Table des matières


Mercredi 9 décembre 1998

- Présidence de M. Adrien Gouteyron, président.

Désignation de rapporteurs adjoints

La commission d'enquête a d'abord complété son Bureau en désignant MM. Jean-Claude Carle etM. André Vallet comme rapporteurs adjoints.

Programme de travail

Sur proposition de M. Adrien Gouteyron, président, et après les interventions de MM. Francis Grignon, rapporteur, André Vallet et Jean-Claude Carle, rapporteurs adjoints, de MM. Jacques Mahéas, Jean Arthuis, Jacques Legendre, Jean Bernadaux, Gérard Braun et Claude Domeizel, la commission a ensuite approuvé le programme de travail proposé par son Bureau, s'agissant notamment des personnalités à auditionner ainsi que des contrôles et des déplacements à effectuer.

Elle a enfin décidé que ses auditions seraient ouvertes à la presse, sauf huis clos éventuellement demandé par les intéressés.

Audition de M. Roger Fauroux

La commission d'enquête a ensuite procédé à l'audition de M. Roger Fauroux.

Après avoir prêté serment, M. Roger Fauroux a abordé le problème de la gestion des personnels de l'éducation nationale en soulignant l'archaïsme des méthodes de gestion des enseignants du second degré et le manque de transparence des procédures appliquées.

Il a indiqué que l'extrême concentration du système ne permettait pas de prendre en compte la nécessaire adéquation entre le profil des enseignants et les besoins des établissements et des élèves. Il a indiqué que 75.000 mutations étaient gérées chaque année par l'ordinateur central du ministère de l'éducation nationale, sur un total de 500.000 enseignants et, qu'à l'occasion de chaque rentrée scolaire, de trop nombreux enseignants étaient informés très tardivement de leur affectation. Il a de plus souligné que ce mécanisme très centralisateur favorisait l'emprise et le contrôle des syndicats sur la gestion des personnels.

M. Roger Fauroux a ensuite souligné l'intérêt de la réforme du mouvement proposée par M. Claude Allègre ; celle-ci devrait, selon lui, permettre de remédier aux dysfonctionnements constatés dans la gestion des personnels du second degré sous plusieurs conditions. Afin d'éviter que ce mouvement de déconcentration n'aboutisse à la reconstitution de vingt-deux " administrations centrales ", il conviendrait d'accompagner cette réforme d'un profond changement culturel qui permettrait d'instaurer un véritable climat de dialogue et de concertation avec les personnels, et de parvenir à une meilleure adéquation entre les affectations et les projets pédagogiques des établissements.

Il a regretté que de trop nombreux chefs d'établissement exercent leur autorité de manière archaïque et a souhaité que leur formation et leur niveau de recrutement soient améliorés.

Parallèlement à ce mouvement de déconcentration de la gestion des personnels, il a estimé qu'il convenait de conforter les prérogatives de l'Etat dans la définition des concours nationaux, dans la composition des jurys, dans l'évaluation des candidats et dans le contenu des programmes.

Un débat s'est ensuite instauré.

M. Francis Grignon, rapporteur, a interrogé M. Roger Fauroux sur les raisons principales des dysfonctionnements constatés dans la gestion des personnels et sur l'intérêt de développer de nouvelles qualifications bivalentes pour les professeurs dans les premières années de collège.

M. Roger Fauroux a déclaré avoir été surpris par le rendement médiocre de l'enseignement en France, qui bénéficie pourtant de masses budgétaires considérables et d'enseignants dont la qualité et le dévouement sont reconnus.

Après avoir rappelé l'importance de l'illettrisme et des sorties sans qualification du système éducatif, il a évoqué un certain découragement des personnels enseignants et dénoncé une mauvaise politique de communication entre les établissements, les administrations déconcentrées et l'administration centrale.

Interrogé par M. Jean Arthuis sur la réalité des inspections et sur l'intérêt des évaluations qui en résultent, M. Roger Fauroux a estimé que les moyens des inspections étaient insuffisants et que les résultats des évaluations restaient trop peu exploités. Il a également rappelé que les chefs d'établissement n'avaient pas le pouvoir de se prononcer sur les compétences des enseignants exerçant dans leurs établissements.

M. Xavier Darcos est intervenu pour souligner que les évaluations étaient correctement faites, mais qu'elles étaient trop peu nombreuses et que rien n'était réellement entrepris pour remédier aux insuffisances flagrantes de certains enseignants.

Il a par ailleurs souligné la difficulté de concilier le principe des concours nationaux avec la prise en compte de la diversité des besoins locaux.

M. Roger Fauroux a rappelé que 75 % des mutations intervenaient dans une même académie et que les autres mutations se faisaient en prenant en compte l'évaluation des enseignants concernés.

M. Jacques Mahéas a rappelé les différences importantes constatées entre les carrières d'enseignant du premier degré, selon que celles-ci s'effectuent au choix ou à l'ancienneté. Il a estimé que les difficultés d'affectation des enseignants lors des rentrées scolaires étaient de mieux en mieux résolues et a souligné les pouvoirs réduits des chefs d'établissement à l'égard des personnels enseignants.

M. Roger Fauroux a reconnu que les pouvoirs des chefs d'établissement étaient faibles mais que ces derniers devraient néanmoins bénéficier d'une meilleure formation pour exercer leurs prérogatives.

Répondant à M. Claude Domeizel, qui s'interrogeait sur ce qu'il fallait entendre par " rendement médiocre " de notre enseignement, il a notamment évoqué les enquêtes de l'OCDE effectuées notamment sur l'illettrisme et les résultats constatés dans certaines disciplines, qui ne placent pas la France dans les meilleurs rangs.

S'agissant de la double qualification des enseignants, M. Roger Fauroux a estimé que celle-ci serait très difficile à introduire au niveau des lycées, mais a considéré qu'une certaine polyvalence des enseignants pouvait être envisagée dans les premières classes de collège.

M. Serge Lagauche a souligné que les modifications intervenues dans notre système éducatif (accès de plus en plus large au baccalauréat, élévation de l'âge des élèves, comportements nouveaux) conduisaient nécessairement à renforcer l'encadrement des élèves, à redistribuer les personnels enseignants et non-enseignants pour tenir compte des réalités sur le terrain et à soutenir l'effort des chefs d'établissement.

M. Roger Fauroux a rappelé que les personnels de l'administration centrale n'étaient pas pléthoriques, et qu'un effort d'organisation, de simplification administrative et de formation devrait être engagé en faveur des chefs d'établissement afin d'accorder leurs prérogatives à leurs responsabilités.

Audition de M. Bernard Toulemonde, directeur de l'enseignement scolaire au ministère de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie

La commission d'enquête a enfin procédé à l'audition de M. Bernard Toulemonde, directeur de l'enseignement scolaire au ministère de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

Après avoir prêté serment, M. Bernard Toulemonde a indiqué que la direction de l'enseignement scolaire était compétente pour répartir les moyens budgétaires d'enseignement, de remplacement et de direction. Il a cependant souligné qu'il lui était difficile d'appréhender la totalité des moyens mis à la disposition des établissements scolaires.

Il a d'abord rappelé la procédure de répartition des moyens budgétaires votés par le Parlement pour le second degré. Dans un premier temps, une enveloppe globale est affectée aux recteurs qui doivent la répartir entre les lycées, les inspecteurs d'académie étant chargés de la répartition entre les collèges. Dans un second temps, un volant d'heures d'enseignement - la dotation horaire globale - est alloué à chaque établissement public local d'enseignement (EPLE) après prise en compte des besoins exprimés. Il a noté que l'existence de 350 disciplines d'enseignement rendait difficiles les ajustements des moyens à ces besoins et que les recrutements d'enseignants, par exemple, ne se traduisaient en affectation effective que deux années après le recensement des besoins.

M. Bernard Toulemonde a ajouté que la mauvaise appréhension des moyens pour le premier et le second degré résultait aussi d'une dissociation entre le nombre de postes et le nombre d'enseignants, en raison de l'occupation par plusieurs enseignants d'un poste équivalent temps plein (ETP).

Il a également précisé que certaines " pertes en ligne " d'enseignants résultaient de dispositions réglementaires. Certains enseignants bénéficient ainsi de décharges, comme ceux des classes de première et terminale, au titre de la " première chaire ", qui effectuent 17 heures d'enseignement hebdomadaire au lieu de 18, tandis que le système dit des " charges de cabinet " se traduit également par des obligations d'horaires d'enseignement différentes selon les disciplines.

Des décharges de service peuvent aussi être accordées par les services académiques, par exemple pour les enseignants effectuant des actions de formation continue. De même, les directeurs d'école, lorsque celle-ci compte au moins cinq classes, bénéficient de décharge de direction. Des décharges syndicales peuvent également être accordées en application du décret du 28 mai 1982, leur importance variant en fonction de la représentativité des organisations. Ces décharges syndicales représentent 1.188 postes équivalents temps plein, le nombre de personnes concernées étant en réalité plus important du fait du fractionnement de ces postes par les syndicats.

Evoquant ensuite le problème des mises à disposition des enseignants, il a indiqué que celles-ci devaient être distinguées du détachement, position dans laquelle le fonctionnaire de l'éducation nationale exerce son activité dans une autre administration qui le rémunère. Il a précisé que 5.000 enseignants du premier degré et 15.000 enseignants du second degré étaient aujourd'hui détachés, sur un effectif total d'environ 800.000.

Il a rappelé que la mise à disposition consistait, pour un fonctionnaire, à exercer une activité différente de celle qu'il était censé accomplir, tout en restant au sein de son administration d'origine. Après avoir fait observer que les mises à disposition ne sont recensées que depuis 1982, il a précisé que leur nombre actuel était de 1.115. Il a indiqué que les enseignants étaient mis à disposition, soit de cabinets ministériels, soit d'organismes publics ou privés (l'Institut de France, par exemple), soit d'associations ou de mutuelles dont l'activité est liée à l'éducation nationale, comme la mutuelle générale de l'éducation nationale (MGEN).

Abordant la question des moyens affectés au remplacement des enseignants absents, il a tenu à préciser que le taux d'absence des personnels enseignants, pour cause de maladie notamment, était similaire à celui d'autres catégories professionnelles. Il a néanmoins reconnu qu'un certain nombre d'heures d'enseignement étaient " perdues " pour des raisons liées au système de remplacement.

Evoquant la fermeture totale des établissements scolaires à certaines périodes de l'année, il a rappelé que l'organisation des examens entraînait un raccourcissement dommageable du troisième trimestre et que le ministre souhaitait apporter des solutions à ce problème. Il a ensuite estimé que les professeurs étaient trop sollicités pendant leurs heures d'enseignement pour préparer les sujets d'examens et pour suivre des stages de formation continue.

Il a enfin fait observer que les moyens de remplacement, dans le premier degré, représentaient 8 % de la masse des postes d'enseignement, cette proportion étant de 5 à 6 % dans le second degré.

Un débat s'est ensuite instauré.

M. Francis Grignon, rapporteur, a demandé des précisions sur le nombre d'enseignants effectivement présents devant les élèves, ainsi que sur les effectifs de catégories particulières d'enseignants telles que les maîtres auxiliaires non titulaires ou les titulaires remplaçants et académiques. Il a souhaité connaître le nombre de demandes formulées et de demandes satisfaites au titre du mouvement national des enseignants du second degré. Il a également voulu savoir si les dysfonctionnements constatés chaque année dans la gestion des personnels enseignants étaient analysés et si des propositions étaient formulées afin d'y remédier.

Il s'est par ailleurs enquis de la possibilité de simplifier les disciplines et de former des enseignants multidisciplinaires. Il s'est enfin interrogé sur les diverses modalités de gestion des personnels de l'enseignement public et de l'enseignement privé sous contrat.

M. Adrien Gouteyron, président, s'est demandé s'il n'existait pas des mises à disposition "clandestines".

M. Bernard Toulemonde a reconnu que les recteurs recevaient des demandes de toute nature, et qu'ils pouvaient y accéder s'ils estimaient être en présence d'une demande légitime, répondant à l'intérêt général. Il a indiqué que l'administration centrale disposait d'un système informatique lui permettant de suivre l'utilisation des emplois mais que, pour les raisons précédemment évoquées, notamment l'inadéquation entre le nombre de postes et le nombre d'enseignants, des incertitudes demeuraient à cet égard.

S'agissant des maîtres auxiliaires, il a rappelé que ces derniers étaient normalement rémunérés sur le chapitre 31-97, mais a fait observer que l'existence de maîtres auxiliaires, en surnombre depuis plusieurs années, nécessitait de les rémunérer sans l'assise budgétaire adéquate.

Il a observé que les concours de recrutement des enseignants avaient été " surcalibrés " depuis plusieurs années, même si, depuis deux ou trois ans, le nombre de postes mis au concours avait sensiblement diminué.

Il a cependant souligné que le nombre de départs à la retraite des enseignants allait considérablement s'accélérer à partir de 2003, et a précisé qu'entre 2000 et 2006, 40 % des enseignants partiraient à la retraite. Il a également noté que le contrôle financier local des emplois de l'éducation nationale n'avait été mis en place que depuis le mois d'octobre dernier.

M. Adrien Gouteyron, président, s'est interrogé sur les délais nécessaires pour répartir les moyens d'enseignement.

M. Bernard Toulemonde a rappelé que la répartition des emplois par l'administration centrale intervenait au mois de décembre et que les établissements recevaient leur dotation horaire globale au mois de janvier, la détermination du profil des postes étant en général achevée le 15 février. Il a ajouté que la déconcentration du mouvement initiée par le ministre permettrait d'affiner l'adaptation des moyens aux besoins.

M. Claude Domeizel a demandé des précisions sur l'évolution du nombre de postes d'enseignants qui ne se trouvent pas devant les élèves, au cours des dernières années.

M. Jacques Legendre s'est étonné que le ministère subventionne des organismes accueillant des personnels de l'éducation nationale alors que ces enseignants restent rémunérés par leur administration d'origine.

M Bernard Toulemonde a noté que les mises à disposition avaient diminué depuis plusieurs années, leur nombre étant revenu de 2.200 en 1986 à 1.115 aujourd'hui. Il a rappelé que M. René Monory, lorsqu'il était en charge de l'éducation nationale, avait considérablement réduit ces mises à disposition, et avait accordé une subvention aux organismes accueillant des enseignants en détachement.

M. Claude Domeizel a souhaité connaître les crédits affectés au régime indemnitaire des personnels enseignants.

M. Bernard Toulemonde a rappelé que les enseignants pouvaient percevoir des indemnités de professeur principal, de suivi et d'orientation, d'affectation en zone d'éducation prioritaire, ou, pour certains d'entre eux, de logement. Il a également indiqué que les heures supplémentaires, gérées par la direction de l'enseignement scolaire, représentaient des crédits de l'ordre de 5,2 milliards de francs, les 25 millions d'heures supplémentaires effectives (HSE) représentant 38.750 postes d'enseignants.

Abordant le problème des disciplines, il a constaté que leur multiplication résultait notamment de l'avancée des sciences mais a reconnu que la " finesse " disciplinaire était peut-être aujourd'hui trop importante, notamment dans l'enseignement technique, et que des regroupements seraient sans doute nécessaires, comme dans l'enseignement supérieur. Il a rappelé que la polyvalence des anciens professeurs d'enseignement général des collèges (PEGC) rendait plus aisée la gestion des effectifs ainsi que celle des heures d'enseignement.

Il a fait observer que la politique de contractualisation mise en place récemment entre l'administration centrale et les académies visait à réduire les dysfonctionnements constatés dans la gestion des personnels enseignants : les académies doivent en effet désormais élaborer un projet spécifique, l'administration centrale apportant les moyens financiers nécessaires à sa réalisation.

M. Bernard Toulemonde a constaté que l'enseignement privé bénéficiait d'une souplesse de gestion que l'on ne retrouvait pas dans l'enseignement public, celle-ci résultant du fait que la notion de poste n'existe pas dans le privé, où seules les heures d'enseignement sont prises en considération. En outre, les chefs d'établissement de l'enseignement privé ont la faculté d'attribuer aux enseignants un service incomplet, le demi-service constituant un seuil en-deçà duquel les personnels ont un statut de contractuel de droit public ; au-delà de ce seuil, le chef d'établissement dispose de la liberté nécessaire à l'adaptation aux besoins.

Il a cependant précisé que les personnels de l'enseignement privé se plaignaient de ce système et a enfin rappelé que le régime des décharges syndicales était identique, depuis 1976, dans l'enseignement public et dans l'enseignement privé.

M. Adrien Gouteyron, président, a demandé si la conversion de la masse horaire attribuée aux inspections d'académie en postes équivalents temps plein faisait l'objet d'une concertation avec les représentants des enseignants.

M. Bernard Toulemonde a précisé que la structure pédagogique finale résultant des moyens alloués faisait effectivement l'objet d'un examen en comité technique paritaire.

M. Francis Grignon, rapporteur, s'est enquis du recours à des personnels extérieurs à l'éducation nationale pour dispenser des enseignements.

M. Bernard Toulemonde a rappelé qu'un décret de 1993 permettait de créer des professeurs associés dans le second degré, à l'image du système existant dans l'enseignement supérieur, mais que ce décret n'avait jamais été appliqué.

M. Adrien Gouteyron, président, a évoqué la mise en oeuvre progressive du système des décharges.

M. Bernard Toulemonde a rappelé que les décharges de directeurs d'école représentaient 6.797 postes, auxquels il fallait ajouter 1.668 postes de maîtres des classes d'application des anciennes écoles normales. Il a fait observer que l'intérêt des élèves justifiait parfois une extension des décharges partielles.

M. Jean Bernadaux a souhaité obtenir des précisions sur le système régissant les décharges des directeurs des écoles parisiennes.

M. Bernard Toulemonde a rappelé que tous les directeurs d'école de l'ancien département de la Seine bénéficiaient d'une décharge totale de service, quels que soient les effectifs de l'école qu'ils dirigent, le coût de cette mesure étant supporté par la Ville de Paris.

M. Adrien Gouteyron, président, a enfin évoqué les obligations de service des professeurs de classes préparatoires.

M. Bernard Toulemonde a précisé que ces professeurs agrégés accomplissaient huit heures de service hebdomadaire ; celles-ci sont complétées par un volume important d'heures supplémentaires qui sont justifiées par la nécessité d'une préparation intensive des élèves aux concours.