Mission commune d'information sur la place et le rôle des femmes dans la vie publique


MISSION COMMUNE D'INFORMATION CHARGÉE D'ÉTUDIER LA PLACE ET LE RÔLE DES FEMMES DANS LA VIE PUBLIQUE

AUDITIONS DU 22 JANVIER 1997 (1)


Mercredi 22 janvier 1997 - Présidence de Mme Nelly Olin, président

La mission commune a tout d'abord procédé à l'audition de Mme Roselyne Bachelot-Narquin, rapporteur général de l'Observatoire de la parité.

En introduction, Mme Roselyne Bachelot-Narquin a précisé qu'elle intervenait en sa double qualité de rapporteur général de l'Observatoire de la parité et de responsable au sein d'un grand mouvement politique, le Rassemblement pour la République. Elle a rappelé que la création de l'Observatoire de la parité en 1995 concrétisait une promesse de M. Jacques Chirac lors de la campagne présidentielle. Elle a indiqué que quatre commissions avaient été créées au sein de cet organisme, les trois premières pour étudier la parité entre les hommes et les femmes dans la vie politique, dans la vie professionnelle et dans la sphère privée, la dernière s'axant sur les enjeux internationaux. Après avoir évoqué les méthodes de travail de l'Observatoire, qui avait procédé à de très nombreuses auditions, elle a expliqué que priorité avait été donnée au problème de la parité politique, à la fois parce que l'analyse historique et sociale conduite à cette occasion fondait toutes les autres analyses et pour répondre à une demande du Premier ministre exprimée le 7 mars 1996. Soulignant que la sous-représentation des femmes dans la vie politique plaçait la France en position de « lanterne rouge de l'Europe », Mme Roselyne Bachelot-Narquin a indiqué que si le scrutin de listes semblait statistiquement favoriser les femmes (27 % d'élues au Parlement européen, 20 % dans les conseils municipaux), ce phénomène s'expliquait peut-être par le fait que ces assemblées ne constituaient pas de véritables lieux de pouvoir, les hommes ayant de surcroît tendance à déserter les conseils municipaux des communes rurales, où les enjeux étaient réduits. Elle a en revanche constaté que très peu de femmes exerçaient des fonctions de maire dans des villes de plus de 30.000 habitants. Elle a observé en outre que les délégations confiées aux femmes au sein des conseils municipaux concernaient surtout l'enfance ou l'action sociale, et non des domaines plus valorisants comme le budget, les finances ou l'urbanisme. Elle a également remarqué que, même si elle argumentait, la proportion des femmes élues semblait buter sur la limite de 25 %.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin s'est ensuite interrogée sur les raisons de l'exclusion des femmes de la vie politique. Elle a d'abord imputé celle-ci à des raisons historiques : le poids du droit romain, l'influence de la loi salique et le coup de frein donné à l'arrivée des femmes dans la sphère publique par la Révolution française, relayée par le code Napoléon, puis plus récemment par la résistance de la plupart des partis politiques. Elle a ensuite abordé les raisons d'ordre sociologique, soulignant que les femmes françaises « avaient raté le rendez-vous suffragiste » de la fin de XIXème siècle et du début du XXème siècle. Elle a avancé comme explication l'existence en France d'un « dialogue entre hommes et femmes », absent dans d'autres pays, et qui aurait permis aux femmes d'exercer assez d'influence dans la vie privée pour ne pas les inciter à s'impliquer dans la vie publique. Elle a souligné à ce propos que, contrairement au reste de l'Europe, la plupart des partis politiques français étaient dépourvus d'aile féminine, les femmes militant aux côtés des hommes dans des structures mixtes. Elle a également relevé que le système de cooptation et de parrainage pour l'entrée en politique jouait en leur défaveur. Enfin, elle a indiqué que la démocratisation des partis et la décentralisation, en érigeant les échelons locaux en lieux de pouvoir, avaient accentué l'exclusion des femmes, relevant d'ailleurs la même tendance dans les pays de l'Est depuis que les Parlements y exerçaient un véritable rôle.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin a alors abordé les propositions de la commission pour la parité dans la vie politique, précisant cependant qu'elle laisserait à Mme Gisèle Halimi le soin de présenter les mécanismes volontaristes (loi, quotas et réforme constitutionnelle). Laissant de côté les propositions consistant à laisser les choses évoluer d'elles-mêmes ou à organiser de grandes campagnes publicitaires, elle a évoqué les incitations financières (modulation du financement des partis en fonction du coefficient de mixité), précisant que d'après les constitutionnalistes consultés par l'Observatoire, cette disposition ne paraissait pas contraire à la Constitution. Elle a ensuite mentionné le scrutin proportionnel de liste, tout en se déclarant à titre personnel extrêmement réservée sur ce système, l'exemple des législatives de 1986 n'ayant d'ailleurs pas démontré son efficacité du fait, notamment, des réticences des partis politiques. Elle a ajouté que cette proposition poserait en outre la question des inconvénients intrinsèques de la représentation proportionnelle. Sur la solution consistant à interdire le cumul de mandats, elle a observé que les avancées de la loi de 1985 n'avaient pas eu non plus les effets attendus. Elle a enfin évoqué la réforme de statut de l'élu. Personnellement très favorable à cette mesure, elle a toutefois estimé qu'elle favoriserait l'émergence de nouvelles candidatures, mais pas nécessairement féminines.

En réponse à M. Philippe Richert, rapporteur, Mme Roselyne Bachelot-Narquin a précisé que les partis politiques avaient été entendus par la commission en la personne de leurs principaux responsables. Elle a également indiqué qu'aucune des propositions formulées n'avait été omise dans le rapport et qu'elles avaient toutes été évaluées, y compris celles qui, a priori, paraissaient contraires à nos traditions culturelles et juridiques.

Mme Michelle Demessine a souligné que les partis devaient manifester clairement leur volonté d'agir, notamment en créant des branches féminines comme cela existait au parti communiste. Elle s'est déclarée résolument favorable à la représentation proportionnelle, sans laquelle les meilleures volontés politiques risqueraient de demeurer lettre morte. Elle a également appelé de ses voeux l'interdiction du cumul de mandats. En réponse, Mme Roselyne Bachelot-Narquin a estimé que s'il existait une véritable volonté des partis politiques, aucune autre mesure ne serait nécessaire ; mais elle a constaté l'atonie quasi générale des partis sur ce point, les initiatives récentes de certains partis comme le parti socialiste semblant même d'ores et déjà se heurter à certaines résistances. S'agissant de la proportionnelle, elle a craint que le débat sur les avantages et les inconvénients respectifs du scrutin majoritaire et du scrutin de listes fasse passer au second plan celui sur la féminisation. Elle a enfin trouvé symptomatique que les partis politiques les plus éloignés du pouvoir soient ceux qui ménageaient le plus de place aux femmes, par exemple le parti communiste et les écologistes.

Mme Joëlle Dusseau a insisté sur la nécessité d'accompagner les avancées législatives et constitutionnelles par une volonté de faire évoluer les mentalités, rappelant les effets positifs des campagnes menées en faveur de l'égalité professionnelle. Elle a regretté que la structure ministérielle spécifique aux femmes, dont la première initiative revenait au Président Valéry Giscard d'Estaing, ait fini par disparaître. Mme Roselyne Bachelot-Narquin a partagé tous ces points de vue. Puis, en réponse à Mme Gisèle Printz qui s'était interrogée sur l'intérêt que portaient véritablement les femmes aux fonctions politiques, elle a objecté que l'image même de la politique changerait si les femmes y entraient, ce qui la leur rendrait plus attractive. Elle a souligné qu'en tant que membre de la commission des investitures de son parti, elle avait observé un réel intérêt des femmes pour la politique, les déclarations de certains hommes politiques à propos du manque de candidates étant à cet égard sans fondement. Elle a également déploré que trop souvent les partis ne sollicitaient les candidatures de femmes qu'en toute dernière extrémité, ce qui expliquait nombre de refus et empêchait souvent de placer en rang utile les candidates qui acceptaient.

A Mme Joëlle Dusseau, elle a précisé que la participation des femmes à la haute administration figurait à l'ordre du jour des prochains travaux de l'Observatoire.

En réponse à une question de M. Philippe Richert, rapporteur, Mme Roselyne Bachelot-Narquin a souligné qu'on ne pouvait opposer la prise de responsabilités dans la vie politique à la prise de responsabilités dans les sphères privées et professionnelles, car les mêmes discriminations existaient partout.

Interrogée par Mme Nelly Olin, président, sur l'annonce par le Premier ministre d'un débat parlementaire sur la place des femmes dans la vie politique, envisagé pour l'Assemblée nationale autour du 8 mars, Mme Roselyne Bachelot-Narquin a considéré qu'en tout état de cause, ce débat n'épuiserait pas le sujet, que les travaux de la mission d'information gardaient tout leur intérêt et contribueraient à l'évolution des mentalités. Elle a indiqué que le Premier ministre avait souhaité ce débat pour répondre à une promesse électorale du Président de la République, la période en cause ayant été retenue parce qu'elle était proche de la journée internationale des femmes.

Suite des auditions du 22 janvier 1997 : Mme Gisèle HALIMI