexamen de ces deux dossiers dans les meilleurs délais, afin de préserver le dynamisme de ce territoire ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. François Loos, ministre délégué au commerce extérieur. Monsieur le sénateur, je suis heureux d'avoir l'occasion de répondre à une question relative à un dossier qui a été pendant trente-cinq ans le sujet de prédilection de la circonscription qui m'a élu et dont, à mon avis, on n'a pas fini de parler. (Sourires.) Vous avez attiré l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur la situation des bouilleurs de cru du Bas-Rhin, qui, selon vous, sont confrontés à la fermeture de services administratifs de proximité, tout particulièrement dans le canton de Villé, ainsi qu'au renforcement des contrôles sur les alambics qu'ils détiennent.
L'administration des douanes s'est engagée, à l'occasion du resserrement de son réseau de recettes locales, dans une démarche de simplification administrative, notamment en ce qui concerne les contributions indirectes. S'agissant des opérations de distillation, cette simplification s'est traduite par la suppression des trois imprimés antérieurs et leur remplacement par un document unique et allégé. S'y ajoute désormais la possibilité de transmettre ce document par voie postale sans avoir l'obligation de se déplacer à la recette locale des douanes.
Le régime actuellement en vigueur en Alsace-Moselle prévoit la dispense de scellement des appareils à distiller en contrepartie d'une remise des chapiteaux d'alambic dans un local désigné par l'administration. Cela résulte d'un décret du 27 juin 1930, qui fixe les dispositions spécifiques à l'Alsace-Moselle, plus favorables - peut-être faudra-t-il le rappeler aux personnes concernées ! - que celles qui s'appliquent dans le reste de la France.
Il n'est pas envisagé, à ce jour, de modifier ce dispositif. Au demeurant, toute modification dans ce domaine ne pourrait se faire qu'en étroite concertation avec les professionnels du secteur. Sachez, monsieur le sénateur, que nous sommes à votre entière disposition pour une discussion approfondie sur cette question.
M. le président. La parole est à M. Joseph Ostermann.
M. Joseph Ostermann. Monsieur le ministre, je vous remercie de cette réponse.
Je m'inquiète toujours un peu, lorsque l'on parle de simplification administrative, car il arrive que ce soit alors le contraire qui se produise dans la mesure où cette simplification se traduit parfois par la disparition des services publics de proximité dans nos zones rurales. Or, en milieu rural, le contact avec les services d'Etat me semble hautement nécessaire. Au moment où la concentration dans les grandes villes s'avère, hélas ! chaque jour plus dangereuse, faute de la présence de ces services, nous aurons bien du mal à convaincre nos concitoyens de s'installer en milieu rural.
Je souhaite simplement que le Gouvernement ne reproduise pas les erreurs du passé et qu'il soit sensible au rapprochement entre les services publics et la population.

DEVENIR DE VIVENDI ENVIRONNEMENT

M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Beaudeau, auteur de la question n° 39, adressée à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le ministre, l'endettement de Vivendi Universal est une réalité : le groupe n'a-t-il pas, de 1998 à 2002, racheté trente-deux entreprises pour 100 milliards d'euros et vu, dans le même temps, sa dette s'élever à 19 milliards d'euros ?
Fin septembre, nous apprenions dans le quotidien La Tribune que Vivendi Environnement était en quête de repreneur. Jean-René Fourtou laissait entendre qu'une vente était possible, qu'il avait même présenté le dossier à quelques sociétés - françaises, il est vrai - comme le groupe de concessions Vinci ou Areva.
Il est vrai également que Vivendi Universal s'est engagé à conserver sa participation dans la société de services jusqu'au début de l'année 2004. A mon avis, ce n'est pas un argument, car la clause peut s'appliquer à un repreneur.
Je suis persuadée, monsieur le ministre, que vous avez été attentif à ces différentes déclarations.
Au demeurant, je ne suis pas seule à ressentir une grande inquiétude. Ainsi, le syndicat des eaux d'Ile-de-France a rappelé il y a un mois, dans un communiqué, « son extrême vigilance sur toute modification de capital de Vivendi Environnement, et notamment sur toute prise de participation étrangère ».
La tentation est grande, pour la maison mère de la filiale propriétaire de 40,8 % des titres, de résorber une partie de ses dettes.
Ma question est simple, monsieur le ministre : que pensez-vous des projets de Vivendi Universal concernant Vivendi Environnement ? Estimez-vous qu'il y a un risque ? Que comptez-vous faire pour vous y opposer ?
Vous comprendrez que ma question n'est pas anodine, pour trois raisons.
Premièrement, l'Etat a engagé beaucoup d'argent au profit de Vivendi Universal : crédits d'impôts, exonérations de charges, taxe professionnelle et bien d'autres avantages ont détourné l'investissement vers la spéculation, au détriment de la gestion d'un service essentiel pour le bien-être de nos concitoyens.
Deuxièmement - c'est l'objet principal de ma question -, quelles seraient les conséquences d'une telle vente sur la vie des Français ? Vivendi, c'est l'emploi de 381 000 personnes dans le monde, dont 100 000 en France. Que deviendraient-elles ?
Troisièmement, nous n'oublions pas que huit mille collectivités locales, soit vingt-six millions de Français, sont concernées par le service public de l'eau, notamment en termes de gestion financière et de santé publique.
Je rappelle que Vivendi Environnement est le premier groupe mondial pour la distribution de l'eau et qu'il dessert cent dix millions d'habitants dans plus de cent pays.
Par ailleurs, vous savez comme moi, monsieur le ministre, que seule la moitié du prix de l'eau est consacrée à ce produit, l'autre moitié servant au financement de l'assainissement et du traitement des eaux, voire des déchets : la seule branche eaux usées et déchets génère plus de 40 % des résultats du groupe, son chiffre d'affaires se monte à 29 milliards d'euros et son bénéfice d'exploitation à près de 2 milliards d'euros.
Pour maîtriser ce marché de l'eau et éviter la recherche de profit sur ce qui constitue une richesse pour la vie de tous, ne pensez-vous pas que la nationalisation des services de distribution de l'eau serait un moyen efficace de résister aux spéculations de Vivendi et de répondre aux besoins des Français ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. François Loos, ministre délégué au commerce extérieur. Madame le sénateur, le Gouvernement est pleinement conscient de la place qu'occupe le groupe Vivendi Environnement auprès des communes françaises et, à travers elles, auprès de nombreux citoyens français. Il en va de même pour son principal actionnaire, le groupe Vivendi Universal, qui occupe, lui, une place centrale dans notre industrie culturelle. Le Gouvernement suit donc avec une attention toute particulière les évolutions de ce grand groupe français.
Pour autant, Vivendi Environnement est un groupe privé, dans la gestion ou l'actionnariat duquel l'Etat n'a pas à intervenir. Au contraire, dans le souci d'apporter aux communes et à leurs habitants le meilleur service au meilleur coût, le secteur de l'eau doit connaître une concurrence réelle à travers le maintien de plusieurs acteurs indépendants et solides. Tel est aujourd'hui le cas.
Par ailleurs, il peut être rappelé que l'actionnariat de Vivendi Environnement est composé, à côté de son actionnaire historique, qui détient 40 % du capital, d'investisseurs institutionnels français de premier plan, qui assurent l'ancrage français de l'entreprise.
Ainsi, dans le cadre de l'augmentation de capital qui leur a été réservée, la Caisse des dépôts, Groupama, BNP-Paribas, la Société générale, Dexia, AGF, le Crédit Lyonnais, la Caisse d'épargne et Natexis ont acquis, cet été, 9,4 % des parts de Vivendi Environnement, qui viennent s'ajouter aux participations qu'ils détenaient auparavant ou qu'ils ont acquises dans le cadre de l'augmentation du capital ouverte au public.
S'agissant de la nationalisation, que vous avez évoquée, des services de distribution de l'eau, je ne vous surprendrai pas en vous indiquant qu'elle ne me paraît ni adaptée ni réaliste.
La gestion de l'eau, qui est de compétence communale dans notre pays, est, dans les faits, majoritairement assurée par des entreprises privées dans le cadre de délégations de service public. Aujourd'hui, à peine un quart de la population française dépend d'un réseau de distribution d'eau potable public géré en régie, mais les collectivités, qui restent propriétaires de leurs actifs dans le cadre de notre modèle français, ont toute latitude pour choisir leur mode de gestion : elles ont donc la possibilité de revenir à une gestion en régie, si elles le souhaitent, à l'expiration des contrats existants.
Les compagnies privées des eaux, parce qu'elles gèrent un grand nombre de contrats et qu'elles sont présentes à l'étranger, bénéficient d'économies d'échelle et possèdent une capacité d'innovation et d'expertise importante. Leur capacité financière leur permet de procéder aux investissements nécessaires au respect d'exigences accrues en matière de qualité de l'eau potable, d'assainissement ou de traitement des déchets.
Je ne pense donc pas qu'une nationalisation des compagnies des eaux conduirait, in fine , à une meilleure qualité de service pour les usagers.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le ministre, je suis particulièrement inquiète que vous ne me répondiez pas au sujet du risque que représenterait la vente éventuelle de Vivendi Environnement par Vivendi Universal. Je suis extrêmement surprise que vous méconnaissiez l'inquiétude qui est née non seulement chez les élus locaux mais également au sein de certains syndicats, tels que le syndicat des eaux d'Ile-de-France.
Nous sommes en présence d'un danger réel, et la nationalisation de la distribution de l'eau permettrait d'assurer véritablement le service public. Je m'étonne que, sur un sujet aussi important que la production de l'eau, vous laissiez des sociétés privées réaliser des profits !

CONSÉQUENCES DES AFFAISSEMENTS MINIERS
EN LORRAINE

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Masson, auteur de la question n° 40, adressée à Mme la ministre déléguée à l'industrie.
M. Jean-Louis Masson. Monsieur le ministre, je souhaite attirer particulièrement votre attention sur le dossier récurrent des affaissements miniers dans les mines de fer de Lorraine.
Le précédent gouvernement a temporisé sur ce dossier en espérant que les décisions importantes seraient prises après les élections. Mais je crains aujourd'hui, comme tous les Mosellans, que l'on ne continue à reporter éternellement les mesures qui s'imposent.
Ce problème est extrêmement grave et je veux très solennellement tirer ici la sonnette d'alarme. Il me paraît tout à fait anormal de mener en la matière la politique de l'autruche : actuellement, rien n'est fait, les pouvoirs publics attendent que des villages entiers s'effondrent pour ensuite déclarer l'urgence. Or il est notoire que certains endroits présentent des risques d'affaissement. La moindre des choses serait tout de même d'examiner la question afin d'étudier quelles mesures prendre !
Aujourd'hui, l'ennoyage du bassin Nord a été reporté de deux ans, pour permettre la recherche de solutions. Mais un an est déjà passé et, l'an prochain, l'ennoyage sera mis en oeuvre dans l'urgence, sans que rien n'ait été tenté auparavant.
Ce dossier doit faire l'objet d'un traitement correct et attentif de la part des pouvoirs publics. Il est impossible d'attendre davantage !
Sur trois points, je souhaite obtenir une réponse précise, au-delà de simples voeux pieux.
En premier lieu, s'agissant de l'ennoyage du bassin Nord, le sursis qui a été octroyé sera-t-il oui ou non utilisé pour prendre des mesures de consolidation, comme cela avait été promis ? Pour l'instant, rien n'a été entrepris, sauf dans les endroits où les affaissements se sont déjà produits ; mais c'est alors trop tard !
En deuxième lieu, la création d'une agence de prévention et de surveillance des risques miniers a été décidée il y a trois ans par le Parlement. Or cette agence n'est toujours pas en place. C'est véritablement anormal, monsieur le ministre, surtout compte tenu de l'urgence que je viens d'évoquer !
Enfin, en troisième lieu, ce problème pèse lourdement sur les collectivités locales. Ainsi, lorsque des affaissements miniers se produisent, il faut certes se préoccuper de l'indemnisation des propriétaires de maisons, mais les pouvoirs publics devraient aussi se pencher mieux qu'ils ne le font aujourd'hui sur les séquelles subies par les communes au niveau des réseaux souterrains. En effet, en cas d'affaissement, même si les maisons ne s'effondrent pas, les canalisations d'eau et le réseau d'assainissement sont touchés, et il faut tout recommencer. Lorsqu'on sait ce que coûte la réfection totale de ces canalisations et des réseaux d'électricité enfouis, on se rend compte de la gravité du problème.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. François Loos, ministre délégué au commerce extérieur. Monsieur le sénateur, j'ai bien compris que votre question précise appelait une réponse tout aussi précise.
Concernant la sécurité minière, nous avons tous à coeur d'apporter des solutions, que ce soit en Lorraine ou ailleurs, et ce sujet doit être traité avec la plus grande vigilance. Vous dites que cela fait plusieurs années que les dossiers ne sont pas réglés, mais nous n'y sommes, cette fois non plus, pour rien, car nous ne sommes aux affaires que depuis quelques mois.
Nous sommes bien conscients que ce sujet comporte des enjeux de sécurité pour les biens et pour les personnes, et la vigilance sera le principe directeur de notre action qui impliquera, naturellement, le respect du cadre juridique défini par le législateur au travers du code minier, lequel prévoit notamment les mesures de sauvegarde à prendre pour les populations exposées en cas de risque.
Je souhaiterais maintenant répondre de façon plus précise aux trois questions que vous m'avez posées.
Sur la première, qui concerne l'instabilité de certains ouvrages miniers, je dois d'abord vous dire que l'expertise géotechnique de l'Institut national de l'environnement industriel et des risques, l'Ineris, sur les zones d'affaissement potentiel du bassin Nord a été menée à son terme au début de cette année. Les résultats de cette analyse ont mis en évidence deux secteurs à risque d'affaissement brutal : l'un sur la commune de Thil, l'autre sur la commune de Fontoy.
Sur la commune de Thil, la configuration particulière des ouvrages miniers et leur accessibilité ont d'ores et déjà permis de prendre la décision de combler les vides souterrains laissés par les anciennes exploitations minières.
A Fontoy, le risque exige un traitement dans les formes définies par la loi du 30 mars 1999. Cela se traduira, in fine , soit par le comblement des cavités, soit par l'expropriation des populations exposées à ce risque.
Par ailleurs, un troisième site, dit « de Nondkeil », qui, en première analyse, ne présentait pas de risque d'affaissement brutal, fait actuellement l'objet d'une contre-expertise afin de confirmer ou non ce premier diagnostic, notamment au niveau des paramètres géologiques utilisés.
Au total, le report à novembre 2004 de l'ennoyage du bassin Nord décidé par mon précédesseur, M. Christian Pierret, doit permettre à l'Etat de clarifier le risque à Nondkeil et d'apporter une solution à Fontoy.
Enfin, je tiens à souligner que les autres zones reconnues instables, bien que ne présentant pas de risque d'affaissement brutal, sont également surveillées : dès qu'un aléa d'affaissement progressif est identifié, il entre immédiatement dans un processus de surveillance sur le long terme, mis en oeuvre par la direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement, la DRIRE, de Lorraine.
S'agissant maintenant du deuxième point, je vous confirme que l'agence de prévention des risques miniers est effectivement appelée à jouer un rôle important, tant dans la collecte et la conservation des dossiers d'arrêt des travaux miniers que lors de l'élaboration des plans de prévention des risques miniers.
Le conseil d'administration de l'agence est en cours de constitution. Les représentants des assemblées parlementaires sont M. Daniel Reiner et vous-même pour le Sénat, et MM. Jean-Louis Decool et Jean-Yves Le Déaut pour l'Assemblée nationale.
La nomination de son premier directeur doit également intervenir prochainement et des crédits permettant sa mise en place ont été dégagés.
L'agence devrait ainsi être opérationnelle au début de l'année 2003.
Enfin, troisième point de votre question, s'agissant de l'endommagement des réseaux souterrains de canalisations par des affaissements miniers, il convient, à mon sens, d'appliquer strictement et pleinement la loi de 1999 qui prévoit que « l'exploitant est responsable des dommages causés par son activité ». L'intervention de l'Etat n'est donc prévue qu'en cas « de disparition ou de défaillance de l'exploitant responsable ». M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Masson.
M. Jean-Louis Masson. Je vous remercie, monsieur le ministre, pour la partie très précise de votre réponse, mais je voudrais attirer votre attention sur les deux exemples que vous avez cités : Fontoy et la partie meurthe-et-mosellane du bassin minier.
Vous avez dit : on est en train de faire quelque chose. Mais, pour l'instant, à Fontoy, seule la commune a agi. Quant aux pouvoirs publics, ils n'ont rien fait.
Et, pour ce qui est du bassin minier de Meurthe-et-Moselle, on fait quelque chose, certes, mais après l'effondrement du site et non de manière préventive. On a attendu que cela s'effondre et, quand cela s'est effondré, il a bien fallu boucher le trou !
Je remercie l'Etat d'avoir agi après l'effondrement, mais ce n'est pas cela mettre en oeuvre une politique raisonnable de prévention des affaissements miniers !
M. le président. Mes chers collègues, en attendant l'arrivée de Mme Roselyne Bachelot-Narquin, nous allons maintenant interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix heures quinze, est reprise à dix heures vingt.)

M. le président. La séance est reprise.

AMÉNAGEMENT DE LA LOIRE ET PRÉVENTION
DES INONDATIONS

M. le président. La parole est à M. Dominique Leclerc, auteur de la question n° 29, adressée à Mme la ministre de l'écologie et du développement durable.
M. Dominique Leclerc. Madame le ministre, à la suite des inondations dans le Gard, vous avez annoncé, le 24 septembre dernier, à Nîmes, vouloir faire de la prévention des risques naturels, et plus particulièrement des inondations, une grande cause nationale. Sénateur d'Indre-et-Loire et maire d'une commune riveraine de la Loire, je vous en félicite.
Je reviendrai cependant sur le passé. L'ensemble des élus du bassin de la Loire, grâce à la volonté farouche de Jean Royer, avaient mis en place, en 1994, le plan Loire grandeur nature.
Adopté par le gouvernement de l'époque, ce plan retenait trois priorités : la sécurité des populations face au risque d'inondation ; l'animation de la gestion de la ressource en eau, des espaces naturels et ruraux des vallées ; la mise en valeur du patrimoine naturel paysager et culturel des vallées ligériennes.
Le financement de l'Etat, des collectivités locales et de l'agence de l'eau était acquis.
En 1999, Mme Voynet a souhaité réorienter l'action de l'Etat par des solutions alternatives. C'est la nouvelle philosophie de la seconde phase du plan Loire grandeur nature.
La priorité devient la réduction de la vulnérabilité des zones inondables, qui passe par un contrôle de l'urbanisme à travers les plans de prévention des risques naturels et prévisibles, les PPR, une prévision des crues renforcées par l'extension du réseau Cristal, une restauration de la culture du risque et, enfin, une préparation à la gestion de la crise.
Toutes ces actions préventives sont indispensables. En revanche, et c'est l'objet essentiel de mon interrogation de ce matin, nous abandonnons une grande partie des investissements de protection des populations déjà présentes dans le lit de la Loire. Ainsi, le barrage de Chambonchard, déclaré d'utilité publique en 1996 et dont le financement avait été partiellement engagé, a été abandonné.
Par ailleurs, qu'en est-il de la réalisation d'un ouvrage écrêteur du Veurdre pour abaisser la ligne d'eau de la Loire, qui a été préconisé par l'équipe pluridisciplinaire en 1995 ?
En dépit du contrat de plan Etat-région 2000-2006, plusieurs années de retard ont été prises dans le renforcement des levées. La continuité du renforcement des digues est essentielle pour accroître leur efficacité.
Lors des grandes crues du siècle dernier, celles de 1846 et de 1856, c'est dans la commune de La Ville-aux-Dames, dont je suis maire, que leur rupture s'est produite. Des travaux auraient pu y être entrepris. Eh bien non : ce fut fait uniquement en amont et en aval !
Face au risque d'inondation, c'est la sécurité des personnes et des biens qui doit rester la priorité de l'Etat. La prévention du risque ne peut être totalement privilégiée au détriment de la sécurité de ces populations.
Après les catastrophes que notre pays vient de connaître, il convient de prendre toutes les mesures possibles pour réduire les risques d'inondation. La prévention et l'information sur ces risques sont bien évidemment indispensables. Mais il faut aussi mettre en oeuvre des investissements visant à protéger les populations déjà présentes dans les zones à risques, selon les schémas qui ont été initialement prévus par l'EPALA, l'établissement public d'aménagement de la Loire et de ses affluents.
Aujourd'hui, lorsque de grandes catastrophes se produisent, nos concitoyens exigent la recherche des responsabilités. Leur émotion, leur détresse sont partagées par l'ensemble du pays grâce à la télévision. Il faudra donc leur expliquer que la Loire a été inscrite au patrimoine mondial et que l'Etat ainsi que les collectivités ont mis en place le réseau d'alerte Cristal, des projets d'intérêt général, des PIG, des PPR, des DICRIM, des documents d'informations communaux sur les risques majeurs, la valorisation des paysages, la route du saumon et le suivi des populations migratoires de saumons par radiopistage, etc.
Toutefois, tout cela ne suffira pas à atténuer le désespoir des populations inondées devant un risque connu et évalué maintes fois, et ce depuis longtemps.
De grâce, madame le ministre, que le Gouvernement réaffirme sa volonté politique et qu'il respecte ses engagements. M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot-Narqui, ministre de l'écologie et du développement durable. Monsieur le sénateur, vous avez bien voulu attirer mon attention sur l'impérieuse nécessité de prévenir les catastrophes naturelles, notamment les inondations. Je vis, comme vous, dans un bassin de crues et en pleine zone inondable ; je suis donc sensible à cette question en ma qualité de ministre de l'écologie et du développement durable, mais également en tant que présidente de la commission de l'aménagement du territoire et de l'environnement de la région Pays de la Loire. Les récentes inondations dans le Gard et les départements voisins sont là pour nous rappeler ce qu'il en est.
J'avais inscrit la prévention des risques naturels et technologiques dans les priorités de mon action ministérielle dès le mois de mai 2002.
La prévention des inondations a été le thème de mon premier déplacement dans le département des Ardennes, le long de la vallée de la Meuse.
Une de mes premières décisions budgétaires a consisté à mettre en place, en mai 2002, 7 millions d'euros d'autorisations de programme pour les tranches 2000 et 2001 des travaux de restauration du lit et des levées de la Loire, autorisations de programme dont la délégation avait été retardée avant mon arrivée.
Je réponds ainsi à l'une de vos premières préoccupations.
Grâce à un important travail préalable effectué dès mon arrivée, j'ai pu faire connaître à Nîmes, le 24 septembre 2002, tout un ensemble de mesures destinées à relancer vigoureusement la politique de prévention des inondations qu'avait initiée mon prédécesseur, M. Michel Barnier, en 1994, et qui s'était - il faut bien le dire - essoufflée depuis quelques années.
Comme vous le savez, 130 millions d'euros seront dégagés sur le budget général du ministère et sur le fonds national de solidarité pour l'eau, le FNSE, et ce sur quatre ans, afin, notamment, de soutenir des investissements des collectivités locales dans quinze bassins stratégiques. Ces moyens devront financer des ouvrages permettant de réguler le débit en amont des zones urbanisées en tête des bassins versants.
Au-delà des moyens, il s'agit bien là d'une rupture dans la méthode : nous ne nous contentons pas de protéger en aval, même si c'est absolument indispensable - j'y reviendrai -, nous essayons aussi de mieux contrôler le danger en amont.
J'ajoute qu'au cours de 2003 je conduirai avec le ministre chargé de l'équipement, M. Gilles de Robien, une réforme profonde du dispositif national de prévision des crues afin de lui donner plus d'efficacité. Une attention particulière - vous le comprendrez, même s'il ne s'agit pas de notre région ligérienne - sera consacrée aux orages cénevols - c'est dans cette région que les crues sont les plus meurtrières - avec la création, dès 2003, d'un centre hydrométéorologique qui renforcera les liens entre les services de prévision des crues et Météo France. Le bassin de la Loire, au sort duquel nous sommes tous les deux très attachés, bénéficiera à due proportion de ces mesures, qui viendront s'ajouter aux mesures du plan Loire grandeur nature.
La politique que j'entends promouvoir pour améliorer la prévention des inondations comporte aussi des mesures législatives, en particulier l'élaboration d'un titre consacré à la prévention des risques naturels, que je me propose d'ajouter dans le projet de loi relatif à la prévention des risques technologiques, qui sera débattu au Parlement au cours du premier semestre 2003. Figureront dans ce titre des dispositions tendant à mieux informer sur les risques, afin de créer ce que vous avez appelé une véritable « culture » du risque - je préfère le terme de « conscience » - dans la population, et des mesures visant à apporter une meilleure aide, en cas de sinistre.
En effet, comme vous l'avez justement remarqué, outre l'existence des plans de prévention des risques, il convient aussi d'aider les personnes déjà installées, parfois depuis plusieurs générations, dans les zones inondables à mieux protéger leurs maisons, leurs installations commerciales ou industrielles. Des mesures financières seront étudiées lors de l'examen du projet de loi précité.
Le 26 septembre, je suis allée à Orléans annoncer les mesures prises pour donner une nouvelle impulsion au volet relatif à la prévention des inondations du plan Loire. Il avait pris un grand retard ces dernières années, malgré la disponibilité de moyens financiers réservés au budget de l'Etat et des collectivités locales. Ces moyens étaient en effet restés inutilisés en raison d'une mauvaise organisation des services de l'Etat, que la Cour des comptes avait fort justement relevée.
L'équipe de projet de l'Etat sera renforcée dès 2003 d'une douzaine de postes, notamment d'ingénieurs, afin de consolider les actions mises en oeuvre, souvent assez complexes à conduire, pour ne pas dire très complexes. Je songe, en particulier, à la sécurisation des digues.
Par ailleurs, le préfet coordonnateur de bassin a été chargé explicitement par M. le Premier ministre d'une fonction de pilotage. Des pouvoirs nouveaux, notamment financiers, sont associés à cette fonction interrégionale.
Pour revenir à la question que vous m'avez posée, les ouvrages de protection en aval sont tout à fait nécessaires. Mon plan n'est pas en contradiction avec ces ouvrages. Quant au barrage de Chambonchard, que vous avez cité, ce n'est pas un ouvrage écrêteur de crues ; c'est un simple barrage de soutien d'étiage. Il n'a donc aucun effet sur la protection des inondations.
S'agissant de la réalisation d'un ouvrage écrêteur des crues du Veurdre, qui aurait un impact considérable sur l'environnement, j'ai annoncé à Orléans ma décision non pas de la supprimer, mais de la retarder en attendant de savoir si cet ouvrage sera toujours nécessaire une fois que les opérations de ralentissement dynamique auront été menées en amont.
Monsieur le sénateur, je peux vous garantir mon implication totale en matière de lutte contre les inondations.
M. le président. La parole est à M. Dominique Leclerc.
M. Dominique Leclerc. Madame la ministre, j'ai écouté avec attention tous les propos que vous avez tenus ces derniers mois. Ils ont été suivis d'une relance de l'action de l'Etat non seulement pour le bassin ligérien, mais plus généralement en matière d'inondations dans notre pays.
La prise de conscience, je retiens votre vocable, est indispensable. Sachez que, nous, élus ligériens, avons multiplié les documents d'information.
A Tours s'ouvre aujourd'hui un colloque traitant de prévention et visant à imprégner les consciences, notamment des plus jeunes, de ce risque d'inondations.
Mais les derniers événements de cet été, dus à des perturbations météorologiques qui ont largement dépassé nos frontières, nous ont fait comprendre que le risque zéro n'existait pas et que, même si la Loire n'était pas concernée, ce risque existait toujours.
Tout un déroulement historique a conduit à l'installation de populations dans le lit de la Loire. Aujourd'hui, en Indre-et-Loire, ce sont 160 000 personnes qui représentent 60 % de la vie économique des rives de la Loire.
Devant le désespoir et l'amertume de ces populations, je voulais vous rappeler qu'au-delà des mesures de prévention indispensables il est des mesures à prendre qui nécessitent de forts investissements. Si certains ont été abandonnés à juste titre, ce n'est pas le cas pour d'autres. Il faut agir d'autant plus rapidement que, une fois la catastrophe survenue, ce ne sont pas les indemnités, toujours partielles, et de simples mesures financières qui permettront de venir au secours de la population ligérienne en cas d'inondations.
Tel était, madame la ministre, le message d'urgence que je voulais vous faire passer. Je vous remercie de l'avoir compris.

RÉGLEMENTATION DU PRIX DE L'EAU

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Carle, auteur de la question n° 50, adressée à Mme la ministre de l'écologie et du développement durable.
M. Jean-Claude Carle. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ma question concerne la réglementation actuelle fixant le prix de l'eau.
La facturation est fonction de la consommation effectuée. Cette mesure, fondée sur le principe d'égalité de tous les usagers, s'avère particulièrement inéquitable dans nombre de communes touristiques. Ces dernières doivent faire face à des investissements surdimensionnés pour répondre aux besoins des résidences secondaires.
A titre d'exemple, la commune de Saint-Gervais-les-Bains, en Haute-Savoie, qui compte environ 5 400 habitants, doit faire face à des investissements équivalents à ceux d'une commune de 30 000 à 40 000 habitants.
Compte tenu de la réglementation en vigueur, ce sont donc les habitants permanents qui assument la plus grosse partie de la charge de ces surplus d'investissements.
Le prix du mètre cube d'eau peut atteindre 4,5 euros - c'est le cas de Saint-Gervais - alors que l'exploitation même de l'eau est d'un coût très faible.
Plusieurs communes, dans un souci d'équité, ont mis en place une part fixe qui intègre cet impératif de surdimensionnement des réseaux et des stations d'épuration. Comme vous le savez, madame la ministre, elles se sont vu débouter par les tribunaux compétents.
Je vous demande donc quelles mesures spécifiques vous comptez prendre à l'égard de ces communes, à l'heure où celles-ci doivent faire face à des investissements énormes comme la reconstruction de leur station d'épuration.
Ces mesures sont urgentes et indispensables, faute de quoi les communes seront dans l'incapacité de réaliser ces mises aux normes.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable. Monsieur le sénateur, la fixation du prix de l'eau, sujet sur lequel vous avez appelé mon attention, plus généralement les modalités d'organisation des services publics de distribution d'eau et d'assainissement, relèvent de la compétence directe des collectivités territoriales. Comment ne pas vous le rappeler, mesdames, messieurs les sénateurs, vous qui les représentez et qui souhaitez poursuivre le mouvement de décentralisation ?
Les collectivités doivent fixer les tarifs pour garantir l'équilibre des budgets et pour s'assurer de la pérennité des services d'eau et d'assainissement. Elles doivent aussi provisionner les sommes nécessaires au renouvellement et à la modernisation des services. Le législateur en 1992 et, plus récemment, le pouvoir réglementaire en 2000 ont précisé les modalités de tarification de ces services publics.
Ainsi, aux termes de l'article L. 214-15 du code de l'environnement, « Toute facture d'eau comprend un montant calculé en fonction du volume réellement consommé par l'abonné à un service de distribution d'eau et peut, en outre, comprendre un montant calculé indépendamment de ce volume, compte tenu des charges fixes du service et des caractéristiques du branchement. »
De plus, le décret n° 2000-237 du 13 mars 2000, pris pour l'application des articles L. 2224-7 à L. 2224-12 du code général des collectivités territoriales, précise l'application à l'assainissement collectif de ce principe de tarification proportionnel au volume, avec la possibilité d'instaurer une partie fixe.
Ainsi, « la partie variable est déterminée en fonction du volume d'eau prélevé (...) dont l'usage génère le rejet d'une eau usée collectée par le service d'assainissement. (...)
« La partie fixe est calculée pour couvrir tout ou partie des charges fixes du service d'assainissement. »
Ainsi, qu'elles soient ou non touristiques, les collectivités territoriales peuvent fixer librement le montant des parties fixes de leur service d'eau et d'assainissement collectif.
Dans les choix qui sont opérés au niveau local pour la fixation de ce montant, un juste équilibre doit simplement être trouvé pour s'assurer que la tarification retenue incite à une bonne gestion de l'eau, comme nous le demande la directive européenne du 23 octobre 2000 fixant un cadre pour une politique communautaire de l'eau. Nous aurons bientôt, au début de 2003, l'occasion de transposer la directive - cadre sur l'eau.
En ce qui concerne l'eau, monsieur le sénateur, seules deux personnes « mythiques » peuvent être sollicitées, l'usager ou le contribuable. Il est à mon sens tout à fait logique que ce soit l'usager qui paie sa facture d'eau et, bien entendu, que des communes modestes qui doivent faire face à de gros investissements se tournent vers la solidarité nationale, sous forme d'une péréquation qu'il ne sera sans doute pas inutile d'évoquer dans le débat qui nous attend sur la décentralisation.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Carle.
M. Jean-Claude Carle. Madame la ministre, je vous remercie des précisions que vous avez bien voulu m'apporter, même si la notion de part fixe reste floue, en particulier la fixation de son montant. Je souhaite donc, comme vous l'avez dit, que cela soit précisé lors de l'examen d'un prochain texte en la matière, afin de tenir compte de la spécificité de ces communes qui voient leur population multipliée par deux, par trois, par cinq, voire par dix, cela pendant deux à six mois de l'année.
Il faut que la loi tienne compte de cette réalité afin d'éviter la jurisprudence qui place les maires dans des situations difficiles, car ils ne savent pas quelle position adopter et se voient souvent reprocher par les habitants un prix de l'eau exorbitant.
Madame la ministre, si vous en êtes d'accord, je souhaite que cette réflexion soit menée en concertation avec les élus concernés. Dans mon département, les maires de Saint-Gervais et de Chamonix, en particulier, sont prêts à vous recontrer. Je vous remercie par avance de votre souci de concertation et de votre écoute.
M. le président. Monsieur Carle, moi, à Marseille, j'ai baissé le prix de l'eau et personne ne s'en est rendu compte ! (Sourires.)
M. Jean-Claude Carle. Le pastis n'a pas augmenté ! (Nouveaux sourires.)

RÈGLES DE SÉCURITÉ APPLICABLES
AUX PÊCHEURS À LA LIGNE

M. le président. La parole est à M. Jean-Patrick Courtois, auteur de la question n° 3, adressée à M. le secrétaire d'Etat aux transports et à la mer.
M. Jean-Patrick Courtois. Madame la ministre, j'appelle votre attention sur la sécurité des pêcheurs à la ligne à bord de leur bateau sur les rivières.
Voies navigables de France, VNF, recommande à ces pêcheurs à la ligne de porter un gilet de sauvetage. Cela paraît compréhensible, notamment l'hiver, dans la mesure où l'eau des rivières est froide. Une chute par-dessus bord pourrait ainsi leur être fatale.
Cependant, l'été, le port du gilet de sauvetage paraît moins justifié. L'eau est en effet plus chaude et, en cas de chute par-dessus bord, les pêcheurs pourraient facilement regagner les rives à la nage, d'autant qu'elles sont relativement étroites dans les rivières. De surcroît, les pêcheurs sont extrêmement gênés, compte tenu de la chaleur, de porter durant toute la journée un gilet de sauvetage.
En conséquence, je vous serais reconnaissant de bien vouloir m'indiquer si les pêcheurs à la ligne doivent obligatoirement porter un gilet de sauvetage lorsqu'ils pêchent à bord de leur bateau et, dans l'affirmative, s'ils risquent d'être verbalisés dans l'hypothèse où ils n'en porteraient pas, ou s'il s'agit d'une simple recommandation.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable. Je remercie M. Courtois de sa question. En effet, même si elle est adressée à mon collègue M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer, j'y suis particulièrement sensible puisque je suis la ministre de la pêche en rivière !
Monsieur le sénateur, vous attirez l'attention sur la sécurité des pêcheurs à la ligne à bord de leur bateau et la réglementation édictée par Voies navigables de France.
Les dispositions sur le port du gilet de sauvetage pour les pêcheurs sont prises par arrêté préfectoral en application du règlement général de police de la navigation intérieure annexé au décret n° 73-912 du 21 septembre 1973.
Des dispositions spécifiques existent effectivement sur certains cours d'eau domaniaux rendant obligatoire le port du gilet de sauvetage. Ainsi, l'arrêté du 20 décembre 1974 fixant le règlement particulier de police de la navigation sur le canal de la haute Seine, la Seine, l'Yonne, la Marne et l'Oise, définit précisément les conditions dans lesquelles le port du gilet de sauvetage est obligatoire. Il s'agit, notamment, des personnes qui se déplacent en dehors des logements, de la timonerie et de toute surface de circulation protégée contre le risque de chute dans l'eau lorsque le bateau fait route. Dans les autres cas, le port du gilet de sauvetage est recommandé, sans être obligatoire.
En conséquence, lorsque le bateau est en stationnement ou sur l'ancre, le port du gilet de sauvetage est une simple recommandation de prudence, notamment aux pêcheurs à la ligne à l'arrêt.
De façon plus générale, il convient que les pêcheurs consultent les règlements particuliers de police spécifiques au cours d'eau dans lequel ils pêchent pour connaître la règlementation précise sur le port du gilet de sauvetage.
Je ne peux donc pas, monsieur le sénateur, répondre de façon générale à votre question. Des règlements particuliers sont pris par arrêté préfectoral sur chaque rivière et il convient donc de s'y référer. Mais, dans ce domaine comme dans l'autre, on ne peut qu'inciter les pêcheurs à la plus extrême prudence, car, hélas ! dans un sport et dans une activité de loisir qui est toute de tranquillité, chaque année, nous avons à regretter des accidents, qui concernent tout particulièrement des enfants.
M. le président. La parole est à M. Jean-Patrick Courtois.
M. Jean-Patrick Courtois. Je vous remercie, madame la ministre, de votre réponse qui, effectivement, clarifie la situation. En effet, récemment, j'étais à l'assemblée générale des pêcheurs, et la question s'est posée de savoir si les services de la gendarmerie, qui, maintenant, vont sur l'eau, pouvaient ou non verbaliser. Désormais, nous saurons qu'il convient de vérifier l'existence d'un arrêté préfectoral à cet égard, auquel cas les contrevenants pourront être verbalisés.
Par ailleurs, je m'associe à la recommandation que vous venez de faire.

RENFORCEMENT DE L'ATTRACTIVITÉ SOCIALE
DU SECTEUR DE L'ARTISANAT

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Luypaert, auteur de la question n° 15, adressée à M. le secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation.
Mme Brigitte Luypaert. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la loi d'orientation du commerce et de l'artisanat, adoptée par le Parlement en 1973, dont nous allons bientôt fêter le trentième anniversaire, avait inscrit en lettre d'or l'égalité fiscale et l'égalité sociale en faveur des commerçants et des artisans parmi les principes fondamentaux qui devaient être mis en oeuvre dans les meilleurs délais.
Force est de reconnaître que, malgré les nombreux progrès enregistrés dans ces deux domaines depuis lors, il demeure encore certaines lacunes, s'agissant notamment de l'égalité sociale ou de l'attractivité sociale dans le secteur de l'artisanat.
En effet, sur les 836 000 entreprises que compte le secteur des métiers en France, la très grande majorité d'entre elles sont des entreprises individuelles avec, dans de nombreux cas, une très forte implication du conjoint dans l'activité de l'entreprise. Ainsi, tous les risques financiers pèsent, en réalité, sur la famille, avec une fiscalité plus lourde et surtout une protection sociale qui ne se situe toujours pas au même niveau que celle dont bénéficient les ressortissants au régime général de la sécurité sociale.
Quelles sont les améliorations qui pourraient être apportées au régime social des artisans ? De mon point de vue, quatre pistes de travail pourraient être explorées.
En premier lieu, il faudrait instaurer un mécanisme de cessation anticipée d'activité en faveur des artisans. En effet, certains d'entre eux commencent très tôt leur activité professionnelle et, par ailleurs, de nombreux métiers ont un degré de pénibilité tel qu'un départ anticipé à la retraite peut se justifier. Ajoutons que le secteur des métiers est l'un des rares secteurs professionnels à ne pas bénéficier d'un tel dispositif.
En deuxième lieu, il conviendrait de pérenniser les régimes de retraites et d'assurer l'équité des prestations. Je sais que ce dossier fait partie des préoccupations du nouveau Gouvernement. La réforme des régimes de retraite, outre le fait qu'elle devra leur assurer un financement stable et durable, devrait également placer à égalité, en matière d'accès à l'assurance vieillesse et de prestations, toutes les catégories socio-professionnelles.
En troisième lieu, il importerait d'aligner sur le régime général de sécurité sociale les indemnités journalières des artisans en supprimant, notamment, les délais de carence actuellement appliqués en cas d'hospitalisation, de maladie ou d'accident : il semble normal de faire bénéficier les artisans de la même protection sociale que les salariés face à la maladie ou à l'hospitalisation.
En quatrième lieu, il faudrait améliorer le statut des conjoints d'artisans et limiter, autant que faire se peut, le recours aux cautions solidaires. La loi du 10 juillet 1982 met à la disposition des conjoints d'artisans ou de commerçants trois possibilités de statut : collaborateur, salarié ou associé. Or il semblerait que les deux tiers des conjoints d'artisans ou de commerçants n'en bénéficient pas. De deux choses l'une : ou bien ces dispositions sont mal connues, ce qui serait tout de même étonnant, ou bien elles nécessiteraient quelques améliorations afin de les rendre plus attractives.
Il conviendrait peut-être, premièrement, de permettre d'inclure dans les charges de l'entreprise la totalité du salaire du conjoint, quel que soit son régime matrimonial ; deuxièmement, d'ouvrir le statut de conjoint-collaborateur aux conjoints des gérants non salariés des sociétés anonymes à responsabilité limitée, les SARL, ou des associés uniques des entreprises unipersonnelles à responsabilité limitée, les EURL ; troisièmement, d'accroître la possibilité de cumuler une activité salariée à temps partiel avec le statut de conjoint-collaborateur ; quatrièmement, d'aligner les prestations maternité des conjoints-collaborateurs sur celles des femmes chefs d'entreprise ; enfin, cinquièmement, d'ouvrir le bénéfice de l'allocation parentale d'éducation aux conjoints-collaborateurs.
Telles sont les améliorations qui pourraient être apportées au statut social des artisans, des commerçants ou de leurs conjoints. Je fais confiance au Gouvernement et au secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, notamment, pour prendre en compte ces préoccupations et faire en sorte qu'au cours de la présente législature satisfaction puisse leur être donnée. Nous savons tous le rôle éminent que jouent les entreprises artisanales dans notre pays ; il convient de ne pas les décevoir.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable. Madame la sénatrice, vous avez appelé l'attention de M. Loos, ministre délégué au commerce extérieur, et de M. Dutreil, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation, sur un secteur tout à fait capital de notre économie, et les propositions que vous avez avancées sont très pertinentes.
En effet, rendre l'artisanat attractif suppose que l'on s'intéresse au statut même de l'artisan, à ses charges sociales, à la protection de son patrimoine, à sa formation et à sa retraite. C'est aussi s'intéresser aux conditions dans lesquelles les artisans peuvent trouver de la main-d'oeuvre qualifiée.
A cet effet, le plan en faveur de la création Enfind'entreprise proposé par M. le secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation comprend des mesures qui vont en ce sens : détermination d'un patrimoine d'affectation, pour sécuriser la situation personnelle du créateur d'entreprise ; différé de paiement des charges sociales la première année ; développement de l'esprit d'entreprendre en faisant mieux connaître l'entreprise dans les programmes scolaires.
La formation professionnelle continue des artisans eux-mêmes est en cours d'examen, et les questions du statut - le statut du conjoint, en particulier, sur lequel vous avez très justement appelé l'attention du Gouvernement - et des retraites vont être étudiées dans les prochains mois.
Le Gouvernement, au-delà d'une réflexion plus large sur la politique de formation des jeunes, en particulier l'apprentissage, a d'ores et déjà entrepris d'agir sur l'embauche en allégeant de façon significative les charges sociales sur les bas salaires grâce à des exonérations sur les charges sociales jusqu'à 1,7 SMIC en 2005.
Les contrats « jeunes en entreprises » que le Gouvernement vient de mettre en place devraient faciliter les recrutements des jeunes les moins qualifiés dans les entreprises artisanales et favoriser leur accès aux dispositifs de validation des acquis de l'expérience professionnelle. J'ajoute que les contrats « jeunes en entreprises » sont exonérés totalement de charges la première année et de manière dégressive les trois années suivantes.
Enfin, le Fonds national de promotion et de communication de l'artisanat, le FNPCA, a été créé pour contribuer au développement de l'artisanat en valorisant son image, et des campagnes de communication telles que celles qui présentent l'artisanat comme la première entreprise de France sont appelées à produire des effets très positifs sur l'attractivité du secteur.
En tout état de cause, le Gouvernement veillera à accompagner, dans le cadre de son domaine d'intervention, les secteurs qui engageront les efforts nécessaires pour accroître l'attractivité des métiers.
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Luypaert.
Mme Brigitte Luypaert. Je remercie Mme la ministre de sa réponse. Je serai attentive à toute amélioration qui sera apportée dans ce secteur, notamment sur le statut social des conjoints.

PROCÉDURE D'EXTENSION DU PÉRIMÈTRE
DES COMMUNAUTÉS D'AGGLOMÉRATION

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Alduy, auteur de la question n° 36, adressée à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
M. Jean-Paul Alduy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi Chevènement a permis le développement en France d'un fort courant d'intercommunalité, sauf peut-être en région parisienne. Il s'agit d'un effet positif. Mais l'application de cette loi pose de nombreuses difficultés. Je souhaite attirer votre attention, monsieur le ministre, sur l'une d'entre elles, qui risque de remettre en cause de nombreux établissements publics de coopération intercommunale.
Les arrêtés qui ont constitué ces établissements publics de coopération intercommunale ont été pris, en général, avant le 12 juillet 2002, c'est-à-dire, aux termes de la loi, dans une période où la procédure était conduite par le préfet et nécessitait l'accord de la majorité qualifiée des communes, soit la moitié des communes représentant les deux tiers de la population ou les deux tiers des communes représentant la moitié de la population.
Un recours intenté aujourd'hui contre ces arrêtés - ou, plus grave encore, dans un an, dans deux ans ou dans trois ans - qui conduirait à leur annulation après le 13 juillet 2002, obligerait à redéfinir les périmètres des EPCI, mais cette fois dans le cadre d'une procédure nouvelle, à savoir l'accord individuel de chaque commune et à condition qu'aucune enclave n'apparaisse dans le périmètre proposé.
Dès lors, une commune « bien située » pourrait interdire la reconstruction d'un établissement public qui aura pourtant fonctionné deux ou trois ans, car les procédures juridiques sont assez longues. De nombreux établissements publics de coopération intercommunale pourraient ainsi être mis en péril.
Monsieur le ministre, ne serait-il pas possible, sans doute par voie législative, en cas de recours abouti après le 13 juillet 2002, de conserver le principe de la majorité qualifiée ?
C'est la seule façon, me semble-t-il, de protéger les établissements publics actuels, tout en laissant évidemment aux communes le droit de coordonner leur action, mais sur la base d'une majorité qualifiée.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales. Monsieur le sénateur, vous avez bien posé le problème, encore qu'il ne concerne que les extensions. Il est vrai que la loi permettait, jusqu'au 12 juillet 2002, de procéder à une extension de périmètre malgré le refus d'une des communes. Depuis, ce n'est plus possible. S'agissant de la Constitution, cela demeure possible au travers de la majorité qualifiée.
Le Gouvernement est attaché à la fois à la pérennisation des EPCI qui ont été raisonnablement construits et au principe de liberté des communes. Car il y a une forme de violence dans l'extension malgré le refus d'une commune.
En fait, vous soulevez le problème de la transition, du passage d'une situation à une autre. Comme vous l'avez rappelé, seule une modification législative permettra de remédier à cette situation puisque c'est l'article L. 5216-10 du code général des collectivités territoriales qui permet de procéder ainsi.
Je puis vous dire que, en accord avec Gilles de Robien et Jean-Paul Delevoye, mon ministère travaille à trouver une solution de cohérence dans les lois de périmètre. Après la réforme constitutionnelle et la nouvelle loi organique, un débat aura lieu devant le Parlement sur ce point notamment, dans le souci de ne pas mettre en péril des communautés existantes.
Le Gouvernement est donc conscient de ce problème dont le Parlement sera saisi l'année prochaine.
M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Alduy.
M. Jean-Paul Alduy. Je suis tout à fait satisfait de votre réponse, monsieur le ministre : rendez-vous, donc, lorsque ces lois seront « toilettées ».
M. le président. Cela nous intéresse tous !

EFFETS DE LA LOI DU 11 MAI 1998
PAR RAPPORT À L'ASILE TERRITORIAL

M. le président. La parole est à M. Louis Souvet, auteur de la question n° 17, adressée à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
M. Louis Souvet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le problème que je souhaite soulever aujourd'hui est grave. En 1998, du fait des contraintes générées par la géopolitique, il a fallu canaliser, légaliser une pratique introduite par les instructions ministérielles, c'est-à-dire sans caractère légal : je veux parler de l'asile territorial.
Nous étions confrontés, d'un côté, à l'afflux de réfugiés - issus par exemple de l'ex-Yougoslavie ou de l'Algérie - et, de l'autre, à une référence très stricte, à savoir la convention de Genève.
Face à cette inadéquation patente, il devenait urgent de trouver un moyen terme, d'où les règles du jeu de l'asile territorial. Cela permettait de sortir d'un flou artistique. Cependant, l'utilité ab initio a laissé place à ce qu'il est convenu d'appeler - sans grossir le trait - des effets pervers.
Pourquoi ? Après quelque temps, les délais de procédure étant très longs du fait du nombre de demandeurs, l'intéressé ne veut plus rester à la charge de la structure familiale. Il se tourne alors obligatoirement vers les services sociaux, l'interdiction lui étant faite de travailler. Ce processus favorise l'assistanat, mais également le travail au noir.
De 1999 à 2000, le nombre des demandes d'asile territorial a été multiplié par deux, passant, selon les chiffres officiels, de 6 984 à 11 810. Et encore, tous les cas ne sont pas recensés du fait du caractère le plus souvent familial de l'accueil. Selon des avis autorisés, ce nombre pourrait être multiplié par trois pour correspondre à la réalité.
Quand une loi ne répond plus à son objectif, quelles que soient ses qualités initiales, et lorsqu'elle produit plus d'effets négatifs qu'elle ne règle de problèmes, il convient de s'interroger, monsieur le ministre, sur la nécessité de la réformer.
Soulignons que le caractère familial de l'hébergement initial rend attractives les régions fortement industrialisées où résident de nombreuses familles issues d'une immigration plus ancienne.
Nous sommes en présence d'une triple problématique : d'abord, ne doit-on pas autoriser ces demandeurs d'asile territorial à travailler durant l'instruction de leur dossier, comme peut le faire le demandeur d'asile politique ? Ensuite, comment éviter que la procédure d'asile territorial ne soit considérée - par le demandeur, bien sûr - comme « un appel » de la décision négative rendue dans le domaine de l'asile politique ? Enfin, comment mettre un terme à l'engorgement des centres d'urgence ? Dans mon département, le Doubs, 550 places sont disponibles pour 800 demandes !
Le cadre législatif initial, il est vrai, n'est pas seul en cause. L'annulation par le Conseil d'Etat - par son arrêt du 26 janvier 2000, Association France Terre d'Asile. Amnesty International - d'un certain nombre de dispositions de la circulaire du 25 juin 1998 n'a pas amélioré la situation, bien au contraire. L'élargissement du champ d'application de l'asile territorial a conduit aux effets précédemment énoncés.
Je me réjouis que le Gouvernement ait pris en compte l'ampleur du problème, les demandes manifestement infondées n'étant plus filtrées par les autorités françaises, comme le rappelait dans une note M. le directeur des Français à l'étranger en France.
Je vous demande donc, monsieur le ministre, comment peut être évité de facto l'enchaînement des procédures : asile conventionnel, puis asile territorial - particularisme français, soit dit en passant.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales. Monsieur le sénateur, quelle est tout d'abord la situation juridique ?
Juridiquement, la procédure de l'asile territorial dépend de la loi relative à l'entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d'asile, dite loi RESEDA, du 11 mai 1998, dont l'objet est d'accorder un droit au séjour en France d'une année, renouvelable, à un ressortissant étranger qui peut faire état dans son pays d'origine de menaces sur sa liberté ou sur sa vie.
Il s'agit d'une protection complémentaire par rapport à celle qui est contenue dans la convention de Genève de 1951.
Quelles sont, ensuite, les données chiffrées ? Elles sont encore plus alarmantes que celles que vous avez citées puisqu'en 2001 plus de 30 000 personnes se sont présentées dans les préfectures pour entamer une procédure d'asile territorial. Ce phénomène a évidemment entraîné des engorgements à tous les niveaux.
Le situation du demandeur d'asile territorial n'est pas la même que celle du demandeur d'asile conventionnel : il est exclu du dispositif d'accueil, car il n'a pas, lui, le droit de bénéficier de conditions d'hébergement et de prestations sociales spécifiques. Mais il peut accéder par ailleurs à des prestations pour sa famille ou à la couverture maladie universelle, ce qui est de nature à créer une situation largement incontrôlée.
Quelles sont, enfin, les initiatives que le Gouvernement a prises ?
Dès le 25 septembre dernier, le conseil des ministres a arrêté les plans d'une réforme qui devra être totalement en vigueur au 1er janvier 2004 ; nous prenons d'ores et déjà les mesures, mais il faut du temps.
Cette réforme, inspirée par la volonté d'accroître les moyens et de simplifier un dispositif global passablement complexe, comporte plusieurs innovations : l'OFPRA, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sera seul compétent, non seulement en matière d'asile conventionnel, mais aussi d'asile territorial.
Je réponds donc à votre demande : les deux procédures, celle de l'asile conventionnel et celle de l'asile territorial, seront rassemblées au sein de la même organisation, l'OFPRA.
Les préfectures continueront de délivrer des autorisations de séjour aux demandeurs d'asile. L'OFPRA sera déconcentré dans les régions d'accueil des demandeurs d'asile, en cohérence avec la pratique de nos partenaires européens. La France élargira le statut de réfugié, mais l'origine étatique des persécutions cessera d'être le critère automatique. Le corollaire de la mise en oeuvre de cette réforme de l'asile sera la reconduite effective à la frontière des étrangers déboutés dans des délais n'excédant pas deux mois, du moins l'espérons-nous.
Cette réforme suppose une modification de la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile et de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour en France des étrangers et portant création de l'Office national d'immigration.
M. le président. La parole est à M. Louis Souvet.
M. Louis Souvet. Je vous remercie, monsieur le ministre, de la précision de vos propos. La direction que vous nous avez donnée correspond certainement aux souhaits des uns et des autres.
Cependant, vous ne m'avez pas répondu quant aux possibilités de faire travailler les personnes qui attendent l'instruction de leur dossier. Mais, à partir du moment où les délais seront considérablement raccourcis, je comprends qu'on ne réponde pas à cette question.

AIDES FINANCIÈRES DE L'ÉTAT
EN FAVEUR DES DÉPARTEMENTS

M. le président. La parole est à M. Claude Biwer, auteur de la question n° 6, adressée à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
M. Claude Biwer. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, au cours du mois de juillet 2002, la presse s'est largement fait l'écho de la situation paradoxale à laquelle nos compatriotes allaient être confrontés cette année. Au moment même où le Gouvernement confirmait, à juste titre, la baisse de l'impôt sur le revenu des personnes physiques, les départements allaient, de leur côté, devoir augmenter les impôts locaux, au risque de brouiller le message gouvernemental.
Dans ces conditions, les contribuables peuvent se demander si on ne leur reprend pas d'une main ce que l'on leur donne de l'autre !
Comment en est-on arrivé là ? Tout simplement parce que le gouvernement précédent a, directement ou indirectement, transféré un certain nombre de charges aux départements sans prévoir aucune compensation financière.
Je pense, tout d'abord, à la réforme des SDIS, les services départementaux d'incendie et de secours, réforme qui se traduit par une montée en puissance progressive des engagements substantiels de dépenses pour les départements. Ainsi, les dépenses de fonctionnement des SDIS augmentent de plus de 10 % en 2002 par rapport à 2001.
Je pense, ensuite, à la généralisation des 35 heures à la fonction publique territoriale qui a été mise en place sans aucune concertation préalable avec les associations représentatives d'élus.
Elle n'est, bien entendu, assortie d'aucune aide financière de l'Etat, contrairement à ce qui se passe pour les entreprises du secteur privé. C'est ainsi que l'application de cette mesure a imposé de nombreuses embauches de personnels dans les conseils généraux et dans les établissements de soins départementaux. Les dépenses liées à la mise en place des 35 heures augmentent donc de 7,6 % en 2002 par rapport à 2001.
Je pense, enfin, à la mise en oeuvre de l'APA, l'allocation personnalisée d'autonomie. Dieu sait si le Sénat et l'Assemblée des départements de France avaient, en leur temps, tiré la sonnette d'alarme ! Mais rien n'y fit ! Aujourd'hui, nous voyons la traduction chiffrée de cette réforme. Une fois de plus, l'Etat a été particulièrement généreux avec les deniers des départements et, donc, des contribuables locaux.
L'APA est, en effet, financée pour plus des trois quarts par les départements. L'Observatoire national de l'action sociale décentralisée a chiffré le surcoût pour ceux-ci à 1,7 milliard d'euros pour la période 2002-2003, soit 11 milliards de francs. L'augmentation globale du poids de l'aide sociale s'élève à environ 13 % par an. En 2002, les départements vont consacrer près de 4 milliards d'euros aux personnes âgées, soit une progression de 42,5 % par rapport à 2001.
Contrairement au budget de l'Etat, les budgets de fonctionnement des départements doivent être équilibrés. Dès lors, il ne faut guère s'étonner qu'après une pause fiscale de plusieurs années ces derniers se voient, la mort dans l'âme, dans l'obligation de majorer leur fiscalité. Ainsi, la direction générale des collectivités locales, la DGCL, vient de confirmer que soixante-huit départements ont relevé leur taux d'imposition en 2002 !
Il convient d'ajouter que leur situation financière est également rendue difficile du fait de la suppression d'un certain nombre d'impôts. Ils sont remplacés par des compensations dont le montant est fixé par l'Etat : suppression de la part salariale de la taxe professionnelle, suppression de la vignette automobile, baisse des droits de mutation.
Non seulement l'autonomie fiscale des départements s'en trouve considérablement réduite, mais, de plus, ils subissent une perte nette de recettes, les compensations étant toujours insuffisantes.
Ainsi les conseils généraux sont-ils condamnés à un redoutable effet de ciseaux : baisses de leurs recettes, d'une part, majoration de leurs dépenses, d'autre part.
L'inscription dans la Constitution du principe de l'autonomie fiscale des collectivités territoriales constituera une bonne et saine réforme, mais elle ne suffira pas à régler les problèmes que je viens d'évoquer.
Permettez-moi donc de vous demander, monsieur le ministre, quelles mesures vous comptez proposer afin que soit compensé, pour les départements, le surcroît de dépenses provoqué par la mise en oeuvre de l'APA.
Par ailleurs, la volonté décentralisatrice exprimée par le Président de la République et par le Premier ministre - que je partage pleinement - ne devra pas se traduire, de la part de l'Etat de plus en plus impécunieux, par des transferts de compétences supplémentaires en direction des régions et des départements, transferts qui seraient, à nouveau, insuffisamment compensés.
Il faudra, dès lors, envisager, de façon concomitante, le transfert partiel d'un impôt d'Etat, faute de quoi les dérives que je viens de dénoncer ne pourront que s'aggraver.
Je compte beaucoup sur vous, monsieur le ministre, pour tenir compte des préoccupations que je viens d'évoquer et pour les relayer. Comme vous le savez, les prélèvements obligatoires sont constitués par la fiscalité d'Etat tout autant que par la fiscalité locale. Il ne servirait à rien de baisser la première et de favoriser l'augmentation de la seconde, car cela ne changerait rien au niveau global des prélèvements et ce seraient toujours nos compatriotes qui auraient à en supporter le poids.
En vérité, il faut tout mettre en oeuvre pour garantir aux départements, mais aussi aux régions, aux communes et à l'intercommunalité des ressources suffisantes et évolutives leur permettant de faire face à leurs dépenses. Pour concrétiser cette ardente obligation, vous pourrez compter, monsieur le ministre, sur l'appui du Sénat.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales. Monsieur Biwer, la description que vous donnez de la situation est exacte.
Celle-ci est en effet particulièrement critique pour l'allocation personnalisée d'autonomie. Je rappelle les chiffres : le gouvernement précédent avait prévu d'accorder une dotation pour l'APA de 800 millions d'euros par an ; or, à elle seule, l'APA coûtera 2 milliards d'euros en 2002 et 3,5 milliards d'euros en 2003, la part de l'Etat restant de 800 millions d'euros.
Le Gouvernement étudie donc un dispositif de nature à soutenir les départements, car cette dépense considérable a une forte incidence sur leur fiscalité.
S'agissant des SDIS, l'article 72 du projet de loi de finances pour 2003 prévoit un fonds d'aide à l'investissement.
Au-delà de ces phénomènes conjoncturels, auxquels il faut faire face et qui font partie, en quelque sorte, de l'héritage, c'est la réforme constitutionnelle qui protégera dorénavant les collectivités territoriales de telles dérives.
Quatre principes seront posés dans le dispositif financier.
Premier principe, la libre disposition de leurs ressources par les collectivités territoriales sera affirmée expressément dans la Constitution. Ainsi, sans même parler de transfert, l'Etat ne pourra plus créer de nouvelles prestations et en imposer, par la voie législative, la charge aux collectivités locales.
Deuxième principe, dont la pleine application impliquera nécessairement une montée en puissance progressive, les ressources propres des collectivités territoriales devront représenter une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources. J'indique à ce propos que le Conseil d'Etat a estimé que l'adjectif « déterminant » avait plus de force que l'adjectif « prépondérant », dont le Sénat défendait l'emploi.
Troisième principe qui sera transcrit dans la Constitution, les transferts de compétences seront obligatoirement accompagnés du transfert des ressources correspondantes qui étaient affectées à l'exercice de cette compétence par l'Etat.
Ce principe avait déjà été énoncé dans le cadre des réformes Deferre, mais il l'avait été dans la loi ordinaire. De ce fait, le Conseil constitutionnel ne sanctionnait pas son non-respect. Dorénavant, il figurera dans la Constitution et s'imposera donc avec force.
Quatrième principe, l'Etat aura désormais l'obligation de corriger les inégalités de ressources des territoires, notamment par la péréquation, et cette obligation sera générale.
L'inscription de ces quatre principes dans nos fondements institutionnels conduira par la suite, bien sûr, à des réformes financières et fiscales qui garantiront à l'avenir la libre autonomie financière des collectivités territoriales. La réforme constitutionnelle devrait donc, sur le fond, vous donner satisfaction, monsieur le sénateur.
M. le président. La parole est à M. Claude Biwer.
M. Claude Biwer. Je vous remercie, monsieur le ministre, de vos propos rassurants. Je note la volonté de changer de méthode et de manière.
Je rappelerai seulement qu'il appartient aux collectivités départementales et communales aussi de favoriser la création d'emplois sous différentes formes, en mettant en place les dispositifs utiles et les équipements qui créent l'environnement de l'entreprise. Il faut donc absolument que ces collectivités aient la possibilité d'exercer pleinement leurs pouvoirs, c'est-à-dire qu'elles puissent consacrer les impôts qu'elles votent à leurs investissements, ce qui implique qu'elles ne soient pas trop « pompées ».
J'observe à ce propos, étant maintenant plus souvent à Paris, que les impôts locaux y sont moins chers que dans ma région. (Sourires.)
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Paris est riche !

CONDITIONS D'EXERCICE DU DROIT DE VOTE

M. le président. La parole est à M. André Trillard, auteur de la question n° 4, adressée à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
M. André Trillard. Monsieur le ministre, l'importante abstention qui a caractérisé les deux élections du printemps dernier doit assurément être replacée dans un contexte plus ancien tant il est vrai que, pour spectaculaire qu'il soit, ce taux d'abstention n'est pas un phénomène nouveau.
Néanmoins, pour difficile à accepter que soit ce constat, force nous a été de reconnaître que, parmi les raisons de fond de cette faible participation, la désaffection progressive des Français à l'égard du monde politique et de ses représentants n'était pas la moindre. A cet égard, l'impérieuse nécessité de restaurer la confiance du citoyen dans la politique est un défi qu'il appartient à nous, élus, de relever, indépendamment de nos clivages politiques, et à tous les niveaux d'intervention qui sont les nôtres.
Si la participation des citoyens à une consultation est avant tout un acte de foi dans la démocratie et dans ses représentants, le réalisme commande toutefois de ne pas négliger un aspect plus concret, celui de l'adaptation du dispositif législatif et réglementaire qui permet aux citoyens empêchés de voter. Tous les observateurs avisés de la vie politique et tous les élus appelés à tenir un bureau de vote s'entendent en effet sur un point : les dispositions du code électoral doivent être revues pour prendre en compte une caractéristique fondamentale de notre époque, la mobilité.
Résultat d'un choix ou d'une nécessité, professionnelle, de loisir ou d'étudiant, régulière ou occasionnelle, de courte ou de longue durée, la mobilité est aujourd'hui le fait de toutes les tranches d'âge et de tous les groupes sociaux.
Dès lors, le système conçu, pour l'essentiel, voilà vingt-six ans afin de permettre de voter par procuration aux seuls citoyens placés dans des situations limitativement énumérées et à même de produire un justificatif, dont la validité est appréciée dans des conditions fatalement différenciées et subjectives, me semble devenu obsolète. Plus grave, il est inéquitable et décourageant. Il est enfin peu lisible : en témoignent les cas, paradoxaux mais pas très rares, de mandataires titulaires d'une procuration et s'abstenant doublement, dans l'ignorance où ils sont de la durée exacte de leur procuration, laquelle peut être, vous le savez mieux que quiconque, monsieur le ministre, valable pour un an ou pour un seul scrutin. (M. le ministre délégué acquiesce.)
Les élus de terrain que nous sommes sont conscients de ce que le sujet est complexe et qu'il importe, avant tout, de se garder de la tentation d'une simplification abusive : si le vote par correspondance a été supprimé en France en 1975, c'est notamment en raison des risques de fraude et, dans l'état actuel des choses, il semblerait que le vote électronique, même sécurisé, ne puisse offrir toutes les garanties voulues, s'agissant notamment de celles qui sont liées à l'indépendance de l'électeur.
Il reste que les règles de nos voisins européens apparaissent dans l'ensemble moins contraignantes que les nôtres et que l'efficacité de certains des dispositifs mis en place à l'étranger, tels que le vote par anticipation - je cite cet exemple mais il y en a d'autres -, mériterait d'être analysée au travers du triple critère de la sécurité, de la participation et de la simplicité.
Quant aux motifs justifiant le recours à cette procédure, ils doivent indéniablement être élargis, et je ne vois pas, pour ma part, ce qui s'opposerait à ce que le vote par procuration, quelles qu'en soient les modalités, soit non plus dérogatoire mais de droit.
Monsieur le ministre, répondant à la question écrite posée par deux de nos collègues députés, le ministre de l'intérieur a indiqué que le Gouvernement engageait une réflexion sur l'adaptation du droit de vote par procuration. Je me réjouis de constater que cette préoccupation, partagée, je le sais, par beaucoup d'entre nous, recueille un écho favorable auprès du Gouvernement. Pourriez-vous nous donner quelques détails sur les objectifs qui seront assignés à cette réflexion - s'agit-il d'une refonte ou d'un « toilettage » du dispositif existant ? -, les délais dans lesquels vous envisagez de la conduire et la façon dont y seront associés les élus locaux ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales. Monsieur Trillard, l'abstention, c'est vrai, se développe. Par exemple, au premier tour de l'élection présidentielle, elle était de 28 % tandis qu'elle était de 35 % pour le premier tour des élections législatives.
Cependant, notre pays n'est pas le plus mal loti parmi les démocraties en matière de développement de l'abstention. Que l'on songe aux Etats-Unis, où l'élection présidentielle ne suscite guère plus de 50 % de participation, personne ne mettant d'ailleurs en cause le caractère démocratique des Etats-Unis.
Pour ma part, j'ai tendance à considérer que, la démocratie, c'est d'abord le droit de voter contre. Or, d'une certaine manière, il y a une forme de consentement. « Qui ne dit mot consent », dit le proverbe.
Il faut donc relativiser l'atteinte à la démocratie que porterait en elle l'abstention. J'observe d'ailleurs que, plus une société est consensuelle, plus la participation diminue. Quand il y a de grands enjeux ou de grandes tensions, voire quand on est au bord de la guerre civile, la participation est très forte. L'abstention est donc à la fois la meilleure et la pire des choses, aurait dit Esope.
Je suis cependant d'accord avec vous, monsieur Trillard, sur le fait que l'usage du droit de vote doit être favorisé, car le scrutin est un hommage rendu à la démocratie et la marque d'un enracinement dans les institutions.
Certaines pistes doivent être cependant écartées, car elles ont montré qu'elles n'étaient par pertinentes.
Ainsi en est-il d'abord du vote par correspondance, qui a été supprimé en 1975, car il donnait lieu à de nombreuses fraudes.
L'étalement du vote sur plusieurs jours, avec la création de bureaux temporaires et itinérants, est d'une particulière lourdeur et pose un problème de surveillance des urnes. Là aussi, le risque de fraude est important.
Je crois, comme vous, que la piste qui doit être suivie est celle de l'extension du vote par procuration.
En arrivant au ministère, je me suis tout de suite préoccupé de cette question et un projet est presque prêt, projet qui ressortit plutôt au domaine de la loi qu'à celui du règlement, car il s'agit non pas d'un simple toilettage mais d'une réforme de la procédure du vote par procuration.
Premièrement, il faut assouplir les conditions d'ouverture du vote par procuration, car elles sont trop restrictives. Certains citoyens absents de leur commune le jour du scrutin pourraient ainsi voter par procuration alors qu'ils ne le peuvent pas aujourd'hui. Il me semble qu'une déclaration sur l'honneur devrait suffire. Demander aux électeurs de justifier du motif réel de leur absence - par exemple, leur demander de présenter le faire-part de la communion de leur petite fille - relève d'une méfiance de mauvais aloi à l'égard du citoyen qui ne veut qu'exercer son droit de vote. Il me semble que la seule affirmation de son indisponibilité et de son désir de voter par procuration doit donc être suffisante.
M. Jacques Pelletier. Très bien !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales. Deuxièmement, il faut sans doute transférer l'établissement des procurations vers d'autres services publics, parce que ce sont toujours les mêmes services, et notamment les commissariats de police, qui y procèdent alors que ce n'est pas leur vocation. Ils ont d'autres problèmes à régler.
Troisièmement, il faut davantage simplifer le formulaire de vote par procuration, qui - ceux qui ont tenu un bureau de vote le savent - n'est pas d'une grande clarté.
C'est vers ces pistes que nous nous acheminons. Mon projet est prêt, reste à l'inscrire à l'ordre du jour du Parlement. J'en ai saisi M. le Premier ministre : cela pourrait se faire dans l'année à venir.
M. le président. La parole est à M. André Trillard.
M. André Trillard. Monsieur le ministre, je vous remercie vivement de cette réponse dont l'esprit correspond à mes attentes : je me réjouis de ce que l'on fasse désormais confiance aux citoyens quant à la réalité de leur absence afin que tous puissent voter.

AVENIR DU COMMISSARIAT DE POLICE DE LURE

M. le président. La parole est à M. Bernard Joly, auteur de la question n° 64, adressée à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
M. Bernard Joly. Toute réforme, aussi fondée soit-elle, entraîne des interrogations quant aux conséquences de ses applications. Il en est ainsi s'agissant du commissariat de police de la commune de Lure, sous-préfecture de la Haute-Saône.
En s'adressant aux préfets, en juillet dernier, M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales a exposé la nécessaire réorganisation des forces de police, de gendarmerie et de gendarmerie mobile, visant à optimiser le potentiel d'action de celles-ci. Le message du premier tour de l'élection présidentielle a été entendu : la sécurité est bien la première des libertés, elle conditionne l'exercice des droits de l'homme.
Le premier texte soumis au Parlement avant l'été a permis de définir les mesures d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure. Un second texte nous sera proposé afin de mettre en place de nouvelles dispositions juridiques qui permettront de donner aux forces de sécurité intérieure les moyens de lutter plus efficacement contre la délinquance.
M. le ministre a indiqué que la réforme serait menée à partir de propositions émanant de la base et non pas bâtie selon des schémas imposés par les administrations centrales. Les préfets devaient recevoir au mois d'août les documents nécessaires pour dresser un état des lieux et engager la concertation. La centralisation des observations était prévue pour la mi-octobre, les arbitrages devant être rendus à la fin du même mois, après un travail conduit avec les directions générales de la police et de la gendarmerie.
Malgré cette transparence et cette démarche pragmatique, des inquiétudes se font jour et s'expriment. Elles se fondent sur des informations, vérifiées ou non, qui, néanmoins, s'accréditent au fil des jours. On rapporte ainsi que la tendance serait à la fermeture des petits postes, or le commissariat de Lure est l'un des plus petits de France.
Ce site a un effectif de quarante-cinq personnes ; sa modestie même le rend indispensable par son implication dans l'accomplissement des diverses missions qui lui sont confiées. Aux activités classiques relatives à la sécurité et à la proximité s'articulent celles de brigade de recherches et, enfin, d'administration pour le ministère public. Ce dernier aspect n'est pas le moindre, puisque, sur environ 700 faits traités par an, plus de la moitié sont directement liés au fonctionnement du tribunal d'instance et de grande instance de la commune. Pour apprécier le volume de l'ensemble des tâches confiées par la justice au commissariat, il convient de préciser que ce sont trois postes à plein temps qui y sont affectés en permanence.
Ce que redoutent les fonctionnaires de police, mais aussi la population, c'est « l'effet de dominos », où la chute de l'un entraîne celle de tous les autres : suppression du commissariat, puis du tribunal, puis de la sous-préfecture... Le souvenir du repli de la présence, notamment militaire, de l'Etat reste vif dans les esprits, et les compensations n'ont pas été au niveau des engagements pris.
Aussi, monsieur le ministre, ma question est-elle simple : quel est l'avenir du commissariat de police de Lure ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales. Monsieur Joly, la gendarmerie et la police sont désormais soumises à la même autorité, celle du ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Cela conduit à un redéploiement affectant les zones de compétence respectives de la police et de la gendarmerie nationale.
M. Raymond Courrière. A des suppressions !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. En fait, la répartition actuelle date de 1941 et n'est plus adaptée, à l'évidence, à la situation que nous connaissons aujourd'hui. C'est la raison pour laquelle le redéploiement est nécessaire. Cependant, notre action, à la différence de celle que nos prédécesseurs avaient engagée,...
M. Raymond Courrière. Et la loi de M. Juppé ?
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. ... s'accompagne d'une augmentation des effectifs (rires sur les travées socialistes),...
M. René-Pierre Signé. Pas dans les zones rurales !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. ... et non d'une diminution de ceux-ci.
Le but, monsieur le sénateur, c'est non pas de faire des économies de personnel, mais d'être plus cohérents et plus efficaces. La loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, la LOPSI, prévoit, d'ici à 2007, 7 000 gendarmes et 6 500 policiers supplémentaires. Leur répartition doit s'effectuer de manière cohérente : quand on sait que le réseau radio de la gendarmerie et celui de la police ne peuvent pas communiquer entre eux ( exclamations sur les travées du RPR), on mesure qu'il reste quand même quelques progrès à faire sur le plan de la cohérence de nos personnels de sécurité ! C'est précisément l'objectif du Gouvernement.
S'agissant des situations locales, il a été demandé aux préfets, par une circulaire en date du 25 septembre - vous avez parlé du mois d'août, monsieur Joly, mais nous avons pris un peu de retard - de les analyser et de les prendre en compte. Les choses seront déterminées au cas par cas sur le terrain et non pas depuis Paris. Il leur a été demandé également d'adresser leurs réponses pour le 15 novembre. Le délai n'est pas encore expiré, et les préfets continuent donc leurs travaux, notamment en matière de concertation.
Par conséquent, je peux vous assurer, monsieur Joly, qu'aucune décision n'a été prise à ce jour à Paris ni dans aucune région de France, parce que les informations qui ont été demandées aux préfets ne nous sont pas encore parvenues. S'agissant, en particulier, du commissariat de Lure, une décision ne sera arrêtée qu'au vu de la concertation et de l'analyse qui auront été menées localement, monsieur le sénateur.
M. Réné-Pierre Signé. Il n'a pas l'air convaincu ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Joly.
M. Bernard Joly. Je vous remercie, monsieur le ministre, des assurances que vous venez de me donner : pour l'heure, aucune décision n'est donc prise.
Je crois avoir compris que vous hésitiez entre accroître les effectifs de la gendarmerie et augmenter ceux de la police : ma foi, dans un cas comme dans l'autre, nous serons satisfaits !

DÉVELOPPEMENT DE SOINS PALLIATIFS À DOMICILE

M. le président. La parole est à M. Georges Mouly, auteur de la question n° 45, adressée à M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.
M. Georges Mouly. Madame la secrétaire d'Etat, le réseau ONCORESE 19 constitue un réseau expérimental mis en place dans le cadre des ordonnances du 24 avril 1996. Il a reçu un agrément ministériel par arrêté du 26 novembre 1999 et a pour objet principal de permettre la prise en charge à domicile des patients traités par chimiothérapie ou soumis à des soins palliatifs.
Ce réseau, innovant et peut-être unique en France, est né d'une ambition commune du service d'oncologie du centre hospitalier de Brive et de la caisse primaire d'assurance maladie de la Corrèze : celle d'offrir une solution de rechange à l'hospitalisation dans les meilleures conditions de prise en charge et d'éviter ainsi, compte tenu de la saturation permanente des quinze lits du service d'oncologie corrézien, le transfert des patients vers des structures situées hors du département, voire l'extension du service. Ce réseau permet également de diminuer le nombre des hospitalisations de jour.
Il s'inscrit donc dans une expérimentation menée à l'échelon national, financée à 90 % par l'assurance maladie pendant trois ans, qui arrivera à échéance le 31 décembre 2002.
Le bilan est assez élogieux : les résultats montrent que le réseau a examiné la situation de 450 patients et pris en charge 338 d'entre eux ; la file active du réseau n'a cessé de s'allonger, pour atteindre aujourd'hui 74 prises en charge simultanées.
Le réseau offre une réponse humaine et de qualité aux malades et à leurs familles. Le taux de satisfaction avoisine en effet les 100 %, puisqu'il est de 96 %. En outre, l'adhésion des professionnels de santé libéraux est large : 485 professionnels du département font partie du réseau, dont 65 % des médecins généralistes, 90 % des pharmaciens et 80 % des infirmières, ce qui témoigne de son intérêt « technique ».
Le service d'oncologie a ainsi pu accroître son activité sans augmenter le nombre de ses lits. Le niveau de compétence - évalué, il est vrai, par un cabinet de conseil en économie médicale - des professionnels de santé s'est considérablement élevé, et une collaboration fructueuse s'est établie entre ces derniers et l'hôpital, permettant, par un suivi coordonné, une vraie continuité des soins et le développement d'une nouvelle culture de travail qui contribue à un changement profond des mentalités et des modes d'exercice. Cela semble être une avancée majeure pour le système de soins.
Ce bilan positif a conduit les autres régimes - le régime agricole et celui des travailleurs non salariés - à solliciter leur admission dans le réseau. Or, l'échéance arrive, le financement est épuisé. Que vont devenir les patients pris en charge ? Que va-t-il rester de ce formidable espoir, partagé par les patients et les professionnels, d'une prise en charge et de soins « à visage humain » ?
Depuis longtemps déjà, il est question de privilégier les soins ambulatoires, et le Président de la République lui-même a déclaré que la lutte contre le cancer doit être une priorité nationale. Doit-on aujourd'hui envisager la disparition d'un outil garantissant une qualité de soins qui n'est contestée ni par l'assurance maladie ni, à ma connaissance, par le ministère ?
Quelles mesures peut-on plutôt envisager de prendre afin, dans un premier temps, d'assurer le maintien du réseau ONCORESE 19, puis, dans un second temps, de permettre une éventuelle extension aux départements limitrophes, ainsi que son ouverture aux autres régimes ?
Je ne peux croire, madame la secrétaire d'Etat, que l'on puisse se résoudre à la disparition d'un outil de cette qualité !
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'Etat.
Mme Marie-Thérèse Boisseau, secrétaire d'Etat aux personnes handicapées. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie d'abord de bien vouloir excuser l'absence de M. Jean-François Mattei, qui est retenu par d'autres obligations.
Monsieur Mouly, je vous remercie de votre question, qui permet de mettre en lumière un exemple innovant de changement dans les pratiques professionnelles des équipes soignantes hospitalières et libérales.
Le réseau ONCORESE 19 offre, en effet, une solution de rechange de très grande qualité à l'hospitalisation, en favorisant les soins de proximité et en assurant une prise en charge pluridisciplinaire du patient. Les malades peuvent bénéficier des meilleurs traitements possibles tout en restant à leur domicile.
Le cas d'ONCORESE 19 illustre parfaitement les avantages offerts par les réseaux de santé. Ceux-ci échappent, en effet, au mode de fonctionnement vertical qui peut caractériser notre système de santé et facilitent une prise en charge coordonnée des patients. Cette coordination est d'autant plus essentielle lorsqu'il s'agit de cancers, car le traitement de la maladie nécessite une approche pluridisciplinaire dès les premiers stades.
Pour l'heure, mon souci reste de fédérer les moyens de la lutte contre le cancer, élevée au rang de priorité nationale par le Président de la République, et de développer l'approche de complémentarité rendue possible par les réseaux.
La poursuite de la réorganisation de l'offre de soins correspond, en outre, à une volonté forte du Gouvernement de confier certaines compétences aux partenaires de terrain que sont, en matière de santé, les agences régionales de l'hospitalisation, les ARH, et les unions régionales des caisses d'assurance maladie, les URCAM.
Dès ma prise de fonctions, je me suis exprimée clairement sur mon intention de poursuivre et d'accentuer le développement des réseaux de santé.
Faisant partie des quelques réseaux expérimentaux autorisés il y a trois ans, ONCORESE 19 verra cependant les autorisations dont il bénéficie arriver à échéance très prochainement. Je peux, monsieur le sénateur, d'ores et déjà vous rassurer : le relais des financements expérimentaux de ces réseaux est prévu. Il s'agit d'une enveloppe spécifique de l'ONDAM, intitulée « dotation nationale de développement des réseaux ». Cette dotation, d'un montant de 20 millions d'euros, a été déléguée dans chaque région où les ARH et les URCAM pourront choisir, de façon conjointe, les réseaux dont ils souhaitent poursuivre le financement. L'utilisation de cette enveloppe est tributaire de deux décrets dont la publication devrait intervenir avant la fin du mois de novembre.
Pour tous les réseaux expérimentaux qui seraient amenés à poursuivre leur activité, cette nouvelle modalité de financement marque une étape importante. Elle leur permettra, en effet, de sortir du cadre expérimental et d'acquérir une certaine stabilité de nature à en améliorer l'efficacité. Pour tous les réseaux expérimentaux qui seraient amenés à poursuivre leur activité, cette nouvelle modalité de financement marque une étape importante. Elle leur permettra, en effet, de sortir du cadre expérimental et d'acquérir une certaine stabilité de nature à en améliorer l'efficacité.
Je vous informe enfin, monsieur le sénateur, que j'ai décidé d'amplifier de façon très significative l'effort financier dévolu au développement des réseaux en 2003. J'entends ainsi donner aux URCAM et aux ARH les moyens d'accompagner ces modes innovants d'organisation.
Le devenir d'ONCORESE 19 n'est donc absolument pas menacé.
M. le président. La parole est à M. Georges Mouly.
M. Georges Mouly. Il est de tradition de remercier les ministres pour leurs interventions, quelle que soit la teneur de ces dernières, dirais-je.
En tout cas, en ce qui me concerne, madame la secrétaire d'Etat, au nom des malades, de leur famille, des responsables corréziens politiques, professionnels et socioprofessionnels, je vous dis un grand merci pour votre réponse !

ATTRIBUTION DU TITRE DE RECONNAISSANCE
DE LA NATION AUX RÉFRACTAIRES AU STO

M. le président. La parole est à M. René-Pierre Signé, auteur de la question n° 25, adressée à M. le secrétaire d'Etat aux anciens combattants.
M. René-Pierre Signé. Monsieur le secrétaire d'Etat, j'ai voulu attirer votre attention sur les réfractaires au service du travail obligatoire, le STO, et sur leur souhait de se voir attribuer le Titre de reconnaissance de la nation. Le TRN a été créé pour les militaires de tous grades et de toutes armes ayant pris part aux opérations d'Afrique du Nord à une époque où ces opérations n'ouvraient pas droit à la carte du combattant. Le TRN a ensuite été attribué aux combattants des conflits antérieurs ou postérieurs.
Dans le respect intégral de la loi du 22 août 1950 caractérisant un acte de réfractaire comme un acte de résistance ayant fait courir des risques graves à ceux qui l'accomplirent, ne pourrait-on permettre aux réfractaires ne possédant pas la carte du combattant de bénéficier du Titre de reconnaissance de la nation ?
Il s'agirait d'un témoignage renouvelé de reconnaissance morale à leur égard. Les réfractaires ont pris des risques pendant la Seconde Guerre mondiale, au péril de leur vie. Ils ont aussi refusé de prêter la main à toute production de guerre allemande. Ils semblent avoir ainsi mérité notre reconnaissance et, au-delà, celle de la nation.
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Hamlaoui Mékachéra, secrétaire d'Etat aux anciens combattants. Monsieur le sénateur, nos compatriotes qui ont refusé de répondre au service du travail obligatoire pendant l'Occupation souhaitent se voir attribuer le Titre de reconnaissance de la nation.
Je salue naturellement le courage exemplaire dont ils ont fait preuve dans des circonstances particulièrement périlleuses, comme chacun de nous le sait. Mais la question ancienne de l'attribution du Titre de reconnaissance de la nation n'a pas été réglée jusqu'à présent, pour la raison suivante.
Le Titre de reconnaissance de la nation a été créé - vous venez de le rappeler, monsieur le sénateur - par une loi de 1967 pour les militaires ayant pris part, pendant quatre-vingt-dix jours, à ce que l'on appelait alors « les événements d'Algérie », à une époque où les opérations n'ouvraient pas droit à la carte du combattant.
Comme vous l'indiquez également, monsieur le sénateur, une loi de 1993 a étendu l'attribution de ce titre de reconnaissance aux participants des autres conflits.
De ces textes, il ressort clairement que c'est la participation à un conflit armé comportant un risque d'ordre militaire qui constitue le principe fondateur de ce titre. (MM. René-Pierre Signé et Raymond Courrière s'exclament.)
La situation des réfractaires au Service du travail obligatoire, bien que ceux-ci aient été contraints de vivre dans la clandestinité dans des conditions qui, bien évidemment, nous sensibilisent au plus profond de nous-mêmes, ne relève pas de ce principe.
Bien entendu, les personnes qui ont été réfractaires et qui ont rejoint la Résistance - il y en eut beaucoup - et qui ont servi à ce titre pendant au moins trois mois, sont admises au bénéfice du titre si elles présentent les justifications nécessaires.
Je tiens à dire avec force que les éléments que je viens d'exposer n'enlèvent rien au respect que nous devons à ces personnes pour le courage qu'elles ont manifesté.
Néanmoins, pour l'instant, je le répète, l'attribution du Titre de reconnaissance est réservé aux catégories qui ont été prévues, quels que soient les termes de la loi du 22 août 1950.
M. le président. La parole est à M. René-Pierre Signé.
M. René-Pierre Signé. Comme l'a dit mon collègue M. Mouly, il est de tradition de remercier le Gouvernement de sa réponse. Je me plierai à cet usage bien que, en l'occurrence, cette réponse ne puisse tout à fait me satisfaire.
En effet, dois-je rappeler que ces réfractaires, s'ils étaient arrêtés, étaient traduits devant les tribunaux militaires et qu'ils encouraient de très lourdes peines ? Dois-je rappeler qu'ils fournissaient un contingent d'otages à l'armée d'occupation et que, s'ils n'étaient pas exécutés, ils risquaient fort d'être déportés en Allemagne ?
L'attribution de ce titre permettrait de faire connaître aux jeunes le combat obscur qu'ont mené les réfractaires, les risques et les souffrances qui furent les leurs.
Même si, comme vous le dites, ils n'ont pas participé directement à un combat armé, il n'empêche que leur combat fut assez déterminant dans la mesure où ils refusèrent de contribuer à la production allemande. C'est pour cela que je me suis permis d'intervenir en leur faveur.

AVENIR DU DÉTACHEMENT DE FOURCHAMBAULT

M. le président. La parole est à M. Didier Boulaud, auteur de la question n° 34, adressée à Mme la ministre de la défense.
M. Didier Boulaud. J'ai souhaité attirer l'attention de Mme la ministre de la défense sur l'avenir de la 13e base de soutien du matériel de l'armée de terre, région Terre Nord-Est, BSMAT, dont je rappelle qu'elle est répartie sur trois sites : Clermont-Ferrand, Moulins et Fourchambault. C'est plus particulièrement de l'avenir de ce dernier site que je désire parler. Le détachement de Fourchambault comprend 7 militaires et 193 personnes civils. La moyenne d'âge des personnels civils ouvriers, les PCO, est de 48 ans. D'ici à 2010, un grand nombre d'entre eux partiront à la retraite.
Ils le feront, soit à 55 ans, en bénéficiant des avantages donnés pour l'accomplissement de travaux insalubres - l'effectif des PCO sera de 88 en 2010 -, soit à 60 ans - et l'effectif des PCO sera alors de 120 en 2010. La tendance actuelle montre que l'effectif serait en fait voisin de 90 en 2010.
Cette diminution du nombre de PCO pose de sérieux problèmes pour la réalisation des activités de maintenance prescrites et pour la conservation, puis la transmission des compétences spécifiques détenues par le site.
Le détachement de Fourchambault est chargé, notamment, de rénover des véhicules de l'avant blindés, les VAB, pour le programme SIR, système d'information régimentaire - ils seront 200 jusqu'en 2008 -, et de réparer des VAB dans le cadre de chutes techniques. Le détachement participe à la rénovation de l'AMX 10 RC en partenariat avec le détachement de Gien de la 12e BSMAT. Enfin, le détachement répare les matériels du génie.
Une activité d'approvisionnement et de stockage est entretenue : approvisionnement et constitution de lots d'outillage commun pour l'armée de terre et stockage de lots et d'engins.
De plus, le détachement dispose d'un bureau d'études, section technique de marques, pour le suivi et l'évolution des matériels pour les matériels du génie, le VAB et les outillages communs.
En fonction des missions présentées ci-dessus, le détachement de Fourchambault possède des pôles de compétences uniques pour l'armée de terre.
Il dispose d'un pôle de traitement de surface comprenant deux cabines de décapage, dont une par procédé médiaplastique - d'un coût de 2 millions de francs et réalisée en 2000 - et d'une cabine de peinture de grandes dimensions - 25 mètres de long, 15 mètres de large et 15 mètres de hauteur.
S'agissant de la mécano-soudure, il a un savoir-faire spécifique pour le traitement des caisses des engins en acier et en aluminium. En matière d'hydraulique, il a la capacité de réparer et de tester toutes les boîtes de vitesse de toutes générations. Un banc d'un coût de 150 000 euros a été installé à cet effet en 2002. Enfin, pour ce qui concerne le stockage, 18 enceintes doubles à hygrométrie contrôlée ont été installées en 2002.
En outre, les ateliers de maintenance sont vastes : la hauteur sous crochet est de 15 mètres. Les personnels disposent pour travailler d'un environnement spacieux d'environ 30 mètres carrés par ouvrier. Ces installations pourraient accueillir un nombre plus important de personnels civils ouvriers.
Or, un accord relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail a été signé le 11 juillet 2001 en accord avec M. le ministre de la défense. Aux termes de cet accord, l'état-major de l'armée de terre devait bénéficier de 630 embauches d'ouvriers d'Etat. Selon la répartition effectuée par la direction centrale du matériel de l'armée de terre, dix-sept ouvriers devaient être affectés à la 13e BSMAT, alors que le détachement de Fourchambault, qui appartient à cette section, ne se trouve, quant à lui, doté que de deux postes tandis que ses missions ne cessent de croître.
Ainsi, les besoins réels en dotations de personnels existants au sein du détachement de Fourchambault n'ont pas été pris en considération. C'est pourquoi je vous demande, monsieur le secrétaire d'Etat, dans quels délais le Gouvernement envisage-t-il de procéder à une nouvelle affectation ou à une réaffectation de postes d'ouvriers d'Etat prévus par l'accord relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Hamlaoui Mékachéra, secrétaire d'Etat aux anciens combattants. Monsieur le sénateur, tout d'abord, je vous prie de bien vouloir excuser Mme le ministre de la défense, qui, en déplacement ce matin, ne peut répondre personnellement à votre question. Elle m'a demandé de vous apporter les éléments de réponse suivants. L'accord sur l'aménagement et la réduction du temps de travail qui a été signé par le prédécesseur de Mme Alliot-Marie, le 11 juillet 2001, s'est fait sans création de postes budgétaires, à l'exception notable de 171 postes de fonctionnaires destinés aux hôpitaux de l'armée. La professionnalisation de l'armée a, comme vous le savez, touché toutes les composantes de son service de santé.
Il est toutefois exact que le ministère de la défense a obtenu 900 autorisations d'embauche sur ses propres emplois budgétaires, qui avaient été préalablement « gelés » par la direction du budget.
Ces 900 embauches d'ouvriers étaient la contrepartie des efforts considérables de réorganisation des armées, afin qu'elles ne soient pas pénalisées dans la réalisation de leur professionnalisation.
Ces recrutements ont donc permis de renforcer les organismes dans la mesure du nécessaire, sans, toutefois, que soient perdus de vue l'objectif de rationalisation des cycles de travail ni la recherche de productivité, notamment dans les fonctions de soutien.
C'est ainsi que 620 autorisations d'embauche d'ouvriers d'Etat ont été accordées à l'armée de terre. Celle-ci a bien évidemment procédé à une répartition de ses embauches en fonction des besoins réels de ses organisations de soutien : elle a autorisé 18 embauches au profit de la 13e base de soutien du matériel, dont 2 pour le détachement de Fourchambault, comme vous venez de le dire.
Les efforts de rationalisation mis en oeuvre permettront d'absorber les diminutions de capacité théorique de cet établissement - en tout cas, nous ferons tout pour qu'il en aille ainsi - mais, pour l'instant, il n'est pas envisagé d'y autoriser d'autres embauches d'ouvriers.
M. le président. La parole est à M. Didier Boulaud.
M. Didier Boulaud. Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous remercie, même si votre réponse n'est sans doute pas celle qu'espéraient les personnels de la BSMAT, en particulier ceux du détachement de Fourchambault, dont les effectifs sont voués à décroître inexorablement si les personnels qui partent à la retraite ne sont pas remplacés.
Le site de Fourchambault est composé de personnels ayant des métiers et des compétences indispensables au maintien en condition des matériels de l'armée de terre. Pour que le détachement puisse garder ses compétences et mener à bien les missions qui sont les siennes aujourd'hui, il est indispensable d'envisager un plan d'embauche de personnels civils ouvriers.
Pérenniser le détachement de Fourchambault de la 13e BSMAT est un souhait que formulent tant le commandement que les personnels civils pour conserver les compétences et mener à bien les missions présentes et futures de la maintenance de l'armée de terre.
Si rien n'était fait, c'est l'existence même du site qui se trouverait menacée. Dans un tel cas, il serait absolument nécessaire que les élus locaux et les personnels civils en soient informés.

RETRAIT DES INSECTICIDES GAUCHO ET RÉGENT

M. le président. La parole est à M. Jacques Oudin, auteur de la question n° 42, adressée à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales.
M. Jacques Oudin. Le problème que je souhaite évoquer est ancien mais il s'aggrave d'année en année. Il s'agit de la mortalité des abeilles due à l'utilisation de certains insecticides.
Déjà, le 19 février dernier, j'adressais à M. Jean Glavany, une question qui y était consacrée. Au nom de la rigueur scientifique, il avait alors retardé toute décision politique, en attente des conclusions d'une étude multifactorielle qui aurait dû être lancée depuis déjà plus d'un an et qui piétine.
J'ai également abordé ce sujet avec Hervé Gaymard au cours d'un entretien que nous avons eu en juillet dernier et à travers différents courriers. Il m'a laissé entendre que l'incrimination des produits Gaucho et Régent dans cette affaire n'était pas encore complètement prouvée.
Je comprends qu'il convient de fonder les décisions gouvernementales sur des données sûres et vérifiées. Cependant, les abeilles sont systématiquement décimées chaque été au moment de la floraison. Cette destruction ne peut en rien être assimilée aux conséquences isolées de mauvaises pratiques agricoles, explication qui a parfois été avancée.
Aujourd'hui, il ne subsiste plus aucun doute quant à la culpabilité des matières actives incriminées. En effet, les derniers résultats scientifiques présentés en juin 2002 par le CNRS et l'INRA confirment la présence de matière active du Gaucho dans les fleurs de maïs ainsi que la présence, dans le nectar de tournesol, d'une dose moyenne d'imidaclopride vingt fois supérieure à la dose minimale susceptible de faire mourir les abeilles.
Au regard de ces résultats, le Conseil d'Etat, dans sa décision du 9 octobre dernier, a demandé au ministre de l'agriculture le réexamen de l'autorisation de mise sur le marché du Gaucho dans un délai de trois mois.
Mme Roselyne Bachelot, ministre de l'écologie et du développement durable, s'est elle-même montrée favorable à l'interdiction de l'emploi du Gaucho et du Régent sur toutes les cultures. Les associations de consommateurs, elles aussi, s'inquiètent de l'utilisation de matières actives dans la mesure où leurs effets sur la santé humaine n'ont même pas été vérifiés.
Le monde agricole peut produire sans ces matières actives. Les programmes excluant tout usage de semences traitées au Gaucho ou au Régent, proposés à l'échelle de leurs deux départements par l'ensemble des syndicats agricoles de Vendée et des Deux-Sèvres, en témoignent.
Les enrobages des semences avec les produits Gaucho et Régent vont reprendre dès la fin du mois. Si l'on veut éviter une sixième année noire pour les apiculteurs, il faut réagir rapidement.
De surcroît, en l'absence de soutien économique d'urgence de la part du Gouvernement, les pertes massives d'abeilles, répétées chaque été depuis cinq ans, ont amené de nombreux apiculteurs à cesser leur activité au cours des dernières années, ce qui est catastrophique pour le tissu économique rural et l'aménagement du territoire.
Le simple principe de précaution, rappelé à maintes reprises par le Président de la République, a déjà été appliqué dans ce dossier en 1999. Mais faudra-t-il attendre une catastrophe encore plus grave pour prendre enfin les mesures qui s'imposent ?
Compte tenu des résultats particulièrement probants qui ont déjà été obtenus, l'attente des conclusions d'une nouvelle enquête multifactorielle n'a plus d'utilité.
C'est pourquoi je souhaite savoir si M. le ministre de l'agriculture entend prendre trois décisions immédiates, essentielles à la survie de nos apiculteurs : premièrement, le retrait immédiat du Gaucho, comme l'a préconisé le Conseil d'Etat, compte tenu des résultats présentés par des laboratoires scientifiques publics et, j'insiste sur ce point, indépendants ; deuxièmement, la suspension du Régent, au nom du principe de précaution, et ce pour une durée de trois ans minimum, afin d'effectuer les contrôles qui s'imposent, étant entendu qu'il serait possible, ensuite, soit de l'interdire définitivement si les récoltes retrouvaient un meilleur niveau, soit de remettre le Régent sur le marché si les problèmes perduraient ; troisièmement, la mise en place d'aides économiques d'urgence aux apiculteurs, accompagnées d'un plan de relance de l'apiculture, et le maintien des mesures collectives agri-environnementales contenues dans les contrats techniques d'exploitation apicole, qui viendraient en complément des aides à la reconstitution du cheptel déjà prévues.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Hamlaoui Mékachéra, secrétaire d'Etat aux anciens combattants. Monsieur le sénateur, retenu ce matin au Parlement européen, M. Gaymard, ministre de l'agriculture, m'a demandé de vous apporter les éléments de réponse suivants.
La situation de la filière apicole préoccupe le Gouvernement. En effet, celle-ci est confrontée à un manque de structuration, à des importations accrues, à une baisse sensible de ses performances techniques ainsi qu'à l'arrivée du varroa, cet acarien parasite des abeilles, et de nouveaux virus. S'y ajoute une interrogation sur l'incidence des traitements insecticides sur la santé des abeilles.
Depuis 1997, les apiculteurs font état de baisses imporantes des miellées de tournesol et de troubles du comportement des abeilles, phénomènes qu'ils imputent au Gaucho.
Ce produit, homologué depuis 1990 dans une centaine de pays, n'avait fait, jusqu'alors, l'objet d'aucune critique.
En janvier 1999, en application du principe de précaution, le ministre de l'agriculture a décidé le retrait provisoire de l'autorisation de mise sur le marché du Gaucho pour le traitement des semences de tournesol, le produit restant autorisé pour le traitement des semences de maïs et de betteraves.
Toutefois, en octobre 2000, le même ministre a refusé le retrait du Gaucho pour les usages liés au traitement des semences de tournesol, de maïs et de betterave.
Le 9 octobre dernier, le Conseil d'Etat a annulé ce refus pour le traitement du maïs, ne le mettant pas en cause s'agissant de la betterave.
Comme l'y invite le Conseil d'Etat, M. Gaymard va donc statuer à nouveau dans un délai de trois mois sur le retrait de l'autorisation de mise sur le marché du Gaucho pour le traitement des semences de maïs.
Il va saisir à cet effet, dans les plus brefs délais, la commission d'étude de la toxicité et le comité d'homologation, afin que ceux-ci réexaminent la question au vu de l'ensemble des données scientifiques disponibles, de manière à obtenir une certitude quasi absolue.
C'est ensuite que sera prise la décision de maintenir ou non l'autorisation de mise sur le marché du Gaucho pour le traitement des semences de maïs.
Parallèlement, le ministre de l'agriculture entend que soit menée à terme l'étude épidémiologique multi-factorielle visant à faire la lumière sur l'ensemble des causes potentielles de mortalité rapportée dans les ruches, notamment les incidences possibles du Gaucho et du Régent.
Le comité scientifique et technique lui remettra dans les toutes prochaines semaines un rapport d'étape qui sera naturellement rendu public.
De plus, les services du ministère de l'agriculture se sont engagés dans un important travail de clarification sur la question de l'utilisation des mélanges de pesticides.
Tels sont, monsieur le sénateur, les éléments de réponse que m'a chargé de vous apporter le ministre de l'agriculture, qui juge indispensable de conforter la structuration de la filière, notamment en associant plus étroitement les apiculteurs au réseau de surveillance mis en place cette année, et de mieux intégrer l'apiculture dans l'agriculture française.
M. le président. La parole est à M. Jacques Oudin.
M. Jacques Oudin. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'Etat, des précisions que vous m'avez apportées.
Le fait de poursuivre les discussions avec les apiculteurs est une bonne chose. Cela dit, je n'ignore rien des intérêts économiques qui sont en jeu dans cette affaire.
Quoi qu'il en soit, il ne faudrait pas que se reproduisent, fût-ce à une moindre échelle, les problèmes que nous avons connus avec les farines animales. On savait que l'utilisation de ces farines était néfaste mais on a quand même continué à les produire.
Dans le cas des pesticides cités, il n'y a plus de doute. De nombreux organismes ont été consultés, les scientifiques en ont débattu. Le Conseil d'Etat, qui n'est tout de même pas une instance frivole, s'est prononcé au vu des pièces du dossier d'homologation, lequel est accablant, ainsi que j'ai moi-même pu le constater.
Peut-être de nouvelles consultations sont-elles encore nécessaires, mais il y a un moment où il faut bien prendre une décision. En l'occurrence, il faut la prendre de toute urgence.
J'ai demandé au ministre de l'agriculture qu'une décisoin intervienne avant la fin du mois de novembre. Si cette décision n'est pas prise rapidement et que des conséquences graves s'ensuivent, on nous reprochera, à nous, parlementaires, de ne pas avoir été assez vigilants et à vous, Gouvernement, de ne pas avoir suivi le Parlement sur ce point.
Nous avons, au Sénat, l'avantage de la durée. Eh bien, nous sommes décidés à suivre ce dossier année après année, mois après mois. Nous pensons qu'il y a là un vrai problème et qu'il faut le résoudre promptement. Pour ma part, je fais confiance à Hervé Gaymard et au Gouvernement pour y parvenir.
M. le président. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux.
La séance est suspendue.


(La séance, suspendue à douze heures quinze, est reprise à seize heures cinq, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)

PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET

M. le président. La séance est reprise.

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SOUHAITS DE BIENVENUE
À UNE DÉLÉGATION DU SÉNAT ROUMAIN

M. le président. Mes chers collègues, j'ai le plaisir de saluer la présence, dans notre tribune officielle, d'une délégation du Sénat roumain conduite par son président, M. Nicolae Vacaroiu, accompagné de notre collègue M. Henri Revol, président du groupe d'amitié France-Roumanie.
Cette visite s'inscrit tout naturellement dans le cadre des échanges entre deux pays qui ont la langue française en partage.
Animés par la même volonté de conforter l'apport du bicamérisme au renforcement des institutions démocratiques, le Sénat roumain et le Sénat français viennent de signer un accord de coopération.
Je me réjouis que cette visite ait contribué, s'il en était besoin, à renforcer les liens d'amitié entre nos deux pays et je formule des voeux pour que, dans un avenir proche, la Roumanie puisse rejoindre dans de bonnes conditions l'Union européenne.
Je vous souhaite, mesdames, messieurs, une cordiale bienvenue au Sénat français, où nous sommes heureux de vous accueillir. Nous espérons que vous garderez de votre passage, à notre regret trop court, le meilleur souvenir. (M. le ministre, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.)

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SALAIRES, TEMPS DE TRAVAIL
ET DÉVELOPPEMENT DE L'EMPLOI

Discussion d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi (n° 21, 2002-2003). [Rapport n° 26 (2002-2003].)
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi relatif aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi, que j'ai l'honneur de vous soumettre, est inspiré par une idée dynamique du progrès économique, indissociable du progrès de la justice sociale. Dans un monde ouvert et compétitif, l'efficacité et la solidarité doivent être réconciliées et mises au service de la relance de la croissance.
Depuis près de deux ans, cette croissance s'est tarie, et le chômage n'a cessé d'augmenter depuis plus d'un an. Certes, la morosité de la conjoncture internationale y est pour beaucoup, mais il existe aussi dans notre pays des blocages qui freinent la respiration de notre pacte économique et social et qui pèsent sur l'emploi puisque, en dépit des 35 heures et du recours massif aux emplois aidés dans le secteur public, notre pays se situe, en matière de chômage, au douzième rang en Europe.
Face à cette situation, le Gouvernement a choisi, dans un même élan, d'unir trois objectifs : l'assouplissement des 35 heures, l'harmonisation rapide et ambitieuse des SMIC et l'amplification de la baisse des charges destinées à la maîtrise du coût du travail.
Ce schéma volontariste s'inscrit dans une politique globale mise au service de la croissance et de l'emploi. Nous voulons dynamiser le marché du travail en offrant davantage de libertés aux entreprises et aux salariés et en réhabilitant la valeur du travail.
Nous cherchons par ailleurs à augmenter le taux d'emploi et à favoriser l'insertion, notamment celle des jeunes avec le nouveau contrat qui leur est proposé dans le secteur privé.
Nous entendons aussi encourager l'initiative et l'effort en réduisant le poids de la fiscalité sur les ménages et en augmentant les plus bas salaires à travers l'aménagement de la prime pour l'emploi et l'unification des SMIC par le haut, tous ces objectifs contribuant à alimenter le moteur de la consommation.
Enfin, nous souhaitons moderniser les pouvoirs et les pratiques avec le renforcement de la démocratie locale et de la démocratie sociale, cette redistribution des pouvoirs et des libertés se mariant avec la réforme de l'Etat.
Le projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter s'inscrit dans cette dynamique générale. Il a été élaboré en concertation avec les partenaires sociaux (Exclamations sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen), conformément à l'engagement du Président de la République et du Premier ministre de renouer avec la pratique du dialogue social.
La commission nationale de la négociation collective a été également consultée le 6 septembre dernier, notamment sur la question de la sortie des multi-SMIC.
M. Guy Fischer. Elle a été informée !
M. François Fillon, ministre. Il en a été de même pour les conseils d'administration des caisses nationales de sécurité sociale pour ce qui relève du nouveau dispositif d'allégement de cotisation.
J'ai jugé ces consultations constructives. Elles m'ont permis de saisir le fil de l'intérêt général.
Certaines des observations et préoccupations énoncées par les partenaires sociaux ont été prises en compte. Derrière le mur apparent des critiques actuelles, nul ne doit se tromper sur le diagnostic établi par la majorité d'entre eux sur le dossier mal ficelé des 35 heures...
M. Alain Gourmac. Très mal ficelé !
M. François Fillon, ministre. ... et sur celui, indéchiffrable et inéquitable, des multi-SMIC. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Ce projet a pour objet de rebattre les cartes. Il est équilibré, volontariste. Il respecte les intérêts des entreprises et ceux des salariés. Bref, il est, selon moi, conforme à l'intérêt national.
M. Gérard Braun. Tout à fait !
M. Gilbert Chabroux. C'est vous qui le dites !
M. François Fillon, ministre. Le fil rouge de ce projet de loi, c'est la méthode singulière qui y préside, c'est sa philosophie, qui, contrairement à celle en vigueur par le passé, vise à mettre les partenaires sociaux en situation de responsabilité.
C'était d'ailleurs déjà le cas avec la loi relative aux contrats jeunes en entreprise, qui, volontairement, ouvre des espaces de négociation et de création aux partenaires sociaux. Nous rejoignons là l'esprit politique qui nous anime et qui consiste à fixer le cap par la loi et à élargir le champ de la négociation dans les branches et dans les entreprises.
En somme, ce fil rouge consiste à mettre les Français et les corps intermédiaires en situation de mouvement et de proposition. La France d'aujourd'hui ne peut plus être gouvernée comme celle d'hier, c'est-à-dire par le haut, de façon uniforme, sans prendre en considération la complexité des situations économiques et sociales.
Avec ce projet, chacun des partenaires sociaux comprend maintenant qu'il lui faudra assumer ses responsabilités. Cette approche a un double mérite : elle préfigure, d'une part, la démocratie sociale vivante et constructive que nous ambitionnons ; elle respecte, d'autre part, la diversité des besoins exprimés ou ressentis sur le terrain.
Voilà pour la philosophie et la méthode.
Mesdames, messieurs les sénateurs, les 35 heures seront donc, si vous en décidez ainsi, assouplies. Nous mettrons du pragmatisme dans le dogmatisme d'une loi à l'évidence trop rigide. Cette rigidité a entraîné dans certains secteurs d'activité, faute d'autres marges de manoeuvre, une flexibilité mal vécue par les salariés, et - je l'ai déjà indiqué - une stagnation des salaires.
Sans entamer un débat idéologique sur la réduction du temps de travail, permettez-moi simplement de constater que ce nouveau dispositif n'a permis de créer ou de préserver en cinq ans que 300 000 emplois...
M. Alain Gourner. seulement !
M. Claude Domeizel. C'est déjà pas mal !
M. François Fillon, ministre. ... d'ailleurs largement imputables aux allégements de charges qui les accompagnaient, quand, au même moment, la croissance en créait près de 1,4 million.
Les 35 heures uniformes et imposées se sont donc moins avérées être le levier structurel du plein emploi que le symbole d'un certain malthusianisme. Cela étant dit, les 35 heures font désormais partie de notre paysage,...
M. Raymond Courrière. C'est sûr !
M. François Fillon, ministre. ... même si elles recueillent un avis mitigé des intéressés. Il s'agit donc de faire avec ou, plus précisément, de faire mieux avec !
Le point essentiel de la réforme s'articule, vous le savez, autour du régime des heures supplémentaires dont dépendent en réalité tant le rythme de travail des salariés que l'organisation du travail au sein des entreprises. Nous sommes là au coeur du dispositif sur l'aménagement du temps de travail.
Le système actuel se caractérise par sa complexité, puisqu'il faut distinguer entre le contingent dont le dépassement est subordonné à l'autorisation de l'inspecteur du travail et le contigent dont le dépassement implique l'octroi du repos compensateur. L'un peut être négocié par les partenaires sociaux et l'autre est fixé unalitéralement par l'Etat, par voie de décret. A cela s'ajoute un régime complexe définissant les conditions de rémunération des heures supplémentaires.
La réforme que le Gouvernement vous propose se caractérise par trois principes : la simplicité d'abord ; la souplesse et la volonté de s'adapter à la situation de chaque branche ou de chaque entreprise, ensuite ; le maintien des équilibres essentiels par l'Etat, enfin.
La simplicité, c'est le sens de l'uniformisation des contingents. Il existera désormais un contingent unique déterminant tant l'autorisation administrative que le déclenchement du repos compensateur.
Ce souci de simplicité ne doit toutefois pas aller jusqu'à méconnaître la situation spécifique des petites entreprises, qui font l'objet de dispositions particulières en matière de majoration des heures supplémentaires et de repos compensateur obligatoire. En ce qui concerne les entreprises de moins de vingt salariés et à défaut d'accord de branche, le taux actuel de 10 % sera maintenu jusqu'au 31 décembre 2005 afin de leur laisser davantage de temps pour s'adapter.
Le choix de la souplesse et de l'empirisme se traduit, quant à lui, par un renvoi aux partenaires sociaux sur la fixation du niveau du contingent des heures supplémentaires et des conditions de leur rémunération. Il inspire également les dispositions relatives au compte épargne temps. Les partenaires sociaux pourront désormais prévoir que les éléments du compte pourront être valorisés en argent et non pas obligatoirement en temps.
Une plus grande latitude sera enfin donnée aux partenaires sociaux dans la définition des différentes catégories de cadres. L'Assemblée nationale a du reste précisé la définition des cadres dits « intégrés ».
Pour autant, cette orientation globale, favorable à la négociation sur le terrain, ne se traduit pas, je l'ai dit, par un désengagement de l'Etat. S'agissant d'une question aussi essentielle pour les salariés que celle de la rémunération des heures supplémentaires, la loi fixe les modalités de l'accord qui en déterminera le régime, en exigeant un accord de branche étendu. La loi fixe par ailleurs un seuil minimal en dessous duquel les partenaires sociaux ne sauraient valablement aller en prévoyant que le taux de majoration ne peut être inférieur à 10 %.
Enfin, tant en matière de fixation du niveau du contingent que pour les conditions de rémunération des heures supplémentaires, l'Etat fixe la règle supplétive qui s'applique en l'absence d'accord.
A défaut d'accord, un décret fixera donc le niveau du contingent à 180 heures. Le renvoi à la négociation prévu par la loi n'aurait guère de sens si, parallèlement, l'Etat fixait de manière définitive le niveau supplétif du contingent. Ce serait perçu comme une forme déguisée d'intervention de l'Etat sur les futures discussions affectant le contenu des négociations.
Le décret sera pris rapidement parce que notre économie est à la recherche d'un horizon précis, mais il sera réexaminé dans dix-huit mois, au vu du contenu des négociations et des pratiques dans les branches et dans les entreprises. A cette échéance, le Gouvernement devra prendre définitivement position sur le niveau optimal du contingent qui doit s'appliquer en l'absence d'accord. Selon le souhait du Premier ministre, il le fera après consultation de la Commission nationale de la négociation collective, mais aussi après avis du Conseil économique et social.
Ces mêmes exigences de souplesse et de clarification inspirent d'autres dispositions plus techniques concernant les 35 heures et que je veux vous citer.
Ainsi, les durées horaires annuelles de travail seront calculées, comme le prévoient déjà de nombreuses conventions, sur la base d'un niveau forfaitaire annuel de 1 600 heures, et ce indépendamment des variations du nombre de jours fériés d'une année à l'autre. Le seuil de dix salariés applicable en matière de repos compensateur sera porté à vingt salariés, ce qui représente une mesure de simplification pour les entreprises, mais surtout de cohérence par rapport au seuil qui avait été choisi en 2000.
Un amendement adopté à l'Assemblée nationale a également permis, dans la ligne de la directive européenne de 1993 et de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, de clarifier la situation du salarié lorsque, bien que d'astreinte, il n'est pas sollicité.
Concernant cette nouvelle disposition, soyons clairs : il ne s'agit pas de supprimer les avantages négociés, en particulier sous la forme de rémunérations, en contrepartie de l'astreinte. Celle-ci ne peut donc pas être assimilée purement et simplement à un repos. Mais il était bien opportun, comme l'a souhaité l'Assemblée nationale, de conforter la doctrine, qui correspond d'ailleurs à l'esprit de la loi de 2000, selon laquelle le décompte des temps de repos hebdomadaires et journaliers n'est pas affecté par le temps d'astreinte sans intervention.
Enfin, à travers un nouvel article 13 relatif à la sécurisation des accords collectifs conclus en application des lois de 1998 et de 2000, le législateur valide les précédents accords au regard des règles posées par la loi et par son décret d'application qui portera à 180 le contingent des heures supplémentaires.
Ces accords parfois ambigus avaient été conclus entre 1998 et 2000 pour nombre d'entre eux, dans un cadre juridique bien incertain, dans l'attente de la deuxième loi Aubry.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, l'esprit de la réforme qui vous est présentée. Cette adaptation pragmatique des 35 heures...
M. Gilbert Chabroux. Son abrogation !
M. François Fillon, ministre. ... constitue non pas un retour en arrière, mais un retour à la raison ! La durée légale de 35 heures est maintenue, mais elle est organisée sur un mode qui permet aux acteurs sociaux, s'ils le souhaitent, de l'aménager, bref de se l'approprier. (Très bien ! sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Définie par ce projet de loi, la convergence des SMIC sera par ailleurs engagée. (Très bien ! sur les mêmes travées.)
Constatée au cours des dernières années, la stagnation des bas salaires s'est apparentée, aux yeux des Français les plus modestes, à une véritable panne de l'ascenseur social. (Tout à fait ! sur les même travées.)
En valeur absolue, les salariés modestes ont perdu entre 1 et 2 points de pouvoir d'achat depuis trois ans quand les cadres dirigeants voyaient le leur croître.
Cette stagnation s'est aggravée sous les effets des deux lois relatives à la réduction du temps de travail qui ont introduit, avec la multiplication des SMIC, une nouvelle injustice sociale et affaibli le rôle de référent du salaire minimum. Le SMIC est plus qu'une variable technique, il est un symbole. Avec six SMIC différents, ce symbole est aujourd'hui éclaté et ne joue plus, dans le monde du travail, son rôle de référent économique et social.
Le SMIC concerne aujourd'hui plus de deux millions de salariés. Il détermine le minimum horaire auquel doit correspondre toute rémunération et constitue une valeur cardinale dans la fixation et dans l'évolution des basses rémunérations. La mise en place des 35 heures et des multiples garanties mensuelles qui ont été instituées dans la foulée a brouillé tout cela.
Le principe posé par l'article 32 de loi du 19 janvier 2000 était en apparence simple : il fallait faire en sorte que, pour les salaires les plus bas, le passage aux 35 heures ne se traduise pas par une réduction de la rémunération. De même, le principe de la convergence entre la garantie mensuelle et le SMIC, posé par ce même article, ne semblait pas soulever de difficultés particulières.
La réalité, maintes fois et - je crois que l'on peut le dire - unanimement dénoncée, vous la connaissez : une multiplication des valeurs de référence, une complexité inextricable tant pour les salariés que pour les employeurs et une complexité d'autant moins acceptable qu'elle ne permet même pas d'atteindre les objectifs visés par les auteurs du texte.
En effet, contrairement à ce qui avait été dit, le dispositif ne permettait pas d'obtenir par lui-même la convergence du SMIC à terme et de la garantie mensuelle, puisque toute augmentation du SMIC entraînait la création d'une nouvelle garantie, repoussant d'autant la convergence.
Le dispositif ne permettait pas davantage d'assurer la justice sociale puisqu'il entraînait, au contraire, des disparités entre les salariés, selon que leur entreprise était ou non passée aux 35 heures ou selon la date du passage à un horaire collectif de 35 heures.
Chacun se perdait dans cet imbroglio et il devenait de plus en plus difficile de fixer, dans les accords salariaux de branche, une valeur de référence et de comparaison dans la détermination des minima de branche.
Inéquitable et illisible pour le salarié, complexe et coûteux pour les entreprises, notamment pour les plus petites d'entre elles, il fallait impérativement sortir de ce piège. C'est sur la base de ce constat que le Premier ministre, dès l'installation du Gouvernement, a saisi le Conseil économique et social.
A partir de ses travaux et des différents scénarios qu'il avait envisagés, le Gouvernement a tranché. Il vous propose aujourd'hui de sortir rapidement et par le haut de la situation confuse et injuste des multi-SMIC.
Si vous en décidez ainsi, l'unité du SMIC sera restaurée par un mécanisme de convergence qui devra aboutir au 1er juillet 2005. Il aura pour effet une augmentation du SMIC horaire de 11,4 % en termes réels au cours des trois prochaines années.
M. Raymond Courrière. On verra !
M. François Fillon, ministre. Globalement, les deux tiers des salariés rémunérés par référence à l'un des SMIC verront leur pouvoir d'achat progresser de façon significative, en tout cas plus rapidement que si l'on en était resté aux dispositions actuelles.
La restauration de l'unité du SMIC passe par un mécanisme volontaire de convergence, dont je vais énoncer les termes.
Le cycle de création, chaque année, de nouvelles garanties mensuelles sera stoppé. La dernière garantie sera donc la cinquième, celle qui a été fixée en juillet 2002.
A partir de là, un double mouvement de convergence sera opéré, le point final de convergence étant fixé au 1er juillet 2005.
Pendant les trois années qui nous séparent de cette date, le premier mouvement de convergence concernera les garanties mensuelles qui, tout en augmentant chaque année en fonction de l'évolution de l'indice des prix, feront l'objet d'une revalorisation, par « coups de pouce » successifs, afin de permettre leur alignement à la date fixée sur la garantie mensuelle la plus haute, c'est-à-dire celle de juillet 2002.
Cette dernière garantie verra préserver son pouvoir d'achat dans la mesure où, comme les autres garanties, elle évoluera chaque année, pendant cette période de trois ans, en fonction de l'indice des prix.
Le second mouvement de convergence concernera le rapport entre les garanties mensuelles et le SMIC, puisque ce dernier, par rattrapages successifs incluant tant l'évolution des prix que les « coups de pouce » nécessaires, rejoindra par paliers successifs le différentiel de 11,4 % qui le sépare, en valeur réelle, de la dernière garantie mensuelle.
Vous l'aurez noté, cette dernière convergence implique que les règles de calcul du SMIC soient modifiées, mais cette dérogation ne sera que temporaire et exclusivement justifiée par les besoins de l'opération. Il y sera évidemment mis fin pour revenir aux règles habituelles.
Voilà pour la procédure.
L'efficacité économique comme la justice sociale militent pour ce choix rapide et ambitieux, qui participera au dynamisme de notre économie et à la revalorisation du travail par rapport aux revenus de la solidarité.
Cet effort n'est pas neutre du point de vue macroéconomique. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement a souhaité qu'il soit réparti.
L'Etat, par la voie des allégements de charges, en supportera la plus grande part. Le nouveau schéma d'allégement de charges, qui montera en puissance au même rythme que convergeront les SMIC, garantit non seulement une large compensation au niveau du SMIC, mais plus encore un allégement net du coût du travail pour les salaires au-dessus du SMIC jusqu'au niveau moyen de salaire des Français.
Nous envisageons de simplifier les mécanismes actuels d'allégements, en unifiant la ristourne sur les bas salaires créée en 1995 et les diverses dispositions mises en oeuvre par la loi du 19 juin 2000.
Ce nouveau dispositif d'allégement se mettra en place à partir du 1er juillet 2003. Il s'appliquera à toutes les entreprises, indépendamment de leur durée collective.
Les allégements de charges augmenteront de 6 milliards d'euros d'ici à 2006 et seront, je le souligne - je suis sûr que le Sénat y sera attentif - compensés aux régimes de sécurité sociale. Ils seront fortement concentrés sur les salaires modestes et moyens. Ils se traduiront par une diminution nette du coût du travail - j'insiste sur ce point - allant jusqu'à plus de 5 % pour les salaires moyens, dans neuf entreprises sur dix, parmi lesquelles la plupart sont des PME. Pour les grandes entreprises caractérisées par de hauts salaires, l'effort ne me paraît pas démesuré, puisqu'il est au plus de 1,5 % du coût du travail sur la période de trois ans dans des secteurs où celui-ci n'apparaît pas comme la composante essentielle de la valeur ajoutée.
En résumé, cette amplification des allégements de charges profitera à l'emploi, comme toutes les enquêtes sur le sujet le démontrent ; accompagnera les entreprises à passer le cap de la sortie multi-SMIC ; aidera celles d'entre elles qui ne sont pas passées aux 35 heures, pour l'essentiel des PME ; enfin, profitera fortement aux entreprises dont les salaires sont concentrés entre 1,2 et 1,7 SMIC.
Cette politique favorable aux bas salaires, jointe aux allégements de charges, permet au Gouvernement de servir tout à la fois la feuille de paie et l'emploi. Elle participe d'une politique économique de soutien à la demande intérieure. Celle-ci est nécessaire dans cette période où la conjoncture hésite.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénateurs, j'ai le sentiment qu'avec ce projet volontariste et équilibré nous tenons le cap. Nous sommes fidèles à nos engagements, et seulement à nos engagements. Nous agissons de façon rapide et concertée. Le curseur entre l'efficacité économique et la justice sociale est correctement placé. Nous élargissons au surplus les espaces de négociation entre les partenaires sociaux.
Cette approche marque notre volonté de faire évoluer notre pays sur les bases d'un progrès économique et social plus dynamique et mieux partagé. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. René-Pierre Signé. On verra la suite !
M. Alain Gournac. Vous, on vous a vus avant !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Louis Souvet, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors des débats précédant l'adoption des lois du 13 juin 1998 et du 19 janvier 2000, la commission des affaires sociales du Sénat avait exprimé une triple inquiétude au regard de la politique de réduction du temps de travail voulue par le précédent gouvernement.
Ainsi, dès 1998, nous avions exprimé la crainte que les incidences du passage aux 35 heures sur les rémunérations mensuelles minima n'aient pas été suffisamment prises en compte, provoquant de facto un éclatement du SMIC et une augmentation du coût du travail lourde de conséquences.
Nous avions également regretté que la logique retenue soit celle d'une réduction autoritaire du temps de travail, risquant alors de réduire la place du dialogue social à la portion congrue et de complexifier à l'extrême un droit du travail déjà singulièrement illisible.
Nous avions enfin observé que le dispositif d'aide financière et d'allégement de charges lié à ces deux lois était un modèle de complexité dont l'efficacité n'était pas garantie et dont les conditions de financement pérennes n'étaient, à l'évidence, pas maîtrisées.
La réalité n'a, hélas ! pas démenti ces trois inquiétudes.
En effet, que constate-t-on aujourd'hui ?
L'éclatement des salaires minima, lié à l'apparition annuelle de « garanties mensuelles de rémunération », a introduit d'intolérables inégalités entre salariés, touchant de surcroît principalement les plus modestes d'entre eux. Le principe, pourtant fondamental, « A travail égal, salaire égal » n'est plus respecté.
Le caractère autoritaire des 35 heures s'est ensuite heurté aux réalités et aux contraintes des entreprises, pour ne pas parler du secteur public. De fait, au 31 mars 2002, seules 13 % des entreprises sont effectivement passées aux 35 heures. Encore faudrait-il observer que la réduction du temps de travail introduit de nouvelles inégalités entre salariés et entreprises. Ainsi, à cette date du 31 mars, 45 % des entreprises de plus de vingt salariés sont aux 35 heures, contre 10 % pour celles de vingt salariés et moins. Et les évolutions restent très fortes et très hétérogènes selon les secteurs et les régions.
Enfin, le détournement systématique des recettes des régimes sociaux pour alimenter le déficit chronique du fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale, le FOREC, nous a, malheureusement, une nouvelle fois, donné raison sur ce point.
M. Henri Weber. La « ristourne Juppé » !
M. Louis Souvet, rapporteur. C'est à ce triple échec, c'est aux trois inquiétudes qu'avait exprimées votre commission que le projet de loi que nous examinons aujourd'hui tend à apporter une réponse. Cette réponse est nécessairement pragmatique, puisque, conformément aux engagements du Président de la République, la durée légale du temps de travail reste fixée à 35 heures.
Pour ce faire, le projet de loi ouvre trois chantiers, en apparence parallèles, mais dont la conjonction constitue une réponse globale aux défauts originels des lois précédentes.
Tout d'abord, il prévoit un schéma de convergence des différents salaires minima à l'horizon 2005.
Ensuite, il introduit certains assouplissements aux 35 heures en renvoyant très largement à la négociation de branche.
Enfin, il réforme nos dispositifs d'allégements de charges pour mettre en place un nouveau système unifié et simplifié visant à favoriser l'emploi en réduisant le coût du travail, notamment pour les salariés les moins qualifiés.
Le projet de loi va d'abord engager le processus de convergence de ce qu'il est désormais convenu d'appeler les multi-SMIC.
Le principe posé par l'article 32 de la loi du 19 janvier 2000 semblait simple, en apparence, mais il s'est révélé être une véritable bombe à retardement.
Afin d'éviter que la réduction du temps de travail ne se traduise, pour les salariés au SMIC, par une baisse de leur rémunération mensuelle, cet article 32 avait posé le principe d'une garantie mensuelle de rémunération, la GMR, lors du passage aux 35 heures. Puis, en instituant des modalités différentes de revalorisation annuelle de ces GMR et du SMIC, il postulait leur convergence à terme.
Ce cercle vertueux ne s'est pas produit et ne pouvait d'ailleurs pas se réaliser car, du fait de la création d'une nouvelle garantie mensuelle chaque année, l'écart entre la dernière GMR et le SMIC mensuel base 35 heures restait constant à 11,4 %.
L'article 1er du présent projet de loi apporte donc une réponse à cette convergence introuvable.
Se fondant sur l'analyse des différents scénarios d'harmonisation des salaires minima réalisée en juillet dernier par le Conseil économique et social à la demande du Premier ministre, il retient le scénario d'une harmonisation par le haut en trois ans. C'est ce scénario qui était d'ailleurs privilégié par le Conseil économique et social, comme son rapporteur nous l'a confirmé lors de son audition par la commission.
Cette convergence se fera en trois étapes.
Cela impose d'abord la fin de la création de nouvelles GMR après le 1er juillet 2002.
Il est prévu de revaloriser la dernière garantie, qui constitue le point de convergence, en fonction de la seule évolution des prix ; son pouvoir d'achat est donc maintenu.
Est posé, enfin, le principe d'une revalorisation différenciée et constante des autres garanties et du SMIC sur la période 2003-2005, afin qu'ils atteignent le point de convergence au 1er juillet 2005.
Cela correspond à une augmentation annuelle moyenne du SMIC, en termes réels, de 3,7 %.
La commission des affaires sociales souscrit pleinement à ce scénario de convergence qui lui paraît être le seul valablement praticable pour en finir avec l'éclatement des référents salariaux. Elle n'a donc pas souhaité l'amender.
Pour les salariés, ce scénario permettra de mettre fin, en trois ans, aux flagrantes inégalités salariales existantes, tout en garantissant au minimum le maintien du pouvoir d'achat. La majorité d'entre eux bénéficiera d'ailleurs d'une hausse substantielle de leur pouvoir d'achat, sans doute largement supérieure à l'augmentation qui aurait résulté de l'application mécanique des règles actuelles de revalorisation du SMIC.
Pour les entreprises, ce scénario est loin de ne présenter que des inconvénients. Certes, on peut craindre, à juste titre d'ailleurs, les conséquences de la hausse du coût salarial. Mais le nouveau dispositif d'allégement de charges permettra de compenser en très grande partie le coût salarial supplémentaire. Le dispositif retenu permet en outre de lisser sur trois ans l'inévitable hausse de 11,4 % du SMIC et offre en cela une lisibilité inédite sur l'évolution à venir des salaires. En effet, les entreprises connaissent, dès maintenant, les hausses de salaires qu'elles devront pratiquer pendant les trois prochaines années.
Je souhaite d'ailleurs que cette lisibilité nouvelle soit l'occasion, pour les partenaires sociaux, de relancer leurs négociations sur les minima conventionnels. Aujourd'hui, les trois quarts des branches ne sont pas conformes au SMIC. Cette situation, comme l'a d'ailleurs rappelé récemment M. le Président de la République, n'est pas saine : elle conduit à un écrasement de la hiérarchie salariale en bas de grille et, in fine , à un rétrécissement des perspectives de carrière des salariés les moins qualifiés.
Le titre II du projet de loi concerne le temps de travail.
C'est ici que se trouvent les assouplissements aux 35 heures qui ne remettent pas toutefois en cause, je le répète, la durée légale du travail.
L'assouplissement essentiel touche le régime des heures supplémentaires.
A l'heure actuelle, ce régime, issu de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail, se caractérise par son extrême complexité et sa forte rigidité.
Coexistent, en effet, trois régimes différents selon la taille de l'entreprise. Le premier s'applique aux entreprises de un à dix salariés ; le deuxième aux entreprises de onze à vingt salariés et le troisième aux entreprises de plus de vingt salariés.
A cela s'ajoutent des modalités différentes de bonification des heures supplémentaires en repos compensateur de la 36e à la 39e heure, puis en majoration salariale pour les heures suivantes.
Surtout existent parallèlement deux types de contingents. Le contingent dit légal ou réglementaire, fixé par décret, sert de référence pour le déclenchement du repos compensateur obligatoire. Le contingent conventionnel, négocié au niveau de la branche, sert lui de référence pour l'autorisation de l'inspecteur du travail en cas de dépassement.
Dans ce paysage éclaté, le projet de loi apporte une nouvelle lisibilité.
Il tend d'abord à unifier les modes de bonification des heures supplémentaires, ensuite à uniformiser les conséquences juridiques attachées aux différents contingents et, enfin, à fusionner le régime applicable aux entreprises de dix salariés et moins et le régime dont relèvent les entreprises de onze à vingt salariés.
Mais le projet de loi renforce surtout le rôle du dialogue social en la matière.
Ainsi, ce seront désormais les partenaires sociaux qui détermineront, au niveau de la branche, la nature et le taux de majoration des heures supplémentaires. La loi n'en conserve pas moins son rôle de garant de l'ordre public social puisque, d'une part, elle fixe un taux minimal de 10 % et que, d'autre part, en l'absence d'accord, ce seront les taux actuels qui s'appliqueront de droit.
Surtout, ce sera à l'avenir le dépassement du contingent conventionnel - et non plus du contingent légal - qui déclenchera l'octroi d'un repos compensateur obligatoire. Là encore, la loi exerce une fonction subsidiaire : en l'absence d'accord, ce sera le dépassement du contingent légal, désormais fixé à cent quatre-vingts heures, qui déclenchera le repos compensateur.
Le projet de loi prend enfin en compte les spécificités des petites entreprises pour lesquelles la réduction du temps de travail s'avère, vous le savez tous, très difficile.
Pour favoriser leur adaptation, le projet de loi prolonge de trois ans la période de transition ouverte par la loi du 19 janvier 2000. Pour les entreprises de vingt salariés et moins, le taux de majoration des quatre premières heures supplémentaires est donc maintenu à 10 % jusqu'au 31 décembre 2005.
Plus grande lisibilité, renforcement du rôle de la négociation collective, prise en compte des petites entreprises : toutes ces évolutions apparaissent incontestablement positives à votre commission.
Au-delà du seul régime des heures supplémentaires, le projet de loi apporte d'autres types d'assouplissements.
Le premier concerne le temps de travail des cadres.
Le projet de loi tend, notamment, à renforcer le rôle de la négociation collective en la matière, particulièrement pour la définition des cadres au forfait en jours : celle-ci a été assouplie.
Je crois toutefois qu'il existe encore une marge d'amélioration pour renforcer plus encore l'autonomie des partenaires sociaux en la matière ; la commission vous présentera un amendement en ce sens. J'indique d'ailleurs qu'il répond très largement aux aspirations des cadres, qui considèrent que le forfait en jours constitue un instrument adapté pour l'encadrement de leur temps de travail.
J'estime également nécessaire d'étendre le système du forfait en jours aux salariés itinérants non-cadres ; cela fera l'objet d'un autre amendement.
Le deuxième assouplissement concerne la « monétarisation » du compte épargne-temps. La commission en partage le principe. Il devrait permettre à ce dispositif utile, mais encore trop peu utilisé, de trouver son rythme de croisière en rendant son utilisation plus large et plus facile. Mais encore faut-il s'assurer que la réforme proposée ne remettra pas en cause les règles actuellement applicables en matière de congés payés. La commission vous présentera donc un amendement en ce sens.
J'attire enfin votre attention sur un article additionnel introduit à l'Assemblée nationale - il s'agit de l'article 13 - relatif à la sécurisation des accords actuellement en vigueur. Les conséquences de cet amendement méritent d'être examinées avec soin. Celui-ci apporte, certes, des premières précisions sur la légalité des accords déjà conclus, mais il n'aborde pas la question, pourtant fondamentale, des effets de la future loi sur l'équilibre général de ces accords. A l'évidence, ces effets ne seront, pas neutres du fait des modifications apportées par le projet de loi en matière de déclenchement des repos compensateurs obligatoires.
Respectueuse du dialogue social, la commission ne souhaite pas que cette mesure entraîne le bouleversement de l'équilibre général des accords, souvent conclus au prix de négociations difficiles, mais constructives.
Si elle suit les propositions que je compte lui faire, la commission vous proposera d'apporter, à l'article 2, une réponse équilibrée à cette question, en prévoyant de limiter la portée des contingents conventionnels actuels, en matière de déclenchement du repos compensateur, au niveau du nouveau contingent réglementaire. Cette solution nous apparaît, en effet, la seule en mesure de concilier, au nom de l'intérêt général, l'exigence de sécurité juridique et le respect de l'équilibre des accords déjà conclus.
Ce sera donc l'objet d'un nouvel amendement, qui traduit la poursuite de notre réflexion. Sans anticiper la décision de la commission, je tenais à en faire état dès aujourd'hui, afin que vous en soyez pleinement informés, mes chers collègues.
J'en viens maintenant au titre III du projet de loi, qui vise à réformer les dispositifs d'allégements de charges et à mettre en place un nouveau système unifié et simplifié.
Ce dispositif remplacera, à compter du 1er juillet 2003, les deux principaux allégements en vigueur, à savoir, d'une part, la ristourne dégressive sur les bas salaires, dite « ristourne Juppé », et, d'autre part, l'allégement lié à la réduction du temps de travail, dit « allégement Aubry II ».
La nouvelle réduction concerne les cotisations de sécurité sociale, d'accidents du travail et d'allocations familiales acquittées par les employeurs. Selon le régime définitif défini à l'article 6, qui entrera en vigueur à compter du 1er juillet 2005, l'allégement ainsi accordé sera de 26 points de cotisations, sur un total dû de 30,2 points, pour une rémunération horaire égale au SMIC. Il deviendra nul pour une rémunération horaire égale à 1,7 fois le SMIC. Toutefois, et afin d'accompagner la convergence des minima salariaux, des modalités transitoires de calcul de cet allégement sont prévues, à l'article 7, pour les années 2003 à 2005.
Comparé à la « ristourne Juppé », dont il s'inspire directement, ce dispositif est plus favorable, qu'il s'agisse du montant maximal de l'allégement, soit 26 points de coisations contre 18,2 points pour la « ristourne Juppé », ou du plafond de l'exonération, fixé à 1,7 fois le SMIC contre 1,3 fois le SMIC antérieurement.
Par rapport à l'« allégement Aubry II », le montant maximal d'exonération au SMIC est identique, soit 26 points, et le plafond de l'exonération se situe à un niveau équivalent. En revanche, l'entrée en vigueur du nouveau dispositif entraînera la suppression de l'aide pérenne à la réduction du temps de travail, d'un montant fixe et forfaitaire, et qui était accordée, dans le cadre de l'« allégement Aubry II », pour les salaires supérieurs à 1,8 fois le SMIC.
La commission a parfaitement conscience que la suppression de cette aide pérenne peut représenter, pour certaines grandes entreprises, un manque à gagner non négligeable. Toutefois, cet inconvénient lui paraît largement compensé par l'un des avantages essentiels de la nouvelle réduction par rapport à l'« allégement Aubry II », à savoir sa neutralité à l'égard de la durée du travail.
En effet, cette réduction est calculée sur la base du salaire horaire, et non de la rémunération mensuelle. Elle est ainsi cohérente avec les principes généraux du présent projet de loi qui assouplit, sous réserve d'accords collectifs, le recours aux heures supplémentaires.
Il convient donc que le coût de ces heures supplémentaires ne soit pas si dissuasif qu'il vide de sens la possibilité ainsi ouverte aux partenaires sociaux. Or, actuellement, le coût effectif d'une heure supplémentaire au niveau du SMIC est de l'ordre de 190 % pour une entreprise appliquant les 35 heures, et de plus de 200 % pour une entreprise soumise aux 39 heures. La raison en est simple : la « ristourne Juppé » et l'« allégement Aubry II » étant calculés sur la base de la rémunération mensuelle du salarié, chaque heure supplémentaire accroît cette rémunération et diminue automatiquement le montant de l'aide, qui est dégressive en fonction du niveau du salaire.
En revanche, dans le cadre du nouveau dispositif, calculé sur la base du salaire horaire, seule la bonification de l'heure supplémentaire contribuera à augmenter le salaire horaire moyen et, par conséquent, à réduire le montant de l'allégement accordé à l'entreprise.
Ainsi conçu, le nouvel allégement des charges patronales s'avère adapté aux trois objectifs que lui a assignés le Gouvernement.
Il s'agit, d'abord, de compenser le coût, pour les entreprises, de l'unification progressive des minima salariaux d'ici à 2005. La nouvelle exonération sera, en effet, maximale au niveau du SMIC. Cela ne laissera à la charge des entreprises restées à 39 heures de travail hebdomadaire que 4,6 points d'augmentation de salaire à « absorber » en trois ans.
Cette réduction des charges patronales se traduira également par une baisse significative du coût du travail, de plus de 4 %, pour les salaires situés entre 1,2 et 1,6 fois le SMIC. Or on sait que les emplois concernés sont ceux pour lesquels l'élasticité de la demande de travail est la plus forte. C'est donc sur ce « créneau » que le nouveau dispositif sera le plus favorable à l'emploi.
En outre, le nouvel allégement profitera à l'ensemble des entreprises, et ne sera plus réservé à celles qui sont passées aux 35 heures. Or je rappelle que seule une entreprise sur dix était passée aux 35 heures au printemps dernier. Près de 90 % des entreprises vont ainsi voir leurs charges diminuer, au premier rang desquelles figurent les petites et moyennes entreprises. Ce sont justement ces entreprises qui cumulent les handicaps dans leur recherche de main-d'oeuvre et qui ne sont pas passées, pour nombre d'entre elles, aux 35 heures. La fin de l'inégalité créée, en termes de coût du travail, à leur détriment, par l'« allégement Aubry II », doit donc être saluée comme il convient.
La nouvelle réduction de cotisations sociales vise également à favoriser la création d'emplois. Plus au fait des réalités de la vie économique que son précédesseur, le Gouvernement n'a pas fait de promesses quantifiées en ce domaine. En effet, dans le monde d'aujourd'hui, les créations d'emplois ne se décident pas par la loi, même si celle-ci peut définir, comme le présent projet de loi, les conditions propices à ces créations d'emplois.
Il me paraît toutefois utile de rappeler que, selon une étude de l'INSEE, la « ristourne Juppé », dont le nouveau dispositif s'inspire directement, a permis de créer environ 460 000 emplois dans les années 1994-1997. Elle aurait ainsi contribué à enrayer, à partir de 1994, le déclin tendanciel de l'emploi non qualifié dans notre pays.
Ces résultats sont à comparer avec le bilan de la réduction du temps de travail, remis le 6 septembre dernier à la Commission nationale de la négociation collective, qui évalue à 300 000 les créations d'emplois correspondantes ; vous l'avez rappelé, monsieur le ministre. Encore convient-il d'observer que ces créations sont moins imputables aux 35 heures proprement dites qu'aux baisses de charges qui les accompagnaient.
Enfin, le nouveau dispositif d'allégement de charges se veut simple et facile à appliquer par les entreprises. Je vous épargnerai ici l'exposé détaillé de la formule de calcul de l'« allégement Aubry II » ou la lecture exhaustive de ses circulaires d'application. Il suffit de rappeler que, pour être compréhensible par les chefs d'entreprise, le barème de l'« allégement Aubry II » avait fait l'objet d'une version dite « simplifiée », de plusieurs pages, publiée une fois par an au Journal officiel. Rien de tel dans le nouveau dispositif que nous propose le Gouvernement ! Les entreprises n'auront qu'à appliquer une simple formule de calcul, unique pour l'ensemble des salariés concernés, et aisément « paramétrable » dans les logiciels de paie existants. En outre, les formalités à la charge des employeurs sont limitées au strict nécessaire.
Enfin, je ne peux terminer cette présentation de la nouvelle réduction de cotisations sociales sans évoquer un point sur lequel la commission est toujours extrêmement vigilante, à savoir le coût de cette mesure et les modalités de son financement. Le coût net de la mesure est estimé à 1 millard d'euros en 2003 et à 6 milliards d'euros d'ici à 2006.
Dès l'année prochaine, les pertes de recettes en résultant pour la sécurité sociale lui seront intégralement compensées par le FOREC. Celui-ci disposera donc de deux ressources nouvelles qui, à la différence des années précédentes, n'auront pas été préalablement confisquées aux régimes de sécurité sociale. Il s'agit de l'augmentation, d'une part, des droits de consommation sur les tabacs et, d'autre part, de la fraction du produit de la taxe sur les contrats d'assurance affectée au FOREC.
Au total, la commission considère que ce projet de loi est à la fois pragmatique et équilibré. Sans remettre en cause la durée légale du travail, ce texte lui paraît à même de répondre avec efficacité aux principales difficultés nées de la réduction du temps de travail, en conciliant au mieux les aspirations des salariés et les contraintes des entreprises.
La commission des affaires sociales vous proposera toutefois d'adopter une quinzaine d'amendements qui, sans remettre en cause l'équilibre général du texte, en prolonge la logique et lui apporte de nécessaires précisions. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

(M. Adrien Gouteyron remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. ADRIEN GOUTEYRON
vice-président

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 44 minutes ;
Groupe socialiste, 39 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 29 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 18 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 18 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 7 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Georges Mouly. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du RPR.)
M. Georges Mouly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, que n'ai-je lu et entendu ? « Il n'y a rien dans cette loi... C'est un coup d'épée dans l'eau !... C'est une loi de régression sociale. » Pour les uns, elle va trop loin ; pour les autres, pas assez. Certains font le reproche de travailler dans l'urgence, alors que le temps presse... Peu de monde y trouve amplement son compte - c'est une litote !
Mais il n'est pas interdit de penser, devant ce constat, que ce projet de loi relatif aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi va précisément dans le bon sens. Il y a là - en tout cas, telle est ma conviction ! - la recherche d'une nécessaire réforme équilibrée : harmoniser les SMIC, assouplir par la négociation les règles sur le temps de travail et amplifier la baisse des charges pour mieux maîtriser le coût du travail.
Conformément aux engagements du Président de la République, il fallait proposer une autre politique ; nous avons aujourd'hui, monsieur le ministre, à en décider.
Nous sommes devant une absolue nécessité en ce qui concerne le temps de travail si l'on veut bien considérer - c'est un fait ! - que l'application du même régime pour tous, c'est la condamnation pour beaucoup. Qui d'entre nous ayant participé aux assemblées de chambres de métiers, de chambre de commerce, du Bâtiment et des travaux publics, le BTP, de l'Union professionnelle artisanale, l'UPA, n'a pas été frappé par les difficultés trop souvent insurmontables du passage aux 35 heures ?
(MM. Paul Blanc et Alain Gournac acquiescent.)
Pour beaucoup, on observe un risque d'asphyxie, au point qu'à peine 10 % des entreprises de moins de vingt salariés sont actuellement aux 35 heures, 35 heures dont il faut dire et redire que reste en vigueur la loi qui les a instituées.
On constate trop de rigidités, donc un assouplissements s'impose, essentiellement par modification du régime des heures supplémentaires avec, entre autres, une plus grande lisibilité du dispositif, de même que la prise en compte des spécificités des petites entreprises. Une autre mesure concerne les cadres, je veux parler du compte épargne-temps, le tout moyennant une plus grande place faite, et ce n'est pas mineur, au dialogue.
Au total, je souscris à l'analyse qu'a faite de ce texte notre éminent rapporteur, mais je tiens à rappeler, à propos des heures supplémentaires, quelle utilisation en est faite d'ores et déjà dans les secteurs de la métallurgie, du bâtiment, de la réparation automobile ou de la propreté.
Je ferai une remarque, monsieur le ministre, sur le régime de l'astreinte. J'avoue que j'ai du mal à me ranger à la position prise par l'Assemblée nationale. Je veux espérer une évolution au cours des débats.
Au coeur de nos discussions figure précisément la lutte contre le chômage, et l'on ne saurait être trop modeste en la matière. Je ne me lancerai donc point ici dans une querelle de chiffres. Simplement, je constate que le chômage est reparti à la hausse il y a de cela plusieurs mois déjà, alors que la croissance que la France avait connue durant plusieurs années diminue.
M. Paul Blanc. Voilà !
M. Georges Mouly. Mais je me contente ici d'un simple rappel.
Plusieurs organismes ont démontré que, plus que la réduction du temps de travail, c'est la baisse des charges qui est propice à la création d'emplois. L'allégement des cotisations est donc une évidente nécessité si nous voulons être compétitifs. Comment ne pas comprendre que les 35 heures ont, entre autres conséquences, limité les capacités de réagir à la demande, effet mécanique à quoi s'ajoute parfois, ici ou là - et l'on ne peut que le regretter -, une certaine dépréciation du travail ?
M. Alain Gournac. Eh oui !
M. Georges Mouly. Un but : diminuer le coût du travail ; un moyen : la baisse des charges à travers un système simplifié, unifié, avec pour cible, notamment, les bas salaires, et ce n'est pas sans intérêt.
Je n'irai pas plus loin, n'ayant voulu mettre l'accent ici que sur ce que je crois être un constat d'évidence et qui mérite une suite.
Le troisième volet de la réforme proposée concerne l'harmonisation des SMIC. Car nous avons six SMIC, ce qui est ingérable, évidemment, et, de surcroît, source d'inégalités outrancières, soit un tort fait à des millions de salariés, ce qui n'est pas rien. Cette harmonisation est la mesure la moins contestée, quand elle n'est pas tout à fait approuvée. Voilà en tout cas ce que l'on pourrait appeler, monsieur le ministre, mes chers collègues, une « sortie par le haut » ! On peut simplement regretter qu'elle ne se soit pas faite, par exemple, en deux ans plutôt qu'en trois... (M. le ministre marque son scepticisme.)
Je faisais, voilà un instant, une remarque concernant l'astreinte. Je veux dire ici tout l'intérêt que je porte au sort des personnels des établissements médicosociaux et la satisfaction que j'éprouve à savoir que l'article 5 convient.
Je veux encore dire, revenant sur le chômage, que le surcroît d'heures supplémentaires ne saurait favoriser systématiquement sa montée. C'est plutôt, en maints secteurs, tout le monde le sait, d'un défaut de main-d'oeuvre, hélas ! que nous souffrons : affaire de formation pour partie, de culture, d'orientation. C'est une importante question maintes fois abordée ; j'ai cru pouvoir la rappeler ici.
C'est après le vote d'un texte concernant les jeunes en entreprise que ce texte nous est présenté : lutte contre le chômage, toujours. Est-il besoin de préciser, monsieur le ministre, mes chers collègues, en conclusion de ce bref propos, combien j'adhère aux dispositions de ce texte, habité du ferme espoir que je veux mettre en leur succès ? (Applaudissements sur les travées du RDSE, du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Alain Gournac. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Bernard Seillier.
M. Bernard Seillier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous souhaitons tous que le travail soit dominé par l'homme et non pas l'inverse. C'est pourquoi, traditionnellement, des actions sont menées par en optimiser la durée, la rémunération et, plus largement, l'environnement. La portée de la question est non seulement individuelle, mais aussi collective, puisque l'ordre social est largement déterminé par l'organisation du travail.
Or la loi de 1998 que nous sommes amenés à corriger se fixait pour objectif de créer des emplois selon un mécanisme contraignant de partage du travail. L'intention demeure louable dans l'absolu, mais sa mise en oeuvre est inadéquate. Elle l'est déjà au plan philosophique, car l'horizon même d'une civilisation des loisirs qu'elle comporte en filigrane est bien flou ; ensuite, elle est trop simplificatrice, car la genèse de la création d'emplois repose moins sur le « saucissonnage » de la durée des tâches que sur leur diversification, et donc sur l'innovation ; enfin, la rigidité de la démarche aboutissait à de nombreux paradoxes. Outre que la compétitivité de certaines entreprises était altérée, elle entraînait un sentiment global d'aliénation par rapport à une contrainte nouvelle imposée de l'extérieur, à l'inverse finalement du processus de libération recherché. Je n'étais pas le seul à avoir souligné cette faiblesse conceptuelle lors de la discussion générale du 3 mars 1998.
Aujourd'hui, puisque l'occasion nous est donnée de corriger ce texte relatif aux 35 heures, il nous faut enrichir la méthode retenue pour la rendre efficace.
La complexité introduite dans la gestion des entreprises a contrarié l'objectif fixé. Le nombre d'emplois créés a été moins important qu'il n'avait été escompté. Personne ne peut comptabiliser, en outre, ceux qui ont été délocalisés. Comment apprécier encore la frustration ressentie par ceux qui auraient privilégié l'élévation de la rémunération à la réduction du temps de travail ? La solidarité du partage, objectif noble s'il en est, ne peut être imposée que si son efficacité est incontestable. Sinon, le sentiment éprouvé de non-sens est socialement et humainement très grave, car il y a perversion. Tel est, hélas ! trop souvent le cas.
Les entreprises qui ont pu créer des emplois en nombre significatif au titre de cette loi sont d'une taille suffisamment importante et l'ont souvent fait en recourant au travail en quatre équipes. C'est alors fréquemment la vie familiale qui a perdu au change. Le prix à payer était-il à la hauteur de l'enjeu ? Qui recensera les PME et les PMI qui ont, de leur côté, franchi la porte du tribunal de commerce, affaiblies par une loi dont l'universalité et la complexité étaient un défi au bon sens ?
Il suffit d'imaginer l'application de cette loi au travail des parlementaires que nous sommes pour en appréhender les limites. (Sourires.)
Il est bon de chercher à partager le travail ; encore faut-il recourir aux moyens convenables et éviter ceux qui, non seulement se révèlent inefficaces, mais, surtout, sont contre-performants en termes de libération de l'homme, sans parler des dommages induits tels que la désintégration du SMIC.
M. Henri Weber. Il faut l'abolir, alors !
M. Bernard Seillier. On peut dire brièvement que l'erreur de la loi de 1998 a été de rester à un niveau macroéconomique abstrait, ignorant de ce fait gravement la réalité concrète de la situation des salariés et des entreprises.
Il ne faut pas oublier les conditions actuelles et concrètes du travail, jusque dans la réalité des ateliers et des bureaux. A l'époque où la décentralisation politique s'impose pour des considérations pratiques de réalisme, l'approche microéconomique s'impose en matière d'organisation du travail pour des raisons analogues.
C'est cette réalité que votre projet de loi prend en compte, monsieur le ministre, pour l'introduire dans la législation antérieure. Vous opérez une greffe de bon sens sur une loi pavée de bonnes intentions, mais décalée par rapport au réel. C'est ce qu'ont bien compris la commission des affaires sociales et son excellent rapporteur, notre collègue Louis Souvet, que je tiens à saluer pour le travail précis qu'il a accompli.
Votre projet de loi, monsieur le ministre, exprime votre volonté de progresser de manière réaliste, dans une perspective clairement humaniste. Il a toutes les chances de rendre opératoire et efficace la législation actuelle sur la durée du travail, en dégrippant les engrenages bloqués. Vous instaurez un bon dosage entre les libres négociations des partenaires sociaux et les actes régulateurs de l'autorité de l'Etat.
Les risques sont inhérents à la vie, et la bonne méthode pour les minimiser est d'introduire un processus itératif dans l'action. C'est cette qualité que je trouve dans votre approche des problèmes graves et urgents à résoudre qui ont été accumulés par une loi trop rigide et trop complexe. Grâce à la réforme que vous nous proposez, vous restaurez un espoir de réel partage du travail par une procédure libérée, mais régulée. Nous savons, par ailleurs, à travers vos récentes déclarations, que vous vous préoccupez des laissés-pour-compte de la croissance, qui ont des problèmes spécifiques d'accès à l'emploi.
Ainsi, les trois fonctions à concilier seront bien prises en compte à travers la politique de l'emploi que vous conduisez : amélioration de vie de ceux qui ont un emploi ; accès au travail de ceux qui en ont les capacités ; enfin, accès au processus d'intégration de ceux qu'une simple augmentation physique de l'offre d'emploi ne suffit pas à insérer. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Gilbert Chabroux.
M. Henri Weber. Enfin un peu de lumière !
M. Gilbert Chabroux. Monsieur le ministre, vous avez qualifié de « majeur » le projet de loi relatif aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi que vous nous présentez. Il serait, je vous cite, « la clef de voûte de la politique économique et sociale du Gouvernement pour relancer la croissance et l'emploi ».
Si, pour être « majeur », il suffit de porter un coup d'arrêt à ce qui a été et restera dans notre histoire comme l'une des plus belles conquêtes sociales, les 35 heures (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen. - Protestations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certains travées du RDSE) , et de détruire ce qui a été fait avec la RTT, alors, sans nul doute, votre texte est majeur par tout ce qu'il comporte de négatif !
M. Jean Chérioux. Je rêve !
M. Raymond Courrière. Et tout ce qu'il a de réactionnaire !
M. Jean-Pierre Demerliat. Très bien !
M. Jean Chérioux. C'est vraiment attristant d'entendre cela !
M. Gilbert Chabroux. Vous dites aussi que ce texte était très attendu. Il l'était, en effet, par la droite et par un certain nombre d'employeurs qui ont de la peine à cacher leur satisfaction ou même leur jubilation.
M. Raymond Courrière. Il était attendu par les patrons !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Par les petits salaires !
M. Gilbert Chabroux. Mais il serait faux de dire que les salariés approuvent votre démarche, puisque 59 % d'entre eux sont satisfaits du passage aux 35 heures, on ne peut rien y changer,...
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Vous pensez qu'ils étaient satisfaits du blocage du SMIC !
M. Gilbert Chabroux. ... alors que seulement 13 % d'entre eux ne le sont pas. Ce sont les chiffres de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES. Je peux en citer d'autres, encore plus éloquents, selon une enquête de la CFDT,...
M. Paul Blanc. Il n'y a pas que des fonctionnaires dans notre pays !
M. Gilbert Chabroux. ... 80 % des salariés passés au régime des 35 heures ne veulent surtout pas revenir en arrière.
M. Bernard Murat. Et les autres ?
M. Gilbert Chabroux. L'urgence n'est donc pas là où vous la placez. Elle est sans aucun doute dans la lutte contre le chômage, qui est à nouveau la première préoccupation des Français et qui devrait donc être la priorité absolue du Gouvernement.
M. Raymond Courrière. Ce qui n'est pas le cas !
M. Gilbert Chabroux. Mais vous connaissez comme moi les résultats du sondage réalisé les 20 et 21 septembre derniers par l'Institut Louis Harris : si 59 % des Français placent le chômage au premier rang de leurs soucis, 26 % seulement pensent que les mesures et les propositions du Gouvernement vont dans le bon sens,...
M. Raymond Courrière. C'est le bon sens même !
M. Claude Domeizel. Vous faites bien de le leur rappeler !
M. Gilbert Chabroux. ... tandis que 64 % considèrent qu'elles vont dans le mauvais sens. Là aussi, vous ne pouvez rien y changer, tels sont les chiffres.
M. Alain Gournac. On ne gouverne pas avec des sondages, vous le savez bien !
M. Gilbert Chabroux. L'opinion a pris la mesure du problème, et le seul débat utile que nous pourrions avoir devrait porter sur les moyens à mettre en oeuvre pour infléchir la courbe du chômage au lieu de chercher à détruire les outils...
M. Paul Blanc. Lesquels ?
M. Gilbert Chabroux. ... qui ont donné des résultats appréciables.
Vous voulez supprimer ou rogner tous les outils de la politique de l'emploi sans exception : les emplois jeunes, les contrats aidés, les CES ou contrats emploi-solidarité, les CEC ou contrats emplois consolidés,...
M. Roland du Luart. C'est faux !
M. Gilbert Chabroux. ... le programme TRACE et la bourse d'accès à l'emploi, sans oublier les 35 heures.
M. Alain Gournac. Tout !
M. Gilbert Chabroux. Pourquoi recherchez-vous ainsi l'affrontement droite contre gauche ? Pourquoi voulez-vous régler des comptes, alors que l'heure devrait être à la mobilisation et aux efforts de tous dans la lutte contre le chômage ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
Vous répétez sans cesse que la gauche serait la cause de la situation, et particulièrement les lois emblématiques de Martine Aubry,...
M. Alain Gournac. Les Français ont voté contre !
M. Jean Chérioux. De quoi est-ce l'emblème ?
M. Gilbert Chabroux. Il faut reconnaître et saluer le courage, la ténacité et le talent de Mme Aubry.
M. Louis Souvet, rapporteur. Tenace, oui !
M. Jean Chérioux. Talent mal utilisé !
M. Gilbert Chabroux. Si elle était là, vous n'en diriez pas autant !
Ces lois seraient donc la cause de la situation dans laquelle se trouve notre pays.
M. Alain Gournac. Les Français ont jugé !
M. Paul Blanc. C'est de la provocation !
M. Jean-Pierre Demerliat. Nous y reviendrons !
M. Gilbert Chabroux. Mais vous avez oublié la situation catastrophique qui était celle de 1997 (Protestations sur les travées du RPR), quand le taux de chômage était de 12,6 %. Vous oubliez tout simplement d'où nous sommes partis.
Le Gouvernement Jospin a pu, et a su, grâce au retour de la confiance...
M. Jean Chérioux. Vous aviez la croissance avec vous !
M. Gilbert Chabroux. ... et à la reprise de la croissance,...
M. Paul Blanc. Tout de même !
M. Jean Chérioux. Vous l'avez gaspillée, la croissance !
M. René-Pierre Signé. C'est vous qui l'avez tuée !
M. Gilbert Chabroux. ... sur cinq ans, deux millions d'emplois et réduire de 930 000 le nombre des chômeurs. Le taux de chômage est descendu à 8,9 %.
M. Louis Souvet, rapporteur. Oui, avec les emplois-jeunes !
M. Gilbert Chabroux. Puis, il est un peu remonté, c'est vrai, pour se situer aux alentours de 9,2 %. Pendant ces cinq ans, contrairement à ce que vous dites, monsieur le ministre, notre pays a fait mieux que tous les autres pays européens en matière de lutte contre le chômage.
M. Paul Blanc. C'est faux !
M. Jean Chérioux. Ce sont des contrevérités ! Nous sommes pratiquement les derniers de la classe en Europe !
M. Alain Gournac. Nous sommes au douzième rang sur quinze !
M. Henri Weber. Non ! C'est le Financial Times qui le dit !
M. Gilbert Chabroux. Puissiez-vous réaliser, monsieur le ministre, les mêmes progrès au cours des cinq ans qui sont devant vous !
M. Louis Souvet, rapporteur. Pas de la même manière !
M. Gilbert Chabroux. Alors, à quoi cela sert-il de nier les efforts accomplis et les résultats obtenus ? Si nous ne sommes pas mieux placés sur le plan européen, c'est, je le répète, parce que nous sommes partis de trop bas. (Rires sur les travées du RPR.)
M. Jean Chérioux. Il faut dire que, depuis 1981, vous les avez accumulés !
M. Alain Gournac. Vous devriez nous remercier !
M. Gilbert Chabroux. Il faut donc prolonger notre effort en utilisant tous les outils qui ont été mis en oeuvre, particulièrement les 35 heures. (Protestations sur les mêmes travées.)
Les 35 heures, vous avez fini par le reconnaître, monsieur le ministre, ont permis, jusqu'à la fin de 2001, de créer 300 000 emplois dans le secteur marchand (Nouvelles protestations sur les mêmes travées), sans compter les emplois induits : selon les URSSAF, 25 000 emplois s'y seraient ajoutés depuis le 1er janvier 2002. La CFDT comptabilise 412 000 emplois en tout à la fin du mois de juin 2002.
M. Louis Souvet, rapporteur. Et la CGT ?
M. Paul Blanc. Et ceux qui sont partis pour cause de délocalisation ?
M. Gilbert Chabroux. On pourrait également tenir compte des emplois créés dans les collectivités territoriales, qui ont fait un gros effort, et dans la fonction publique hospitalière, par exemple...
M. Paul Blanc. Oui, mais il n'y a pas d'infirmières !
M. Gilbert Chabroux. ... même si les emplois annoncés, 45 000, ne peuvent évidemment pas être déjà tous pourvus. Ces chiffres ne sont pas contestables, sauf à faire preuve de mauvaise foi.
M. Jean-Pierre Demerliat. Ils le sont, de mauvaise foi !
M. Jean Chérioux. Ce sont les bases qui sont fausses !
M. Bernard Murat. C'est honteux !
M. Gilbert Chabroux. Ils émanent de la DARES, la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques de votre propre ministère !
Fallait-il, monsieur le ministre, que les syndicats de votre ministère vous rappellent qu'« ils sont établis de façon rigoureuse » et que « leur mise en cause n'a aucun fondement sérieux » ? Vous avez fini, aujourd'hui, par parler de 300 000 emplois, alors que vous disiez zéro. Il y a donc un petit progrès, vous pouvez encore mieux faire ! (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
M. Alain Gournac. Ce n'est pas vrai ! Le ministre n'a jamais dit cela !
M. François Fillon, ministre. C'est absolument faux ! Il ne faut pas mentir comme cela !
Monsieur le sénateur, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Gilbert Chabroux. Je vous en prie !
M. le président. La parole est à M. le ministre, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Raymond Courrière. Parlez-nous du Front populaire ! Parlez-nous de Pétain !
M. François Fillon, ministre. Je suis tout à fait désolé de vous interrompre, monsieur Chabroux, mais, avec votre autorisation, je vous rappellerai ceci : j'ai toujours cité le chiffre de 300 000 emplois, tout en soulignant que, de mon point de vue, il ne tenait compte ni des emplois qui n'avaient pas été créés, ni de l'impact des allégements de charges. Mais, monsieur le sénateur, vous ne pouvez pas me faire dire que les 35 heures n'ont pas créé d'emplois, parce que cela n'est pas exact.
M. Claude Domeizel. C'est bien de le reconnaître !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Chabroux.
M. Gilbert Chabroux. Nous apprécions, monsieur le ministre, que vous reconnaissiez, même du bout des lèvres, que 300 000 emplois ont été créés. Vous avez mis, il est vrai, cette création d'emplois sur le compte de la croissance.
M. Louis Souvet, rapporteur. Non, ce n'est pas ce que vient de dire M. le ministre !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. M. Chabroux fait de la provocation tout le temps !
M. Gilbert Chabroux. La croissance a joué un rôle...
M. Jean Chérioux. Déterminant !
M. Gilbert Chabroux. ... mais vous ne pouvez pas nier que cette croissance a été enrichie en emplois.
M. René-Pierre Signé. Ils ne savent pas faire ! Ils ne savent pas gouverner !
M. Gilbert Chabroux. Je le répète, si nous ne sommes pas mieux placés sur le plan européen, c'est parce que nous sommes partis de trop bas. Il faut donc, je le redis, prolonger notre effort...
M. Alain Gournac. Surtout pas !
M. Gilbert Chabroux. ... et utiliser tous les outils qui ont été mis en oeuvre.
Nous restons surpris, même s'il y a manifestement progrès, par l'ambiguïté de vos propos, monsieur le ministre, par leur double sens, à moins que ce ne soit leur sens le plus évident, par exemple, quand vous parlez du Front populaire !
Mardi dernier en tout cas, et aujourd'hui encore devant la commission des affaires sociales, puis ici même, il y a quelques instants, vous avez réaffirmé que « au-delà des critiques très convenues », vous pouvez vous prévaloir « d'un accord général avec les partenaires sociaux » sur ce projet de loi.
M. Henri Weber. C'est faux ! C'est un mensonge.
M. Gilbert Chabroux. Or, la commission des affaires sociales a reçu mercredi l'ensemble des organisations syndicales et patronales : aucune d'entre elles, à l'exception de la CGPME, ne vous a donné son accord.
M. Guy Fischer. J'étais témoin !
M. Gilbert Chabroux. Au contraire, les critiques sont extrêmement vives. Nos collègues membres de la commission peuvent en témoigner.
M. Jean Chérioux. Ce n'est pas exact ! C'est une déformation de la réalité !
M. Louis Souvet, rapporteur. Et le MEDEF ?
M. Gilbert Chabroux. Je tenais ainsi à rectifier les propos que vous tenez assez légèrement.
M. René-Pierre Signé. C'est mensonger !
M. Alain Gournac. Ils font de la politique !
M. Gilbert Chabroux. De la même manière que nous devrions nous mettre d'accord sur les chiffres concernant les créations d'emplois - au moins 300 000, j'insiste là-dessus - nous devrions nous accorder sur ce que coûtent les 35 heures et sur ce qu'ont coûté les allégements de cotisations sociales décidés par les gouvernements Balladur et Juppé d'une part, et par le gouvernement Jospin d'autre part. Si les montants sont à peu près équivalents, la contrepartie n'est pas la même. L'effet des allégements de cotisations sociales sur l'emploi paraît faible selon l'étude commandée par M. Alain Juppé en 1996 au Centre d'études des revenus et des coûts, le CERC : elle estime les créations d'emplois entre 41 000 et 200 000 pour la période comprise entre 1993 et 1997.
M. Alain Gournac. C'est bien !
M. Gilbert Chabroux. M. le rapporteur a fait état de chiffres plus élevés, 460 000, selon une étude de l'INSEE. En fait, il se réfère à un rapport de deux chercheurs, fortement contesté au sein même de l'INSEE, et on comprend pourquoi quand on sait qu'il n'y a eu, en tout et pour tout, que 174 000 créations d'emplois pendant cette période. (Protestations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ains que sur certaines travées du RDSE.)
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Gilbert Chabroux. Il y a manifestement un doute quant à l'impact réel d'un tel dispositif d'allégement de charges sur l'emploi. Peut-être est-ce pour cette raison, monsieur le ministre, que vous vous refusez à toute estimation pour les années à venir ? Si nous comprenons qu'il faille être humble face à tant d'incertitudes, nous souhaiterions que cette attitude d'humilité...
M. Jean Chérioux. Et vous ?
M. Gilbert Chabroux. ... vous conduise également non pas à opposer les dispositifs mais à les conjuguer.
Je le répète, tous les outils qui peuvent jouer un rôle dans la lutte contre le chômage doivent être mis en oeuvre sans parti pris, sans a priori idéologique. Il y a mieux à faire qu'à se livrer à des querelles politiciennes et à vouloir prendre je ne sais quelle revanche qui se ferait au détriment des travailleurs.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Votre modèle, c'est Mme Aubry ?
M. Raymond Courrière. Ils ne les aiment pas, les travailleurs !
M. Jean Chérioux. Mais quel discours ! C'est affligeant !
M. Gilbert Chabroux. La situation ne cesse de se dégrader. Les prévisions de croissance sont régulièrement revues à la baisse.
M. Raymond Courrière. Et ce n'est pas fini !
M. René-Pierre Signé. C'est catastrophique !
M. Gilbert Chabroux. Les plans sociaux se multiplient. Il n'est pas de jour sans que soit annoncé un nouveau plan social touchant des centaines, voire des milliers d'emplois.
M. Alain Gournac. Et Moulinex ?
M. Gilbert Chabroux. Avez-vous fait le compte de toutes ces suppressions d'emplois ?
M. Roland du Luart. C'était votre politique !
M. Jean Chérioux. C'est votre oeuvre !
M. Alain Gournac. Cinq ans de socialisme !
M. Gilbert Chabroux. Pourquoi n'avez-vous pas déjà mis en place la cellule de crise que vous avez annoncée le 12 juillet ? Pourquoi avoir nommé si tard - la semaine dernière - un délégué au licenciement, un « monsieur plans sociaux » ?
M. Raymond Courrière. Ils ne trouvaient pas de kamikaze !
M. Gilbert Chabroux. La tâche est sans doute très lourde, mais nous ne pouvons penser un instant que le point de vue du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ait pu avoir une quelconque influence et que « les plans sociaux seraient l'affaire, exclusive, des entreprises ».
Nous sommes véritablement très inquiets face à cette dégradation qui touche tous les secteurs et toutes les régions de France, entre autres la région Rhône-Alpes, particulièrement éprouvée ces dernières semaines. Et il sera difficile - de plus en plus difficile ! - d'en imputer la faute aux 35 heures. Vous serez de plus en plus seuls et de plus en plus démunis pour assumer l'augmentation du chômage. C'est une lourde responsabilité !
M. Alain Gournac. Vous avez l'air d'être content !
M. Gilbert Chabroux. Cette situation nous alarme aussi s'agissant de la valeur du travail, qui se trouve forcément dévoyée lorsque des entreprises, parfois par pure spéculation boursière, privent des milliers et des milliers de nos concitoyens de leur emploi. Alors que la gauche avait permis de ramener au travail près d'un million de chômeurs, nous assistons aujourd'hui au mouvement inverse.
M. Roland du Luart. Ça avait commencé du temps de Mme Guigou !
M. Alain Gournac. C'est pour cela que les Français ont voté pour nous ! Ils ont tranché !
M. Guy Fischer. Seulement 14 % des inscrits !
M. Gilbert Chabroux. Nous sommes bien loin du débat philosophique sur la valeur du travail par rapport au temps libéré, aux loisirs, au repos, s'il ne peut plus y avoir d'équilibre entre le temps professionnel et le temps personnel, faute de travail.
N'est-il pas mesquin, dans un tel contexte, de dénigrer les 35 heures, qui auraient « dévalué » la valeur du travail...
M. Alain Gournac. Eh oui ! Ce sont vos électeurs qui l'ont dit !
M. Gilbert Chabroux. ... alors que la productivité n'a cessé d'augmenter, que la France est, sur ce plan, au premier rang des pays européens et que le nombre collectif d'heures travaillées dans notre pays n'a cessé de croître au cours des cinq dernières années ?
Une étude d'Eurostat montre que, si l'on mesure la production par heure travaillée et par personne employée...
M. Paul Blanc. Vous en avez des statistiques !
M. Raymond Courrière. Elles vous gênent ?
M. Gilbert Chabroux. ... la France arrive en tête devant l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne, le Royaume-Uni étant loin derrière.
M. Paul Blanc. Ils ne font pas 35 heures !
M. Gilbert Chabroux. Face à la situation inquiétante dans laquelle se trouve notre pays, votre projet de loi joue contre l'emploi. Il favorise l'allongement du temps de travail.
M. Alain Gournac. Oh là là, c'est terrible !
M. Gilbert Chabroux. Il va falloir s'habituer à dire l'ATT, l'allongement du temps de travail, après avoir parlé de la RTT.
M. René-Pierre Signé. Eh oui !
M. Gilbert Chabroux. Les heures supplémentaires sont plus nombreuses et moins bien rémunérées. Elles sont à la discrétion des entreprises.
M. Bernard Murat. Oui, vraiment, c'est affreux !
M. Gilbert Chabroux. Elles sont, bien sûr, obligatoires pour les salariés et libres pour les employeurs ! Elles pourront, dans une logique de banalisation des heures supplémentaires, devenir des heures structurelles. Elles pourront, par exemple, être utilisées pour obliger les salariés à travailler six jours sur sept.
M. Alain Gournac. C'est affreux, on va se mettre au boulot !
M. Raymond Courrière. Oui ! Elle est là, la réalité !
M. Gilbert Chabroux. C'est le Premier ministre qui a le mieux résumé la situation le 6 septembre dernier, à Strasbourg. Alors que les consultations des partenaires sociaux n'étaient pas terminées, il a déclaré que « les entreprises pourraient revenir à un dispositif de 39 heures,...
M. Claude Domeizel. Il a dit la vérité !
M. Gilbert Chabroux. ... avec un coût de 10 % pour les quatre premières heures supplémentaires ».
M. Alain Gournac. Et alors ?
M. Raymond Courrière. Travaillez plus et gagnez moins !
M. René-Pierre Signé. C'est monstrueux !
M. Gilbert Chabroux. En fait, 10 % de majoration représente pour ces heures supplémentaires, cela représente 1 % d'augmentation du salaire mensuel.
M. René-Pierre Signé. C'est honteux !
M. Gilbert Chabroux. Si l'on ajoute la suppression du repos compensateur entre la 130e et la 180e heure - c'est-à-dire sept jours de repos en moins - les salariés se rendront vite compte qu'ils sont victimes d'un marché de dupes et que l'on est loin du slogan « travailler plus pour gagner plus ».
Le projet de loi supprime le lien entre le temps de travail et les aides à l'employeur : il en résulte que l'on ne peut plus perdre ces aides, quelle que soit la durée du travail dans l'entreprise.
C'est une arme redoutable entre les mains des employeurs pour tuer les 35 heures et une véritable incitation à en rester aux 39 heures. Les allégements de cotisations sociales patronales, qui n'ont plus aucune contrepartie, constituent un beau cadeau aux patrons qui leur permettra de gagner, pour des salaires atteignant 1 800 euros environ, soit 1,7 fois le SMIC, jusqu'à 26 points de cotisation.
Est-il besoin de préciser que les cotisations payées par les salariés ne seront, quant à elles, évidemment pas diminuées ?
M. Louis Souvet, rapporteur. C'était la même chose avec Mme Aubry !
M. Gilbert Chabroux. Le projet de loi n'oublie pas les cadres. Les députés non plus, qui ont suivi le MEDEF, et ont encore étendu le champ du forfait-jour en l'appliquant, non plus aux seuls « cadres autonomes », mais aussi à des « cadres intégrés ». Ils ont également étendu le champ annuel horaire à des salariés itinérants non cadres. C'est la grande majorité des cadres qui sera concernée, contre 5 % aujourd'hui.
M. Guy Fischer. Eh oui !
M. Gilbert Chabroux. On sait pourtant l'abus qui est fait de l'appellation de cadre. On qualifie ainsi des personnes, par exemple des gérants de magasins qui gagnent le SMIC, le but étant évidemment de les déclarer ensuite « cadres autonomes », pour les soumettre au forfait-jour. Ainsi, 25 % de cotisants à l'association générale des institutions de retraite des cadres, l'AGIRC, se situent en dessous du plafond de la sécurité sociale.
La généralisation du forfait annuel en jours pose un problème très grave. Les cadres et ceux qui y sont assimilés perdront toute référence horaire à la durée du travail, avec les excès que l'on connaît, par exemple, des journées de travail de treize heures, sans compensation - hélas ! Cela n'empêche pas, malheureusement, le rapporteur et la commission des affaires sociales de vouloir aller encore plus loin en appliquant le forfait-jour aux salariés non cadres itinérants.
M. Louis Souvet, rapporteur. A leur demande !
M. Gilbert Chabroux. Monsieur le ministre, croyez-vous que c'est un progrès, au xxie siècle, de compter le temps de travail en jours ?
M. Raymond Courrière. C'est un recul !
M. René-Pierre Signé. Eh oui !
M. Gilbert Chabroux. Au chapitre des abus imputables aux députés de la majorité...
M. René-Pierre Signé. Ils ont honte ! Ils se taisent !
M. Jean Chérioux. Non, ils veillent !
M. Gilbert Chabroux. ... il faut réserver une mention particulière à l'amendement assimilant l'astreinte au temps de repos. Ont-ils bien mesuré toutes les conséquences très graves qui en découleraient ? C'est une incitation à placer les salariés en astreinte vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, et pourquoi pas toute l'année !
M. Alain Gournac. Tout le temps !
M. Gilbert Chabroux. Voilà ! Vous l'avouez !
M. Jean Chérioux. N'exagérons pas !
M. Paul Blanc. N'importe quoi !
M. Gilbert Chabroux. Apparemment, vous avez reculé sur ce point, monsieur le ministre. Vous avez semblé revenir à la raison et à la jurisprudence établie en juillet dernier par la Cour de cassation.
M. François Fillon, ministre. Pas du tout !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. M. Chabroux adore la provocation !
M. Gilbert Chabroux. Pour plus de certitude, nous présenterons un amendement de suppression.
Monsieur le ministre, vous avez parlé de : « dialogue social ». Mais qu'y a-t-il à négocier ? Vous avez signé, mardi 15 octobre, le décret portant le contingent d'heures supplémentaires de 130 à 180 heures ; vous l'avez signé avant même que le débat sur votre projet de loi ne s'engage au Sénat, ce qui montre le peu de considération que vous avez pour la Haute Assemblée.
M. Guy Fischer. A quoi sert le débat parlementaire ? C'est scandaleux !
M. Gilbert Chabroux. Vous étiez ce même mardi devant la commission des affaires sociales : le décret était signé, et vous ne nous en avez rien dit !
M. René-Pierre Signé. Mépris de la démocratie !
M. Gilbert Chabroux. Quel peut être le sens de la négociation avec les partenaires sociaux puisque la règle de l'accord majoritaire, qui prévalait pour la RTT et qui a nourri un dialogue social très riche dans les entreprises, plus de cent mille salariés y ayant directement participé, va être supprimée ? Les accords passés, signés par la majorité des syndicats, pourront être renégociés par un seul syndicat minoritaire, ce qui est la négation de la démocratie.
M. René-Pierre Signé. Eh oui ! Mais ils ne savent pas ce qu'est la démocratie !
M. Gilbert Chabroux. Nous nous interrogeons plus largement sur la place que vous voulez donner au droit négocié, ou conventionnel, qui pourrait avoir la primauté sur le droit issu du pouvoir législatif. C'est une revendication rémanente du MEDEF. Vous reconnaissez-vous, monsieur le ministre, dans cette formule du rapporteur à l'Assemblée nationale, M. Pierre Morange, qui déclarait : « le droit légal est supplétif » ? Sommes-nous des supplétifs, monsieur le ministre ? (Sourires sur les travées socialistes.) Voulez-vous réduire la notion « d'ordre public social » à son socle le plus étroit, par exemple les règles minimales d'hygiène et de sécurité ?
Je voudrais maintenant m'arrêter un instant sur le problème du SMIC, qui sera harmonisé, comme le prévoyait la loi « Aubry II »,...
M. Alain Gournac. Ce n'est pas vrai !
M. Gilbert Chabroux. ... au plus tard le 1er juillet 2005.
M. Louis Souvet, rapporteur. Nous en sommes au cinquième SMIC !
M. Gilbert Chabroux. L'harmonisation est positivie...
M. Jean Chérioux. Pas possible !
M. Gilbert Chabroux. ... mais il faut regarder de plus près le mécanisme que vous proposez.
M. Guy Fischer. Il est pervers !
M. Gilbert Chabroux. Cette harmonisation se fera en effet au prix d'une forte pression sur le pouvoir d'achat. La méthode que vous avez choisie ignore les préconisations du Conseil économique et social, qui souhaitait que le SMIC reste bien un salaire de croissance - comme le "C" l'indique - et bénéficie donc d'une participation aux fruits de la croissance.
Concrètement, l'abandon de la référence à la progression du pouvoir d'achat du salaire dans le calcul de la revalorisation du SMIC conduira à des pertes importantes de pouvoir d'achat pour les salariés concernés.
M. le président. Monsieur Chabroux, j'attire votre attention sur le fait que vous avez largement dépassé votre temps de parole. (Exclamations sur les travées socialistes.)
M. Gilbert Chabroux. J'ai été interrompu, monsieur le président !
M. le président. Le dépassement sera décompté du temps imparti à vos collègues du groupe socialiste. (Protestations sur les mêmes travées.)
M. Jean Chérioux. C'est tellement objectif, tellement intéressant qu'il serait dommage de s'en passer !
M. Gilbert Chabroux. Chers collègues, reconnaissez que vous m'avez interrompu !
M. le président. Vous avez été interrompu par M. le ministre, qui a parlé moins d'une minute. Veuillez poursuivre, monsieur Chabroux.
M. Jean Chérioux. C'est grand dommage !
M. Gilbert Chabroux. Monsieur le ministre, nous contestons le mécanisme que vous allez mettre en place, puisque vous ne tenez plus compte du pouvoir d'achat. Si vous aviez appliqué cette règle le 1er juillet dernier, la revalorisation du SMIC aurait été non pas de 2,42 %, mais seulement de 1,49 %. Ce mécanisme conduit donc les smicards à financer eux-mêmes une partie de la réduction de leur temps de travail en réduisant la revalorisation salariale qui leur est actuellement accordée par la loi.
M. Guy Fischer. Voilà la perversité !
M. Gilbert Chabroux. Plus grave encore, vous creusez, en réalité, les inégalités. Vous coupez la France des entreprises et des salariés en deux : d'un côté, les grandes entreprises passées aux 35 heures - il leur sera difficile de revenir en arrière même si, avec votre texte, ce n'est pas impossible -, de l'autre, les entreprises qui resteront à 39 heures, car elles n'auront plus aucun intérêt financier à réduire leur temps de travail ; d'un côté des salariés, - un peu plus de huit millions - à 35 heures, de l'autre des salariés - un peu moins de huit millions - à 39 heures !
Ce n'est pas la « France d'en haut » et la « France d'en bas », mais cela y ressemble ! C'est en tout cas la fracture du salariat, avec toutes les conséquences et tous les risques qui peuvent en découler.
Ainsi que l'exprimait un représentant de la CFTC lors d'une audition, vous gravez dans le marbre un statut inégalitaire, qui porte d'ailleurs atteinte à la concurrence pure et parfaite chère aux libéraux.
Les petites entreprises seront pénalisées et leur marché du travail se resserrera encore. C'est encore plus vrai pour les entreprises qui sont en retard socialement, entreprises auxquelles on offre de surcroît la possibilité d'aggraver les choses ! Pour certaines professions déjà peu attractives - métiers de bouche, bâtiment -, le risque d'une pénurie de main-d'oeuvre à court terme est réel. L'Union professionnelle artisanale, l'UPA, nous a fait part de sa très vive inquiétude.
M. Philippe Nogrix. Ils sont très contents de la réforme !
M. Gilbert Chabroux. La distorsion de situations entre salariés d'entreprises différentes s'accentuera, notamment entre petites et grandes entreprises, mais aussi dans une même catégorie d'entreprises entre celles qui ont joué le jeu des 35 heures et réellement réduit le temps de travail et celles qui ont traîné les pieds.
Il y aura également distorsion entre les entreprises qui payent bien leurs salariés, et qui seront perdantes, et celles qui les payent aux alentours du SMIC, et qui seront gagnantes. Il y a dans votre projet de loi, monsieur le ministre, une incitation anti-sociale et des effets pervers dont vous n'avez pas encore pris la mesure. (Protestations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Alain Gournac. Il est rigolo !
M. Gilbert Chabroux. Je pense aussi aux familles, aux parents, selon qu'ils seront à 35 heures ou pas. Alors que l'on fait appel à la responsabilisation des familles, comment peut-on admettre que la présence paternelle ou maternelle n'aurait pas la même valeur selon que l'on est cadre ou salarié, que l'on travaille dans une grande ou dans une petite entreprise ?
Il est clair, monsieur le ministre, que vous vous situez à contre-courant des évolutions majeures de notre société dans son rapport au temps.
M. Jean-Pierre Demerliat. Réactionnaire !
M. Gilbert Chabroux. Vous voulez jeter le discrédit sur le temps libre comme s'il y avait là quelque chose de honteux.
M. Jean Chérioux. Et vous sur le travail, comme s'il y avait là quelque chose de honteux !
M. Paul Blanc. Vous dévalorisez le travail !
M. Gilbert Chabroux. Mais ce temps libre, qui n'était que le résidu du temps de travail - il fallait bien laisser aux ouvriers un temps de récupération -, est devenu un temps autonome, un temps « choisi », pour reprendre l'expression de Jacques Delors. On y sent un souffle de liberté, comme dans toutes les mutations de notre société.
M. Bernard Murat. Et la liberté de choisir ?
M. Gilbert Chabroux. Monsieur le ministre, c'est un vrai projet de société que vous essayez de remettre en cause.
M. René-Pierre Signé. De détruire !
M. Gilbert Chabroux. Vous aurez fort à faire pour y parvenir : la réduction du temps de travail a surtout été vécue comme un changement culturel, particulièrement chez les jeunes qui en ont bénéficié. La RTT leur a permis de rééquilibrer vie professionnelle et vie personnelle. Vous ne pourrez pas les contraindre à revenir en arrière. Les 35 heures sont une avancée sociale qui est inscrite dans l'histoire sociale de notre pays.
M. René-Pierre Signé. Ils ne connaissent que le recul !
M. Gilbert Chabroux. Vous pouvez tout juste mener quelques combats d'arrière-garde. Nous mesurons bien, hélas ! leur nocivité, mais vous ne pourrez changer le mouvement qui transporte notre société et qui la conduit vers toujours plus de liberté. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Monsieur Chabroux, vous avez dépassé de sept minutes votre temps de parole. J'en décompterai cinq sur le temps de parole de vos collègues du groupe socialiste. (Protestations sur les travées socialistes.)
M. Gilbert Chabroux. J'ai sans cesse été interrompu !
M. le président. Y compris par vos collègues du groupe socialiste !
M. Jean Chérioux. Vous n'avez pas été interrompu, vous avez été accompagné !
M. René-Pierre Signé. Il y a des vérités qui ne sont pas bonnes à dire ! Défendu de dire la vérité !
M. le président. La parole est à Mme Annick Bocandé.
Mme Annick Bocandé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte qui nous est proposé est une étape importante et nécessaire dans le cadre d'une politique économique et sociale au service de la croissance, de l'emploi et du travail.
Il est un signal fort en réponse au message lancé par les Français lors des élections présidentielle et législatives.
En effet, depuis un peu plus d'un an, le chômage augmente de nouveau dans notre pays ; la France se situe d'ailleurs au douzième rang européen.
M. Paul Blanc. Voilà la vérité !
Mme Annick Bocandé. La conjoncture internationale y est certes pour beaucoup, mais c'est essentiellement la rigidité de notre organisation du travail et l'instauration forcée des 35 heures qui en sont responsables.
M. Paul Blanc. Exactement !
Mme Annick Bocandé. Je ne peux manquer de citer les conclusions rendues en février 1998 par la commission d'enquête sénatoriale chargée de recueillir les éléments d'information sur les conséquences financières, économiques et sociales de la décision de réduire à 35 heures la durée hebdomadaire du travail, commission dont le rapporteur fut notre éminent collègue Jean Arthuis, aujourd'hui président de la commission des finances.
La commission d'enquête avait conclu la réduction imposée du temps de travail était un pari intellectuel et qu'il n'y avait aucune corrélation à l'échelle internationale entre la durée du travail et le chômage. Cela est malheureusement vérifié aujourd'hui.
M. Paul Blanc. Les socialistes ont oublié !
Mme Annick Bocandé. Dans ses conclusions, le rapporteur avait estimé que le projet de loi entrait dans une logique étatiste par l'accroissement des aides publiques, des contrôles et des moyens nécessaires à son application et une amplification de la complexité.
M. Paul Blanc. Exact !
Mme Annick Bocandé. De plus, il avait précisé que, en annonçant sa décision de réduire d'une manière rigide et autoritaire la durée légale hebdomadaire du travail à 35 heures, le gouvernement précédent avait dissimulé au Parlement le véritable coût de la mesure pour les finances publiques.
M. Paul Blanc. Très bien !
Mme Annick Bocandé. Sur ce point, nous sommes allés de mauvaises surprises en mauvaises surprises.
M. Philippe Nogrix. C'est vrai !
Mme Annick Bocandé. Ainsi, lors de la présentation des lois « Aubry I » et « Aubry II », qui, je le rappelle, ont fait peser sur les finances publiques la charge excessive de 70 milliards de francs supplémentaires par an, on nous promettait la création de milliers d'emplois. Or, on ne peut aujourd'hui attribuer à la réduction du temps de travail que 300 000 emplois au mieux, soit 18 % des emplois créés sur la période. Nous ne sommes pas, monsieur Chabroux, dans une meilleure situation que les autres pays européens, qui n'ont pas fait le choix de dispositifs aussi dispendieux pour les finances de l'Etat. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. Philippe Nogrix. C'est vrai !
M. Jean Chérioux. Beaucoup d'argent pour rien !
Mme Annick Bocandé. Les lois Aubry ont de plus engendré des irrégularités entre les salariés du fait de l'injustice des SMIC multiples en même temps qu'une baisse du pouvoir d'achat entraînée par le gel des salaires dû à la diminution du nombre d'heures supplémentaires.
MM. Jean Chérioux et Philippe Nogrix. Absolument !
Mme Annick Bocandé. L'harmonisation du niveau du SMIC telle que vous la proposez, monsieur le ministre, est sans aucun doute un exercice difficile, et le délai de trois ans qui nous est proposé peut paraître un peu court. Cependant, une harmonisation est indispensable pour assurer la justice sociale telle que vous l'entendez, telle que nous l'entendons. C'est une harmonisation par le haut, source de simplification et de meilleure lisibilité du salaire minimum garanti, qui permettra au SMIC de redevenir un vrai référent salarial.
Permettre à ceux qui veulent travailler plus de pouvoir le faire, en faisant passer, par exemple, le contingent d'heures supplémentaires de 130 à 180, offrira aux salariés la possibilité de bénéficier d'un gain substantiel de pouvoir d'achat qui devrait aider à relancer la consommation - c'est nécessaire - et à alimenter une croissance en panne.
M. Paul Blanc. Très bien !
Mme Annick Bocandé. Le présent projet de loi répond également à une profonde attente des entreprises parce qu'il prône souplesse et simplification et parce qu'il réhabilite la voie de la négociation collective.
Il prévoit un dispositif de baisse des charges pour compenser, en partie, la hausse du SMIC. Avec mes collègues du groupe de l'Union centriste, nous ne pouvons qu'approuver cette mesure ciblée sur les bas et moyens salaires dont bénéficeront de manière significative neuf entreprises sur dix.
Nous nous félicitons de voir clarifié et simplifié le régime des allégements de cotisations patronales. En effet, à leur multiplicité - il y en a plus d'une trentaine - s'ajoute le fait qu'ils relèvent de logiques différentes.
Le dispositif que nous propose le Gouvernement constitue donc une étape essentielle vers une plus grande cohérence et une efficacité accrue des allégements de cotisations, dans le souci bien compris de favoriser l'emploi par une baisse du coût du travail.
Déjà, en juillet dernier, lors de l'examen par le Sénat du projet de loi portant création d'un dispositif de soutien à l'emploi des jeunes, je m'étais réjouie qu'une nouvelle étape à la politique d'allégement des charges, à laquelle j'adhère totalement, soit franchie.
L'occasion nous est à nouveau donnée aujourd'hui d'inverser les tendances et de permettre à de nombreuses entreprises de notre pays, en choisissant la voie de la réduction des charges sociales, de trouver le chemin des créations d'emplois. La majorité sénatoriale avait, d'ailleurs, déposé une proposition de loi en ce sens voilà quelques années.
C'est en effet en facilitant la gestion administrative des entreprises mais aussi en diminuant le coût du travail que l'on crée de l'emploi.
Revalorisation du travail, baisse des charges au service de la création d'emplois,...
M. Raymond Courrière. Il ne faudrait pas baisser aussi le niveau de la protection sociale !
Mme Annick Bocandé. ... relance du dialogue, justice sociale sont les priorités de votre politique, monsieur le ministre, politique qui est aussi la nôtre.
Le présent texte constitue une base solide qui permettra, dans un premier temps, de résoudre les problèmes les plus urgents et les plus graves. Je ne doute pas qu'il sera encore amélioré grâce aux négociations et aux concertations avec les partenaires sociaux.
Concilier progrès social et efficacité économique est une ambition à laquelle je ne peux qu'adhérer parce qu'elle redonne espoir à notre pays.
C'est pourquoi, avec le groupe de l'Union centriste, je voterai sans état d'âme ce projet de loi, complété de façon pertinente par les amendements que nous présentera M. le rapporteur, au nom de la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau.
M. Roland Muzeau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, très symboliquement, l'examen du projet de loi relatif aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi est l'occasion, pour le nouveau gouvernement, de rouvrir le dossier emblématique de la réduction du temps de travail et de commencer, selon vos propres termes, monsieur le ministre, « à corriger quelques-unes des fautes les plus graves commises par le gouvernement précédent dans les domaines économique et social ».
La prochaine étape, c'est la mise entre parenthèses de dispositions importantes contenues dans le « volet anti-licenciements » de la loi de modernisation sociale.
Il s'agit, là encore, de donner des signes forts aux entreprises, de satisfaire le MEDEF, qui a farouchement bataillé contre ce qu'il appelle une « loi paralysant les restructurations » et qui souhaite, comme pour le dispositif des 35 heures d'ailleurs, une abrogation pure et simple.
Un projet de loi relatif à la renégociation collective et aux procédures de licenciement économique est inscrit à l'ordre du jour prévisionnel des deux assemblées. C'est par la presse, une fois de plus, que nous avons pris connaissance de ses grandes lignes.
Vous envisagez notamment la suppression de la distinction entre la phase de consultation du comité d'entreprise sur le projet de restructuration et celle qui concerne le projet de licenciement collectif pour motif économique, du droit d'opposition du comité d'entreprise au projet de restructuration et de compression des effectifs, ainsi que de la saisine du médiateur : autant de dispositions de nature à renforcer les droits des salariés, mais que la droite parlementaire, dont vous-mêmes, mesdames, messieurs les membres de la majorité sénatoriale, refusait au motif qu'elles étaient prétendûment rigides et qu'elles limitaient beaucoup trop les marges de manoeuvre des chefs d'entreprise.
Aujourd'hui, il est question de raccourcir les délais de procédure retardant la mise en oeuvre des plans sociaux. Pourquoi alors remettre en cause l'étude d'impact social et territorial, qui relève plus de la prévention des licenciements ? Pourquoi allonger encore la liste des modifications en réintroduisant le critère des qualités professionnelles pour définir l'ordre des licenciements ?
Contrairement à ce que vous tentez d'afficher, monsieur le ministre, votre démarche est dogmatique. C'est non pas le pragmatisme qui vous pousse à défaire ce que le gouvernement précédent a construit, mais les seules exigences économiques de compétitivité et de rentabilité financière relayées par le MEDEF.
Pour faire bonne figure, un « monsieur licenciements » a été nommé à la tête de la cellule de veille relative aux licenciements économiques.
Pour autant, le Gouvernement n'envisage pas d'infléchir l'économie. Bien au contraire, il s'agit de laisser faire les actionnaires empêtrés dans la crise financière ; pis encore, il s'agit de leur faciliter la tâche en leur permettant de s'adapter aux conditions d'évolution des marchés.
Ces futures mesures, comme celles dont nous débattons cette semaine, portent atteinte au droit du travail dans ses aspects les plus fondamentaux. Des garanties essentielles pour les salariés sont sacrifiées. En revanche, la quête du « toujours plus » en matière de flexibilité et d'allégements de charges de tous ordres, notamment fiscales et sociales, est privilégiée.
A l'heure où les prévisions de croissance sont revues à la baisse, où la situation de l'emploi se dégrade nettement, où les annonces de plans sociaux et de suppressions d'emplois se multiplient, touchant tous les secteurs d'activité et toutes les régions - 36 000 emplois sont immédiatement menacés - vous faites le choix, comme le souligne Dominique Seux dans Les Echos du 19 octobre dernier, « de lâcher du lest aux entreprises (...) idée naturellement risquée ».
La bataille pour l'emploi n'est pas, contrairement aux dires de M. Raffarin, la priorité nationale : avec une baisse de 290 millions d'euros, le budget pour 2003 du ministère des affaires sociales, du travail et de la solidarité démontre le contraire.
La nette diminution, à hauteur de plus de 6 %, des crédits de l'emploi, principalement de ceux qui sont affectés au traitement social du chômage, traduit bien les choix faits en la matière.
En misant tout sur le secteur privé au détriment du secteur public et associatif, vous faites le jeu d'un patronat qui, tout en réclamant moins d'Etat, exige toujours plus de cadeaux fiscaux et sociaux financés sur fonds publics.
La conjoncture médiocre a contraint le gouvernement auquel vous appartenez à un peu plus de prudence. Mais, même réajustés, les crédits destinés au financement des contrats aidés dans le secteur non marchand conduiront à réduire drastiquement le nombre des entrées dans le dispositif des contrats emploi-solidarité et, dans une moindre mesure, dans celui des contrats emplois consolidés. Le dispositif TRACE - trajet d'accès à l'emploi -, ne sera pas davantage renforcé. Aucun nouveau conventionnement n'est prévu en 2003 en ce qui concerne les emplois-jeunes. Le dispositif est par conséquent amené à s'éteindre au motif, à vous en croire, monsieur le ministre, « qu'il ne rendait pas service aux jeunes (...) qu'il ne comportait pas de formation et contribuait à mettre en place une fonction publique territoriale dégradée ».
L'échéance des premiers contrats, lesquels sont au nombre de plus de 73 000, est proche.
Edith Arnoult-Brill, présidente du Conseil national de la vie associative, s'est inquiétée de la disparition de ces emplois qui « ont apporté des compétences, un moyen de conforter un projet associatif et de développer des activités ».
L'inquiétude est d'autant plus grande que, dans certains secteurs, tels que le secteur médico-social, les problèmes de recrutement sont énormes. L'Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés sanitaires et sociaux, l'UNIOPSS, dont nous avons rencontré les responsables, regrette, monsieur le ministre, votre manque de vision politique des problèmes de la jeunesse.
Nous sommes conscients des problèmes soulevés par les emplois-jeunes, notamment en matière de formation ou de salaire, et vous connaissez les opinions et les propositions émises par les parlementaires communistes depuis la création de ces contrats. Toutefois, nous n'acceptons pas que vous ayez décidé de ne pas aller jusqu'au bout de la démarche. En ne prévoyant pas l'intégration des jeunes dans leur emploi, vous prenez la responsabilité de les renvoyer par milliers à la précarité !
Votre choix est clair : vous faites de l'abaissement du coût du travail l'axe central de votre politique.
Vous avez commencé à décliner ce credo de la pensée capitaliste, donnant la priorité à la baisse, voire à l'exonération totale de cotisations sociales patronales, en mettant en place les nouveaux contrats jeunes en entreprise. Ces derniers, je le rappelle, ne sont assortis d'aucune obligation de formation, alors qu'ils s'adressent à des jeunes faiblement qualifiés et que nous savons pertinemment, tout comme vous, monsieur le ministre, que l'exigence de qualification croîtra de plus en plus à l'avenir, du fait des évolutions technologiques.
Vous persistez aujourd'hui dans cette démarche en proposant, au titre III du présent texte, un nouveau dispositif d'allégement de cotisations patronales qui entraînera une nouvelle montée en puissance des dépenses publiques, évaluée à 6 milliards d'euros d'ici à 2005.
Je suis convaincu, à l'instar d'ailleurs de nombreux économistes, que la massification des politiques d'allégement de cotisations sociales patronales, orientation qui s'est imposée à droite mais aussi, malheureusement, au sein de la gauche, n'est pas de nature à dynamiser l'emploi, tant quantitativement que qualitativement.
Je déplore, monsieur le ministre, votre absence de réponse aux interrogations des députés de gauche qui vous demandaient de chiffrer les effets, pour l'emploi, de la mise en oeuvre de votre projet de loi. Votre silence est lourd de sens !
Nous n'adhérons pas à la solution qui consiste à abaisser le coût du travail, parce qu'elle est responsable du développement de l'emploi non qualifié et de l'appauvrissement des salariés qui supportent un ensemble de graves inégalités.
Monsieur le ministre, nous sommes d'autant plus opposés au nouveau dispositif que vous nous présentez qu'il est totalement déconnecté de la réduction du temps de travail. Pour mémoire, je vous rappelle que nous n'étions pas satisfaits des allégements instaurés par la loi du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail, dite loi « Aubry II ».
Nous nous opposerons donc fermement aux articles 6 à 12, qui visent à refonder la ristourne Juppé et l'allégement prévu par la loi « Aubry II » et offrent aux entreprises des avantages importants sans aucune contrepartie.
Par ailleurs, vous proposez de rétablir, pour les entreprises, la possibilité de cumuler l'abattement spécifique au temps partiel avec la nouvelle mesure d'allégement des cotisations sociales. Vous incitez les entreprises à recourir au temps partiel, qui, au rebours de l'idée que vous défendez, est rarement choisi mais au contraire massivement imposé.
Non seulement ces allégements pénaliseront les entreprises qui sont déjà passées aux 35 heures, puisque, parallèlement, vous supprimez l'aide structurelle, mais surtout vous portez atteinte à l'économie générale des accords majoritaires signés en application de la loi « Aubry II ».
La lecture que nous faisons du premier volet de ce projet de loi, relatif au salaire minimum de croissance, est tout aussi négative.
Votre discours présente le dispositif d'harmonisation des SMIC comme un moyen d'augmenter substantiellement les salaires de l'ensemble des salariés payés au SMIC ; c'est séduisant, mais c'est faux !
Sur ce point comme à propos de la RTT, vous jouez du mécontentement légitime des nombreux salariés qui ont subi, à la suite du passage aux 35 heures, un gel de leur salaire. Vous jouez aussi sur les divisions introduites entre les salariés payés au SMIC et les autres.
Faute d'avoir prévu d'augmenter de 11,4 % le taux horaire du SMIC comme le préconisaient alors les parlementaires communistes, la loi « Aubry II » est à l'origine de la construction d'un mécanisme complexe et inégalitaire de garantie mensuelle de rémunération qui a mis à mal l'unicité du SMIC. Je le dis d'autant plus facilement que, à l'époque, nous avions combattu cette décision et formulé des propositions.
Cette multiplicité des SMIC a servi de prétexte au gouvernement Raffarin pour refuser, en juillet dernier, d'accorder un « coup de pouce » en supplément de la revalorisation légale.
Aujourd'hui, vous évoquez la nécessaire harmonisation des SMIC selon l'un des scénarii avancés par le Conseil économique et social, à savoir une « harmonisation par le haut ». Mais vous l'utilisez pour porter un coup supplémentaire à la vocation d'ascenseur social du SMIC, qui doit, selon la loi de 1970, assurer « aux salariés dont les rémunérations sont les plus faibles, la garantie de leur pouvoir d'achat et une participation au développement économique de la nation ».
Monsieur le ministre, 14 % des salariés - des jeunes, des femmes, des personnes employées dans les petites entreprises surtout - sont rémunérés à ce niveau. Ce sont des salaires qui ne permettent pas de vivre normalement ni décemment ; c'est dire l'importance des options choisies.
Il est certes positif d'annoncer une augmentation de 11,4 % du taux horaire du SMIC, mais il est injuste, voire très dangereux, de laisser espérer de tels gains de pouvoir d'achat.
Seuls ceux qui sont restés à 39 heures connaîtront cette augmentation sur trois ans. En contrepartie - car là il y en a une - « pour ne pas asphyxier les entreprises et tuer l'emploi », comme le dit le MEDEF, l'indexation du SMIC sur les gains de pouvoir d'achat des salaires est supprimée !
Les syndicats, dans leur grande majorité, ont déploré la méthode choisie, considérant ce « décrochage » du SMIC comme inadmissible et pervers.
Nous partageons leurs inquiétudes de voir un système transitoire perdurer et venir « dynamiter » le SMIC, conformément aux souhaits du MEDEF d'annualiser et de ne plus garantir, d'une année sur l'autre, montant de celui-ci.
Nous proposons, par le biais de nos amendements, une autre voie, une convergence plus rapide, immédiate des GMR et du SMIC horaire, d'une part, et le maintien des règles actuelles de revalorisation du SMIC, d'autre part.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Que ne l'avez-vous fait !
M. Roland Muzeau. Venons-en maintenant au titre II du projet de loi, relatif au temps de travail.
Malgré vos affirmations, monsieur le ministre, selon lesquelles il ne s'agit pas de relancer un débat idéologique sur la réduction du temps de travail, le moins que l'on puisse dire c'est que vous vous êtes laissé aller à certains dérapages.
Je pense en particulier ici à vos propos fâcheux attribuant au Front populaire l'effondrement de la France ou à certaines petites phrases qui ont pour le moins détérioré la qualité des débats.
Comme la grande majorité des élus de droite et des membres du patronat, vous n'adhérez pas au mouvement, pourtant historique, de réduction du temps de travail. Vous n'hésitez pas à le qualifier de « développement de la culture de la paresse ». Cela explique pourquoi, à de nombreuses reprises, votre majorité a fait référence au retour « aux valeurs et à la place du travail », ressuscitant ainsi des souvenirs peu reluisants.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ce n'est pas très joli, cela ! Vous êtes décevant, monsieur Muzeau !
M. Roland Muzeau. Toutefois, il vous était politiquement impossible d'en finir officiellement avec les 35 heures en touchant à la durée légale du travail. Comment, en effet, revenir de front sur une réforme dont bénéficient 14 millions de salariés, tous secteurs confondus ?
Je revendique, au fond, la démarche engagée dans ce domaine par le gouvernement précédent. Les objectifs alors assignés à la RTT me paraissent toujours justes : lutter contre le chômage en développant l'emploi ; répondre aux aspirations personnelles des salariés, qui veulent avoir davantage de temps pour eux, mais aussi à consacrer aux autres ; améliorer les conditions de travail ; parfaire la démocratie sociale... Je regrette simplement que la vision que nous avions de cette mesure, que nous voulions effectivement facteur de progrès social, n'ait pas été plus largement adoptée.
Je suis conscient que les modalités pratiques de l'application de la RTT n'ont pas toujours eu, loin s'en faut, des conséquences positives pour les salariés. (Ah ! sur les travées du RPR.)
Nous payons aujourd'hui les refus d'hier d'inscrire dans la loi une obligation de création d'emplois. La loi Aubry II a ouvert la boîte de Pandore s'agissant du SMIC, de la rémunération des heures supplémentaires ou de la modulation. (Eh oui ! sur les travées du RPR.)
M. Jean Chérioux. Eh bien voilà !
M. Roland Muzeau. Doit-on, pour autant, céder aux arguments de ceux qui n'ont d'autre ambition que d'allonger la durée effective du temps de travail et de mettre encore davantage l'accent sur les mécanismes privilégiant la souplesse ? Je ne le pense pas, mais c'est pourtant l'objet de ce texte.
Monsieur le ministre, un fossé sépare vos objectifs réels de déréglementation de la présentation que vous faites d'un projet de loi qui serait sous-tendu par une fibre sociale. Votre texte est tout sauf équilibré. Vous avez réussi jusqu'à présent à avancer masqué, excellant dans le rôle de modérateur social, refrénant en apparence les ardeurs du MEDEF lors des consultations préalables à l'élaboration du projet de loi.
Tout au long des débats à l'Assemblée nationale, le Gouvernement a dansé un beau pas de deux avec l'UDF, qui a développé le jusqu'au-boutisme du MEDEF.
M. Pierre Laffitte. C'est un procès d'intention !
M. Roland Muzeau. Les quelques amendements adoptés, peu nombreux tant les consignes de ne pas remettre en question l'équilibre du texte ont été respectées par l'UMP, confirment nos craintes.
L'ajout de la disposition modifiant substantiellement le régime des astreintes en assimilant celles-ci à des périodes de repos est une provocation de trop.
Les salariés, nombreux à être concernés dans les secteurs des services, médico-social, des transports et de l'énergie, apprécieront sûrement le peu de cas que vous faites, monsieur le ministre, des contraintes réelles qui pèsent sur eux et sur leurs familles. Votre attitude est tout simplement dictée par le fait que la jurisprudence n'est pas favorable aux employeurs ! Nous reviendrons, au cours de la discussion des articles, sur ce point qui ne peut rester en l'état.
Cette disposition relative au régime des astreintes, qui a soulevé un tollé du côté des syndicats, illustre bien la logique du présent projet de loi, lequel tend à aggraver la subordination du salarié à l'employeur.
Sous couvert d'assouplissement de notre droit du travail, le projet de loi contribue en fait à priver de tout son intérêt la loi relative à la réduction négociée du temps de travail votée en 2000.
Le régime des heures supplémentaires n'est pas simplement unifié, le seuil de déclenchement du repos compensateur n'est pas simplement rehaussé. Ces mesures auront des conséquences immédiates sur les conditions de travail et de vie des salariés, qui perdront notamment des droits à repos.
Vous accentuez la différence de traitement existant entre les salariés des petites structures et les autres salariés en institutionnalisant une rémunération des heures supplémentaires dérogatoires limitée à 10 % dans les entreprises de moins de vingt salariés. Vous « avalisez les conditions de travail à deux vitesses », comme l'a très justement titré La Tribune le 10 septembre dernier.
Pourquoi, si effectivement le Gouvernement souhaite que ceux qui désirent travailler plus puissent le faire en gagnant davantage, ne pas être allé jusqu'à ouvrir cette possibilité aux salariés à temps partiel, par exemple ?
Pourquoi ne pas garantir la liberté de chaque salarié d'accepter ou de refuser les heures supplémentaires « proposées » par l'employeur, ou ne pas rémunérer à leur juste valeur les heures supplémentaires, les heures complémentaires et, plus généralement, le travail des Français ?
Mme Nicole Borvo. Très bonne question !
M. Roland Muzeau. Sous couvert de simplification de notre droit du travail, vous bouleversez toute la hiérarchie des normes.
M. Guy Fischer. La vérité est là !
M. Roland Muzeau. En séance publique, vous vous êtes demandé, monsieur le ministre, quelle devait être la part de l'ordre public social par rapport à celle qui est laissée à la négociation collective.
Cette question est essentielle, mais votre logique m'échappe. N'avez-vous pas déjà apporté une réponse à propos des rapports entre la loi, qui deviendrait subsidiaire, et la négociation, le contrat, en faisant notamment sortir du domaine législatif la définition du niveau du contingent d'heures supplémentaires ?
A cet égard, il est assez symbolique que vous n'ayez pas jugé utile, préalablement, de définir avec les partenaires sociaux les champs de la négociation collective.
Je suis étonné de vous entendre faire référence à la « position commune » du 16 juillet 2001 sur l'approfondissement de la négociation collective. Alors que ce texte n'est qu'une simple déclaration d'intention, vous voulez l'utiliser comme fondement d'un projet de loi que vous présenteriez au Parlement.
M. François Fillon, ministre. Absolument !
M. Roland Muzeau. Vous savez comme moi que ce texte est fragile, dans la mesure où le MEDEF est en désaccord avec les syndicats sur la notion d'ordre public social.
Vous avez pris l'engagement oral, monsieur le ministre, d'accorder l'agrément aux seuls accords majoritaires. Pourquoi ne pas poser législativement cette exigence démocratique dès maintenant ? Vous qui vous déclarez favorable à la relance d'un dialogue social de qualité, acceptez nos amendements visant à introduire le principe majoritaire.
Sous couvert de sécurisation, le projet de loi tente de mettre un terme à plusieurs constructions jurisprudentielles jugées, par le MEDEF, trop favorables aux salariés. C'est vrai non seulement pour le régime des astreintes, mais également pour le paiement des heures supplémentaires auxquelles ont droit les salariés du secteur social et médico-social, en plus du versement de leur indemnité de RTT pour maintien de salaire.
S'agissant des cadres, catégorie de salariés qui est la plus satisfaite de la RTT, vous envisagez de limiter la portée de la jurisprudence Aventis. En affirmant que l'autonomie ne se décide pas mais qu'elle doit être réelle et prouvée, le juge avait encadré les possibilités déjà laissées à l'employeur pour définir les salariés cadres pouvant relever du forfait jour.
L'enjeu est de taille, le MEDEF l'a bien saisi d'ailleurs, la commission des affaires sociales du Sénat aussi, apparemment, puisque, en élargissant la définition de cette catégorie même à des non-cadres - itinérants, techniciens -, on permettrait à l'employeur de se dédouaner des limites du droit commun en matière de temps de travail.
Non seulement vous avez l'intention de limiter la portée des décisions de principe de la Cour de cassation, mais en plus, une fois voté, ce texte devrait permettre la validation d'accords actuellement contraires à la loi, en raison du niveau du contingent d'heures supplémentaires, supérieur à 180 heures, ou des dispositions relatives aux cadres. Tout cela est inacceptable.
Je viens de le démontrer, votre projet de loi, monsieur le ministre, annonce des bouleversements essentiels dans le droit du travail. Beaucoup de contradictions et de zones d'ombre demeurent.
Pour toutes ces raisons, le groupe communiste républicain et citoyen souhaite pleinement s'inscrire dans le débat, en lui consacrant toute la place qu'il mérite, et en cet instant, j'exprime notre désaccord devant la modification de l'organisation de nos débats, qui n'augure rien de bon pour leur qualité. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur de nombreuses travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Alain Gournac.
M. Alain Gournac. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, après cinq ans de politique socialiste de l'emploi, le gouvernement actuel doit gérer un héritage qui ne satisfait personne.
Depuis dix-huit mois, le chômage augmente à nouveau. Le taux de croissance de 2002 est faible et la conjoncture économique pour 2003 s'annonce difficile.
M. Henri Weber. Pas du tout : 2,5 % ! (Sourires sur les travées socialistes.)
M. Alain Gournac. Les lois sociales mises en place par le gouvernement précédent ont détérioré l'attractivité économique de la France.
La mise en place autoritaire et généralisée des 35 heures, une grande partie du texte relatif à la modernisation sociale et l'obstination à ne pas réduire les déficits budgétaires et sociaux émanant des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale sont autant de handicaps pour l'économie et pour l'emploi. (M. Gilbert Chabroux s'exclame.)
A cela s'ajoute le climat social sombre. Pas une profession n'a été épargnée par les difficultés économiques et les partenaires sociaux se sont sentis négligés, pour ne pas dire plus, durant la législature précédente.
Le bilan chiffré, lui non plus, n'est pas extraordinaire. L'analyse des données contenues dans le projet de loi du gouvernement sur le bilan 2000-2001 concernant la réduction du temps de travail suggère que celle-ci aurait permis la création de 300 000 emplois. Cela représente 18 % des 1 650 000 emplois créés au cours de la période 1996-2001.
Il apparaît également que ces créations d'emploi sont largement dues à la coïncidence de plusieurs facteurs : la période de croissance de la demande, celle des besoins de main-d'oeuvre ressentis par les entreprises et, enfin, l'opportunité offerte par l'Etat d'aider les embauches.
Il n'y a donc pas lieu de s'enorgueillir d'un si médiocre résultat pour un coût financier exorbitant, facteur de déséquilibres budgétaires pour nos comptes sociaux.
M. Claude Domeizel. N'exagérez pas !
M. Henri Weber. Ça c'est la « ristourne Juppé » ! Ne mélangez pas tout !
M. Alain Gournac. C'est dans ce contexte général que nous examinons un projet de loi de relance, qui tend à rétablir la justice sociale, à assouplir les 35 heures et à mettre en place une politique dynamique d'allégement des charges.
Comment ne pas se féliciter du changement de philosophie et d'attitude qui imprègne ce projet de loi ?
En effet, ce texte défend la valeur d'équité, en harmonisant les SMIC. Il défend également la valeur du travail et de l'effort, en permettant à celui qui veut travailler plus et gagner plus de le faire.
M. Gilbert Chabroux. Ah ?
M. Alain Gournac. Ce texte défend, en outre, la valeur de la simplicité, en instaurant un régime souple et lisible d'allégement des charges. Ce texte défend, enfin, la valeur du dialogue social, en ouvrant largement le champ de la négociation collective.
Tout d'abord, il s'agit d'un texte de justice sociale.
Parmi les nombreux effets pervers de la RTT obligatoire, non anticipés par le gouvernement précédent, figure la multiplication des garanties mensuelles, aboutissant à la création de six SMIC différents.
Il était injustifiable qu'un travail soit payé plus ou moins cher selon la taille de l'entreprise et la date à laquelle celle-ci est passée aux 35 heures. Cette situation ne pouvait perdurer et c'est sous le signe de la concertation et de l'équité que le Gouvernement a trouvé la solution de l'harmonisation par le haut.
Le coût sera lourd pour certaines entreprises, notamment celles qui emploient beaucoup de main-d'oeuvre non qualifiée, mais il est en grande partie compensé par l'allégement des charges dont il est question au titre III.
Toutefois, monsieur le ministre, je me permets d'inviter le Gouvernement à une grande vigilance tout au long de la période d'harmonisation. Des ajustements seront peut-être nécessaires compte tenu de l'impact de ces mesures sur les entreprises concernées.
M. Roland Muzeau. Ah !
M. Alain Gournac. Je fais naturellement confiance à votre pragmatisme. L'opposition, si prompte à la critique, trouvera difficilement des arguments contre une telle revalorisation des plus bas salaires : celle-ci est en effet sans précédent depuis vingt ans. (Exclamations sur les travées socialistes.)
Il est à noter que ce gain de pouvoir d'achat doit être l'occasion de revaloriser le travail en creusant l'écart avec les revenus d'insertion, de redonner confiance à ceux qui ont les salaires les plus modestes et de rendre au travail son attractivité par rapport aux revenus d'assistance.
Venons-en aux 35 heures.
Loin d'être un progrès social indiscutable, les 35 heures ont créée des conditions de travail dégradées : perte d'autonomie, accélération des rythmes, augmentation des tâches, accentuation des inégalités, modulation imprévisible du travail pour les moins qualifiés et stagnation du pouvoir d'achat.
M. Henri Weber. Pourquoi ne les abrogez-vous pas ?
M. Alain Gournac. Je les ai combattues, cher ami !
M. Henri Weber. Pourquoi les maintenir ? Si elles sont aussi néfastes, ayez le courage de les abroger !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Déposez un amendement, monsieur Weber !
M. Henri Weber. Non, car moi, j'en pense du bien !
M. Alain Gournac. Les 35 heures imposées ont eu, entre autres conséquences, un effet négatif sur la compétitivité des entreprises.
La nécessité d'assouplir l'application des 35 heures avait déjà amené notre assemblée à adopter, en décembre 2000, une proposition de loi cosignée par les présidents des groupes de la majorité sénatoriale, texte que j'ai eu l'honneur de rapporter.
A l'époque, nous craignions que la fin du régime de transition concernant l'application des 35 heures dans les entreprises de plus de vingt salariés et la perspective de leur application aux petites entreprises n'accroissent les « désajustements » sectoriels du marché du travail.
M. Paul Blanc. Une bombe à retardement !
M. Alain Gournac. De plus, le renchérissement des heures supplémentaires aurait eu pour conséquence d'inciter les entreprises à moins y recourir.
Pour maintenir le niveau de production, les entreprises seraient alors dans l'obligation d'augmenter la productivité, ce qui pourrait conduire à une dégradation des conditions de travail. Elles pourraient aussi se trouver dans l'incapacité de produire davantage en raison des difficultés réelles d'embauche dans bon nombre de secteurs.
On a effectivement constaté des cas tout à fait regrettables dans lesquels des entreprises, ayant à certains moments de l'année atteint le plafond des heures supplémentaires, ont été contraintes de refuser des commandes ou de faire fabriquer leurs produits dans d'autres usines du groupe, en Europe de l'Est ! Je peux vous fournir des précisions.
Le Gouvernement propose donc d'élargir et de clarifier le contingent des heures supplémentaires en incitant, par ailleurs, les partenaires sociaux à discuter des mesures qu'ils souhaitent voir mises en oeuvre dans un délai de dix-huit mois. C'est un pari. Le pari du dialogue, le pari que les acteurs de la négociation collective réussiront à trouver un dispositif qui ne leur sera pas imposé d'en haut.
Cette mesure est perçue par les PME comme une excellente nouvelle, même si elles regrettent qu'elle n'ait pas été appliquée plus tôt. Avec le ralentissement de la croissance économique, son impact favorable sur les ventes risque d'être un peu minoré.
En tout état de cause, cette disposition est de nature à redonner de l'attractivité à la France, à attirer les investisseurs étrangers.
Car, n'en déplaise à certains, en libérant les potentiels de travail tout en limitant les coûts pour l'entreprise, nous redonnons confiance aux entrepreneurs. Notre pays a plus que jamais besoin d'eux pour préparer l'avenir et créer des emplois. C'est la priorité des priorités.
Sur cet article en particulier, l'excellent rapporteur de la commission des affaires sociales, notre collègue Louis Souvet, a effectué un travail remarquable, qui a permis d'éclairer les débats en commission. Je soutiendrai les judicieux amendements qu'il a présentés et qu'il défendra en séance publique.
M. Guy Fischer. Heureusement !
M. Roland Muzeau. Ils sont obligés de les soutenir !
M. Alain Gournac. J'en viens à la question des charges sociales qui pèsent sur les bas salaires et sur les salaires moyens.
Enfin, des règles claires, unifiées et durables sont mises en place ! N'en déplaise aux détracteurs de cette mesure d'allégement supplémentaire, les économistes européens confirment de façon unanime que cette méthode a des effets significatifs et reconnus sur la création d'emplois.
Il faut également souligner l'ampleur de cette mesure : ce sont six milliards d'euros, en plus des quinze milliards d'euros actuels, qui sont investis dans cette politique. Bien entendu, notre assemblée, qui a toujours défendu cette stratégie pour l'emploi, ne peut que l'approuver.
D'autant plus que cette fois, ce n'est pas la sécurité sociale qui sera ponctionnée, par le biais du FOREC, pour financer ces dépenses nouvelles. Les comptes sociaux, menacés déjà par l'immobilisme du gouvernement précédent en matière de réforme, n'avaient, en effet, pas besoin d'être mis à mal encore un peu plus.
Conformément à la loi de juillet 1994 sur l'autonomie financière des branches de la sécurité sociale et l'obligation de compensation des suppressions de charges sociales décidées par l'Etat, c'est bien celui-ci qui prendra en charge ces six milliards d'euros par un transfert de nouvelles recettes vers le FOREC.
Cette décision est le signe d'une volonté, de la part du Gouvernement, de clarifier les relations entre les comptes sociaux et le budget de l'Etat. C'est une bonne décision.
Monsieur le ministre, je tiens à vous féliciter de ce texte, dont les propositions équilibrées satisferont les salariés les plus modestes. Ceux-ci vont gagner en pouvoir d'achat. Vos propositions apportent aussi une bouffée d'oxygène aux entreprises, notamment aux PME.
En assouplissant l'organisation du travail, ces mesures sont de nature à restaurer la confiance indispensable à la croissance de notre pays.
Je constate, sans surprise, que les engagements pris par le Président de la République sont tenus par le Premier ministre et le Gouvernement. Je m'en réjouis, non seulement pour moi-même, mais également pour mon pays. C'est pourquoi j'apporterai tout mon soutien à ce texte quelque peu modifié par notre assemblée. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat avait bien commencé par un exposé très clair de M. le ministre et par un excellent rapport de M. Souvet. Puis, on s'est un peu perdu dans les sables et un torrent de critiques s'est abattu sur la régression sociale que nous serions en train d'organiser.
Pour ma part, monsieur le ministre, après mon collègue et ami Georges Mouly, je tiens à vous apporter mon soutien total sur ce projet de loi, que je trouve simplificateur, équilibré et favorable à l'emploi.
Il est simplificateur parce que la multiplicité des SMIC, chef d'oeuvre de l'art administratif français, était une source extraordinaire de confusion et parce que, par leur grande complexité, les régimes d'aide aux entreprises favorisaient beaucoup plus les filiales des grandes entreprises internationales installées dans notre pays que nos petites et moyennes entreprises. Or cela ne vaut vraiment pas la peine de faire profiter d'un effet d'aubaine des entreprises dont les centres de décision ne sont pas en Europe !
Ce texte est équilibré parce qu'il relance la négociation entre les partenaires sociaux au niveau des branches. La commission propose d'ailleurs d'aller plus loin et de développer des conventions au niveau des entreprises, ce que j'approuve.
Il est équilibré également parce que l'unification des SMIC est compensée par une aide renforcée aux entreprises. Cet équilibre tout à fait satisfaisant permettra, je pense, d'obtenir de bons résultats.
Enfin, ce projet de loi est favorable à l'emploi. En effet, au lieu de concentrer les avantages sur les très grandes entreprises, il cible son action sur les entreprises de vingt salariés et moins.
Or l'expérience a montré, depuis une vingtaine d'années, que l'emploi se développait beaucoup plus dans les entreprises de vingt salariés que dans les très grandes entreprises.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous approuvons ce texte. Vous me permettrez cependant, monsieur le ministre, dans le bref laps de temps qui m'est imparti, de faire deux observations et d'exprimer deux regrets.
Tout d'abord, nous avons l'impression, en écoutant le débat, que nous ne sommes pas en Europe, que la France n'a pas participé à la monnaie unique et que nous pouvons régler nos affaires, en matière de temps de travail et de compétitivité, comme si rien n'existait à côté de nous. Nous avons été la risée de l'Europe quand nous avons, par la loi, réduit la durée du travail à 35 heures. Aussi, monsieur le ministre, votre première tâche, une fois ce projet de loi adopté, sera de relancer la négociation pour aboutir à une harmonisation européenne des conditions et de la durée du travail. Il n'est pas possible que nous ayons une monnaie unique, que nous la soutenions et que nous conservions des rythmes de travail totalement différents.
M. Louis Souvet, rapporteur. Bien sûr !
M. Jean-Pierre Fourcade. Avec nos partenaires anglais, espagnols, italiens, hollandais, etc, ainsi qu'avec les nouveaux pays qui vont prochainement entrer dans l'Europe, il nous faudra parvenir à harmoniser la réglementation de la durée du temps de travail.
C'est une tâche primordiale. J'ai attiré l'attention sur ce point car, en tant que membre du RDSE, je souhaite que la dimension européenne ne soit pas absente de ce débat.
M. Jacques Pelletier. Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade. J'en viens à ma deuxième observation : entre la position du groupe communiste républicain et citoyen, que je trouve parfaitement cohérente,...
M. Guy Fischer. Merci, monsieur Fourcade ! Pour une fois, c'est agréable à entendre !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. In cauda venenum !
M. Jean-Pierre Fourcade. ... puisque ce groupe a toujours demandé l'unification immédiate des SMIC, et la position que vous défendez, monsieur le ministre, c'est-à-dire une harmonisation sur trois ans, le Gouvernement va disposer d'une arme anticyclique importante.
Les chiffres de la consommation des ménages sont en train de chuter. Notre taux de croissance sera faible pour 2002 et celui de 2003 va dépendre d'événements dont nous ne sommes pas maîtres. Par conséquent, plutôt que de se triturer l'esprit pour trouver des mesures nouvelles afin de relancer la consommation, créer des allocations, etc, il sera préférable, au milieu de l'année prochaine, si l'on a l'impression que la conjoncture patine, que nous ne sommes pas capables de retrouver un taux de croissance normal, de procéder à l'unification des SMIC en deux ans au lieu de trois ans.
Vous aurez alors la certitude d'agir en faveur des salariés les plus modestes, ceux qui touchent entre un SMIC et 1,7 SMIC. Vous exercerez ainsi un effet immédiat sur le pouvoir d'achat. C'est donc d'un instrument conjoncturel que vous vous dotez. Je vous en félicite, et j'espère que vous l'utiliserez.
Venons-en aux regrets.
Vous n'avez pas essayé, monsieur le ministre, mais peut-être était-ce trop demander, de jouer sur le véritable réservoir d'emplois supplémentaires dont nous disposons et qui jusqu'ici n'a pas été utilisé. Je veux parler du premier emploi.
Notre pays compte un million d'entreprises unipersonnelles, qui ne parviennent pas à embaucher en raison de la complexité des formalités, du coût du recrutement, de la conjoncture difficile, etc. Je pense qu'un signe donné à ces entreprises pour leur permettre de recruter le premier emploi eût été bénéfique. Il aurait même fallu aller un peu plus loin, en réduisant les charges sociales des salariés au titre de ce premier emploi, ce qui aurait amélioré la feuille de paye de ces derniers mais aurait aussi favorisé la relance de l'emploi dans un secteur qui possède un grand gisement alors qu'il est quelque peu ignoré du législateur.
Mon second regret est simple : il porte sur le fait que ce texte ne s'applique malheureusement pas aux trois fonctions publiques. Or, tous ceux qui sont présents dans cette enceinte, tous ceux qui dirigent un établissement hospitalier, qui gèrent une grande collectivité ou qui président aux destinées d'une association ou d'un organisme quelconque savent parfaitement que l'application des 35 heures a totalement démoli l'ensemble des équilibres et des structures.
M. Paul Blanc. Totalement !
M. Jean-Pierre Fourcade. Aussi, monsieur le ministre, je souhaite que, dans un texte prochain, des dispositions soient prises pour les fonctions publiques, qui subissent les inconvénients des 35 heures de façon évidente. Et nul ne peut défendre la thèse selon laquelle les 35 heures auraient constitué un progrès ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Remarquable !
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Desmarescaux.
Mme Sylvie Desmarescaux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au regard du bilan des lois Aubry concernant la création d'emplois et la faiblesse du nombre d'entreprises effectivement passées aux 35 heures, nul ne peut contester que le projet de loi relatif aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi va dans le bon sens.
Le présent projet de loi rend aux partenaires sociaux la liberté de négociation que le gouvernement précédent avait remise en cause.
Il donne priorité aux baisses des charges, clé de voûte d'un système destiné à préserver et à faire baisser le nombre de chômeurs. En outre, contrairement aux critiques qui ont été exprimées, le texte qui nous est soumis n'en oublie pas pour autant les salariés, dont le pouvoir d'achat sera soutenu grâce à l'augmentation des bas salaires, mesure qui vient en complément de la diminution de l'impôt sur le revenu et des dispositions relatives à la prime pour l'emploi.
La préparation de ce projet de loi a montré la capacité du Gouvernement à se faire le conciliateur des intérêts de chacun des partenaires sociaux, ce dont je le félicite.
Je soutiendrai bien évidemment ce texte. Toutefois, je souhaiterais revenir sur l'amendement adopté par nos collègues députés concernant les périodes d'astreinte. En effet, selon cette proposition, le temps d'astreinte serait comptabilisé comme une période de repos si le salarié n'est pas intervenu. Or, aux termes de l'article L. 212-4 bis du code du travail, l'astreinte impose au salarié une obligation, celle de demeurer à son domicile ou à proximité afin d'être en mesure d'intervenir pour effectuer un travail au service de l'entreprise.
La question mérite d'être soulevée, et je me permets de vous demander, monsieur le ministre, de m'apporter une explication ou plutôt des apaisements.
Certes, la chambre sociale de la Cour de cassation a, dans son arrêt du 10 juillet 2002, estimé que le temps d'astreinte ne pouvait pas être considéré comme un temps de travail effectif. Est-ce pour autant qu'il faille le considérer comme un temps de repos ? Cette question n'a été tranchée ni par la jurisprudence ni par la doctrine.
Dans le souci de toujours laisser plus de place à la négociation collective, la compensation devrait prendre la forme qui sera déterminée par les accords de branche ou d'entreprise. Cela irait, me semble-t-il, dans le sens du dialogue social que souhaite rétablir le Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vais écourter un peu mon temps de parole afin de laisser quelques minutes à mon ami Henri Weber et je ne m'attarderai que sur deux points essentiels.
M. Henri Weber. Merci de votre compréhension, mon cher collègue !
M. Jean-Pierre Godefroy. Je voudrais tout d'abord vous dire, monsieur le ministre, après mon collègue Gilbert Chabroux, que ce projet de loi au titre ambitieux n'a, selon nous, qu'un seul but : effacer les progrès de la loi Aubry, défaire les 35 heures. En effet, vous avez beau parler d'assouplissement, M. le Premier ministre, lui, a été beaucoup plus clair quand il a annoncé qu'il s'agissait bien de permettre aux entreprises de revenir aux 39 heures.
Vous présentez ce texte comme une simple correction des excès et des rigidités de la loi Aubry. En fait, il répond largement aux exigences patronales et ne manquera pas, lorsque les salariés pourront en mesurer concrètement les effets, de participer à l'alourdissement du climat social, qui n'en a pas besoin.
Ce texte est avant tout le rendez-vous manqué de la concertation. Comme l'a dit le président de la CFTC, que l'on ne peut pas accuser d'être un syndicat gauchiste : « Le projet de loi va permettre aux entreprises de faire travailler les personnels de 35 à 43 heures par semaine sans préavis, sans planification, avec une augmentation de salaire minime. La distorsion de situation entre les salariés d'entreprises différentes s'accentue, notamment entre les grandes et les petites. » - je reviendrai sur ce point tout à l'heure - « Ce premier dossier social du Gouvernement nous apparaît comme un rendez-vous manqué. »
Vous deviez relancer le dialogue social prétendument mis à mal. Or, l'on constate une succession de décisions prises unilatéralement. Ce projet de loi lui-même est entaché d'un défaut initial : les syndicats n'ont été consultés que sur un avant-projet qui, ensuite, a été modifié sans qu'ils en soient informés. Ils n'ont donc pas été consultés sur la version définitive du texte, contrairement à l'accoutumée.
M. Claude Domeizel. Absolument !
M. Jean-Pierre Godefroy. Vous vous prévalez de leur accord « au-delà des critiques convenues ». J'ai noté, comme mon ami Gilbert Chabroux, la formule que vous avez utilisée en commission des affaires sociales. Pourtant, lors des auditions organisées par la commission, tous les syndicats - sauf un - ont multiplié les critiques à l'égard de votre texte et des conditions de son élaboration.
Par ailleurs, monsieur le ministre, est-ce conforme à votre conception du dialogue social que de signer le décret sur la hausse du contingent d'heures supplémentaires alors que le débat ne fait que s'ouvrir au Sénat ?
Les lois Aubry, elles, ont bien permis un renouveau du dialogue social dans les branches et les entreprises. Depuis 1998, plus de 35 000 accords ont été signés chaque année concernant 8,6 millions de salariés.
Que dire, monsieur le ministre, de l'amendement voté, avec votre assentiment à l'Assemblée nationale concernant les astreintes ? Il ne s'agit certainement pas d'un exemple de dialogue social !
Que dire encore de votre argument relatif aux techniques modernes de communication, aux portables ?
On peut, dans ces conditions, légitimement s'interroger sur la notion de repos du salarié, qui ne doit pas seulement permettre la reconstitution de la force du travail au bénéfice de l'entreprise, comme il en allait au xixe siècle, mais qui doit aussi favoriser l'épanouissement personnel du salarié. Est-il dès lors pensable qu'une personne en situation d'astreinte puisse aller au cinéma, au théâtre, pratiquer un sport, garder les enfants si le conjoint travaille, le portable à portée de main, avec l'obligation de tout laisser sur le champ si une intervention s'impose ? Sa liberté est limitée. La question de la dépendance du salarié à l'égard de l'entreprise est alors clairement posée. Il nous semble tout à fait inacceptable dès lors de considérer ce temps comme du repos, même s'il n'y a pas intervention.
Nous espérons, monsieur le ministre, que la répétition des critiques de bon sens qui ont été émises au cours de ces derniers jours aura eu quelque effet sur vous. J'ai eu un espoir en écoutant votre propos liminaire. Je vois qu'il me faut faire machine arrière. Je pense pourtant que cette disposition devra être revue.
A propos de cette disposition, un représentant syndical a dit : « Le MEDEF en rêvait, l'Assemblée l'a fait. » Monsieur le ministre, pourriez-vous, avec l'appui du Sénat, - certaines voix se sont élevées ici en ce sens -, rectifier ce texte en rétablissant les salariés dans leur juste droit ?
Je ne doute pas que vous ayez conscience du grave problème qui se poserait en cas de confirmation de cette mesure. En tout cas, toute décision législative de cette nature devrait faire l'objet, pour le moins, d'un dialogue préalable et d'un accord avec les organisations syndicales.
Nous ne pouvons que souscrire à l'harmonisation des SMIC. Cependant, nous ne saurions accepter le mécanisme que vous nous proposez. Mon collègue Gilbert Chabroux a déjà évoqué ce point, sur lequel nous défendrons des amendements.
L'impact de la RTT sur l'emploi est loin d'être négligeable.
Vous parlez des 300 000 emplois créés comme si ce nombre valait à peine d'être mentionné. Mais 300 000 emplois, ce n'est déjà pas si mal ! Sans compter les emplois induits dans le secteur du tourisme, de l'hôtellerie-restauration, des loisirs, dont on ne parle pas assez. Nombre d'entreprises du secteur du tourisme attribuent en effet leurs bons résultats en moyenne saison à la mise en place de la réduction du temps de travail.
M. Henri Weber. Très juste !
M. Jean-Pierre Godefroy. Certes, le débat reste ouvert sur la question de savoir ce qui, de la RTT ou de la conjoncture économique, a joué le plus dans la réduction du chômage. Mais une chose est certaine : les mesures prises aujourd'hui pour revenir de fait aux 39 heures, ainsi que la nouvelle conjoncture, risquent d'avoir un résultat tout autre, qu'il nous appartiendra d'appréhender en son temps, en attribuant sa véritable part à l'un et à l'autre.
Nous ne pouvons, aujourd'hui, que prendre rendez-vous, mais nous sommes sceptiques.
En effet, monsieur le ministre, avec la suppression des emplois-jeunes, la diminution des CES, l'abandon du programme TRACE et la création, par cette loi, de deux catégories de salariés - ceux qui sont déjà passés aux 35 heures et qui craignent à juste titre un retour sur ce progrès social, d'une part, et ceux qui, travaillant dans une petite entreprise, n'en bénéficieront jamais, d'autre part -, la France du travail se trouve divisée en deux : c'est la France du travail à deux vitesses.
Cela ne manque pas d'inquiéter les entreprises artisanales, qui ont déjà des difficultés pour trouver du personnel qualifié. Et ce ne sont pas les contrats-jeunes n'intégrant pas une obligation de formation, qui permettront de répondre aux besoins de ces entreprises. Celles-ci nous ont clairement fait savoir qu'elles avaient besoin de personnels formés. Ces PME étaient pourtant expressément désignées comme la cible de votre dispositif avant qu'un amendement du Sénat, accepté par le Gouvernement, ne l'étende aux grandes entreprises.
Sur ce point, la conjugaison des deux lois risque de poser de redoutables problèmes.
On ne pourra pas reprocher aux salariés d'être plus enclins à se faire embaucher dans une grande entreprise déjà passée aux 35 heures et ayant un comité d'entreprise dynamique !
Ces deux mesures risquent de peser très lourdement sur les PME et sur les artisans en ce qui concerne l'embauche et la durée de présence des salariés dans l'entreprise. En fait, ces deux mesures conjuguées risquent de faire du salariat des PME un réservoir pour les grandes entreprises.
Qui plus est, la logique inquiétante suivie par différents ministères en matière d'emploi ne peut laisser indifférent. Je veux parler, en particulier, de cette logique qui consiste à créer des vacations accessibles aux retraités.
Ainsi, la fonction de juge de proximité est créée essentiellement pour des retraités qui ont eu une carrière professionnelle leur assurant pourtant une retraite satisfaisante. De même, le ministère de l'éducation nationale envisage, pour pallier la suppression de postes d'aide-éducateur et de surveillant, de faire appel à de nouvelles recrues, notamment des jeunes retraités, selon une note adressée aux recteurs d'académie. C'est aussi le secrétaire d'Etat aux transports et à la mer qui, lors de son audition par le groupe sénatorial d'étude de la mer, fait part de son idée de recruter des retraités navigants pour des vacations d'inspecteur des affaires maritimes.
Cette évolution, qui consiste à repousser de fait l'âge de la retraite, à substituer des compléments de retraites à des embauches de jeunes - lesquels ne trouveront pas d'emploi - entraîne une rupture totale avec la volonté du gouvernement précédent de faire entrer, dans les meilleures conditions, les jeunes dans la société du travail.
J'entends beaucoup parler de la valeur du travail. Les salariés, eux, savent ce que cela signifie, car c'est leur vie, c'est leur existence. Il faut voir la mobilisation des salariés quand des pans de restructuration d'une entreprise mettent en péril leur avenir. Ils veulent travailler !
Le cataclysme que nous avons connu en Basse-Normandie avec Moulinex n'était pas dû aux 35 heures : c'est la mauvaise gestion de l'entreprise qui était en cause.
Pour toutes ces raisons, qui ne sont pas dogmatiques, mais très pragmatiques, monsieur le ministre, nous avons plus qu'un doute sur la politique qui nous est proposée par le Gouvernement. En conséquence, vous l'avez compris, nous ne pouvons que nous opposer à l'ensemble de ces mesures. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. René Trégouët.
M. René Trégouët. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en moins de dix ans, c'est la quatrième fois que nous avons, au Sénat, un débat de fond sur la durée du travail.
A chacune de ces étapes, j'ai tenu à apporter à ce débat fondamental la modeste mais pragmatique contribution du chef d'entreprise que je suis.
Le 3 novembre 1993, lorsque nous fut présenté par M. Michel Giraud, ministre des affaires sociales dans le gouvernement de M. Balladur, le projet de la loi quinquennal sur l'emploi, j'avais dit non. Or nous n'étions pas nombreux, alors, à repousser ainsi la proposition qui nous était faite, après les élucubrations de M. Larrouturou, de permettre à des entreprises de réduire, à titre expérimental, à 32 heures la durée hebdomadaire du travail, et ce avec l'aide de fonds publics.
Après avoir avancé de très nombreux arguments, je motivais ainsi mon vote négatif : « Nous avons beau répéter que la semaine de 32 heures n'est mise en place qu'à titre expérimental, très vite va cheminer dans l'esprit des Français que le processus est maintenant inexorablement lancé. » Et je concluais mon intervention par ces mots : « Dès les prochaines années, cette réduction du temps de travail va devenir un thème majeur de société, sur lequel les Français risquent de se diviser dangeureusement. »
Je n'imaginais pas, alors, à quel point la réalité allait, hélas ! rejoindre mon intuition.
Le 21 mai 1996, devant M. Jacques Barrot, ministre du travail, venu défendre, au Sénat, ce que nous appelions la « loi de Robien », j'ai réitéré mon avis négatif en affirmant : « Laisser croire aux Français que, en travaillant moins, notre pays a plus de chances de préparer son avenir n'est pas le meilleur message qu'on puisse leur délivrer, surtout dans un contexte particulièrement défavorable et dans une compétition qui se mondialise de plus en plus. »
J'ajoutais, en conclusion, qu'il est très difficile, en proposant de diminer la durée du temps de travail, de donner confiance au pays.
Le 2 novembre 1999, la discussion sur la réduction du temps de travail revenait devant notre assemblée, et c'est Mme Aubry qui, cette fois, occupait le banc du Gouvernement.
En raison du caractère dogmatique et massif du dispositif proposé - la « loi de Robien » semblait bien timide, sinon artisanale, en comparaison ! -, la majorité du Sénat fut unanime pour s'opposer à ce projet de loi.
Voulant m'exprimer face à un ministre de gauche avec la même franchise, sinon la même brutalité, que je l'avais fait quelques années auparavant face à deux ministres de droite, je déclarai alors à Mme Aubry : « Si vous aviez voulu, madame le ministre, faire une loi qui regarde vers l'avenir et qui vous aurait fait entrer dans l'histoire, vous auriez dû nous proposer un texte qui protège les plus démunis et les plus exposés dans le terrible combat qui s'annonce. Or, loin de cela, le texte que vous présentez aujourd'hui, par son uniformité, par sa rigidité, par l'intervention des pouvoirs publics dans le contrat privé, va pénaliser davantage encore les plus faibles. »
La sanction est tombée au printemps dernier : le peuple a jugé. (M. Weber s'esclaffe.)
Nous voici donc, pour la quatrième fois en moins d'une décennie, réunis à nouveau pour discuter un texte relatif au temps de travail. Mais, cette fois-ci, contrairement à ce que j'ai fait en 1993, 1996 et en 1999, j'approuverai complètement le texte, monsieur le ministre, parce que la logique qui vous guide est fondamentalement différente de celles, bien proches les unes des autres, qui ont mené vos prédécesseurs sur une voie sans issue.
A l'encontre de la démarche choisie par Mme Aubry, qui pensait sincèrement, sans aucun doute, apporter le bonheur en réduisant le temps de travail de chacun, vous nous proposez un texte équilibré et subtil. Tous les acteurs, que ce soient les salariés, les entreprises ou les partenaires sociaux, sont traités avec respect ; ils pourront faire beaucoup de chemin ensemble, sans l'aide ni l'intervention des pouvoirs publics, s'ils utilisent avec intelligence toutes les potentialités de ce texte.
Ainsi, en apportant beaucoup plus de liberté dans la fixation des temps de travail, définis après négociation et avec responsabilité dans chaque branche, le Gouvernement reconnaît enfin que les besoins en temps de travail ne sont pas les mêmes dans une usine où sont fabriquées des chaussures, chez un maçon ou dans une banque. Cette différenciation liée au métier devra être reconnue au niveau des branches et se répercuter sur les salaires.
Pour compenser les pertes de pouvoir d'achat imposées aux revenus les plus faibles par le gouvernement socialiste, vous proposez de faire fortement évoluer le SMIC et de faire disparaître tous ses clones dès les prochaines années.
Mais, avec ce sens de l'équilibre qui caractérise fondamentalement votre texte, vous proposez aussitôt de diminuer substantiellement les charges des entreprises qui emploient ces smicards, afin que le coût du travail non qualifié, en particulier dans les entreprises de production soumises à forte concurrence, n'augmente pas.
En traitant ainsi globalement de la condition du salarié dans notre pays et en abordant, outre la question du temps de travail, celles des salaires des plus démunis et du coût du travail, vous entreprenez, monsieur le ministre, de sortir le char de l'Etat du bourbier dans lequel, il faut le reconnaître, il s'était enlisé, non pas depuis 1999, mais depuis dix ans.
M. Henri Weber. Quel poète ! (Sourires sur les travées socialistes.)
M. René Trégouët. Oh, mais vous serez sûrement meilleur que moi, monsieur Weber !
Tous les acteurs, salariés, entreprises ou partenaires sociaux, y trouveront leur intérêt.
Il était grand temps, car la dérive de la France dans la compétition mondiale aurait été irrattrapable.
J'apprécie beaucoup l'humilité et le pragmatisme avec lesquels le gouvernement de M. Raffarin remplit sa difficile mission.
Ainsi, contrairement à votre prédécesseur, vous reconnaissez, monsieur le ministre, ne pas détenir la vérité. Vous faites confiance aux partenaires sociaux, et je suis convaincu que votre secret espoir est de les voir, après réflexion et expérimentation, choisir les voies les plus pertinentes, ce qui vous dispensera d'imposer, au nom des pouvoirs publics, une solution forcément moins bonne que celle qui aura été mûrement réfléchie par l'ensemble des partenaires.
Cette voie du pragmatisme et de l'humilité est la bonne. Même si, à certains moments, des vents contraires se lèvent, il vous faudra maintenir le cap. Vous avez pour cela, monsieur le ministre, à la fois la compétence et la volonté nécessaires. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Joly.
M. Bernard Joly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les dispositions contenues dans le projet de loi que nous examinons aujourd'hui permettront, en mettant la négociation collective au sein de l'aménagement du temps de travail, de repartir sur de nouvelles bases. Celles-ci sont indispensables pour montrer qu'il existe un autre système économique que le modèle anglo-saxon, dont la fragilité prouve les limites. A raisonner exclusivement en termes de placements, de profits et de retour sur investissements, on débouche sur les plans de restructuration dévastateurs dont l'actualité plus ou moins récente fournit de tristes exemples.
Sur le Vieux Continent, l'économie dite « rhénane » s'appuie sur l'homme, le produit, le service et la redistribution. Elle ne peut se développer que si les partenaires sociaux sont mis en mesure de négocier et de trouver des accords qui fondent à la fois la justice sociale et l'efficacité économique.
Le nouvel équilibre mondial, avec l'émergence d'une Union européenne très élargie, constituant un bloc en parfaite équivalence avec les Etats-Unis d'Amérique en termes de population, de puissance de production et de commercialisation, implique que l'on restaure en France une liberté d'entreprendre garantissant les droits fondamentaux du travail. Les organisations au sein desquelles siègent les démocraties les plus puissantes vont intégrer des pays jusqu'alors mis à l'écart, pour des raisons évidentes de violation des droits de l'homme. Les défis de demain, pour ne pas dire d'aujourd'hui, ne peuvent être relevés si la présence de l'Etat est trop pesante ou si des mesures obligatoires sont appliquées uniformément. Les propositions contenues dans ce projet de loi, elles, tiennent compte de ces défis.
Qu'on le veuille ou non, les indicateurs économiques n'incitent pas à un enthousiasme immodéré. L'incidence de la réduction du temps de travail n'a été que très relative sur un marché de l'emploi essentiellement soutenu par une activité dynamique.
Le ralentissement général repousse l'espoir d'un retour au plein emploi et les entreprises ne voient aucune raison d'investir. Les prévisions sur le taux de croissance laissent sceptique une population « échaudée » par les analyses de commentateurs financiers, forcément avertis, qui n'ont pas vu venir l'effondrement de valeurs pourtant sûres. Cependant, il est indispensable de rétablir la confiance.
Privilégier la démarche selon laquelle il est toujours préjudiciable de changer des règles à peine entrées en vigueur me paraît réaliste et sain. Néanmoins, il convient d'avoir présent à l'esprit que 90 % des entreprises employant un peu moins de la moitié de l'effectif national des salariés n'ont pas souhaité avoir recours à la réduction du temps de travail. Parce que les PME, qui n'emploient souvent que quelques dizaines de personnes, se trouvent dans l'impossibilité d'appliquer une loi complexe qui ne tient pas compte des réalités, elles ne peuvent supporter la hausse du coût du travail générée par le dispositif et elles sont menacées de disparition. Donc, 35 heures il y a, et le postulat est conservé.
Le Gouvernement a entendu les entrepreneurs demander un assouplissement de cette durée légale maintenue. Le desserrement des heures supplémentaires est à la fois une variable d'ajustement indispensable pour la fluctuation de l'activité et un apport de rémunération apprécié des salariés. C'est par la négociation que les partenaires sociaux parviendront à l'ajustement nécessaire.
J'ai souhaité, par voie d'amendement, compléter le dispositif qui nous est soumis, notamment avec une disposition qui, me semble-t-il, a parfaitement sa place dans ce texte : effectuer ou non des heures supplémentaires, éventuellement lors des ouvertures de magasin le dimanche - ce qui est encore sujet tabou pour certains -, relève de la liberté individuelle, chacun devant pouvoir gérer sa vie comme il l'entend. On a trop souvent voulu faire croire que la pression du patronat s'assortissait du repérage des récalcitrants, qui écopaient alors de sanctions. Mais on peut aussi choisir de travailler pour obtenir ce que l'on privilégie, et la rémunération est, dans nos sociétés qui ne sont pas fondées sur le troc, le moyen d'y parvenir !
Par ailleurs, l'adhésion au dispostif proposé en matière de temps de travail supplémentaire négocié et accepté ne sera acquise qu'au prix du respect d'un équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle. Cette recherche d'adéquation suscite chez les cadres quelques inquiétudes si le forfait jour est proposé sans discernement à toutes les catégories. Certaines ne doivent pas être lésées du fait de leurs conditions de rémunération ! Or ce serait notamment le cas pour 23 % de la population des cadres rémunérés en dessous du plafond de la sécurité sociale, et il faut aussi parler de ceux dont l'implication dans la recherche, dans l'aboutissement de travaux non sécables ou dans la négociation de marchés extérieurs génère une accumulation de jours de RTT impossibles à prendre accolés, ou même isolément.
L'harmonisation des SMIC est une mesure incontournable. Il est inconcevable, pour une démocratie, de mettre de côté ceux dont le niveau de vie est le plus vulnérable. La référence de base a été perdue, la complexité des niveaux a généré une multiplication des taux ; finalement, ce sont les plus modestes qui ont vu leur pouvoir d'achat diminuer. Il faut quand même le dire, car les responsables de gauche sont très manichéens.
M. Jean Chérioux. Très bien !
M. Bernard Joly. A eux le monde de la générosité, du désintéressement et de la défense des démunis, à la droite le soutien du pouvoir de l'argent asservissant l'individu.
M. Henri Weber. Mais non !
M. Bernard Joly. Il faut rompre cette utopie. La gauche a fait du mal aux plus vulnérables d'entre nous !
C'est pourquoi l'allégement des charges sur les emplois les moins qualifiés constitue un instrument majeur. Ce n'est pas un cadeau aux entreprises, c'est une chance donnée à ceux qui ont le plus de difficultés à rejoindre une communauté active et un atout pour le pays afin d'accéder dans de bonnes conditions à une Europe dont la crédibilité et le poids dépendent de la solidité de ses composantes.
Vous avez indiqué, monsieur le ministre, que le surcoût pour les finances publiques serait intégralement compensé pour les régimes de sécurité sociale. Pourrait-on en savoir plus ?
Je souhaite très sincèrement, monsieur le ministre, que cette nouvelle orientation de la politique économique et sociale de notre pays porte ses fruits. Notre Haute Assemblée, par ses apports, espère y contribuer avec vous. C'est dans cet esprit que j'ai déposé un certain nombre d'amendements, et un avis favorable du Gouvernement à leur encontre me serait particulièrement agréable. (Sourires.)
Il convient de rompre le cycle actuel. En effet, l'économie se venge toujours des mauvaises décisions politiques. Les trois fautes graves qui ont marqué ces récentes années - l'instauration des 35 heures, le maintien en l'état du régime des retraites et la création des emplois-jeunes - ont laissé des traces, créé une fragilité et constitué des contentieux dont l'activité du pays traînera encore longtemps les handicaps. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jean Chérioux. Hélas !
M. le président. La parole est à M. Henri Weber.
M. Henri Weber. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme un certain nombre d'entre nous, j'ai participé, en mars 1998, au débat sur ce qui allait devenir la première loi Aubry, et je me souviens des propos que nos excellents collègues de la majorité sénatoriale ont tenus du haut de cette tribune.
M. Jean Chérioux. C'était prophétique !
M. Louis Souvet, rapporteur. Cela s'est révélé exact !
M. Henri Weber. Selon eux, la loi sur les 35 heures allait casser notre croissance économique,...
M. Eric Doligé. C'est le cas !
M. Henri Weber. ... compromettre durablement la compétitivité de nos entreprises,...
M. Jean Chérioux. C'est le cas !
M. Henri Weber. ... détourner les Français du travail et de la valeur « travail » au profit de l'oisiveté, mère de tous les vices,...
M. Jean Chérioux. Bravo !
M. Henri Weber. ... produire finalement le contraire de l'effet recherché. Cette loi allait accroître le chômage au lieu de le réduire et étendre la pauvreté au lieu de la résorber. Bref, c'était un bel exemple d'effets pervers.
M. Jean Chérioux. Elle n'a pas résorbé la pauvreté !
M. Henri Weber. Cinq ans plus tard, mes chers collègues, force est de constater - et nous nous en réjouissons ! - qu'aucune de ces prophéties de malheur ne s'est vérifiée.
Notre croissance économique n'a pas été entravée : elle s'est révélée, au contraire, avec 3 % par an en moyenne, la plus forte de celle des pays de la zone euro.
La compétitivité de nos entreprises n'a pas été compromise : elle a été, au contraire, améliorée, notamment grâce à l'amélioration de la productivité.
Nos exportations se sont accrues et notre balance commerciale est restée fortement excédentaire,...
M. Jean Chérioux. Elle est « restée » excédentaire !
M. Henri Weber. ... ce qui prouve que la compétitivité a été maintenue.
L'investissement n'a pas été découragé : il a, au contraire, atteint des sommets, avoisinant 8 à 10 % en 1998, 1999 et 2000, pour s'établir à 5,3 % par an sur la législature.
L'attractivité du site « France » n'a pas été ternie : notre pays s'est placé, au contraire, au troisième rang dans le monde pour l'accueil des investissements étrangers directs.
M. Jean Chérioux. Et le rapport Charzat ?
M. Henri Weber. L'emploi n'a pas été plombé : deux millions d'emplois supplémentaires...
M. Louis Souvet, rapporteur. Aidés !
M. Henri Weber. ... ont été, au contraire, créés en cinq ans, dont quatre cent mille sont directement dus à l'application des 35 heures.
Les Français ne se sont pas détournés du travail, au contraire : neuf cent mille d'entre eux y sont retournés en quittant l'ANPE, et la masse des heures de travail a augmenté de 9 %.
Les Français ne se sont pas détournés non plus de la valeur « travail » : ce qui pourrait les détourner de cette valeur, mes chers collègues, ce n'est pas la réduction de la durée du travail, c'est l'expérience traumatisante du chômage de longue durée, des emplois précaires sous-rémunérés et la surexploitation. Voilà ce qui atteint de plein fouet la valeur « travail » ! Ce n'est pas la réduction du temps de travail ! Ou alors il vous faudra, mes chers collègues, revenir sur la conquête des 40 heures pour retrouver les durées ô combien favorables de nos aïeux !
Monsieur le ministre, c'est en faisant reculer ces trois fléaux que sont le chômage de masse et de longue durée, le travail précaire qui s'étend et le travail sous-rémunéré que vous réhausserez la valeur « travail » dans notre pays.
Les Français ne se sont pas davantage appauvris : la consommation des ménages, dopée par la reprise de l'emploi, a augmenté de 3 % par an et elle a constitué l'un des moteurs les plus puissants de notre croissance économique.
La catastrophe annoncée ici même par nombre de nos collègues de l'actuelle majorité ne s'est donc pas produite, bien au contraire.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Demandez à Jospin !
M. Henri Weber. Cela étant, tout bilan honnête doit être contrasté.
Gilbert Chabroux rappelait à l'instant que 59 % des salariés qui sont passés aux 35 heures, c'est-à-dire pratiquement les deux tiers, se déclarent satisfaits. Cela fait tout de même 31 % qui ne le sont pas,...
M. Jean Chérioux. Non, 41 % !
M. Henri Weber. ... dont 13 % se disent carrément mécontents or, 13 % de neuf millions, mes chers collègues, cela fait tout de même beaucoup de monde !
M. Jean Chérioux. Eh oui !
M. Henri Weber. Nous savons que, là où le passage aux 35 heures a été mal négocié du fait de l'absence ou de la faiblesse des syndicats ou pour d'autres raisons, il y a eu des abus et des détournements de l'esprit de la loi et, en effet, quelquefois, une augmentation de la précarité et de la surexploitation.
Nous savons aussi que beaucoup de salariés aux revenus modestes préfèrent souvent faire des heures supplémentaires plutôt que de voir réduire leur temps de travail.
M. Jean Chérioux. C'est vrai !
M. Henri Weber. Mais ce qui leur était proposé, en 1997, face à un chômage massif qui touchait 3,5 millions de nos concitoyens, c'était justement de faire du recul du chômage la priorité des priorités, au prix d'une modération salariale. Ce contrat a été accepté, c'était celui sur lequel Lionel Jospin a gagné les élections législatives de 1997.
M. Louis Souvet, rapporteur. Mais il a perdu l'élection suivante !
M. Henri Weber. Evidemment, lorsque la perspective du plein emploi est apparue à nouveau à portée de main, les aspirations ont changé de nature - c'est un phénomène que l'on connaît bien - et elles se sont déplacées vers les rémunérations, nous en sommes tout à fait conscients. Nous ne sommes pas des dogmatiques, mais des pragmatiques,...
M. Jean Chérioux. C'est un scoop !
M. Didier Boulaud. Il y en a dans tous les camps !
M. Henri Weber. ... et nous avons reconnu très vite la nécessité de certaines adaptations dans l'application des 35 heures, en particulier dans les petites entreprises ; nous avons pris les mesures nécessaires en termes d'assouplissement et d'adaptation, mesures que vous vous contentez d'ailleurs pour l'instant de proroger avant de faire voter les vôtres.
Nous aurions préféré, évidemment, procéder à la réforme du temps de travail par la négociation collective plutôt que par la loi. Mais la négociation sur la réduction du temps de travail était bloquée en France depuis 1982, vous le savez bien.
Ce ne sont pas les maigres résultats de la loi de Robien, rappellés ici même par mon précédesseur à cette tribune - 2 300 accords concernant quelques centaines de milliers de salariés -, qui auront permis de réviser ce constat. Aussi avons-nous dû adopter une démarche en deux temps : d'abord une loi-cadre en 1998, ouvrant une phase de négociation intensive - plus de 100 000 accords ont été signés - puis une loi validant le résultat de ces négociations.
Mais les adéquations et les assouplissements que nous préconisons pour la loi sur les 35 heures diffèrent radicalement de ce que vous nous proposez aujourd'hui. Ils visent à améliorer cette loi, que nous considérons comme une grande conquête sociale de notre peuple, et non à l'abroger, ce qui est la finalité de votre texte, comme Gilbert Chabroux l'a brillamment démontré.
Votre projet cumule trois défauts majeurs.
En premier lieu, il va créer une France salariale à deux vitesses : les neuf millions de salariés qui sont déjà passés aux 35 heures y resteront, car ils sont attachés à cet acquis et sont bien décidés à le défendre. Mais l'autre moitié des salariés, qui n'y est pas encore - essentiellement le salariés des petites entreprises - n'y passera sans doute pas sous votre gouvernement, car vous avez annulé toutes les mesures incitant à ce passage : le repos compensateur, la forte majoration du coût des heures supplémentaires, l'allégement des charges conditionné à la mise en oeuvre des 35 heures.
Cette discrimination entre deux salariats augmentera les difficultés de recrutement de branches entières : je pense aux branches artisanales, aux métiers de bouche, aux entreprises du bâtiment, qui éprouvent déjà beaucoup de difficultés à trouver des jeunes pour travailler dans ces conditions.
En deuxième lieu, votre projet va aggraver la condition des salariés : en majorant de 10 % seulement les heures supplémentaires, vous condamnez les salariés à travailler plus si leur patron l'exige - car ce sont les patrons qui exigent les heures supplémentaires, ce ne sont pas les salariés ! - alors même qu'ils ne seront pas payés davantage.
En supprimant du code du travail toute référence aux 35 heures au profit de la seule mention des 1 600 heures par an, vous favorisez les procédures d'annualisation et la flexibilité du travail, qui est souvent l'autre nom de la précarité du travail.
En dernier lieu, en décourageant le passage aux 35 heures et en encourageant, au contraire, le recours aux heures supplémentaires, votre projet va aggraver le chômage à un moment où tous les moyens de le contenir méritent, au contraire, d'être pleinement mobilisés. Je pense, en particulier, aux contrats emploi solidarité, que vous voulez réduire d'un tiers, aux bourses d'accès à l'emploi, que vous vous apprêtez à supprimer, au programme TRACE, qui a démontré son efficacité mais dont nous ne savons pas quel sort vous lui réserverez, aux emplois-jeunes, que vous arrêtez sans être véritablement assurés de l'efficacité des contrats que vous leur substituez.
Commentant votre politique, M. Ernest-Antoine Seillière.
M. Didier Boulaud. Le baron !
M. Henri Weber. ... le baron - mais un baron qui aime rire - a déclaré : « Ce gouvernement n'avance peut-être pas dans le bon sens ; en tous les cas, il recule dans la bonne direction. »
M. Didier Boulaud. Les yeux fermés !
M. Henri Weber. Vous comprendrez, monsieur le ministre, mes chers collègues, que les socialistes que nous sommes ne souhaitent pas reculer avec vous dans la direction qui sied au président du MEDEF. C'est pourquoi nous voterons contre votre projet de loi. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
La parole est à M. le ministre.
M. François Fillon, ministre. Monsieur le président, je voudrais d'abord remercier le Sénat pour le débat que nous venons d'avoir, tout particulièrement M. le rapporteur.
M. Souvet a défendu le projet du Gouvernement en montrant bien qu'il était le fruit d'une concertation avec les partenaires sociaux, qu'un équilibre était né de cette concertation et qu'il ne devait pas être trop profondément bouleversé par la discussion parlementaire sous peine de risquer de nous placer en dehors du contrat qui a résulté de nos discussions.
Ce texte, vous l'avez bien dit, monsieur Souvet, n'est ni celui du MEDEF ni celui des organisations syndicales.
J'ai bien noté aussi les critiques de l'opposition sur le fait qu'aucune organisation syndicale - sauf une - n'aurait donné son accord. C'est une telle conception de la négociation que le gouvernement précédent a tout simplement renoncé à discuter avec les organisations syndicales ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) Car si l'on exige de la négociation qu'elle satisfasse les revendications de l'ensemble des partenaires sociaux, on ne peut qu'aller à l'échec !
J'ai écouté les partenaires sociaux. La discussion que j'ai eue avec eux m'a permis de déterminer ce que je crois être aujourd'hui la ligne de l'intérêt général.
Des critiques ont été formulées sur le texte de base - celui que nous avions présenté aux partenaires sociaux - par les uns et par les autres, par les organisations syndicales et par les représentants des entreprises. Nous les avons prises en compte chaque fois que c'était possible, chaque fois que le retrait des dispositions n'entamait pas l'équilibre général du texte, ne faisait pas pencher les choses de manière excessive d'un côté ou de l'autre.
C'est en ce sens que le projet de loi est le résultat d'une concertation, c'est en ce sens que je maintiens mon affirmation selon laquelle derrière le mur apparent des critiques, les dispositions que nous présentons aujourd'hui suscitent, de la part des partenaires sociaux, une attitude qui, certes, est critique sur un certain nombre de points, mais qui est positive sur d'autres, ce qui montre bien que le choix que le Gouvernement a fait ouvre des espaces de négociation, des espaces de dialogue dont, demain, ils se saisiront.
Je remercie aussi M. le rapporteur d'avoir bien voulu appeler à la relance des négociations sur les minima conventionnels, question fondamentale qui reste pendante depuis de nombreuses années et que, évidemment, les lois sur les 35 heures n'ont pas résolue, au contraire. Je compte sur son soutien et sur celui du Sénat pour m'aider à convaincre les partenaires sociaux d'engager les discussions sur ce point.
Je remercie la majorité d'avoir mis l'accent sur la cohérence de notre politique économique et financière et d'avoir remarqué avec nous qu'elle était différente de celle qu'avait conduite le gouvernement précédent.
Oui, nous avons décidé de changer de politique de l'emploi ! Oui, nous avons décidé de changer de politique économique et de politique sociale ! Les critiques que l'opposition a formulées sur ce changement m'amènent à dire quelques mots sur la politique de l'emploi et sur la politique économique du gouvernement précédent.
En dépit d'une croissance inédite, sa politique ne s'est caractérisée ni par une grande originalité, ni par une grande clarté, ni par une grande efficacité.
Elle s'est tout d'abord appuyée sur les recettes traditionnelles, et souvent conjoncturelles, de la lutte contre le chômage : embauches dans la fonction publique, emplois-jeunes, emplois subventionnés et de solidarité.
Contrairement à ce que vous affirmez, mesdames, messieurs les sénateurs de l'opposition - comme si, au fond, vous le souhaitiez pour pouvoir mieux asseoir vos critiques -, le Gouvernement ne réduira pas d'un tiers le nombre des contrats aidés. En fait, il a décidé d'adapter la politique en la matière aux réalités de la situation économique et de la situation de l'emploi.
La conception de la politique de l'emploi du précédent gouvernement a certes quelque utilité, mais n'a rien de très ambitieux puisqu'elle n'augmente pas l'offre d'emplois de l'appareil économique et productif français.
Cette politique s'est appuyée aussi sur une réduction brutale du temps de travail dont les résultats, en termes d'emplois, sont peu concluants : 300 000 emplois créés ou consolidés ! Or nul n'est véritablement en mesure de préciser si ces emplois sont dus à la croissance ou aux allégements de charges. Et nul n'est en mesure non plus d'évaluer le nombre d'emplois qui auraient été créés si la règle des 35 heures n'avait pas été systématisée de façon aussi rigide.
Puisque vous avez de bonnes lectures, je ne résiste pas au plaisir de vous lire le passage du rapport de la DARES sur l'impact de la réduction du temps de travail sur l'emploi de 1996 à 2001 inclus, que vous avez cité tout à l'heure :
« L'observation comparée des entreprises passées à 35 heures et de celles restées à 39 heures sur la base des données de l'enquête trimestrielle... permet d'estimer à 300 000 les créations imputables à la réduction du temps de travail et aux allégements de charges qui l'ont accompagnée, soit une contribution de 18 %... »
« Il n'est sans doute pas indifférent de relever la coïncidence entre les besoins en main-d'oeuvre ressentis par les entreprises au cours des dernières années, qui ont été des années de croissance de la demande, et l'opportunité offerte par l'Etat de soutenir les embauches correspondantes à l'occasion de la mise en place des 35 heures, via les allégements de charges. »
Il est bon également de rappeler que la politique économique et sociale de nos prédécesseurs a aussi beaucoup emprunté au libéralisme, à ce libéralisme qu'on nous oppose tant aujourd'hui. J'en veux pour preuve l'accélération des privatisations : il n'y en a jamais eu autant que sous le précédent gouvernement ! L'enclenchement de la baisse de l'impôt sur le revenu en 2000, l'allégement des charges sociales, que M. Roland Muzeau a critiqués tout à l'heure, sont aujourd'hui vilipendés par une partie de la gauche, alors qu'ils ont été largement - j'ai envie de dire : un peu cyniquement - utilisés par la gauche elle-même pour financer en partie sa politique dite « sociale ».
En réalité, mesdames et messieurs les sénateurs, c'est surtout la croissance mondiale qui aura permis à nos prédécesseurs d'afficher des résultats en termes d'emplois et de masquer les conséquences d'une politique qui s'est refusée à tout renouveau intellectuel et à toute véritable réforme de structure.
C'est en cela que nous pouvons dire aujourd'hui que la croissance a été mal exploitée. Les résultats sont là.
Vous avez dit tout à l'heure que la France était le pays qui avait le mieux fait en matière de réduction du chômage. La France se situait au douzième rang avant, elle est au douzième rang après ! Comment pouvez-vous dire que nous aurions, avec les 35 heures, avec le retour massif aux emplois aidés, mieux fait que les autres alors que finalement nous occupons toujours la même position ?
En réalité, la performance française en matière de création nette d'emplois marchands ne s'est pas écartée de la moyenne européenne - la France est partie d'une position basse - malgré le recours à des politiques qu'aucun autre pays européen n'a voulu mettre en oeuvre, comme l'a fait remarquer tout à l'heure M. Fourcade.
Les réformes des retraites et de l'Etat n'ont pas été engagées et tout reste à faire ! Nos prélèvements obligatoires continuent de se situer au-dessus de la moyenne européenne et tout reste à faire ! Les déficits ont fortement dérapé en 2002 et tout reste à faire ! Malgré quatre ans de forte croissance, le taux de pauvreté a atteint les 11 % et tout reste encore à faire !
Mais, au-delà de la polémique, les critiques formulées contre ce projet de loi et contre le Gouvernement posent de vraies questions. Comment mieux orienter notre politique de l'emploi ? Quelle orientation privilégier face à l'augmentation continue du chômage depuis un an et demi ?
L'expérience et les chiffres démontrent que les recettes traditionnelles, sans être inutiles, ne sont pas à la hauteur de nos espérances. D'où la nécessité d'agir avec pragmatisme, mais aussi en cherchant à enrichir notre approche, en trouvant d'autres leviers pour combattre le chômage.
Le Gouvernement sait bien que les personnes qui sont éloignées du travail trouvent dans les contrats aidés par l'Etat un moyen de construire un parcours vers l'emploi. Ces instruments de traitement social du chômage seront donc utilisés, mais de façon ajustée.
Oui, donc, à un traitement social du chômage ajusté et ciblé, mais notre principale ambition est bien de soutenir la création de vrais emplois offrant de réelles perspectives professionnelles.
La première illustration de cette ambition, c'est la loi portant création d'un dispositif de soutien à l'emploi des jeunes en entreprise que vous avez soutenue et votée.
Le deuxième volet de notre politique de l'emploi s'appuie précisément sur le projet de loi dont nous débattons aujourd'hui. Il tend à donner plus d'oxygène à notre économie et plus de pouvoir d'achat aux salariés les plus modestes. Il s'inspire en premier lieu de la conviction, étayée par l'expérience, que les baisses de charges patronales, orientées sur les bas salaires, sont efficaces contre le chômage.
Le chômage touche, en effet, principalement les personnes les moins qualifiées. Ce n'est pas anormal, compte tenu des effets de la globalisation de l'économie qui font que, naturellement, les pays en voie de développement aspirent au développement, se construisent progressivement un outil de production industriel et viennent naturellement en concurrence avec nos productions, en particulier dans les secteurs qui emploient une main-d'oeuvre nombreuse et peu qualifiée.
Vous savez que le chômage dépasse aujourd'hui 14 % parmi les personnes dont le niveau d'études est inférieur au second cycle de l'enseignement secondaire, alors qu'il est de 5,7 % parmi celles qui ont suivi un enseignement supérieur.
Lorsque la conjoncture est difficile, les moins qualifiés sont les premiers exposés. C'est la raison pour laquelle nous avons souhaité, avec l'harmonisation des SMIC et la reconfiguration du dispositif d'allégement de charges sur les bas salaires et les salaires moyens, peser à la fois sur le coût du travail et sur le pouvoir d'achat des salariés pour relancer notre machine économique et donner à nos entreprises des moyens de mieux résister à cette concurrence, au moins le temps que notre économie soit capable de s'adapter aux conséquences de la mondialisation.
Bien entendu, celle-ci continuera de produire ses effets, parce qu'elle va dans le sens de l'histoire. Que des pays pauvres veuillent se doter d'appareils de production constitue pour nous un vrai défi à relever, mais personne ne peut contester que cette réalité va dans le sens de l'histoire et du progrès à l'échelle du monde.
La France a été, en 1993, l'un des premiers pays en Europe à expérimenter une réduction générale des cotisations sociales. Depuis, d'autres ont suivi et, que ce soit en Belgique, aux Pays-Bas, en Allemagne ou en Italie, les résultats observés ont toujours été positifs.
Les économistes considèrent que les allégements de charges ont permis d'enrichir la croissance en emplois. Grâce à ces allégements, le seuil de croissance à partir duquel l'économie française est créatrice nette d'emplois serait passé de 2,5 % à 1,5 % dès 1994.
La baisse du nombre d'emplois peu qualifiés a été enrayée et la part des emplois peu qualifiés dans le total des emplois, après avoir baissé de sept points de 1983 à 1994, a recommencé à croître légèrement à partir de cette date. Cette inversion de tendance est un phénomène important, non seulement d'un point de vue économique, mais également pour notre cohésion sociale. Nous ne pouvons pas accepter que les progrès de notre économie laissent les moins armés dans la compétition sur le bord du chemin.
Voilà l'esprit général qui anime notre politique de l'emploi, qui a été à la fois l'objet du soutien de la majorité et des critiques vives de l'opposition. Nous continuerons à avoir ce débat. Mais, pour finir sur ce sujet, je souhaite m'expliquer sur une question qui m'a été posée à plusieurs reprises, notamment à l'Assemblée nationale, et qui recevra toujours la même réponse de ma part. Elle se résume en ces termes : « Combien d'emplois allez-vous créer ? »
Telle est donc la conception que l'opposition a de l'économie. A ses yeux, il appartient au Gouvernement de décider du nombre d'emplois qu'il entend créer.
On l'a bien vu au moment des débats que rappelait à l'instant M. Weber : 750 000 emplois, tel était l'objectif de Mme Aubry grâce à la réduction du temps de travail, 600 000 emplois-jeunes, mais aussi 300 000 dans le secteur public et 300 000 dans le secteur privé, c'était l'objectif.
On a vu le résultat ! L'emploi ne se décrète pas !
Pour ma part, j'aborde cette question avec une grande humilité. Je cherche simplement à redonner aux entreprises les libertés qui vont leur permettre de se développer. Je cherche à redonner à notre territoire de l'attractivité par rapport notamment aux autres territoires européens. Je cherche enfin à redonner aux salariés l'envie de se dépasser, de travailler et de se dire que, s'ils travaillent, ils pourront recueillir les fruits de leurs efforts.
Plusieurs membres du Sénat m'ont interrogé sur le sujet de l'astreinte. Je veux, une nouvelle fois, éclairer votre assemblée sur l'objectif de l'amendement qui a été adopté par l'Assemblée nationale et que le Gouvernement a soutenu.
Cet amendement reprend, mot pour mot - j'y insiste - les termes d'une circulaire signée par Mme Aubry le 3 mars 2000 et prise en application de la loi du 19 janvier 2000. Il s'agissait effectivement, pour le gouvernement précédent, d'expliquer et de préciser l'impact de la loi en matière d'astreinte, alors que se dessinait une jurisprudence qui s'écartait manifestement de la volonté qui avait été celle du Gouvernement.
Il ne s'agit pas d'assimiler l'astreinte à un temps de repos, ni de revenir sur les accords qui ont été négociés ou qui pourront l'être demain pour faire en sorte que l'astreinte, quelles que soient les conditions dans lesquelles elle se situe, soit rémunérée en tant que telle. Il s'agit simplement de faire en sorte que l'astreinte ne soit pas invoquée, lorsqu'il n'y a pas eu d'intervention, dans le décompte des temps de repos hebdomadaire et journalier. C'est le seul objectif de cet amendement, comme c'était le seul objectif de la circulaire de Mme Aubry, circulaire que je tiens, bien entendu, à la disposition de tous ceux qui souhaiteraient s'informer sur ce sujet.
Plusieurs d'entre vous ont dit, notamment sur les travées de l'opposition, et c'est bien normal, que le décret fixant le contingent d'heures supplémentaires à 180 heures n'avait pas fait l'objet de discussion avec les organisations syndicales et que sa publication en plein débat montrait que le Gouvernement n'avait pas de considération pour le Sénat. C'est évidemment tout le contraire !
D'abord, c'était déjà, dans le passé, un décret et non la loi qui avait fixé à 130 heures le contingent des heures supplémentaires.
Ensuite, le décret a été annoncé aux partenaires sociaux lors d'une réunion de la Commission nationale de la négociation collective, le 6 septembre. Il a été confirmé lors de la présentation du projet de loi en conseil des ministres, le 18 septembre, et il a été remis aux commissions compétentes lors de l'engagement du débat.
Il fallait sortir ce décret rapidement dans l'intérêt général et dans l'intérêt des entreprises et des salariés pour, sans attendre, permettre aux entreprises qui n'ont pas d'accord dans ce domaine de s'engager, si elles le souhaitent, dans la voie de l'augmentation du contingent d'heures supplémentaires, même si - cela va sans dire - la durée de 180 heures n'est pas applicable à l'ensemble de l'année 2002, le décret n'ayant pas d'effet rétroactif. Il convient de proratiser cette durée pour les dernières semaines de 2002, puisque c'est en général à la fin de l'année que l'on fait le décompte des heures supplémentaires.
Enfin, ce décret ne rend pas la négociation caduque, bien au contraire. En effet, c'est en partie en fonction des résultats de la négociation et des discussions dans les entreprises et dans les branches, et après avis du Conseil économique et social, que le Gouvernement fixera de manière définitive le contingent d'heures supplémentaires. Si nous avons annoncé qu'il y aurait une discussion sur ce sujet dans dix-huit mois, c'est bien parce que nous ne voulons pas fermer la porte à la négociation !
Plusieurs intervenants ont, parfois de manière assez goguenarde, évoqué la structure interministérielle que nous mettons en place pour faire face aux conséquences des plans sociaux. Je ne suis pas sûr qu'ils aient été bien inspirés de le faire, d'abord parce que nous avons tous eu à vivre, ces dernières années, les conséquences de plans sociaux.
Tout à l'heure a été évoqué l'exemple de Moulinex. Il se trouve que, en tant qu'ancien président de la région Pays de la Loire et ancien président du conseil général de la Sarthe, j'ai connu deux crises Moulinex. Je suis donc bien placé pour vous dire que l'absence de coordination entre les services de l'Etat, l'absence d'une réponse globale de l'Etat, à la fois sociale et économique, l'absence d'une coordination suffisamment organisée sur le terrain, l'absence de coordination entre l'Etat et les collectivités locales ont eu, bien évidemment, des conséquences sur la mise en oeuvre de ces plans sociaux.
On peut railler la personne que nous avons désignée pour animer cette coordination interministérielle en la traitant de « monsieur licenciement » mais, en cas de crise, nombre d'entre vous seront heureux qu'une structure leur permette d'avoir un accès direct à l'Etat de manière à envisager toutes les conséquences de ces plans sociaux, notamment en termes de reclassement des salariés et de réindustrialisation des bassins d'emplois.
Nous, nous ne voulons pas apporter à la question des restructurations industrielles une réponse sous forme de garanties formelles. Nous ne voulons pas non plus rester impuissants, comme l'avait été M. Jospin, alors Premier ministre, à la suite de l'annonce de la fermeture de l'usine de Vilvorde ou lors de l'affaire Moulinex.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Très bien !
M. François Fillon, ministre. Nous pensons, en effet, que les garanties formelles figurant dans la loi de modernisation sociale n'apportent aucune véritable sécurité aux salariés, et cela se vérifie tous les jours.
Je l'ai dit au Sénat la semaine dernière, les plans sociaux ont augmenté de 40 % au cours seulement des cinq premiers mois de l'année 2002. Nous, nous pensons que c'est aux partenaires sociaux de se mettre d'accord entre eux sur la meilleure façon de gérer les conséquences de ces restructurations industrielles qui sont, malheureusement, vous le savez bien, inévitables.
Une autre critique faite par plusieurs d'entre vous portait sur le fait que ce projet créerait un système à deux vitesses. Mesdames, messieurs les sénateurs de l'opposition, il fallait y penser quand vous avez voté le texte ! Qui pouvait imaginer un instant qu'un jour les artisans, les commerçants, les agriculteurs, les professions libérales, les travailleurs indépendants, les petites entreprises auraient accès aux 35 heures ? Personne ! D'ailleurs, à l'origine, le texte n'avait pas été conçu pour cela. Il n'avait même pas été conçu pour la fonction publique. La France a deux vitesses, dans ce domaine-là, c'est d'une certaine manière vous qui l'avez mise en oeuvre !
M. Alain Gournac. Exact !
M. François Fillon, ministre. Il est vrai que le projet que nous proposons aujourd'hui ne permet pas d'effacer les conséquences de ces décisions !
Il est une mesure que nous avons reprise car nous l'avions trouvée plutôt bonne, c'est celle qui consistait à permettre aux entreprises de moins de vingt salariés de ne pas appliquer le texte sur les 35 heures jusqu'à la fin de cette année. Nous prolongeons de trois ans cette dérogation qui avait été accordée par le gouvernement précédent.
Vous pouvez toujours dire que c'est trop long, mais vous ne pouvez quand même pas aller jusqu'à critiquer, comme vous l'avez fait tout à l'heure, une mesure que vous avez vous-mêmes portée et supportée !
Cela étant dit, peut-on penser que va perdurer une situation dans laquelle les entreprises françaises ont des conditions de travail différentes ? Je ne le crois pas. Pour ma part, je compte sur la négociation dans les branches pour que, progressivement, la situation des petites entreprises se rapproche, autant que possible, de celle des grandes entreprises. Si les petites et moyennes enteprises connaissaient cette situation trop longtemps, alors que les conditions démographiques peuvent provoquer des tensions sur le marché du travail, elles risqueraient de rencontrer des difficultés pour recruter du personnel qualifié.
Mais c'est aux entreprises, dans les branches, de trouver les bonnes réponses à cette question. Rien ne les empêche d'ailleurs de prendre aujourd'hui les mesures qu'elles entendent. Nous leur proposons, simplement, un cadre minimal à partir duquel c'est à elles de décider.
Je voudrais remercier M. Fourcade d'avoir rappelé au Sénat que nous étions en Europe et que nous avions mis en place une monnaie unique. Certains d'entre vous y étaient favorables ; d'autres - dont je faisais partie - étaient plus critiques.
M. Emmanuel Hamel. Et vous aviez raison !
M. François Fillon, ministre. Ils pensaient en effet que l'harmonisation sociale et l'harmonisation fiscale étaient un préalable nécessaire à l'euro.
Nous avons aujourd'hui la monnaie unique. Il nous faut maintenant travailler à l'harmonisation fiscale et à l'harmonisation sociale qui sont indispensables, faute de quoi notre territoire deviendrait de moins en moins attractif en Europe et les comparaisons avec les autres pays seraient de plus en plus rudes à soutenir. Je remarque d'ailleurs qu'aucun autre pays européen, qu'il soit géré par la gauche ou par la droite, ne s'est aventuré sur la voie sans issue que sont les 35 heures.
L'écart dans le temps de travail entre les différents pays européens pose aujourd'hui un vrai problème économique.
M. Henri Weber. Et la productivité ?
M. François Fillon, ministre. En Grande-Bretagne, pays qui n'est pas passé à la monnaie unique, le temps de travail moyen est supérieur à 45 heures, comme me le disait, voilà quelques jours, le ministre britannique du travail - un ministre de gauche -, qui était de passage à Paris. Bien entendu, je souhaite une diminution du temps de travail - il pensait la même chose d'ailleurs. Pourrons-nous éternellement connaître une monnaie unique et un espace économique européen avec des différences aussi importantes en ce qui concerne le temps de travail ? Je ne le crois pas.
J'essaie, à la place qui est la mienne, de faire en sorte que la Convention pour l'avenir de l'Europe, présidée par M. Valéry Giscard d'Estaing, prenne en compte la dimension sociale dans la construction européenne. Il y a là un équilibre à trouver avec l'ensemble des acteurs économiques.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je n'ai pas encore fait référence, et vous me le pardonnerez, à l'intervention de M. Chabroux. Pourtant, elle m'a posé plusieurs problèmes.
M. Alain Gournac. C'est intéressant !
M. François Fillon, ministre. J'ai d'abord commis l'erreur d'interrompre M. Chabroux : je me suis rendu compte assez rapidement que c'était ce qu'il cherchait !
M. Gilbert Chabroux. Non !
M. François Fillon, ministre. Son intervention a été non seulement provocatrice, voire parfois quelque peu insultante à l'égard du Gouvernement, notamment du ministre qui défend ce texte, mais surtout truffée d'erreurs manifestes et de caricatures. Je n'en citerai que deux pour éclairer la Haute Assemblée.
Emporté par son élan, M. Chabroux a souligné que nous avions décidé de baisser à 10 % le taux de bonification des quatre premières heures supplémentaires. On sait ce qu'il en est puisque c'est une décision que vous aviez appuyée en son temps, monsieur le sénateur. Vous avez même ajouté pour que la coupe soit pleine : « Et les suivantes » ! Eh bien non, monsieur Chabroux, parce que, au-delà des quatre premières heures, c'est de nouveau la règle des 25 % qui s'applique.
Vous avez dit ensuite qu'on pourrait faire travailler les gens sept jours sur sept. Non, monsieur Chabroux : la loi relative aux 35 heures prévoit un repos obligatoire et continue de s'appliquer.
M. Gilbert Chabroux. Je n'ai pas dit cela ! J'ai parlé des astreintes !
M. François Fillon, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, plutôt que de répondre à toutes les critiques émises par M. Chabroux, je préfère laisser à la gauche le soin de le faire. Je citerai simplement quelques interventions de ses amis sur les 35 heures.
En juillet dernier, M. Lang s'emportait contre « les risques d'une législation trop rigide et d'une application trop rapide ».
En juin 2002, M. Kouchner, avec beaucoup de franchise, précisait : « La façon dont les 35 heures ont été mises en place et ressenties a été l'une des causes fortes de l'échec de la gauche. »
M. Alain Gournac. Tiens !
M. François Fillon, ministre. « Dans la campagne, personne n'a jamais défendu devant moi les 35 heures, sauf les cadres supérieurs (...). Les autres ont surtout mis en avant les inconvénients de leur mise en place, les délais, les obstacles, les complications. Aménager le temps de travail, concluait M. Kouchner, c'est une affaire qui aurait dû être discutée sur plusieurs années. »
M. Henri Weber. Plusieurs sondages y sont favorables !
M. François Fillon, ministre. En mai 2002, Mme Royal estimait que « les 35 heures ont dégradé encore un peu plus les conditions de travail du monde salarié défavorisé ». (M. Alain Gournac se réjouit.)
En juin 2002, Henri Emmanuelli déclarait pour sa part : « Quand nous avons adopté la seconde loi Aubry, les salariés moyens ou modestes ont constaté des baisses de salaire. »
M. Henri Weber. Procédé misérable et stalinien !
M. Alain Gournac. Ça les gêne !
M. René-Pierre Signé. Il appelle la gauche à son secours !
M. François Fillon, ministre. « Qu'elles soient dues à la diminution du tarif des heures supplémentaires ou du salaire, ça revenait au même pour eux ! »
M. René-Pierre Signé. Ce n'est pas une bonne argumentation !
M. François Fillon, ministre. Je suis désolé de citer Marie-Noëlle Lienemann : « Les 35 heures, qui devaient être l'une des belles avancées de la gauche, ont vite tourné au vinaigre ».
M. René-Pierre Signé. Il manque d'arguments personnels !
M. François Fillon, ministre. Evoquant la multiplication des SMIC, elle déclare : « Le mécanisme des cinq SMIC mérite de figurer dans le Livre des records. » (M. Alain Gournac rit.) « Une artillerie lourde, complexe, a été inventée,...
M. René-Pierre Signé. Il manque vraiment de souffle !
M. François Fillon, ministre. ... rompant avec l'idée fondamentale : à travail égal, salaire égal. »
Je pourrais aussi évoquer Maxime Gremetz (Exclamations amusées sur les travées du RPR), qui réclamait, le 7 septembre 1999, « une augmentation de 11,4 % du taux horaire du SMIC,...
M. Roland Muzeau. M. Fourcade l'a presque proposée !
M. François Fillon, ministre. ... car le système mis en place n'est pas satisfaisant du tout » ! Je reconnais à M. Muzeau la cohérence des positions du groupe communiste sur ce point.
M. Allègre avoue, lui, en 2002 : « Je n'étais pas, à l'origine, un fana des 35 heures, car je préfère la diversité. Le même temps de travail pour tous, cela a quelque chose de bizarre et d'un peu systématique. »
M. Alain Gournac. Tiens !
M. François Fillon, ministre. Je ne sais pas si je peux citer, sans déclencher l'ire de l'opposition, M. Jean-Pierre Chevènement, qui affirmait, pour sa part, au printemps 2002,...
M. Henri Weber. Cela prouve quoi ?
M. François Fillon, ministre. ... qu'il était partisan « d'une mesure générale d'assouplissement des 35 heures ».
M. Henri Weber. De tels procédés rappellent l'école stalinienne de la falsification !
M. François Fillon, ministre. Enfin, car je le gardais pour la fin, en novembre 2000, M. Laurent Fabius observait que « les situations des entreprises ne sont pas toutes les mêmes ».
M. Henri Weber. Très juste !
M. François Fillon, ministre. Il disait encore : « Pour certaines entreprises, les 35 heures ne posent pas de problème, pour d'autres, c'est plus difficile. »
M. René-Pierre Signé. Et alors ?
M. François Fillon, ministre. « Des lois ont été votées, on ne les annulera pas, mais nous devons certainement traiter les situations diverses avec souplesse. » (Exclamations amusées et applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Alain Gournac. Vive la souplesse !
M. François Fillon, ministre. Eh bien, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est précisément ce que fait aujourd'hui le Gouvernement, qui laisse la conclusion de ce débat aux partenaires sociaux, parce que c'est eux qui démontreront, avec le temps, la capacité du corps social à utiliser les espaces de liberté que vous allez leur donner,...
M. René-Pierre Signé. Que vous supprimez !
M. François Fillon, ministre. ... grâce au projet de loi que vous allez voter, pour adapter, assouplir, améliorer à la fois les conditions de développement de notre économie et la condition des salariés. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Motion d'ordre



M. le président.
Avant de suspendre la séance, je voudrais soumettre au Sénat une mesure d'ordre relative à l'article 2.
Sur cet article, relatif au régime de la durée du travail, ont été déposés soixante-cinq amendements, soit près de la moitié de la totalité des amendements déposés sur le projet de loi.
M. Gilbert Chabroux et les membres du groupe socialiste ont déposé un amendement n° 38 de suppression de l'article 2. Cet amendement a pour effet mécanique de mettre en discussion commune la liasse des soixante-cinq amendements, ce qui risque de rendre peu compréhensibles nos débats.
C'est pourquoi, à la demande de la commission des affaires sociales, je vous proposerai, le moment venu, d'appeler d'abord en discussion l'amendement de suppression de l'article, puis, s'il y a lieu,...
M. Claude Domeizel. Pure hypothèse ! (Sourires.)
M. le président. ... d'examiner ensuite les autres amendements, séparément ou dans le cadre des sous-discussions communes qui s'y rapportent, selon le cas.
M. Louis Souvet, rapporteur. Tout à fait !
M. le président. Je consulte le Sénat sur cette façon de faire, qui contribuera à assurer la clarté de nos débats sans altérer le droit de parole de tous les auteurs d'amendements.
Il n'y a pas d'opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
Plusieurs sénateurs du RPR. Très bien !
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.


(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de M. Daniel Hoeffel.)

PRÉSIDENCE de M. DANIEL HOEFFEL
vice-président

M. le président. La séance est reprise.
Je rappelle que la discussion générale a été close.
Nous passons à la discussion des articles.

TITRE 1er

DISPOSITIONS RELATIVES
AU SALAIRE MINIMUM DE CROISSANCE

Article 1er



M. le président.
« Art. 1er. - L'article 32 de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail est ainsi modifié :
« 1° Les deux premiers alinéas du I sont ainsi rédigés :
« Les salariés dont la durée du travail a été réduite à 35 heures ou plus à compter de l'entrée en vigueur de la loi n° 98-461 du 13 juin 1998 d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail ne peuvent percevoir un salaire mensuel inférieur au produit du nombre d'heures correspondant à la durée collective qui leur était applicable, dans la limite de 169 heures, par le salaire minimum de croissance en vigueur à la date de la réduction ou celui en vigueur au 1er juillet 2002 pour les salariés dont les entreprises réduisent la durée collective de travail postérieurement à cette date. Cette garantie est assurée par le versement d'un complément différentiel de salaire.
« Le minimum applicable à chaque salarié concerné par le premier alinéa est revalorisé au 1er juillet en fonction de l'évolution de l'indice des prix à la consommation mentionné à l'article L. 141-3 du code du travail. Cette revalorisation est majorée, par tranches annuelles égales, de sorte qu'au 1er juillet 2005 au plus tard le minimum applicable à chaque salarié soit égal au minimum revalorisé prévu au premier alinéa pour les salariés dont les entreprises réduisent la durée collective de travail postérieurement au 1er juillet 2002. Les taux de revalorisation ainsi déterminés sont fixés par arrêté. » ;
« 2° Le V est ainsi rédigé :
« V. - A titre transitoire, par dérogation aux dispositions de l'article L. 141-5 du code du travail et jusqu'au 1er juillet 2005, le salaire minimum de croissance prévu à l'article L. 141-2 dudit code est revalorisé chaque année, avec effet au 1er juillet, selon les modalités prévues au premier alinéa de l'article L. 141-3 dudit code. Cette revalorisation est majorée annuellement en vue de rendre sans objet au 1er juillet 2005 la garantie mentionnée au I. »
M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau sur l'article.
M. Roland Muzeau. Monsieur le ministre, vous avez affiché votre volonté d'unifier les SMIC afin de permettre à l'immense majorité des salariés concernés de voir augmenter leur feuille de paie. C'est la promesse faite de « travailler plus pour gagner plus ».
On aurait presque envie d'applaudir une telle reconnaissance de la nécessité d'augmenter le pouvoir d'achat des salariés !
Malheureusement, la réalité est tout autre.
Vous prétendez mettre fin à l'inégalité que constituent les différents SMIC.
En réalité, les six SMIC sont maintenus jusqu'au terme maximal prévu par la loi Aubry, soit 2005, alors que l'on aurait pu unifier les garanties mensuelles de rémunérations, les fameux GMR, au 1er juillet 2003. A cette date, on aurait pu relever le taux horaire du SMIC de 11,4 %, indépendamment des autres mécanismes de relèvement, et appliquer le nouveau SMIC sur la base de 151,67 heures.
Or, la sortie du dispositif multi-SMIC est étalée dans le temps et se fait en plusieurs étages.
Pour les salariés qui passeront aux 35 heures après le 1er juillet 2003, la garantie sera celle en vigueur depuis le 1er juillet 2002, revalorisée selon l'indice INSEE. Elle sera inférieure de 3,8 % au SMIC sur 169 heures. Il y aura donc un risque de baisse de salaire au moment du passage aux 35 heures.
La loi n'assure même plus la garantie du maintien du salaire pour ces salariés-là. Alors qu'ils auraient dû bénéficier au 1er juillet 2003 du « coup de pouce » de 3,8 % en plus de l'inflation, et au moment du passage aux 35 heures, leur garantie sera calée sur le SMIC de 2002, simplement relevé de l'inflation.
Les salariés qui passeront aux 35 heures à partir du 1er juillet 2002 ne bénéficieront d'aucune progression de leur pouvoir d'achat jusqu'en 2005. C'est un gel inadmissible, surtout s'agissant des plus bas salaires.
En outre, l'indexation de la garantie sur les gains de pouvoir d'achat du salaire mensuel est supprimée jusqu'en 2005. Seule reste l'indexation sur l'indice INSEE.
Quant aux autres salariés, couverts par une garantie mensuelle, la hausse effective hors inflation s'échelonnera sur trois ans entre 0,6 % et 4,9 %. On est donc bien loin des 11,4 % annoncés.
La hausse affichée de 11,4 % du SMIC horaire sera en fait obtenue en supprimant, pendant trois ans, l'indexation du SMIC sur les gains de pouvoir d'achat des salaires et en détournant les « coups de pouce » normalement destinés à réévaluer le niveau du SMIC.
La suppression - fût-elle temporaire - d'une des clauses d'indexation du SMIC est d'autant plus préoccupante que ce mécanisme intervient pour 40 % dans sa hausse normale.
On prétend relever le SMIC horaire de 11,4 %, mais cela se fait au détriment des mécanismes d'évolution normaux du SMIC. La méthode utilisée pour y parvenir rend le dispositif pervers. En effet, une bonne partie de la hausse annoncée aurait, de toute façon, été obtenue.
Pour les salariés qui sont passés aux 35 heures entre le 1er juillet 1999 et le 30 juin 2000, la méthode utilisée par le Gouvernement leur fera perdre au 1er juillet 2003 1 092 euros de pouvoir d'achat par rapport au SMIC mensuel calculé sur 169 heures.
En fait, tout est construit pour inciter les patrons à payer un salarié 39 heures au SMIC, plutôt que 35 heures à 1,3 ou 1,4 SMIC. C'est un effet d'aubaine pour ceux qui ne réduiront pas le temps de travail. C'est une incitation à baisser les salaires et à augmenter le temps de travail, à recourir à l'emploi non qualifié contre l'emploi qualifié et bien rémunéré, et à accroître le temps partiel et la précarité.
Dans ces conditions, les patrons sont appelés à revoir les accords déjà signés !
Telle est la réalité sur les effets de votre projet de loi, monsieur le ministre, que nous refusons et qui motivent nos amendements.
M. le président. L'amendement n° 76, présenté par M. Muzeau, Mme Demessine, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« Dans la première phrase du premier alinéa du texte proposé par le 1° de cet article pour modifier l'article 32 de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000, après les mots : "salaire minimum de croissance" supprimer les mots : "en vigueur à la date de la réduction ou celui". »
La parole est à M. Roland Muzeau.
M. Roland Muzeau. Permettez-moi, monsieur le président, de défendre en même temps quatre amendements interdépendants, que nous avons déposés pour modifier l'article 1er, dans la mesure où ils ont un objet unique : proposer un autre schéma de convergence du SMIC.
Le Conseil économique et social, dans son avis du 10 juillet 2002, a envisagé trois solutions pour sortir de l'imbroglio actuel, où coexistent un SMIC horaire et plusieurs garanties mensuelles.
Notre préférence va naturellement vers la solution impliquant une convergence rapide par le haut, qui est la seule à pouvoir garantir aux salariés la préservation de leur pouvoir d'achat et à pouvoir rétablir l'égalité de rémunération à travail égal.
C'est une condition d'autant plus nécessaire que les salariés rémunérés au SMIC, passés le plus tôt aux 35 heures, ont été les plus gravement pénalisés par le dispositif inéquitable en vigueur.
Afin que les salaires les plus bas augmentent réellement, nous envisageons d'aligner immédiatement - et non pas sur trois ans - le montant des différents SMIC des salariés passés aux 35 heures sur le niveau du SMIC établi au 1er juillet 2002 et d'augmenter de 11,4 % le SMIC au 1er juillet 2003.
Par ailleurs, nous souhaitons supprimer la modification des règles de revalorisation du SMIC horaire.
Même transitoire, la désindexation du SMIC de l'augmentation du pouvoir d'achat du salaire horaire moyen est inacceptable.
Contrairement au MEDEF, nous n'attribuons pas au salaire minimum un effet négatif sur l'emploi. Nous ne pensons pas que la fonction du SMIC, conçue voilà trente-deux ans, doive être clarifiée.
C'est pour éviter toute remise en cause du SMIC, de sa fonction sociale, que nous nous opposons aujourd'hui fermement au maintien en l'état des dispositions de cet article.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Louis Souvet, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur l'amendement n° 76 au motif qu'il prévoit une convergence immédiate des différentes GRM. Evidemment, telle n'est pas la structure - ou l'architecture à laquelle nous nous sommes identifiés.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. François Fillon, ministre. Le choix du Gouvernement, qui a d'ailleurs suivi en cela très largement l'un des scénarios proposés par le Conseil économique et social, est un choix de convergence en trois ans. Beaucoup le considèrent comme audacieux, trop audacieux même à en croire les responsables d'entreprise, car il va, selon eux, peser sur le coût du travail. C'est d'ailleurs ce qui nous a conduits à mettre en place une politique d'allégements également audacieuse.
Vouloir raccourcir le délai de convergence n'est évidemment pas raisonnable. Le dispositif que nous proposons se soldera bien par une hausse de 11,4 % du SMIC horaire, qui concerne aujourd'hui 40 % des salariés au SMIC. En moyenne, il se traduira, pour l'ensemble des salariés au SMIC, par une hausse de 6,5 % à laquelle il faut ajouter l'augmentation du coût de la vie.
Je rappellerai un point d'histoire à M. Muzeau, qui ne l'ignore sans doute pas : la dernière fois qu'on a augmenté le SMIC dans cette proportion - 10 %, en 1981 - une dévaluation est rapidement intervenue...
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 76.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. L'amendement n° 35, présenté par MM. Chabroux, Godefroy, Weber et Domeizel, Mmes San Vicente, Printz et les membres du groupe Socialiste, apparenté et rattaché, est ainsi libellé :
« Compléter la première phrase du premier alinéa du texte proposé par le 1° de cet article pour les deux premiers alinéas du I de l'article 32 de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 par les mots : "et en fonction de l'accroissement annuel du pouvoir d'achat des salaires horaires moyens mentionné à l'article L. 141-5 du code du travail". »
La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy. La loi « Aubry II » sur les 35 heures impose de revenir à l'harmonisation du salaire minimum au plus tard le 1er janvier 2005. Le Gouvernement propose d'atteindre cet objectif en procédant par étapes.
Vous bloquez d'abord la création de nouvelles garanties de rémunérations mensuelles après le 1er juillet 2002. Vous freinez l'évolution de la dernière GRM en l'indexant sur la seule hausse des prix INSEE.
Vous procédez ensuite à une majoration différenciée des autres GRM, en vue de réaliser leur convergence au 1er juillet 2005 sur la valeur de la dernière garantie créée le 1er juillet 2002.
Vous revalorisez enfin le salaire minimum en l'indexant, là encore, sur le seul indice des prix. Vous abandonnez donc la référence à la progression du pouvoir d'achat du salaire horaire, vous réservant d'accorder, autant que de besoin, des « coups de pouce » annuels pour faire converger le SMIC versé pour 35 heures de travail hebdomadaire avec le niveau unique de la GRM prévu au 1er juillet 2005.
Si nous nous réjouissons tous de l'harmonisation du salaire minimum en 2005, nous contestons en revanche avec force la méthode choisie par le Gouvernement parmi les propositions du Conseil économique et social. Ce dernier a en effet exprimé le souhait que le SMIC reste bien un salaire de croissance - comme l'indique le « C » - et intègre donc une participation aux fruits de la croissance.
Or, si votre projet de loi était adopté, le SMIC décrocherait de la croissance. Vous abandonnez en effet la référence à la progression du pouvoir d'achat du salaire horaire dans le calcul de la revalorisation du SMIC, ce qui conduira à des pertes importantes de pouvoir d'achat pour les salariés concernés.
De 1997 à 2002, moins de la moitié de la progression du salaire minimum est due au mécanisme d'indexation sur l'indice INSEE. Si votre proposition avait été appliquée cette année, la revalorisation du SMIC aurait été amputée de 40 % au 1er juillet pour s'établir à 1,49 % au lieu de 2,42 %. Ce dispositif conduit donc les smicards à financer eux-mêmes une partie de la réduction du temps de travail puisqu'il limite le niveau de la revalorisation salariale qui leur est actuellement accordée par la loi.
Vous dites, monsieur le ministre, que cette remise en cause de la loi n'est que transitoire et par dérogation jusqu'en 2005. Mais l'inquiétude est toutefois permise quant à la validité de ce type de promesse. Et l'influence du MEDEF sur le Gouvernement n'est pas de nature à nous rassurer. Ce que le MEDEF réclame, c'est ni plus ni moins la mise à mort du SMIC. Il propose notamment de confier, non plus au Gouvernement, mais à une commission indépendante, la responsabilité de décider de la revalorisation en fonction des gains de productivité réalisés par les salariés les moins qualifiés et des effets d'une éventuelle revalorisation sur l'emploi. Tout un programme dont nous ne voulons pas !
L'amendement n° 35 vise à rétablir la base de calcul de la revalorisation du SMIC en tenant compte de la croissance et à nous prémunir contre le risque que recèle la position du MEDEF.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Louis Souvet, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement qui vise à revaloriser les garanties mensuelles sur le modèle du SMIC. A moins d'augmenter le SMIC de 20 à 25 %, son adoption rendrait impossible la convergence recherchée.
J'ajoute que cet amendement porte sans doute sur la première phrase du deuxième alinéa et non pas sur celle du premier alinéa de cet article. Il s'agit vraisemblablement d'une erreur de nos collègues.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. François Fillon, ministre. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
Premièrement, monsieur Godefroy, si la loi Aubry a fixé la date à laquelle la convergence devait se produire, elle s'est bien gardée de préciser les modalités de cette dernière.
Deuxièmement, le compromis que nous avons adopté, et qui fait partie des scénarios élaborés par le Conseil économique et social, a été salué par plusieurs organisations syndicales. Tout à l'heure, vous avez voulu faire croire que, sur ce sujet, elles s'étaient toutes opposées aux propositions du Gouvernement. Vous aurez l'honnêteté de reconnaître avec moi que la CFDT a salué notre choix d'une convergence rapide et qu'elle n'a pas remis en cause le dispositif soumis à votre examen.
Troisièmement, le Gouvernement est attaché au SMIC. Telle est la raison pour laquelle je me suis opposé à toute réforme d'ensemble du salaire minimum, qui était souhaitée par certains. Le SMIC est selon moi plus qu'une variable technique. C'est un symbole et j'y vois un élément très important en matière de politique salariale, un élément de référence qui avait justement perdu toute sa visibilité avec la multiplicité des SMIC.
L'adoption de cet amendement rendrait la convergence pratiquement impossible, en tout cas dans les délais que nous prévoyons, alors même que nombre des salariés qui, grâce au dispositif du texte en discussion, vont voir leur salaire augmenter de façon importante, ont subi un gel de salaire, alors même que les salariés concernés par la dernière garantie mensuelle, ceux qui travaillent dans les entreprises passées aux 35 heures après le 1er juillet 2002, représentent 10 % des salariés rémunérés au SMIC. Ce sont justement eux qui ont eu les gains de pouvoir d'achat les plus importants par rapport à l'ensemble des personnes rémunérées au SMIC - 5,7 % depuis 1998 - soit 1 % de plus en moyenne que les autres catégories de smicards.
Je crois donc qu'il y a une vraie logique à suivre les propositions du Gouvernement.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 35.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. L'amendement n° 77, présenté par M. Muzeau, Mme Demessine, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« Supprimer la dernière phrase du premier alinéa du texte proposé par le 1° de cet article pour modifier l'article 32 de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000.»
Cet amendement a déjà été défendu.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Louis Souvet, rapporteur. Il s'agit d'un amendement de cohérence, et, par cohérence, nous y sommes défavorables.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. François Fillon, ministre. Même avis.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 77.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je suis saisi de trois amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 36 est présenté par MM. Chabroux, Godefroy, Weber et Domeizel, Mmes San Vicente, Printz et les membres du groupe socialiste, apparenté et rattachée.
L'amendement n° 78 est présenté par M. Muzeau, Mme Demessine, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
« Supprimer le 2° de cet article. »
L'amendement n° 79, présenté par M. Muzeau, Mme Demessine, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« Rédiger ainsi le texte proposé par le 2° de cet article pour le V de l'article 32 de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 :
« V. - Le salaire minimum de croissance prévu à l'article L. 141-2 du code du travail est revalorisé de 11,4 % au 1er juillet 2003. »
Ces trois amendements ont déjà été soutenus.
Quel est l'avis de la commission !
M. Louis Souvet, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable : ces amendements conduiraient à ne plus fixer dans la loi les moyens de l'harmonisation des différents salaires minima.
J'ajoute que, lors de son audition par la commission, le rapporteur du Conseil économique et social a confirmé que les revalorisations du SMIC seront sans aucun doute largement supérieures à celles qui sont prévues par le mécanisme actuel d'indexation.
Les craintes exprimées sont donc infondées, la présente mesure n'ayant que vocation conservatoire.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. François Fillon, ministre. Défavorable.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques n°s 36 et 78.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 79.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)

Article additionnel après l'article 1er



M. le président.
L'amendement n° 80, présenté par M. Muzeau, Mme Demessine, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« Après l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article L. 141-9 du code du travail est inséré un article ainsi rédigé :
« Art. L. ... - Les barèmes de salaires des conventions ou accords collectifs de travail ne peuvent comporter des rémunérations minimales inférieures au SMIC. »
La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer. Le bilan 2001 de la négociation collective fait état de la dégradation des minima de branche par rapport au SMIC et à la garantie mensuelle de rémunération. Les minima de près des trois quarts des branches ne seraient pas conformes au SMIC !
Dans le secteur de la métallurgie, parmi les cinquante-cinq branches disposant d'un barème 39 heures, 93 % ont des barèmes de rémunérations minimales inférieures au SMIC.
Face à un tel constat, nous ne pouvons nous satisfaire de votre souhait, monsieur le ministre, de voir relancer les négociations sur les minima. Nous sommes conscients des insuffisances de la négociation collective, en ce domaine notamment.
Pour remédier à cette situation de blocage - préjudiciable aux salariés, qui, légitimement, sont en droit d'attendre une augmentation de leur pouvoir d'achat - due au refus des organisations patronales de réactualiser les grilles de salaires, nous proposons par cet amendement d'inciter les partenaires sociaux à engager des discussions.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Louis Souvet, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable.
En effet, cet amendement vise, semble-t-il, à revaloriser instantanément les minima conventionnels pour les ramener au niveau du SMIC. Cette démarche semble impraticable, car elle entraînerait une remise en cause totale de l'ensemble des grilles de salaires.
En revanche, votre rapporteur est favorable à une révision négociée des minima conventionnels - il l'a dit d'ailleurs dans la discussion générale.
Il n'est pas sain en effet, comme l'a observé M. le Président de la République, que ceux-ci soient inférieurs au SMIC dans les trois quarts des branches.
Sur ce point, je souhaite que la lisibilité inédite qu'offre le projet de loi sur l'évolution des bas salaires sur trois ans constitue, monsieur le ministre, une occasion de remettre à niveau les minima conventionnels. Je suis persuadé que si vous vous attaquiez aussi à cette question, nombre de membres de la commission des affaires sociales seraient pleinement satisfaits.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. François Fillon, ministre. Je l'ai dit tout à l'heure, le Gouvernement est favorable à la reprise des négociations sur les minima de branches. Je l'ai d'ailleurs signifié à plusieurs reprises aux partenaires sociaux.
En revanche, le Gouvernement est défavorable à l'adoption de l'amendement n° 80 parce que la négociation salariale doit résulter de l'accord entre les partenaires sociaux. C'est la libre négociation entre les partenaires sociaux qui peut, dans une économie moderne et ouverte comme la nôtre, permettre de régler la question.
Il n'est cependant pas constestable que le choix que nous allons faire d'augmenter le SMIC et de mettre en oeuvre un mécanisme de convergence rapide pèsera sur l'ensemble des négociations dans le sens que souhaitent les auteurs de cet amendement et M. le rapporteur.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 80.

(L'amendement n'est pas adopté.)

TITRE II

DISPOSITIONS RELATIVES
AU TEMPS DE TRAVAIL

Article additionnel avant l'article 2



M. le président.
L'amendement n° 37, présenté par MM. Chabroux, Godefroy, Weber et Domeizel, Mmes San Vicente, Printz et les membres du groupe socialiste, apparenté et rattachée, est ainsi libellé :
« Avant l'article 2, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Les heures supplémentaires constituent, pour les entreprises qui n'ont pas recours à la modulation ou à l'annulation des horaires, la première variable d'ajustement à leur disposition pour faire face aux variations d'activité auxquelles elles sont confrontées.
« Leur utilisation apporte une réponse aux surcroîts ponctuels d'activité, en particulier lorsqu'ils sont imprévisibles, et doit donc être limitée à cet objet. »
La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy. L'article 2 conduit à la banalisation des heures supplémentaires, qui deviendront des heures structurelles, logique qui permettra de revenir à un dispositif de 39 heures grâce au coût très faible - plus 10 % - des quatre premières heures supplémentaires. Comme dans la discussion générale, je ne fais ici que citer M. le Premier ministre, qui s'exprimait ainsi à Strasbourg, le 6 septembre dernier.
Or ces heures supplémentaires ne peuvent être considérées comme des heures structurelles : elles constituent pour les entreprises qui n'ont pas recours à la modulation ou à l'annualisation des horaires la première variable d'ajustement à leur disposition pour faire face aux variations d'activité auxquelles elles sont confrontées. Leur utilisation apporte une réponse aux éventuels surcroîts d'activité, en particulier lorsqu'ils sont imprévisibles, et doit donc être limitée à cet objet.
L'amendement que nous présentons donne une définition des heures supplémentaires et de leur objet conforme aux dispositions de l'accord national interprofessionnel sur l'emploi du 31 octobre 1995. Il faut rappeler que, lors de l'instauration en 1982 du contingent d'heures supplémentaires, il a été précisé que celles-ci devaient se justifier par un surcroît d'activité. L'accord national interprofessionnel du 31 octobre 1995 vise quant à lui les pointes d'activité imprévisibles.
La chambre sociale de la Cour de cassation a de longue date confirmé la validité de ces critères que nous souhaitons voir maintenus.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Louis Souvet, rapporteur. Ce qui vient d'être dit ne s'applique évidemment pas à l'ensemble des entreprises, et M. le ministre y répondra sans doute sur le fond.
La commission a quant à elle émis un avis défavorable.
L'article L. 212-5 du code du travail définit les heures supplémentaires et il apparaît donc inutile de les définir à nouveau, a fortiori de manière restrictive.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. François Fillon, ministre. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement qui vise, en effet, à introduire une nouvelle définition des heures supplémentaires conforme à l'accord national interprofessionnel de 1995, accord auquel le gouvernement que vous souteniez ne devait cependant pas être favorable, monsieur Godefroy, car j'observe que la loi du 19 janvier 2000 reprend la définition des heures supplémentaires qui figure à l'article L. 212-5 du code du travail.
Selon cette définition extrêmement simple, les heures supplémentaires sont les heures effectuées au-delà de la durée hebdomadaire du travail. Il n'y a donc aucune raison, me semble-t-il, pour ne pas suivre des propositions qui étaient les vôtres lors de l'examen des lois Aubry.
Je ne peux laisser dire par ailleurs, sans autre précision, que nous avons décidé de rémunérer à 10 % les quatre premières heures supplémentaires. Vous savez en effet que cette disposition ne concerne que les entreprises de moins de vingt salariés et que vous l'avez vous-mêmes mise en oeuvre. Nous avons seulement décider de prolonger de trois ans sa durée d'application. (Très bien ! sur les travées du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau pour explication de vote.
M. Roland Muzeau. Je tiens à expliquer pourquoi les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen soutiennent l'amendement qui vient de nous être présenté et qui vise à inscrire dans le code du travail la définition des heures supplémentaires.
Le texte que nous examinons modifie en profondeur le régime des heures supplémentaires et le niveau du contingent annuel. Nous pensons que nombre d'employeurs utiliseront ces deux leviers pour contourner l'obligation de respecter la durée légale du travail en recourant abusivement aux heures supplémentaires.
Pour éviter les dépassements réguliers et structurels de la durée légale, il convient donc de confirmer législativement le rôle des heures supplémentaires et leur caractère exceptionnel, au sens de l'accord national interprofessionnel du 31 octobre 1995 comme de la jurisprudence, laquelle précise en outre que les heures supplémentaires doivent être motivées par un surcroît d'activité.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 37.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Article 2



M. le président.
« Art. 2. - Le code du travail est ainsi modifié :
« I. - A l'article L. 212-5 :
« 1° Les I et II sont remplacés par un I ainsi rédigé :
« I. - Les heures supplémentaires donnent lieu à une majoration de salaire dont le taux est fixé par un accord de branche étendu. Ce taux ne peut être inférieur à 10 %. A défaut d'accord, chacune des huit premières heures supplémentaires donne lieu à une majoration de 25 % et les heures suivantes à une majoration de 50 %. » ;
« 2° Le III devient le II ;
« 3° Au premier alinéa du II, les mots : "au II" sont supprimés.
« II. - A l'article L. 212-5-1 :
« 1° Le premier alinéa est ainsi rédigé :
« Les heures supplémentaires de travail mentionnées à l'article L. 212-5 et effectuées à l'intérieur du contingent conventionnel fixé selon les modalités prévues au deuxième alinéa de l'article L. 212-6 lorsqu'il existe, ou, à défaut, du contingent fixé par le décret prévu au premier alinéa de l'article L. 212-6, ouvrent droit à un repos compensateur obligatoire dont la durée est égale à 50 % du temps de travail accompli en heures supplémentaires au-delà de quarante et une heures dans les entreprises de plus de vingt salariés. » ;
« 2° Le troisième alinéa est ainsi rédigé :
« Les heures supplémentaires effectuées au-delà du contingent conventionnel fixé selon les modalités prévues au deuxième alinéa de l'article L. 212-6 lorsqu'il existe, ou à défaut, du contingent fixé par le décret prévu au premier alinéa de l'article L. 212-6, ouvrent droit à un repos compensateur obligatoire dont la durée est égale à 50 % de ces heures supplémentaires, pour les entreprises de vingt salariés au plus, et à 100 % pour les entreprises de plus de vingt salariés. »
« III. - Le deuxième alinéa de l'article L. 212-6 est ainsi rédigé :
« Le contingent d'heures supplémentaires pouvant être effectuées après information de l'inspecteur du travail peut être fixé, par une convention ou un accord collectif de branche étendu, à un volume supérieur ou inférieur à celui déterminé par le décret prévu au premier alinéa. »
« IV. - A l'article L. 212-8 :
« 1° Au premier alinéa :
« a) Après les mots : "n'excède pas", la fin de la première phrase est ainsi rédigée : "un plafond de 1 600 heures" ;
« b) La deuxième phrase est ainsi rédigée :
« La convention ou l'accord peut fixer un plafond inférieur. » ;
« 2° Au quatrième alinéa, les mots : "la durée moyenne annuelle calculée sur la base de la durée légale selon la règle définie au premier alinéa et, en tout état de cause, de" sont supprimés. Le même alinéa est complété par les mots : "ou d'un plafond inférieur fixé par la convention ou l'accord".
« V. - Dans la deuxième phrase du premier alinéa du II de l'article L. 212-9, les mots : "trente-cinq heures en moyenne sur l'année et, en tout état de cause," sont supprimés. »
« V bis. - Au premier alinéa de l'article L. 212-10, les mots : "et aux premier alinéa du I de l'article L. 212-5," sont remplacés par le mot : ", au". »
« VI. - A l'article L. 212-15-2, les mots : "occupés selon l'horaire collectif applicable au sein de l'atelier, du service ou de l'équipe auquel ils sont intégrés et pour lesquels la durée du travail peut être prédéterminée" sont remplacés par les mots : "dont la nature des fonctions les conduit à suivre l'horaire collectif applicable au sein de l'atelier, du service ou de l'équipe auquel ils sont intégrés". »
« VII. - A l'article L. 212-15-3 :
« 1° Au deuxième alinéa du II, le mot : "et" est remplacé par le mot : "ou" ;
« 2° La quatrième phrase du premier alinéa du III est ainsi rédigée :
« La convention ou l'accord définit les catégories de cadres concernés dont la nature des fonctions implique une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps. »
« VIII. - A l'article L. 227-1 :
« 1° Au premier alinéa, après les mots : "accord d'entreprise ou d'établissement", sont insérés les mots : "n'ayant pas fait l'objet de l'opposition prévue à l'article L. 132-26" ;
« 2° La première phrase du deuxième alinéa est complétée par les mots : "ou de se constituer une épargne" ;
« 2° bis Au sixième alinéa, les mots : "de la bonification prévue aux premier et deuxième alinéas du I de l'article L. 212-5, du repos compensateur de remplacement défini au premier alinéa du III du même article" sont remplacés par les mots : "du repos compensateur de remplacement défini au premier alinéa du II de l'article L. 212-5" ;
« 3° Au onzième alinéa, les mots : "les modalités de conversion en temps des primes et indemnités" sont remplacés par les mots : "les modalités de valorisation en temps ou en argent des éléments affectés au compte". »
La parole est à M. Roland Courteau sur l'article.
M. Roland Courteau. Comment ne pas être pris de vertige à la lecture de l'article 2, comme d'ailleurs à celle de l'ensemble du projet de loi ? Cet article remet en cause, d'un trait de plume, la loi relative à la réduction du temps de travail, loi très largement appréciée par les salariés qui sont passés aux 35 heures,...
M. Gérard Braun. Pas sûr !
M. Roland Courteau. ... et qui a permis l'engagement d'une profonde dynamique de négociations dans les entreprises ayant conduit à la signature de dizaines de milliers d'accords et à la création de plus de 300 000 emplois.
J'avoue ne pas comprendre, monsieur le ministre, cette obstination à faire le procès des 35 heures pour mieux décapiter ensuite cet instrument de lutte contre le chômage, au moment où la situation de l'économie et de l'emploi se dégrade, où les annonces de plans sociaux se multiplient, dans une France qui compte, encore et toujours, deux millions trois cent mille chômeurs !
Quels effets sur l'emploi peut-on en effet attendre d'une telle régression, d'une telle marche arrière, si ce n'est un accroissement du chômage ? Vous préferez aller contre un courant qui s'inscrit dans la longue marche de l'humanité et dans les grandes conquêtes sociales du mouvement ouvrier.
« Requiem pour les 35 heures », titrait un journal : remise en cause du taux de rémunération des heures supplémentaires - mesure d'ordre social instaurée en même temps que les 40 heures en 1936 -, augmentation du quota d'heures supplémentaires, limitation de l'obligation de compensation par le repos, abaissement des charges des entreprises sans contrepartie...
Quant à la diminution de la flexibilité, seconde aspiration des salariés, elle sera accrue du fait de la suppression de la référence aux 35 heures au profit de la seule mention des 1 600 heures par an. Ce n'est plus un assouplissement de la loi, c'est son anéantissement !
Voilà donc un projet qui non seulement alimentera la chaudière du chômage, mais créera dans le même temps une France à deux vitesses, car il remet en cause le principe de l'égalité devant le travail.
Mes collègues socialistes ont déjà insisté, mais, malgré votre réponse, monsieur le ministre, je veux y revenir : inégalité entre les neuf millions de salariés déjà aux 35 heures et ceux qui n'y seront jamais, du moins avec vous ; inégalité entre les entreprises passées aux 35 heures et celles qui ne seront plus incitées à le faire puisque les allégements seront déconnectés de la réduction du temps de travail, ce qui se traduira, pour ces dernières, par des difficultés de recrutement.
Vous n'avez pas osé vous en prendre aux 35 heures dans leur définition juridique, mais la méthode du contournement aboutit au même résultat, à savoir l'anéantissement d'une avancée sociale. Les propos du Premier ministre évoquant clairement le retour aux 39 heures l'ont confirmé.
Que de prétextes n'a-t-on pas cherchés, monsieur le ministre !
J'ai entendu dire que la réduction du temps de travail aurait été imposée aux entreprises, alors qu'elle a fait l'objet d'une formidable dynamique de négociation, comme le pays n'en avait jamais connu.
J'ai entendu dire que la réduction du temps de travail aurait « dévalorisé les valeurs de l'effort », alors que les 35 heures ont ramené au travail des milliers de demandeurs d'emploi.
J'ai entendu dire que la réduction du temps de travail aurait porté atteinte à la compétitivité de la France, alors que chacun a pu noter que la croissance, au cours des quatre dernières années, a été supérieure, dans notre pays, à la moyenne européenne, et que deux millions d'emplois ont été créés tandis que l'on dénombrait 930 000 chômeurs de moins.
Enfin, comme l'a souligné mon collègue Gilbert Chabroux, la France est le pays européen où le nombre d'heures travaillées a le plus progressé entre 1997 et 2002, grâce précisément à la réduction du chômage, dont les 35 heures ont été un facteur essentiel.
En conclusion, j'ai envie de vous dire, monsieur le ministre : « ressaisissez-vous ! » (Sourires sur les travées du RPR.) En effet, votre dispositif va jouer contre l'emploi. A moins que vous ne vouliez donner raison au président du MEDEF, qui a affirmé, comme Henri Weber l'a rappelé tout à l'heure, que « le Gouvernement reculait dans la bonne direction »... Dans ce cas, les mois à venir nous départagerons, mes chers collègues.
Voilà pourquoi le groupe socialiste demandera, entre autres suppressions, celle de l'article 2.
M. le président. Soixante-cinq amendements ont été déposés sur l'article 2, mes chers collègues.
Je vous rappelle que, avant la suspension de la séance, le Sénat, dans un souci de clarté des débats, a décidé, pour éviter la discussion commune de ces soixante-cinq amendements, d'appeler d'abord en discussion l'amendement n° 38 de suppression de l'article, puis d'examiner ensuite les autres amendements séparément ou dans le cadre des sous-discussions communes qui s'y rapportent, selon le cas.
J'appelle donc l'amendement n° 38, présenté par MM. Chrabroux, Godefroy, Weber et Domeizel, Mmes San Vicente, Printz et les membres du groupe socialiste, apparenté et rattachée, qui est ainsi libellé :
« Supprimer cet article. »
La parole est à M. Claude Domeizel.
M. Claude Domeizel. L'article 2 concerne le contingent d'heures supplémentaires, leur taux de rémunération et le repos compensateur. C'est l'article clé du projet de loi : il vise la remise en cause des 35 heures et non pas, comme vous l'avez dit, monsieur le ministre, l'assouplissement du dispositif.
Je vais sans doute répéter des propos qui ont déjà été tenus, mais si, ce faisant, je parvenais à vous convaincre, mes chers collègues, du bien-fondé de la suppression de l'article 2, je n'aurais pas perdu mon temps.
Mes collègues Gilbert Chabroux, Jean-Pierre Godefroy et Henri Weber se sont appuyés, au fil de leurs interventions, sur des arguments que je reprendrai à mon tour. A l'instar de mon ami Roland Courteau, j'ai envie de vous dire, monsieur le ministre : « Ressaisissez-vous ! »
En portant de 130 à 180 le contingent d'heures supplémentaires dont disposent les entreprises, comme vous l'avez fait par un décret en date du 15 octobre dernier, vous permettez finalement à celles-ci de revenir aux 39 heures. Le Premier ministre, M. Jean-Pierre Raffarin, s'était d'ailleurs exprimé en ces termes le 6 septembre, à Strasbourg, comme cela a déjà été souligné.
Il aurait également fallu préciser que le repos compensateur serait supprimé pour les heures supplémentaires comprises entre la cent trentième et la cent quatre-vingtième, soit sept jours de repos de moins. On est loin du slogan : « Travailler plus pour gagner plus » !
Les heures supplémentaires sont donc plus nombreuses et moins bien rémunérées. Elles sont en outre à la discrétion des entreprises, alors qu'elles sont obligatoires pour les salariés. On entre dans une logique de banalisation de ces heures supplémentaires, qui vont devenir des heures structurelles.
D'ailleurs, les syndicats ont pris toute la mesure de ce risque. J'en veux pour preuve les propos tenus par le président de la CFTC, M. Alain Deleu : « On risque de se retrouver tout simplement à 39 heures, sinon plus. Le projet va permettre aux entreprises de faire travailler les personnels de 35 à 43 heures par semaine, sans préavis, sans planification, avec une augmentation de salaire minime. Il permettra, par exemple, de faire travailler les salariés six jours sur sept ou un samedi sur deux toute la journée. »
Monsieur le ministre, sur un texte de cette importance relatif au contingent d'heures supplémentaires, à leur taux de rémunération et au repos compensateur, on aurait pu s'attendre à ce que le Gouvernement accorde une plus grande place à la négociation. Or la concertation avec les syndicats a été fort brève, voire entachée d'un défaut initial, puisque ces derniers ont été consultés sur un avant-projet qui a été ensuite modifié sans qu'ils en aient été informés. Contrairement à ce qui s'est toujours pratiqué, ils n'ont donc pas été consultés sur la version définitive du texte avant son examen par le Conseil d'Etat, et ils en ont conçu un certain dépit !
Il faut bien constater, je le répète, que la question de l'augmentation du contingent d'heures supplémentaires a été réglée avant qu'intervienne la discussion au Parlement, en tout cas au Sénat, au moyen d'un décret rehaussant l'ensemble du contingent de 130 à 180 heures, sans concertation préalable.
Nous contestons donc tant la forme que le fond de la démarche, et nous présenterons des amendements visant à abroger les principales dispositions de l'article 2. Toutefois, de manière plus expéditive, je vous propose, mes chers collègues, de supprimer purement et simplement celui-ci : tel est l'objet de l'amendement n° 38.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Louis Souvet, rapporteur. Comme vient de l'indiquer M. Domeizel, l'amendement n° 38 vise à supprimer l'article 2. Ce n'est évidemment pas ce que nous souhaitons, puisque cet article contient toutes les mesures d'assouplissement du dispositif des 35 heures. Dans ces conditions, la commission ne peut bien entendu qu'émettre un avis défavorable sur l'amendement n° 38.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. François Fillon, ministre. La suppression de l'article 2 irait bien sûr à l'encontre de l'ensemble du projet du Gouvernement. J'y suis donc défavorable pour les raisons que j'ai déjà exposées en présentant le texte puis en répondant aux orateurs qui sont intervenus lors de la discussion générale.
Toutefois, je voudrais formuler deux remarques pour compléter mon propos.
S'agissant tout d'abord de l'effet du dispositif des 35 heures sur l'emploi, j'aimerais interroger à mon tour l'opposition, puisqu'elle m'a posé de nombreuses questions. Comment expliquer que, en dépit de l'application des 35 heures, le chômage ait repris dans notre pays de manière importante depuis un an et demi ? Comment expliquer que, malgré la mise en oeuvre des 35 heures, nous n'ayons en rien amélioré nos positions, qui ne sont pas bonnes, je le reconnais, et ce depuis longtemps, en raison de blocages structurels qui existent dans notre organisation du travail ?
Nous n'en serions pas là si les 35 heures avaient un effet sur l'emploi aussi positif que certains l'affirment et si était fondé le raisonnement éminemment politique qui est en train de se construire, par lequel nos concitoyens ne se laisseront pas tromper, consistant à donner à croire que, jusqu'à l'arrivée de ce gouvernement, la situation de l'emploi était excellente grâce aux 35 heures mais qu'elle va maintenant se dégrader en raison des mesures que nous sommes en voie de prendre. Tout le monde sait bien que la réalité est très différente : cela fait un an et demi que la situation de l'emploi se détériore de façon extrêmement régulière, malgré la mise en oeuvre du dispositif des 35 heures.
S'agissant par ailleurs de la négociation sociale, nous n'en avons pas, je l'ai déjà souligné tout à l'heure, la même conception que les membres de l'opposition sénatoriale. Ceux-ci nous disent que le texte sur lequel les syndicats ont été consultés a été modifié : il a en effet évolué au cours de la négociation menée avec les organisations syndicales, en fonction de la discussion, et celles-ci ont bien entendu eu la possibilité de se prononcer. La grande différence avec l'élaboration de la loi instaurant les 35 heures, c'est donc qu'une négociation avec les organisations syndicales a eu lieu. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Eric Doligé pour explication de vote.
M. Eric Doligé. Je ne voudrais pas que l'on puisse croire, à la lecture des débats du Sénat, que nous pensons tous que l'instauration des 35 heures a été très appréciée des salariés. Je viens d'entendre cette affirmation, et ne pas réagir reviendrait à la faire nôtre.
M. Jean-Pierre Godefroy. C'est une vérité !
M. Eric Doligé. Il n'en est pas ainsi ! Il est possible que nos collègues de l'opposition soient proches des grands groupes et que ce dispositif ait été apprécié au sein de ceux-ci,...
M. Philippe Marini. Ils ont mal interprété les élections !
M. Guy Fischer. Dix-neuf pour cent !
M. Eric Doligé. ... mais, sur le terrain, dans les campagnes et les petites communes, j'ai pu constater que les salariés des petites entreprises sont soulagés d'avoir appris qu'ils pourront passer à 35 heures plus quatre heures supplémentaires par semaine. En effet, ils retrouveront ainsi un pouvoir d'achat qu'ils avaient perdu depuis un certain temps sans qu'aucune ouverture leur soit laissée. (Protestations sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
Je parle ici des petites entreprises, mes chers collègues ! J'ai visité hier une entreprise de dix salariés ces derniers se réjouissaient, ils me l'ont dit, à l'idée de pouvoir enfin travailler 39 heures par semaine, soit 35 heures plus quatre heures supplémentaires.
M. Roland Courteau. On en reparlera !
M. Eric Doligé. Cela fait plaisir, je puis vous le dire, d'entendre des gens affirmer leur envie de travailler quatre heures supplémentaires afin de gagner davantage. Par conséquent, cessez de prétendre que le passage aux 35 heures a été apprécié par tous les salariés. C'est faux !
M. Roland Courteau. Nous persistons à le dire !
M. Eric Doligé. Cela ne correspond pas à la réalité du terrain. (Protestations sur les travées socialistes.) Pensez également aux petites entreprises, car l'aménagement du territoire, ce n'est pas seulement les très grosses entreprises dont les salariés ont pu bénéficier des 35 heures,...
M. Philippe Marini. Ils ne s'intéressent qu'aux gros ! (Sourires.)
M. Eric Doligé. ... c'est aussi la multitude des petites entreprises qui ont besoin de pouvoir faire travailler leurs salariés un certain nombre d'heures faute de trouver, dans les campagnes, du personnel supplémentaire pour remplir les missions qui sont les leurs. Ayez donc un peu de compassion pour les petites entreprises, chers collègues de l'opposition, ainsi que pour les gens qui ont envie de travailler plus de 35 heures, et ne faites pas circuler le message selon lequel seul le dispositif des 35 heures peut permettre de faire tourner l'économie. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Henri Weber pour explication de vote.
M. Henri Weber. Je profiterai de cette explication de vote pour répondre aux interpellations de M. le ministre et de M. Doligé.
Tout d'abord, la seule explication au fait que le Gouvernement et sa majorité ne proposent pas, comme le voudraient la clarté et le courage politique, d'abroger purement et simplement le dispositif de réduction du temps de travail instauré par les deux « lois Aubry », qu'ils ont pourtant accablé de tous les maux en 1998, en 2000 et encore aujourd'hui, tient à ce qu'ils savent très bien à quel point il est soutenu par une majorité du salariat. C'est la seule explication ! Sinon, pensant ce que vous pensez, disant ce que vous dites, pourquoi ne proposez-vous pas, purement et simplement, par mesure de salubrité publique, d'abroger ces lois ? Ce serait logique !
M. Philippe Marini. Nous sommes moins doctrinaires que vous ! (Sourires.)
M. Gérard Braun. C'est de la démagogie !
M. Henri Weber. Non, ce n'est pas une affaire de doctrine, c'est une affaire de tactique politique ! C'est là une attitude politicienne, qui ne fait pas la clarté ! Il faut être conséquent : lorsqu'on développe des analyses, lorsqu'on fait peser sur une mesure tout le poids des difficultés qui ont été énumérées,...
M. Jean Chérioux. N'en rajoutez pas !
M. Henri Weber. ... on doit être logique avec soi-même !
Pour notre part, nous ne pensons pas que la loi relative aux 35 heures soit la panacée pour lutter contre le chômage, nous ne pensons même pas que telle soit sa seule et unique fonction : nous considérons qu'elle fait partie d'une panoplie de mesures, et les propos de M. le ministre peuvent d'ailleurs se retourner contre tous les éléments de cette panoplie.
Ainsi, M. le ministre a fait tout à l'heure l'apologie de la baisse des charges pesant sur les bas salaires. Je pourrais tenir le même raisonnement que lui, et lui demander comment il explique que le chômage reprenne, en dépit de cette baisse des charges affectant les bas salaires, que nous avons même accentuée par le biais d'une aide au passage aux 35 heures.
Autrement dit, votre raisonnement est un sophisme, monsieur le ministre, excusez-moi de le souligner. Le chômage a des causes multiples, c'est un phénomène qui existe dans le monde occidental et au-delà, c'est un fléau qui doit être combattu sur tous les fronts et en utilisant tous les outils dont nous disposons. Ceux-ci sont multiples, aucun n'est vraiment efficace à lui seul et chacun d'entre eux entraîne des effets pervers : en conséquence, on ne peut pas attaquer un dispositif en excipant du fait que le chômage s'aggrave de nouveau, car cette évolution relève de tout un ensemble de raisons que l'on pourrait analyser ici et dont on voit bien quelle est la source. Il faudrait, à ce stade, s'interroger sur l'état du capitalisme international.
M. Philippe Marini. Ils n'ont rien appris ! Ils n'ont rien compris !
M. Henri Weber. Ce qui se passe aujourd'hui, ce n'est plus une crise économique et financière qui atteint la périphérie du monde industrialisé, c'est une crise qui frappe celui-ci en plein coeur. Cela a quelque rapport avec le redémarrage du chômage, et la suite aura beaucoup de rapport avec l'implosion de la bulle financière de la bourse de New York et ses effets sur l'ensemble du système économique et financier. Voilà une des sources majeures de la reprise du chômage et du ralentissement de la croissance.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 38.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je suis saisi de cinq amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 39, présenté par MM. Chabroux, Godefroy, Weber et Domeizel, Mmes San Vicente, Printz et les membres du groupe socialiste, apparenté et rattachée, est ainsi libellé :
« Supprimer le I de cet article. »
L'amendement n° 81, présenté par M. Muzeau, Mme Demessine, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« Rédiger comme suit le texte proposé par le 1° du I de cet article pour le I de l'article L. 212-5 du code du travail :
« I. Chacune des huit premières heures supplémentaires donne lieu à une majoration de salaire minimale de 25 % et les heures suivantes à une majoration de 50 %. »
L'amendement n° 1, présenté par M. Souvet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
« I. - Dans la première phrase du texte proposé par le 1° du I de cet article pour le I de l'article L. 212-5 du code du travail, après les mots : "dont le taux est fixé par", insérer les mots : "une convention ou" ; »
« II. - En conséquence, dans la dernière phrase du même paragraphe, après les mots : "A défaut", insérer les mots : "de convention ou". »
L'amendement n° 125, présenté par M. Marini, est ainsi libellé :
« Après la première phrase du texte proposé par le 1° du I de cet article pour le I de l'article L. 212-5 du code du travail, insérer une phrase ainsi rédigée :
« Ce taux peut également être fixé par un accord collectif d'entreprise ou d'établissement n'ayant pas fait l'objet de l'opposition prévue à l'article L. 132-26, peu important le taux éventuellement fixé par la convention ou l'accord de branche étendu sauf stipulations contraires de ce dernier. »
L'amendement n° 2, présenté par M. Souvet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
« Au 3° du I de cet article, remplacer les mots : "du II" par les mots : "du III". »
La parole est à M. Claude Domeizel pour présenter l'amendement n° 39.
M. Claude Domeizel. Nous entrons dans le détail de l'article 2.
Le paragraphe I de cet article concerne le taux de majoration des heures supplémentaires. S'agissant du taux de majoration de 25 % qui a été établi lors de l'instauration des 40 heures en 1936, sous le Front populaire, il prévoit de le réduire à 10 % de manière pérenne. Cela conduirait à gommer toute différence sensible de rémunération entre les heures effectuées dans le cadre de la durée légale et les quatre premières heures supplémentaires. En réalité, c'est la portée de la durée légale hebdomadaire du travail qui se trouve ainsi réduite. En tout état de cause, cette mesure n'améliorera pas le pouvoir d'achat des salariés.
Le paragraphe I prévoit également de confier à la négociation collective de branche la fixation du taux de majoration des heures supplémentaires, ce qui revient finalement à réduire un peu plus ce qui relève de la loi et du droit du travail, et qui constitue une mesure sociale d'ordre public applicable à tous les salariés. La négociation collective de branche variera donc d'un secteur professionnel à l'autre, et aboutira inévitablement à différents régimes de rémunération des heures supplémentaires.
Cette extension du droit conventionnel qui concerne une règle normative du droit du travail rejoint certains projets du MEDEF, développés dans le cadre de la refondation sociale et selon lesquels le droit conventionnel prime sur le droit du travail, ce qui ne manque pas de nous inquiéter.
C'est la raison pour laquelle nous demandons la suppression du I de l'article 2.
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer pour défendre l'amendement n° 81.
M. Guy Fischer. L'objet de cet amendement est clair : il s'agit de fixer par la voie législative le régime de rémunération des heures supplémentaires à un taux de 25 % pour les huit premières heures et de 50 % pour les heures suivantes.
Nous marquons ainsi notre désaccord profond à l'égard du nouveau régime des heures supplémentaires tel qu'il est envisagé par le Gouvernement.
Nous sommes là au coeur du dispositif qui risque de bouleverser le régime de la convention et l'ordre public social. Les dispositions proposées par le Gouvernement devraient conduire à réduire la majoration de salaire. En effet, le taux de majoration des heures supplémentaires passerait de 25 % à un plancher de 10 %. Contrairement aux engagements du Président de la République, cette modification n'aura pas pour conséquence d'améliorer sensiblement le pouvoir d'achat des salariés. Elle permettra bel et bien de banaliser le recours aux heures supplémentaires conjoncturelles.
Ainsi, les 35 heures sont tuées. Finalement, c'est une manière élégante de revenir aux 39 heures, surtout pour les petites entreprises. Le tour est donc joué ! Des milliers de petites entreprises ne verront jamais les 35 heures s'appliquer.
Par ailleurs, le dispositif vise également à étendre le droit conventionnel, et c'est ce point que nous contestons, dans un domaine, en l'occurrence les heures supplémentaires, où les garanties collectives revêtent un caractère d'ordre public social. Sous le prétexte de renvoyer à des accords conventionnels discutés au niveau des branches ou même, comme certains le proposent, au niveau des entreprises, vous faites tout imploser.
Or, dans la mesure où ils doivent être les mêmes pour tous les salariés, ces avantages « minimaux » - je dis bien : « minimaux » - ne sauraient être fixés par des dispositions conventionnelles. D'autant que, et nous aurons l'occasion de revenir ultérieurement sur ce point, les acteurs du dialogue social ne sont pas aujourd'hui en mesure, compte tenu de la faible démocratisation du droit et des règles de la négociation collective, de conclure des accords collectifs de qualité, j'entends par là des accords équilibrés, traduisant bien la volonté des salariés.
M. Roland Muzeau. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour présenter l'amendement n° 1.
M. Louis Souvet, rapporteur. Il s'agit d'un amendement de précision. Le projet de loi prévoit que la rémunération des heures supplémentaires soit fixée par un accord de branche étendu. Cette faculté doit également être ouverte à une convention de branche étendue, ne serait-ce que par cohérence avec le type de négociations qui est prévu pour le calcul du contingent annuel d'heures supplémentaires.
M. le président. La parole est à M. Philippe Marini pour présenter l'amendement n° 125.
M. Philippe Marini. Je propose une réflexion sur la place de l'accord collectif d'entreprise ou d'établissement.
M. Guy Fischer. Aïe !
M. Philippe Marini. En effet, les conditions dans lesquelles l'organisation du travail peut être décidée varient, me semble-t-il, assez naturellement selon les domaines d'activité, voire selon les entreprises ou les établissements.
Bien entendu, je suis particulièrement attaché, comme la commission, à ce que les branches puissent déterminer les règles. Donc, l'espace de liberté qui me semble important pour les entreprises n'a, dans mon esprit, vocation à être utilisé que si la convention de branche n'en dispose pas autrement. Si la branche a permis l'ouverture d'une liberté de négociation plus grande dans l'entreprise, voire dans l'établissement, pourquoi ne pas utiliser cet espace de liberté ? Telle est, monsieur le ministre, la question que je voulais poser à travers cet amendement.
J'avoue être surpris par certaines des interventions que je viens d'entendre, qui témoignent d'une très grande réticence à l'égard de ce que peuvent décider, par voie conventionnelle, les partenaires sociaux tant dans la branche que dans l'entreprise. Lorsqu'on se dit démocrate, mes chers collègues, il faut l'être complètement !
M. Guy Fischer. Pas pour n'importe quelle démocratie !
M. Philippe Marini. Un ordre public social est défini par la loi. Il est des principes qui sont définis par la loi. Il faut bien sûr veiller à ce que ces principes traduisent, à un moment donné, l'équilibre qui prévaut dans la société. Mais, au-delà de la loi et sur le socle légal en quelque sorte, pourquoi se refuser au jeu de la négociation collective, de la libre détermination par les partenaires sociaux, dans le cadre de la loi, des dispositions qui leur conviennent ?
Voilà la problématique qui m'a conduit à poser cette question à M. le ministre par l'intermédiaire de cet amendement.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour présenter l'amendement n° 2 et pour donner l'avis de la commission sur les amendements n°s 39, 81 et 125.
M. Louis Souvet, rapporteur. L'amendement n° 2 vise simplement à rectifier une erreur matérielle.
L'amendement n° 39 tend à supprimer deux dispositions importantes du projet de loi : l'unification des modalités de bonification des heures supplémentaires et le renvoi à la négociation de branche du soin de fixer leur taux de bonification. Dans ces conditions, la commission ne peut se reconnaître dans ce texte.
Aussi, elle émet un avis défavorable sur l'amendement n° 39.
Elle émet également un avis défavorable sur l'amendement n° 81. En effet, celui-ci tend à revenir sur les nouvelles possibilités, qui sont offertes à la négociation de branche, de fixer le taux de majoration des heures supplémentaires. Cette disposition ne correspond pas à l'architecture retenue par la commission.
S'agissant de l'amendement n° 125, M. Marini a dit lui-même ce que la commission a dit, à savoir qu'il s'agit du régime des heures supplémentaires et que le projet de loi a retenu le niveau de la branche. La commission s'est montrée prudente car elle redoute de grandes disparités entre les entreprises. Mais elle souhaite entendre M. le ministre sur ce point.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 39, 81, 1, 125 et 2 ?
M. François Fillon, ministre. S'agissant de l'amendement n° 39, le Gouvernement souhaite, en effet, que cette question soit renvoyée à la négociation de branche. Quant aux remarques, qui ont été faites par plusieurs orateurs, sur la place respective de la loi et du contrat, nous aurons un débat sur ce point dans les mois à venir lorsque nous vous proposerons de traduire dans la loi un certain nombre d'éléments qui sont dans la position commune signée par les partenaires sociaux. C'est donc bien au Parlement qu'il appartiendra de décider de la ligne de partage dans ce domaine.
Il est évidemment tout à fait caricatural de prétendre que c'est le MEDEF qui veut que l'on donne plus de place au contrat par rapport à la loi. C'est l'ensemble des partenaires sociaux, en tout cas une grande partie d'entre eux, qui souhaitent pouvoir, sur un certain nombre de sujets, et dans le cadre défini par la loi, négocier eux-mêmes, de manière différente d'une branche à l'autre ou d'une entreprise à l'autre, en fonction des situations. Le Gouvernement ne peut donc pas accepter ces dispositions. Il émet, par conséquent, un avis défavorable sur l'amendement n° 39.
Le Gouvernement émet également un avis défavorable sur l'amendement n° 81.
En revanche, il émet un avis favorable sur les amendements n°s 1 et 2.
J'en viens à l'amendement n° 125. J'ai cru comprendre que M. Marini allait le retirer. En effet, il l'a présenté pour amorcer un débat et pour que le Gouvernement lui réponde sur le choix de l'échelle des accords de branche pour la négociation du régime des heures supplémentaires.
Dans l'état actuel de notre droit social et du dialogue social dans notre pays, compte tenu des règles de validation des accords qui existent aujourd'hui, il n'est pas possible, sur une question aussi importante que les dispositions relatives au régime des heures supplémentaires, de descendre en dessous de la négociation de branche, c'est-à-dire de se priver de l'accord de branche étendu, à savoir la possibilité pour le Gouvernement de veiller à ce que les accords signés soient compatibles avec les règles d'ensemble du droit du travail et qu'ils reflètent un réel équilibre entre les partenaires sociaux.
Demain, si nous allons vers une modification des règles en matière de validation des accords, la question pourra se poser de manière différente. Mais, aujourd'hui, le Gouvernement doit évidemment garder la possibilité de juger de l'équilibre réel des accords, et ce n'est possible qu'à travers les accords de branche étendus.
J'ajouterai un dernier argument, qui, je l'espère, convaincra M. Marini, c'est celui, auquel il sera certainement sensible, des conditions de concurrence au sein d'une même branche. Il n'est tout de même pas très sain de mettre en oeuvre des différences aussi importantes s'agissant du temps de travail d'une entreprise à l'autre, en fonction du climat social et du rapport de force. Il est souhaitable que ces règles soient définies au niveau de la branche.
Telle est la raison pour laquelle, en attendant les discussions que nous aurons l'année prochaine sur le dialogue social et sa modernisation, je souhaite que M. Marini retire cet amendement auquel le Gouvernement n'est pas favorable.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 39.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 81.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Marini pour explication de vote sur l'amendement n° 1.
M. Philippe Marini. Je vais voter l'amendement n° 1, qui, je l'espère, sera adopté, ce qui fera tomber l'amendement n° 125. (Sourires.) Je profite de l'occasion qui m'est donnée pour remercier M. le ministre de la réponse qu'il a bien voulu me faire et dans laquelle j'ai vu quelques ouvertures pour l'avenir. (M. le ministre fait un signe d'assentiment.)
Je souhaite par ailleurs rappeler que le contrat collectif d'entreprise, tel qu'un certain nombre d'entre nous l'appelait, voilà quelques années, demeure une référence importante pour faire évoluer le droit social. En effet, si l'on permet, bien entendu en encadrant les choses au niveau de la branche, aux acteurs sociaux de l'entreprise de globaliser leur discussion, de faire porter cette discussion à la fois sur des éléments quantitatifs - les rémunérations, le taux des heures supplémentaires - et qualitatifs - l'organisation du travail, tout ce qui conditionne l'ambiance de travail dans l'entreprise - éléments auxquels pourraient s'ajouter des préoccupations touchant à l'actionnariat des salariés, aux retraites, bref à tout ce qui peut être mis en commun dans une négociation globale, cela constituerait, me semble-t-il, un véritable progrès social. Un bon équilibre pourrait être trouvé, bien entendu dans le respect de l'ordre public social,...
Mme Michelle Demessine. Il n'y en a plus !
M. Guy Fischer. Vous le dynamitez l'équilibre social !
M. Philippe Marini. ... dans le respect des accords de branche. C'est ce que permet l'amendement tout à fait excellent de la commission. (Protestations sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
Sous bénéfice de ces quelques observations, qui ont le malheur, semble-t-il, de déplaire à quelques-uns de nos collègues, mais que je formule avec toute la conviction qui m'anime (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)...
Mes chers collègues, les convictions sociales ne se trouvent pas uniquement de votre côté de l'hémicycle, je vous prie de bien vouloir le reconnaître ; il y a différentes façons de se dire, de se proclamer des républicains sociaux. (Exclamations toujours sur les mêmes travées.)
Je disais donc que, sous le bénéfice des observations que j'avais formulées, je voterai de façon tout à fait déterminée l'amendement n° 1. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.) M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau pour explication de vote.
M. Roland Muzeau. Monsieur le président, si vous le permettez, je vais user du même stratagème que mon collègue Marini. Je parlerai non pas de l'amendement n° 1 mais de l'amendement n° 125, qui risque de tomber.
Dans son intervention, notre collègue a formulé un aveu de taille. S'adressant à M. le ministre, qui a d'ailleurs hoché la tête dans le bon sens, il a dit : « J'ai bien compris que vous considériez ma proposition comme une ouverture. »
Pour ma part, j'avais préparé une brève intervention que j'aurais prononcée si l'amendement n° 125 était resté en discussion et dans laquelle je qualifiais la proposition de notre collègue M. Marini de poisson pilote du Gouvernement. Elle correspond probablement à une nouvelle annonce d'une réduction des droits des travailleurs. En effet, prétendre que ramener la négociation à l'échelle de l'entreprise est un grand acte de démocratie, c'est, me semble-t-il, commettre une grave erreur, c'est en tout cas méconnaître totalement ce qu'est le monde de l'entreprise. Il faut y mettre les pieds pour savoir comment...
M. Hilaire Flandre. Vous voudriez que ce soit la CGT qui décide tout !
M. Roland Muzeau. Monsieur, j'ai travaillé vingt ans en entreprise. J'en sais probablement plus que vous.
M. Eric Doligé. Moi, j'y ai travaillé vingt-cinq ans !
M. Roland Muzeau. Nous pouvons en discuter. Pour l'instant, permettez-moi de terminer mon propos.
C'est donc faire preuve d'une méconnaissance totale de ce qu'est la négociation sociale dans les entreprises que de nous faire de telles propositions.
Même dans les entreprises où il y a des organisations syndicales, ce qui n'est réalisé que dans un nombre de cas limité, puisque la répression antisyndicale est très forte quelles que soient les organisations syndicales et qu'il est difficile d'exercer un mandat syndical dans une entreprise, quelle que soit sa taille ou sa nature, qu'il s'agisse d'une entreprise ou d'un groupe multinational, il est impossible de penser que l'on pourra rediscuter du code du travail.
D'ailleurs, monsieur Marini, à ce propos, vous avez péché par un excès de prudence. En fait, vous n'avez pas osé aller au bout de votre pensée. Si vous proposez que la négociation ait lieu au niveau de l'entreprise, ce n'est pas pour aller au-delà des accords de branches, de la loi ou du code du travail. Bien au contraire - et là je poursuis votre pensée - c'est rester en deçà, pour adapter de manière restrictive le droit du travail applicable à tous les salariés. L'honnêteté aurait voulu que vous alliez jusqu'au bout de votre démonstration. A un moment donné, vous avez dit : « J'assume ma pensée ». Eh bien oui, faites-le ! Cela donnera d'ailleurs un peu de sens à nos débats, car depuis le début de la discussion, la majorité sénatoriale a été bigrement muette. Elle nous avait pourtant habitués à autre chose !
En tout cas, monsieur le ministre, si poisson pilote il y a, j'espère que vous retiendrez une proposition, celle qui consiste à débattre du droit syndical dans les entreprises et à constater, à partir d'un bilan, que la répression antisyndicale est une réalité tout à fait catastrophique.
M. Hilaire Flandre. Ce ne sont que lieux communs !
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'amendement n° 125 n'a plus d'objet. Je mets aux voix l'amendement n° 2.

(L'amendement est adopté.)
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Je demande la parole.
M. le président. La parole est M. le président de la commission.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, avec l'accord de M. le ministre, je souhaite que nous interrompions maintenant nos travaux pour les reprendre, comme prévu, demain après-midi, à quinze heures. En effet, par notre travail soutenu, nous sommes allés au bout des amendements que la commission avait examinés. Celle-ci doit se réunir demain matin à neuf heures trente pour poursuivre son travail.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur cette demande ?
M. François Fillon, ministre. Monsieur le président, comment pouvez-vous imaginer que M. le président de la commission pourrait se prévaloir de mon accord si je ne le lui avais pas formellement donné ? (Sourires.)
M. le président. Le Sénat va bien sûr accéder à votre demande, monsieur le président de la commission.
La suite de la discussion du projet de loi est renvoyée à la prochaine séance.

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TEXTES SOUMIS AU SÉNAT
EN APPLICATION DE L'ARTICLE 88-4
DE LA CONSTITUTION

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
Projet de position commune du Conseil 2002/.../PESC du... modifiant et prorogeant la position commune 96/635/PESC relative à la Birmanie/au Myanmar.
Ce texte sera imprimé sous le numéro E-2112 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
Proposition de directive du Conseil relative aux conditions d'entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers aux fins d'études, de formation professionnelle ou de volontariat.
Ce texte sera imprimé sous le numéro E-2113 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux précurseurs de drogues.
Ce texte sera imprimé sous le numéro E-2114 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux exigences en matière d'assurance applicables aux transporteurs aériens et aux exploitants d'aéronefs.
Ce texte sera imprimé sour le numéro E-2115 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant les offres publiques d'acquisition.
Ce texte sera imprimé sous le numéro E-2116 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
Proposition de décision du Conseil relative à la signature et à l'application provisoire de certaines dispositions d'un accord d'association conclu entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la République du Chili, d'autre part. Proposition de décision du Conseil relative à la conclusion d'un accord d'association entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la République du Chili, d'autre part.
Ce texte sera imprimé sous le numéro E-2117 et distribué.

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ORDRE DU JOUR

M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 23 octobre 2002, à quinze heures :
Suite de la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi (n° 21, 2002-2003) ;
Rapport (n° 26, 2002-2003) de M. Louis Souvet, fait au nom de la commission des affaires sociales ;
Le délai limite pour le dépôt des amendements est expiré.

Délai limite pour les inscriptions de parole
et pour le dépôt des amendements

Question orale avec débat (n° 1) de M. Josselin de Rohan à M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer sur la politique ferroviaire ;
Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mercredi 23 octobre 2002, à dix-sept heures.
Conclusions de la commission des affaires économiques (n° 360, 2001-2002) sur la proposition de loi de M. Jean-François Le Grand relative à l'implantation des éoliennes et la protection de l'environnement (n° 287, 2000-2001).
Délai limite pour le dépôt des amendements : mercredi 23 octobre 2002, à dix-sept heures.
Conclusions de la commission des affaires économiques (n° 23, 2002-2003) sur la proposition de loi de M. Bruno Sido et de plusieurs de ses collègues relative à la couverture territoriale en téléphonie mobile de deuxième génération par la mise en oeuvre prioritaire de prestations d'itinérance locale entre opérateurs (n° 409, 2001-2002).
Délai limite pour le dépôt des amendements : mercredi 23 octobre 2002, à dix-sept heures.
Projet de loi constitutionnelle relatif à l'organisation décentralisée de la République (n° 24 rectifié, 2002-2003).
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 28 octobre 2002, à dix-sept heures.
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 28 octobre 2002, à dix-sept heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-trois heures dix.)

Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
MONIQUE MUYARD





QUESTIONS ORALES REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT (Application des articles 76 à 78 du réglement)


Conditions d'accueil des gens du voyage
dans les petites communes

66. - 21 octobre 2002. - M. André Vallet attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales sur l'inadéquation du seuil de 5 000 habitants pour la mise en oeuvre des schémas départementaux d'accueil des gens du voyage à la situation de nombreuses communes rurales. Il lui rappelle que la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 impose aux communes de plus de 5 000 habitants l'implantation sur leur territoire d'un terrain d'accueil pour les gens du voyage et que cette obligation est souvent très lourde pour les petites communes rurales. Il lui indique que la localisation géographique de ce terrain est souvent délicate car il doit satisfaire à d'élémentaires conditions d'hygiène et de sécurité, et que, dans les petites communes rurales, la mise à disposition de terrains répondant à ces critères n'est souvent pas possible. Il lui indique également que la capacité d'accueil dans les écoles de la plupart des communes ne permet pas la scolarisation dans de bonnes conditions de tous les enfants des gens du voyage. De même, seule la présence d'une gendarmerie permet de « limiter les conflits générés par la présence des gens du voyage, souvent anarchique et conflictuelle », objectif fixé par la loi. Dès lors, s'il apparaît que la présence d'une gendarmerie est indispensable pour l'encadrement des aires d'accueil et de stationnement des gens du voyage, toutes les petites communes rurales ne bénéficient pas de cette présence. Il lui précise enfin que les finances communales ne peuvent souvent pas permettre de financer l'installation et d'assurer le fonctionnement d'une aire de stationnement des gens du voyage sans que ce coût n'ait de graves répercussions sur la vie de toute la population de la commune. Il estime que le seuil des 5 000 habitants n'est pas adapté à la situation et qu'il devrait être substantiellement relevé. Dès lors, il lui demande si le Gouvernement envisage des solutions alternatives à l'installation d'aires de stationnement des gens du voyage sur le territoire des petites communes.

Pénurie d'infirmières dans les hôpitaux

67. - 21 octobre 2002. - M. André Vantomme appelle l'attention de M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées sur la pénurie actuelle d'infirmiers et d'infirmières dans nos hôpitaux et sur les conséquences résultant des nombreux départs en retraite dans les années qui viennent. Il souligne que cette pénurie est renforcée dans ses effets par des disparités régionales très fortes qui viennent d'être amplifiées par la mise en place des 35 heures. Il lui demande de lui préciser, face à une situation qui devient périlleuse, quelles mesures spécifiques il envisage afin qu'il y soit remédié.

Application de la loi SRU dans les zones agricoles

68. - 22 octobre 2002. - M. Bernard Piras attire l'attention de M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer sur une des dispositions de la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000, relative à la solidarité et au renouvellement urbains (loi dite SRU). En effet, le plan local d'urbanisme comporte plusieurs zonages, dont la zone agricole, dite « zone A ». Selon l'article R. 123-7 du code de l'urbanisme, dans son second alinéa, « les constructions et installations nécessaires au service public ou d'intérêt collectif et à l'exploitation agricole sont seules autorisées en zone A ». Une application stricte de cette disposition conduit à ce qu'aucune autre construction puisse être édifiée dans ces secteurs. L'objet de son intervention ne porte pas sur les constructions nouvelles, puisqu'il est clair que la loi SRU a notamment pour finalité de lutter contre le mitage, mais sur celles déjà existantes en zone agricole. A ce titre, il s'avère que beaucoup de communes possèdent sur leur territoire des bâtiments qui étaient destinés auparavant à l'agriculture et, celle-ci ayant parfois décliné, les propriétaires desdits bâtiments se retrouvent dans une impasse, ne pouvant même pas en changer la destination, que ce soit en habitation ou activité autre. Outre la difficulté de gestion créée pour les propriétaires, le risque bien présent est de voir apparaître des constructions se délabrant et finissant en ruine. Une telle issue n'est bien évidemment pas satisfaisante et de très nombreux élus locaux sont confrontés à ce genre de situation. En conséquence, il lui demande quelles dispositions il entend prendre rapidement pour régler cette difficulté apparue.