Table des matières
DÉLÉGATION DU SÉNAT POUR LA PLANIFICATION
Mercredi 20 novembre 2002
- Présidence de M. Joël Bourdin, président.
Perspectives macroéconomiques à l'horizon 2007 - Examen du rapport d'information
M. Joël Bourdin, président, a ouvert la réunion de la Délégation en présentant les principales conclusions de son rapport relatif à des projections macroéconomiques sur cinq ans, couvrant la période 2003-2007.
Il a rappelé que la Délégation pour la planification du Sénat se livrait à cet exercice de modélisation depuis maintenant vingt ans, et a tenu à saluer ses collègues et prédécesseurs, qui ont contribué à la réalisation de ces travaux.
Il a souligné que si la modélisation macroéconomique ne permettait pas de faire des prévisions, elle permettait, en revanche, d'explorer des scénarios cohérents, éclairant utilement les problèmes de politique économique.
M. Joël Bourdin, président, a ensuite présenté le premier chapitre du rapport, consacré aux perspectives de court terme de l'économie française. Il est revenu sur la prévision de croissance de l'économie française pour 2002, qui est de l'ordre de 1 %. Puis, il a indiqué que la quasi-totalité des prévisionnistes s'attendait, en 2003, à une reprise, modérée, de l'activité, avec une croissance qui serait de l'ordre de 2 %. Il a précisé que ces prévisions étaient tributaires d'une reprise de l'investissement et d'une reconstitution des stocks, deux agrégats difficiles à modéliser.
M. Joël Bourdin, président, a fait quatre observations relatives à l'environnement international de la France. Il a relevé le poids des contraintes qui pèsent sur la politique économique des grands Etats de la zone euro : la situation dégradée de leurs finances publiques rend difficile le respect du pacte de stabilité et de croissance, et réduit leurs marges de manoeuvre budgétaires. Il s'est inquiété, en second lieu, de la grande faiblesse de l'économie allemande, qui, par son importance au sein de la zone euro, pénalise la croissance de ses partenaires. Il a jugé la politique monétaire menée, par la Banque centrale européenne, trop restrictive. Enfin, il a souligné l'efficacité des mesures de politique économique adoptées aux Etats-Unis, tout en indiquant leurs limites.
M. Joël Bourdin, président, en est ensuite venu à la présentation du deuxième chapitre du rapport, qui expose deux scénarios de moyen terme, l'un d'une croissance de l'économie française au rythme de sa croissance potentielle, soit 2,2 % par an sur la période 2004-2007, le second, plus favorable, où la croissance serait de 3 % par an sur la même période.
Il a précisé la notion de croissance potentielle, en expliquant qu'elle était déterminée par l'évolution des gains de productivité et par le rythme d'augmentation de la population active, et qu'elle correspond au taux de croissance le plus élevé qu'une économie peut soutenir sans qu'apparaissent des tensions inflationnistes. Il a indiqué que la croissance potentielle de l'économie française diminuerait un peu sur la période en raison d'évolutions démographiques défavorables.
Dans le premier scénario, la croissance serait alimentée par une reprise de la consommation et de l'investissement des entreprises. Cette reprise serait financée par une baisse du taux d'épargne des ménages et du taux d'autofinancement des sociétés et par des allègements d'impôts. En revanche, la faible augmentation de la dépense publique et de l'investissement en logement des ménages pèseraient sur la croissance.
Un des enseignements de cette projection est que la croissance du PIB au rythme de la croissance potentielle ne suffirait pas à assurer spontanément une diminution du chômage. Le chômage resterait stable, et élevé, à 9,3 % de la population active, de 2003 à 2007. Ce constat doit nous amener à envisager des réformes structurelles ambitieuses, susceptibles d'élever le niveau de la croissance potentielle de l'économie française. Encourager l'investissement productif, multiplier les incitations au travail et à l'embauche, devraient être des priorités.
Le deuxième scénario, plus favorable, est fondé sur une hypothèse de croissance du PIB de 3 % par an sur 2003-2007. Sa réalisation suppose une progression de la consommation et de l'investissement plus dynamique que dans le scénario précédent. Elle pourrait être financée par une baisse plus prononcée du taux d'épargne des ménages et du taux d'autofinancement des sociétés. L'endettement des sociétés s'accroîtrait.
La croissance s'accompagnerait de créations d'emplois nombreuses qui entraîneraient une forte baisse du chômage. Le taux de chômage reviendrait de 9,3 % à 6,8 % de la population active entre 2003 et 2007. L'inflation resterait stable.
M. Joël Bourdin, président, a insisté sur le fait que ce scénario de croissance à 3 % reposait sur des hypothèses fortes, et qui méritaient d'être débattues. Tout d'abord, la hausse du taux d'épargne des ménages semble être une tendance lourde de l'économie française, depuis une vingtaine d'années, ce qui conduit à s'interroger sur le degré de probabilité d'un scénario fondé sur une hypothèse de baisse du taux d'épargne. Il n'est pas sûr, ensuite, que la situation financière des sociétés autorise une augmentation importante de leur endettement. Enfin, il est nécessaire, pour que la baisse du chômage ne s'accompagne pas d'une remontée de l'inflation, que le niveau du chômage structurel en France soit suffisamment bas. Or, beaucoup d'experts estiment que le chômage structurel est élevé dans notre pays, peut-être de l'ordre de 8 % de la population active.
M. Joël Bourdin, président, a poursuivi en présentant une variante au premier scénario simulant les conséquences d'une absence de reprise de l'investissement en 2003. Un investissement plus faible entraînerait une diminution du taux de croissance. Le taux de chômage atteindrait un niveau plus élevé, et les déficits publics se creuseraient. Il a souligné que cette variante mettait en évidence la grande sensibilité de l'économie au taux d'investissement des entreprises.
Il a ensuite présenté le troisième chapitre du rapport, consacré aux perspectives des finances publiques. Il a rappelé que le solde public s'était beaucoup dégradé depuis deux ans et expliqué que l'évolution future des finances publiques à l'horizon 2007 était dépendante du scénario de croissance retenu. Dans le premier scénario, le déficit public se replie modestement, et représenterait encore 1,8 point de PIB à l'horizon de la projection. Dans le scénario de croissance à 3 %, les finances publiques seraient proches de l'équilibre en 2007.
La programmation des finances publiques présentée, cette année, par le Gouvernement, couvre la période 2004-2006. Le niveau de déficit projeté par le Gouvernement pour l'année 2006 est inférieur à celui retenu dans notre premier scénario. Cet écart s'explique par des prévisions gouvernementales plus optimistes pour l'année 2003.
M. Joël Bourdin, président, a tiré plusieurs conclusions, relatives aux finances publiques, de ces exercices de projections. Une croissance du PIB plus élevée facilite indubitablement le retour à l'équilibre budgétaire. La politique économique doit donc encourager la croissance, ce qui plaide en faveur d'une politique d'assainissement mesurée, et progressive, des finances publiques. Le retour à l'équilibre impose un effort de maîtrise de l'évolution des dépenses publiques. Pour ce faire, il importe de renforcer les moyens d'évaluation des politiques publiques. Le commissariat général du Plan, qu'il convient certainement de rénover, exerce, de ce point de vue, une mission tout à fait utile, ce qui implique qu'il soit maintenu.
Enfin, M. Joël Bourdin, président, a conclu en émettant le souhait d'une révision intelligente du pacte de stabilité et de croissance européen.
Un large débat s'est alors ouvert.
M. Pierre André a félicité M. Joël Bourdin, président, pour la qualité de son rapport. Il est revenu sur la question du chômage structurel, en indiquant que nombre d'entreprises avaient des difficultés à recruter du personnel, en dépit d'un taux de chômage élevé, à tel point que l'on évoque la nécessité de recourir à une main d'oeuvre immigrée. Il s'est aussi interrogé sur les conséquences du repli des cours boursiers sur les perspectives de croissance. Enfin, il s'est inquiété de la perte d'attractivité du territoire, qui conduit à la délocalisation de nombreux investissements hors de France.
M. Gérard Bailly a confirmé, en s'appuyant sur des données observées dans son département du Jura, que beaucoup d'entreprises faisaient face à des difficultés de recrutement. Il semble exister un vrai problème d'adéquation des compétences offertes par les demandeurs d'emplois aux besoins des entreprises. Il a souhaité que l'on rende plus attractifs les emplois offerts dans des secteurs tels que le bâtiment, la restauration, ou les services aux personnes. Il a également relevé les menaces qui pèsent sur l'investissement public, en raison de l'augmentation forte des dépenses de fonctionnement imposées aux départements, notamment au titre de l'allocation personnalisée d'autonomie.
M. Joël Bourdin, président, a admis l'importance du problème posé par la difficile rencontre entre l'offre et la demande de travail. Il a indiqué que l'on pourrait faire baisser le taux de chômage structurel par des actions ciblées menées en direction des demandeurs d'emplois. Il faut veiller à la bonne utilisation des crédits importants consacrés à la formation professionnelle, et évaluer l'efficacité de mesures récentes telles que la prime pour l'emploi.
M. Pierre André a alors souligné que la comparaison entre revenus du travail et revenus tirés des transferts sociaux était souvent peu incitative à la reprise d'emploi.
M. Joël Bourdin, président, a répondu que la prime pour l'emploi avait pour objectif de régler ce type de problème, et a souhaité une adaptation de ce dispositif pour en améliorer l'efficacité. Il a mis en évidence, ensuite, la nécessité de relancer l'investissement productif. Un haut niveau d'investissement est indispensable pour assurer l'incorporation du progrès technique à l'appareil de production.
M. Joseph Kerguéris est alors intervenu, pour rappeler que le rythme de progression de l'investissement productif tendait à diminuer depuis les années 1970.
M. Joël Bourdin, président, a poursuivi sa réflexion sur l'investissement, en évoquant la place importante de l'investissement des collectivités locales dans l'investissement public. L'investissement public a souffert dans les années 1990 et devrait être plus soutenu à l'avenir.
Revenant sur une question de M. Pierre André, M. Joël Bourdin, président, a précisé les liens existant entre la sphère financière et la sphère réelle. La chute des cours boursiers diminue la valeur du patrimoine des ménages détenteurs d'actions. Mais ces moins-values restent virtuelles tant que les détenteurs d'actions n'ont pas revendu leur bien. Les variations importantes des cours boursiers n'ont pas empêché une hausse régulière des revenus financiers des ménages. L'épargne, élevée, des ménages est, en effet, placée en actions ou obligations, qui leur procurent des revenus.
M. Roger Rinchet s'est dit préoccupé de la concurrence des pays d'Europe de l'Est, et a souhaité leur adhésion rapide à l'Union européenne, dans la mesure où celle-ci pourrait leur permettre de combler plus vite leur retard de développement. L'économie française gagnerait, en outre, a-t-il estimé, à s'orienter davantage vers les activités tertiaires, et à investir plus dans la recherche.
M. Joël Bourdin, président, a indiqué que les investissements français à l'étranger avaient souvent pour objectif d'étendre l'activité des firmes françaises sur ces marchés extérieurs, et ne pénalisaient donc pas l'activité sur le territoire national. Il a confirmé l'importance de l'effort en recherche et développement des entreprises. Les entreprises innovantes commencent, en effet, généralement, par produire dans leur pays d'origine. L'appareil productif français n'est pas figé, et doit s'adapter aux changements technologiques, ou intervenant dans l'environnement international de la France.
M. Joseph Kerguéris a rappelé que les investissements étrangers en France étaient d'un montant presque équivalent aux investissement français à l'étranger. Il a souligné que la France continuait de connaître chaque année des créations nettes d'emplois, mais que la mobilité géographique et sectorielle des travailleurs posait souvent problème. La relance de l'investissement passe par la restauration de la confiance des agents économiques. L'Etat doit, de son côté, réduire ses dépenses de fonctionnement, tout en préservant l'investissement public.
M. Joël Bourdin, président, a partagé les analyses de M. Joseph Kerguéris et a appelé à une politique budgétaire équilibrée, qui concilie l'impératif de soutien à l'activité avec la nécessaire maîtrise des dépenses publiques.
M. Yvon Collin a pris la parole pour féliciter M. Joël Bourdin, président, pour la qualité de son travail. Il a dit partager l'idée d'une nécessaire réduction du train de vie de l'Etat, et s'est demandé quelles étaient les implications d'une telle orientation en matière d'emploi public. Il a rappelé les fortes résistances locales qui se manifestent lorsque les pouvoirs publics annoncent la fermeture de services publics.
M. Joël Bourdin, président, a souhaité une baisse à moyen terme de la dépense publique, mais sans ajustement budgétaire brutal à court terme. Elle suppose de réaliser des gains de productivité dans la sphère publique. Il a indiqué être convaincu que le Gouvernement aurait la détermination nécessaire pour mener à bien les réformes indispensables au pays.
La Délégation a alors adopté le rapport sur les perspectives économiques à l'horizon 2007.
Nominations de rapporteur
La délégation a enfin procédé à la nomination d'un rapporteur.
Elle a confié à M. Joël Bourdin, président, un rapport relatif aux ménages-actionnaires.