COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LES CONSÉQUENCES DE LA DÉCISION DE RÉDUIRE À TRENTE-CINQ HEURES LA DURÉE HEBDOMADAIRE DU TRAVAIL

Auditions du mercredi 21 janvier 1998


Mercredi 21 janvier 1998 - Au cours d'une première séance tenue dans la matinée, sous la présidence de M. Alain Gournac, président, la commission d'enquête a procédé à l'audition de M. Bernd Hof, économiste à l'Institut der Deutschen Wirtschaft (Allemagne).

M. Bernd Hof a tout d'abord indiqué que l'Institut der Deutschen Wirtschaft était un institut dépendant des entreprises, qui regroupait environ soixante-dix chercheurs travaillant sur les grands problèmes économiques et sociaux.

Dans un exposé liminaire, M. Bernd Hof a rappelé que les syndicats allemands poursuivaient le but des 35 heures hebdomadaires depuis le début des années 1980 et qu'ils avaient atteint ce but dans la métallurgie, ce qui concernait environ 3 millions de salariés, mais que la durée hebdomadaire de travail était en moyenne de 37,6 heures en 1996. Il a ensuite estimé que l'on ne pouvait pas encore évaluer de façon certaine les effets de la réduction du temps de travail en Allemagne. Il a exposé que les représentants du patronat estimaient en effet que la réduction du temps de travail n'avait pas eu de retombées positives, tandis que les syndicats jugeaient pour leur part que la réduction du temps de travail avait permis la création de 500.000 emplois. Enfin, M. Bernd Hof a précisé que les positions des chercheurs sur les effets de la réduction du temps de travail étaient variables, les uns considérant que la réduction du temps de travail sans hausse des coûts pouvait augmenter l'emploi et favoriser la réduction des charges sociales dès lors que les partenaires sociaux parvenaient à coopérer, les autres contestant le lien entre réduction du temps de travail et création d'emplois, faisant confiance au marché et estimant que la réduction du temps de travail à coût salarial horaire constant risquait de s'accompagner d'une baisse de la demande, donc d'un ralentissement de la croissance.

M. Bernd Hof a précisé qu'à ce débat technique s'ajoutait un argument psychologique : la contradiction entre le souhait que les salariés travaillent moins et celui qu'ils fassent preuve de plus d'engagement pour revitaliser la compétitivité de l'économie.

M. Bernd Hof a ensuite présenté des éléments de comparaison entre la France, l'Allemagne et les Pays-Bas. Il a exposé que la durée du temps de travail avait été plus longue en Allemagne qu'en France jusqu'au milieu des années 1990, cette relation s'inversant toutefois à partir de 1995 de sorte que les salariés allemands travaillaient 1.504 heures par an en 1996, contre 1.529 heures pour les salariés français, mais 1.372 heures pour les salariés néerlandais. Il a indiqué que la croissance de l'économie s'était ralentie dans les trois pays au début des années 1990 par rapport à la fin des années 1980, le ralentissement étant toutefois plus prononcé en France et en Allemagne qu'aux Pays-Bas. Il a ajouté que les gains de productivité par tête s'étaient ralentis en France et aux Pays-Bas, mais que la croissance de la productivité était stable en Allemagne. Il a précisé que la durée du travail s'était réduite de manière équivalente en Allemagne et aux Pays-Bas au cours des dernières années, cependant que la France connaissait une décroissance plus lente de la durée moyenne du travail -de l'ordre de 0,5 % par an-. Enfin, il a souligné que l'emploi s'était accru de plus de 1 % par an aux Pays-Bas entre 1985 et 1996, alors que l'emploi avait baissé en France et en Allemagne entre 1990 et 1996.

De ces observations, M. Bernd Hof a tiré les trois conclusions suivantes :

- face au ralentissement de la croissance, l'Allemagne a réagi en maintenant des gains de productivité élevés d'une part, en réduisant le temps de travail hebdomadaire autant que possible afin de limiter les licenciements d'autre part ;

- la France, quant à elle, a réduit fortement l'augmentation de la productivité par tête afin de limiter les effets négatifs du ralentissement de la croissance sur l'emploi ;

- les Pays-Bas ont développé le travail à temps partiel, cette nouvelle forme de partage du travail n'entraînant aucune augmentation des coûts, de sorte que l'emploi a pu progresser fortement, au contraire de l'Allemagne où les coûts ont augmenté à cause de la réduction du temps de travail.

Après ces conclusions, M. Bernd Hof a exposé que l'organisation du temps de travail s'effectuait en Allemagne à trois niveaux différents :

- l'Etat impose un encadrement du temps de travail destiné à protéger les salariés. En particulier, la journée de travail ne peut, en principe, dépasser 8 heures, même s'il est possible à titre exceptionnel de travailler jusqu'à 10 heures par jour à condition, sauf conventions dérogatoires, que la moyenne journalière calculée sur 6 mois ne dépasse pas 8 heures ;

- au sein de ce cadre, les partenaires sociaux se mettent d'accord sur la durée du temps de travail hebdomadaire dans chaque branche, en fonction de leurs contraintes spécifiques, ces accords pouvant notamment permettre des compensations d'horaires sur des périodes supérieures à 6 mois, éventuellement plusieurs années ;

- au sein de chaque entreprise, les partenaires sociaux décident du temps de travail individuel afin de l'adapter à la durée d'utilisation des équipements.

M. Bernd Hof a souligné que ce modèle était fondé sur la coopération et que l'aménagement du temps de travail avait progressé rapidement en Allemagne au cours des dernières années. Il a indiqué que, comme la réduction du temps de travail avait été accompagnée d'une compensation salariale, les entreprises s'étaient efforcées d'accroître la productivité, et étaient parvenues dans certains cas à améliorer leur compétitivité, les grandes entreprises étant toutefois avantagées sur ce point par rapport aux petites et moyennes entreprises (PME). Il a estimé que la réduction du temps de travail avec compensation salariale avait été ainsi une contrainte de nature à stimuler la productivité et l'innovation, notamment l'innovation organisationnelle, ce qui avait pu augmenter la production et maintenir ou créer des emplois.

En conclusion, M. Bernd Hof a rappelé le souci affiché en 1996, par le Chancelier Helmut Kohl, de diminuer le taux de chômage de moitié d'ici l'an 2000. Il a précisé que cet objectif avait été depuis lors révisé à la baisse, mais que plusieurs études avaient été réalisées à cette occasion, pour déterminer les stratégies possibles de réduction du chômage. Il a alors exposé les résultats d'une projection des effets de la réduction à 35 heures hebdomadaires du temps de travail dans l'ensemble des branches d'ici à l'an 2000, réalisée à l'aide du modèle économétrique de l'Institut du marché du travail (IAB) ;

- la réduction du temps de travail aurait des effets positifs sur l'emploi, mais ces effets seraient réduits par la compensation salariale, de sorte que c'est la réduction du temps de travail par le développement du travail à temps partiel qui aurait les meilleurs effets sur l'emploi ;

- la réduction du temps de travail réduirait toutefois la croissance de l'économie, accroîtrait les coûts du travail et augmenterait les prix ;

- la réduction du temps de travail entraînerait une baisse des déficits publics, en raison de la hausse des recettes fiscales sous l'effet de l'augmentation de l'emploi, et de la baisse des transferts sociaux grâce au repli du chômage.

M. Bernd Hof a alors estimé que la validité de la stratégie de réduction du temps de travail reposait sur un arbitrage entre, d'un côté la baisse du chômage, l'augmentation du temps libre et l'amélioration de la qualité de vie ; de l'autre, la baisse du PIB, la contraction du pouvoir d'achat et la hausse des prix.

Un large débat s'est ensuite engagé avec les commissaires.

En réponse à une première question de M. Jean Arthuis, rapporteur, qui l'interrogeait sur les causes de la montée, en Allemagne, du chômage au cours des dernières années, M. Bernd Hof a indiqué que celle-ci résultait, d'un côté du développement de la demande de travail -+ 2,5 millions de personnes entre 1988 et 1996, en raison notamment de l'immigration-, de l'autre, du ralentissement de la croissance : - 2 points par an en moyenne par rapport à la fin des années 1980.

M. Jean Arthuis, rapporteur, s'est ensuite interrogé sur les conclusions paradoxales, en économie ouverte, des résultats présentés par M. Bernd Hof, la réduction du temps de travail y ayant des effets positifs sur l'emploi, tout en réduisant la croissance et en augmentant le coût du travail et l'inflation.

En réponse, M. Bernd Hof a souligné les difficultés d'interprétation des modèles économétriques et il a indiqué que ces effets positifs sur l'emploi représentaient le solde des créations d'emplois liées à la réduction du temps de travail et des destructions d'emplois résultant des pertes de croissance et de compétitivité. Il a estimé que l'expérience de Volkswagen, entreprise où la durée hebdomadaire du travail avait été réduite à 28 heures, avait démontré qu'il était possible de combiner, sous certaines conditions, temps de travail réduit, salaires élevés, productivité élevée et progrès technique rapide, de sorte que l'idéologie avait disparu du débat sur la réduction du temps de travail en Allemagne ; mais il a ajouté qu'il était essentiel que les modalités de mise en oeuvre de la réduction du temps de travail prennent en considération la situation spécifique de chaque entreprise.

M. Jean Arthuis, rapporteur, a ensuite interrogé M. Bernd Hof sur les modalités de mise en oeuvre de la réduction du temps de travail et sur l'évolution du temps de travail des cadres en Allemagne.

En réponse, M. Bernd Hof a précisé que le débat relatif à la réduction du temps de travail s'était concentré en Allemagne sur les non-cadres, et que les cadres qui exprimaient le souhait de voir leur temps de travail réduit étaient rares. Tout en indiquant qu'il ne souhaitait pas s'immiscer dans le débat français, M. Bernd Hof a par ailleurs souligné que la réduction du temps de travail envisagée en France était fondamentalement différente de la réduction du temps de travail mise en oeuvre en Allemagne, cette dernière résultant de conventions négociées par les partenaires sociaux en fonction des spécificités de chaque activité et non d'une obligation légale. Il a ajouté que les résultats des évaluations économétriques de la réduction du temps de travail n'étaient favorables que sous la condition du maintien de la durée d'utilisation des équipements, ce qui nécessitait des éléments de flexibilité dans l'organisation de l'entreprise, à l'instar de ceux introduits durant les années 1980 par les accords de réduction du temps de travail signés dans le secteur de la métallurgie.

En réponse à une autre question de M. Jean Arthuis, rapporteur, qui lui demandait si la décision de réduire la durée du travail pour l'ensemble des acteurs économiques était de nature à réduire le chômage, M. Bernd Hof a d'abord souligné que la réduction du temps de travail était sans doute un optimum de second, voire de troisième rang.

Il a ensuite indiqué que si les études économétriques entreprises sur la réduction du temps de travail pouvaient fournir des indications quant à ses effets sur l'emploi, ces effets dépendaient toutefois largement des conditions effectives de sa mise en oeuvre. Il a précisé qu'une réduction du temps de travail massive et uniforme sans baisse de salaire aurait des effets positifs sur l'emploi à court terme, mais que ces effets s'émousseraient, voire s'inverseraient à long terme. Il a ajouté qu'il n'était cependant plus possible d'affirmer qu'une réduction du temps de travail, assortie du développement de la flexibilité du temps de travail, n'entraînait pas une hausse de l'emploi, une baisse du chômage et des prestations sociales qui lui sont liées, et une réduction des déficits publics. Il a néanmoins ajouté qu'une autre stratégie, fondée sur la stimulation de l'innovation, l'encouragement des gains de productivité et la confiance en la dynamique du marché aurait peut-être des effets plus favorables sur l'emploi, dans la mesure où la réduction du temps de travail demeurait une stratégie de redistribution défensive, qui pouvait répondre à des difficultés conjoncturelles, mais qui ne pouvait résoudre des problèmes structurels.

Enfin, s'agissant de la réduction du temps de travail en France, M. Bernd Hof a indiqué que les études d'Eurostat concluaient à une préférence pour le revenu au détriment des loisirs plus forte encore en France qu'en Allemagne, de sorte que les partenaires sociaux français pourraient être plus réticents à des compromis.

En réponse à M. Louis Souvet, M. Bernd Hof a indiqué que, lorsqu'elle conduisait à un ralentissement de la croissance du PIB, la réduction du temps de travail relevait d'un choix de société entre l'augmentation du bien-être matériel d'un côté -les revenus-, le développement du bien-être immatériel de l'autre -les loisirs-. Il a rappelé les difficultés de transcription des résultats de l'expérience allemande de réduction du temps de travail à la France, en raison de différences culturelles, comme de différences de modes opératoires, le cadre législatif dans lequel s'inscrivent les négociations entre partenaires sociaux étant beaucoup plus lâche en Allemagne.

Il a précisé que ces différences expliquaient notamment les incertitudes soulevées par ses homologues français quant aux effets de la baisse de la durée légale du travail sur la durée effective du travail.

En réponse à une autre question de M. Louis Souvet, qui l'interrogeait sur le travail à temps partiel, M. Bernd Hof a indiqué qu'il n'y avait a priori pas de différence entre une réduction du temps de travail massive et le développement du travail à temps partiel. Il s'est référé à des travaux de la Commission européenne suggérant que les employeurs préféraient le développement du travail à temps partiel, cette forme de réduction du temps de travail n'entraînant aucune hausse des coûts du travail. Il a précisé que le travail à temps partiel ne résolvait néanmoins pas entièrement les problèmes de distribution du temps de travail entre ceux qui souhaitent travailler moins et ceux -dont les chômeurs- qui souhaitent travailler plus, dans la mesure où le développement du travail à temps partiel pouvait être contraint, à l'instar des Pays-Bas, où il s'était effectué sous la pression de la détérioration du marché de l'emploi.

M. Franck Sérusclat a alors observé que l'appréciation portée par M. Bernd Hof sur le projet français de réduction du temps de travail était sans doute trop rigoureuse, et il lui a demandé de préciser les liens existant en Allemagne entre la réduction du temps de travail et sa réorganisation d'une part ; entre la réduction du temps de travail et les délocalisations d'autre part.

En réponse, M. Bernd Hof s'est excusé de ses difficultés à jauger les différences culturelles, mais il a indiqué qu'un cadre législatif, combinant une durée hebdomadaire du travail fixée à 35 heures et le plafonnement d'un nombre d'heures supplémentaires à 130 par an, lui paraissait très strict. Il a par ailleurs estimé que la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail avait, en Allemagne, libéré énormément de créativité en matière d'organisation du travail, comme l'illustrait le développement de l'annualisation du temps de travail ou de formules comme les comptes épargne-temps, qui permettaient à des salariés âgés de capitaliser des journées de travail afin de partir plus tôt en retraite. Enfin, s'agissant des délocalisations, il a indiqué que celles-ci résultaient avant tout des conditions d'activité propres à chaque secteur, mais que la réduction du temps de travail, si elle entraînait une hausse des coûts, pouvait les accélérer.

M. André Jourdain a ensuite demandé à M. Bernd Hof des précisions sur la durée du travail sur l'ensemble du cycle de vie en Allemagne, ainsi que sur l'impact de l'évolution de la durée du travail sur l'équilibre des régimes sociaux.

En réponse, M. Bernd Hof a d'abord souligné que l'Allemagne était confrontée au vieillissement de sa population de manière beaucoup plus accentuée que la France. Il a ensuite indiqué que le taux d'activité de la population en âge de travailler était significativement plus haut en Allemagne qu'en France pour les tranches d'âge les plus élevées, notamment les 60-65 ans, mais que la situation était inverse pour les 30-50 ans, le taux d'activité des femmes étant plus élevé en France, de sorte que le taux d'activité total était semblable en France et en Allemagne.

S'agissant des régimes de retraites, M. Bernd Hof a indiqué qu'en dépit du souhait exprimé par certains partenaires sociaux d'abaisser l'âge de la retraite, celui-ci avait plutôt tendance à augmenter, afin de limiter le niveau des cotisations sociales, ce qu'illustrait la décision de repousser à 65 ans l'âge de la retraite pour les femmes, les travailleurs handicapés et les chômeurs.

En réponse à M. Claude Huriet, M. Bernd Hof a reconnu que les comparaisons de moyennes qu'il avait effectuées entre la France et l'Allemagne devaient être complétées par la comparaison fine des distributions de la durée du travail selon les branches.

Enfin, en réponse à M. Alain Gournac, président, qui lui demandait quelle serait sa réaction d'expert si le Gouvernement décidait une réduction de durée du travail à 35 heures pour toutes les entreprises en Allemagne, M. Bernd Hof a estimé qu'une réduction de 4 heures de la durée hebdomadaire du travail, ce qui la porterait de 37,6 heures à 33,6 heures, serait pour l'Allemagne une catastrophe. Il a par ailleurs jugé qu'elle était inconcevable, à cause de son caractère restrictif, et il a indiqué que les employeurs chercheraient en tout état de cause à éluder ce découpage du " manteau du travail ", comme l'avait illustré le sentiment de " douleur " des entreprises de la métallurgie à l'annonce de la réduction à 35 heures hebdomadaires de la durée du travail dans cette branche.

La commission d'enquête a ensuite procédé à l'audition de M. J.M.H. Donders, chef de la division du court terme au Central Plan Büro (Pays-Bas).

Dans un exposé liminaire, M. J.M.H. Donders a souligné que les Pays-Bas attiraient toujours l'attention des économistes, ceux-ci évoquant désormais le miracle hollandais, et non plus, comme à la fin des années 1970, la maladie hollandaise. Il a rappelé que l'économie des Pays-Bas avait en effet connu une forte croissance de l'emploi au cours des dix dernières années -de l'ordre de 1,5 % par an, contre 0,5 % par an en moyenne dans le reste de l'Europe-. Il a souligné que cette croissance de l'emploi avait permis l'intégration sur le marché du travail d'une main-d'oeuvre en forte progression, en raison d'une évolution démographique relativement dynamique et surtout de l'augmentation rapide du taux d'activité des femmes, qui avait désormais rattrapé la moyenne européenne.

Il a indiqué que le développement de l'emploi s'expliquait par l'existence d'un accord entre les employeurs et les salariés sur la modération des salaires et par le développement du travail à temps partiel qui, intéressant aujourd'hui 40 % des salariés, a pu favoriser l'augmentation du taux d'activité des femmes.

Il a précisé que la durée du travail à temps complet s'était réduite au début des années 1990 de 3,5 % en moyenne dans le secteur public et de 1 % en moyenne dans le secteur privé, mais que les discussions relatives à la réduction du temps de travail étaient désormais au point mort, ce qui n'était pas surprenant dans un pays où le taux de chômage devait atteindre 6 % en 1998. Il a indiqué que toute réduction du temps de travail supplémentaire se traduirait en effet par une baisse de la production, ce qui relevait d'un choix de société en faveur des loisirs au détriment du revenu.

S'agissant de la possibilité pour un pays connaissant un taux de chômage élevé, de réduire le chômage en abaissant la durée légale du travail, M. J.M.H. Donders a indiqué que cela lui semblait être une mauvaise solution, dans la mesure où les médiocres performances de l'Europe en matière d'emploi ne pouvaient s'expliquer par le niveau trop élevé de la durée du travail, qui était nettement moindre en Europe qu'au Japon et aux Etats-Unis.

Il a jugé que la réduction du temps de travail était une idée attractive parce qu'elle était simple, mais que les conditions nécessaires à la mise en oeuvre d'une stratégie de réduction du temps de travail étaient en fait si difficiles à réussir, que cette stratégie présentait de nombreux risques. M. J.M.H. Donders a précisé à cet égard qu'une réduction du temps de travail générale devait s'accompagner d'une baisse proportionnelle des salaires, sous peine d'une hausse du coût horaire du travail de nature à freiner l'emploi et la croissance. Il a indiqué que cette baisse des salaires devait être accompagnée d'une réduction homothétique des prestations sociales, afin de préserver le ratio entre revenus d'activités et prestations sociales, sous peine de créer des incitations défavorables au travail. Il a ajouté que la réduction du temps de travail risquait d'entraîner une contraction des capacités de production si elle entraînait une baisse de la durée d'utilisation des équipements ou une réduction des horaires d'ouverture des services. Enfin, il a souligné que la composition du chômage était différente de celle de l'emploi, de sorte que la réduction du temps de travail risquait d'entraîner une pénurie de certaines qualifications, susceptibles de pénaliser la compétitivité des entreprises et, par là même, l'emploi.

Un large débat s'est ensuite engagé avec les commissaires.

M. Jean Arthuis, rapporteur, a tout d'abord souligné le caractère exemplaire de la cohésion sociale et de la réussite économique néerlandaises, avant de demander à M. J.M.H. Donders quel avait été le rôle de l'Etat dans l'expérience de la réduction du temps de travail aux Pays-Bas.

En réponse, M. J.M.H. Donders a souligné que la situation économique des Pays-Bas était extrêmement détériorée au début des années 1980, avec un taux de chômage et des déficits publics particulièrement élevés, de sorte qu'un consensus s'était établi sur la nécessité d'un changement radical de politique économique. Il a précisé que le Gouvernement néerlandais avait réduit les dépenses et les déficits publics et qu'il avait exercé des pressions sur les partenaires sociaux pour ralentir l'évolution des salaires, afin d'accroître la part des profits dans la valeur ajoutée. Il a précisé que le Gouvernement était parvenu à rallier les organisations patronales et les syndicats à un consensus autour de ces objectifs dans le cadre du fameux pacte de Wassenaar, signé en 1982. Il a jugé que ce pacte avait été rendu possible par les désastres économiques antérieurs et il a ajouté que la progression des salaires avait été depuis lors modérée. Enfin, il a précisé que la réduction du temps de travail était une contrepartie obtenue par les syndicats dans le cadre du pacte de Wassenaar en échange de la modération salariale, et non l'inverse.

En réponse à une autre question de M. Jean Arthuis, rapporteur, relative au travail à temps partiel, M. J.M.H. Donders a précisé que le développement du travail à temps partiel aux Pays-Bas rencontrait les souhaits des salariés, notamment des femmes, car il avait favorisé la hausse de leur taux d'activité et car il s'était effectué sur une base contractuelle, selon les voeux des salariés et les besoins des entreprises.

Répondant à M. Jean Arthuis, rapporteur, qui s'interrogeait sur la pertinence de la notion de temps de travail pour les cadres, M. J.M.H. Donders a souligné le danger qu'une politique de la réduction du temps de travail ne s'accompagne d'une réduction du temps de travail de travailleurs rares, ce dont les partenaires sociaux étaient conscients aux Pays-Bas, comme l'illustrait l'accord intervenu dans le secteur bancaire, qui réduisait à 36 heures hebdomadaires la durée conventionnelle du travail, sauf pour les cadres, maintenus à 40 heures. Il a ajouté qu'il était, quoi qu'il en soit, important que les marchés du travail européens soient plus flexibles et il a remarqué qu'il fallait distinguer la durée légale ou conventionnelle du travail de la durée effective, la réduction de la première n'entraînant pas nécessairement la baisse de la seconde.

A M. Yann Gaillard, qui lui demandait des précisions sur le système néerlandais de salaire minimum progressif selon l'âge, M. J.M.H. Donders a indiqué que le salaire minimum était relativement élevé aux Pays-Bas, sa baisse étant bloquée par le niveau des minima sociaux, ce qui pénalisait l'emploi des salariés les moins qualifiés, mais que la progressivité de ce salaire minimum en fonction de l'âge évitait tout obstacle à l'emploi des jeunes, ceux-ci connaissant un taux de chômage faible.

En réponse à M. Marcel-Pierre Cléach, qui lui demandait des précisions sur les facteurs explicatifs du succès des Pays-Bas en matière d'emploi des jeunes et sur l'évolution du niveau des charges sociales, M. J.M.H. Donders a indiqué que le vieillissement de la population néerlandaise avait pour conséquence la réduction du nombre de jeunes, ce qui facilitait leur insertion professionnelle. Il a ajouté que le problème était plutôt aux Pays-Bas le chômage des travailleurs plus âgés, seulement 10 % des personnes âgées de 60 à 65 ans ayant un emploi. S'agissant des charges sociales, il a précisé que leur niveau était élevé au début des années 1980, en raison notamment du nombre important de personnes vivant de prestations sociales, mais que le ralentissement des salaires avait enclenché un cercle vertueux en favorisant l'emploi, ce qui réduisait progressivement la part de la population vivant de prestations sociales et entraînerait une réduction des charges sociales, d'où in fine une nouvelle augmentation de l'emploi. M. J.M.H. Donders a alors estimé que la France pourrait au contraire être engagée dans un cercle vicieux où la hausse des salaires freinerait l'emploi, ce qui augmenterait les dépenses sociales, donc entraînerait ou bien une augmentation du coût du travail, ou bien une réduction du salaire net, ce dont il résulterait in fine une nouvelle contraction de l'emploi dans le premier cas, des revendications salariales accrues dans l'autre.

En réponse à M. Roland du Luart, qui l'interrogeait sur les mécanismes politiques ayant permis la formation du consensus néerlandais, M. J.M.H. Donders a précisé que les divergences d'approche étaient traditionnellement peu marquées aux Pays-Bas, et que l'ampleur de la crise avait de surcroît favorisé le consensus. Il s'est ensuite interrogé sur la capacité des partenaires sociaux français à accepter des baisses de salaires en contrepartie de la réduction du temps de travail, et il a jugé qu'à défaut de cette capacité, la mise en oeuvre d'une politique de réduction du temps de travail serait inopportune, car préjudiciable à l'emploi.

Répondant à M. Jean Arthuis, rapporteur, M. J.M.H. Donders a indiqué que le Central Plan Büro, dont il était fonctionnaire, était un institut public, mais indépendant, dont la mission était de conseiller le Gouvernement dans le domaine économique et social. Il a ajouté que le Central Plan Büro réalisait également une évaluation des programmes des partis politiques.

M. André Jourdain a ensuite demandé à M. J.M.H. Donders si l'Etat avait subventionné le développement du travail à temps partiel aux Pays-Bas et si le travail à temps partiel y apparaissait comme un statut imposé ou précaire.

En réponse, M. J.M.H. Donders a précisé qu'il avait été envisagé de réduire les charges sociales pour les emplois d'une durée inférieure à 32 heures, mais que cette solution n'avait pas été retenue, en dépit de ce que le développement du travail à temps partiel favorisait l'emploi total. Par ailleurs, il a souligné que le travail à temps partiel n'était possible que sur accord entre l'employeur et les salariés concernés et qu'il n'était presque jamais imposé. Il a précisé que le débat portait plutôt aux Pays-Bas sur le développement d'un droit au passage à temps partiel, dans la mesure où de nombreux salariés, notamment des pères de famille, souhaitaient travailler moins, ce que refusaient leurs entreprises. Enfin, il a indiqué que les emplois dits flexibles s'étaient développés aux Pays-Bas, mais qu'ils ne prenaient pas nécessairement la forme d'emplois à temps partiel, mais également d'emplois intérimaires ou en contrats à durée déterminée à temps plein et que cette évolution s'expliquait par le souhait des entreprises d'éluder les rigidités du contrat de travail normal. Enfin, il a jugé qu'au total, les emplois à temps partiel n'étaient pas nécessairement précaires et il a estimé qu'aux Pays-Bas, beaucoup de femmes préféraient des emplois à temps partiel.

Mme Dinah Derycke a alors observé que si aux Pays-Bas le temps partiel avait favorisé l'arrivée des femmes sur le marché du travail, ce qui pouvait être vu comme un progrès, la situation était inversée en France puisque les femmes désirant travailler à temps plein étaient contraintes de travailler à temps partiel. Elle a ensuite interrogé M. J.M.H. Donders sur la proportion de temps partiel subi aux Pays-Bas et sur le caractère réellement productif et incompressible du temps de travail des cadres.

En réponse, M. J.M.H. Donders a précisé que les statistiques néerlandaises comptabilisaient plus de salariés à temps plein souhaitant travailler moins, notamment parmi les hommes, que de salariés à temps partiel souhaitant travailler plus, même s'il était exact que certaines femmes souhaitaient travailler plus, notamment parmi celles ayant un temps de travail très réduit.

Il a par ailleurs considéré qu'il était exact que certains salariés travaillaient plus longtemps que la durée légale du travail et que l'exemple du Japon, où le produit intérieur brut par heure travaillée était relativement faible, suggérait que la productivité marginale du travail était décroissante à partir d'un certain seuil, de sorte que la réduction du temps de travail pouvait s'accompagner d'une hausse de la productivité horaire, dans des proportions toutefois difficiles à estimer.

En ce qui concerne les Pays-Bas, il a jugé que la durée du travail y était néanmoins aujourd'hui très faible, si bien qu'il n'était pas certain qu'une réduction du temps de travail supplémentaire y entraîne encore des gains de productivité horaire, en raison des contraintes d'organisation du travail, ce qu'il a illustré par la difficulté d'organisation des réunions dans son institut, dont les fonctionnaires ont 47 jours de vacances par an.

Enfin, à M. Marcel-Pierre Cléach, qui s'inquiétait des réactions des partenaires européens de la France si celle-ci venait à annoncer une réduction du temps de travail générale, M. J.M.H. Donders a répondu qu'il ne lui paraissait pas inévitable que les mauvais exemples soient suivis et qu'il lui semblait plutôt que c'était l'exemple des Pays-Bas qui était imité.

Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, sous la présidence de M. Alain Gournac, président, la commission d'enquête a procédé à l'audition de M. Vincent Bronze, trésorier de l'association " Entreprises pour l'emploi ", président de la société Etna Ascenseurs.

M. Vincent Bronze a tout d'abord indiqué qu'il dirigeait une entreprise de 29 salariés, ayant pour activité principale l'installation et la maintenance d'ascenseurs et de monte-charges, qui avait décidé, il y a dix mois, de réduire son temps de travail de 15 % dans le cadre du volet offensif de la loi " de Robien ". Il a précisé que ses salariés travaillaient dorénavant huit heures vingt par jour, quatre jours par semaine, et bénéficiaient de surcroît d'une sixième semaine de congés payés. En outre, cette mesure a permis la création de quatre emplois de compensation, conformément à la loi, et de deux autres emplois supplémentaires liés au dynamisme généré par l'accord. En contrepartie, ses salariés avaient accepté une réduction de 3 % de leur salaire.

Il s'est déclaré en accord total avec le principe de la réduction du temps de travail et a souhaité apporter à la commission d'enquête son témoignage personnel sur les bienfaits d'une telle adaptation, comme il l'avait déjà fait auprès de ses confrères employeurs, des organisations syndicales et des salariés grâce, notamment, à l'association " Entreprises pour l'emploi " dont il fait partie.

Il a ensuite déclaré que les salariés de sa société avaient vu leur condition de travail s'améliorer considérablement et a remis à M. Alain Gournac, président, les témoignages de quelques-uns des salariés de son entreprise. Il a encore informé la commission d'enquête, qu'avant de réduire le temps de travail, son entreprise avait réalisé un référendum dont le résultat montrait que 100 % du personnel adhérait à ce projet.

M. Vincent Bronze a indiqué que la réduction du temps de travail avait été considérable ces cinquante dernières années et que, parallèlement, les profits des entreprises l'avaient été tout autant. Il a déclaré que, grâce à la loi de Robien, son entreprise avait bénéficié d'un " formidable outil d'accompagnement ", voire d'un " gros cadeau ", mais qu'en contrepartie elle avait su innover et anticiper sur une situation que tout le monde savait inexorable. Il a toutefois fait part de ses difficultés à mettre en oeuvre un tel accord, notamment pour remplir les dossiers, trouver des interlocuteurs salariés, organiser un dialogue social, généralement inexistant dans les petites et moyennes entreprises (PME), et surtout remettre en question l'organisation du travail en passant au crible toutes les habitudes, bonnes ou mauvaises, afin de découvrir de nouvelles méthodes de travail.

Il a ensuite déclaré que, grâce à cela l'entreprise avait augmenté sa capacité réelle de production afin d'accompagner sa croissance interne, supprimé l'absentéisme, élargi l'amplitude horaire des services, satisfait ses clients et, enfin, augmenté l'utilisation de ses investissements.

Il a en outre indiqué que, dans une PME en expansion, les besoins en fonds de roulement étaient très forts et que, de ce point de vue, un dispositif d'allégement des charges sociales constituait un formidable accompagnement financier pour la croissance de la société. Il a reconnu que son entreprise n'aurait jamais pu se développer à ce point en si peu de temps sans ce soutien. Il a encore indiqué que les besoins en main-d'oeuvre des PME étaient réels, mais qu'une PME comme la sienne ne disposait pas de l'argent nécessaire pour les effectuer. Toutefois, il a indiqué qu'il ne croyait pas que l'on doive soutenir le développement des entreprises par des exonérations de charges sociales et qu'il valait mieux demander aux organismes financiers en général et aux banques en particulier de remplir ce rôle de soutien financier.

Il a insisté sur le caractère " donnant-donnant " de la loi de Robien, à savoir : emplois réels et contrôlés contre exonérations, et a regretté que les pouvoirs publics ne se soient pas donnés les moyens de promouvoir davantage ce dispositif en désignant des " Voyageurs représentants placiers (VRP) " chargés d'inciter les employeurs à se réorganiser.

Il a redit que la réduction du temps de travail lui semblait une bonne chose aussi bien pour l'entreprise en termes d'organisation, que pour les salariés, à condition toutefois que ceux-ci participent pleinement à la discussion et sans contrainte.

Cependant, dans un second temps, il a observé qu'obliger par une loi-cadre toutes les entreprises, quels que soient leur taille, leur activité, leur situation géographique ou financière, leur niveau de salaire, leur volume de main-d'oeuvre, à diminuer le temps de travail pour créer des emplois, lui semblait " irréaliste ". Il s'est notamment déclaré choqué que l'on puisse assimiler une entreprise comme Renault et ses milliers de salariés à ses sous-traitants qui n'en comptent que quelques dizaines, en insistant sur le fait que ce sont les PME qui créent les emplois.

M. Vincent Bronze a encore estimé que la contrainte aura l'effet inverse de celui recherché. Selon lui, les sociétés qui n'en veulent pas n'embaucheront pas, voire réduiront leur personnel pour maintenir leur masse salariale, même si la durée légale passait à 35 heures, les emplois précaires compenseront les manques, l'organisation des services sera modifiée unilatéralement de façon à garantir l'activité, enfin, une certaine forme de flexibilité se mettra en place, au détriment du personnel.

Il a indiqué que les 35 heures ne constituaient pas une fin en soi, mais, peut être, un moyen de lutte contre le chômage et seulement si tous les partenaires en étaient d'accord. Dans cette perspective, il a insisté sur l'intérêt de ne donner des moyens qu'aux seules entreprises volontaires pour appliquer la réduction du temps de travail. Il s'est déclaré convaincu que l'idée de réduire le temps de travail pour améliorer la productivité se répandrait librement dans les entreprises et qu'aider les entreprises à créer des emplois aujourd'hui, c'était se donner les moyens de diminuer les charges sociales demain.

Il a encore indiqué que des milliers d'entreprises travaillent déjà moins de 39 heures, grâce à différents types d'accords collectifs, aidés ou non, et ce depuis des années, alors que la loi ne les y oblige pas.

Enfin, il a conclu son intervention en insistant sur le drame humain que constituait la présence de 5 millions de demandeurs d'emplois et travailleurs précaires, le frein pour l'économie que cela représentait et le danger à terme de cette situation.

En réponse à M. Jean Arthuis, rapporteur, M. Vincent Bronze a déclaré que les quatre emplois créés dans son entreprise avaient été financés intégralement par les exonérations de charges sociales et la réduction de 3 % des salaires. Il a toutefois reconnu que les emplois créés avaient permis des gains de parts de marché pour son entreprise, ce qui, dans le cadre d'un marché peu évolutif comme celui de l'entretien des ascenseurs, s'était vraisemblablement traduit par des destructions d'emplois chez ses concurrents.

En réponse à M. Alain Gournac, président, M. Vincent Bronze a déclaré qu'avant la loi " de Robien " son entreprise n'avait jamais envisagé de réduire la durée du travail dans la mesure où les salariés n'étaient pas demandeurs de cette mesure. Il a ajouté que, dans une PME, la réduction de la durée du travail présentait l'avantage d'accroître le nombre des salariés et ainsi de faire face plus facilement aux exigences de la demande en cas d'absentéisme. Il a ajouté que son entreprise n'avait pas encore envisagé la sortie du dispositif de la loi " de Robien " dans la mesure où celle-ci n'interviendrait que dans sept ans. Il a encore indiqué que le personnel de son entreprise avait accepté une diminution salariale d'autant plus facilement que s'était révélée une sorte de " mobilisation citoyenne " au profit des chômeurs. Au demeurant, a-t-il ajouté, la compensation a été telle en termes de temps de repos supplémentaire, que les salariés auraient sans doute été peu fondés à ne consentir aucun effort. Toujours en réponse à M. Alain Gournac, président, M. Vincent Bronze a redit que le caractère obligatoire de la réduction du temps de travail lui semblait " irréaliste ".

Un débat s'est ensuite engagé auquel ont participé Mme Dinah Derycke ainsique MM. Louis Souvet, André Jourdain, Alain Gournac, président, et Jean Arthuis, rapporteur.

En réponse à M. Louis Souvet qui s'étonnait de trouver pour la première fois un chef d'entreprise confiant dans la loi Aubry, M. Vincent Bronze a rappelé que, s'il était très favorable au principe de la réduction de la durée du temps de travail, il était tout aussi réservé sur le principe d'une réduction obligatoire et généralisée.

En réponse à Mme Dinah Derycke qui l'interrogeait sur la question de savoir pourquoi les autres entreprises n'avaient pas mis en oeuvre de la même façon la loi " de Robien ", M. Vincent Bronze a indiqué qu'il y avait, d'une part, un problème d'information et, d'autre part, un blocage psychologique des chefs d'entreprise devant la grande difficulté matérielle que représentait la réorganisation de l'entreprise. A ce sujet, il a insisté sur le fait que le dirigeant d'une PME est bien souvent un homme seul qui ne dispose ni d'un directeur des ressources humaines, ni d'un grand nombre d'assistants susceptibles d'être mobilisés sur ce seul sujet. Or, la réduction du temps de travail suppose une remise à plat complète de l'organisation de l'entreprise et un dialogue avec les représentants syndicaux, au cours desquels, même de bonne foi, des erreurs dans l'application de la loi pouvaient être commises.

Enfin, en réponse à M. André Jourdain, M. Vincent Bronze a indiqué que la réduction de la durée du travail lui semblait plus facile à mettre en oeuvre dans les entreprises de production que dans les entreprises de main-d'oeuvre.

La commission d'enquête a ensuite procédé à l'audition de M. Franck Borotra, député des Yvelines.

M. Franck Borotra a d'abord souligné que le débat sur la réduction du temps de travail était très mal engagé et qu'il ne pouvait conduire qu'à un blocage, les parties campant sur des a priori idéologiques et le Gouvernement modifiant son discours, l'accélération du processus de réorganisation des entreprises dans le cadre d'un " donnant-donnant " ayant remplacé la création massive d'emplois. Il a ajouté que ce débat arrivait à un mauvais moment, car il touchait de plein fouet les entreprises françaises, moins rentables et investissant moins que leurs concurrentes, au moment où s'accélérait la concurrence mondiale et régionale, le développement de nouveaux marchés, l'apparition de nouvelles technologies, et l'accroissement des échanges.

Il a alors regretté qu'une certaine confusion ait été introduite, conduisant à confondre la réduction du temps de travail et les 35 heures, et du même coup à condamner l'aménagement du temps de travail et la réduction du temps de travail.

Il a jugé que la réduction du temps de travail était souhaitable, inéluctable et nécessaire, mais qu'elle était d'autant plus forte et utile qu'elle suivait harmonieusement les gains de productivité.

Rappelant que la réduction et l'aménagement du temps de travail soulevaient un problème de partage du surplus de la richesse créée dans l'entreprise, il a estimé que dans les dix ans qui venaient de s'écouler les salariés n'avaient pas eu la part qui leur revenait. Mais il a considéré qu'un tel problème ne pouvait être réglé que par la négociation, entreprise par entreprise, en fonction de leur situation financière, de leur capacité concurrentielle et du choix des salariés. Il a de plus rappelé qu'il fallait arbitrer entre l'investissement, qui lui non plus n'avait pas trouvé son compte, la réduction du temps de travail, les hausses de salaires, et la création d'emplois.

Il a souligné que ce n'était pas la réduction du temps de travail qui créait des emplois, mais la réduction des coûts et les gains de productivité affectés à la conquête des marchés.

M. Franck Borotra a alors observé que l'application sur courte période d'une baisse très forte et généralisée du temps de travail allait avoir des conséquences considérables sur le fonctionnement des entreprises, en accélérant encore le processus de réorganisation, afin de rechercher des gains supplémentaires de productivité. Puis, il a rappelé que chaque année, 3,5 millions d'emplois environ étaient créés et supprimés dans les entreprises, soit une rotation de main-d'oeuvre de 7 millions d'emplois, touchant les moins qualifiés le plus souvent, et y a vu une source évidente de précarité, voire de chômage.

Il a donc insisté sur les risques liés à l'accélération de ce processus, d'autant que celui-ci pousserait les entreprises à réaliser des investissements de productivité, des concentrations sur les sites les plus rentables, voire des délocalisations, plutôt qu'à créer des postes de travail.

Il a ajouté qu'une application uniforme de la réduction du temps de travail était impossible, sauf à accepter des conséquences graves pour certains secteurs et certaines entreprises.

Estimant que les grandes entreprises dans leur ensemble n'auraient pas trop de difficultés, étant destructrices nettes d'emplois en France depuis de nombreuses années et en phase d'accélération de leur processus de restructuration, il a considéré que pour les entreprises moyennes, les plus créatrices d'emplois, et pour les petites entreprises, une mesure généralisée et uniforme de réduction du temps de travail, sans tenir compte de la situation financière, de la concurrence et de la nature de l'activité, était proprement suicidaire.

Il a poursuivi son propos en faisant valoir qu'un tel processus aurait malheureusement des conséquences sociales néfastes, en précarisant davantage encore la situation des salariés du secteur privé, aggravant ainsi la vraie fracture sociale entre les secteurs public et privé.

Il a remarqué que sur les 15 millions de salariés du secteur marchand, 7 millions occupaient des emplois à faible qualification qui seraient encore davantage fragilisés et précarisés, alors que 13 millions de Français avaient une rémunération dépendante de l'impôt.

Il en a conclu que la loi allait accentuer le défaut des entreprises françaises, qui consiste à pratiquer davantage la flexibilité externe par l'ajustement des effectifs à la demande, le recours au travail temporaire, aux contrats à durée déterminée et à la sous-traitance, que la flexibilité interne à travers des formules d'aménagement du temps de travail, d'horaires variables, d'annualisation et de temps partiel.

Il a alors dénoncé le caractère anachronique de la négociation en France qui consiste à privilégier le niveau global au détriment des réalités économiques et sociales du terrain, puis à légiférer devant l'incapacité à conclure des accords.

M. Franck Borotra a souligné que la responsabilité face au chômage n'était pas la même selon les gouvernements puisque, entre 1981 et 1986 et entre 1988 et 1993, le chômage avait augmenté de 1.263.683, et avait diminué de 249.852 entre 1986 et 1988 et entre 1993 et 1997. Puis, il a considéré que la réduction du temps de travail ne constituait pas une voie nouvelle puisque, essayée en Allemagne, elle n'avait pas eu d'effet sur l'emploi.

Il a conclu en estimant que le Gouvernement ne croyait ni en la croissance ni en la capacité des entreprises à créer les emplois nécessaires pour réduire le chômage, et partait d'un principe faux selon lequel le volume de travail étant fixe, il n'y avait pas d'autre solution que de le partager.

Ayant jugé cette stratégie défensive et antiéconomique, il a estimé que sa conséquence serait l'accroissement du coût du travail et des dépenses publiques, donc des prélèvements, soit le contraire de ce qu'il faudrait faire et l'inverse de ce qui était entrepris par nos concurrents.

M. Jean Arthuis, rapporteur, a alors questionné le député, ancien ministre de l'industrie, sur ses recommandations.

En réponse, M. Franck Borotra a indiqué que la création d'emplois dans le secteur marchand était conditionnée à un surcroît de liberté donnée aux entreprises et, en particulier, au 1,3 million d'entreprises de très petite taille ne comptant pas de salariés. Il a ajouté qu'il convenait de baisser les charges pesant sur le coût du travail, de simplifier le code du travail et la fiscalité, et d'abord de montrer du respect vis-à-vis des entrepreneurs ; il a d'ailleurs observé que ceux-ci étaient méconnus du monde politique et administratif, la pire des ignorances étant, selon lui, celle manifestée par l'administration des finances. Il a appelé de ses voeux une rénovation du système de négociation collective et la fin d'un interventionnisme étatique contreproductif.

M. Paul Girod s'étant demandé si, à la différence de ses voisins, notre pays n'avait pas opté pour un modèle produisant des chômeurs protégés plutôt que pour un système débouchant sur des emplois intégrés, M. Franck Borotra a dénoncé l'illusion selon laquelle la protection des chômeurs pouvait être considérée comme absolue, faisant observer que les chômeurs de longue durée basculaient inéluctablement dans l'exclusion. Il a souligné que la vraie fracture opposait un secteur privé précarisé à un secteur public protégé.

M. Claude Huriet a craint que le débat sur les 35 heures ne fournisse l'occasion d'une résurgence de la lutte des classes, le Gouvernement cherchant une radicalisation du débat politique autour d'un projet dont il était impératif de démontrer dans la sérénité les conséquences néfastes.

M. Franck Borotra a acquiescé à ses propos, observant que le projet du Gouvernement était plus grave que d'autres initiatives malheureuses comme les privatisations, car marqué par l'irréversibilité. S'étant félicité que les socialistes aient pu dans le passé contribuer à réconcilier les Français et l'entreprise, il a déploré qu'ils n'aient pas encore reconnu le rôle de l'entrepreneur, soulignant que rien ne serait possible sans les chefs d'entreprise dans la mesure où ceux-ci n'accepteraient pas la mise en oeuvre de décisions contraires à l'intérêt de leurs firmes.

M. Alain Gournac, président, a alors souhaité connaître l'appréciation de l'intervenant sur la loi " de Robien ".

M. Franck Borotra a, en réponse, considéré que si ce texte avait été utile, il ne constituait pas une réponse généralisable, et il posait la question de la légitimité de l'intervention de l'Etat pour sauver des entreprises.

La commission d'enquête a ensuite procédé à l'audition MM. Jacques Renaud, directeur des ressources humaines de MBK Industries et Jean-Claude Cardon, responsable administratif.

M. Jacques Renaud a tout d'abord rappelé les conditions dans lesquelles la société MBK Industries, située dans l'Aisne, avait été créée en 1984 à la suite du dépôt de bilan de la société des Ateliers de Motobécane en mars 1983. Après deux années d'existence caractérisées par de très nombreuses difficultés, la société MBK avait fait l'objet d'un audit complet par un groupe d'études de la société " Yamaha ".

Des pourparlers engagés avec le groupe Yamaha ont débouché sur la reprise, en 1986, de MBK par Yamaha. Toutefois, la situation financière de l'entreprise a conduit à l'élaboration d'un projet de licenciement économique. Parmi les mesures retenues par le plan social figurait un projet de réduction concertée du temps de travail à durée modulée. Un accord a ainsi été signé en février 1986 par une partie des organisations syndicales, puis par la totalité en décembre 1987.

M. Jacques Renaud a ensuite détaillé les principales caractéristiques de l'accord : suppression du paiement au rendement, durée du temps de travail effectif ramené à 35 heures pour un temps de présence total de 37 heures 50, dispositions spécifiques pour le personnel non lié à la production, avec notamment l'institution d'un crédit d'heures hebdomadaires, mise en place d'outils destinés à évaluer l'efficacité de l'entreprise et à favoriser le dialogue social.

Le directeur des ressources humaines a également précisé que l'entreprise s'était engagée à maintenir les effectifs à leur niveau du 1er mai 1986 pour une durée de trois ans.

Il a ensuite détaillé les conditions de la modulation sur douze mois de la durée hebdomadaire rémunérée sur une base de 35 heures hebdomadaires ainsi que les modalités de comptabilisation individuelle des heures de travail. En fin de période de modulation, les heures faites en plus de la durée conventionnelle sont payées et partiellement récupérées. Les heures négatives sont reportées sur l'année suivante.

Enfin, M. Jacques Renaud a dressé le bilan de l'application de l'accord de 1986 à 1998 : maintien des effectifs (1.409) pendant toute cette période, horaire moyen hebdomadaire de 35 heures 27, suppression du chômage partiel et plus que doublement du chiffre d'affaires.

Il a également souligné que l'accord avait permis une meilleure sensibilisation de l'ensemble du personnel aux nécessaires adaptations de l'outil de production pour faire face aux besoins. Il a conclu en soulignant l'implication des salariés et des partenaires sociaux dans la vie de l'entreprise, au service du respect de l'objectif de sauvegarde du maximum d'emplois.

Enfin, tout en s'interrogeant sur un éventuel changement de législation, M. Jacques Renaud a manifesté son optimisme quant aux capacités de MBK à s'adapter.

En réponse à M. Jean Arthuis, rapporteur, M. Jean-Claude Cardon a détaillé le mécanisme d'annualisation du temps de travail qui permet de faire porter l'effort de production sur les 28 premières semaines de l'année.

M. Jacques Renaud a reconnu que MBK n'était pas demandeur d'une réforme législative. Il a souligné que le processus conventionnel utilisé par MBK avait donné un nouveau souffle à l'entreprise, auparavant très syndicalisée et " turbulente ". Il a rappelé que les demandes à caractère social supposaient que l'entreprise fasse des bénéfices, et que cette idée était désormais bien acceptée par l'ensemble du personnel, ce qui permettait à la direction de tenir un langage de transparence et de vérité. Il a indiqué qu'en contrepartie de la souplesse demandée au personnel, celui-ci bénéficiait d'une politique sociale rénovée, notamment en termes de salaires.

M. Jean-Claude Cardon a observé que la loi sur les 35 heures allait augmenter les coûts de l'entreprise de l'ordre de 2,8 %.

M. Jacques Renaud a ajouté que l'entreprise devrait faire de nouveaux efforts de productivité, sans doute en intervenant sur la négociation salariale, afin d'éviter que Yamaha ne confie certaines productions à d'autres unités, situés notamment en Espagne où les coûts de main-d'oeuvre sont inférieurs.

M. Paul Girod a rappelé les raisons des difficultés de Motobécane et les conditions dans lesquelles il avait été amené à intervenir lors de la reprise de MBK par Yamaha.

Il s'est ensuite interrogé sur le devenir de l'accord une fois la durée légale du temps de travail abaissée à 35 heures.

MM. Jean-Claude Cardon et Jacques Renaud ont indiqué que le changement de législation déboucherait sur une utilisation plus importante des heures supplémentaires, mais que ces dernières ne pourraient être prises en compte que progressivement dans les prévisions à long terme. Ils ont souligné que ces surcoûts seraient un élément des prochaines négociations destinées à augmenter les gains de productivité.

En réponse à M. Jean Arthuis, rapporteur, M. Jacques Renaud a précisé que le groupe Yamaha spécialiserait MBK sur les produits à forte valeur ajoutée et répartirait le reste de la production dans des pays à législation plus souple ou à main-d'oeuvre moins coûteuse.

En réponse à M. André Jourdain qui s'interrogeait sur la possibilité de trouver de nouveaux gains de productivité, M. Jacques Renaud a fait part d'un projet d'investissement en matériels plus performants et a indiqué qu'il rechercherait davantage de flexibilité par le recours à des contrats à durée déterminée. Il a précisé qu'une plus grande modération salariale serait recherchée et qu'en tout état de cause, il n'y aurait pas de création d'emploi.

En réponse à M. Alain Gournac, président, il a expliqué la modération des prévisions de chiffre d'affaires pour 1998 par la traditionnelle prudence japonaise.

Il a indiqué que MBK n'avait pas été intéressée par la loi " de Robien " d'une part, parce que l'accord signé en 1987 donnait toute satisfaction, d'autre part, parce que les Japonais répugnaient à faire appel aux deniers publics. Enfin, il a précisé que la réduction du temps de travail n'avait jamais constitué la priorité des syndicats chez MBK, ceux-ci lui préférant la préservation de l'emploi, l'abandon des rémunérations au rendement et la suppression du chômage partiel.

La commission d'enquête a ensuite procédé à l'audition de M. Jean-Claude Trichet, gouverneur de la Banque de France.

M. Jean-Claude Trichet a déclaré que la Banque de France était une institution indépendante chargée par le législateur de " garder " la monnaie pour le compte de tous les Français et que le Conseil de la politique monétaire était attentif à ce que ses responsabilités ne se substituent en aucune manière ni à celles du Gouvernement, du Parlement, des partenaires sociaux, ni à celles des responsables politiques et sociaux de notre pays. Il a ajouté que la Banque de France n'était pas dans le champ des confrontations politiques et sociales, au demeurant naturelles en démocratie.

Il a ensuite rappelé que le législateur avait confié, depuis 1993, à la Banque de France, le soin de veiller à la stabilité des prix, ce qui l'obligeait à maintenir la valeur de notre monnaie, présente et future, et à préserver le pouvoir d'achat des Français, en particulier celui des plus démunis. Il a ajouté que, au-delà de cet objectif, la loi française et le Traité de Maastricht avaient voulu -grâce à la stabilité de la monnaie- réunir les conditions de la croissance et de la création d'emplois. Ceci supposait, d'une part, de renforcer la confiance des épargnants et de permettre à notre économie de bénéficier de financements à des tauxd'intérêt de marché favorables et, d'autre part, de préserver et de renforcer la compétitivité de notre économie en contribuant à une faible hausse des coûts de notre secteur productif.

M. Jean-Claude Trichet a insisté sur le fait qu'au cours de ces quatre dernières années, le Conseil de la politique monétaire avait gardé présent à l'esprit non seulement cet objectif de préservation du pouvoir d'achat de la monnaie, mais aussi ce qui s'en déduit, à savoir la création de conditions monétaires, financières et de compétitivité permettant à notre économie de mobiliser autant que possible ses capacités de croissance saine et durable. A cet égard, il a fait observer qu'avec, d'une part, les plus bas taux d'intérêt de marché de l'Union européenne, ex aequoavec les taux néerlandais et allemands et, d'autre part, un bon niveau de compétitivité, attesté par des exportations dynamiques, notre économie disposait de conditions monétaires, financières et de compétitivité favorables. Il a toutefois précisé qu'il s'agissait là de conditions nécessaires mais non suffisantes et a ajouté que les banques centrales ne " commandaient " ni la croissance, ni la création d'emplois. Selon lui, celles-ci résultent d'abord du travail et de l'efficacité des employés, des ouvriers, des ingénieurs, ainsi que de la créativité et de la capacité d'innovation des entreprises, domaines dans lesquels la France a de grands atouts, et ensuite des stratégies et des réformes structurelles permettant de réduire les frais généraux de l'économie, de libérer les initiatives, d'assouplir le fonctionnement du marché du travail et, d'une manière générale, de favoriser l'émergence et la croissance des activités sur notre territoire. A cet égard, il a fait observer que 1'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et le Fonds monétaire international (FMI) affirmaient que 80 % environ du chômage dans notre pays et dans les pays voisins étaient structurels, c'est-à-dire suscités et rendus permanent par nos propres règles. Dans cette perspective, il a indiqué que le Conseil de la politique monétaire souhaitait appeler plus particulièrement l'attention sur deux règles importantes de l'économie de marché adoptées aussi bien par notre pays que par l'ensemble des pays européens et par la quasi-totalité des pays du monde à savoir : d'une part la liberté des individus qui, libres de placer leur épargne là où ils le souhaitent et de consommer les produits de leur choix, décident de donner du travail, donc des emplois, à telle entreprise plutôt qu'à telle autre et, d'autre part, la liberté d'investissement des entreprises qui décident de localiser, ici ou là, les emplois suscités par la demande des consommateurs.

Il a ensuite rappelé que, depuis sa création, le Conseil de la politique monétaire avait insisté sur la nécessité absolue de maintenir nos coûts unitaires de production à un niveau aussi compétitif que possible, non seulement du point de vue de la préservation d'un bas niveau d'inflation, mais aussi pour que les consommateurs bénéficient de bons rapports qualité prix, que les investisseurs investissent sur notre sol et que, par conséquent, la création d'emplois y soit aussi dynamique que possible.

Il a redit que le Conseil de la politique monétaire n'avait pas à prendre parti sur le projet de loi d'orientation et d'incitation relatif à la réduction du temps de travail, mais qu'il était néanmoins dans son rôle en rappelant que si nos coûts unitaires de production augmentent par rapport à une évolution spontanée de référence, les prix des produits et services français se trouvent incités à augmenter, le rapport qualité prix de nos produits faisant que les consommateurs français et étrangers seront moins enclins à en acheter par rapport aux produits étrangers concurrents et que, de même, les investisseurs français et étrangers seront moins enclins à investir sur le territoire national. En revanche, si nos coûts sont préservés et, a fortiori, si notre compétitivité est renforcée, nous serons, selon lui, dans une meilleure position.

M. Jean-Claude Trichet a, en outre, indiqué que si la réduction du temps de travail pouvait se traduire par des goulots d'étranglement dans certains secteurs de la production, le nombre total d'heures travaillées dans notre pays pourrait en être affecté et certaines tensions inflationnistes pourraient surgir.

Il a déclaré que, pour toutes ces raisons, le Conseil de la politique monétaire estimait que, le cas échéant, l'annualisation du temps de travail, la souplesse appropriée dans l'application des heures supplémentaires, la prise en compte de la situation spécifique de l'encadrement et surtout la modération des évolutions salariales horaires, devraient être pris en considération dans le dispositif d'une loi portant sur la réduction du temps de travail.

En réponse à M. Jean Arthuis, rapporteur, qui l'interrogeait sur la façon dont pourraient évoluer les variables clefs que sont la modération salariale, les gains de productivité et, d'une façon générale, le dialogue social, en réponse au " choc économique " des 35 heures, M. Jean-Claude Trichet a redit que la Banque de France ne portait pas d'appréciation globale sur le projet de loi et ne souhaitait pas s'immiscer dans le débat démocratique sur l'opportunité de ce projet. Toutefois, il a indiqué qu'il fallait veiller à ne pas diminuer la compétitivité de nos entreprises et a souligné l'importance, d'une part, des mesures permettant d'assouplir l'organisation du travail et, d'autre part, des gains de productivité en portant notamment une attention particulière aux coûts de main-d'oeuvre. Il a également insisté sur le problème spécifique de la durée du temps de travail des cadres et évoqué la possibilité de " goulots d'étranglement ". Il a redit que la question de l'évolution de la masse salariale était fondamentale et que toute augmentation des coûts horaires de production pourraient se traduire par une perte de compétitivité.

En réponse à M. Jean Arthuis, rapporteur, qui l'interrogeait sur les raisons du " hiatus " constaté par la commission d'enquête entre l'optimisme des théoriciens et le pessimisme des praticiens, M. Jean-Claude Trichet a déclaré que les modèles économétriques actuels ne donnaient probablement pas de bonnes images de la réalité et qu'ils n'étaient pas bien adaptés pour jouer un rôle prédictif. A cet égard, il a indiqué le rôle fondamental joué par les anticipations des agents économiques et, au premier rang, celles des chefs d'entreprise. Il a insisté sur le rôle majeur joué par la " confiance " des agents économiques et sur l'incapacité des modèles à prendre en compte ce déterminant. Il a redit que les études menées par les organismes internationaux concluaient à ce qu'environ 80 % du chômage actuel résultaient du jeu des règles propres à chaque pays, tout en reconnaissant la difficulté de changer ces règles lorsqu'elles sont fondées sur la culture propre de ces pays.

En réponse à M. Jean Arthuis, rapporteur, qui l'interrogeait sur la question de savoir si la réduction du temps de travail constituait la seule politique que nous n'ayons pas essayé pour réduire le chômage, il a indiqué que le Conseil de la politique monétaire avait examiné les différentes politiques menées en Europe continentale et que, de ce point de vue, il y avait beaucoup de leçons à tirer des expériences hollandaise et danoise. Il a déclaré que l'on n'avait pas épuisé toutes les politiques possibles pour réduire le chômage et que d'autres réformes étaient envisageables.

En réponse à M. Jean Arthuis, rapporteur, qui lui demandait si la Banque de France avait conduit des études sur les conséquences sur l'économie française du passage aux 35 heures, M. Jean-Claude Trichet a déclaré que la Banque de France n'avait pas, de sa propre initiative, conduit d'études sur ce sujet, mais qu'à la demande du ministère de l'emploi et de la solidarité, et selon des hypothèses fournies par ce ministère, elle avait effectué une simulation qui serait publiée le lendemain de son audition, sous la seule responsabilité de ce ministère. A cet égard, il a démenti vivement les informations publiées par le journal " Le Monde ", attribuant à la Banque de France la responsabilité d'une étude concluant à la création de 700.000 emplois par la réduction du temps de travail. M. Jean Arthuis, rapporteur, lui a alors demandé de fournir cette étude à la commission d'enquête.

En réponse à M. Alain Gournac, président, qui s'étonnait que l'on puisse utiliser le crédit de la Banque de France pour publier une étude dont l'impact dans le débat législatif en cours pouvait être très important, M. Jean-Claude Trichet a de nouveau démenti que cette étude puisse engager de quelque façon que ce soit la Banque de France et a donné lecture d'une lettre adressée à ce sujet au directeur de la Direction de l'animation de la recherche des études et des statistiques (DARES). Il a enfin insisté sur la " défaillance " des modèles et leur incapacité à prédire l'avenir.

Un débat s'est ensuite engagé auquel ont participé MM. Yann Gaillard, Paul Girod, André Jourdain, Jean Arthuis, rapporteur, et Alain Gournac, président.

M. Yann Gaillard a souligné combien le contenu de l'article du journal " Le Monde " était décalé, dans un sens optimiste, par rapport à l'ensemble des déclarations effectuées par les personnes auditionnées par la commission d'enquête et a souhaité remercier le Gouverneur de la Banque de France pour la lumière, même " tamisée ", que le Conseil de la politique monétaire avait bien voulu apporter sur les travaux du législateur. M. Jean-Claude Trichet a alors rappelé le message constant que souhaite faire passer la Banque de France, celui de la nécessité de la compétitivité.

En réponse à M. Paul Girod, M. Jean-Claude Trichet a confirmé le fait que l'application de la réduction du temps de travail aux cadres constituait un problème très délicat et très important.

En réponse à M. André Jourdain, M. Jean-Claude Trichet a confirmé que la dernière enquête de conjoncture menée par la Banque de France était bonne et que ses services avaient constaté un dynamisme encourageant de la demande interne au mois de décembre dernier.

Enfin, en réponse à M. Jean Arthuis, rapporteur, qui l'interrogeait sur les effets de la coïncidence du calendrier de l'euro et de celui des 35 heures, M. Jean-Claude Trichet a indiqué que la monnaie unique renforcerait la concurrence et accroîtrait de ce fait la nécessité pour nos entreprises d'être compétitives.